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LES ANCIENS ETABLISSEMENTS DE CHARITE DE GUINGAMP. |
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C'était le temps où un grand et saint prélat, Balthazar Grangier, succédait, sur le siège épiscopal de Tréguier, à un autre évêque non moins saintement illustre, le dominicain Noël Deslandes. Balthazar Grangier fut en constantes relations avec saint Vincent de Paule ; c'est dans ces rapports que l'évêque de Tréguier puisa l'inépuisable zèle pour les missions et les oeuvres de charité, qui fut l'illustration de son épiscopat.
En 1648, arrivèrent à Guingamp les missionnaires lazaristes. Balthazar Grangier travailla lui-même à la mission, confessant tous ceux qui s'adressaient à lui, et prêchant deux fois la semaine. Les fruits de cette retraite furent si merveilleux, que le prélat en informa saint Vincent de Paule, en lui écrivant que « toute la population s'était convertie ».
Vingt-cinq ans plus tard, Guingamp revit l'évêque missionnaire, avec d'autres apôtres : c'étaient le célèbre P. Maunoir et son compagnon, M. de Trémaria, cet ancien conseiller au Parlement de Bretagne que la grâce avait touché, et qui s'était fait catéchiste. M. de Trémaria se rattache en quelque sorte à Guingamp par son gendre, M. Hingant de Kerisac, prêtre et missionnaire, aussi lui [Note : Il empruntait son nom au manoir de Kerisac, en Plouisy, qui fut aux Hingant, après avoir été, jusqu'à la fin du XVIème siècle, aux Rivault].
L'année même où il créait, avec l'aide de saint Vincent de Paule, son séminaire diocésain, en 1654, Balthazar Grangier avait appelé dans sa ville épiscopale des religieuses d'un ordre qui venait de naître à Dieppe, et qui, voué au soin exclusif des pauvres malades, prenait le nom d'Hospitalières. Toutes les villes du diocèse jalousèrent bientôt l'hospice de Tréguier, et l'on s'empressa de demander au saint évêque des colonies d'Hospitalières.
Le 14 août 1676, les religieuses tant réclamées arrivèrent à Guingamp ; elles étaient six, quatre soeurs de choeur et deux converses. Les noms de ces nobles femmes ont été conservés, c'étaient Mesdames Marguerite de Soterbye, Anne de Kermel, Louise de Pincouzou et Madeleine de Kersaliou, avec les soeurs Jeanne Pinsard et Anne Guyomard. Une professe guingampaise vint, trois mois après, augmenter cette petite troupe : c'était Mademoiselle Chaponier.
Les Hospitalières s'installèrent d'abord à la Délivrance : elles y demeurèrent quinze ans, pendant que l'on bâtissait le beau monastère dont le duc de Vendôme voulut être le fondateur, et pour lequel il donna des pierres, provenant de la démolition de son château de Guingamp, et un vaste terrain, en-dehors des murs et vis-à-vis de la Délivrance.
Les constructions, que les religieuses firent toutes à leurs frais, leur coûtèrent plus de soixante mille livres ; les saintes filles écrivaient au duc de Vendôme « qu'elles avaient pris sur leur propre subsistance pour fournir à la dépense sans avoir pu encore suffire aux frais ». La première pierre fut posée, en 1699, par le marquis de La Coste ; et sur la jolie façade italienne de la chapelle, vous lirez : Renée-Magdelaine de Coatmen, supérieure, 1709. La Révolution a martelé l'écusson qui portait les armes du fondateur.
Je ne quitterai pas cette dévote chapelle sans dire au moins un mot des orgues qui y ont, été placées en 1847, et pour lesquelles encore il est vrai de dire que les pauvres Hospitalières « ont pris sur leur propre subsistance, sans pouvoir fournir aux frais ». Cet orgue est l'oeuvre des frères Ménard, de Coutances.
L'hôpital créé par Charles de Blois, et que venaient desservir des religieuses de Tréguier, était appelé Hôtel-Dieu ; la ville rebâtit, en l'année 1676, un vieil hospice connu sous le nom d'Hôpital-Général. Les bâtiments de cet établissement, qui fut aussi confié aux Hospitalières, s'élevaient dans l'emplacement du collège actuel. L'abbé Poences, un des vicaires de Notre-Dame, dont M. Kermoalquin a dit, avec raison, « qu'il attacha son nom à la plupart des bonnes oeuvres entreprises à Guingamp de son temps, » fut le principal bienfaiteur et comme le fondateur de l'Hôpital-Général.
La Révolution proscrivit le dévouement et les sacrifices des Hospitalières ; et comme, en ces temps-là, l'ostracisme n'était pas assez pour la vertu, on emprisonna les religieuses à Montbareil. Elles avaient héroïquement refusé de prêter un serment que réprouvait leur conscience : ailleurs qu'à Guingamp, on les eût envoyées à l'échafaud. Leur détention dura un an, de 1794 à 1795. Après leur mise en liberté, elles se dispersèrent. La ville sentit bien vite les tristes effets de leur absence, et, dès qu'on vit l'horizon s'éclaircir, on se hâta de les rappeler. La persécution n'avait pas refroidi leur zèle, mais la mort avait laissé de nombreux vides dans leur phalange, et six seulement se trouvèrent réunies, le 29 septembre 1803, dans la maison désolée, dont on n'avait su faire qu'une prison : les cachots manquèrent à la liberté, comme les échafauds à la fraternité de cette atroce époque.
La chapelle, convertie en écurie, ne fut restituée qu'en 1810.
Cependant, les salles des malades trop étroites et trop basses, tombaient en ruines : l'administration municipale de la Restauration tourna vers cet objet toutes ses sollicitudes. Surprise au milieu de ses projets par la Révolution de 1830, elle laissait à la nouvelle municipalité une encaisse de 26.000 fr. Les constructions commencèrent presque aussitôt. Le roi Louis-Philippe, héritier des Penthièvre, avait fait don des matériaux provenant de la démolition des Portes de Rennes. Le chef de la maison d'Orléans n'a point exigé, comme le comte de Toulouse, que ses armes fussent apposées sur la porte principale ; mais il s'est réservé deux lits à l'hospice de Guingamp. Les nouvelles salles sont fort belles et fort bien distribuées.
Il existait autrefois une sage et touchante coutume que je regrette. Le jour de la première communion des enfants, on les conduisait processionnellement à l'Hôpital, et là, les plus riches et les plus notables servaient les pauvres à dîner : cet apprentissage de la charité, dans un jour si mémorable et si solennel, devait laisser dans ces jeunes âmes des impressions ineffaçables.
Madame de Martigues avait légué aux pauvres honteux de Guingamp une rente de cent livres, qui devait être distribuée par l'un des vicaires, désigné par les officiers de la Sénéchaussée. Cette rente, après avoir été la cause d'un procès fort aigre entre les vicaires et les débiteurs du constitut de Madame de Martigues, fut attribuée à la Confrérie de la Charité, qui se fonda à Guingamp, en 1697, sur le modèle de la congrégation érigée à Rome, en 1695, par M. Edme Jolly, supérieur de la congrégation de la Mission, et enrichie par Innocent XI des plus larges indulgences. Cette confrérie, où l'on retrouve les noms de tout ce que la noblesse et la bourgeoisie comptaient de notable, fit un bien énorme.
Le 27 septembre 1742, la communauté de Guingamp chargea « M. le sénéchal, député aux Etats, de solliciter et de demander l'établissement de deux Soeurs Grises, en cette ville, pour le service des pauvres ».
Cette délibération était prise le lendemain d'un double fléau. En 1741, la disette la plus affreuse s'était jointe à la peste, qui, à cette époque, comme en 1517, en 1566, en 1623, en 1630 et en 1639, décimait la population de Guingamp [Note : Les comptes du XVIème siècle renferment quelques détails relatifs la contagion — 1516. « Item, d'avoir poyé à Yvon Quintin et Jéhan Le Grant, sergents de la cour de Guingamp, pour avoir mis ès prisons du dit Guingamp Thomas Boudet, pelletier de la ville de S. Brieuc, qu'il s'en estoit fuy du dit S. Brieuc en ceste ville de Guingamp, obstant la peste qui regnoit au dit S. Brieuc et d'après par fréquentation que faisoit au dit S. Brieuc advint que deux de ses enfants moururent de peste, etc. ». — 1519. « Avoir poyé à Pezron Le Lector pour la nourriture d'un enffant masle qu'il fut trouvé en la cohue du dit Guingamp, avec sa mère qui estoit morte de peste, en l'an 1517, etc. — Avoir poyé à déjeûner à M. Yves Le Roux, sr. de Kerbressolles, lieutenant de la cour de Guingamp, pour avoir congié de faire à Guillaume Le Bourdos, sa femme et ses enffants, vuyder la ville close de Guingamp, à l'occasion que partie d'eux estoient malades de peste, etc. — Avoir poyé à ceux qui enterrèrent feu Jéhan La Hustec, gendre du dit Bourdos et sa femme qui estoient morts de peste, au courtil de l'ospital sur les doufves, quel fut par l'espace de deux jours entiers sans enterrer. 8 s. 6 d. ». — Il y a aux archives, à la date du 26 décembre 1496, une sentence du sénéchal de Guingamp qui condamne Pierre Rouzault, procureur des bourgeois, à payer le loyer de René Bodin, apothicaire. — En 1537, je vois que les bourgeois exemptèrent de tous impôts « Pierre Matheron, médecin, pour les agréables services que iceluy médecin faisoit de jour en autre aux habitants de cette ville et ès environs ». En 1539, cette faveur lui fut retirée, parce qu'il « marchandoit publiquement et notoirement ». — En 1630 et 1631, la ville consacra près de 3.000 livres à l'assistance des pestiférés et aux mesures d'hygiène, qui consistaient spécialement « à chasser les pourceaux, à tuer les chiens, les ébats et autres animaux immondes, et à mettre hors la ville les gueux étrangers ». — Je trouve également, à la date du 5 octobre 1630, la mention d'une ordonnance du juge prévôt qui condamne un particulier à l'amende « pour avoir vendu en cette ville des effets appartenant à des pestiférés de Goudelin » (Archives Municipales)]. Certes, la bienfaisance publique et privée n'avait pas fait défaut dans ces jours calamiteux ; mais, au chevet du pauvre, qui remplacerait la Soeur de Charité ?
Des obstacles de diverses natures s'opposèrent pendant longtemps à l'établissement projeté : ils ne purent être levés qu'en 1776. Trois Soeurs Grises vinrent alors habiter une petite maison bâtie sur la place du Château, que l'on avait fait niveler et aplanir pour donner quelque travail aux malheureux durant la famine de 1741.
Les pauvres Soeurs ne purent se livrer longtemps à l'exercice de leur charitable mission. Je veux citer textuellement une délibération du 11 août 1791 : en comparant ce jargon sonore et maussade au style des délibérations de l'ancienne communauté de ville, le lecteur s'apercevra qu'il a mis le pied dans un monde nouveau. « Séance extraordinaire, tenue au bureau municipal. La municipalité a délibéré que, pour prévenir les principes d'incivisme que répandent les Soeurs Grises, en refusant les pauvres qui témoignent leur attachement au patriotisme et leur fidélité à la nation ; vû que le service du Bureau de Charité ne se fait plus que d'une manière insuffisante ; pour prévenir des inconvénients qui en résulteraient, avons délibéré d'apposer les scellés sur le Bureau de farmacie et les autres objets des services publics pour ledit Bureau, réservant au surplus de prendre tele autre partie qui sera avisée ».
On avisa, comme bien vous pensez, qu'il fallait chasser et emprisonner ces empoisonneuses publiques.
Les Soeurs Grises ont été remplacées en 1816, par les Filles de la Sagesse. Le modeste établissement où celles-ci succédèrent aux Soeurs de Charité a pris successivement des développements considérables. A l'enseignement des jeunes filles, et au soin des indigents malades, est venu se joindre la direction de la Providence, maison de secours pour les indigents valides, et de l'Ouvroir, salle d'asile et école professionnelle de cent enfants pauvres.
La Providence, fondée par M. Daguenet, en 1832, et maintenue pendant vingt ans par le zèle de M. de Botmiliau, était l'association libre et spontanée de toutes les personnes charitables de la ville, qui mettaient en commun leurs aumônes pour le soulagement des pauvres. A cette oeuvre libre, M. le Préfet des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) a, par son arrêté du 30 septembre 1854, substitué une oeuvre tout administrative, véritable annexe du Bureau légal de Bienfaisance, dont sont pourvus tous les centres de population depuis 1789.
Il s'en suit que je n'ai plus absolument rien à dire de la Providence et de l'Ouvroir. Les choses légales et administratives, peu pittoresques de leur nature, ne peuvent enfanter, en littérature, qu'une autre chose essentiellement ennuyeuse et qu'on appelle la statistique : je n'en use pas.
Au nombre des établissements charitables de Guingamp, il faut compter, depuis quelques années, deux associations de secours mutuels : l'une, administrative, sous le titre de Caisse des Sapeurs-Pompiers ; l'autre, libre, sous le titre de Société de Saint-Yves.
La Société de Saint-Vincent-de-Paule exerce le patronage des apprentis et des écoliers sur de très-larges bases, grâce au concours d'un Frère de l'Institut de M. de Lammenais, dont la Société paie les honoraires, et qui est chargé de la surveillance des écoliers et de la classe du soir pour les apprentis.
Il manque encore à la ville une salle d'asile pour les garçons. Ici se dresse un obstacle qui a semblé peut-être insurmontable : les femmes, dans la province surtout, et en dehors des grandes cités manufacturières, se partagent en trois ou quatre catégories d'ouvrières qu'il est facile d'éduquer sous le même toit ; il n'en est pas ainsi des hommes, destinés à une innombrable variété de métiers et de travaux. (S. Ropartz).
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