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Commerce et Agriculture - Foires et Marchés - L'Hippodrome de Guingamp. |
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Dom Morice, après Du Paz, rapporte, au tome III des immortelles Preuves de l'Histoire de Bretagne une remontrance qu'adressaient au duc, en l'année 1488, les bourgeois de Guingamp, ruinés par la guerre. Guingamp, disent les suppliants, « est une ville champestre, loin de toute mer, où il n'y a que bien peu de marchands, et encore ceux marchands ne marchandent que des vins sur lesquels il y a plusieurs devoirs, comme d'entrée, d'issue et d'impost, qui montent à plus que le principal desdits vins, et convient auxdits marchands les bailler au prix que l'on les vend à Lantréguier, qu'est port de mer, où il n'y a issue ni entrée, par quoi lesdits marchands ne peuvent guères profiter en iceux vins ».
Cependant, il faut reconnaître que le vin tient bien sa place dans la vie de nos aïeux : élections, plaids, transactions, compte-rendu des députés aux Etats, bienvenue d'un capitaine, d'un commissaire ducal, de quelque gentilhomme notable, de l'évêque ou du grand-vicaire délégué, tout devient occasion de boire ou d'offrir quelques quartes [Note : La quarte valait deux pintes : cette mesure variait un peu suivant les seigneuries. Guingamp avait aussi sa mesure spéciale pour les céréales. Cette mesure fut définitivement réglementée par un arrêt contradictoire rendu, entre le syndicat de quelques paroisses de la juridiction et les seigneurs propriétaires de rentes et cens dans le ressort de ladite juridiction, à la date du 7 septembre 1662. Cet arrêt porte que : « le boisseau froment contiendra de profondeur de bas en haut de onze pouces et demy de roy, de largeur par le fond en circonférence seize pouces, et de largeur par l'ouverture quatorze pouces, ledit boisseau pesant soixante-cinq livres, mesure racle ; et le boisseau seigle aura et contiendra de profondeur de bas en haut douze pouces, de largeur par le fond en circonférence seize pouces, et d'ouverture par le haut quinze pouces, et ledit boisseau pesant soixante-trois livres, mesure racle ». (Archives de Kernabat et du Poirier)] de vin d'Aunis ou d'Anjou. Il n'y a guère d'articles des comptes à la fin desquels on ne lise la phrase sacramentelle : « Et en vin … ».
Aussi, tout le monde s'en mêle. Je trouve, au XIVème siècle, des gentilshommes associés à des taverniers, auxquels ils baillaient des sommes d'argent pour partager les bénéfices du commerce. Les plus huppés parmi les bourgeois étaient marchands de vin, et s'en allaient fréquemment, à cheval, jusqu'à la Rochelle, où ils faisaient leurs achats. Merien Chéro remplissait notamment cette honnête, mais peu héroïque profession.
Dans les grandes circonstances, aux vins divers, on ajoutait l'hypocras. Si on le voulait digne d'être offert aux plus hauts personnages, on le faisait fabriquer chez les apothicaires.
Je ne trouve pas la moindre mention de cidre, ni d'eau-de-vie.
En regard du renseignement conservé par Du Paz, je transcris le témoignage de Albert-le-Grand, qui avait vu Guingamp, en 1636, dans des conditions plus prospères, et qui écrivait que « cette ville est bonne et riche, tant à cause que c'est comme la clef et le passage de l'une à l'autre Bretaigne haute et basse, qu'à cause du trafic de mer qui se fait en son port de Pont-Treue , distant de trois lieuës de la ville, où abordent toutes sortes de marchandises, qui des celliers des marchands de Guenkamp se débitent sur le plat païs, de six, huit et dix lieuës à la ronde ».
J'ai dit ailleurs que les habitants du bourg noble de Sainte–Croix s'enrichissaient jadis par la fabrication d'une étoffe grossière à laquelle on donne le nom de berlinge.
Dans le courant de l'année 1730, des Anglais étaient venus à Guingamp fonder une fabrique de draps ou de pannes de laine, perfectionnement du berlinge de Sainte-Croix. La communauté favorisa de tout son pouvoir cette nouvelle industrie, qui pourtant ne paraît pas avoir jeté de racines dans le pays. Le 5 mars 1731 « la communauté, se délibérant sur la remontrance de M. le maire, est d'avis, sous le bon plaisir de Monseigneur l'intendant, que le sieur miseur remette aux mains du sieur Genu, trésorier de l'Hôpital-Général, la somme de 1.000 livres, pour acheter des laines pour l'entretien de la manufacture commencée par les Anglais, qui sont venus s'établir en cette ville, parce que ce fond de 1.000 livres rentrera en caisse au fur et à mesure de la vente des marchandises qui seront fabriquées ».
Le commerce et la fabrication des toiles furent aussi très-florissants à Guingamp ; mais, dès l'année 1630, une délibération de la communauté de ville signale la décadence rapide de cette industrie. Des difficultés nombreuses ayant été soulevées à propos de l'aunage que devaient avoir les toiles marchandes, le syndic de Morlaix pria la communauté de Guingamp d'intervenir au procès et de se joindre au commerce morlaisien ; les Guingampais se contentèrent de répondre qu'à leur avis « il serait préjudiciable de faire les toiles comme elles se faisoient autrefois, qui est demi-aulne et seizième de laize, mesure de Paris, sans autrement vouloir entrer au procès, ny fournir à aucuns frais ce touchant, consentant que la présente soit délivrée à la communauté de Morlaix, pour servir comme il appartiendra ».
Le 10 octobre 1629, la Cour ordonna une sorte d'enquête pour arriver à dresser le règlement uniforme que réclamait le commerce. « Le 6 may 1630, en l'assemblée de la maison commune de Guingamp, où étoient grand nombre de nobles bourgeois et habitans, congrégés à son de campane, à la manière accoutumée, lesdits habitans, ouïs en laditte assemblée, ont été d'avis que la Cour soit humblement supliée, pour le bien, utilité et rétablissement dudit traffic qui commence grandement à déchoir et diminue depuis quelques temps, et pour retrancher les abus qui s'y commettent, il règle la laize desdittes toilles à demy-aulne et douzième mesure de Paris et de cinquante aulnes pour la longueur de chaque pièce, lesquelles seront marquées et cachettées par deux marchands qui seront nommés dans l'assemblée d'an en an pour la visite desdittes toilles ; et des fautes et abus qui seront remarqués feront leur rapport et dénoncy à la justice pour estre pourvu en tel désordre, avec injonction aux officiers du lieu d'exécuter le règlement qui interviendra et déffenses de faire fabriquer d'autres de moindre laize et longueur à peine de confiscation, et même d'en achetter et vendre de moindre laize ».
Le voeu de la communauté de Guingamp fut suivi ; mais il s'écoula un grand nombre d'années avant que la sanction royale vînt donner au règlement sollicité force de loi. La déclaration confirmative du roi porte la date du 19 août 1678. Nous insérons ici ce document, qui n'est pas sans intérêt pour une industrie à laquelle notre Bretagne a dû une grande partie de sa richesse, et qui était si universellement répandue dans tout le pays.
« 1° Les toilles qui se fabriquent à Morlaix et aux environs, appellées crées, seront de la largeur ordinaire, sçavoir : les communes … gratiennes ou Pedernec, les Landerneau, Plougastel, Prat, compris tout sous le nom de crées ordinaires, seront en largeur de demye-aulne de Paris ; celles de deux tiers seront de deux tiers justes ; celles des trois quarts, tant fines que grosses, seront de trois quarts seulement.
2° Celles qui sont portées en la ville de Morlaix pour y estre vendues ne pourront estre débitées ailleurs que dans l'Hôtel-de-Ville, et la vente ne pourra estre faite qu'elles n'ayent été visitées par deux bourgeois, qui seront choisis et nommés à cet effet par les marchands des lieux, sans que les abés des maîtres tisserans puissent à l'avenir s'immiscer de visiter ni d'aulner les toilles.
3° Seront les pièces de toilles marquées d'une marque noire, qui sera empreinte aux deux bouts de chaque pièce sans frais.
4° Les toilles qui se fabriquent à Quintin, Uzel, Pontivy et aux environs seront aussi de la largeur ordinaire, sçavoir : celles de laize ordinaire, de demye-aulne de Paris et quatre pouces de roy ; celles de haute laize, de deux tiers ; celles de basse laize, de mye-aulne ; et ne pourront être vendues que dans les marchés et places publiques.
5° En cas de contravention par les tisserans ou marchands, seront les toilles confisquées et eux condamnées en 133 livres d'amende moitié au roy, moitié aux hôpitaux des lieux ».
Il y a trente ans environ que des fabriques de fil retors s'ouvrirent à Guingamp, et vinrent offrir un nouveau débouché au travail patient des fileuses bretonnes. Ces fabriques, dont les produits étaient excellents, eurent un moment de grande prospérité. Les différentes causes qui mettent si profondément en souffrance notre industrie linière, pèsent de tout leur poids sur les fils retors. Espérons que des jours plus heureux renaîtront pour cette industrie, dont la décadence a réduit à la mendicité la population innombrable des tisserands et des fileuses.
Quoique l'on compte à Guingamp plusieurs tanneries, une fabrique de chapeaux vernis, une brasserie et quelques autres établissements moins importants, notre ville est loin d'être une cité manufacturière : Guingamp est le centre d'un pays agricole, c'est une ville agricole, si je puis ainsi dire, et, pour ma part, je l'en félicite de tout mon coeur.
Avant de parler de nos foires, de nos comices d'agriculture, de notre hippodrome surtout, je veux dire un mot de la poterie de Pabu, dont les faïences grossières se retrouvent dans les ménages à plus de dix lieues à la ronde. Les potiers de Pabu emploient pour fabriquer leurs vases, de formes constantes et peu variées, les procédés décrits par les plus anciens des livres bibliques. Il est cependant une famille qui laisse voir dans ses oeuvres les traces d'un certain perfectionnement : si vous en demandez la raison, l'on vous dira que les Etats de Bretagne envoyèrent jadis cinq élèves potiers à la faïencerie de Quimper ; que l'un d'eux revint avant le temps, chassé par la Révolution, et qu'il a appris à ses enfants, qui en ont fidèlement conservé la tradition, des procédés nouveaux et inconnus jusque-là à Pabu.
Il existait autrefois à Guingamp une singulière coutume, de laquelle les potiers devaient bien s'égaudir et qui leur profitait fort. Du mot Quasimodo, le peuple avait fait, Dieu sait comment, le mot français-breton Casse-podo ; en conséquence, à l'issue de vêpres, le dimanche après Pâques, les jeunes filles et les garçons s'en allaient dans chaque maison s'emparer, de gré ou de force, de toute la vaisselle de cuisine ; on formait cercle dans la rue, et l'on se jetait, de main en main, les cruches et les pots que l'on avait récoltés. Malheur au maladroit qui laissait choir le vase fragile ; ses compagnons le poursuivaient bruyamment, en lui lançant les débris, jusqu'à ce que las de la poursuite, et la paix faite, on revînt former un nouveau cercle et mettre en pièces un second chef-d'oeuvre de Pabu.
Cet usage grotesque est tombé en désuétude, et quelques enfants conservent seuls la tradition, en brisant, ce jour-là, deux ou trois cruches fêlées et hors de service [Note : Je trouve dans l'aveu du Poirier la mention d'un droit qui prouve que l'industrie dont nous parlons avait une certaine importance dans ce quartier : « Droit de terrage pour la potterie des pottiers, tant en la lande du Bezouet qu'ailleurs en l'étendue du fief ». — Les comptes du Poirier montrent qu'en 1498, Pierre de Rohan usa de son droit, et fit faire, à Guingamp ou dans les environs, les tuyaux des étuves qu'il construisait en ce moment, à son château de Quintin sans doute : « En vertu d'une aultre rescription dactée le 11ème jour de may, pour les despans de Jéhan Croys, imprimeur, quel fut par trois jours à Guingamp pour deviser à faire la poterie des estuffes de mondit seigneur, cousta à ce dit receveur tant pour les despans du dit imprimeur que de son cheval, 10 s. » (Archives du Poirier.) — Ce Jéhan Croys n'est autre que le célèbre maître en l'art d'impression, Jéhan Grés, qui, dès 1484, imprimait, avec Robin Foucquet, à Bréhant-Loudéac, ces incunables bretons tant recherchés des bibliomanes, et qui s'en alla, en 1491, seul cette fois, fonder une seconde imprimerie à Lautenac. On voit qu'il cumulait au besoin, si ce n'est par besoin, les fonctions d'ingénieur avec celles de typographe].
Tout le monde a lu, dans le dictionnaire d'Ogée, la description, plus ou moins fidèle, de la foire AnAvalou ; exacte ou non, cette page doit trouver place dans une histoire de Guingamp : — « Tous les ans, dit cet écrivain, il se tient à Guingamp une foire nommée en breton Navalo, ou Foire des Pommes. Dans les archives du château de Carnaba on trouve un titre, de l'an 1490, qui renvoie à une possession immémoriale tous les droits de cette foire. Par un aveu rendu à la seigneurie de Penthièvre, en date du 25 août 1705, il est dit que le seigneur de Carnaba est inféodé aux droits de cette foire, comme capitaine né et héréditaire des ville et château de Guingamp ; ce qui est confirmé par une sentence rendue pour la réformation du duché de Penthièvre, en date du 17 janvier 1715, fournie pour le marquis d'Acigné, alors seigneur de Carnaba. Il est dit dans ces titres, que le seigneur de Carnaba enverra faire l'ouverture de la foire au lieu de la Maison-Blanche, le 29 août de chaque année ; qu'il lui est dû quatre deniers pour chaque pochée de pommes ; que ce seigneur prend le même jour possession des portes de la ville par son procureur fiscal ou autre par lui nommé, et que les clefs lui doivent être portées et lui rester l'espace de dix-sept jours, pendant lequel temps il lève une coutume sur toutes les marchandises étalées dans la ville. Les traiteurs et aubergistes lui doivent aussi un pâté de la hauteur de deux pieds, sur une même largeur, fait de toutes les meilleures viandes et gibiers. Le 14 septembre, ce pâté est porté en cérémonie, et tambour battant, au château de Carnaba, par les aubergistes et traiteurs, et le hérault de la ville va reprendre, avec la même cérémonie, les clefs qu'il a portées le 29 août. L'usage qui s'est introduit de jeter des pommes à ceux qui vont faire l'ouverture de cette foire, tambour battant, à commencer à la Maison-Blanche, et ensuite à toutes les portes de la ville, vient, selon l'apparence, de quelques difficultés suscitées à l'occasion de la perception du droit de quatre deniers par pochée, qu'on aura refusé de payer ; les receveurs du droit auront fait quelques violences, et auront été assaillis à coups de pommes. Cette coutume règne encore, quoique l'impôt ne soit pas exigé. M. de Coatrieux, seigneur actuel du château de Carnaba, perçoit néanmoins les autres droits attribués à ses prédécesseurs. On prétend que la Maison-Blanche est plus ancienne que la ville, et que cette dernière tire son nom de cette maison, qui s'appelle en breton Guoi-en-Camp, mot qui signifie Chambre Blanche ».
Nous nous expliquerons plus tard sur la valeur de cette étymologie ; mais, pour le présent, il est nécessaire d'examiner avec quelque soin le dire d'Ogée, en ce qui touche les droits de Kernabat.
Je me sens très-mal convaincu de cette capitainerie héréditaire des ville et château de Guingamp, dont s'inféodait, en 1705, le seigneur de Kernabat. En fait, il est très-sûr que tous autres que les seigneurs de Kernabat furent capitaines de Guingamp, et je ne crois pas même qu'un seul seigneur de cette terre ait rempli cette charge, ce qui ne prouverait rien ; en droit, les capitaineries héréditaires ne furent connues qu'à la fin du XVIIème siècle, c'est-à-dire quand il n'y eut plus de châteaux à commander : « La garde d'un château, feudum guardiœ, n'étoit pas, dit Hévin, un fief propre et perpétuel ; » c'était une fonction qui s'accordait et se révoquait suivant les circonstances et les capacités, et l'illustre Cujas avait dit, avec tout plein de sens : « Custos propriè feudatarius non est, quia quodammodo in prœsens tantum constituitur, non ut perpetuo eo munere fungatur ». Or, à coup-sûr, si une exception avait été faite en faveur d'un fief, ce n'eût point été en faveur de la terre de Kernabat, composée de plusieurs pièces, relevant à la fois, et pour des infiniment petits, de Guingamp, de Saint-Michel et du Poirier, et qui avait si peu d'importance féodale, qu'au XVIIIème siècle, le Poirier lui contestait même le principe de fief, qui aurait appartenu seulement à Coat-Geffroy, où Kernabat ne voulait voir qu'un de ses membres.
Donc, très-certainement, si, d'ancienne date, le seigneur de Kernabat avait un droit quelconque sur une foire de Guingamp, ce n'était point à cause d'une capitainerie héréditaire, qui n'a jamais existé ; c'était, très-probablement, par ce que Rostrenen (en Plouisy), ou le Bois-Geffroy, ou Kernechfusic, les trois pièces de Kernabat, ou Kerogos, ou la Maison-Blanche, qui, dès le XVIème siècle, était aux Fleuriot [Note : Rien de plus confus que toutes ces prétentions : il y a aux archives des Côtes-d’Armor des fragments de correspondance où tous ces droits, que l'on fonde sur un aveu de 1583 sont assis, tantôt sur Coat-Geffroy, tantôt sur « la terre du Kerogos et la maison noble appelée la Maison-Blanche ». (Lettre de M. de Carnavallet, du 11 octobre 1699, à M. de Valincourt, agent du duc de Penthièvre. — Archives des Côtes-d’Armor)], aurait été, dans l'origine, le fief d'un des sergents féodés de Guingamp, et l'on en pourrait dire ce que Hévin écrivait dans son dur langage, de l'os moëllier, sur chaque boucher de Quimper, et des deux oeufs, sur chaque maison de la même ville, que prétendaient les seigneurs du Cludon et de Bienassix : « Ce qui rend cette suposition de devoirs visionnaire, est que le prétendu droit de lever des os moëliers et des oeufs sur les maisons qui ne sont pas mouvantes d'eux, ne peut estre un droit de fief, mais une rénovation des rapines que les sergens féodez, du nombre desquels sont les dits sieurs, s'étoient eforcez d'introduire, et que le duc Jean condemna et prohiba par sa constitution de 1420, répétée lors de la réformation de la Coutume, en 1539 » (Hévin, Questions Féodales, p. 18, p. 78 et 97).
Mais, si je ne me trompe, la vérité est, tout simplement que l'origine plus que modeste de Kernabat humiliait les d'Acigné, hauts et puissants seigneurs qui prétendaient, en tous leurs actes, être « juveigneurs des anciens rois et ducs de ce pays de Bretagne, » comme elle avait humilié, avant eux, les Fleuriot, qui y avaient succédé aux Henry, et avaient commencé à y grandir. Ils avaient, en un lieu pittoresque, un beau château, entouré de jardins grandioses et fort plaisant à habiter, mais, malheureusement, tout moderne ; on chercha des droits honorifiques, et on les choisit très-bizarres, les réputant d'autant plus distingués. Telle fut la coutume de la Foire aux pommes, dont on ne trouve nulle trace ailleurs, et qui consistait, après tout, à ne pas percevoir quatre deniers par pochée, à faire assommer un sien valet pour le plus grand plaisir de la canaille, et à recevoir des pâtissiers un pâté solennel, que l'on payait dix fois sa valeur.
Tout le monde pourtant ne fut pas aussi endurant que le réformateur du duché de Penthièvre, qui, en 1715, aurait laissé passer cette haute fantaisie, et, dans ce même temps, Charlotte Armande de Rohan, comtesse de Pons, dame du Poirier, faisait débouter par toutes les juridictions inférieures, et enfin par la Cour suprême, Jean d'Acigné de ses prétentions à tous droits honorifiques dans l'église de Plouisy, et notamment de son prétendu droit de se faire « présenter, le jour du grand Pardon, deuxième dimanche d'août, par le recteur en surplis, ou son curé, ou enfin les marguilliers, les uns en l'absence de autres, un mouton blanc, en nature de chef rente, attaché à la corde de la grosse cloche, et ayant un denier percé pendu à l'oreille » [Note : Archives du Poirier. — Les d'Acigné avaient été plus heureux à la chapelle de Saint-Jean-Kergrist, et, par transaction du 16 mai 1636, ils n'avaient été obligés de céder au sieur de Bon-Repos que l'alternative du droit de se faire représenter par les fabriques de la chapelle, le jour du Pardon, 24 juin, « une paire de gants et douzaine d'esguillettes pour faire les luttes » (Archives de Kernabat.). Le Poirier était prééminencier à Saint-Jean-Kergrist].
Les d'Acigné s'étaient réellement assuré une redevance bizarre sur la Maison-Blanche ; mais cette redevance était purement domaniale, de création toute moderne et destinée manifestement à épauler la coutume de la Foire aux pommes. Je la trouve ainsi décrite dans une adjudication du 24 septembre 1675, qui porte que ladite maison doit « au seigneur de Carnavallet [Note : Carnavallet est un fief de la paroisse de Saint-Clet, qui était passé, par alliance, des Kernavannois, qui le possédaient de toute ancienneté, aux Fleuriot ; la branche des d'Acigné, dans laquelle se fondirent les Fleuriot, prenait volontiers, pour son aîné, le titre de marquis de Carnavallet] dix livres monnoye, et oultre au mesme seigneur ou à ses ordres, par chacun an, le soir précédant la feste de saint Pierre, ouverture de la foire dite An Avallou, mettre sur la table nappe blanche, pain, beurre, deux plattées de fruits et une bouteille de vin ; laisser la dite maison, la dite foire, libre au dit seigneur ou ordres pour y entrer touttefois et quantes qu'il le requerra ».
J'ai dit que cette redevance était purement domaniale : la preuve en est que la même maison devait à la seigneurie de Guingamp, dont elle relevait prochement, comme toute la ville close, une rente féodale, et certainement très–ancienne de « une livre de connins » [Note : Etait-ce une livre de peaux ou une livre de chair de lapins ? l'une et l'autre se trafiquaient, témoin Belle-lsle, dont Alain Bouchart a écrit : « En cette isle y a si grande multitude de connins, que par aucunes années l'on en enliève huit ou dix navires chargés ; ceux qui les enlièvent y laissent les peaulx et n'en emportent que la chair qu'ilz sellent, et en les vendant ung denier la pièce, l'abbé de Quemperlé en reçoit, ou ses gens pour luy, douze cents livres et plus pour une année »]. En outre, la Maison‑Blanche, qui est la plus vieille de toute la ville, et qui est celle qui confine au chevet de Notre-Dame, payait et paie encore à l'église une fondation de neuf livres par an, dont le titre est du 9 mai 1410.
En 1450 et 1451, Pierre II donna à Notre-Dame les droits et coutumes des deux foires du samedi après l'Assomption et de Sainte-Catherine [Note : L'acte de fondation de la foire Sainte-Catherine, en date du pénultième jour de may, l'an 1451, est aux archives de la fabrique ; on y lit : « Et soit ainsi que l'église parochiale de Notre-Dame de Guingamp estant en notre ville du dit lieu, qu'elle est de grand et très bel édifice et de laquelle (sommes) seigneurs et fondateurs, soit en indigence de réparations tant en siennes vitres que autres endroits d'icelle, laquelle réparacion ne pourroit bonnement estre faite sans l'aide de nous et de notre peuple, etc.. » (Archives de la Fabrique)].
Avant la Révolution, les différentes foires se tenaient aux abords des lieux où s'élevaient les monuments qui leur avaient donné l'origine. Ainsi, la foire connue sous le nom de Foire-Fleurie, couvrait tout le quartier de la Trinité [Note : Les droits étaient au prieur de la Trinité, qui payait 20 d. au Penthièvre] ; la foire de Mai, tout le quartier de Saint-Sauveur [Note : Les droits au prieur de Saint-Sauveur, qui payait 20 d. au Penthièvre] ; la foire de Saint-Jean s'étalait à Sainte-Croix ; la foire de Saint‑Michel, dans le faubourg de Saint-Michel [Note : Les droits à l'église de Saint-Michel, qui payait également 20 deniers à la seigneurie de Guingamp « pour reconnoissance de la féodalité et seigneurie directe » (Réformation du Duché de Penthièvre)] ; la foire de la Madeleine, à la Madeleine [Note : Les droits au chapelain de la Madeleine. Je n'ai pas vu de titre pour Sainte-Croix, mais il est clair que les droits de cette foire étaient à l'abbé].
Cette décentralisation était pour le moins logique.
La foire du Pardon date de 1799.
A toutes les foires, on faisait, dans les rues, une quête pour les pauvres ; ainsi l'esprit chrétien se mêlait à toutes les actions de la vie publique, moyen-âge, pour les sanctifier et les purifier.
Guingamp avait autrefois trois jours de marché chaque semaine : le mardi, le jeudi et le samedi ; le marché du samedi s'appelait le marché du roi. On ne vendait point de bestiaux à ces différents marchés, si ce n'est depuis l'Epiphanie jusqu'au Carnaval, le samedi seulement.
Depuis la Révolution, Guingamp n'a plus qu'un marché par semaine, et il s'y vend, d'un bout de l'année à l'autre, une grande quantité de bestiaux.
En 1832, l'administration municipale avait établi un droit de location des places aux foires et marchés. L'exercice de ce droit, qui produit à la ville un revenu de huit à dix mille francs, suspendu après un soulèvement des paysans, dans les premiers mois qui suivirent la Révolution de Février 1848, a été rétabli au commencement de l'Empire. Voilà les petits effets des grands événements.
Autrefois, la communauté de ville percevait un droit spécial, les jours de foire et marché, moins lucratif que le droit de location dont je viens de parler, puisque, au commencement du XVIème siècle, on ne l'affermait guère que 20 souls par an : je veux parler du minodage du sel, taxe de la vente au détail de cette denrée (Archives Municipales). Ce qui ne préjudiciait pas au droit du prieur de Saint-Sauveur de prendre « sur tout le sel qui se vendoit par débit tous les samedys au marché de Guingamp, la coustume ; scavoir, de la main sur les deux doigts de ceux qui le débitent et une escullée par charge de cheval » (Aveu du 6 novembre 1652 – Archives Départementales).
Les anciens titres nous font voir que, dans le pays de Guingamp, le système d'amodiation le plus généralement adopté était le bail à cens ; puis venait le bail à convenant, et, enfin, le bail à ferme. Aujourd'hui, il est presque superflu de le dire, l'ordre est absolument renversé : le bail à ferme et à prix d'argent est la règle, le bail à convenant l'exception ; le bail à cens n'existe presque plus.
Je n'ai trouvé aucun texte, expressément et incontestablement relatif au domaine congéable, plus vieux que le compte de Merien Chéro pour l'année 1467. Ce texte est surtout curieux en ce sens qu'il nous montre dès lors le foncier en possession des bois d'oeuvres anciens, sauf le droit du colon sur les broussailles et les émondes, qui ressort de plusieurs expressions :
« Item mist le dit procureur en procès et action Yvon Quiffet, par la Cour de la Prévosté de ceste ville de Guingamp, lequel est homme convenancier des dits habitans, en la demande que celuy procucureur faisoit contre luy qu'il avoit couppé douze chesnes anciens par pié dessus les terres du dit convenant. Lequel Quiffet fut confessant avoir couppé par pié, et convenu fut de plus qu'il devoit amande, répare et desdomaige à l'advis de Jéhan Le Calouar, Rolland Poences, Jéhan Le Faucheur et Rolland d'Estables et chacun, et cousta ce au dit procureur, tant en avocat, proceis, sergent et … 3 s. 4. d. — Refusé sauf son recours vers la partie, et luy est enjoint faire payer l'amande au dit Quiffet, et en rendre compte à son prochain compte » [Note : On voit, par le compte de Jéhan d'Estables, que Quiffet fut condamné à 70 sols].
Mais ce qui me paraît surtout important à remarquer sur ce sujet, c'est que la seigneurie de Guingamp avait en domaine congéable son usement spécial, qui se distinguait des autres usements connus jusqu'ici par la prohibition faite au colon d'aliéner ou d'hypothéquer les superfices sans la permission expresse du foncier, exigée dans des conditions toutes différentes de celles de l'usement de Rohan (Articles 28, 29, 31, 32), et toutes contraires aux dispositions de Cornouailles et de Tréguier. J'ai trouvé le texte de cet usement de Guingamp dans de nombreux actes, et notamment dans tous les aveux de Saint-Michel et du Vieux-Marché, depuis 1555 jusqu'au milieu du XVIIème siècle : « Aussi, il y a plusieurs convenants et domaines congéables à l'usement du terrouer de la court et jurisdiction de Guingamp, qui est de pouvoir congéer et contraindre les hommes et subjectz tenant terres à convenant et domaine congéable de vuyder ce qu'ils en tiennent, en leur paiant prix et méritte à esgard de priseurs des édifices et superfices de leurs convenants, et iceux convenants délaisser aux seigneurs desquels ils sont tenus et mouvants, lorsqu'il plaît aux dits seigneurs, et sans que iceux hommes tenans à convenant puissent diviser, aliéner ni transporter les dits convenants sans le consentement exprès de leur seigneur, ne pareillement y édifier plus grands édifices qu'il ne seroit requis pour la culture de leurs convenants » [Note : Cette formule est d'autant plus digne d'attention, qu'elle est très-certainement l'oeuvre de Raoul de Cléauroux, qui la fit insérer dans l'acte de vente des seigneuries de Saint-Michel et du Vieux-Marché ; et, faut en croire les trente-sept témoins d'une enquête édifiée en 1559, ce Raoul de Cléauroux, mort en 1558, était un des plus fameux juristes de ce temps-là : « Quel Missire Raoul de Cleauroux estoit docteur ès droits, sçavant et bien docte, et estoit seneschal de Lamballe, Montcontour, de Saint-Michel près Guingamp, du Vieux-Marché, Pontrieux, Quoitmalonan, Sulé, Kerpabu et de la Court des bourgeois, manans et habitats de la ville de Guingamp ; procureur fiscal pour le seigneur de Guingamp, en la jurisdiction du dict Guingamp ; outre, à cause de son sçavoir, estoit le plus souvent appellé pour arbitre entre les grands personnaiges du quartier et des eveschés de Treguer, Sainct-Brieuc, Cornouailles et Léon, lorsqu'ils avoient differant et proceilx » (Archives de La Rivière)].
Guingamp a un comice agricole, et en cela Guingamp ne se distingue pas des plus chétifs chefs-lieux de canton ; mais ce comice, uni aux autres comices de l'arrondissement, est hardiment entré dans la voie du perfectionnement de nos races, par l'introduction des races anglaises améliorées, et nous voulons consigner ici l'heureux résultat de ses efforts.
Depuis 1844, plusieurs taureaux de la race de Durham pure ont été successivement achetés, à la vacherie du Pin, pour le compte des comices réunis. Les premiers croisements de la race à courtes cornes avec notre petite race ont répondu à toutes les espérances. Les formes des animaux s'améliorent, sans que leur taille augmente considérablement, sans que le lait diminue chez les femelles, et la facilité d'engraissement est merveilleuse.
Il serait injuste de ne pas dire que l'honneur de cet essai, entrepris sur de si larges bases, revient, presque tout entier, à M. Auguste Desjars, qui, non content de servir l'agriculture par la publication de son excellente revue, le Cultivateur Breton, la sert encore et surtout par son zèle et son infatigable activité, verbo et opere.
Ce que les taureaux de pur-sang ont fait pour la race bovine, les magnifiques agneaux de la race de Southdown, que M. de Parcevaux élève avec tant de soins et de succès, le feront bientôt pour notre pauvre race ovine, qui en a si grand besoin. Dès l'année 1845, le comice central avait fait venir d'Alfort trois béliers de la race de Newkent, qui n'ont pas été sans produire quelque bien, quoique ces étalons n'aient pas été appréciés comme ils le méritaient.
La race porcine, encore plus que la race ovine peut-être, a été heureusement améliorée par l'introduction des races étrangères.
Il est donc permis d'espérer que, dans un avenir très-prochain, notre canton se placera au premier rang pour l'élève des animaux de boucherie, et que l'exportation pour les îles anglaises, qui se fait déjà sur une très-large échelle, prendra un nouvel élan et produira de plus grands et de plus sûrs bénéfices aux laborieux habitants de nos campagnes.
Un des traits caractéristiques que les Bas-Bretons ont conservé des Celtes, leurs ancêtres, c'est l'amour instinctif, inné, passionné pour le cheval ; aussi, parmi toutes les institutions agricoles, les institutions hippiques sont celles qui ont trouvé le plus de sympathies en Bretagne [Note : En l’année 1539, les bourgeois, auxquels M. le maréchal d'Estrées avait rendu quelques services, notamment en les préservant d'une garnison, qu'ils craignaient fort, résolurent de faire présent à ce seigneur d'une haquenée. Michau de Rocquancourt fut dépêché « au pourchâs » de la bête ; il s'en alla au quartier de Plestin, Lanmeur et « au-delà d'iceux paraiges », puis à Plounévez-Quintin, où il trouva ce qu'il cherchait : la jument coûta trente écus d'or sol, valant 56 l. 5 s., et on l'offrit au maréchal couverte d'une « coupverture de drap vert » qui avait coûté 16 s. 7 d. — A la même époque, un cheval de service valait 15 livres. (Archives Municipales)].
M. Ephrem Houël, un des officiers les plus distingués des Haras, et, de plus, un très-élégant et très-attachant écrivain, a publié, en 1842, un Traité complet de l'élève du cheval en Bretagne, où sont exposés les efforts successifs de nos ducs et de nos Etats provinciaux, pour l'augmentation et l'amélioration de nos bonnes et belles races. J'emprunte à M. Houël ce qu'il dit du Dépôt des Remontes de Guingamp : « La Dépôt des Remontes de Guingamp a été établi en 1829 ; la succursale de Morlaix le fut en 18… Ces deux établissements s'occupent principalement de l'achat des chevaux d'artillerie qui se trouvent en grand nombre parmi les races de trait du littoral du nord, depuis Brest jusqu'à Dol. Ils fournissent aussi des chevaux de cavalerie légère et quelques dragons : ceux-ci viennent spécialement de la montagne et du littoral du midi. Leur nombre pourrait être très–considérable, si, par des soins mieux entendus et une nourriture plus abondante, on parvenait à donner plus de taille aux chevaux de ces deux dernières divisions [Note : Certains éleveurs bretons du moyen-âge y mettaient encore beaucoup moins de soucis : j'ai sous les yeux un aveu, du 27 avril 1549, par lequel le seigneur de La Harmouët s'inféode, vers le sire de Quintin, du droit d'avoir, sans payer aucun devoir, « un harat de cent juments, » dans les forêts et bois de Crorat et de Quintin. (Archives de La Rivière.) — Je suppose que les petites haridelles de nos charbonniers, nourries à même pension, doivent donner une juste idée de la beauté des élèves du sire de La Harmouët]. Nous regardons ces deux établissements comme de première nécessité pour l'élève du cheval en Bretagne, et ils ont, entre autres avantages, celui spécial pour ce pays de fixer la valeur du cheval entre les mains de l'éleveur, qui souvent ne la connaît pas. Les achats des remontes sont annuellement de 400 à 450, nombre dans lequel les chevaux d'artillerie entrent pour les trois quarts environ. Les remontes de Guingamp sont classées parmi les meilleures de France pour leur spécialité. L'établissement de Guingamp est très-convenable, sa position est belle, et les constructions sont généralement bien entendues. Le terrain et les bâtiments qui y existaient ont été donnés par la ville, qui a encore contribué aux autres dépenses pour une somme de 40.000 francs environ ».
J'ai dit ailleurs que le Dépôt des Remontes occupait les anciens bâtiments des Ursulines, et que la jolie chapelle dédiée à saint Joseph était convertie en grenier à fourrages. L'établissement a pris des accroissements considérables ; de vastes et splendides écuries ont été très récemment construites. Pendant tout le temps que le Ministère de la Guerre a expérimenté le système des étalons militaires, Guingamp a possédé quatre ou cinq de ces étalons.
Après la suppression des étalons de la Guerre, Guingamp est redevenu le chef-lieu d'une station pour trois ou quatre étalons des Haras. Il ne me reste, pour achever le tableau des institutions fondées à Guingamp en faveur de l’agriculture, qu'à parler de l'hippodrome.
La Société des Courses de Guingamp s'est fondée en 1842. Aussitôt constituée, la Société s'occupa de l'objet le plus essentiel, la création d'un hippodrome. Après de nombreuses recherches, on s'arrêta à la métairie de Coat-ar-Lan, distante d'une lieue environ : une plaine, un terrain de landes, sans grande valeur, des abords faciles, tout était réuni. Les membres de la Commission se mirent à l'oeuvre avec un zèle et un courage que rien n'arrêta, et, au printemps de 1843, Guingamp put inaugurer le plus beau et le meilleur des hippodromes de Bretagne, excellent sous le rapport de la nature du sol, que les pluies les plus abondantes et les plus prolongées ne peuvent détériorer, qui offre aux pieds des chevaux un gazon frais et solide où l'on ne rencontre pas une pierre, et qui jouit du privilège, peut-être unique, de n'être grevé d'aucune servitude et de pouvoir être livré, en toute saison, tous les jours, à toute heure, aux courses d'entraînement et aux courses d'essai.
Donc, si un jour de courses, vous n'êtes pas condamné à suivre en voiture le nuage épais de poussière qui dérobe à tous les regards le chemin officiel de l'hippodrome ; si, maître de votre personne et de votre temps, vous pouvez choisir le sentier pittoresque et ombreux qui mène, à travers champs, jusqu'à Coat-ar-Lan, vous ferez route en compagnie de plusieurs milliers d'ouvriers et de paysans endimanchés, qui, eux aussi, se rendent à la fête, non pas comme à un spectacle plus ou moins insignifiant, mais comme à une cérémonie sérieuse et bien comprise. Ces étranges sportmen, soyez-en sûr, apprécieront le mérite des joûteurs avec un peu de passion peut-être, mais aussi avec plus de connaissances réelles et pratiques qu'une foule de juges cravachés et éperonnés que vous verrez parader sur le turf.
Nous sommes arrivés ; nous avons traversé le champ voisin, converti en bivouac, où l'on boit à même à des tonnes qui n'ont point été descendues de la charrette ; nous avons laissé, sur notre gauche, une sorte de place sur laquelle stationnent des centaines de véhicules de toute forme et de toute espèce ; du haut de la tribune, nous pouvons contempler ce tapis vert d'une demi-lieue de tour, où vont se jouer des parties dont les enjeux sont bien maigres en comparaison de ceux de New-Market ou d'Epsom, mais qui donneront au gagnant la même popularité, le même triomphe. Une fraîche ceinture de bois taillis entoure la piste, dont pas un buisson ne dérobe la vue, et dont les limites sont indiquées par les groupes compactes de spectateurs venus de toutes les paroisses environnantes, et faisant halte à l'embouchure du sentier qui les a conduits. Derrière l'estrade, dans une vaste enceinte réservée, les chevaux se promènent au pas. Voilà, enveloppées de feutre, du bout du naseau jusqu'aux ongles, et tenues en main par de petits grooms amaigris, une demi-douzaine de célébrités nantaises et angevines, encore toutes fières des couronnes brillamment gagnées aux dernières réunions de Paris et de Chantilly. On les nomme : Horace, Couëron, Demi-Fortune, Bonne-Chance, Casse-Cou, Grog, Croissant. Voici, sans couverture, sans camail, sans selle, j'allais dire sans bride, la foule des coursiers de la montagne ; oeil en feu, sabot d'acier, tête carrée, comme celle de leur maître ; quelque chose d'énergique et de sauvage, transmis, de génération en génération, depuis le palefroi arabe ramené par le chevalier croisé, et qui fut sans doute leur aïeul. S'il en est de célèbres, c'est parce qu'ils ont gagné un mouton ou une génisse aux noces et aux pardons de Cornouailles, c'est parce qu'ils ont été vainqueurs d'un prix de cent francs aux courses de Corlay ; et cependant, comme ce vigoureux petit cheval montre, au premier coup-d'oeil, la noblesse de son origine et ses inappréciables qualités ! Encore quelques années, encore un pas, et cette race, par des croisements intelligents, par des soins constants, acquerra de la taille et de l'ampleur ; et alors les Bas-Bretons de la montagne, ces éleveurs en haillons, pourront offrir à l'armée le type le plus parfait du cheval de guerre, ardent, sobre et infatigable. Si ce but est tout près d'être atteint, c'est évidemment aux courses qu'on le doit ; ce sont les courses, les courses seules, qui peuvent déterminer de simples cultivateurs à élever, et à conserver surtout, des animaux comme Bellone, Ebène, Alcibiadine et leurs rivaux. Au milieu des chevaux de demi-sang, vous distinguerez quelques têtes de pur-sang, amenés par des paysans en costume léonard : ce sont, entre tous, les deux frères de Saint-Thégonnec, Punch et Carhaix, qui comptent leurs journées de courses par des victoires ; vous les jugerez à l'oeuvre.
La cloche a sonné : c'est un prix réservé aux cultivateurs ; deux ou trois cents francs tout au plus. Quinze poulains se le disputent ; ils sont montés, à dos nu, par de jeunes garçons aux longs cheveux, espèces de Numides, dont une chemise et un pantalon de toile forment tout l'ajustement ; ils partent en peloton ; c'est un bruit semblable à celui des fléaux sur l'aire ; le groupe se maintient quelque temps compacte et pressé ; puis, peu à peu, un cheval prend la tête ; le peloton se dévide et s'allonge, jusqu'au moment où vainqueurs et vaincus passent comme un trait devant les tribunes, qui applaudissent, et devant la foule des spectateurs, qui poussent des hourra !
La cloche sonne encore : c'est un grand prix : chevaux anglais, jockeys anglais en bottes à revers, culottes de daim, casaques de soie ; ils sont deux ou trois, au plus. Ils courent, ils ont couru ; les grooms épongent la sueur des coursiers, les enveloppent de couvertes et les ramènent aux box, tandis que la foule s'entretient encore de la course des Bretons, de leur nombre, de leur ardeur, de l'incertitude qui a, jusqu'au dernier bond, tenu tout le monde en suspens. Et cependant, ne croyez pas que ces cultivateurs soient jaloux des brillants étrangers qui viennent cueillir les plus riches couronnes ; mais ils se disent tout bas que le jour viendra où eux aussi amèneront sur le turf des chevaux d'un mérite égal ; et cela s'est déjà vu à Coat-ar-Lan même : Carhaix, aux courses de 1849, n'a–t–il pas battu Bonne–Chance ? Ah ! il fallait entendre ce cri ce bravo spontané, unanime ! Dans un clin-d'oeil, la piste fut envahie, malgré l'inflexibilité de la consigne : chacun voulait voir de près Carhaix et son jockey, vigoureux et adroit paysan du Léon. « L'Anglais a été battu, » criaient mille voix ; c'est une victoire nationale que l'on célébrait, tout comme s'il se fût agi du combat des Trente ou d'une expédition de Duguesclin [Note: C'est dans la montagne, à trois ou quatre lieues de Guingamp, que l'on commence seulement à élever des chevaux légers. Dans la banlieue de Guingamp, et dans les paroisses limitrophes, on ne fait que des chevaux de labour. Il paraît qu'autrefois on se servait de boeufs pour la charrue ; car j'ai vu des titres du commencement du XVIème siècle qui prouvent qu'à Saint-Agathon, notamment, on cultivait avec des boeufs. On ne trouve, dans tout le pays, ni ânes, ni mulets] (S. Ropartz).
Note : EXTRAIT DE L'AVEU RENDU AU DUC ET A LA DUCHESSE DE MERCŒUR LE 6 JUILLET 1583, PAR CHARLES FLEURIOT, SEIGNEUR DE KERNABAT. .... Le quel sieur de Kernabat ne comprend aussy en ceste tenue les aultres maisons et étaulx en la cohue de Guingamp, terres, rantes appartenantes au dict sieur de Kernabat en la dicte ville et faubourgs de Guingamp, pour le regard des quelz il se refferre à l'omaige que le député du corps politique de la dicte ville et faubourgs est tenu faire à mon dict seigneur pour touts ceux ayants terres en la dicte ville et faubourgs. A cause des quelles maisons et terres et de son manoir de Kernabat, tenu en arrière fieff de mon dict seigneur, le dict sieur de Kernabat a plusieurs privilleiges en la ville de Guingamp, des quelz encorres qu'il ne soict tenu par les exemptions et droictz de la dicte prevosté d'en faire déclaration et les rapporter en son aveu ; il entend néantmoins les déclarer et exprimer, et en ce faisant dict : — Avoir en la dicte ville une maison noble et exempte de touts tributz et succides (sic) appelée la Maison Blanche, sur laquelle et privilleiges cy apprès en depandantz, il est deub à nos dicts seigneurs Duc et Duchesse, en leur recepte de Guingamp, une livre de connins de cheff rante par une part et vingt deniers par aultre, payables au terme de la Sainte Croix ; et est le dict sieur de Kernabat fondé de tout temps, par droit patrimonial, d'avoir armes, escusons, aultels et enffeuz en l'église Nostre Dame du dict Guingamp, aux couvents des Jacobins et Cordelliers du dict lieu, églises de Sainct Sauveur, Saincte Croix, la Trinitté ; et de pocession immemorable est fondé à chacune feste de la saincte Croix, prandre et lever du sénéchal des merziers qui vandront marchandises aux halles et cohue du dict Guingamp, une paire de gants de cheffrotin payable par le dict sénéchal en l'allée [Note : La halle ou cohue était divisée en divers quartiers, selon les corps de marchands, par des rues ou allées] des marchands merziers, sur une verge blanche. En oultre particullièrement chacun des dictz merciers quy auront desployé le dict jour est tenu payer une botte de fil noir et une esguille. Item, chacun patissier et rotissier demeurants en la dicte ville doict à chacun dict terme de Saincte Croix, au dict sieur de Kernabat, un pasté de bonnes viandes quy sera grand d'une coudée en rond. Plus le dict sieur de Kernabat a les droicts et privilleiges de la foire de Saincte Croix, en la dicte ville de Guingamp, avec debvoir de coustume sur plusieurs marchandises, comme cire, sel, fruictz et aultres marchandises ; en oultre peult et doibt prendre de coustume quattre deniers monnaye sur chacune pochée de pommes qui se vandent en la dicte ville durant trois sepmaines prochaines, depuis la feste Monsieur sainct Fiacre, au mois d'Aoust, jusques au dict jour et feste de la saincte Croix, durant le quel temps de trois sepmaines et la nuict de la dicte foire, doibt le dict sieur de Kernabat avoir les cleffs des portes de la dicte ville de Guingamp, comme estant garde et capitaine né et héréditaire d'icelle ville, durant les dicts jours. Le tout des dicts privilleiges et droictz tenus en la dicte prevosté et aux exemptions et libertés d'icelle ( Pris sur une copie du 19 janvier 1673, notifiée dans une procédure du Poirier, aux archives du Poirier).
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