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L'ILE-AUX-MOINES
SON HISTOIRE, SES COUTUMES, SES MONUMENTS.
Une ancienne tradition de l'île voulait que, jadis, l'Ile-aux-Moines et l'Ile-d'Arz aient été reliées par une chaussée : cette chaussée aurait disparu dans les conditions suivantes, rapportées par Anatole Le Bras [Note : Anatole Le Braz. Navigations Morbihannaises].
En Arz, vivait un jeune homme de haute lignée ; il s'éprit d'une jeune fille issue d'une famille de pêcheurs ; les parents du jeune homme, opposée à une union aussi mal assortie, firent enfermer leur fils dans le couvent de l'Ile-aux-Moines.
Mais la jeune fille, sous prétexte d'aller chercher du goëmon ou des palourdes sur la grève, venait chanter sous les fenêtres de l'abbaye, éveillant la mélancolie et la fureur du jeune homme dans son amour contrarié, au grand scandale des autres moines.
Décidé à en finir, le Père Abbé invoqua les puissances destructrices du Golfe.
Le matin suivant, la jeune fille voulant se rendre à l'Ile-aux-Moines, comme chaque jour, fut arrêtée par les flots qui avaient, dans la nuit, rompu l'isthme. De désespoir, elle se jeta dans la mer et s'y noya. Mais « sa plainte d'amour, toutefois, ne s'éteignit pas avec elle... ».
Cette légende, pleine de poésie, s'inscrit bien dans la ligne des traditions bretonnes de caractère maritime, et peut être rapprochée de la légende de la ville d'Ys, où il est encore question de transgression marine, et, si l'on ne peut déterminer avec certitude l'emplacement de la ville d'Ys — pour la simple raison que les villes et villages submergés sont trop nombreux. — la géologie nous enseigne que le Morbihan, ébauché à l'ère tertiaire, fut submergé à l'ère quaternaire ; après diverses trangressions et régresions de l'océan, les îles furent isolées progressivement ; à l'époque des constructions mégalithiques, les flots étaient aux pieds du second cromlec'h d'Er Lannic (chronologiquement le premier, actuellement submergé) ; l'Ile-aux-Moines et l'Ile-d'Arz étaient reliées entre elles, et au rivage de Séné ; ce n'est que vers l'époque romaine que l'Ile-aux-Moines sera définitivement isolée.
Paysages de l'Ile-aux-Moines.
L'Ile-aux-Moines, la plus grande des îles du Morbihan avec l'Ile-d'Arz sa voisine, paraît encore plus longue, par sa forme ; étirée sur environ 6 kilomètres du nord au sud, elle n'a, par endroits, guère plus d'une centaine de mètres de large. Son allure générale affecte la forme d'une croix dont chaque extrémité possède un calvaire. Le chemin principal qui la dessert d'un bout à l'autre, est jalonné de deux autres calvaires.
Les chemins de l'Ile, par endroits très étroits, à l'occasion en escaliers, rarement rectilignes, escaladant les collines, souvent encaissés entre des murets de pierre et des haies, parfois ombragés d'arbres au travers desquels on aperçoit le Golfe, sont un de ses charmes que René Bazin a su traduire à merveille.
On trouve encore, à l'Ile-aux-Moines, les ruines de trois moulins à vent, dont un, le plus récent, aménagé, est maintenant habité ; les deux autres, entourés de ronces, n'ont plus de couverture, mais conservent une allure altière et vénérable.
Le principal attrait de l'Ile est sans conteste le nombre de ses bois, peu étendus, mais aux noms évocateurs et pleins de poésie : Bois d'Amour, Bois des Soupirs, Bois des Regrets... Malheureusement en dehors du Bois d'Amour et de celui de la Pointe du Trech, tous deux sites classés, ces bois risquent de disparaître, pour faire place à des constructions.
En dehors du bourg qui groupe la majorité des maisons accrochées aux flancs de la butte, de nombreux petits hameaux s'échelonnent tout au long de la route qui parcourt l'île d'un bout à l'autre. A Pen Hap, les ruines d'un village jadis abandonné, envahies par la verdure, commencent à se redresser. Le chaume, couverture traditionnelle des maisons, fait de plus en plus place à l'ardoise.
L'Ile-aux-Moines, station touristique et balnéaire, compte de nombreuses plages de sable sur toutes ses côtes, plages dont la sécurité et la tranquillité ont favorisé le développement touristique. Le port, jadis essentiellement port de pêche, est maintenant, en pleine saison, uniquement plaisancier.
De tous temps, l'île fut un lieu de villégiature fort apprécié des artistes et écrivains ; le compositeur Louis Aubert avait une propriété à la pointe du Trech : et, actuellement, nombreux sont les écrivains, peintres et artistes qui y séjournent.
Izenah - Son histoire.
L'Ile-aux-Moines apparait dans une charte du XIème siècle du cartulaire de l'Abbaye de Redon, sous les deux appellations de Crialeis [Note : Crialeis, où un journaliste facétieux crut voir une allusion au souvenir d'une Alésia vénète, en interprétant ce nom par Krug al Liz !] et de Enes Manac (ce dernier nom, maintenant contracté en Izenah, est celui sous lequel l'île est le plus communément connue).
Les nombreux monuments mégalithiques et les débris romains attestent de l'occupation de l'Ile dans l'antiquité.
Le nom de l'Ile-aux-Moines, qui était déjà Enes Manac au IXème siècle, à l'époque où le roi breton Erispoë la donna par simple tradition de son gant à l'Abbaye de Redon entre les mains de S. Convoïon (vers 834), est un mystère non encore véritablement éclairci. On a cru retrouver des traces de monastère qui aurait été édifié par les Moines Rouges (les Templiers) sur la côte ouest de l’île ; mais ces découvertes ne sont guère probantes, d'autant que l'Ordre du Temple n'a été fondé qu'au XIIème siècle, en 1119.
En fait, l'origine du nom de l'Ile-aux-Moines et l'histoire de ses premiers siècles sont extrêmement brumeuses. Il est possible que le nom de Enes Manac soit une altération d'un nom ancien, antérieur aux Bretons qui n'apparaissent qu'au Vème siècle — ainsi pour Hoedic et Houat — et qu'il ne faille pas chercher la signification dans le breton.
Si l'on sait que l'Ile-aux-Moines fut donnée à l'Abbaye de Redon vers 854, on ne sait quand, comment, ni pourquoi elle cessa de fournir des fèves ou des haricots à l'Abbaye. Il est probable que Redon la perdit vers le Xème siècle, au moment de l'invasion des Normands.
Après les invasions normandes, l'Ile-aux-Moines fut rattachée à la paroisse d'Arradon dont elle possédait la chapelle la plus importante, dédiée à S. Michel, qui valut le nom de Locmiquel au bourg de l'île. Cette chapelle fut érigée en trêve en 1543, ayant ainsi ses propres registres de baptêmes, mariages, et ses sépultures.
En 1790, l'Ile-aux-Moines fut érigée en commune. Son curé, M. Oillic, refusa en 1791 le serment schismatique, mais comme l'Ile n'avait pas de biens ecclésiastiques, la Révolution n'eut rien à y vendre. C'est en 1802 qu'elle fut définitivement érigée en paroisse. Si les peuples heureux sont sans histoire, l'Ile-aux-Moines est l'Ile Heureuse par excellence. On ne trouve guère, en effet, de faits marquants au cours des siècles, qui aient donné un rôle de premier plan à cette île.
Tout au plus, au XVIIIème siècle, en 1759, lors de la Guerre de Sept Ans, le Duc d'Aiguillon ayant projeté une expédition sur les côtes de l'Écosse, avait-il concentré sa flotte dans le Golfe. Le port de Vannes et la rivière d'Auray étant insuffisants pour contenir une flotte qui devait compter 90 bâtiments, nombre de ces derniers durent mouiller à l'Ile-aux-Moines. Mais l’île ne participe qu'en qualité de spectateur à ces préparatifs, qui ne se soldèrent d'ailleurs que par la défaite connue sous le nom de Journée de M. de Conflans, aux Cardinaux [Note : Colonel Juge, Vannes en 1759 : l'expédition particulière du Duc d'Aiguillon, Bull. Societé Polymathique du Morbihan (S. P. M.), 1928].
Au moment où la chouannerie bat son plein, l’Ile-aux-Moines participe à la lutte, et un jeune Ilien, en 1795, est victime de la dramatique épopée de Quiberon, alors qu'un autre, Marc Rozo, est membre du Comité Révolutionnaire de Vannes.
En 1799, l’île est visitée par Duchemin, puis par les Anglais. En 1804, ce n'est plus l'île elle-même, mais des Iliens qui se trouvent mêlés à des épisodes de la chouannerie.
Un Martyr de Quiberon.
A Auray, la « Ville Sainte » de la chouannerie, au moment du débarquement des émigrés sur les plages de Carnac (27 juin 1795), la Garde Nationale est désorganisée, et une partie des troupes part pour Lorient et Hennebont, rejoindre les « patriotes ».
Le 28, les royalistes entrent à Auray où ils sont accueillis avec enthousiasme. La Légion Chouanne d'Auray se forme, comprenant une partie de la Garde Nationale dont le Commandant Glain. Cette légion se porte à Carnac, rejoindre les royalistes, et elle s'illustrera héroïquement à Plouharnel.
Le 21 juillet, Quiberon tombe aux mains de l'armée républicaine qui fait de nombreux prisonniers, dont Rémy Le Métayer, jeune homme de 20 ans, né à l'Ile-aux-Moines, pris sans armes, qui avait fait partie de la Garde Nationale d'Auray, et avait suivi son chef, le Commandant Glain, à Carnac, où il fut nommé Capitaine en second chez les chouans.
Rémy-Vincent-Marie Le Métayer de la Garde de Kerdaniel sera interrogé à Saint-Pierre-Quiberon, le 4 août 1795, par la Commission Dubois, et jugé le 5.
« Lorsque Rémy Le Métayer de la Garde fut appelé devant le tribunal, sa mère se présenta pour le défendre. Les juges la repoussèrent :
— Mais, citoyen, dit-elle, mon fils, jeune encore, sans expérience, ayant la timidité de son âge, ne pourra point vous répondre avec la précision nécessaire à sa défense.
On menaça de l'expulser de la salle si elle ne se taisait. Interrogé comment il se trouvait à Quiberon, le jeune homme qui du reste n'avait pas émigré, répondit qu'il avait été forcé de marcher avec la garde nationale, commandée par Glain.
Sa mère voulut de nouveau intervenir ; et comme on lui faisait de nouvelles menaces, elle s'écria :
— Citoyens, il faut que vous sachiez la vérité. C'est moi seule qui dois être réputée coupable à vos yeux, et non mon fils. C'est moi qui l'ai fait partir pour l'armée royale ; c'est à moi seule qu'il a obéi. Je lui ai ordonné d'aller combattre pour son Dieu et pour son roi. Voyez son âge, sa contenance soumise. Elevé dans l'obéissance de ses père et mère, il eut cru se rendre coupable en me désobéissant. Oui, encore une fois, c'est la mère seule et non le fils que vous devez juger. — Citoyenne, lui dit froidement Dubois, on voit bien que tu as la tête égarée ; tu crois devoir mentir pour sauver ton fils. Et il prononça la sentence de mort.
Alors la mère ne se contint plus :
— Vous êtes des monstres vomis par l'enfer, des bourreaux avides de sang. Eh bien ! pour rendre votre joie plus complète, jugez aussi la malheureuse mère qui est devant vous, qui abhorre votre atroce gouvernement et vos lois absurdes et sanguinaires. Puissiez-vous expier vos forfaits ! Je hais tout ce qui n'est pas royaliste, et je ne cesserai de faire des vœux pour la destruction des misérables qui ont renversé le gouvernement sous lequel nous vivions heureux...
En ai-je assez dit, ajouta-t-elle, pour vous obliger à me mettre en jugement et à me faire périr avec mon fils ? C'est une grâce que je sollicite. Prononcez.
Les juges se contentèrent de dire :
— Il faut lui pardonner sa folie.
Mme
Le Métayer ne quitta pas son fils. Elle releva son courage et le prépara à la
mort. Elle le suivait, pendant que les soldats le menaient au rivage pour être
fusillé, l’exhortant comme un confesseur. Au moment de l'exécution, elle cria :
— Adieu, mon fils, demande pardon à Dieu. Meurs pour lui et ton roi. Adieu ! crie : Vive le Roy ! Et le jeune homme tomba en criant : — Vive le Roy » [Note : Ch. Le Garrec, Les vrais martyrs de Quiberon, Vannes, 1935].
Duchemin et les Anglais [Note : E. Sageret, La nouvelle administration du Morbihan et ses trois premiers mois d'exercice, Bull. S. P. M. 1905].
L'an VIII (1799). L'ouest se soulève en octobre ; les Blancs, à la fin d'octobre tiennent presque tout le département du Morbihan à l'exception de quelques bourgs et villes (dont Vannes). Dans l'attente du Prince, ou tout au moins des armes et subsides qu'ils attendent d'outre-Manche, les royalistes se concentrent vers le littoral.
Le 26 novembre, Jean-Marie Trébur Oswald, dit Jacques Duchemin, chef de bataillon de l'armée royale, passe à l’Ile-aux-Moines avec une soixantaine d'hommes comptant y coucher.
Informé par l'administration centrale de Vannes, le général Horty y dépêche un lougre, « La Curieuse », faisant office de stationnaire dans le Morbihan ; son commandant, l'Enseigne de Vaisseau Pasquier, attaque la bande de Duchemin qui se trouve ainsi contrainte de passer dans la presqu'île de Rhuys, laissant un tué, un prisonnier, et ayant eu quatre blessés.
De ce moment, les débarquements d'armes, subsides et vêtements provenant d'Angleterre, se multiplient jusqu'au 18 janvier 1800, sur le littoral sud du département, malgré l'amnistie de décembre ; les républicains ne peuvent s'y opposer efficacement et les bâtiments anglais sont en permanence sur les côtes.
Les négociations pour la paix n'ayant pas abouti, les chouans étant par ailleurs armés et toujours maîtres du pays, l'administration centrale est impuissante. Cependant, Horty, à l'issue d'une sanglante bataille l'opposant à Georges Cadoudal, reprend la presqu'île de Rhuys à la fin janvier.
En février 1800, l'arrogance et l'oppression des républicains, les réquisitions, amendes et contributions, la misère générale, poussent les royalistes irréductibles à des violences et des vengeances. Le Touzé du Guernic, agent de l'Ile-d'Arz, qui informait les autorités des faits et gestes des chouans, est traité par eux en espion avéré et, sur l'ordre de Vincent Hervé, de Plougoumelen, dit Vincent, dit La Joie, est jeté à la mer, avec une pierre au cou.
A la suite de l'ultimatum de Brune du 13 février et de l'acte de soumission signé le 14 février par Georges Cadoudal et son lieutenant Mercier, dit La Vendée. les chouans livrent leurs armes (le moins possible et les moins utilisables), cependant que Mercier parcourt le Morbihan, maintenant l'organisation des chouans aussi intacte que possible. Malgré la « pacification », l'administration reste sur sa réserve et continue à chercher la retraite des chouans de l'Ile-d'Arz et de l'Ile-aux-Moines qui sont considérés comme les exécuteurs de Le Touzé du Guernic.
A la suite des entrevues infructueuses avec Bonaparte, Cadoudal retourne en Angleterre le 8 avril 1800 ; Mercier prépare une nouvelle insurrection et un nouveau débarquement.
Le 2 juin, une importante flotte anglaise paraît sur les côtes du Morbihan, et, dès le lendemain, la canonnade commence, qui se poursuivra jusqu'au 6. Le 3, Cadoudal a débarqué à Houat et a gagné le continent le 5, où il a retrouvé trois cents hommes chez Vincent, avec huit mille livres.
Les anglais, avec dix bâtiments, après avoir détruit les deux corvettes et le lougre mouillés à Port-Navalo, entrent dans le Golfe et débarquent dans les îles, en particulier à Arz et à l'Ile-aux-Moines où ils enlèvent du bétail (qu'ils payent), et cherchent en vain du blé dont ils manquaient fort. Le 6 au soir, les troupes anglaises rembarquent et reprennent la mer.
Par la suite, les incursions anglaises sur les côtes du Morbihan se font plus rares, les anglais se bornant à occuper Houat et Hœdic qui leur servaient d'intermédiaires pour l'approvisionnement en blé. On ne verra les anglais qu'en novembre, au moment où Cadoudal, préparant un attentat à Paris contre le Premier Consul [Note : Attentat grossi et arrangé par Fouché ; Cadoudal n'avait en effet projeté que l'enlèvement du Premier Consul, et non son exécution ; mais les services para-policiers de Fouché avaient intérêt à faire état d'un attentat contre la vie du Premier Consul], la chouannerie se réveillera quelque peu.
De Bar, sauve et perdu par des Iliens [Note : R. Le Grand, La petite histoire du Morbihan, Bull. S. P. M. 1932].
Après l'exécution de Georges Cadoudal, le 25 juin 1804, Jean-François Edme Le Peige Dorsenne, dit De Bar, commandant de la légion dite de Gourin, et Guillemot, dit le Roi de Bignan, cherchent à retourner en Angleterre, et veulent, pour ce faire, aller à Houat. Par l'intermédiaire de Louis Rio, son courrier habituel, Guillemot est mis en rapport avec Jean François Louet, de l'île-aux-Moines, capitaine d'une double chaloupe, « La Victoire » ; après quelques hésitations, Louet accepte le marché moyennant vingt louis comptés sur le champ.
Après quelques modifications à l'embarcation, Louet réunit son équipage : deux marins originaires de Grandchamp et le mousse, Joachim Le Liondre, de l'Ile-aux-Moines. Près de la « Victoire », Louet retrouve Guillemot, De Bar, Marc le Guénédal, beau-frère de De Bar, le fils de Guillemot, Le Thieis dit l'Abbé de Kérauffret, Joseph Cadoudal dit Joson, frère de Georges, et deux autres jeunes gens, ainsi que deux marins.
A 5 heures du matin, « la Victoire » appareille laissant sur la rive le Guénédal et l'Abbé de Kérauffret.
En raison du mauvais temps le voyage prend la journée. Ce n'est qu'en pleine nuit que Houat est touchée ; pour ne pas éveiller les soupçons des Houatais, les chouans ne descendent à terre que la nuit et regagnent le bord au petit matin. Mais aucune voile anglaise ne paraît.
Le 24 novembre 1804, un chasse-marée ayant un gendarme à bord, arrive à Houat, pour procéder à l'arrestation de trois marins déserteurs de cette île. Intrigué par les allées et venues sur « La Victoire », le gendarme fait accoster la chaloupe. Louet prétend arriver de Crach et avoir été contraint de relâcher parce que « son taillevant venait de lui manquer ». La curiosité du gendarme valut à ce dernier une volée de coups de bâtons octroyée par les passagers de Louet, celui-ci assez mal à l'aise, il faut en convenir. Les chouans laissèrent aller le gendarme en lui recommandant d'« aller faire ses affaires ! ».
Louet ayant prévenu le gendarme que ses passagers comptaient deux généraux chouans et un aide de camp de Cadoudal, c'est avec un grand soulagement que le commandant du chasse-marée et le gendarme qui avaient passé la nuit et la matinée dans l'inquiétude, cachés sur la côte craignant pour leur vie, virent appareiller « la Victoire » le lendemain vers quinze heures.
« La Victoire » fait route vers les Glénans, malgré le mauvais temps qui redouble au cours de la nuit ; le lendemain matin, les îles sont en vue ; Guillemot, malade pendant le voyage, donne l'ordre de débarquer dans la baie de Saint-Jean, près La Forest. Tous débarquent sauf un des jeunes passagers qu'on n'ose pas entraîner dans l'aventure. Puis « la Victoire » fait demi-tour.
Le 14 décembre 1804, Louet est arrêté près de l'île de Méaban. Le 15, Marc le Guénédal, arrêté à son tour, révèle le passage de Guillemot et autres à Auray ; il révèle également le rôle de Louis Rio ; ce dernier est arrêté dans la nuit du 15 au 16, et donne le signalement de De Bar ; le 16, Guillemot est également arrêté à Bréluhern, près de Plaudren.
De Bar réussit à s'échapper et s'enfuit dans les Côtes-du-Nord avec les chouans des environs de Pontivy. Sa situation est critique : il ne peut trouver d'embarquement, et la surveillance se fait plus active. Après avoir, en mars 1805. envisagé de se soumettre, il réussit enfin, après une tentative infructueuse à retourner en Angleterre avec l'Abbé de Kérauffret.
Fouché, préfet de police, avisé de ce départ, craint une nouvelle action préparée Outre-Manche, et fait renforcer la surveillance des côtes du Morbihan.
Mais ce n'est qu'en 1812, en août, que De Bar quitte l'Angleterre pour Jersey, puis Houat. Le recteur de Houat avise la police de son arrivée, et le 23 novembre 1812, le lougre « l'Alerte », commandé par l'enseigne de vaisseau auxiliaire Allanioux, natif de l'Ile-aux-Moines, arrive à Houat, et après une bataille rangée, De Bar est tué par Allanioux d'une balle, dans la tête.
Le 629 novembre, le préfet du Morbihan adressa ce laconique billet au préfet de police : « Monseigneur, le fameux De Bar et ses complices n'existent plus ».
Hommes et traditions de l'Ile-aux-Moines.
Une tradition toujours extrêmement vivante accorde une ascendance hispanique aux Iliens et surtout aux Iliennes. Cette tradition, appuyée sur les terminaisons en -o des noms de certaines familles de l'île, est en fait sans fondement historique, étant donné que la terminaison -o en Vannetais correspond à la terminaison -ou du Finistère (par exemple Rio pour Riou, etc.) et les Iliens et Iliennes sont bien bretons ! [Note : Y. Le Diberder, Les noms morbihannais en -o, Bull. S. P. M. 1951].
Par contre, une tradition qui ne risque guère d'être contestée, c'est l'habileté de ses marins dont la réputation n'est plus à faire. De tous temps, les Iliens furent des marins accomplis, et l'Ile-aux-Moines comptait jadis une importante flotte de goëlettes et de thoniers. Au XVIème siècle, les marins de l'Ile constituaient la majorité des équipages des bateaux négriers, armés et commandés par des nobles vannetais, qui faisaient un commerce alors très répandu et très rémunérateur [Note : Raut et Lallement, La traite des Nègres au XVIIème siècle, Bull. S. P. M. 1933].
Pour la presque totalité, les hommes de l'Ile-aux-Moines étaient pêcheurs, ou tout au moins marins, et la culture de la terre — des jardins s'entend — était dévolue aux femmes. Les marins, et surtout les pêcheurs, sont maintenant beaucoup moins nombreux, mais non moins habiles.
Au début du siècle dernier [Note : Bull, S. P. M. (Compte-rendu d'une excursion
en 1829)], la population était divisée en quatre classes distinctes et
fermées :
— les paysans, assez dédaignés, originaires du continent ;
— les
matelots ;
— les maîtres ou capitaines au cabotages ;
— l'aristocratie des
capitaines au long cours, gros propriétaires ; ceux-ci peu nombreux, et les
seuls vraiment instruits. Actuellement, les classes ne sont plus si marquées, ni
si fermées.
Le costume de l'Ile-aux-Moines est semblable à celui de la presqu'île de Rhuys (dont la population a probablement des liens très étroits avec celle d'Izenah), mais plus moderne et plus gracieux ; la coiffe de fine mousseline est ronde, avec deux bandes séparées retombant sur les épaules.
L'usage permettait autrefois, aux jeunes filles voulant se marier, de demander en mariage les jeunes gens qu'elles désiraient épouser.
L'île a connu de nombreuses légendes, et, lorsque, en 1877, la Société Polymathique visitait les mégalithes, les Iliens s'attendaient à la découverte d'un cercueil en or dans lequel Jules César se serait fait inhumer, mais furent, bien entendu, déçus [Note : Mauricet, Les monuments de l'Ile-aux-Moines, Bull. S. P. M. 1877].
Si l'accès de l'île se pratique aujourd'hui par Port-Blanc, il n'en a pas toujours été ainsi ; en effet, au début du siècle, le passage se faisait encore par Arradon, à la voile [Note : Le passage se faisait entre la pointe d'Arradon et la pointe du Trech (signifiant « passage » en breton)], et plus loin dans le temps, par la Pointe de Saint-Nicolas au Sud.
La principale fête de l'Ile-aux- Moines est maintenant la saint Michel, le 29 septembre, en l'honneur du patron de l'île, fête à l'occasion de laquelle on partage le fard traditionnel. J. J. Mauricet rapportait en 1877, que, si, à la Saint-Michel, un marin était absent, la première tranche du fard lui était réservée, et on l'enveloppait d'une fine toile ; on la plaçait ensuite dans l'armoire, et, si l'ouragan se déchaînait, ce qui n'est pas rare à cette époque de l'année, on ouvrait l'armoire avec crainte, on soulevait la toile après s'être signé, et on espérait ou tremblait, suivant que le fard était plus ou moins bien conservé.
Autre manifestation à signaler : les régates du mois d'août, qui rassemblent de nombreuses voiles sous l'égide de la Société Nautique de l'Ile-aux-Moines. La journée se termine par un feu d'artifice sur le port (le 14 juillet n'étant marqué que par un brasier).
L'Ile-aux-Moines et la mer.
La vocation touristique de l'Ile-aux-Moines, la « Perle du Golfe du Morbihan », est récente, et les Iliens étaient jadis tournés presque uniquement vers la tradition maritime. En 1670, 155 hommes dont 21 maîtres de barques sont inscrits au Rôle Général des Officiers Mariniers et Matelots du diocèse de Vannes.
Au début du XIXème siècle, le Chevalier de Fréminville indiquait que presque tous les hommes étaient marins, et qu'ils voyageaient soit dans les colonies, soit en Méditerranée ; soit sur les côtes de l'Océan ; que l'île, n'ayant pas de recette de douanes, aucun de ses nombreux bâtiments n'avait pu être francisé ; la flotte de l'île comptait alors 94 bâtiments dont 7 trois-mâts, 17 bricks, 3 goëlettes, 0 lougres et 56 chasse-marée, et les plus petits bateaux portaient au moins cent tonneaux. Voilà, il faut en convenir, une flotte plus qu'honorable pour un petit port tel que celui de l'Ile-aux-Moines ! Les capitaines de l’île avaient d'ailleurs convenu d'un guidon particulier appelé « pavillon d'Izenah », pour se reconnaître et se secourir à la mer.
D'autre part, l'île avait ses chantiers navals dans l'anse du Lériot [Note : Les chantiers devaient se tenir entre la cale principale actuelle et le Petit Pont, ainsi qu'en témoigne la matrice cadastrale de l’île établie en 1851], où étaient construits des navires dont les chantiers de Vannes et Conleau, trop étroits, ne pouvaient honorer les commandes [Note : Raut et Lallement, Vannes autrefois, Bull, S. P. M. 1932].
La pêche, objet autrefois des principales activités de l'île, tient aujourd'hui une place moins importante dans la vie des Iliens. Par contre, l'ostréiculture, en raison des nombreuses vasières entourant l'île, principalement au nord et à l'est, est très florissante, et fait de l'Ile-aux-Moines un des principaux centres de l'élevage de l'huître plate armoricaine.
Actuellement, la flotte de l'Ile-aux-Moines est constituée en grande partie de voiliers de plaisance dont les voiles multicolores ont remplacé les voilures imposantes des grands voiliers de l'âge d'or.
Les monuments mégalithiques.
Les mégalithes de l'Ile-aux-Moines [Note : R. S. Minot, Les monuments mégalithiques de l'Ile-aux-Moines, 1964], dont quelques uns ont disparu, étaient autrefois très nombreux, et ils ont, surtout durant le XIXème siècle, attiré de nombreux visiteurs et archéologues.
Les principaux monuments sont les suivants :
— le cromlec'h de Kergonan, servant de clôture, de 90 mètres d'ouverture et 80 mètres de profondeur, constitué de 36 pierres dont 24 restent debout, érigées sensiblement en carré aux angles très largement arrondis.
— le dolmen de Pen-Hap [Note : Appelé à tort dolmen de Pen-Hap ; il se trouve en fait au lieu dit Boglieux ; les tombelles de Pen-Hap ont disparu depuis plus d'un siècle], le plus beau de l'île, et le plus important par ses sculptures sur les supports. La table a 4,70 mètres de large, 3,80 mètres de long et 1 mètre d'épaisseur. Ce dolmen, qui servit d'habitation jusqu'en 1840 à une famille de pêcheurs déshérités et inclus dans un muret de séparation de deux champs ; un peu au sud-est, un beau menhir est couché sur le sol.
— le dolmen de Kerno, de moindre importance, est situé dans un chemin, à l'ouest de la route de Pen-Hap ; il est assez dégradé.
— les deux dolmens de Nioul, au sud de l'île, dolmens à galerie sous un même tumulus conservé en partie.
— les deux dolmens de Pen-Nioul, au sud des précédents, tous deux à galerie, dont un de plan en forme de P, bien conservés.
En dehors de ces monuments, l’île en recèle d'autres, de moindre importance :
— Roh-Vras : un dolmen a disparu, mais deux menhirs de 1,45 mètre sont encore debout, non loin de deux énormes dalles.
— Brouel : trois pierres debout au milieu d'un champ, restes d'un ancien dolmen.
— La Vigie : dolmen disparu dont il ne subsiste qu'une pierre debout.
— Men-Colas : menhir couché depuis très longtemps, sur lequel a été édifiée une habitation, non loin du cromlec'h de Kergonan.
Il convient enfin de signaler le dolmen de Kergrahiec, encore visible vers 1927, mais aujourd'hui introuvable.
Tous ces monuments, fouillés à différentes époques, ont livré divers objets (silex, poteries, ossements même).
Saint Michel et Notre-Dame de l'Espérance.
L'église du bourg de l'Ile-aux-Moines, sous le vocable de saint Michel, est de construction récente. Il ne subsiste aucune trace de l'église tréviale qu'elle a remplacée. La tour carrée, sans flèche, de son clocher est de 1836, et les bas-côtés n'ont été ornés qu'en 1872 [Note : Gustave Duhem, Les églises de France : Morbihan, Paris, 1932].
Mais l'église renferme une relique très importante : un buste en bois peint de saint Vincent Ferrier [Note : Né à Valence (Espagne), en 1346 ; il refit l'unité de l'Eglise au Concile de Perpignan le 7 novembre 1415 ; il arriva à Vannes le 6 mars 1418 et visita îles du Golfe ; il mourut à Vannes le 5 avril 1419, et ses reliques sont conservées à la cathédrale de Vannes ; il fut canonisé en 1455, sous le pape Callixte III].
Cette statue, peinte en 1455 par un artiste ayant probablement connu le Saint — à en juger par son réalisme — était à l'origine dans la crypte du tombeau de saint Vincent Ferrier à Vannes. En 1770, le chœur de la cathédrale de Vannes fut refait, et en 1775, lors du déplacement du tombeau du Saint, la statue fut trouvée trop vétuste et accordée à Madame Touzé de Grand-Isle, épouse du capitaine d'infanterie Le Gris, « en reconnaissance de son zèle et piété depuis bien des années à orner les chef, buste, châsse et reliques, chapelle et ancien tombeau de saint Vincent Ferrier, apôtre de Bretagne ».
En 1780, cette statue fut donnée à l'église Saint-Michel de l'Ile-aux-Moines, dont le registre du général mentionne : « Monsieur Barnabé Anne Legris, ancien capitaine d'infanterie, et Madame Legris son épouse, étant en leur terre de Kergantelec, déclarent ne pouvoir mieux témoigner à leurs citoyens de cette île, leur amitié et bonne volonté qu'en leur confiant et donnant ce dépôt sacré, pour leur procurer, tant dans leur église que dans leurs maisons et dans leurs voyages périlleux sur mer, la protection de ce grand Saint ».
La statue fut déposée le deuxième dimanche d'octobre 1780 dans l'église Saint-Michel, « aux sons répétés et carillons de toutes les cloches, tant la veille que le jour, pour célébrer cet heureux évènement ».
Une fête devait avoir lieu chaque année, en mémoire de la translation de la statue, mais la Révolution fit oublier cette fête.
L'église ayant subi des transformations, la statue vermoulue fut remplacée par un moulage en plâtre fin et reléguée dans le grenier du presbytère.
En septembre 1883, M. R. Galles et le R. P. Farges [Note : Dominicain, auteur d'une biographie de S. Vincent Ferrier, que ses recherches sur la vie du Saint amenèrent à l'Ile-aux-Moines] firent sortir la statue de l'oubli ; elle fut placée dans un salon réservé du presbytère, et plus tard reprit sa place dans l'église où elle se trouve encore actuellement.
En dehors de l'église Saint-Michel, l'Ile-aux-Moines compte deux autres chapelles : la chapelle de la Congrégation dédiée à Notre-Dame d'Espérance, sur la route du Trech, de construction récente, ne présentant rien de particulier, et la chapelle dépendant du manoir du Guéric [Note : L'abbé Luco, dans son étude sur la paroisse d'Arradon, indique cette chapelle sous le vocable de Saint-Joseph (Bull. S. P. M. 1875)].
Ce dernier a été fondé vers 1689 par une famille irlandaise émigrée en France à la suite de Jacques II [Note : Jacques II, roi d'Angleterre, allié de Louis XIV, émigra en France avec de nombreux catholiques, à la suite du débarquement en novembre 1688 de Guillaume d'Orange appelé par le Parlement. Il mourut au château de Saint-Germain-en-Laye, le 7 mai 1718] ; les fondateurs avaient apporté avec eux deux statues de la Vierge dont l'une est encore dans la chapelle du Guéric ; l'autre a été transportée à Hennebont. La chapellenie de la Sainte Famille, fondée par Henri d'Aviers (ou Daviers) et Julienne Le Moyec, sieur et dame du Guéric, y fut desservie jusqu'à la Révolution.
(Serge Minot).
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