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LE SEIGNEUR DE KERGOMAR |
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De la prééminence du Seigneur de Kergomar
Les forces
militaires dont disposait le seigneur de Kergomar,
à lépoque de la Ligue, nétaient pas, comme celles des autres seigneurs, ses
compagnons darmes, restreintes par des limites territoriales de seigneurie. La
puissance de sa maison, née de la popularité des Kergomar dans le pays et des intimes et
anciennes intelligences de ceux-ci avec le Roi, navait guère de limites fixes et
bornées par des juridictions féodales. Aussi voyons-nous ce seigneur alimenter ses
troupes avec les éléments les plus divers et parfois un peu bizarres. Toutefois, de
toutes les recrues qui arrivaient de toutes parts pour fortifier les soldats quil
avait déjà sur pied la plus étrange mais aussi la plus puissante, ce fut celle que lui
envoya la confrérie des texiers (tisserands) de Brélévenez. Certes de prime abord
lon serait tenté de croire que tous les frères de cette confrérie durent, dès le
commencement de la Ligue, se croiser comme un seul homme, pour sauvegarder la foi de
Clovis sur le trône de France, mais il nen fut rien. Cette confrérie, qui dès
lors luttait de puissance et de richesse avec les hauts et puissants seigneurs du temps,
laissa aux Ligueurs le soin de défendre son ancienne foi et ses autels et épousa, sous
les ordres du seigneur de Kergomar, le parti du Roi. Labbé de la confrérie était
alors un sieur Ville-Chupin, qui, de texier, devint un vaillant capitaine. Le 28e jour doctobre 1597, cet artisan qui avait quitté la navette,
pour prendre lépée, trouva la mort au bourg de Ploumilliau, avec douze ou treize
de ses soldats. A nos yeux cette mort fut à la fois honorable et
malheureuse, honorable (NDLR : labjuration de Henri IV avait donné à la cause
de ce capitaine un caractère de légitimité quon pouvait lui contester auparavant)
parce quavec une poignée de piétons (150 hommes) ce brave texier ne craignait pas
den venir aux mains avec le brigand de La Fontenelle, qui avait avec lui 300
cavaliers ; malheureusement parce que sil avait encore vécu quelques mois il
aurait vu le rétablissement de la paix et en outre le Roi laurait fait gentilhomme.
Mais pour justifier cette puissance presque fabuleuse dune confrérie de tisserands,
entrons ici dans quelques détails.
La puissance militaire et lopulence de cette confrérie, qui donnèrent dans ces
temps de lombrage à plus dun seigneur breveté par le Roi, provenaient un peu
de sa riche industrie et surtout dun privilège plus riche encore qui lui avait
été octroyé par la bonne duchesse Anne. En vertu de ce privilège, la confrérie
prélevait un droit fixe sur toutes les toiles qui se vendaient à Lannion, pour le
produit en être affecté aux besoins divers de la corporation. Entre autres vestiges de
cette faveur fiscale de la duchesse, nous avons encore la magnifique chapelle de la
Trinité, en léglise de Brélévenez. Certes, les chapelles du Cruguil, de la
VilleNeuve et du Launay, sont modestes, pauvres, et un peu même au-dessous de leurs
sceaux et intersignes de noblesse quand on les compare à cette chapelle dont les
fondateurs avaient pour armes la navette (NDLR : lon peut encore voir
aujourdhui ces armes sur lautel de la Trinité, qui se trouve dans cette
chapelle).
Mais de peur quon ne nous accuse de prôner ici à lexcès le seigneur de
Kergomar et ses texiers et de faire par contre coup une sourde chasse contre dautres
seigneurs contemporains, hâtons-nous dapporter encore ici avec nous nos preuves.
Nous copions textuellement : " Confrairie des texiers (tisserands) par
commission octroyée par la duchesse Anne avoit été fondé en la dicte esglise de
Brélévenez la confrairie de la sainte Trinité et a icelle octroyé le droict de police
sur toutes les toilles qui se vandaient dans la ville de Lannion pour estre les dites
amandes qui proviendroient de la tarre des toilles converties et tournées au profilt de
la dicte confrairie dans lesquels privilaiges elle a été maintenue par les roys
successeurs de la dicte dame Reyne mais comme les paroyssiens du dict Brélévenez
auroient été portés dambition et de jalousye de voir un si beau privilagge dans
une confrairye si considérable (NDLR : la plupart de ces tisserands habitaient la
banlieue de Lannion. Crechtanet et le quartier de Crecquellien, en Brélévenez . Au
commencement du XVIIIe siècle, cette confrérie était encore florissante, car ce fut à
cette époque quelle dota léglise de Brélévenez du magnifique autel que
lon voit encore aujourdhui dans la chapelle de la Trinité. Le tableau du
rétable nous a paru dun mérite assez rare dans nos contrées et le reste de
lautel est aussi à coup sûr dune ornementation remarquable) entre les mains
des dicts texiers etc
et ailleurs. Le mardi vingt et
ouictième jour doctobre 1597 le sieur de la Fontenelle assisté denviron 300
cavaliers vinst de Douar-an-enez au bourg de Ploemiliau pour deffaire le capitaine dict
Ville Chupin (lequel lon disoit estre un texier) estant des troupes
du seigneur de Kergomar lequel Ville-Chupin estoit au dict bourg assisté denviron
cent cinquante hommes de pied qui y estoient venus pour contraindre les paroyssiens de
paier ce quils restoient debvoir pour les fortifications de Guingamp lequel
capitaine de toile avec douze ou treize de ses soldats furent tués et les aultres mis en
route et fuicte légère quils gagnèrent à grands pas, "ut canis et
nilo", comme un chien qui sort de leau ".
Mais ce qui démontre que le seigneur de Kergomar fut véritablement le héros des Royaux,
dans nos contrées, cest la confiance particulière que le Roi lui témoigna en lui
confiant en 1591 le commandement de Guingamp, après la prise de cette ville par le prince
de Dombes. Pour faire capituler cette place forte, il ne fallut rien moins quune
longue et désastreuse canonnade et toutes les forces concentrées du parti du Roi dans le
Léon, la Cornouaille et Tréguier. La plupart des capitaines Royaux qui commandaient des
troupes dans ces contrées avaient pris part à ce siège. Le prince les avait tous vus à
luvre, il ne put par conséquent balancer et comparer en connaissance de cause
les mérites et cest sans doute ce qui le détermina à donner sa préférence
destime au seigneur de Kergomar, en le nommant gouverneur de la ville. Au moins en
cette circonstance avouera-t-on avec nous, que la prééminence fut au seigneur
Lannionnais (NDLR : la charte qui nous a fourni ces détails ajoute que la ville de
Guingamp fut prise par composition avec le prince de Dombes au mois de juin en lan
1591 après plusieurs et terribles canonnades quelle endura auparavant sa randition
et pour obvier au ravasge et pillerie de la dicte ville les bourgeois et aultres habitants
et réfugiés discelle paièrent pour leur rançon quarante mille escus sçavoir les
bourgeois vingt et cinq et les resfugiés quinze mille chacun escu valant 60 sols tournois
montant ensemble à la somme de six vingt mille livres tournois).
Enfin, en 1597, les habitants de Lannion, mus sans doute par un sentiment de
reconnaissance et aussi par des sympathies dont nous avons déjà parlé, tout épuisés
quils fussent par les incendies, les pillages et le fisc exhorbitant de la crise
quils venaient de traverser, font encore dans leur détresse de riches présents au
seigneur de Kergomar.
Ils laissent dans loubli tous les autres seigneurs qui avaient avec lui défendu les
intérêts du Roi et de la ville et viennent offrir à leur généralissime de superbes
étoffes, sans doute pour remplacer celles que les Ligueurs avaient enlevées
lorsquils dévastèrent et incendièrent le manoir de Kergomar. Une délibération
de la communauté de ville énumère avec des détails assez curieux les dons que la ville
offrit, en cette circonstance, à son puissant protecteur et seigneur. Nous allons en
copier le passage intéressant : "Sire Guillaume Saliou, procureur
(maire) lan présant des habitants de ceste ville de Lannyon sur certaines
propositions à lui faites par partie des dicts habitants dabvoir resçu beaucoup de
faveurs et courtoisies de Monsieur de Kergomar sans que jamais ils se soient mis en
debvoir de recognoistre par aulcun présant ni aultrement. Toutefois auroient donné advis
au dict Saliou de sinformer de quelque domestique du dict seigneur ce quil auroit
pour agréable quon lui fit présant que le dict Saliou ayant découvert que Madame
de Kergomar auroit donné en charge à quelque sien domestique de faire venir de Rouan la
garniture de deux lits à sçavoir rideaux courtines et tappis avec le tappis de table
bien beaux et honestes il confera au dict partie diceulx habitants qui furent dabvis
de faire venir les dictes garnitures à leurs couts et dépens comme pour en faire don et
présant aux dicts seigneur et dame avec les garnitures mesme genre de demie douzaine de
taboureaux et quelques bel étoffes pour faire des habits aux deux petits fils des dicts
seigneur et dame pour nestre recognues ingrats de recognoitre en partie
lhonneur que iceulx habitants reçoipvent journellement de leur part et pour faire
mieulx cognoitre le désir que les dicts habitants ont de toujours se maintenir en leurs
bonnes grasces de fasçon que dès lors le dict Saliou au dict nom prie Nouel Guiomarch de
ceste ville qui avait entrepris faire le voyage de Rouan de lui apporter la garniture
complette dune chambre avec lestoffe pour faire des habits aux dicts petits enfants
et pour le rembourser du denier déboursé à lamplette au dict Rouan et oultre en
faveur de porter les risques daller et de retourner du dict pais vingt pour chacun
cent comme il est fait mention par lacte passé entre parties le 18e juillet 1597,
au moyen de quoi icelluy Guiomarch auroit apporté les dictes étoffes et garnitures avec
deux chapeaux blancs pour les deux petits qui ont été pareillement vues et visités par
les soussignants bourgeois. "
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