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LE MANOIR DE LEZARSCOET A KERLAZ

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Le manoir de Lezarscoët était situé entre la ferme de Lezarscoët et la forêt de Névet. La ferme actuelle de Lezarscoët occupe la place, des communs du manoir et s'appelle de son vrai nom « Toul-ar-Porz-Lezarscoët ».

On a beaucoup discuté sur l'étymologie du mot « Lezarscoët », sans grand succès. Je laisse de côté les explications fantaisistes, pour arriver à celles qui réunissent le plus de suffrages :

1°) D'après quelques-uns, Lezarscoët signifie « la cour ou le manoir du bois ». Lezar-C'hoët ou ar C'hoat.

2°) D'après d'autres, « la cour située sur la lisière du bois ». Il devrait donc s'orthographier : « Lez-harz-Coët ».

3°) D'après d'autres enfin « Lez-ar-Skoët », la cour de l'écu. Aurélien de Courson dit que le mot « Lez » indique toujours un fief avec juridiction, et il cite Lezandré, Lézineuc, Lezardrieux et Lezarscoët. Le seigneur de Lezarscoët avait donc droit de jutice (Aurélien de Courson, Hist., tome II, p. 214).

Le manoir de Lezarscoët a complètement disparu ; mais les murs de clôture sont encore en partie debout. Dans l'enclos se trouve une petite ferme, nommée « Koz-Maner » ou vieux manoir. Au milieu de l'enclos, avant la découverte des substructions, on remarquait une éminence de terrain que tous ceux du pays disaient être l'emplacement du manoir « Plas-ar-Maner », c'était le nom qu'on lui donnait. La charrue y passait tous les ans, et le fermier était loin de se douter qu'il labourait un sol sur lequel s'élevait autrefois un superbe manoir, le plus beau et le plus important de Kerlaz, après les deux châteaux féodaux dont nous, avons parlé. Une pierre un peu bizarre qui avait résisté à tous les assauts du fermier, et contre laquelle venait buter régulièrement le soc de la charrue, éveilla un jour l'attention du baron du Fretay. Ayant fait part au fermier de son intention de l'extraire, celui-ci lui répondit d'un air sceptique : « M. du Fretay, vous n'en viendrez jamais à bout, elle a des racines ! ». M. du Fretay, qui ne se laissait pas décourager pour si peu, se mit à l’œuvre, dégagea la pierre, et constata que ce n'était autre chose qu'une rampe d'escalier, conduisant non pas dans les souterrains de Névet comme le prétendait le trop crédule M. Pouchous, mais tout simplement dans les caves et les sous-sols du manoir de Lezarscoët. Quelques autres coups de pioche suffirent pour mettre tout l'escalier à nu. Cet escalier communiquait avec une vaste salle souterraine dont la voûte s'était écroulée. Mis en goût par cette découverte curieuse, le baron poursuivit son travail de déblayement et, au bout de quelques semaines, toutes les substructions du manoir étaient dégagées. Cette découverte fit sensation ; les journaux en parlèrent et les visiteurs affluèrent. Elle fait le plus grand honneur au baron Halna du Fretay. Sans lui, nous n'aurions pas sans doute connu les proportions exactes du manoir.

La longueur exacte de ces substructions est de 58 m. 40 sur 14 m de largeur. Le manoir était donc rectangulaire. Les deux pignons étaient orientés nord-sud. La façade principale regardait l'Ouest et la baie de Douarnenez. Aux deux bouts, on remarque cinq escaliers en pierre, plus ou moins bien conservés ; un au Nord, deux au Sud et deux à l'Est, conduisant dans les salles souterraines. Les portes de ces salles avaient triple fermeture ; on voit les traces de leurs verrous. La voûte en belles pierres de taille existe encore en partie. Elle est soutenue par une corniche à encorbellement et a son cintre à 3 m. 10 de hauteur. On ne voit que deux cheminées, mais elles sont monumentales. Sur les façades correspondantes aux salles souterraines, ou aux couloirs allant de l'une à l'autre, il existe un grand nombre de larges baies doubles où simples, très larges à l'intérieur et très rétrécies à l'extérieur. Au bout Nord, à neuf ou dix mètres de distance l'une de l'autre, se trouvent deux fosses carrées ou presque carrées, assez profondes, que le baron Halna du Fretay croit être des oubliettes. Au fond de ces fosses il a trouvé deux fourches à trois branches, terminées par une pointe de harpon, et incrustées par leurs manches au centre d'une grande pierre de taille, placée au fond.

Le Père Maunoir et le Père Grégoire de Rostrenen visitent le Manoir de Lezarscoët. — Leur opinion sur les pierres gravées du Manoir.

Le Père Julien Maunoir a donné deux missions à Kerlaz, l'une en 1658, l'autre en 1665. C'est, pendant la première de ces missions qu'il vint à Lézarscoët et qu'il examina de près les fameuses pierres gravées dont on a tant parlé. Il crut y découvrir les lettres d'un alphabet armoricain primitif. En 1702, le Père Grégoire de Rostrenen prêcha une autre mission à Kerlaz. Il alla aussi à Lezarscoët, fit un relevé de ces signes étranges, et les reproduisit dans son dictionnaire au mot « Alphabet ». Il y a vu comme le P. Maunoir un alphabet celtique ancien, remontant à une époque très reculée. Dom Le Pelletier, dans la Préface de son Dictionnaire, page XII, donne deux spécimens d'alphabets bretons d'après ces signes. Le baron Halna du Fretay, dans sa brochure « Le Château de Lezarscoët » défend avec ardeur l'opinion du P. Maunoir et de Grégoire de Rostrenen.

De nos jours l'opinion contraire a prévalu. D'après M. le chanoine Peyron, ces signes ne sont autre chose que des marques de tâcherons, destinées à faire connaître les pierres travaillées par chacun des ouvriers composant le chantier. Ces signes ne sont du reste pas particuliers au manoir de Lezarscoët, on voit des marques analogues, au château de Moëllien, en Plonévez-Porzay ; dans l'intérieur de la sacristie de Locronan ; sur quelques piliers de l'église de Beuzec-Cap-Sizun ; sur quelques pierres extérieures du transept nord de la cathédrale de Quimper, plus haut que le toit des bas-côtés, et sur le clocher de Plestin-les-Grèves, lequel date du XIIIème siècle. On en voit aussi en grand nombre sur les pierres du Pont-Saint-Esprit (Gard) (Chanoine Peyron, Kerlaz, p. 9).

Origines et antiquité du Manoir de Lezarscoët.

Parlant du manoir de Lezarscoët, le Bulletin de la Société d'archéologie, citant M. Pouchous, dit : Nous ne possédons aucun document ancien sur les origines, la formation, et les anciens possesseurs de ce fief. Ce qu'on en raconte a été transmis par la tradition. On assure qu'un roi armoricain y a tenu une cour plénière, qu'il y venait se reposer des fatigues de la guerre, et s'y livrer à la chasse (Bulletin de la Soc. d'arch., 5ème liv. 1894, p. 179).

On dit encore, ajoute le Bulletin, qu'on y a traité l'affaire de la métropole de Dol. Cette dernière affirmation est contredite par M. de la Borderie. L'affaire en question, d'après le savant historien, eut lieu, en l'année 848, au château de Coët-Loc'h, où l'assemblée fut convoquée par Nominoë. Il y avait là des prêtres et des laïques, des abbés, des évêques, des tierns, des comtes, tous principaux personnages de Bretagne. Les prélats simoniaques furent cités, amenés devant eux. Quand ils parurent, toute l'assemblée éclata d'indignation et de tous côtés partirent les cris : « Vous n'êtes plus dignes d'être évêques, avouez vos fautes et démettez-vous! ». Effrayés par cette explosion de colère et couverts de honte, les malheureux avouèrent tout, déposèrent leurs anneaux et leurs crosses, et s'en allèrent chercher asile auprès de Charles–le-Chauve (Arthur de la Borderie, Histoire de Bretagne, tome II, p 55).

Le baron Halna du Fretay assigne au manoir de Lezarscoët une origine très ancienne. D'après lui, le monument remonterait à l'époque de transition entre la période romaine et la période féodale. Il tire cette conclusion de la forme rectangulaire du manoir, où l'on reconnaît partout le grand appareil romain des villas célèbres. Il trouve une autre preuve dans les verreries, les poteries, les lacrymatoires (Baron Halna du Fretay, Le Château de Lezarscoët, p. 3 et suiv.).

M. le chanoine Peyron ne voit dans le manoir de Lezarscoët qu'une construction du XIVème ou XVème siècle. Toutefois, il est possible et même probable qu'avant le manoir actuel il ait existé un ou deux autres sur le même emplacement, et que les matériaux du premier aient servi dans la construction du second : c'est ce qui expliquerait la présence des divers objets très anciens que le baron a découverts dans les ruines. De sorte qu'en définitive, M. du Fretay peut avoir raison en disant que le manoir de Lezarscoët est très ancien ; mais on ne peut pas tirer cette conclusion du style du manoir actuel, que accuse une époque beaucoup plus récente que celle qui lui est assignée par le baron.

M. du Fretay se basant sur une vague indication d'un palais dans les environs de Plonévez-Porzay, où habitait son saint patron, saint Méliau, roi breton, va jusqu'à dire que ce palais ne peut être que Lezarscoët, et que Révode, comte de Cornouaille, meurtrier de son frère Méliau et de son neveu Mélar, ne peut être que le roi Marc'h, de sinistre mémoire, dont nous parlons dans le paragraphe suivant. Rien de moins certain.

Légende du roi Marc'h.

Parmi les nombreux objets que le baron du Fretay a trouvés à Lezarscoët, il en est un qui mérite une mention particulière : c'est une tête en granit représentant un prince, avec une sorte de couronne et commencement de buste rappelant les satyres romains. Les deux oreilles ressemblent aux oreilles d'un cheval ou d'un âne, et la légende du pays dit que c'est la statue du roi Marc'h, nommé aussi « Ar roue Penmarc'h, ou diouskouarn marc'h ». Cette tête a été trouvée à quelques pas des ruines par des cultivateurs des environs. Elle est conservée aujourd'hui au musée du Vieux-Châtel. Voici d'après la tradition la légende de ce roi.

Le roi Marc'h se faisait raser tous les jours, et le barbier était pendu immédiatement après l'avoir rasé. Un. individu imagina un moyen pour faire cesser ces cruautés. Il disposa une anche de hautbois de telle façon que toutes les fois qu'on s'en servait, on entendait toujours très distinctement ces mots : « Ar roue Marc'h en deuz diouskouarn marc'h ». Le roi en effet, avait des oreilles de cheval ; et s'il faisait pendre ses barbiers, c'était pour éviter que leur indiscrétion publiât l'aventure. Or il vint à entendre le hautbois. Aussitôt d'arrêter le sonneur ! Mais comme cet homme ignorait absolument ce qu'on avait fait à l'anche de son instrument, il s'écria hardiment qu'il ne pouvait pas rendre d'autres sons. Le roi fit alors surseoir à l'ordre déjà donné de le pendre, et prit lui-même le hautbois : du premier souffle, il en fit sortir ces mots : « Ar roue Marc'h en deuz diouskouarn marc'h ». Voyant son secret divulgué, le roi Marc'h fit grâce au musicien et dans la suite à tous les barbiers (M. de Mesmeur, Bull. de la Soc. d'arch., tome XXI, 5ème liv.).

D'après la légende, le roi Marc'h aurait habité le manoir de Lezarscoët, ou même aurait régné sur la ville d'Is. Elle ajoute qu'il a été condamné par le bon Dieu, en punition de ses crimes, à faire sa pénitence dans la forêt, et qu'on l'y voit rôder de temps en temps. Son séjour habituel est la vieille carrière remplie d'eau qui avoisine les ruines du manoir. Par les nuits de tempête il mêle ses gémissements aux hurlements des loups. On le rencontre un peu partout, à côté des ruines de Saint-Even-des-Bois, et jusque près de Lezargant ; mais on le voit surtout auprès de la vieille carrière, que les habitants du pays appellent « An toul doun ». Il porte toujours ses oreilles hideuses d'autrefois, et dès qu'il se sent surveillé par quelque passant, il se jette dans l'eau dormante de la carrière. Un temps fut où l'on ne s'aventurait jamais seul pendant la nuit auprès de cette carrière, dans la crainte de rencontrer le roi Marc'h.

Chapelle de Saint-Even-des-Bois et la fontaine miraculeuse.

A l'orée de la forêt de Névet, à environ un kilomètre de Lezarscoët, en bordure du chemin sous bois qui descend vers le Juch, se trouvait autrefois une ancienne chapelle, dédiée à saint Even, et appelée par les habitants du pays « la chapelle de Saint-Even-des-Bois ». Cette chapelle existait encore en partie, au commencement du siècle dernier. D'après la tradition locale, elle aurait été détruite et brûlée pendant la Révolution. Il n'en resta que les quatre murs et le clocher, qui ne tardèrent pas à s'écrouler. Les pierres provenant de ces ruines ont été utilisées pour diverses constructions. La maison de Gourbic en Plonévez-Porzay, une maison située en face du clocher au bourg de Kerlaz, et les murs de clôture de la chapelle de Notre-Dame de la Clarté, ont été entièrement construits de ces pierres. Comme on signala dans les maisons en question plusieurs décès se succédant à bref intervalle, on en attribua la cause à l'affectation profane des pierres de la chapelle. Aujourd'hui il ne reste plus que les traces des fondations et quelques rares meneaux de fenêtres couverts de mousse. La douve qui marque les fondations nous permet de nous rendre compte, d'une manière exacte, de la longueur et de la largeur de l'édifice ; il mesurait, 14 mètres de longueur sur 7 de largeur. La tradition locale a conservé le souvenir du pardon de Sant-Even-des-bois. On y venait de très .loin demander la guérison de la migraine, et après avoir prié devant la statue vénérée, on allait se laver le front dans l'eau de la fontaine. La procession aux miracles était particulièrement belle et grandiose. Elle défilait entre deux rangées de chênes séculaires, jusqu'à l'intersection de la route. de Lézarscoët et de Toulfeunteun où il y avait, dit-on, un calvaire, cependant que les échos des chants liturgiques se répercutaient dans les profondeurs de la forêt. Le pardon de Saint-Even , se célébrait le troisième dimanche, de septembre. Depuis que la chapelle n'existe plus, il a été transféré à Kerlaz où on le célèbre à sa date traditionnelle. Le R. P. Le Floch a voulu perpétuer le souvenir de la chapelle et pardon. Dans un des médaillons du vitrail de saint Even, on voit la procession sortir de la chapelle avec ses croix et bannières.

Dans les papiers trouvés par M. Pouchous chez Marie-Anne Avon, il est question d'un Jérôme Le Coz de Quillien, qui était curateur de la chapelle de saint Even en 1518.

A quelques centaines de mètres de la chapelle, au milieu d'une prairie dépendant du village de Penavur, se trouve la fontaine de saint Even, dont l'eau passe pour être miraculeuse. Cette fontaine est antérieure de quelques années à la fontaine de saint Germain, dont nous avons parlé plus haut. La pierre de couronnement porte une date incomplète. Le dernier chiffre a été rongé par le temps ; maison peut lire 161... Donc cette fontaine a été construite entre 1610 et 1620. Une autre pierre porte un écusson avec des armoiries également rongées par le temps. Sur la corniche de l'un des murs disposés en accoudoir, on lit : « Noël Joncour ». A l'intérieur on voit une niche vide. La statue qui l'occupait se trouve à Kerlaz ; c'est, dit-on, la petite statue qu'on expose à la Troménie. La grande statue qui se trouve dans le chœur, au-dessous de la porte de la nouvelle sacristie, provient, d'après M. Pouchous, de la chapelle de saint Even. Le saint est représenté un bourdon à la main.

Histoire de saint Even.

Voici l'histoire de saint Even d'après une ballade bretonne, connue sous le nom de « gwerz sant Even ». Even était, un gentil-homme de Quimper-Corentin. Il naquit dans le temps où la Bretagne était gouvernée par des rois. Son père était bon chrétien, mais sa mère était païenne et dénaturée. Mécontente d'Even, parce qu'il était chrétien, la mégère exigea son départ de la maison paternelle. En le congédiant elle lui donna 30 écus et lui dit : « Partez et ne revenez plus jamais, vous n'avez plus ni père ni mère ! ». Even quitta la maison paternelle. Marchant au hasard, il arriva dans un grand bois, et non loin de là fut recueilli comme pâtre au château de Lezarscoët.

Le roi qui habitait là, fut frappé de ses manières aimables et de la noblesse de son caractère, autant que de sa vertu et de sa bonne conduite. De pâtre, Even devint bientôt l'homme de confiance du roi ; et peu de temps après, il épousait sa fille unique. Un fils naquit de cette union. Tout allait pour le mieux dans le ménage, quand la noire jalousie vint s'en mêler. Le roi avait un frère qui habitait sous le même toit que lui. Ce frère détestait Even et, le considérait comme un étranger et un parvenu. Un jour, il l'invita à l'accompagner à la chasse. S'étant arrêtés tous les deux sur les falaises de Lanévry pour contempler la mer, le frère du roi profita d'un moment d'inattention pour précipiter Even du haut de la falaise, pensant faire croire à un accident.

Mais Dieu veillait sur Even. La mer était haute, Even put à force de brasses rejoindre l'île Tristan à la nage. Il y resta quatre ans, suivant la vie érémitique, et ne voulant pas retourner dans une maison où il était en butte à tant de persécutions. Mais Dieu avait d'autres desseins sur lui. Un jour saint Corentin lui apparut, lui fit connaître la mort de son persécuteur, et lui dit de rejoindre au plus tôt son épouse, qui était inconsolable depuis sa disparition. Even obéit et revint à Lezarscoët où il mourut subitement.

M. Pouchous, dans la monographie de Plonévez-Porzay, raconte la même légende, mais avec moins d'ampleur et de détails. Il ne connaissait probablement pas la ballade bretonne que nous citons. L'original appartenait à une personne, de Douarnenez. La traduction fut faite par M. le chanoine Millour, à la prière de M. du Fretay.

 

Légende de Joseph-Corentin de Coatanezre, seigneur de Pratmaria, marié à l'héritière de Lezarscoët.

L'histoire de saint Even a servi de thème à une autre légende, racontée par le Père Maunoir dans sa Vie de Catherine Daniélou, et publiée, il y a quelques années, par M. le chanoine Peyron. C'est la légende du seigneur de Pratmaria.

« Près de la ville de Quimper, dit –il, il y avait un gentilhomme qui avait trois enfants mâles, mais il avait unie antipathie étrange contre l'aîné, appelé Joseph-Corentin de Coatanezre, sieur de Pratmaria, à Locmaria, ne cessant de le maltraiter. Sa mauvaise humeur le porta à un tel point qu'il se résolut de le chasser hors de sa maison. Dans ce dessein, il va trouver sa femme et lui dit : « Mon cœur, je ne saurais durer avec Joseph-Corentin, je suis en dessein de l'envoyer hors d'ici, afin que je ne le voie plus ». Elle y consent, et on lui donne 30 écus, avec ordre d'aller bien loin, de ne retourner plus au logis et de ne point dire de quelle famille il était. Ce jeune gentilhomme qui était fort pieux et qui avait fort bien étudié ses humanités et en philosophie, fut bien étonné de ce procédé si sévère ; il se rend à l'église de Saint-Corentin, se jette aux pieds de son image, disant, les larmes aux yeux : « Glorieux saint Corentin, vous voyez que mon père et ma mère m'ont jeté hors de leur maison, je vous prends pour père, servez-moi de conducteur ! ».

Ayant achevé cette prière, il tire vers Douarnenez, et étant à demi-lieue de la ville, il se tourna de rechef vers saint Corentin et lui, fit cette prière : « O mon cher père ! ne m'abandonnez pas, gardez-moi et m'accompagnez dans mon chemin ». Au bout de deux lieues et demie, il rencontra une croix ; d'un côté était peinte l'image de Jésus crucifié, de l'autre celle de la Vierge ; il se jette aux pieds de Jésus et lui dit : « Mon doux Jésus, mon père m'a jeté hors de la maison, servez-moi de père, et ayez pitié de votre pauvre fils ! ». Puis s'agenouillant de l'autre côté, il dit : « Vierge Marie, refuge des orphelins, ma mère m'a abandonné, je vous prends pour mère et me jette entre vos bras, mère de miséricorde ! ». Oh ! que cette confiance lui vaudra, d'avoir pris saint Corentin pour père et la Sainte Vierge pour mère !

Tournant son chemin à côté droit, il rencontra dans un village de la paroisse de Plogonnec une pauvre femme qui se lamentait et criait à pleine tête. Il lui demanda ce qu'elle a : « Hélas ! répondit-elle, il y a trois jours que mon mari est mort, je suis chargée d'une bande d'orphelins, je n'ai rien, je ne puis payer les frais d'inhumation, je suis réduite à l'enterrer dans mon jardin où je lui ai fait une fosse ». Le jeune homme ne put contenir ses larmes en voyant cette misère, il recommanda à la femme de mettre sa confiance en Dieu qui ne délaisse point ceux qui espèrent en lui, et lui donna ses 30 écus, ne se réservant que 20 sols. « Faites enterrer votre mari, ajouta-t-il, faites dire des messes pour lui et consacrez le reste au soulagement de vos enfants ». Oh ! qu'il fait beau assister les misérables en leur grande extrémité ! Ce jeune homme verra un jour combien une œuvre de miséricorde est agréable à Dieu.

Etant sorti de ce lieu, il s'en va sans savoir où : il entra dans un bois d'où il aperçoit une maison de noblesse. C'était le château de Lezarscoët. Il n'ose y aller de peur de faire déshonneur à son père, il se couche dans un fossé sans souper, priant Dieu et saint Corentin. Le matin, comme il se lève, il aperçoit une dame se promenant dans le jardin, qui lui dit : « Aimez-vous Dieu ? — Hélas ! madame, répondit-il, ce n'est pas le désir de mal faire qui m'a mené ici ; je suis un pauvre jeune homme que mon père et ma mère ont chassé de leur maison ; je n'ai pas osé aller en cette maison de noblesse de peur de faire déshonneur à mes parents. — Aimez-vous la Vierge ? — C'est ma mère. — Qui aimez-vous encore ? — Saint Corentin, que j'ai pris pour père et pour conducteur. — Cela va bien ».

Cette dame était la Sainte-Vierge, qui avait pris la forme de la tante du gentilhomme à qui appartenait la maison de noblesse, et comme cette dame parlait à ce jeune homme, survint un évêque ; c'était saint Corentin, qui avait pris la forme de Bertrand de Rosmadec, pour lors évêque de Cornouaille. La dame et le prélat s'étant entresalués, ce dernier s'enquiert de ce jeune homme, qui il était ? Celui-ci répondit qu'il était chassé de la maison de son père et de sa mère, et qu'il n'avait plus d'espérance qu'en Dieu, la Vierge et saint Corentin. L'évêque lui ayant recommandé de tenir bon à cette dévotion, lui demanda s'il ne pouvait pas servir dans cette maison de noblesse ? Il répondit qu'il était gentilhomme, qu'il craignait que si son père le savait, il s'en fâchat. Le prélat lui demanda : « Savez- vous écrire ? — Oui » répondit-il. Alors la dame et l'évêque, accompagnés du jeune homme, entrèrent dans la maison. Le gentilhomme propriétaire du château fut fort ravi de la visite de l'évêque et de sa tante, qui avait demeuré quelque temps à Paris. Mais il ne savait pas le bonheur qu'il possédait. Après s'être complimentés, ils dirent au gentilhomme qu'ils lui menaient un honnête jeune homme qui savait fort bien écrire ; c'était une grande commodité pour eux de l'accepter comme maître. C'est ainsi que ce jeune homme demeura dans cette maison durant un an, donnant des marques de piété, d'honnêteté et de toutes sortes de vertu.

Un jour la dame trouvant son mari seul, lui dit : « Il faut, mon mari, que je vous décharge mon cœur ; j'aurais un grand désir que nous mariions notre fille à son maître, qui paraît être issu d'une noble famille ; sa piété et sa vertu me ravissent le cœur ; il est bien difficile de trouver un parti aussi assorti des vertus chrétiennes nécessaires au salut ; au reste, nous n'avons qu'une fille, et nous avons assez de bien pour elle et pour notre gendre. ». Le mari fut aussitôt de l'avis de sa femme; il n'y eut qu'un oncle de la jeune demoiselle qui n'y voulut pas consentir ; mais on passa outre, le mariage eut lieu, et au bout d'un an les jeunes époux eurent un fils, auquel temps l'oncle mécontent forma le dessein de tuer son neveu.

Pour mieux réussir dans son méchant dessein, l'oncle de la demoiselle mena Joseph-Corentin chasser sur le rivage de la mer, où l'ayant jeté dans un lieu très profond, il prit la fuite, et retourna dans sa maison. Le jeune gentilhomme se voyant de tous côtés investi par les vagues de la mer et dans un danger évident pour sa vie, invoqua l'assistance de la bienheureuse Vierge et de saint Corentin. Au même instant il sent une force invisible qui l'empêche d'aller au fond, et les flots de la mer qui se retiraient, le portaient sur un rocher nommé Trévinec. Ayant abordé, celui qui l'avait soutenu lui apparut sous la forme d'une colombe blanche.

Cependant abandonné de tout secours humain, il réclama l'assistance de la Vierge et de saint Corentin, puis demeura dans ce lieu cinq ans entiers. Toutes les nuits, il voyait auprès de lui un beau cierge blanc allumé : c'était le secours de la Vierge. Deux fois le jour, il était assisté et visité d'un ecclésiastique : c'était saint Corentin qui lui apportait sa nourriture. Au bout de cinq ans, ce prêtre lui dit adieu et l'avertit qu'il ne retournerait plus, — que du reste le jeune homme irait souper à son propre logis, — qu'il ne se mît pas en peine de son oncle, Dieu l'ayant appelé à lui.

Ce charitable ecclésiastique ayant disparu, voici qu'un vieillard chenu, nageant, aborda ce rocher et dit au jeune homme que, sachant bien nager, il le mettrait bien à terre s'il voulait bien lui donner quelque chose en retour. — Que vous donnerai-je, répartit le jeune homme, pour ce bienfait ? Je suis content de vous donner tout mon bien. — C'est trop, répartit le vieillard, je me contenterai de la moitié.

Là-dessus le vieillard prend le jeune homme sur son dos, et le porte sur le rivage d'où son oncle l'avait précipité dans la mer. Ayant abordé, le vieillard dit : « Il n'y a rien qui presse, je reviendrai dans quelque temps recevoir mon salaire ». Et s'étant dit adieu l'un à l'autre, voici qu'à la nuit tombante, se présentent au jeune homme deux pages de la maison de Lezarscoët. C'étaient deux anges, qui le conduisirent à la porte de sa maison où, l'ayant rendu, ils disparurent en un instant. Et le jeune homme reconnaissant sa maison, rend mille grâces à Dieu son Sauveur, à la Sainte Vierge et à saint Corentin. Il frappe à la porte ; madame sa compagne entendant le coup de marteau, dit « C'est assurément mon mari ! ». Madame sa mère se moquant d'elle, disait : « Votre mari vous a abandonnée, il est bien loin d'ici ».

Nonobstant, elle vole à la porte, elle ouvre et, reconnaissant son mari, elle s'écrie : « C'est mon mari ! ». Tout le monde accourt. Son petit enfant, âgé d'environ quatre ans et demi, saute au cou de son père. Celui-ci raconta alors à son épouse, à son beau-père et à madame sa belle-mère, les embûches de son oncle, les aventures qui lui sont arrivées, et les assistances de la grâce de Dieu. Le lendemain toute la noblesse du canton vint le féliciter de son heureux retour. Un an après, comme ce gentil homme était à un banquet avec ses amis, un pauvre vieillard frappe à la porte, et demanda à parler à monsieur de Lezarscoët. Il était tout déguenillé, portait un long baton ; on lui voyait les bras nus par les trous de sa chemise. Un des laquais, le voyant si malotru, le renvoya durement, disant : « C'est bien à un tel homme comme vous de parler à monsieur de Lezarscoët ; retirez-vous retirez-vous, autrement je vous donnerai des coups de bâton ». Le pauvre homme répondit : « Quand je devrais demeurer ici à la porte du manoir jusqu'à dix ans, j'y demeurerai, j'ai une affaire de conséquence à communiquer à monsieur de Lezarscoët ».

Un serviteur plus humain que l'autre se trouva là, qui alla avertir le seigneur de la maison que dans la cour se tenait un pauvre mendiant, qui avait une affaire d'importance à lui communiquer. Monsieur de Lezarscoët descend ; le bonhomme lui dit : « Me reconnaissez-vous ? — Nenni, répond le gentilhomme. — C'est moi qui vous passais il y a un an, d'un rocher au milieu de la ner en terre ferme. — Pardonnez-moi, mon frère ; montez s'il vous plaît ».

Les serviteurs étaient bien étonnés de voir ce gentilhomme traiter avec tant de respect ce pauvre mendiant ; mais celui-ci refusa de monter, prenant pour prétexte qu'il était pressé ; il pria seulement le gentilhomme de faire le dénombrement et partage de ses biens, comme il l'avait promis. Monsieur de Lazarscoët monta donc dans sa chambre, où il raconta le tout à sa femme, qui se montra contente de donner la moitié de son bien puis, descendant, il bâilla au pauvre le compte de tous ses biens meubles et immeubles, lequel ayant tout examiné, : « Tout n'est pas ici ».

Le gentilhomme assura qu'il n'avait rien omis,. Mais le mendiant répliqua : « Venez à la chapelle qui est dans le bois, je vous dirai ce qui manque ».

Rendus à la chapelle, le mendiant lui dit : « N'avez-vous pas un petit enfant ? — Oui. — Eh bien ! je vous conjure de l'amener ici ».

Lorsque le gentilhomme eut amené son enfant, le pauvre lui dit : « Vous m'avez promis la moitié de vos biens, il faut que cette promesse se réalise ». Ce qu'ayant dit, il tire un grand couteau, disant : « Il faut que j'aie la moitié de votre enfant. — Laissez mon enfant en vie, dit le père, ou prenez-le tout ».

Comme le mendiant levait le bras pour faire cette funeste division, voici entrer dans la chapelle une dame qui arrête son bras. « Tout beau, dit-elle, ne passez pas outre. Dieu est content de la bonne volonté du père ». En même temps entre au même lieu l'évêque de Cornouaille : — « Me connaissez-vous ? dit la dame au gentilhomme. — Je n'ai pas ce bonheur. — Vous souvenez-vous que lorsque vous fûtes chassé de la maison de votre mère, vous prîtes la Mère de Dieu pour mère ? C'est moi, je vous mènerai aujourd'hui avec moi au royaume des cieux ». L'évêque lui demanda également : « Me connaissez-vous ? — Hélas nenni. — C'est moi qui suis saint Corentin, je viens pour vous accompagner au royaume des cieux ».

Le mendiant prenant aussi la parole, lui dit : « Le jour que vous sortîtes de la maison de votre père, vous fîtes la rencontre d'une femme désolée, à qui vous donnâtes 30 écus moins 20 sols pour enterrer son mari : c'était moi son mari, c'est moi que vous ai soutenu sur la mer, qui vous ai transporté du rocher au rivage ; je suis venu pour avoir, la moitié du plus précieux de vos biens, le ciel aura votre âme et celle de votre fils, la terre sainte aura votre corps ».

Au même instant, le gentilhomme adorant à genoux les ordres du ciel et se sentant frappé d'un trait secret de l'amour de Dieu, rendit son âme à Dieu, ainsi que son petit enfant.

La jeune dame inquiète de l'absence de son mari et de son enfant, se rend à la chapelle et tomba pâmée en voyant son mari et son cher fils étendus à terre sans vie. Etant revenue à elle, après avoir rendu les derniers devoirs aux défunts, elle se fit religieuse (P. Maunoir, Vie de Catherine Daniélou, Bull. dioc., nov.-déc. 1909).

La lecture de ces deux légendes nous montre qu'elles ont une origine commune. Quand M. le chanoine Peyron publia la vie de Catherine Daniélou, d'où est tirée la légende du seigneur de Pratmaria, tous y reconnurent l'histoire de notre saint Even ; mais on fut bien étonné de voir qu'on lui avait substitué un autre héros. L'étonnement fut Jencore plus grand quand on vit que cette nouvelle légende se présentait sous le patronage du P. Maunoir. Je ne mets pas en doute la bonne foi du saint missionnaire ; mais il est permis de supposer, sans manquer de respect à sa mémoire, qu'il a été induit en erreur par ceux qui lui ont raconté l'histoire. Ils étaient au nombre de trois : un vieillard de Plogonnec ; Catherine Daniélou qui avait appris le fait de saint Corentin, lors d'une apparition, et Marie Thomas de Plogonnec. On remarquera qu'aucun de ces témoins n'est de la localité.

On ne s'est pas contenté de nier l'authenticité de la légende de saint Even. On est même allé jusqu'à dire que notre saint ne serait autre que saint Méen de Ploéven. On s'explique difficilement la corruption da Méen en Even. Mais en admettant que la chose soit possible, on se heurtera à une autre difficulté. Si saint Méen et saint Even sont un même saint, comment expliquer qu'à huit kilomètres de distance, ils ne soient pas invoqués pour les mêmes grâces ? On sait que saint Even de Kerlaz est invoqué pour les migraines, les maux de tête et les fièvres. Au contraire, saint Men de Ploéven est invoqué pour les maladies de peau, ce qui concorde du reste avec ce que Dom Lobineau dit de ce saint : « Saint Méen, dit-il, est invoqué pour une espèce de gale horrible à voir, qu'on nomme le mal de saint Méen. C'est une gale opiniâtre et corrosive dont la malignité attaque particulièrement les mains ».

Ce détail a son importance. Ce n'est certes pas une preuve péremptoire ; mais c'est une forte présomption en faveur de notre thèse. La piété populaire ne se trompe pas.

C'est un des guides les plus sûrs pour identifier un saint ; car nos saints bretons sont tous des saints spécialistes. Aux mêmes saints, qu'ils soient honorés dans la Cornouaille, dans le Léon ou ailleurs, on demande toujours les mêmes grâces. Donc, puisque saint Méen et saint Even ne sont pas invoqués pour les mêmes grâces, il ne faut pas les confondre.

Saint Even a non-seulement existé sous le nom que nous lui donnons ; mais encore il a droit à sa légende, qui est appuyée sur une tradition locale très ancienne, et sur un document écrit. Ce document écrit ne peut pas être le cantique du P. Maunoir, sur lequel est calquée la légende du seigneur de Pratmaria. Il suffit de comparer les deux traductions pour s'en rendre compte. L'histoire, au fond, est bien la même ; mais dans la légende du seigneur de Pratmaria on trouve un luxe de détails si merveilleux qu'ils excèdent les limites de la vraisemblance. Nous croyons donc que la légende du seigneur de Pratmaria a été adaptée de celle de saint Even. Cette légende ne serait qu'une seconde édition, une réminiscence, à plusieurs siècles d'intervalle, de la légende de notre saint Even qui vivait « au temps où la Bretagne était gouvernée par les rois ». L'imagination populaire lui aurait, substitué ce jeune seigneur dont la vie éprouvée offrait certains traits de ressemblance avec celle de saint Even. Le P. Maunoir aurait recueilli cette version apocryphe et l'aurait consignée par écrit. Voilà, à mon avis, l'explication de la légende du seigneur de Pratmaria.

(Abbé Horellou).

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