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Soeur Catherine LABOURE, fille de la Charité |
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C’est toujours un fait considérable pour l'Eglise et même pour le monde, que l’institution d’une fête nouvelle, et cette faveur ne s’accorde qu’à la suite d’événements graves et importants. Préludant aux apparitions de La Salette, de Lourdes et de Pontmain, celle qui a reçu de nos pères et qui réalise sans conteste le titre de « Reine de France », Marie, se montrait, en 1830, à, une humble fille de la Charité de Saint-Vincent de Paul (Catherine Labouré), dans la chapelle de la maison-mère de la rue du Bac. En 1880, au cinquantenaire de cette apparition, Rome, qui avait si souvent encouragé la dévotion éclose à la suite de cette manifestation céleste, permit d’en célébrer solennellement le souvenir. Mais voici qu’aujourd’hui elle étend plus loin ses faveurs. Par un décret en date du 23 juillet 1894, S. S. le Pape Léon VIII accorde au R. P. Fiat, Supérieur général de la Congrégation des missionnaires de Saint-Vincent de Paul, qu’une fête solennelle avec office et messe propres, sous le rite double de 2ème classe, sera célébrée le 27 novembre de chaque année sous ce titre de la Manifestation de l'Immaculée Vierge Marie de la Médaille Miraculeuse. Et ce privilège n’est pas accordé au seul Institut de la Mission, mais à tous les évêques et familles religieuses qui l’auront demandé. Nous
allons parler de cette modeste enfant du peuple
qui vécut, qui mourut, ignorée, mais que Dieu avait marquée du sceau de ses
prédestinés. C’est au beau livre de M.
Aladel (La médaille miraculeuse, 10ème
édition. Paris, 1895),
prêtre de la Mission, que nous allons emprunter les principaux éléments
de cette biographie. |
I. NAISSANCE
- UN SONGE QUI DEVAIT
SE REALISER
Soeur Catherine, née Zoé Labouré, vint au monde le 2 mai 1806, dans un petit village de la Côte-d'Or, nommé Fain-les-Moutiers, de la paroisse de Moutiers-Saint-Jean. Ce dernier lieu, particulièrement cher à saint Vincent, n’est pas éloigné du berceau de saint Bernard, ce grand serviteur de Marie, et de l’endroit où sainte Chantal passa une partie de sa vie.
Ses parents, sincères chrétiens, vivaient honorablement en cultivant leur bien et possédaient l’aisance que donnent aux gens de la campagne l’activité du travail et la simplicité de la vie. Dieu avait béni leur union et leur avait accordé une nombreuse famille : sept garçons et trois filles.
Les fils quittèrent de bonne heure la maison paternelle ; la petite Zoé resta avec ses soeurs sous les yeux de sa mère ; mais cette mère, Dieu la lui enleva avant qu’elle eût accompli sa huitième année. Déjà capable de sentir l’étendue de ce sacrifice, il lui sembla que la Sainte Vierge voulait être son unique Mère.
Une de ses tantes, qui demeurait à Saint-Remy, la prit chez elle avec sa plus jeune soeur ; mais son père, homme pieux qui, dans sa jeunesse, avait songé à embrasser l'état ecclésiastique, voulut élever lui-même ses enfants, et, au bout de deux ans, il les rappela près de lui.
Une autre raison le poussait encore à agir ainsi. La fille aînée pensait sérieusement à quitter la famille pour entrer dans la communauté des Filles de la Charité, et le pauvre père ne pouvait se résoudre à confier sa maison à des mains mercenaires. Dans un âge où les autres enfants ne pensent qu’à leurs jeux, Zoé dut se façonner dès lors aux plus rudes travaux.
Vers douze ans, elle fit sa Première Communion dans l’église de Moutiers-Saint-Jean avec un coeur pur et fervent. Désormais, son unique désir fut d’appartenir sans réserve à celui qui venait de se donner à elle pour la première fois.
Aussitôt après, la soeur aînée entra chez les Filles de la Charité, et Zoé dut prendre la direction de la maison ; elle faisait la cuisine avec l’aide d’une bonne qui lui fut adjointe pour les plus gros ouvrages ; elle portait la nourriture aux moissonneurs et ne reculait devant aucun travail pénible.
Moutiers-Saint-Jean possède une maison de Soeurs de Saint-Vincent de Paul, Zoé allait les voir souvent et la bonne supérieure l’encourageait dans sa vie laborieuse.
Une de ses occupations favorites était la garde et l’administration du colombier, qui contenait toujours de 7 à 800 pigeons. Elle les soignait si bien qu’ils la connaissaient tous, et, dès qu’elle apparaissait, ils venaient à l'envi voler autour d’elle en forme de couronne. C’était, au dire de sa soeur, le plus charmant spectacle : l'innocence attirant les colombes qui en sont le symbole.
Sa jeunesse nous la montre déjà modeste dans sa tenue et sérieuse de caractère pieuse et recueillie dans l’église paroissiale, où elle se rendait exactement. Aux fatigues du travail elle ajouta, dès sa plus tendre jeunesse, l’habitude de jeûner le vendredi et le samedi, à l’insu de son père. Celui-ci finit par découvrir les pieuses ruses de sa fille ; mais les reproches qu’il lui adressa ne purent l’emporter sur son attrait pour la pénitence ; elle croyait devoir préférer la voix intérieure de Dieu à celle de son père.
Cependant sa vie champêtre et laborieuse ne lui faisait point oublier sa vocation. Plusieurs fois demandée en mariage, sa réponse invariable était que, fiancée depuis longtemps à Jésus, son bon Sauveur, elle ne voulait avoir que lui pour époux. Mais son choix était-il bien fixé, et à quelle communauté songeait-elle? Il est permis d’en douter, d’après un fait qui la frappa vivement, et dont le récit resta toujours gravé dans la mémoire de sa chère soeur, qui l’a raconté.
Etant encore dans la maison de son père, à Fain-les-Moutiers, elle eut un songe où il est permis de reconnaître l’action de Dieu et une préparation à sa vocation.
Il lui semblait être à l’église du village et dans la chapelle consacrée aux âmes du Purgatoire. Un prêtre très âgé, d’une figure respectable et d’une physionomie singulière, apparut dans la chapelle et se revêtit des ornements sacrés pour dire la Sainte Messe ; elle y assista, fort impressionnée de la présence de ce prêtre inconnu. A la fin de la messe, le prêtre lui fit signe de s’approcher ; mais elle, effrayée, se retira à reculons, tenant toujours les yeux fixés sur lui.
Sortie de l’église, elle entra dans une maison du village pour visiter une personne malade. Là, le vieux prêtre se retrouva devant elle, et, lui adressant la parole : « Ma fille, c’est bien de soigner les malades ; vous me fuyez maintenant, mais un jour vous serez heureuse de venir à moi. Dieu a des desseins sur vous, ne l’oubliez pas ». Toujours stupéfaite et craintive, la jeune fille s’éloigna encore ; en sortant de la maison, il lui semblait que ses pieds ne touchaient pas la terre, et, au moment où elle rentrait chez son père, elle s’éveilla et reconnut que ce qui venait de se passer n’était qu’un rêve.
Elle avait alors dix-huit ans, sachant peu lire, encore moins écrire ; comme elle comprenait sans doute que ce serait un obstacle pour son admission dans une communauté, elle obtint de son père la permission d’aller chez sa belle-soeur, maîtresse de pension à Châtillon-sur-Seine, pour y prendre quelques leçons. Son père, qui craignait de la perdre, ne consentit qu’avec peine à son départ.
Sans cesse préoccupée de la vision qu’elle avait eue, elle en parla à M. le curé de Châtillon, qui lui répondit : « Je crois, mon enfant, que ce vieillard est saint Vincent qui vous appelle à être Fille de la Charité ». Sa belle-soeur l’ayant conduite chez les Soeurs de Châtillon, elle fut saisie de voir, en entrant au parloir, le portrait parfaitement ressemblant du prêtre qui lui avait dit en songe « Ma fille, vous me fuyez ; mais. un jour vous serez heureuse de venir à moi ; Dieu a des desseins sur vous, ne l’oubliez pas ». Elle demande aussitôt quel est ce personnage, et, lorsqu’elle apprend que c’est saint Vincent, le mystère s’éclaircit, elle comprend que c’est lui qu’elle doit avoir pour Père.
Cette circonstance n’était pas de nature à ralentir ses désirs. Elle resta peu chez sa belle-soeur et revint à la maison.
Lorsqu’elle s’ouvrit à son père de son dessein d’entrer au couvent, le coeur de ce pauvre père se révolta ; il avait déjà donné sa fille aînée à la famille de saint Vincent, et sacrifier encore celle qui, depuis de longues années, administrait sa maison si sagement, lui semblait au-dessus de ses forces. Il crut avoir trouvé un moyen de la détourner de ce dessein en l’envoyant à Paris, chez un de ses fils qui était restaurateur, avec recommandation de chercher à éteindre chez sa soeur toute idée de vocation, par les distractions qu’il lui ménagerait. Temps d’épreuves et de souffrances pour la jeune aspirante, qui, bien loin de perdre le désir de se consacrer à Dieu, ne fit que soupirer plus ardemment après le jour où elle quitterait le monde.
Elle eut alors la pensée d’écrire à sa belle-soeur, à Châtillon, et de l’intéresser à sa cause. Celle-ci, touchée de cette marque de confiance, la fit venir près d’elle et obtint enfin le consentement de son père. Elle entra chez les Soeurs de Châtillon, comme postulante, au commencement de l’année 1830. Zoé Labouré fut bien heureuse de se voir au terme de cette rude épreuve qui avait duré presque deux années. Le 21 avril 1830, elle touchait au port tant désiré du séminaire [Note : Saint Vincent de Paul voulut qu’on appelât temps de séminaire le séjour que font les jeunes Soeurs à la maison principale de la communauté (140, rue du Bac), afin d’y être formées à l’esprit et aux œuvres de leur vocation ; il craignait que le nom de noviciat ne fit regarder les Filles de Charité comme des religieuses].
II. ENFIN RELIGIEUSE - VISION DU COEUR DE SAINT VINCENT DE PAUL - APPARITIONS DIVERSES
Elle eut le bonheur d’avoir pour directeur de conscience, pendant tout le temps de son séminaire, M. Jean-Marie Aladel, prêtre d’une éminente piété, homme d’un jugement sûr, d’une grande expérience, dont la mémoire est restée en vénération et qui devait être un jour son historien. Il fut pour elle un guide prudent dans les voies extraordinaires où Dieu l’appelait ; il sut constamment la tenir en garde contre les illusions de l’imagination et surtout contre les séductions de l’orgueil.
Informé par elle des desseins de Dieu, il se consacra sans réserve à propager le culte de Marie Immaculée, et, pendant les dernières années de sa vie, à étendre parmi les jeunes filles, élevées par les Soeurs de Saint-Vincent, l’association des Enfants de Marie. Il mourut en 1865, onze ans avant sa fille spirituelle.
Trois jours avant la cérémonie de la translation des reliques de saint Vincent de Paul, de l’archevêché à la chapelle de Saint-Lazare, Soeur Labouré fut favorisée d’une vision prophétique. Le même Dieu qui avait appelé Vincent de la garde des troupeaux de son père, pour en faire l’instrument de sa droite, allait confier aussi à une pauvre fille des champs les secrets de sa miséricorde. Laissons-la raconter dans son naïf langage cette première impression : « Je suis arrivée le mercredi avant la translation des reliques de saint Vincent de Paul. Heureuse et contente d’assister à ce grand jour de fête, il me semblait que je ne tenais plus à la terre. Je demandais à saint Vincent toutes les grâces qui m’étaient nécessaires, et aussi pour les deux familles et pour la France tout entière. Il me semblait qu’elle en avait le plus grand besoin. Enfin, je priais saint Vincent de m’enseigner ce que je devais demander, et de le faire avec une foi vive ».
Elle revenait de Saint-Lazare toute remplie de la pensée de son bienheureux Père, quand elle fut, dans la chapelle de la rue du Bac, favorisée d’une vision qu’elle raconte en ces termes : « J’avais, dit-elle, la consolation de voir son coeur au-dessus de la petite châsse où ses reliques sont exposées. Il m’apparut trois jours de suite d’une manière différente : blanc, couleur de chair, et cela annonçait la paix, le calme, l’innocence et l’union. Puis je l’ai vu couleur de feu, ce qui était le symbole de la charité qui s’allumera dans les coeurs. Il me semblait que la charité devait se renouveler et s’étendre jusqu’aux extrémités du monde. Enfin il m’apparut rouge-noir, ce qui me mettait la tristesse dans le coeur. Il me venait des craintes que j’avais peine à surmonter, je ne savais ni pourquoi ni comment cette tristesse se portait sur le changement de gouvernement ».
Il était étrange, en effet, que Soeur Labouré eût alors des préoccupations politiques.
Une voix intérieure lui dit : Le coeur de saint Vincent est profondément affligé des grands malheurs qui vont fondre sur la France. Le dernier jour de l’octave, elle vit le même coeur couleur vermeille, et la voix intérieure lui dit : Le coeur de saint Vincent est un peu consolé, parce qu’il a obtenu de Dieu, par la médiation de Marie, que ses deux familles ne périraient pas au milieu de ces malheurs, et que Dieu s’en servirait pour ranimer la foi.
Afin de se mettre l’esprit en repos, elle parla de cette vision à son confesseur, qui l’engagea à ne plus y penser ; Soeur Labouré ne songea qu’à obéir, et rien au dehors ne la fit remarquer de ses compagnes.
Si nous en croyons les notes que Soeur Catherine écrivit plus tard par l’ordre de M. Aladel, l'humble fille, pendant tout le temps de son séminaire, jouit à découvert de la vue de Celui dont la présence se cache à nos sens dans le sacrement de son amour : « Excepté, dit-elle, lorsque j’eus un doute ; alors je ne vis plus rien, parce que je voulais approfondir le mystère, craignant de me tromper ».
Notre-Seigneur daignait se montrer à son humble servante, conformément aux mystères du jour ; elle en a écrit une circonstance qui tient au changement de gouvernement que rien ne faisait prévoir encore.
« Le jour de la Sainte Trinité, dit-elle, Notre-Seigneur m’apparut dans le Très Saint-Sacrement pendant la Sainte Messe, comme un roi, avec la croix sur sa poitrine. Au moment de l'Evangile, il m’a semblé que la croix et tous ses ornements royaux coulaient à terre sous ses pieds, et que Notre-Seigneur restait dépouillé. C’est là que j’ai eu les pensées les plus noires et les plus tristes, comprenant que le roi serait dépouillé de ses habits royaux et les dommages qui en résulteraient ».
Lorsque l’humble fille avait ces pensées tristes au sujet du roi, celui-ci semblait au comble de sa fortune. Le siège d’Alger se faisait alors, et tout semblait présager l’heureux succès de ses armes. En effet, les premiers jours de juillet, l’imprenable forteresse des pirates tombait au pouvoir des Français ; tout le royaume était dans la joie de cette mémorable victoire, et les églises retentissaient de chants d’actions de grâces.
Hélas ! le triomphe devait être promptement suivi d’une révolution sanglante, qui allait renverser le trône et menacer les autels. A la suite des journées de juillet, la frayeur s’était emparée du clergé et des communautés religieuses de Paris. M. Aladel craignait beaucoup pour les Filles de la Charité et les Missionnaires. Soeur Labouré ne cessa de le rassurer, répétant que les deux Compagnies n’avaient rien à redouter de cette tourmente, qu’elles ne périraient pas.
Elle lui dit un jour qu’un évêque avait demandé à se réfugier à Saint-Lazare ; qu’on pourrait le recevoir, qu’il y serait en sûreté. M. Aladel n’avait pas fait grande attention à ces prédictions, il s’en retournait tristement à la maison, lorsque, en y arrivant, M. Salhorgne, supérieur général des Lazaristes, l’aborda en lui disant que Mgr Frayssinous, évêque d'Hermopolis et ministre des Cultes sous Charles X, était venu lui demander un asile pour se soustraire à la persécution qui le poursuivait.
Ces révélations portaient un cachet de vérité qu’il était difficile de méconnaître ; aussi, tout en feignant de ne pas y croire, M. Aladel en écoutait le récit avec le plus vif intérêt. Il commençait à se persuader que l’esprit de Dieu agissait en cette jeune Soeur, et en voyant s’accomplir sous ses yeux plusieurs choses qu’elle lui avait annoncées, il se sentait disposé à donner créance à d’autres communications plus merveilleuses encore dont elle lui faisait part.
Selon son témoignage, la Très Sainte Vierge lui était apparue ; ses apparitions s’étaient renouvelées diverses fois, elle l’avait chargée de rapporter à son directeur ce qu’elle avait vu et entendu. Une importante mission lui était confiée, c’était de faire frapper et de répandre une médaille en l'honneur de l'Immaculée Conception.
« Malgré les assurances sensibles qu’il avait de la véracité de la Soeur, M. Aladel n’écoutait néanmoins ses communications qu’avec défiance, comme il l’a rapporté lui-même dans l’enquête canonique ordonnée en 1836 par Mgr de Quélen. La pauvre Soeur, ne pouvant parvenir à le convaincre, n’osait plus l’entretenir des apparitions de la Sainte Vierge, elle ne le faisait que lorsqu’elle se sentait tourmentée et poursuivie par un désir presque irrésistible. Après qu’elle avait déchargé son coeur, elle se trouvait calme et parfaitement tranquille. L’enquête fait encore remarquer que Soeur Catherine ne chercha point d’autre confident de ses secrets que son confesseur ; elle n’eut pas même la pensée de s’en ouvrir ni à ses supérieures ni à d’autres personnes » (Procès-verbal de l’enquête faite par ordre de Mgr de Quélen, en 1836, sur l’origine de la médaille).
Ces communications célestes, comme il est facile de le supposer, laissaient dans l’âme de la Soeur Labouré des impressions profondes qui persévéraient ordinairement, même après qu’elle avait quitté l’oraison, et la rendaient en quelque sorte étrangère à ce qui se passait autour d’elle.
A ce sujet, on raconte qu’à la suite d’une de ces apparitions, elle se lève comme les autres au signal donné, sort de la chapelle et va prendre sa place au réfectoire, mais demeure si absorbée qu’elle ne songe pas même à toucher à la portion placée devant elle. La Soeur directrice, faisant sa tournée, lui dit rondement : « Eh bien ! Soeur Labouré, vous êtes encore en extase ? ». Ces paroles la font revenir à elle, et la bonne directrice, qui ne pensait pas avoir parlé si juste, ne soupçonne rien.
Cependant la postulante approchait de la fin de son séminaire, et, malgré ses affirmations tout à la fois si naïves et si précises, son directeur refusait toujours de la croire. Elle eut le déplaisir de quitter la maison-mère sans avoir pu rien obtenir, pas même une espérance.
C’est que l’affaire était plus grave qu’elle ne le pensait ; il fallait communiquer au public une faveur dont l’origine surnaturelle pouvait être contestée ; le prudent directeur comprenait qu’en pareille matière on ne saurait exiger trop de preuves ni prendre trop de précautions. C’est ici le lieu de parler des célèbres apparitions de la Sainte Vierge à son humble servante.
III. APPARITIONS DE LA SAINTE VIERGE
Soeur Catherine, déjà favorisée de visions célestes, souhaitait ardemment voir la Très Sainte Vierge. Pour obtenir cette grâce, elle s’adressa à son bon ange, à saint Vincent, à la Très Sainte Vierge elle-même.
Le 18 juillet 1838, veille de la fête de saint Vincent de Paul, elle entendit une instruction sur la dévotion aux saints et à la Sainte Vierge, qui augmenta encore son désir. Sous cette impression, la jeune Soeur se couche en se recommandant à saint Vincent, avec la confiance que ses voeux vont être exaucés.
Vers 11 h. 1/2, elle s’entend appeler par son nom de Soeur Labouré, accentué trois fois de suite ; pendant ce temps, s’éveillant tout à fait, elle entr’ouvre son rideau du côté d’où part la voix : qu’aperçoit-elle ? Un jeune enfant d’une beauté ravissante ; il peut avoir de quatre à cinq ans ; il est habillé de blanc, et de sa chevelure blonde, aussi bien que de toute sa personne, s’échappent des rayons lumineux qui éclairent tout ce qui l’entoure : « Venez, dit-il d’une voix mélodieuse, venez à la chapelle, la Sainte Vierge vous attend. — Mais, pensait en elle-même Soeur Catherine (qui couchait dans un dortoir), on va m’entendre, je serai découverte et craignez rien, reprit l’enfant, répondant à sa pensée, il est 11 h. 1/2, tout le monde dort, je vous accompagne ».
A ces mots, ne pouvant résister à l’invitation de l’aimable guide qui lui est envoyé. Soeur Catherine s’habille à la hâte et suit l’enfant, qui marchait toujours à sa gauche, portant des rayons de clarté partout où il passait ; et partout aussi les lumières étaient allumées, au grand étonnement de la Soeur. Sa surprise redoubla en voyant la porte s’ouvrir dès que l’enfant l’eut touchée du bout du doigt, et en trouvant l’intérieur de la chapelle tout illuminé, « ce qui, dit-elle, lui rappelait la messe de minuit ».
L’enfant la conduisit jusqu’à la balustrade de communion ; elle s’y agenouilla, pendant que son guide céleste entrait dans le sanctuaire, où il se tint debout, sur la gauche.
Les moments d’attente semblaient longs à Soeur Catherine ; enfin, vers minuit, l’enfant la prévient en disant : « Voici la Sainte Vierge, la voici .... ». Au même instant, elle entend distinctement du côté droit de la chapelle un bruit léger, semblable au frôlement d’une robe de soie. Bientôt une dame, d’une grande beauté, vient s’asseoir dans le sanctuaire, à la place occupée ordinairement par le directeur de la communauté, au côté gauche du sanctuaire. Le siège, l’attitude, le costume, c'est-à-dire une robe blanche un peu jaune avec un voile bleu, rappelaient la représentation de sainte Anne que l’on voit dans un tableau placé au-dessus. Cependant, ce n’était pas le même visage, et Soeur Catherine était là, luttant intérieurement contre le doute.
Soudain le petit enfant, prenant la voix d’un homme, parla très fortement et fit entendre des paroles sévères, lui demandant si la Reine du ciel n’était pas maîtresse d’apparaître à une pauvre mortelle sous telle forme qu’il lui plaisait.
A ces mots, toute hésitation cesse, et, ne suivant plus que le mouvement de son coeur, la Soeur se précipite aux pieds de la Sainte Vierge, posant familièrement les mains sur ses genoux, comme elle l’eût fait avec sa mère.
« En ce moment, dit-elle, je sentis l'émotion la plus douce de ma vie, et il me serait impossible de l’exprimer. La Sainte Vierge m'expliqua comment je devais me conduire dans mes peines, et, me montrant de la main gauche le pied de l’autel, elle me dit de venir me jeter là et d’y répandre mon coeur, ajoutant. que je recevrais là toutes les consolations dont j’aurais besoin. Puis elle me dit encore : Mon enfant, je veux vous charger d'une mission ; vous y souffrirez bien des peines, mais vous les surmonterez à la pensée que c’est pour la gloire du bon Dieu. Vous serez contredite, niais vous aurez la grâce, ne craignez point ; dites tout ce qui se passe en vous, avec simplicité et confiance. Vous verrez certaines choses ; vous serez inspirée dans vos oraisons, rendez-en compte à celui qui est chargé de votre âme .
Je demandai alors à la Sainte Vierge l'explication des choses qui m’avaient été montrées. Elle me répondit : Mon enfant, les temps sont très mauvais ; des malheurs vont fondre sur la France ; le trône sera renversé, le monde entier sera bouleversé par des malheurs de toute sorte. (La Sainte-Vierge avait l’air très peiné en disant cela). Mais venez au pied de cet autel ; là les grâces seront répandues sur toutes ..... sur toutes les personnes qui les demanderont, les grands et les petits.
Un moment viendra où le danger sera grand ; on croira tout perdu ; là je serai avec vous, ayez confiance ; vous reconnaîtrez ma visite, la protection de Dieu et celle de saint Vincent sur les deux communautés. Ayez confiance, ne vous découragez pas, je serai avec vous.
Il y aura des victimes dans d’autres communautés. (La Sainte Vierge avait les larmes aux yeux en disant cela) Dans le clergé de Paris, il y aura des victimes. Monseigneur l’archevêque mourra. (A ces mots, ses larmes coulèrent de nouveau). Mon enfant, la croix sera méprisée, on la jettera par terre, on ouvrira de nouveau le côté de Notre-Seigneur ; les rues seront pleines de sang ; le monde entier sera dans la tristesse ». (Ici la sainte Vierge ne pouvait plus parler, la douleur était peinte sur son visage). A ces mots, Soeur Catherine pensait : Quand cela arrivera-t-il ? Et une lumière intérieure lui indiqua distinctement quarante ans.
La Sainte Vierge la chargea encore de transmettre à son directeur plusieurs recommandations touchant la communauté des Filles de la Charité ; lui annonçant qu’il serait un jour revêtu d’une autorité qui lui permettrait d’exécuter ce qu’elle demandait (Note : M. Aladel fut nommé directeur de la communauté en 1846. Il était né aux Ternes, près de Saint-Flour, le 4 mai 1800 ; il entra dans la Congrégation de la Mission le 12 novembre 1821, et mourut à Paris le 25 avril 1865). Puis elle reprit encore une fois :
Mais de grands malheurs arriveront, le danger sera grand, cependant ne craignez point, la protection de Dieu est toujours là d’une manière particulière, et saint Vincent vous protégera, (La Sainte-Vierge avait toujours l’air triste). Je serai moi-même avec vous ; j’ai toujours l'oeil sur vous, je vous accorderai beaucoup de grâces.
La Sœur ajoute : « Les grâces seront répandues particulièrement sur les personnes qui les demanderont ; mais qu’on prie ..... qu’on prie ..... Je ne saurais dire, continue la Soeur, combien de temps je suis restée auprès de la Sainte Vierge, tout ce que je sais, c’est qu’après m’avoir parlé longtemps, elle s’en est allée, disparaissant comme une ombre qui s’évanouit ».
S’étant relevée, Soeur Catherine retrouva l’enfant qui la reconduisit de la même manière qu’il l’avait amenée, répandant une clarté céleste.
« Je crois, continue le récit, que cet enfant était mon ange gardien, parce que je l’avais beaucoup prié pour qu’il m’obtint la faveur de voir la Sainte Vierge .... Revenue à mon lit, j’entendis sonner 2 heures, et je ne me suis point rendormie ».
Ce qui vient d’être raconté n’était qu’une partie de la mission de Soeur Catherine ou plutôt une préparation à celle qui allait lui être donnée.
Sur la fin du mois de novembre de cette même année 1830, Soeur Catherine vint faire part d’une nouvelle vision à M. Aladel. Voici le récit écrit de la main de la Soeur :
« Le 27 novembre 1830, qui était un samedi, et la veille du premier dimanche de l'Avent, à 5 h. 1/2 du soir, faisant l’oraison, je vis du côté droit du sanctuaire, la Sainte Vierge auprès du tableau de saint Joseph : sa taille était moyenne et sa figure si belle qu’il me serait impossible d’en décrire la beauté. Elle était debout, vêtue d’une robe blanc aurore, avec la forme qu’on appelle à la vierge, c’est-à-dire montante et à manches plates. La tête était couverte d’un voile blanc qui descendait de chaque côté jusqu’aux pieds. Elle avait les cheveux en bandeaux et, par-dessus, une espèce de serre-tête garni d’une petite dentelle, posée à plat sur les cheveux. La figure était assez découverte, et les pieds reposaient sur un globe, ou mieux, une moitié de globe ; du moins, je n’en vis que la moitié. Ses mains, élevées à la hauteur de la ceinture tenaient d’une manière très aisée un autre globe (figure de l’univers). Elle avait les yeux élevés vers le ciel, et sa figure s’illumina pendant qu’elle offrait le globe à Notre-Seigneur.
Tout à coup ses doigts se sont remplis d’anneaux et de pierreries précieuses très belles ....... les rayons qui en jaillissaient se reflétaient de tous côtés, ce qui l’enveloppait d’une telle clarté que l’on ne voyait plus ni ses pieds ni sa robe. Les pierreries étaient plus ou moins grosses et les rayons qui en sortaient étaient proportionnellement plus ou moins éclatants.
Je ne saurais dire ce que j'éprouvai, ni tout ce que j’appris en si peu de temps.
Comme j’étais occupée à la contempler, la Sainte Vierge abaissa les yeux sur moi, et une voix me dit au fond du coeur : Ce globe que vous voyez représente le monde entier, et particulièrement la France et chaque personne en particulier.
Ici je ne sais pas exprimer ce que j’aperçus de la beauté et de l’éclat des rayons. Et la Sainte Vierge ajouta : Voilà le symbole des grâces que je répands sur les personnes qui me les demandent, me faisant entendre ainsi combien elle est généreuse envers les personnes qui la prient ...... Combien de grâces elle accorde aux personnes qui les lui demandent. Dans ce moment, j’étais ou je n’étais pas ...... je ne sais ....... je jouissais ! Il se forma alors autour de la Sainte Vierge un tableau un peu ovale sur lequel on lisait, écrites en lettres d’or, ces paroles : O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous.
Puis une voix se fit entendre qui me dit : Faites, faites frapper une médaille sur ce modèle ; les personnes qui la porteront indulgenciée recevront de grandes grâces, surtout en la portant au cou ; les grâces seront abondantes pour les personnes qui auront confiance.
A l’instant, dit la Soeur, le tableau parut se retourner ; alors, elle vit au revers la lettre M surmontée d’une croix, ayant une barre à sa base, et, au-dessous du monogramme de Marie, les Sacrés-Coeurs de Jésus et de Marie, le premier entouré d’une couronne d’épines, et le second transpercé d’un glaive ».
Dans le courant de décembre, elle eut une nouvelle apparition, à peu près semblable à celle du 27 novembre. Il y eut toutefois une différence notable : la Sainte Vierge, au lieu de s’arrêter auprès du tableau de saint Joseph, passa devant et vint se poser au-dessus du tabernacle, un peu en arrière, précisément à la place que sa statue occupe aujourd’hui. La Sainte Vierge paraissait avoir une quarantaine d’années, au jugement de la Soeur. L’apparition était comme encadrée, à partir des mains, dans l’invocation tracée en lettres d’or : O Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. Puis le revers, présentant le monogramme de la Sainte Vierge, surmonté de la croix et, au-dessous, les Coeurs sacrés de Jésus et de Marie. |
Soeur Labouré reçut de nouveau l’ordre de faire frapper une médaille sur ce modèle. Elle termine son récit par ces mots : « Vous dire ce que j’ai appris au moment où la Sainte Vierge offrait le globe à Notre-Seigneur, cela est impossible à rendre ....... comme aussi ce que j’ai éprouvé pendant que j’étais occupée à la contempler ! Une voix se fit entendre au fond de mon coeur, qui me dit : " Ces rayons sont le symbole des grâces que la Sainte Vierge obtient aux personnes qui les lui demandent " ». C’est sous cette forme que la vision du 27 novembre 1830 est devenue populaire dans le monde entier, et que la médaille mérita le surnom de Miraculeuse. C’est ainsi qu’elle a été reproduite des millions et des millions de fois en or, en argent et en bronze.
IV. LA MEDAILLE MIRACULEUSE - ENQUETE
MGR.
DE PRADT - ALPHONSE RATISBONNE
La dernière fois que la Sainte Vierge s’était montrée à Soeur Labouré, dans le sanctuaire de la maison-mère, elle lui avait dit ces paroles : Ma fille, désormais vous ne me verrez plus, mais vous entendrez ma voix pendant vos oraisons. En effet, elle eut fréquemment pendant le cours de sa vie des communications de ce genre. Ce n’étaient plus des apparitions sensibles, mais des vues intellectuelles qu’elle savait très bien distinguer des illusions de l’imagination ou des impressions d’une pieuse ferveur.
Sa mission n’était pas achevée relativement à la médaille. Quelques mois s’étaient écoulés lorsque la Vierge Immaculée se plaignit à elle de ce que ses ordres n’étaient pas exécutés par M. Aladel.
« Mais, ma bonne Mère, reprit Soeur Catherine, vous voyez bien qu’il ne me croit pas. — Sois tranquille, lui fut-il répondu ; un jour viendra où il fera ce que je désire ; il est mon serviteur, il craindrait de me déplaire ».
Cette parole ne tarda pas à se vérifier. Lorsque le pieux missionnaire reçut cette communication, il se dit : « Si Marie est mécontente, ce n’est pas de la jeune Soeur qui, dans sa position, ne peut rien ; c’est donc de moi ». Cette pensée l’inquiéta, le troubla. Il avait depuis longtemps communiqué le récit des visions à M. Etienne, alors procureur général. Un jour qu’ils étaient allée ensemble faire une visite à Mgr de Quélen, au commencement de 1832, M. Aladel profita de la circonstance pour lui parler dos apparitions, et surtout de son embarras, puisque la Sainte Vierge se plaignait à la Soeur des lenteurs apportées à l'exécution de ses ordres.
Monseigneur répondit que, ne voyant en cela rien de contraire à la foi, il ne trouvait nul inconvénient à ce que la médaille fût frappée sans autre délai. Il demanda même qu’on lui en envoyât des premières.
Les ravages du choléra, qui survinrent sur ces entrefaites, retardèrent encore l’exécution jusqu'en juin ; le 30 de ce mois, deux mille médailles furent livrées, et M. Aladel s’empressa d’en envoyer à Monseigneur l'archevêque de Paris.
Mgr de Quelen voulut aussitôt en essayer l’efficacité : il était fort préoccupé de l’état spirituel de l’ancien archevêque de Malines, Mgr de Pradt, presque mourant ; il désirait d’autant plus sa conversion, que la mort de ce prélat pouvait être l’occasion d’un scandale et de graves désordres, comme ceux qu’avait causés l’enterrement de l’évêque constitutionnel Grégoire. Il se munit de la médaille et va visiter le malade. L’entrée lui est refusée une première fois, mais bientôt le moribond repentant lui envoie ses excuses, avec prière de venir de nouveau. Dans cette entrevue, il témoigne à Sa Grandeur un sincère repentir de sa vie passée, rétracte toutes ses erreurs, et, après avoir reçu les derniers sacrements, il meurt, la nuit même, entre les bras de l’archevêque.
M. Aladel remit une médaille à Soeur Catherine, qui la reçut avec « grande dévotion et respect (Procès-verbal de l’enquête) » et elle dit : Maintenant il faut la propager. La chose fut facile à la communauté des Filles de la Charité, où se racontaient tout bas les apparitions ; l’empressement fut général ; on en répandit avec abondance, et, à mesure qu’elles étaient distribuées, les guérisons et les conversions se multipliaient dans tous les rangs de la société.
Témoin de ces merveilles, le P. Aladel crut devoir publier une petite notice sur l’origine de la médaille.
Que disait Soeur Catherine en entendant parler de ces faits surprenants ? Moins que personne, elle s’en étonnait ; sa joie était grande, sans doute, mais tout entière enfermée dans le silence de son coeur. Elle envoyait de temps en temps quelque nouveau message à M. Aladel, le priant, à plusieurs reprises, de faire élever un autel commémoratif de l’apparition et lui disant que beaucoup de grâces et d’indulgences y seraient attachées, et que leur abondance retomberait sur lui-même et sur la communauté. Elle le pressait aussi de solliciter des faveurs spirituelles particulières, l’assurant qu’il pouvait demander sans crainte et que tout lui serait accordé.
Mais ce digne prêtre se réservait d’agir lorsque le temps favorable serait venu. Quelques années après, M. Etienne, son ami intime, fut élu Supérieur général, et lui assistant de la Congrégation et directeur des Filles de la Charité ; de concert ils formèrent le projet d’élever à Marie un autel plus digne de sa bonté maternelle et de la reconnaissance de ses enfants.
La Providence sembla elle-même coopérer à l’exécution : le gouvernement fit alors à la communauté le don de deux magnifiques blocs de marbre blanc, en reconnaissance des soins donnés par les Soeurs aux cholériques et à leurs orphelins. L’un fut destiné à l’autel, et l’autre à la statue de l'Immaculée Marie.
En même temps, le personnel de la maison-mère augmentait chaque jour. La nouvelle vie qui circulait dans la communauté suscitait de nombreuses vocations, et le centre qui devait les réunir devenait trop étroit ; la chapelle surtout était très insuffisante. Pour l’agrandir, l’architecte eut un problème difficile à résoudre : il devait respecter le sanctuaire honoré de la visite de Marie, et en même temps élargir l’enceinte. Il y parvint en ajoutant des bas-côtés, surmontés de tribunes.
L’ancien autel fut transporté dans la chapelle latérale, dédiée à saint Vincent, et le saint fondateur y fut représenté tenant ce coeur tout brulant de l’amour de Dieu et des pauvres, dont la vision avait frappé Soeur Catherine. Une statue en plâtre de l'Immaculée Conception fut provisoirement placée au-dessus du maître-autel, en attendant la statue de marbre, dont la pose ne se fit solennellement qu’en 1856.
Soeur Catherine dit aussi à M. Aladel, toujours dans les premiers temps de sa vocation : La Sainte Vierge veut que vous fondiez une Congrégation ; vous en serez le supérieur. C’est une confrérie d’enfants de Marie ; la Sainte Vierge fera beaucoup de grâces ; des indulgences seront accordées.
Cette oeuvre s’est réalisée quelques années plus tard et la Providence lui a donné une admirable extension. Elle annonça encore que le mois de Marie se ferait avec grande pompe et deviendrait général dans toute l'Eglise ; que le mois de saint Joseph se célébrerait aussi, et que la dévotion envers ce grand saint augmenterait beaucoup, ainsi que la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus.
Nos lecteurs nous sauront gré de leur donner intégralement ici le récit historique de la fête de la Médaille miraculeuse, tiré de l’office approuvé par le Saint-Siège.
I — « L’an 1830, comme l’attestent des documents authentiques, l’auguste Mère de Dieu daigna apparaître à une pieuse personne, nommée Catherine Labouré, de la communauté des Filles de la Charité, fondée par saint Vincent de Paul. Elle lui donna l’ordre de pourvoir à ce qu’une médaille fût frappée en l’honneur de son Immaculée Conception. D’après la vision, la médaille devait être ainsi gravée : d’un côté serait l’effigie de la Mère de Dieu, écrasant de son pied virginal la tête du serpent ; les mains étendues devaient laisser échapper des rayons de lumière sur le globe terrestre placé au-dessous ; tout autour serait gravée cette prière : "O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous", de l’autre côté devait apparaître le nom sacré de Marie, surmonté d’une croix ; au-dessous deux cœurs, l'un couronné d’épines, l'autre percé d'un glaive.
La jeune fille obéit à l’ordre de la Vierge, et les événements ne tardèrent pas à montrer l’origine divine de cette mission.
A peine la nouvelle médaille fut-elle répandue, qu’aussitôt les chrétiens voulurent la porter comme un témoignage de dévotion qui devait être agréable à cette Très Sainte Mère. La France se signala d’abord ; puis les évêques, approuvant cette pratique, l’univers tout entier vit croître de jour en jour son respect et sa confiance pour la Vierge qui daignait, par la Médaille, opérer des merveilles pour le soulagement des maux du corps aussi bien que pour l'extirpation des vices de l’âme ».
II. — « Entre tous ces faits dignes de mémoire, il faut citer celui qui arriva à Alphonse Ratisbonne, le 13 des calendes de février (20 janvier) 1842, et qui est confirmé par le témoignage authentique de l’autorité ecclésiastique. Alphonse était né à Strasbourg de parents juifs ; il se rendait en Orient, et s’était arrêté à Rome. Là, il lia amitié avec un homme de noble origine qui était passé de l’hérésie à la religion catholique. Ce dernier, prenant en pitié le sort de son infortuné ami, s’efforçait par tous les moyens de l’amener à la vraie religion. Mais ses paroles étaient sans résultat ; il obtint seulement que le juif portât suspendue à son cou la sainte médaille de la Mère de Dieu. Pendant ce temps, on priait pour lui la Vierge Immaculée. Marie ne fit pas longtemps attendre son secours.
Alphonse était entré par hasard dans l'église de Saint-André, élevée dans le quartier autrefois boisé appelé delle Fratte. Il était près de midi. Tout à coup, il lui semble que le temps s’obscurcit, à l’exception de la chapelle de l’archange Saint-Michel, où éclate une vive lumière. Saisi de crainte, il porte ses regards de ce côté. Alors la Très Sainte Vierge Marie lui apparaît, le visage plein de douceur, et telle qu’on la représente sur la sainte médaille.
La céleste vision change soudainement les dispositions d'Alphonse : il verse des larmes abondantes, il reconnaît l'erreur du judaïsme, et la religion catholique, pour laquelle il n’avait jadis que de l’horreur, lui apparaît comme la religion véritable ; il l’embrasse de tout son coeur. S’étant fait instruire des dogmes chrétiens, après quelques jours, à la joie universelle des habitants de Rome, il fut purifié dans les eaux saintes du baptême ».
III. — « Il convenait que la tendresse toute maternelle de Marie, qui s’était manifestée avec tant de puissance et de libéralité par le moyen de la sainte Médaille, ne fût pas oubliée, et en même temps, que le culte du peuple chrétien pour l'Immaculée Conception prit de nouveaux accroissements. Pour atteindre ces fins, le Siège apostolique a voulu que, comme cela avait déjà été concédé pour le Rosaire et pour le Scapulaire du Mont-Carmel, une fête particulière fût célébrée chaque année en mémoire et de cette apparition de la Très Sainte Mère de Dieu et de sa sainte Médaille. Aussi, après avoir fait examiner avec le plus grand soin tous ces faits par la Sacrée-Congrégation des Rites, sur l’avis favorable qui lui en a été donné, Léon XIII, Pontife suprême, a autorisé la Société des prêtres de Saint-Vincent de Paul, toujours fidèle aux traditions de son saint fondateur dans la profession et le culte de la Conception Immaculée de Marie, à célébrer un office et une messe de la Manifestation de la bienheureuse Vierge Immaculée. Pareille faveur est accordée à tous les évêques et aux familles religieuses qui en auront fait la demande ».
V. A L’HOSPICE D’ENGHIEN VIE DE DEVOUEMENT ET D’HUMILITE - VERTUS ET DEFAUTS DE LA SŒUR LABOURE - SON ASSURANCE PENDANT LA COMMUNE
Au mois de janvier 1831, la Soeur Catherine fut envoyée à l’hospice d'Enghien, au faubourg Saint-Antoine. Grâce à l’obscurité où ses supérieures la gardèrent, elle fut pendant de longues années à l’abri de l’orgueil, bien cachée dans son modeste office ; employée d’abord à la cuisine, puis à la lingerie, elle resta ensuite près de quarante ans dans la salle des vieillards et elle ajoutait à cet office celui de la basse-cour. Elle se plaisait dans ces humbles fonctions. Sa laiterie était toujours dans un ordre parfait et rien ne lui semblait préférable au bonheur d'être au milieu de ses pauvres. Elle en parlait à la fin de sa vie comme de sa principale consolation. « J’ai toujours aimé, disait-elle, à rester à la maison ; lorsqu’il était question d’une promenade, je laissais volontiers mon tour aux autres pour servir mes pauvres ». |
Et cela était vrai. Une seule sortie lui était agréable, celle qui lui permettait de se rendre à la communauté (elle ne connaissait pas d’autre chemin dans Paris), et pour celle-là elle ne cédait pas son tour.
Elle agissait toujours avec calme, craignant l’empressement ; aussi, lorsqu’elle avançait en âge, les jeunes Soeurs qui l'aidaient ont souvent reçu de sa bouche cet avis : Eh ! ma bonne, ne vous émouvez donc pas tant ! Elle comptait parmi les meilleurs souvenirs de sa vie de communauté celui de sa première supérieure, Soeur Savard, « c’était une bonne ancienne, disait-elle, qui voulait que, chaque année, les premiers fruits du jardin fussent portés à des familles indigentes du faubourg, ou à ses bons vieillards ; les Soeurs ne pouvaient y toucher qu’après eux ».
« Fille de devoir et de travail, dit sa dernière supérieure, mais surtout fille d’humilité, Soeur Catherine n’était vraiment appréciée que de ceux qui l’étudiaient d’assez près pour reconnaître tout ce qu’il y avait de simplicité, de droiture, de pureté dans son âme, dans son esprit, dans son coeur et dans toute sa personne ».
Ne se prévalant à aucun titre des faveurs singulières dont l’avait comblée la Vierge Immaculée, elle disait, vers les derniers mois de sa vie, alors que la Providence lui permit un peu d’ouverture sur ce sujet : « Moi, favorisée, ma Soeur, mais je n’ai été qu’un instrument ! ce n’est pas pour moi que la Sainte Vierge m’a apparu ; je ne savais rien, pas même écrire ; c’est dans la communauté que j’ai appris ce que je sais, et c’est pour cela que la Sainte Vierge m’a choisie, afin qu’on ne puisse pas douter ».
Soeur Catherine n’avait rien que d’ordinaire, et cependant, en elle, rien de commun ni de trivial. Sa taille était au-dessus de la moyenne ; son visage régulier portait le cachet de la modestie ; ses yeux, d’un bleu limpide, exprimaient la candeur. Elle était laborieuse, simple et nullement mystique dans ses allures ; elle n’affectait pas plus les grandes vertus que les dévotions particulières ; elle se contentait de les avoir au fond du coeur et de les pratiquer, suivant la règle, bonnement et droitement.
On a retrouvé, après sa mort, quelques notes écrites de sa main pendant ses retraites annuelles. Tout y est simple, solide, pratique ; pas un mot ne fait allusion aux grâces extraordinaires qu’elle avait reçues.
Il ne faudrait pas croire cependant qu’elle fût née avec un tempérament facile et doux, que l’obéissance lui fût toute naturelle ; non, elle avait, au contraire, une bonne tête et l'humeur très vive : fort entendue dans tous les travaux de ménage, elle gouvernait avec beaucoup de soin et d’ordre la part qui lui était confiée. Sa vivacité la portait quelquefois à de petites saillies ; le ton ferme de ses paroles révélait alors ce que la vertu lui faisait plus ordinairement réprimer. Dès que ce premier mouvement était passé, elle revenait et s’humiliait aussitôt.
Parfois, on voyait le premier mouvement de surprise prêt à s’échapper, retenu captif sans respect humain par une volonté supérieure ; ainsi ce caractère entier n’était si bien plié à l’obéissance que parce qu’il était fidèle à la grâce.
Soeur Catherine, malgré sa forte constitution, n’était pas non plus exempte de souffrances corporelles, et l’on s’étonnait quelquefois de la voir demander avec simplicité de petits soulagements qu’une âme mortifiée aurait pu se refuser. Ces légères faiblesses formaient comme un voile qui arrêtait la vue d’un grand nombre, et cachait une partie des beautés de son âme.
La supérieure d'Enghien raconte qu’une année, l’ayant amenée avec plusieurs autres compagnes passer la belle journée du 8 décembre à la communauté, le soir, en remontant dans l’omnibus, Soeur Catherine fit un faux mouvement et se cassa le poignet. Elle ne dit mot, et personne ne s’en aperçut. Quelques instants après, la voyant tenir son bras dans son mouchoir, Soeur Dufès lui demanda ce qui lui était arrivé : « Ah ma Soeur, répondit-elle tranquillement, je tiens mon bouquet ; tous les ans la Sainte Vierge m’en envoie un de cette façon ».
Solidement pieuse, au milieu de Soeurs qui paraissaient l’être d’avantage, on ne voyait, en effet, rien dans notre humble Soeur qui la distinguât des autres. Une seule chose a été remarquée : l’importance qu’elle attachait à la récitation du chapelet.
Mais laissons de nouveau parler sa supérieure : « Nous étions toujours frappées, dit Soeur Dufès, lorsque nous le disions en commun, de l’accent grave et pieux avec lequel notre compagne prononçait les paroles de la Salutation angélique ».
Elle avait toujours conservé l’office qui l’attachait à l'hospice d'Enghien ; elle soignait les vieillards qui lui étaient confiés avec une sollicitude vraiment admirable, sans négliger jamais le colombier qui lui rappelait ses pures et douces joies d’enfance. La jeune tille d’autrefois, qui nous est représentée gracieusement couverte de ses chers pigeons, était maintenant une pauvre Soeur bien âgée, mais non moins attentive à la surveillance de son petit peuple.
« Ma Soeur Catherine, raconte sa supérieure, était alors l’âme de la petite famille chargée du soin de l’hospice. Dans ces dernières années, le nombre de nos Soeurs était devenu plus considérable, et par suite l’administration des deux maisons d'Enghien et de Neuilly étant trop difficile pour une seule personne, une assistante me fut donnée pour me seconder dans la direction de l'hospice. Si ma Soeur Catherine n’eût pas été formée depuis longtemps à l’obéissance et à l'abnégation, il eût semblé bien dur à sa nature, vive et prompte, de reconnaître l’autorité d’une compagne beaucoup plus jeune qu’elle.
Malgré le silence qu’elle gardait sur les communications reçues, il lui arrivait de temps en temps de me dire ses vues sur les événements actuels, me parlant alors comme inspirée de Dieu.
C’est ainsi qu’au moment de la Commune elle m’annonça que je quitterais la maison, accompagnée de telle Soeur, que je reviendrais le 31 mai, m’assurant que je ne devais rien craindre, parce que la Sainte Vierge tiendrait ma place et garderait la maison. Je ne fis guère attention aux paroles de la bonne Soeur.
Je partis, en effet, et réalisai, contre mes plans et sans y penser, tout ce que ma Soeur Catherine m’avait prédit. Le 31 mai, de retour à la communauté, j’étais très inquiète de la maison, tombée au pouvoir d’une bande de communards et qu’on disait dévastée ; ma Sœur Catherine essayait de me rassurer, me répétant que la Sainte Vierge avait tout conservé. Elle en était sûre, disait-elle, la Sainte Vierge le lui avait promis.
En effet, nous trouvâmes à notre arrivée que Marie avait tout gardé, tout sauvé, malgré la longue occupation de cette maison par une troupe dont le satanique plaisir était de briser et détruire.
Une circonstance surtout nous frappa vivement : ces malheureux avaient fait d’inutiles efforts pour renverser la statue de Marie Immaculée, dressée dans le jardin ; elle avait invinciblement résisté à leurs tentatives sacrilèges.
Ma Soeur Catherine s’empressa de remettre sur la tête de notre auguste Reine sa couronne qu’elle avait emportée dans son exil, en lui disant qu’elle la lui rendait en hommage de reconnaissance ».
VI. LA MALADIE — LA MORT — TOMBEAU GLORIEUX
« Cependant, continue sa supérieure, les années s’accumulaient, notre bonne Soeur parlait souvent de sa fin prochaine. Nous nous occupions de son état. M. le Supérieur général la fit un jour venir à la communauté afin de recevoir de sa bouche des communications qui lui semblaient importantes.
Ma Soeur Catherine ne s’attendait à rien ; elle fut très surprise et presque interdite. A son retour, elle me fit part de son émotion ; et, pour la première fois, me parla à coeur ouvert de ce qu’elle craignait tant auparavant de laisser paraître.
Cette répugnance avait cessé ; se voyant sur le bord de la tombe, elle se sentait pressée de faire connaître les détails qu’elle pouvait croire ensevelis avec le vénéré P. Aladel, et témoignait une grande peine de voir la dévotion à l'Immaculée Conception moins vive et moins générale que dans le commencement.
Ces confidences, du reste, furent pour moi seule ; aucune de nos Soeurs n’en eut connaissance. Il est vrai que la plupart étaient instruites de ce pieux mystère, mais elles ne l’apprirent jamais de ma Soeur Catherine elle-même. Tout ce qu’elles pouvaient remarquer, c’était son ardent amour pour Marie Immaculée et son zèle à propager la Médaille miraculeuse.
Depuis que l’année 1876 était commencée, ma Soeur Catherine parlait plus souvent de sa mort ; à tous nos jours de fête elle ne manquait pas de nous dire : C’est la dernière fois que je vois cette fête » ; et quand on semblait ne pas la croire, elle ajoutait que sûrement elle ne verrait pas l’année 1877. Nous ne prévoyions pas cependant une mort si prochaine. Pendant les derniers mois, elle fut obligée de garder le lit et de cesser cette vie si active qu’elle menait depuis tant d’années.
Ses forces allaient toujours diminuant ; un asthme, joint à une maladie de coeur, la minait peu à peu ; elle se sentait mourir, mais sans crainte, on peut même dire sans émotion. Un jour, lui parlant de sa mort : Vous n’avez donc pas du tout peur, lui dis-je, ma bonne Soeur Catherine ? — Peur ! s’écria-t-elle, mais, ma Soeur, pourquoi voulez-vous que j’aie peur ? ...... Je m’en vais retrouver Notre-Seigneur, la Sainte Vierge, saint Vincent !.
En effet, notre chère compagne n’avait pas à s’effrayer, car sa mort fut aussi calme que sa vie.
Quelques jours avant, une de nos soeurs causait avec elle familièrement, et, sans aucune préméditation de part et d’autre, la malade lui dit : J’irai à Reuilly. (Nous appelons de ce nom la maison de Providence, séparée de l'hospice d'Enghien par un vaste jardin, et où sont réunies nos diverses oeuvres). — Comment, dit la compagne, à Reuilly ? mais vous n’en aurez pas le courage, et vous aimez tant votre Enghien que vous n’avez jamais quitté ! — Je vous dis que j’irai à Reuilly. — Mais quand est-ce ? — Ah ! voilà !, dit ma Soeur Catherine d’un ton affirmatif et mystérieux qui déconcerta la compagne. — Peu après elle lui dit encore : Il n’y aura pas besoin de corbillard pour mon enterrement. — Oh ! par exemple, répond la Soeur. — Il ne faudra pas de corbillard, reprit la malade d’un ton accentué. — Mais comment fera-t-on ? — On me mettra dans la chapelle de Reuilly ».
Ces paroles frappèrent la compagne, qui me fit part de cette conversation : " Gardez cela pour vous ", lui dis-je.
Le 31 décembre, on crut sa fin prochaine. Nous lui proposâmes donc les dernières consolations de la religion, qu’elle accepta avec reconnaissance. Elle reçut les sacrements avec un bonheur et un calme qu’on ne saurait décrire ; puis, sur sa demande, nous lui récitâmes les litanies de l'Immaculée Conception.
Etant un jour près de son lit, nous lui parlions du ciel, de la Sainte Vierge ; alors elle exprima ce désir : " Je voudrais que, pendant mon agonie, il y eût là soixante-trois enfants disant chacune à la Sainte Vierge une des invocations qui rappellent son Immaculée Conception ".
Quelques anciennes compagnes ou amies de la maison vinrent dans la journée la visiter une dernière fois ; l’une d’elles, s’approchant, lui dit avec un accent de tristesse : " Soeur Catherine, vous allez donc partir sans me dire un mot de la Sainte Vierge ? ". Alors la mourante se pencha vers elle et lui parla assez longuement à l’oreille. " Je ne dois pas parler, c’est M. Chevalier qui a mission pour cela ". Elle ajouta cependant " La Sainte Vierge est peinée, parce qu’on ne fait pas assez de cas du trésor qu’elle a donné à la Communauté dans la dévotion à l'Immaculée Conception ; on ne sait pas en profiter ".
Une supérieure, qui était venue la visiter, s’approcha aussi de la malade et lui parla des besoins de la Communauté, et elle finit en disant : " Ma bonne Sœur Catherine, quand vous serez au ciel, vous n’oublierez pas tout cela, vous ferez bien toutes mes commissions ". Elle lui répondit en souriant : " Ma Soeur, je veux bien, mais je ne sais pas comment je m’expliquerai, car j’ignore comment on parle au ciel ". Sur quoi l’autre Soeur, ravie de tant de simplicité, eut l’inspiration de lui dire : " Oh ! ma bonne Soeur Catherine, dans le ciel on ne parle pas comme sur la terre ; l’âme regarde Dieu et le bon Dieu regarde l’âme, et tout est compris ; c’est là le langage du ciel ". Alors notre Soeur prit un air radieux et lui répondit : " Oh ! ma Soeur, s’il en est ainsi, vous pouvez être tranquille, toutes vos commissions seront faites ".
A 4 heures du soir, une nouvelle faiblesse nous réunissait toutes auprès de cette chère mourante ; ce n’était pas encore cependant le dernier moment. Nous entourâmes son lit jusqu’au soir. A 7 heures, elle parut s’assoupir davantage et, sans la moindre agonie, sans le moindre signe de souffrance, elle rendit son dernier soupir. C’est à peine si nous pûmes apercevoir qu’elle avait cessé de vivre ....... Jamais je n’ai vu mort si calme et si douce.
Alors commença le miracle de l’humilité glorifiée ; cette humble soeur, dont personne n’avait remarqué la présence, fut soudainement entourée de personnes de tout âge, qui regardaient comme un immense bonheur de venir, non prier pour elle, mais se recommander à son intervention bénie.
Pendant toute cette nuit je cherchais en vain un endroit convenable pour la déposer, lorsque soudain, au son de la cloche de 4 heures du matin, je crus entendre résonner à mon oreille ces mots : " Le caveau est sous la chapelle de Reuilly. — Mais c’est vrai ! " me dis-je avec joie, comme une personne qui voit se réaliser tout à coup un désir longtemps contrarié, me ressouvenant que lors de la construction de la chapelle, on avait ménagé un caveau, auquel la mère Mazin n’avait point voulu donner de destination, disant qu’il pourrait servir plus tard.
Il n’y avait pas de temps à perdre. Nous étions à la veille de son convoi, et les autorisations, si difficiles à obtenir, n’avaient pas encore été sollicitées. Le caveau fut préparé à la hâte, et les démarches, appuyées par des personnes haut placées, réussirent comme par enchantement.
Le 3 janvier, fête de sainte Geneviève, était le jour fixé pour l’enterrement de celle que nous regardions, dès lors, comme l’ange tutélaire de notre maison. Mais ici ce n’est pas le mot d’enterrement qu’il me faut employer, c’est plutôt celui de triomphe, car c’en fut un véritable pour notre humble Soeur.
A l’entrée du caveau, la foule dut s’écarter, et nos Enfants de Marie saluèrent l’arrivée du corps par le chant béni de : O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. Impossible de rendre les émotions de ces funérailles d’un genre tout nouveau.
Afin de conserver notre trésor, il fallut murer l’entrée souterraine, mais on y ouvrit une communication avec la chapelle » (Note : Le tombeau de la Soeur est 77, rue de Reuilly).
Les pauvres que Sœur Catherine avait soignés déposèrent une magnifique couronne sur la tombe de l’humble fille de saint Vincent, qui ne chercha jamais que la voie la plus commune, et qui avait supplié la Sainte Vierge de la laisser inconnue !...
La vie de la Soeur Labouré a été la réalisation fidèle de cette parole de Notre-Seigneur dans l'Evangile : « Je vous rends grâces, mon Père, de ce que vous avez caché ces choses aux sages du siècle pour les révéler aux humbles et aux petits ». Jamais les dons de Dieu ne furent mieux à couvert dans une âme sous le double manteau de l’humilité et de la simplicité.
Puisse cette notice biographique mettre au grand jour ce que Soeur Catherine a si soigneusement caché, et que soit accomplie la promesse de Notre-Seigneur : Celui qui s’humilie sera exalté !
(Alfred
Milon)
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