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Capture d'un corsaire espagnol par des lannionnais

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CAPTURE D'UN CORSAIRE ESPAGNOL PRÈS DE PERROS-GUIREC 

Par des habitants de Lannion le 28 août 1648.

Mon intention n'est point de faire ici, même très succinctement, l'historique de la course ni celui de la piraterie sur les mers qui baignent la Bretagne.

Je me propose tout simplement de signaler, d'après un procès-verbal conservé dans le fonds du Parlement de Bretagne [Note : Minutes d'arrêts de Grand'Chambre, mois de septembre 1648], un des nombreux épisodes de cette lutte plusieurs fois séculaire entre marins bretons, anglais et espagnols, où les premiers se sont acquis tant de gloire par l'audace et l'impétuosité de leurs attaques, souvent couronnées d'un plein succès.

Ce document, bien qu'il ne remonte qu'au milieu du XVIIème siècle, m'a paru assez curieux pour être exhumé de la poudre des archives, tant à cause des détails circonstanciés qu'il contient que des noms des braves qui prirent part à l'action. Voici les faits, sans autre préambule.

Bateau corsaire, près de Lannion

On était à la fin du mois d'août 1648 et Condé venait de gagner la bataille de Lens. La guerre de Trente ans était finie et la paix de Westphalie allait être signée, lorsque les habitants de Lannion furent avertis qu'une petite frégate (ailleurs on dit une pinasse), montée par des « pirates et écumeurs de mer », se tenait depuis plusieurs jours cachée en embuscade derrière « l'isle de Tafeac, l'une des Sept-Isles, entre les ports et hâvres de Perros et du Port-Blanc », à deux lieues de la côte [Note : Actuellement, les Sept-Iles se nomment : l'île aux Moines, l'île Plate, l'île Rouzic, l'île Bonno, l'île Melban, l'île du Cerf et la Pierre à l'Oiseau. Des actes des XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles donnent à l'une des Sept-Iles les noms suivants : Tanffueacq, « ès du mettes Port-Blanc » (1515), Taneac, Tarreac, Tousveac, Taveac. Cette appellation (Tanffueacq, Tafeac, Taveac), qui ne paraît convenir à aucune des îles ci-dessus énumérées, ne désignerait-elle pas l'île Tomé, plus rapprochée de la côte et située assez près du Port-Blanc, « es mettes du Port-Blanc ? ». Il faudrait en conclure qu'alors l'île Tomé était parfois considérée comme appartenant au groupe des Sept-Iles, malgré son éloignement du reste de ce petit archipel]. La nouvelle en était venue par des pêcheurs, qui racontaient que le navire ennemi était armé de canons, de pierriers, de grenades, de pots-à-feu, mousquets, pistolets, piques et autres engins de guerre ; ils avaient été forcés, ajoutaient-ils, de porter à ces « pirates » de l'eau, du poisson et « autres commodités » et avaient vu deux barques dont ceux-ci s'étaient emparés, avec des otages, en attendant rançon.

La population de Lannion se composait, en grande partie, de marins et d'armateurs, que cette nouvelle mit en goût de courir sus à l'ennemi. Le 28 août 1648, au matin, l'un des notables habitants de Lannion, escuyer Yves Le Bouloign, sieur de Kerfoz, vint trouver le sénéchal René du Trévou, sieur de Kersauzon, lui raconta ce qui précède et lui dit que plusieurs jeunes hommes de la ville, gens de cœur et expérimentés au fait de la marine, s'offraient d'aller prendre ou chasser ces « voleurs et pillards », si on voulait leur fournir un ou deux bâtiments avec des matelots pour la manœuvre. Le sénéchal accorda aussitôt l'autorisation requise. Après dîner, le sieur de Kerfoz revint, en compagnie de François Le Bouloign, sieur de Kermarquer, Jacques de la Boëssière, sieur de Kermelven, Jacques Le Goadic, sieur de Kervrauguen, Yves Henry, sieur de Boishenry, et de nombre d'autres jeunes hommes, armés de pistolets, coutelas et mousquets. Tous se rendirent, avec le sénéchal de Lannion, à Ploumanach, près de Trégastel, en face des Sept-Iles. Là, on équipa une gabarre de dix tonneaux, et vingt jeunes gens s'y embarquèrent avec dix matelots, sous la conduite dudit Le Goadic, « homme de grand cœur et expérimenté pour telles entreprinses », et qui avait obtenu, en 1646, la permission d'armer en guerre [Note : Par commission de la reine-mère régente, en date du 12 octobre 1646]. Mais le sénéchal, homme prudent, trouvant que cet équipage était un peu faible pour l'entreprise, se rendit en diligence à la rade de Perros et fit équiper une seconde gabarre, où montèrent vingt-cinq hommes, matelots et soldats, aussi bien armés de haches, piques, mousquets et coutelas, sous le commandement de écuyer Pierre Jacob, sieur du Pradou.

A minuit seulement, les deux embarcations se rejoignirent et mirent à la voile droit vers l'île en question. L'abordage eut lieu vers une heure et demie du matin. La frégate fut cramponnée et saluée d'une décharge de mousquets. Mais l'ennemi était sur le qui-vive, car il répondit aussitôt par une semblable décharge. Le combat dura près de deux bonnes heures. Enfin, la victoire resta aux Bretons, et vers cinq heures du matin, le sénéchal, qui avait assisté de loin, de la pointe du havre de Perros, au combat naval, avec le sieur de Kerfoz et divers habitants, parmi lesquels Maudet de Trolong, sieur de Trofeuntan, vit arriver dans le havre de Perros le brave Le Goadic, amenant trente prisonniers, qui furent d'abord enfermés dans la tour de l'église de Perros. Vers dix à onze heures, on partit pour Lannion avec des hallebardiers et des mousquetaires de la côte, pour la garde des prisonniers.

Mais la lutte avait été meurtrière. Le sénéchal dut rester en arrière pour faire traiter et confesser les blessés, au nombre de trente-deux, appartenant à l'un et à l'autre parti, et pour faire transporter à Lannion le corps du sieur de Boishenry, qui avait été tué dans le combat, ainsi qu'un nommé Jacinthe Bellasco, l'un des « pirates ». Celui-ci fut enterré à Perros. Guillaume Lambert, l'un des blessés, avait reçu vingt-deux coups tant de pistolet, que de piques et de haches. Son état était désespéré. Après avoir accompli ces pieux et tristes devoirs et fait mettre à terre le reste des « pirates » estropiés, le sénéchal du Trévou regagna la ville de Lannion, où il trouva ses prisonniers, qu'il apprit alors être de nationalité espagnole. Ceux-ci furent enfermés dans la prison et le sénéchal alla prendre jusqu'au lendemain un repos dont il devait avoir grand besoin.

Le 29 août, la frégate espagnole fut amenée au quai de Lannion, afin de procéder à l'inventaire des armes, apparaux et ustensiles trouvés à bord. C'était en réalité une pinasse de vingt tonneaux seulement [Note : Ce tonnage paraît bien faible. Peut-être y a-t-il erreur de chiffre dans le procès-verbal ? Cependant le même chiffre (20) se retrouve dans la lettre du procureur du roi], nommée Notre-Dame du Rosaire. Toutefois le procès-verbal en fait une « frégade », en corrigeant plusieurs fois le mot pinasse, écrit d'abord par le greffier.

Elle était bien gréée de voiles et d'avirons, au nombre de dix-huit. Mais comme le sénéchal n'avait pas le temps de faire de suite l'inventaire, il fit fermer et clouer les ponts, puis rédigea le procès-verbal, dont on vient de lire l'analyse.

Le 30 août fut consacré à l'interrogatoire du capitaine espagnol. Deux bourgeois de Lannion, noble Pierre Ilixaut, sieur de Kerguellen, syndic de la communauté, et Louis Le Goffic, qui avaient « hanté la terre d'Espagne pour leur commerce », servirent d'interprètes.

Le geôlier de la prison amena le susdit capitaine, nommé Laurence de Recavaren. Celui-ci était vêtu « d'un habit de toile mouchetté » et tenait à la main un « carepoulle » (?) de drap gris. Il avait les cheveux noirs et la barbe châtain.

Aux questions qui lui furent posées par le sénéchal de Lannion, Recavaren fit les réponses dont voici le résumé : Il avait trente ans, était né à « Catharye » (Guetaria, sans doute), en Biscaye, et habitait Saint-Sébastien depuis dix ans. Il avait obtenu, trois semaines auparavant, de don Jouan de Garay, capitaine-général de la province de Biscaye et de l'armée du Nord, une commission (lettre de marque) pour faire la guerre contre la France et était parti de Saint-Sébastien le jour saint Laurent (10 août), avec trente-neuf hommes d'équipage, ayant pour lieutenant Jan Darresti, de Fontarrabie. Mais ce dernier avait eu le bras emporté d'un coup de canon, à l'abordage d'une barque du Pouliguen, qui fut prise et conduite à Saint-Sébastien, avec le susdit lieutenant blessé. Le maître de la pinasse se nommait Martin d'Etchevaria, de Saint-Sébastien, et le contre-maître Thomas Douarlé, du Passage. Tous les matelots étaient Espagnols, sauf Jean Morlaine, originaire du Béarn, mais marié à Saint-Sébastien [Note : D'après une lettre du sénéchal, du 1er septembre 1648, au procureur général, l'équipage se composait d'un ramassis de Béarnais, Wallons, Italiens et Flamands]. Enfin, le pilote était un Breton de Brest, nommé Mathieu, qui se trouvait à Saint-Sébastien au moment du départ de la pinasse et avait consenti à s'embarquer avec eux moyennant quarante réales. Leur seconde prise, après la barque du Pouliguen, fut une barque du Conquet, rencontrée dans le Raz, et que le capitaine espagnol rendit à son maître moyennant une rançon de cent pièces de cinquante-huit sous. Le jour même de leur arrivée aux Sept-Iles, le 21 août, ils s'étaient emparés de deux barques du Croisic, dans la rade de Perros, et le jeudi 27 d'une troisième barque chargée d'ardoises.

Interrogé sur l'armement de sa frégate, le capitaine espagnol répond qu'il y avait à bord un canon de quatre livres, 2 pierriers, environ 38 grenades, 18 mousquets et arquebuses, 6 ou 7 pistolets, 10 grandes piques et 11 demi-piques, 9 ou 10 haches avec le marteau, à manches de deux à trois pieds de long, 10 ou 12 coutelas, 80 ou 100 livres de poudre, 200 balles de mousquets, 30 balles de canon et 50 livres de mèches.

Quant aux vivres, ils avaient emporté de Saint-Sébastien 24 quintaux de biscuit, 100 livres de lard, 3 « favequen » de pois [Note : 27 favequen faisaient un tonneau], une barrique de vin de Gascogne, 24 pots [de vin] d'Espagne, 4 quintaux de morue sèche et 14 barriques de cidre. Aucun objet de literie : matelas, couettes ou couvertures, rien que leurs capes de mer. Les 150 pièces de 58 sols trouvées dans un coffre provenaient des prises, car à leur départ d'Espagne ils n'avaient ni or ni argent.

Recavaren proteste énergiquement contre le titre de pirate et d'écumeur de mer ; il fait la guerre et sa commission est en règle ; d'ailleurs, il a toujours, dit-il, fait « quartier et bonne guerre à ceux qu'il prenoit ».

Le 1er septembre suivant, le sénéchal de Lannion envoya copie desdits procès-verbaux de saisie et d'interrogatoire au procureur général du Parlement, Huchet de la Bédoyère, avec une traduction de la Commission en espagnol, délivrée le 8 août 1648 par le capitaine général de Biscaye. Le même jour, le procureur du Roi à Lannion, Maurice Talec, écrivit une lettre à M. de la Bédoyère, pour savoir de quelle façon il fallait traiter les prisonniers espagnols, comme pirates ou comme prisonniers de guerre. 

Le 10 septembre 1648, la Grand'Chambre du Parlement rendit, sur les conclusions du procureur général, un arrêt et ordonnant aux officiers de la juridiction royale de Lannion de procéder extraordinairement contre le pilote Mathieu, en sa qualité de Breton. Quant aux prisonniers espagnols, il fut décidé d'attendre l'avis du Roi de France, avant de statuer sur leur sort. Là s'arrêtent les renseignements que j'ai pu trouver sur cette affaire (Paul Parfouru). 

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