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FÉLIX LE DANTEC (1869-1917) |
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Félix-Alexandre Le Dantec, né le 16 janvier 1869 à Plougastel-Daoulas dans le Finistère et mort le 6 juin 1917 à Paris de tuberculose, est un biologiste et philosophe des sciences français. Elève de classes préparatoires au lycée Janson-de-Sailly, il fut reçu, âgé de 16 ans seulement, premier à l'École normale supérieure en 1885 où il resta jusqu'en 1888. En 1899, il est nommé à la Sorbonne où est créée pour lui une chaire d'embryologie générale.
Félix Le Dantec vécut une partie de sa jeunesse dans la région de Lannion. En hommage, le lycée Félix-Le Dantec de Lannion porte son nom. Il existe aussi une rue Félix-Le Dantec à Brest, Saint-Brieuc, Quimper et dans le 13ème arrondissement de Paris.
J'ai connu Le Dantec, mais si peu, qu'on m'excusera de parler de ses œuvres plutôt que de sa personne. Ce fut aux fêtes universitaires et commémoratives de l'Union de la Bretagne et de la France, en octobre 1911, que je le vis pour la première fois ; en sa qualité de Breton et de Chargé de Cours à la Sorbonne, il y représentait la Faculté des Sciences de l'Université de Paris. Je lui fus présenté par un ami commun et crus devoir, comme entrée de conversation, lui parler en termes... plutôt approbateurs, de l'un des derniers ouvrages qu'il venait de publier : La Stabilité de la Vie. Il me répondit très brusquement : « Comment, vous perdez votre temps à lire ces choses-là » — Je ripostai sur la même corde : « Pourquoi pas, puisque vous avez bien perdu votre temps à les écrire ! » — Il sourit amicalement et reprit : « Oh ! moi, ce n'est pas la même chose ; j'écris pour me distraire ».
J'ai bien souvent depuis ramené ma pensée aux incidents de cette première entrevue, et je me suis convaincu que si la boutade de Le Dantec n'était pas vraie d'une façon absolue, elle l'était néanmoins dans une large mesure ; en réalité et en dépit de son tempérament combattif, Le Dantec travaillait surtout pour lui, pour sa satisfaction personnelle ; il le dit d'ailleurs très explicitement dans la préface de l'ouvrage indiqué ci-dessus.
« Les livres que j'ai écrits sont ceux que j'aurais voulu trouver dans les bibliothèques quand j'ai commencé à être dévoré du désir de comprendre la vie ; ces livres n'existaient pas, ou du moins, je n'ai pas su trouver, dans ceux qui existaient, la réponse aux problèmes que je me posais ; sans quoi, mon activité intellectuelle se serait vraisemblablement orientée tout autrement. J'ai travaillé à satisfaire ma curiosité ; j'y suis suffisamment parvenu, mais il est vrai qu'à mon âge la curiosité s'émousse d'elle-même. Quoi qu'il en soit, j'ai trouvé un réel plaisir dans mes études et je ne me formaliserai pas si les savants sérieux me traitent d'amateur, quand bien même mon effort aurait été utile à quelques personnes me ressemblant assez pour se poser les problèmes comme je me les suis posés ».
Le Dantec (Félix-Alexandre) est né à Plougastel-Daoulas (Finistère), le 16 janvier 1869 et non pas, comme le veut la légende, aux environs de Lannion ; il est probable cependant qu'il dut passer une bonne partie de sa jeunesse dans cette région, car il en parle assez fréquemment dans ses livres, et un certain nombre d'entre eux portent la mention : Ty plad en Pleumeur-Bodou. Doué de qualités exceptionnelles, Le Dantec entra à l'Ecole normale supérieure à l'âge de 17 ans (1886), après avoir suivi pendant deux années les cours du lycée Janson-de-Sailly, où il eut pour professeur notre éminent et regretté collègue, Emile Lacour. A sa sortie de l'Ecole, il fut admis près de Metchnikoff, comme préparateur à l'Institut Pasteur; en 1892, il fut nommé Maître de Conférences à la Faculté des Sciences de Lyon et, en 1899, chargé du Cours d'Embryologie générale à la Sorbonne.
Il est mort le 6 juin 1917 à l'âge de 48 ans.
« Il faut chercher l'homme dans ses oeuvres », a dit notre collègue, M. L. Dugas, dans l'étude intéressante et si finement documentée qu'il vient de consacrer à Théodule Ribot. Oui, certes, l'homme, le philosophe surtout, laisse toujours quelque part, dans ses œuvres, un peu de sa pensée intime, de ses aspirations profondes. La recherche de la personnalité est facile lorsque la production est homogène, peu étendue, et, s'il était permis de s'exprimer ainsi, d'un seul tenant ; mais, lorsqu'il s'agit d'une œuvre comme celle de Le Dantec, il en va quelque peu, autrement. Il ne faudrait pas s'imaginer qu’on aura, tout dit, lorsqu'on aura défini Le Dantec comme biologiste, ni même comme philosophe ; si Le Dantec est un philosophe, on devra reconnaître, en tout cas, que ce n'est pas un philosophe ordinaire, cantonné dans un petit coin limité des sciences de la vie ; il n'entend pas rester le biologiste du détail, le collectionneur des faits isolés ; il vise à être l'historien global, l'architecte de l'ensemble, qui ne conçoit le sujet que dans sa généralité et qui veut étudier la vie sous toutes ses manifestations. Il a d'ailleurs pris soin de définir le rôle du biologiste tel qu'il l'entend.
« C'est dans le fait d'extraire une loi générale de la constatation d'un fait particulier que se manifeste l'invention propre du biologiste ; sans doute, cette invention ne peut être réalisée que par un homme connaissant beaucoup de choses, et des choses très variées dans le domaine des sciences naturelles ; il faut aussi que cet homme se soit posé, à l'avance, un certain nombre de questions dont la solution intéresse le problème général de la vie ; mais une certaine tournure d'esprit est encore plus indispensable ».
Il n'est pas douteux que Le Dantec ne se soit posé un grand nombre de ces questions et que sa « tournure d'esprit » ne lui en ait facilité la solution, du point de vue où il s'était placé. Du fait qu'il a le plus souvent, quitté l'étude directe des phénomènes pour s'élever jusqu'à la recherche des lois générales « par des voies purement spéculatives », on a voulu voir en lui seulement le philosophe ; admettons : philosophe de cette trempe-là, ne l'est pas qui veut. Le Dantec, en réalité, est toujours resté dans le domaine des sciences qui lui étaient familières et pour lesquelles il s'était admirablement préparé dès le début de sa carrière scientifique ; s'il est devenu philosophe, il ne l'est devenu qu'après avoir fait son éducation de naturaliste, c'est-à-dire après avoir acquis toutes les connaissances qui lui permettaient d'asseoir ses théories sur des faits, au lieu de les bâtir, comme tant d'autres, qui se disent aussi philosophes, sur des mots ou sur de simples vues de l'esprit ; on ne s'avancerait d'ailleurs certainement pas trop en disant que les ouvrages de Le Dantec ne peuvent être entièrement compris que par des médecins ou des naturalistes ; d'autres pourront en discuter brillamment, cela va sans dire, mais les divergences de vues, s'il s'en élève, ne pourront s'attaquer qu'à des nuances d'interprétation, car la plupart des faits, qui sont à la base de toute son œuvre, et en dehors desquels elle n'a aucun sens, restent, de toute façon, inattaquables au point de vue scientifique.
D'ailleurs Le Dantec se rend très bien compte qu'il ne suit pas les chemins fréquentés par tout le monde ; il prend soin de définir ses méthodes : « Je n'ai pas, dit-il, la prétention de refaire toute la biologie, je voudrais seulement en fixer les méthodes » ; malheureusement, comme il lui faut pour cela la moitié d'un volume, nous ne pouvons pas le suivre sur ce terrain. Quoi qu'il en soit, il insiste toujours sur le caractère de généralité des phénomènes qu'il entend étudier ; et, ce qui domine, dans ses œuvres, c'est incontestablement le souci de la méthode et de la sincérité.
Pour donner une idée aussi exacte que possible de l'œuvre de Le Dantec, il nous faudrait suivre l'auteur dans les trois étapes successives de son évolution : 1° d'abord, comme Naturaliste ; 2° comme Biologiste et 3°, en dernier lieu, comme Philosophe. Nous ne pouvons nous occuper ici que de la première étape, bien que les trois aspects de son activité scientifique soient liés si intimement qu'il est à peu près impossible, au moins pour la dernière moitié de sa vie, de séparer le Philosophe du Biologiste.
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Pour étudier Le Dantec, simple naturaliste, il nous faut remonter jusqu'au début de sa carrière scientifique, c'est-à-dire à l'époque de ses tout premiers écrits.
La première, en date, de ses productions, paraît étre la thèse de doctorat ès-sciences qu'il soutint, en 1891, à l'âge de 21 ans, sur la Digestion intracellulaire chez les Protozoaires ; elle est dédiée à Pasteur, dont il fut, semble-t-il, l'un des élèves préférés. Cette thèse, dont le sujet lui fut probablement suggéré par Metchnikoff, ne nous dit rien des motifs qui l'avaient conduit à s'engager dans cette direction, laquelle, au premier abord, paraît si éloignée des préoccupations qui l'obsédèrent plus tard : en réalité, il avait eu la chance de trouver sa voie du premier coup.
De toute évidence, celui qui apprend à lire, doit reconnaître les lettres tout d'abord, avant de les assembler; ce n'est que plus tard, après un « long effort », qu'il arrivera à saisir le sens des idées que, groupées, elles représentent. Il en est de même pour l'étude de la vie ; pour la comprendre, dans sa complexité, chez les animaux supérieurs, il fallait l'étudier d'abord dans ses manifestations les plus élémentaires, c'est-à-dire chez les êtres formés d'une seule cellule, les Monoplastidaires, pour s'élever ensuite jusqu'à la connaissance des êtres Polyplastidaires, à l'Homme en particulier. Tel fut le but continuellement poursuivi par Le Dantec ; et le résultat de ces premiers efforts fut la publication, en 1896, de la Théorie nouvelle de la Vie, ouvrage où les tendances du Biologiste s'affirment déjà fortement et qu'il considère lui-même comme le plus important de tous ceux qu'il a composés. De fait, tous les autres livres qu'il écrivit ensuite, ne sont guère que la paraphrase de celui-là, soit pour le compléter, le commenter, soit pour appliquer quelques-unes de ses conclusions à des sujets plus spéciaux qui par là s'éclairent d'une lumière nouvelle.
Ainsi donc, toute l'oeuvre de Le Dantec est bien l'aboutissant logique de ses premiers travaux comme naturaliste ; mais pour conduire cette œuvre au point où il l'a conduite, il fallait, comme il le dit, « une certaine tournure d'esprit », et « se poser, à l'avance, un certain nombre de questions ».
Pour en revenir à la Digestion chez les Protozoaires, on peut dire que les faits de simple observation établis par Le Dantec dans ce travail, ont une importance capitale. Ce fut la démonstration, par une série d'expériences ingénieuses et fort bien interprétées, de l'ingestion purement mécanique, des particules, alimentaires ou non, par les Amibes et par les Infusoires ciliés ; cette ingestion est suivie de la transformation des parties utilisables de ces particules, dans les vacuoles du protoplasma, sous l'influence d'une substance acide renfermant, au moins dans certains cas, une fonction peptogène. Quant à l'assimilation consécutive des substances digérées, elle est probablement directe, « le contenu de la vacuole finissant par faire complètement corps avec le protoplasma » et « les propriétés de son contenu lui permettant de se mélanger complètement avec ce dernier » par suite « des modifications dont elle a été le siège ».
Ce travail est évidemment un simple exposé des phénomènes dont l'auteur a été témoin, mais les conclusions qu'il en tire, et qu'il ne cessera de développer dans la suite, dépassent de beaucoup les faits d'observation courante ; ces conclusions, en effet, ne sont pas applicables uniquement aux Amibes et aux Infusoires ciliés, mais elles le sont à toutes les cellules vivantes, que celles-ci soient isolées, ou soit qu'elles fassent partie d'un organisme compliqué. Le Dantec se révèle déjà dans ce travail, non seulement comme un observateur très sagace, mais aussi comme un généralisateur de premier ordre ; le philosophe transparaît déjà sous le biologiste.
L'ouvrage qui vint ensuite, dans l'ordre des dates, est l'étude de Le Dantec sur la Symbiose des Algues, publiée dans les Annales de l'Institut Pasteur en 1892.
En 1895 parut La Matière vivante, avec une préface d'Alfred Giard qui fut, comme Le Dantec, l'un des esprits les plus libres de son temps.
Le Dantec n'avait abordé, dans sa thèse, que les phénomènes de digestion chez les Protozoaires ; ici, il complète ses observations en y ajoutant l'étude des mouvements et de l'irritabilité, mais déjà, des préoccupations qui n'avaient point jusqu'ici hanté le naturaliste, apparaissent ; l'auteur oppose, dès le début de son travail, les deux points de vue sous lesquels les phénomènes de la vie ont été, de tout temps, considérés : soit comme le résultat d'un principe supérieur et immatériel se manifestant dans la matière inerte et obéissante, soit comme le résultat des lois générales de la matière, sans l'intervention d'une intelligence motrice toujours présente.
Puisque les philosophes ont discuté pendant des siècles sur ce sujet sans réussir à s'entendre, il veut soumettre les faits au contrôle de l'expérience. Présenté sous cette forme, le projet est audacieux... et vaste, parce que l'ensemble des phénomènes, sur la nature desquels roulent les éternelles controverses entre les philosophes, c'est la vie elle-même ; la vie dans ce qu'elle a de plus complexe, puisqu'il ne s'agit de rien moins que de l'explication totale des phénomènes de conscience chez les animaux supérieurs.
En vertu de l'axiome cartésien, un philosophe, qui ne serait pas biologiste, partirait sans doute ici des phénomènes de conscience eux-mêmes, c'est-à-dire des manifestations les plus élevées dont il semble que l'Homme soit le siège : « Je pense, donc je suis » ; Le Dantec, naturaliste averti, ne va pas prendre le problème, ainsi qu'on pourrait dire, à ses conclusions ; il va le prendre à sa base : « Je pense ! ». Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est là un mot qui signifie trop de choses et par suite rien de précis ; il faut expliquer ce mot, s'entendre sur sa valeur exacte ; l'Amibe pense-t-elle, lorsqu'elle se dirige du côté de la lumière, ou lorsqu'elle contracte ses pseudopodes sous l'action des réactifs. Le principe cartésien n'aura de valeur que s'il est général, et voilà pourquoi Le Dantec veut ramener le problème de la pensée à ses bases initiales, à ses limites vraies ; il va procéder expérimentalement à l'étude de la matière vivante élémentaire, autrement dit à l'étude du protoplasma.
« Il ne suffit pas, dit Alfred Giard (Préf. p. 8), pour discuter sur la nature et les origines de la vie et de la pensée, d'avoir vu disséquer un cerveau (c'est à cela que se borne généralement l'instruction biologique de nos philosophes !) il faut avoir fait de sérieuses études dans les diverses branches de la biologie et de la physico-chimie. Il faut posséder non sans doute tous les faits, mais au moins les méthodes scientifiques modernes. A défaut de cette armature, toute conception générale de la vie, toute théorie de la matière vivante, quel que soit d'ailleurs le talent littéraire de son auteur, est condamnée à s'écrouler sans avoir servi au progrès de l'esprit humain, ni au développement des idées morales qu'elle prétend servir ».
« Il faut féliciter M. Le Dantec d'avoir résumé en quelques pages, merveilleusement claires et précises, ce que nous savons aujourd'hui sur le mécanisme de la matière vivante élémentaire. Par des expériences ingénieuses et conduites avec une habileté et une ténacité dont nous pouvons témoigner ici, M. Le Dantec a résolu, d'une façon très satisfaisante, le problème de la nutrition du protoplasma, de son accroissement, de sa mobilité, etc... Si le rôle du noyau présente encore à notre esprit bien des points mystérieux, une grande partie de la physiologie de la cellule, devient beaucoup plus facile à comprendre et cela indépendamment des hypothèses récentes sur la structure morphologique du protoplasma ».
Ce n'était pourtant pas certes, une théorie nouvelle en biologie, que celle qui cherchait à démontrer que la vie n'était point du tout sous la dépendance d'un principe vital, mais pouvait se ramener, en dernière analyse, à des réactions physico-chimiques s'accomplissant au sein des cellules. Plusieurs philosophes de l'antiquité l'avaient déjà affirmé, mais sans preuves ; Claude Bernard avait également expliqué, mais d'une manière trop générale, que « les forces physiques ou chimiques agissent, dans les organismes comme dans le monde minéral ; que tout phénomène reconnaît une ou plusieurs causes nécessaires et suffisantes pour amener la production ». Le Dantec soutient ces affirmations avec des preuves plus concrètes, parce qu'il a mis le problème sur le terrain expérimental et en remontant jusqu'aux origines de l'irritabilité cellulaire. Comme nous ne pouvons pas le suivre dans le détail de ses expériences, nous nous bornerons à indiquer ses conclusions : 1° en ce qui concerne les mouvements du protoplasma, il établit que : « toute cause qui modifie l'état d'équilibre des plastides, modifie également leur état de mouvement ; toutes ces modifications, qui sont sous l'influence des excitations mécaniques, lumineuses, calorifiques, électriques, chimiques, etc..., n'ont rien de mystérieux et ne sortent pas des lois générales de la physique et de la chimie » ; 2° en ce qui concerne les échanges avec le milieu extérieur, il montre que la substance du plastide (cellule), à l'état de vie manifestée, absorbe continuellement de l'oxygène et dégage du gaz carbonique ; il y a donc perte continuelle de carbone ; et, comme ce carbone doit être remplacé, il faut donc qu'il y ait addition de matière nouvelle à la substance protoplasmique, pour que ladite substance protoplasmique conserve ses propriétés. Comme on le voit, sous une simple formule, Le Dantec envisage le cycle des phénomènes de nutrition tout entier ; mais, le phénomène sur lequel il insiste le plus, c'est le phénomène d'addition.
Le Dantec a étudié directement ce phénomène d'addition chez plusieurs plastides libres de la classe des Rhizopodes et des Infusoires ; c'est une extension notable des points de vue de sa thèse et il conclut que le but essentiel de tous les échanges (assimilation et désassimilation) est de maintenir constante, entre certaines limites, la composition du protoplasma.
Voilà donc élucidées les questions de mouvements et d'échanges, mais ce n'est pas tout : chaque être représente une masse d'équilibre qui lui est propre, autrement dit une forme, parfaitement déterminée et capable de se maintenir, identique à elle-même, pendant longtemps. Comment expliquer la persistance de cette forme à l'aide des seules ressources de la physique et de la chimie, et non plus par l'accomplissement d'un plan conçu d'avance, par un auteur mystérieux, poursuivant un but inconnu de nous ? Pour arriver à résoudre cette difficile question de la forme spécifique, Le Dantec rappelle d'abord la manière de voir de Claude Bernard qui, croyant à l'unité de la vie, admettait, par voie de conséquence, l'unité de la matière vivante ; Le Dantec, au contraire, professe que chaque espèce déterminée de plastides, possède une substance propre, et qu'à chacune de ces substances propres correspond une forme d'équilibre spéciale ; en un mot, la variété des formes est pour lui une conséquence de la variété des protoplasmas et il y a toujours, dit-il, un rapport déterminé « entre la composition chimique des substances vivantes et la forme d'équilibre de leur vie élémentaire manifestée ».
Ces conclusions, tirées par Le Dantec de l'étude des êtres monocellulaires (plastides) s'appliquent également, si elles sont vraies, aux êtres polyplastidaires : la forme spécifique externe est une conséquence des propriétés, également spécifiques, de la substance vivante ; le Stentor et la Paramécie acquièrent des formes (d'équilibre) différentes, par ce qu'ils possèdent, l'un du protoplasma de Stentor, l'autre du protoplasma de Paramécie ; mais on peut aller plus loin et voici la conclusion générale de ce chapitre intéressant : « Nous savons aujourd'hui qu'un Homme, un Poulpe, un Chien, sont des êtres constitués par un nombre extrêmement grand de petites masses gélatineuses (cellules) munies d'un noyau : ce sont les plastides. Mais nous savons aussi que certains plastides peuvent exister isolément ; on peut les étudier au microscope, on constate alors que chaque plastide, malgré sa simplicité, se meut, se nourrit, évolue et se multiplie. Lorsque nous avons constaté cet ensemble de caractères, nous disons que le plastide vit, mais alors on peut considérer la vie de l'Homme, du Poulpe, du Chien, comme étant le résultat des activités synergides des milliards de plastides dont ils sont constitués, car eux aussi se meuvent, se nourrissent, évoluent et se multiplient. La vie des êtres polyplastidaires, leur activité, résultent donc, non seulement de toutes les activités élémentaires de leurs plastides, mais encore de la coordination de ces activités élémentaires ». Pour être complet et pour parler comme Le Dantec, on pourrait ajouter que si les formes d'équilibre (formes spécifiques) de l'Homme, du Poulpe, du Chien, sont différentes, c'est parce que les substances vivantes, qui servent à édifier leur masse, autrement dit leurs protoplasmas, ont eux-mêmes des constitutions chimiques très différentes et par suite des propriétés de réaction qui leur sont propres.
Ce n'est pas que la part de l'imagination soit trop grande dans ces conclusions, et il est même possible que ces idées ne sont pas absolument neuves pour tous les biologistes ; mais, ce qui est certain, c'est que, jusqu'à présent, on avait négligé de les considérer comme des principes et de les faire servir aux fondements mêmes de la biologie.
Avec les quelques travaux dont nous venons de faire le bref exposé, se trouve close, en quelque sorte la période d'activité du Naturaliste que fut Le Dantec ; à partir de ce moment, il se laisse entraîner vers des travaux de biologie purement spéculative, mais toujours appuyés, cependant, sur les théories qu'il avait défendues. Doit-on lui en faire un grief ? Ce serait fort injuste. Comme tous les êtres, Le Dantec a évolué dans la voie qui lui a été imposée par les propriétés de son protoplasma. Il n'admettait, pour l'Homme, qu'une liberté très relative ; et, s'il est devenu, comme il le dit lui-même, « un aventurier de la science », il n'en est, d'après sa théorie, en aucune manière responsable : telle est la vérité. D'ailleurs, pourquoi le regretter ? Telle qu'elle est, la personnalité de Le Dantec est loin d'être banale ; les naturalistes, au sens étroit de ce mot, « les hommes de laboratoire » comme on les appelle quelquefois, ne manquent pas, en effet, chez nous, mais les biologistes de sa trempe ne courent pas les rues. Au lieu de faire des reproches à Le Dantec d'avoir quitté la voie des recherches expérimentales, nous devons, au contraire, lui savoir gré d'avoir mis debout une œuvre hors de pair et absolument unique, dans la littérature scientifique de tous les pays.
Nous n'étendrons pas davantage cette analyse, et nous laisserons à d'autres, plus compétents, le soin d'exposer la part du philosophe et du biologiste ; il nous faudrait d'ailleurs presque toujours revenir sur les mêmes principes pour nous tenir dans le domaine de l'expérience et des bases concrètes. Nous aurions pu, comme tant d'autres, chercher dans les travaux de Le Dantec des faiblesses, des contradictions, peut-être même des inexactitudes ; nous avons préféré y chercher l'œuvre du Savant. On pourra dire, en la résumant, que sa contribution personnelle à la recherche des faits est peu considérable ; qu'importe ! L'œuvre est loyale ; et, malgré tout, on restera étonné devant l'ampleur des développements que l'auteur a su lui donner.
Il faut bien dire aussi que toutes les questions traitées par Le Dantec ne sont pas, comme on pourrait dire... accessibles de plain-pied pour tous ses lecteurs ; il en est qu'il faudrait longuement préambuler et qui, par conséquent, ne peuvent pas trouver place dans les limites d'une simple note bibliographique : tels sont la plupart des chapitres de ses livres sur La Science et La Stabilité de la Vie, principalement ceux qui traitent de l'Habitude, des Caractères acquis, de la Parthénogénèse ; et, sous la forme d'une vaste synthèse de tout cela, des différentes modalités de l'Energie vitale.
Nous nous sommes borné à signaler çà et là, au hasard en quelque sorte, quelques-unes des idées de Le Dantec, sans chercher à les approfondir ; pour ceux qui voudront le connaître plus à fond, il n'est qu'un seul moyen : c'est de lire ses ouvrages et de les méditer.
C. HOULBERT.
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