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ORIGINES DU PRIEURE DE KERMARIA A LANNION

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Les plus anciens documents, à ma connaissance, où se trouve nommée la ville de Lannion sont ceux qui regardent le prieuré de Kermaria, dont les derniers restes se voient encore aujourd'hui dans l'un des faubourgs.

Le nom complet est Kermaria an Draon, dont on fait souvent Kermaria an Draou, an Drou et an Dro, ce qui se traduirait assez bien en français par Notre-Dame de la Vau ou de la Vallée, car traon, traou, trou, tro, et en composition draon, draou, signifie en breton vallée ou vallon ; an est l'article, Maria, Marie, et Ker, comme on sait, ville ou village. En latin on l'appelle ecclesia Sanctœ Maria de Lannion ; et le pape Alexandre III, dans la bulle où il confirme les diverses possessions de l'abbaye de Saint-Jacut, et qui est datée du II des Nones de juin (4 juin) 1163, mentionne formellement ecclesiam Sanctœ Mariœ de Lannion cum omnibus pertinentiis suis. Cette mention est la première que je connaisse ; il en résulte que cette église existait avant 1163, et n'a pu, par conséquent, être construite en 1178, comme l'affirme la nouvelle édition du Dictionnaire d'Ogée : tout au plus pourrait-on dire reconstruite, s'il existait quelque preuve sérieuse d'une reconstruction en cette année-là.

Mais quelles étaient ces appartenances (pertinentiœ) du prieuré de Kermaria dont parle la bulle d'Alexandre III ? Une autre bulle, donnée en 1188 par le pape Clément III pour l'abbaye de Saint-Jacut, nous le fait connaître. Ces deux bulles, autant que je le crois, sont inédites ; mais le texte nous en a été conservé par le bénédictin D. Noel Mars, dans son histoire manuscrite de l'abbaye de Saint-Jacut-de-l’Ile, composée en 1649, et que j'ai eu le plaisir de retrouver dernièrement. « Comme c'estoit la coustume en ce temps-là, dit D. Noel Mars, de faire ratifier par Sa Sainteté les dons et libéralités des fidelles, c'est pourquoy l'abbé de St Jagu, Henri, envoya de rechef à Rome pour avoir la confirmation des biens donnez au prieuré de Lannion, comme l'on peut voir par la charte suivante ». Puis il rapporte la bulle de Clément III, qui met dans les dépendances de Kermaria les églises de Notre-Dame du Château (ecclesiam S. Mariœ de Castello), de Saint-Géran (ecclesiam S. Geranni), de Notre-Dame de Lanmeur (ecclesiam S. Mariœ de Lanmeur) et deux autres églises encore dont les noms étaient déchirés ou illisibles, sur l'original, quand le P. Noel Mars en prit copie. Les trois noms qui subsistent demandent quelques commentaires. J'ignore ce qu'était l'ecclesia S. Geranni, et je confie le soin de la rechercher et de la reconnaître aux antiquaires de Lannion, dont le zèle est fort connu. — Ecclesia S. Marie de Lanmeur, c'est sans nul doute l'église de Kernitron ou N.-D. de Kernitron, près de Lanmeur ; ce nom de Kernitron signifie littéralement le village (Ker) de la (an) Dame (Itron ou Itroun), de la Dame par excellence, c'est-à-dire de la sainte Vierge, que nous appelons aussi en français Notre-Dame. Et de fait, au XVIIème siècle encore, dans la déclaration de l'abbaye de Saint-Jacut présentée au Roi en 1678, nous trouvons mentionnés, à la liste des bénéfices, « le prieuré de N.-D. de Lanmeur, dit Kerenitron, et la cure du mesme lieu, » ce qui, pour le dire en passant, ruine entièrement la tradition d'après laquelle l'église de Kernitroun aurait appartenu aux Templiers. Ajoutons que, pour être vraie, la tradition n'a peut-être qu'à se déplacer un peu, puisque la déclaration de la commanderie du Palacret, rendue au Roi par les chevaliers de Malte en 1683, décrit, parmi les dépendances de cette commanderie, « le membre de Loquirec en la paroisse de Lanmeur, » qui est Locquirec, aujourd'hui commune, mais jadis trêve de Lanmeur. Reste à savoir si les Hospitaliers héritèrent cette possession des Templiers ou si elle faisait partie de leur domaine primitif. En tous cas c'est là, ce semble, la source de la tradition.

J'arrive à l'Ecclesia S. Mariœ de Castello, qu'on ne doit point, selon moi, chercher en dehors de Lannion. J'y reconnaîtrais en effet très-volontiers l'église maintenant désignée sous le nom de Saint-Jean du Bali, aujourd'hui la paroisse de Lannion. Ce qui paraîtra sans doute assez vraisemblable, si l'on montre que jadis Saint-Jean du Bali (1°) s'appelait Notre-Dame, et (2°) était la chapelle du château.

Sur le premier point, les archives paroissiales de Lannion, par moi retrouvées, au mois d'octobre 1852, dans une armoire de la vieille sacristie du Bali, où personne n'en soupçonnait l'existence, ces archives nous fournissent nombre d'actes du XVème siècle (entre autres des années 1408, 1413, 1423, 1436, 1442, 1446, etc.), contenant des donations et des constitutions de rentes en faveur des prêtres « desservans et faisans les divins offices en l'eglise de Nostre Dame du Baly de Lannion ». J'ai même noté, sous la date du 24 décembre 1464, le testament d'un certain Jean Benoist, originaire du diocèse de Vannes et établi à Lannion comme marchand, qui déclare vouloir être inhumé « en la chapelle, laquelle il et Maguerite Rouzault, sa compaigne et femme espouse, avoint fait ediffier et construire devers le midy en l'eglise paroeschialle de Nostre-Dame du Bally de Lannyon ». Cette église n'a donc dû prendre le nom de Saint-Jean que vers la fin du XVème siècle tout au plus tôt.

Qu'elle ait été originairement la chapelle ou l'église du château de Lannion, cela résulte non-seulement d'une tradition fort répandue, mais encore d'un document écrit, existant aux archives de la paroisse, et qui est le débris d'un factum, composé vers la fin du XVIème siècle, dans le but, ce semble, de prouver que Saint-Jean du Bali n'était point originairement la paroisse de Lannion, ce qui est d'ailleurs incontestable. Ce factum rapporte des extraits d'un compte des recettes et dépenses du prieuré de Kermaria de l'an 1494-1495 ; puis il ajoute : « Est à noter que l'église du Bali n'estoit bastie audit temps (1495), ny long-temps après ; et se voit à hauteur d'homme de ras de terre gravé en une pierre de la tour, qu'elle fut commencée à bastir l'an 1519, qui est 24 ans après la date de la rendition dudit compte ; et l'achèvement de ladite église fut, comme il est aussy gravé en la lanterne où est posée la maistresse vitre, en l'an 1548. Tellement qu'il est vraysemblable que les fondz baptismaux estoient en l'eglise de Kermaria et mesme le sacraire, ou bien à Buhulien ; car il est certain et tres-veritable qu'antiennementt où est à present ladite eglise du Bali, il n'y avoit qu'une petite chapelle dediée à Monsr. S. Eloy, que l'on dit estre la chapelle du chasteau, comme de vray il y a une mote contigue qui s'appelle le Vieux Chasteau ».

J'ai voulu citer ce passage tout entier parce qu'il est curieux ; mais il convient de remarquer qu'on y trouve plusieurs assertions fausses. Car il est faux que l'église du Bali n'existât pas avant 1519, puisqu'on y faisait des donations dès 1408, comme j'ai dit ci-dessus, et que les dates de 1519 et 1546 indiquent seulement une reconstruction, celle qui subsiste encore aujourd'hui ; et il est encore faux qu'avant de passer sous le vocable de St-Jean, l'église ou chapelle du Bali fût sous celui de St-Eloi, puisqu'on a vu qu'elle était positivement appelée Notre-Dame : ce qui est probable, c'est qu'elle renfermait un autel dédié à saint Eloi, sous l'invocation duquel une confrérie existait encore au XVIIème siècle dans l'église de Saint-Jean du Bali.

Mais si l'auteur du factum s'est trompé sur certains faits antérieurs à son époque, du moins n'a-t-il pu errer quand il parle de l'état des lieux, tel qu'il était de son temps, quand il affirme, en particulier, que la motte du vieux château de Lannion existait encore tout contre l'église du Bali ; contiguité qui suffirait toute seule à prouver que cette église avait été celle du château.

Une autre preuve est ce surnom même du Bali, assez mal expliqué jusqu'à présent. On écrivait Bali, Balli et aussi Valli, comme je l'ai vu aux archives paroissiales de Lannion, dans un acte de donation du 3 février 1459 (nouveau style) où il est dit que « paravent ces heures » feu Yvon Le Ranaber (ou peut-être Le Canaber), le Veill, avait fait construire en l'église du Vally une chapelle à l'honneur de Saint-Jean-Baptiste, dite chapelle Saint-Jean, qui fut peut-être l'origine du changement accompli un peu plus tard dans le vocable de l'église elle-même. A Guingamp, il y avait jadis, près de la porte de Rennes, une sorte de butte appelée la motte du Valli, qui, ayant été depuis nivelée et plantée, forme aujourd'hui la place du Valli ; elle est sise en dehors des murs, à toucher le château de Pierre de Bretagne, dont on voit encore les restes à l'angle Sud-Est de l'enceinte urbaine. On ne peut guère douter que cette motte du Valli n'ait fait autrefois partie du vieux château qui avait précédé celui de Pierre II. Ainsi, à Guingamp comme à Lannion, ce nom de Valli, Balli ou Bali, se trouve attaché à des lieux tout voisins d'anciennes fortifications et qui même ont dû s'y trouver compris. Or ballum ou ballium est un mot de la basse latinité, traduit en français par baile et baille, lequel désignait au moyen âge la première enceinte, la défense extérieure d'un château, souvent formée d'une simple palissade couverte d'un fossé. Vallum et vallatum, suivant Du Cange, ont eu aussi la même signification. N'est-il pas évident que le Balli ou Valli de Lannion et de Guingamp est une forme à peine altérée de ballium, ballum ou vallum ? Dès lors Notre-Dame du Bali, c'est l'église de Notre-Dame située dans le baile ou dans la première enceinte du château de Lannion.

Enfin, même après l'établissement du culte paroissial au Bali, cette église a toujours continué de dépendre de Kermaria, puisque le prieur était curé primitif de Lannion, ainsi que montre la liste des bénéfices de l'abbaye de Saint-Jacut, où on lit : « Le prieuré de Notre-Dame de Lannion, autrement Kermariandron, et la cure du mesme lieu ».

Ainsi l'église de Saint-Jean du Balli s'appelait primitivement Notre-Dame, elle était l'église du château, elle dépendait du prieuré de Kermaria. N'est-il pas dès lors très-naturel d'y reconnaître cette ecclesia Sanctœ Maria de Castello, que le pape Clément III, en 1188, nomme parmi les dépendances de ce même prieuré ?

On doit conclure aussi de là que le château de Lannion existait dès lors.

Si la bulle de 1188 prouve l'importance du prieuré de Kermaria dans l'ordre spirituel, l'importance de cette maison dans l'ordre temporel n'est pas moins bien prouvée par un autre document de la même époque qu'a imprimé D. Morice (Pr. I, 773) : " En 1199, la duchesse Constance crée un minihy au prieuré de Kermaria-an-Dro, de Lannion : Constancia, comitis Conani filia, ducissa Britannie, comitissa Richemondie, universis, etc. Sciatis quod per mandatum meum altestatum est coram Meriano filio Guihomari, baillivo meo tunc temporis de Trecorensis, abbati et monachis Sancti Jacuti, quod ipso tempore comitis Conani et deinceps, de jure suo quod habuerunt de elemosina antecessorum meorum, tenuerunt cimiterium Sancte Marie de Lannyon quittum et ita liberum ut, si aliquis reus vel a vinculis absolutus ad cimiterium confugeret, per cimiterium liberaretur. Postca attestatum est eis quod prior prefato elemosiae suam curiam tenebat de omnibus habitantibus in eadem elemosina in bello, in judicio, in sanguine et in omnibus que pertinent ad dominum in botellagio, in sallagio, in minagio, in furno et in molendinis ; et quod omnes habitantes in eadem elemosina in furno prions coquerent et in molendinis molerent, salvo jure prioris. Insuper habitantes in supradicta elemosina possint vendere vinum, cervesiam, medonem et carnes in domibus suis, in porticibus suis, et in diebus festivis in cimiterio, salvo jure prioris, etc. Testibus Meriano filio Guihomari, Alano Gemello, Guihomaro filio Com. Buzic, Radulpho de Montab. Eudone Leon. Thesaurario, Petro Tournatore Redon, canonico, Ric. Pincart, etc., apud Corisopitum. ". C'est le résultat d'une enquête exécutée vers la fin du XIIème siècle, sur les ordres de Constance, duchesse de Bretagne, par Mérien, fils de Guiomar, son bailli ou sénéchal au pays de Tréguer. On y voit que le cimetière de Kermaria jouissait du droit d'asile en telle forme, qu'un criminel qui s'y réfugiait, même après avoir été pris et s'être échappé de ses liens, n'y pouvait être poursuivi. Le prieur avait juridiction sur tous les hommes de son fief ; sa cour pouvait ordonner le duel et les épreuves judiciaires, connaître des cas de meurtre et de tous autres appartenant à seigneur justicier. Il avait aussi droit de bouteillage sur la vente des boissons, de salage sur le sel, de minage sur les grains. Les hommes qui habitaient en son fief devaient moudre à ses moulins et cuire à son four. Ils pouvaient vendre vin, cervoise, hydromel et viandes dans leurs maisons, sous leurs porches, et les jours de fête ou plutôt de foire (festivis diebus) dans le cimetière de Kermaria, sans être contraints de vendre en la cohue du seigneur de Lannion ni de lui payer aucun droit. Nous verrons bientôt que la plupart de ces privilèges subsistaient encore à la fin du XVIIème siècle.

Après cela, il ne me semble point douteux que Lannion n'eût une paroisse au moins dès le XIIème siècle. Toutefois, M. Anatole de Barthélemy, dans l'ouvrage si intéressant qu'il a publié sous le titre de Mélanges historiques et archéologiques sur la Bretagne, montre sur ce point quelque hésitation. Je le laisse parler : « J'ignore encore, écrit-il, à quelle époque Lannion devint une paroisse. La plus ancienne mention que je trouve est dans la charte de 1283 relative à Morvan de Kelennec ; On y lit : " Quœ omnia sita sunt in parochia de Kerguan et de Lannyon ". Il semble résulter de ce texte que la Ville-Blanche et Lannion ne formaient alors qu'une seule paroisse, et qu'à proprement parler le château de Lannion faisait partie de la paroisse de Kerguen ou la Ville-Blanche » [Note : En breton KER, ville ou village, GUEN, blanc]. Et en note, M. de Barthélemy ajoute : « M. de Penguern m'a signalé à une lieue de Lannion, sur la route de cette ville, à Tréguer, un village nommé la Ville-Blanche, qui n'est plus aujourd'hui qu'un lieu de dévotion, mais qui parait avoir été considérable autrefois » (Mélanges, p. 82).

L'hésitation de mon savant confrère tient uniquement à une erreur qu'il ne dépendait pas de lui de rectifier. Il n'a pris, comme il le dit lui-même (p. 92), il n'a pris la charte de Morvan de Kelennec que sur une copie existant aux archives des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor) ; or, l'original est déposé à la préfecture de Nantes, dans le Trésor des chartes des ducs de Bretagne, et il porte exactement : « Que omnia sita sunt in parroch. de Kaguan et de Lannuyon ». Or Kaguan c'est évidemment Cavan, paroisse à trois lieues et demie de Lannion ; d'autant plus que quatre villages nommés un peu plus haut par cette même charte (Villa Stephani, Villa Rycou, Villa Monachi, Villa Ysaac) se retrouvent encore aujourd'hui dans la commune de Cavan sous les noms très-reconnaissables de Kerstéphan, Kerricoul, Kermanach et Kerisaac [Note : Voy. la nouvelle édition du Dictionnaire d'Ogée, qui n'est point impeccable sans doute, mais où je me plais à reconnaître que les renseignements cadastraux sont généralement exacts]. On ne peut croire que Lannion ait jamais fait une seule paroisse avec Cavan, qui est trop loin. Et d'ailleurs la manière abrégée dont est écrit le mot parroch. dans l'original, permet tout aussi bien de lire in parrochiis que in parrochia ; et il faut par conséquent reconnaître que la charte désigne ici deux paroisses distinctes, Cavan et Lannion.

Reste à examiner un titre de donation au prieuré de Kermaria, daté de l'an 1297, et qui soulève une discussion assez délicate. Voici les faits. Il a existé en Bretagne, du XIVème au XVIIIème siècle, une famille noble du nom de Lannion, qui n'a jamais eu cependant la seigneurie de Lannion, et dont l'importance devint d'ailleurs assez grande, surtout dans les derniers temps. Aussi au XVIIème siècle, elle prétendit, ou bien on prétendit pour elle, la faire descendre de la première maison de Penthièvre, la plus antique branche, comme on sait, de la famille ducale de Bretagne. Le plus ancien Lannion dont l'existence fût incontestée était un Briant, vivant au XIVème siècle, durant la guerre de Blois et de Montfort. Ou en fit le fils d'un certain Guiomar de Lannion, qui eût vécu sur la fin du XIIIème siècle et aurait eu pour père Juhel d'Avaugour, tige de la branche de Kergrois, fils lui-même de Henri II d'Avaugour, descendant du premier comte de Penthièvre, Eudon, frère du duc Alain III (Voy. D. Morice, Histoire de Bretagne, t. I, p. XVIII et XIX). Ces prétentions ont été d'ailleurs contestées, et encore M. de Barthélemy, après un examen assez long de la question, conclut qu'aucun document ne prouve ni l'attache de cette famille de Lannion à la maison d'Avaugour, ni même l'existence de ce Guiomar de Lannion, par qui cette attache eût dû s'opérer (Mélanges, p. 90 et 91). Cependant, voici un titre dont j'ai trouvé copie dans les Blancs-Manteaux, et qui pourrait justifier ces prétentions ; je le traduis : « A tous ceux qui ces présentes lettres verront savoir faisons que nous Guiomar de Lannion, fils de Juhel d'Avaugour, nous confirmons à perpétuité, du consentement de notre épouse Marguerite et de notre fils Briand, la rente de cinq livres donnée par Madame Catherine de Léon, notre mère, à l'église de Kermaria-an-Draou. Et en perpétuel souvenir de cette confirmation, nous avons accordé ces présentes lettres munies de notre sceau. Donné en l'an du Seigneur 1297 » [Note : Comme le texte latin de cette charte est fort court et qu'on ne peut se dispenser de le faire connaître pour l'intelligence de ce qui va suivre, le voici tel qu'il se trouve dans le vol. XLV des Blancs-Manteaux, p. 806, sans autre correction que deux mots ajoutés et mis entre crochets : « Notum facimus universis prœsentes litteras inspecturis quod nos Guiomar de Lanion, Juchaeli d'Avaugour filius, cum consensu uxoris meœ Marguaritœ [et] filii mei Briand, confirmo in perpetuum quinque libras quas domina Catarina de Leon, mater mea, dederat ecclesiœ dictœ Quermorio Androu. Ad quorum perpetuam memoriam bas prœsentes litteras concessimus nostri sigilli [munimine] roboratas. Datum anno Domini M° CC° nonagesimo septimo »].

J'ai dit que ce titre pourrait justifier les prétentions des Lannion, mais non qu'il les justifie ; car il s'agit justement de savoir si l'acte est vrai ou faux. Au-dessous de la transcription qui en est faite dans les Blancs-Manteaux, un des bénédictins bretons, dom Brient, a écrit : « Ce titre, envoyé, je croy, par l'abbé de Lannion, a bien la mine d'être forgé ». Quel motif dom Brient avait-il de penser ainsi ? C'est ce qu'il ne dit point. Je vais tacher d'y suppléer en énonçant avec impartialité les objections que l'on peut, dans mon idée, proposer contre la vérité de ce titre, et aussi les réponses qui se peuvent opposer à ces objections. C'est pour cela que je reproduis en note le texte latin lui-même, qui est d'ailleurs fort court.

1ère Objection. — La formule intitiale Notum facimus n'est point habituelle, à moins d'être précédée de la salutation, c'est-à-dire qu'il faudrait : Universis presentes litteras inspecturis Guiomar de Lanion salutem in Domino. Notum facimus universis quod nos, etc.

Réponse. — Bien que cette formule initiale ne soit pas habituelle à la fin du XIIIème siècle, il n'est pas absolument impossible d'en fournir d'autres exemples.

2ème Objection. — La formule Ad quorum perpetuam memoriam que renferme l'annonce du sceau est tout-à-fait insolite à cette époque et dans les actes de ce genre. La formule presque constamment employée, c'est Ut hoc autem firmum et stabile permaneat, etc., ou une autre exprimant la même idée.

Réponse. — Il est vrai que cette formule est insolite. Mais cette objection peut se tourner en preuve de l'authenticité de l'acte. Car si l'acte était faux, le faussaire n'eût pas manqué de copier servilement les formules du temps, qu'il eût facilement trouvées dans des actes authentiques. On doit donc dire que cette formule insolite est due à l'ignorance ou au caprice du notaire qui a écrit l'acte en 1297, mais rien de plus.

3ème Objection. — Le but apparent de la charte, c'est de confirmer une rente qui aurait été donnée à Kermaria par la mère de Guiomar de Lannion ; dans les actes de ce genre, surtout à la fin du XIIIème siècle, on indiquait toujours avec détail sur quoi étaient assises les rentes ainsi données, à quels termes elles étaient payables, etc. Ici rien de pareil ; le montant de la rente est à peine marqué. Le but réel de la pièce semble être véritablement de nous faire connaître toute la famille de Guiomar de Lannion, son père, sa mère, sa femme, son fils, tous désignés avec le plus grand soin. D'où l'on est en droit de conclure que l'acte a été fabriqué dans un pur intérêt généalogique.

Réponse. — L'on peut dire que l'assiette de cette rente, les époques du paiement et autres circonstances y relatives avaient dû être expliquées avec détail dans la charte de Catherine de Léon pour la première donation, et que par conséquent on pouvait dans cette confirmation se dispenser d'y revenir. Quant aux noms des parents de Guiomar ici rappelés, il n'est pas rare de trouver des indications de ce genre à pareille place dans des actes de même sorte et de même époque, parfaitement authentiques.

4ème Objection. — Cette charte étant une donation pour le prieuré de Kermaria, dépendant de l'abbaye de Saint-Jacut, aurait dû se rencontrer dans les archives de ce dernier monastère, bien plutôt que dans celles de la famille de Lannion. Cependant les Bénédictins, auteurs de l'histoire de Bretagne, n'ont point trouvé trace à Saint-Jacut de cet acte, qui leur a été transmis au contraire par un membre de la famille de Lannion.

Réponse. — Il a fort bien pu arriver que le donateur Guiomar ait conservé par devers lui un double de sa donation, qui se sera conservé dans sa famille, au lieu que l'original remis aux moines aura été perdu, comme cela est incontestablement arrivé pour beaucoup de titres.

J'ai balancé le pour et le contre avec toute l'impartialité qu'on y peut mettre. Tout pesé, je me range à l'opinion de dom Brient, parce qu'à mes yeux les réponses opposées à la deuxième et à la troisième objection sont véritablement insuffisantes. Ainsi je rejette l'acte comme supposé ; je rejette aussi la prétendue attache des Lannion aux d'Avaugour ; et sur l'origine de cette famille de Lannion, je me range entièrement à l'opinion développée par M. de Barthélemy, à la page 94 des Mélanges.

Pour terminer cette petite étude, il me reste à faire connaitre brièvement la situation, temporelle du prieuré de Kermaria au XVIIème siècle.

Dans la déclaration qui en fut faite au roi, en 1681, par messire Claude Féret, chanoine de Rennes et prieur commendataire [Note : Cette déclaration existe aux Archives de la Chambre des Comptes de Bretagne, Domaine de Lannion, II, f. 410], on décrit en premier lieu « les manoir, maisons, coulombier et mazières dudit prieuré, cour, jardin, verger, prisons et basse-fosse au bout dudit manoir, la chapelle dudit prieuré, le cimetière et la prée joignant le prieuré, à présent en partie sous jardinage, la maison à four dudit prieuré et tout son distroit qui s'extend sur tous les subjets dudit prieuré et demeurants en la rue de Quermaria ». On ajoute que les bâtiments et enclos du prieuré contenaient en fond 132 cordées, donnant d'un bout sur le jardin et verger des Augustins, de l'autre vers le pont de Kermaria, d'un côté sur la rivière du Leguer et de l'autre sur la rue de kermaria « au bout de laquelle est situé le four, proche ladite chapelle ».

Parmi les droits et biens que le prieur déclare posséde, je remarque le pont de Kermaria, où le prieur percevait, aux jours de foire et marché « certains droits de péage et coustumes pareils que font les coustumiers du Roi sur le pont de Sainte-Anne en ladite ville de Lannion ; » le droit de « nusme (ou neume) appelé mortuage ; » le droit de prendre durant la foire Saint-Michel « un pot de vin ou son prix et valleur par deniers sur chaque taverne qui sera en la place de foire appelée le Fouarlech en ladite ville de Lannion, près la chapelle de Saint-Nicolas ».

Kermaria avait aussi ce privilège que « les demeurants au manoir et maisons dudit prieuré, au four et au moulin dépendants d'iceluy » étaient exempts de «  fouage et autres subventions ordinaires ».

Mais le droit le plus important, qui entraînait ceux de four et moulin banaux, d'épaves et de gallois, etc., c'était la haute-justice, que le prieur était seul à partager avec le roi dans l'étendue de ce qu'on appelait la cordée de Lannion. Cette juridiction s'exerçait encore au XVIIème siècle par sénéchal, alloué, procureur fiscal, greffier et autres officiers « en l'auditoire et porchet de l'église de Quermaria les jours de mcrcredy ; » et le fief du prieur soumis à cette juridiction s'étendait « en la ville de Lannion, faubourg de Quermaria, Buhulien, Ploubezre, Berlevenez, Loguivy et Ploulech ». Il comprenait, entre autres choses « le village de Saint-Nicolas où demeurent, dit l'aveu, les cordiers et tonneliers, » et tout auprès, « la chapelle de Saint-Nicolas et le cimetière situé d'un costé sur le chemin menant de Lannion à Guingamp, de l'autre sur autre chemin menant audit prieuré, contenant en fonds 38 cordes ». C'est là, ou n'en peut douter, l'ancienne léproserie ou caquinerie de Lannion. Du reste, la sentence de réception de la déclaration, qui est du 1er décembre 1682, contient un débornement très-détaillé du fief de Kermaria en la ville et faubourgs de Lannion ; mais sa longueur même m'empêche de le citer (A. L. B.).

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