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ETUDE SUR QUELQUES ÉGLISES ET CHAPELLES DES ENVIRONS DE LANNION.

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Je devais, puisque cette tâche m'était dévolue, vous faire la description d'un certain nombre d'églises, des plus importantes de notre pays, et mon intention bien arrêtée était de ne point vous égarer trop au loin, mais de vous parler seulement du pays de Lannion, où j'ai passé une grande partie de ma vie et que je dois aimer plus que tout autre. .....

C'est dans la ville de Lannion, que j'ai voulu descendre à pied, à partir de Plouaret, notre magnifique vallée du Léguer. Il n'y a guère de Lannionnais, un peu amis de la belle nature, qui n'aient fait cette excursion. Tous ont éprouvé, j'en suis sûr, les mêmes émotions que moi. Je n'ai pour mission que de décrire les monuments qu'on y rencontre.

C'est d'abord le Vieux-Marché, ce rendez-vous de toutes les transactions du pays, au temps des Romains, et durant le moyen-âge, comme l'attestent son nom et les nombreuses voies qui y aboutissent. Son église, qui se construit, sera admirée plus tard, au fond de ce charmant paysage. Le Vieux-Marché était défendu autrefois par deux petits forts retranchés, dont l'emplacement se dessine encore, sous la charrue du laboureur, le long de la voie ferrée qui coupe la vallée. On traverse un ravin assez profond, qui se rend dans le Léguer, et l'on commence à gravir un coteau, d'où l'oeil suit parfaitement tous les méandres de notre belle rivière.

A mi-côte sont les ruines d'une chapelle du XIVème siècle, dédiée à saint Isidore. On ne peut que regretter qu'il ne se soit pas rencontré une main pieuse pour relever cette chapelle, au milieu d'une population agricole dont saint Isidore est le patron.

Au haut de la pente s'étend un large plateau, d'où la vue domine tout l'horizon lannionnais, Là s'élève la chapelle des Sept-Saints. C'est un édifice assez imposant du XVIIIème siècle, bâti sur le granit, et construit en gros blocs de cette belle pierre, le marbre de la Bretagne. La chapelle a la forme d'une croix latine, avec cette particularité, que les transepts sont élevés de plusieurs marches au-dessus du pavé de la nef. C'est que le transept midi est érigé sur un superbe dolmen, qu'on a voulu conserver, et qui a sans doute donné naissance à la dévotion des sept Saints de la légende dorée. Quelque personne pieuse, pour rendre honneur à ces martyrs, et peut être aussi pour détruire un culte superstitieux exercé sous ce dolmen, aura voulu convertir cette grotte en chapelle, et y aura représenté les sept frères dormants, réfugiés dans une grotte pareille, pour se réveiller deux cents ans après et être témoins du triomphe de la religion de Jésus-Christ. Dans cette chapelle primitive, les frères sont représentés de taille et d'âges différents ; les- statues sont grossières, mais fort anciennes, et ne manquent pas d'expression.

Dans la nouvelle chapelle, au contraire, les sept martyrs sont du même âge, de la même grandeur, et richement habillés. Il ne peut donc être question ici des sept Saints de Bretagne, comme avancé le savant auteur de l'Iconographie bretonne, l'excellent M. Gaultier du Mottay, que la mort vient de ravir à l'histoire religieuse de notre pays et à l'étude de nos saints bretons. Je suis heureux de saisir cette occasion pour rendre à sa mémoire un pieux et solennel hommage.

Si l'en descend ce plateau, on arrive à un coude du Léguer où s'élevait autrefois le château de Runfao, dont on ne voit plus que l'emplacement et une partie du keep ; mais sa chapelle, dédiée à saint Fiacre, est fort bien conservée. Elle est d'un joli style du XVème siècle probablement. Ses peintures murales, bien déterriorées, représentaient les différentes scènes de la vie du saint laboureur, dont le culte était très populaire en Bretagne et avait même un office propre au diocèse de Tréguier. Cette chapelle et ces ruines sont dominées par le splendide château de Kergrist, réputé autrefois la plus belle habitation de Bretagne. Du temps de la Ligue, il appartenait par alliance sans doute, au célèbre royaliste Jonathas de Kergariou. On y voit ses armes en relief avec celles de Kergrist. Restauré avec beaucoup de goût, par le propriétaire actuel, M. Huon de Penanster, notre sympathique président, le château de Kergrist avec ses hautes tourelles, sa ravissante esplanade et son site pittoresque, est digne des visites dont il est tous les jours l'objet de la part des nombreux touristes qui parcourent notre pays.

Un peu plus loin, sur la rive opposée du Léguer, se dressent les ruines imposantes du château de Tonquédec, surnommé le Pierrefons de la Bretagne. Nul étranger ne vient au pays de Lannion sans visiter ses tourelles qui tombent ; sans étudier sur les lieux mêmes les hauts faits d'armes dont ces murailles furent si souvent témoins ; les sièges nombreux dont elles portent les traces glorieuses et les terribles assauts repoussés de ces douves profondes. Les derniers évènements de Tonquédec datent de la Ligue. A la suite de cette guerre sanglante, dont un de nos collègues a décrit l'histoire en Bretagne, Henry IV fit demanteler les donjons du château de Tonquédec. M. le marquis de Kerouartz, qui en a fait l'acquisition, a sauvé les tourelles d'une ruine complète. Peu s'en est fallu, en effet, qu'elles n'eussent subi le sort de Runfao, de Botloy et de tant de forteresses féodales de notre pays, où le cultivateur est exposé aussi en poussant le soc de sa charrue, à rencontrer ces grands ossements dont parlait Virgile : Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulcris.

Continuons notre excursion sur la rive gauche du Léguer, sans quitter désormais cette rive. Au milieu d'un bassin peu profond, entouré de bouquets d'arbres d'un aspect charmant, s'élève la belle chapelle de Kerfons, ce joyau de l'architecture du pays Lannionnais, qu'on dirait tombé du ciel tout d'une pièce, tant le travail en est parfait. Elle est bâtie sur une motte entourée de douves autrefois étendues, non loin du manoir de Kerguinio, assez imposant lui-même avec les quatre tourelles dont il était flanqué.

La chapelle de Kerfons se compose de deux nefs parallèles, avec deux transepts, sans chevet. C'était la forme ordinaire des églises des Franciscains. Tout est du XVème siècle, excepté le transept sud qui est du XVIème, comme on le voit du reste, par la date de 1559, qui surmonte la porte d'entrée. La partie ogivale est fort belle et très bien conservée, à part la longère nord que a besoin d'être restaurée. Un jubé en bois doré, sculpté à jour avec une perfection admirable, sépare les nefs du sanctuaire et des transepts. On y voit en bas-reliefs les douze apôtres, des pendentifs, des rinceaux et des angelots supportant des écussons qui ont disparu. Un très beau Christ entre saint Jean et la sainte Vierge, qui le surmontait, a été malheureusement mutilé en tombant sur les dalles, mais on peut le réparer. On trouve des restes de jubés semblables à Locmaria, en Belle-Isle, et à Locquenvel. Celui de Keramanac'h, en Plounevez, a disparu, ou plutôt a été transporté dans l'église paroissiale. Le chevet et les transepts de Kerfons sont percés de trois belles verrières qui conservent encore une partie de leurs vitraux. Celle du milieu, quoique un peu délabrée, représente la scène du Calvaire, puis le Saint-Esprit entouré d'anges. Dans la rosace, en éminence, deux écussons au même niveau représentant l'un, un écartelé d'azur et d'argent, et l'autre une croix de gueules à branches égales. Celles des transepts sont masquées par de grossiers rétables, et les sujets des vitres ne peuvent se voir que de l'extérieur. Le maître-autel, qui est en granit poli, même peint, est surmonté d'un assez joli rétable terminé par deux grandes niches qui renferment, l'une la Sainte-Vierge, tenant dans ses bras l'Enfant Jésus, et terrassant le démon sous une forme humaine ; l'autre saint Jean baptisant Notre-Seigneur. Cet autel a dû en remplacer un autre, dont il ne reste que deux niches renfermant, l'une la Sainte- ierge seule, et l'autre le Sauveur portant sa croix. Ce qu'il y a de particulier ce sont deux crédences qu'on dirait des pierres tombales à cause des inscriptions en caractères du XIVème au XVème siècles qui les couvrent. Avec un peu de patience on les déchiffrerait sans difficulté. On y lit Fse de la Touche. Or, au XVème siècle, cette famille était alliée aux Kerimel de Coatfrec. La chapelle nord n'a de remarquable que ses statues ; une Annonciation de grandeur naturelle, et deux aquarelles qu'on remarque à peine sur le plat de l'autel, mais qui paraissent anciennes et originales ; l'une représente saint Yves et l'autre saint Matthieu.

Le transept sud mériterait une étude toute spéciale. Construit un siècle au moins après le reste de l'édifice, il semble avoir été bâti en l'honneur de saint Yves. Sa statue s'y trouve à l'intérieur deux fois, plus un tableau représentant le saint en costume d'official, entre le riche et le pauvre, forme assez ordinaire des tableaux de saint Yves. À l'extérieur, dans la colonne qui forme l'encoignure, en voit une très belle statue en granit du même saint. Nous mentionnerons quelques autres statues : saint Isidore, saint Sébastien, et un jeune saint, un ange peut être, à la longue chevelure, portant une robe entre ses mains. Outre deux édicules destinés à recevoir d'autres statues, on voit détachée du mur une table en granit, placée là peut être pour recevoir les offrandes, et deux pierres tombales avec inscriptions gothiques. Comme pour simuler un clocher, la pointe du pignon extérieur est surmonté d'une sorte de stèle à quatre faces, renfermant chacune en cariatide une tête de vieillard au-dessus d'une borne cannelée. On suit les traces de cette construction, dans la tour de Ploubezre, les châteaux de Lezlach, en Plestin, de Kerauserne, dans la chapelle de Sainte-Anne à Lannion, et quelques maisons de la même ville. Il ne reste plus que des lambeaux de l'ancien lambris, qui était très beau ; les stalles du choeur sont anciennes, et les confessionnaux ont une forme qui rappelle assez ceux dont le bibliophile Jacob nous donne la description et le modèle dans les Arts au moyen-âge. Le calvaire du cimetière a lui-même son caractère et ses beautés. Il est un des mieux conservés de ceux que nous a légués le XVIème siècle. Leur nombre diminue de jour en jour. Heureusement qu'on a soin de les remplacer dans notre pays, par les magnifiques croix de notre compatriote Hernot. Le groupe se compose du Christ entre la Sainte-Vierge et saint Jean d'un côté, et de l'autre d'une Mater dolorosa entre satín Yves et saint Isidore.

Telle est, d'une manière bien imparfaite, la description de la chapelle de Kerfons, qui signifie, croit-on, village rempli de hètres. Située presque à égales distances des châteaux de Tonquédec, de Runfao et de Coatfrec, elle a dû peut-être sa construction aux seigneurs de ces magnifiques résidences. Ils ont voulu que Dieu et sa mère eussent aussi une non moins belle demeure, au milieu de leurs domaines. Les habitants de Ploubezre l'ont en grande vénération. Il suffirait de continuer pendant quelques centaines de mètres le chemin vicinal qui y conduit pour la rendre abordable, et l'on se ferait un plaisir de la visiter souvent.

Nous mentionnerons seulement la chapelle de Guirec, situé à quelque distance de notre route. Elle est dédiée à saint Jacques, comme toutes celles qui portent ce nom, Perros-Guirec, Loquirec par exemple ; sans que nous en connaissions bien la raison. Cette chapelle n'a rien de remarquable. Nous traversons un taillis presque impénétrable, et nous arrivons au château de Coatfrec dont nous ne dirons qu'un mot ; son peu de distance de Lannion permet de le visiter souvent. La seule de ses tourelles conservée cessera bientôt d'élever au-dessus des arbres le noble orgueil de ses créneaux, comme le disait le chevalier de Fréminville, qui en a fait la description, il y a bientôt un demi-siècle ; on la voit à peine au travers de la verdure de ce bosquet. C'est tout ce qui reste de la splendide demeure de Geoffroy de Kérimel ; les autres parties de ce château ne seront bientôt que des ruines, autour desquelles planeront longtemps des souvenirs glorieux, mêlés à quelques lugubres légendes. Saluons en passant la chapelle de Sainte-Thècle qui ôte un peu à la tristesse de ce tableau. Dédiée à la première martyre de son sexe, la chapelle de Sainte-Thècle attire chaque année une foule de pèlerins du pays de Lannion.

Enfin nous entrons à Lannion, non sans faire une visite à la fontaine de saint Christophe, qui n'a de remarquable qu'une vieille statue du XVIème siècle, très grossièrement taillée dans le granit, et que les voisins décorent chaque année d'une couche de peinture voyante. Elle représente le saint géant portant l'Enfant Jésus, à cheval sur sa large encolure. Voici le pont de Kermaria, autrefois le centre du vieux Lannion. A quelques pas de là, sur la rive droite du Léguer, on distingue encore les restes de l'ancien prieuré de Saint-Jacut et de l'église paroissiale, appelée Kermaria-an-Trao. Quelques portes, le cimetière, une partie du cloître avec deux ou trois tronçons de souterrains, c'est tout ce qui nous en reste, et avant peu ces ruines elles-mêmes auront disparu : Etiam periere ruinœ (Virg.). C'est d'ailleurs le sort de toutes les choses en ce monde : Debemur morti, nos nostraque. (HORACE).

Si nous remontons la ville par la rue des Bouchers, nous aurons une idée de ce qu'elle était autrefois ; rues mal percées, quelques vieilles maisons des XVIème et XVIIème siècles, s'appuyant sur le couvent des Augustins qui longeait la rivière. Ce couvent, bâti au XIVème siècle, était très important ; il a fourni deux évêques au siège de Tréguier et renferme dans son cloître en ruines, le tombeau vénéré de la mère Louise Le Gays de Jésus, venue à Lannion pour fonder la maison des Ursulines, et morte avant d'avoir vu finir le cimetière de sa communauté. C'est pour cette raison qu'elle demanda à ce religieux une place dang le cloître de leur père commun, saint Augustin.

Avant de pénétrer sur la place du Centre, arrêtons-nous un instant à l'entrée de la rue de Tréguier ; nous y voyons une modeste croix avec la date de 1346. Elle rappelle la place où mourut le chevalier du Pont-Blanc, en repoussant, presque seul, une attaque nocturne des Anglais pendant la guerre de la Succession. La place du Centre nous montre quelques maisons à façades de bois, avec des cariatides assez curieuses. La rue des Chapeliers nous conduit à la venelle des avocats, qui faisait communiquer la ville avec l'ancien château. Situé à l'extrémité d'un promontoire entre la vallée du Léguer et celle de Saint-Hugeon, on ne voit plus que l'emplacement de ses douves. L'église du Bally et quelques maisons du quai, sont bâties sur ses ruines. A partir du XVème siècle, il n'en est plus question ; et la famille de Lannion, fondue dans celle du Cruguil, s'est isolée de l'histoire de notre pays. C'est à partir de cette époque sans doute, que les châteaux de Coatfrec et de Tonquédec ont acquis une sérieuse importance : bâtis le long de nos rivières, ces grands chemins de l'invasion, les châteaux forts étaient destinés à les défendre, et quand l'un cessait de protéger le pays, les autres devaient naturellement le suppléer.

Il n'est pas possible de parler de Lannion, sans dire un mot de Brélévenez, qui semble en faire partie, Son église et ses Templiers devraient bien nous arrêter quelque temps. C'est un des restes les plus curieux de l'architecture de transition dans notre pays. Quelques parties bien conservées, par exemple le choeur et les transepts, offrent tous les caractères de l'architecture romane. Ces églises qui devaient être nombreuses dans notre pays, y sont devenues bien rares ; et à part une partie de la cathédrale de Tréguier, toute la nef de Perros, et un collatéral de l'église de Louannec, tout a disparu pour faire place au style ogival, si déprécié et si peu compris au commencement de ce siècle. Ce style, si l'on peut donner ce nom à des constructions disparates, est déjà en décadence, et tend à faire place de nouveau à une sorte de roman qu'on appelle primitif.

L'église de Brélévenez a été construite, dit-on, par les Templiers qui auraient eu une commanderie à Murervern ; peut-être par les Trinitaires qui avaient plusieurs maisons sur les côtes de Bretagne : elle est sous le vocable de Notre-Dame-des-Neiges, mais anciennement elle était dédiée à la Trinité. La rue qui y conduit de Lannion, s'appelle encore de la Trinité, et cette fête y est célébrée avec beaucoup de solennité. L'église se fait remarquer par trois contre-forts très élevés, qu'on voit dans toutes les vues de Lannion, comme les tours des Azinelli dans les tableaux des peintres bolonais.

Si nous nous écartons un peu de la vallée du Léguer, nous trouvons la belle campagne de Lannion, riche en habitations féodales encore bien conservées. Ici c'est Louannec avec son église où vit toujours le souvenir de saint Yves, dont les vertus font respirer je ne sais quel parfum de piété, dans la paroisse qu'il évangélisa, et le pays tout entier.

Mais revenons à Lannion, pour reprendre notre excursion, et passons sur la rive gauche du Léguer ou Liger, peut-être même Riger, d'après les tables de Peutinger. Le pont Sainte-Anne est le milliaire d'où partent toutes les distances. Il conduit à la belle communauté de ce nom ; sa chapelle du XVIIème siècle remplace, dit-on, celle que le valeureux Leiz-Breiz fit construire, pour accomplir un voeu, entre le Léguer et le Guindy (Barz.-Br.) Un peu plus haut est le manoir de Kerguézai, dont le seigneur fut un des lieutenants d'Henri IV en Bretagne. Nous voici au joli bourg de Loguivy, réduit aujourd'hui à quelques villages. Sa charmante église, son cimetière célèbre par sa fontaine jaillissante, y attirent beaucoup de voyageurs. C'est l'ermitage que s'était choisi saint Yvi, un archevêque de Ménévie au pays de Galles. Après avoir évangélisé le pays de Plougras et une region du Morbihan, qui a gardé son nom, notre ermite serait retourné dans la solitude pour y mourir. Une partie de ses reliques, renfermées dans un bras d'argent, don de la famille Kerguézai, sont exposées à la vénération publique le jour de sa fête. Il est à présumer que ce saint aura suivi saint Tugdual, pour vivre auprès de lui dans les environs de Coz-Yaudet.

Un mot de cette vieille capitale que nous rencontrons à l'embouchure du Léguer, entre deux vallées profondes et dans le site le plus pittoresque. C'était, sans doute, une importante agglomération, quand les premiers apôtres y débarquèrent pour prêcher la foi en Bretagne. Il serait difficile de savoir à quelle époque on lui a donné le nom de Lexobie ; car les Bretons ne l'ont jamais appelé que Coz-Yaudet ou Coz-Kiutad, comme disent les Espagnols. Que ce soit donc la Lexobie dont parle César ou une autre ville du même nom, dont Ploulex ou Ploulec'h ne serait qu'une abréviation ; qu'il y ait eu là soixante évêques, comme le prétend le naïf Albert-Le-Grand, ce n'est pas pour moi la question. Rien ne prouve que cette période d'évêques soit réelle, et la tradition locale ne va point jusque-là. Elle parle cependant de quelques évêques de Lexobie, entre autres saint Tugdual, saint Dogmaël et quelques autres encore, et de saints personnages que ont vécu vers la même époque, au pays de Tréguier et de Lannion.

Ce qu'il y a de certain, c'est que les substructions romaines qu'on y voit encore, l'importance et la beauté de son site, les médailles nombreuses trouvées dans ses fouilles, et qui ont été dispersées, après la mort de M. de Penguern, comme les feuillets d'un livre déchiré ou était peut-être l'histoire du Yaudet, tout cela forme un ensemble de présomptions en faveur d'une ville ou cité, où est aujourd'hui le Coz-Yaudet. Lannion serait la ville moderne bâtie après l'invasion normande du VIIIème siècle. On croit même que les habitants se sont retirés comme dans une retraîte plus assurée, jusqu'à l'endroit où est aujourd'hui la gracieuse petite ville de Belle-Isle-en-Terre.

Sa chapelle, rebâtie hélas ! il y a quelques années à peine, sur l'emplacement de l'ancienne, où se voyaient dit-on des tombeaux d'évêques, n'offre plus de remarquable que le rétable de l'autel. La Sainte-Vierge y est représentée au lit, avec l'Enfant Jésus, sous la garde de saint Joseph, qui veille sur le précieux dépôt dont le ciel l'a chargé.

Pareille représentation se remarque à Lanrivain et à Kergrist, en Plounez, l'on voit de plus la cuisine des anges copiée naïvement de je ne sais quel tableau espagnol. Il nous coûte de quitter Coz-Yaudet avec tant de problèmes à résoudre, sur son existence, sa destination, et le rôle qu'elle a joué dans la civilisation de la Bretagne.

Si nous suivons la côte à gauche, nous arrivons à Trédrez et à Loquémau qui ont des églises remarquables ; mais il vaut mieux traverser l'estuaire du Léguer, pour aborder à l’île Milliau, que n'offre de curieux cependant qu'un immense dolmen. Plus loin c'est l'Ile-Grande, cette carrière inépuisable du plus beau granit de Bretagne. Sa chapelle est assez bien. Un reliquaire du XVIème siècle y est adossé. Elle était autrefois dédiée à saint Marc, et aujourd'hui à la Sainte-Trinité. On y a transporte le mobilier d'une chapelle de ce nom située dans l'île Aval, ce tombeau, dit-on, de notre roi légendaire Arthur.

Il y a une dizaine d'années, en cultivant un jardin, le seul de l'Ile Aval, on a découvert, en face d'une croix normande, tout autour d'un petit tumulus, surmonté d'un menhir, une quarantaine de squelettes. La boîte crânienne était très allongée et d'une épaisseur peu ordinaire. Tous étaient couchés sur la bouche, la tête entre deux pierres, les mains pressant la tête de chaque côté. Étaient-ce les compagnons du roi Arthur qui lui faisaient leur cour après la mort, autour de ce tumulus où il serait enseveli lui-même ? Rien de plus naturel, puisque sa cour était au château de Kerduel, tout à côté, que de l'avoir enterré dans cette île qui, lors des grandes marées, n'offre à l'oeil que sa crête verdoyante.

Quelques-uns de ces crânes ont été confiés à un célèbre médecin de Paris, en 1879. Le reste a été renfermé dans une grande châsse, et enterré dans le cimetière de l'Ile-Grande. Nous ne quitterons pas cette île sans avoir visité son dolmen érigé sur une lande rocailleuse. Il consiste en deux pierres de quatre mètres de long sur deux de large, posées sur trois autres debout. En nous rendant au bourg de Pleumeur, nous rencontrons le plus beau de nos menhirs. On y a gravé les instruments de la passion entourant une croix, récemment peinte de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Il semblerait que ce monument ait été accidentellement ou à dessein, fendu par le milieu, et que nous n'ayons qu'un demi-menhir. Peut-être les forces dont disposaient les habitants pour le dresser, d'après la méthode qu'on nous indiquait hier, étaient-elles insuffisantes pour l'ériger tout entier.

Sur la route de Pleumeur à Ploumanac'h, on trouve en un carrefour appelé Goaradur, où Arthur est encore pour quelque chose, une sorte de pierre tombale couverte de petites croix, s'enchevêtrant les unes dans les autres, tellement qu'il est impossible de les compter. Les habitants l'appellent le tombeau du roi de Tréoguer ou Triago.

Ploumanac'h, outre ses rochers bizarres et ses pierres branlantes, nous offre un petit oratoire porté sur quatre piliers romans, presque rongés par la mer. C'est la chapelle de Saint-Guirec, disciple de saint Tugdual. Réprouvons en passant un usage superstitieux qui s'y pratique par les jeunes filles impatientes de découvrir l'avenir; mais nous serons impuissants à le détruire, l'homme s'attachant pour ainsi dire avec plus de tenacité à l'erreur qu'à la vérité.

Sur le plateau élevé qui domine les rochers de Ploumanac'h, nous trouvons la belle chapelle de Notre-Dame de la Clarté. C'est un édifice du XVIème siècle, d'un aspect imposant, qui renferme quelques belles pierres sculptées. Les rétables en bois, sont encore assez bien ; mais les statues n'ont aucune expression et sont parfois d'une extrême laideur, à part celle de la Sainte-Vierge qui, là comme ailleurs, a été de la part du sculpteur l'objet d'une attention toute spéciale. La tour de la chapelle, surmontée d'une belle flèche en granit rose, est placée sur l'angle de l'édifice. Les marins l'aperçoivent d'une grande distance en mer et ne manquent jamais de prier Notre-Dame de la Clarté de leur donner un bon voyage. Nous jetons un coup d'oeil du haut de ce plateau, avant de le quitter, sur l'un des horizons les plus merveilleux et les plus pittoresques de la Bretagne, avec un souvenir respecteux pour la mémoire de Mgr David, le savant évêque, qui a le premier fait connaître et apprécier cette merveille de Ploumanac'h.

Nous voici déjà en face de l'église de Perros-Guirec et de sa coupole en granit rose, placée sur l'un des has-côtés. Qui n'a pas étudié cette belle nef romane aux chapiteaux si bizarrement sculptés ? Ce sont des feuilles d'arbres et des animaux fantastiques, des dragons ailés et des saints qui les précipitent à la mer ; le porche sud est orné de figures énigmatiques ; peut-être saint Guirec placé entre une colombe et un lion ; puis vient la lutte du guerrier et du dragon si commune dans nos légendes, toutes choses d'ailleurs qui donnent du mouvement et de la vie à ces scènes variées. La nef se continue par un chœur très allongé, bâti un siècle ou deux après, et qui menace ruine ; c'est d'un gothique très douteux. Le chevet est percé d'une belle verrière, grossièrement sculptée, avec quelques restes d'anciens vitraux. Par sa bizarrerie, l'église de Perros est une des plus intéressantes à visiter, et les archéologues ne doivent former qu'un voeu, c'est qu'elle soit conservée telle qu'elle est ou restaurée par un architete intelligent. C'est ici, Messieurs, que devait s'arrêter mon excursion. Cependant, je demanderai la permission de pousser une pointe jusqu'au tombeau de notre glorieux saint Yves.

Au sortir de Lannion nous découvrons les ruines de la chapelle de Saint-Marc, de la fin du XIIIème siècle, à part le transept nord, qui y a été ajouté au XVIIème siècle, comme l'atteste une inscription placée sur la porte d'entrée. Nous remarquerons, en passant, que la dévotion à ce saint était très populaire en Bretagne, et qu'il y avait de nombreuses chapelles. Plus loin, au delà des superbes bois de Keryvon, c'est la chapelle bien conservée de saint Dogmaël, un évêque, croit-on, de Coz-Yaudet, qui vint suivant la tradition, évangéliser le pays de Rospez et fut enterré non loin de là sous un tumulus surmonté d'un calvaire, sur les bords d'une voie romaine. Cette chapelle du XVIIème siècle, est vraiment remarquable avec la statue du saint évêque, de Sainte-Anne et de l'entant Jésus, telles qu'on les représentait à cette époque, largement drapées et richement polychromées. On y voyait, il n'y a pas encore longtemps, une jolie verrière représentant le portement de croix. Elle a été brisée par la main sans pitié des enfants du village. Une statuette en pierre, placée dans une niche au-dessus de la fontaine, est bien antérieure à la chapelle actuelle, ce qui nous indique que le culte de saint Dogmaël est bien plus ancien dans le pays. Son Gwerz ou légende qu'on chante dans toutes les maisons, le prouverait encore davantage. Nous passons le bourg de Rospez, sans rien dire de son élégante église à peine achevée, aussi bien que la chapelle des Salles en Lanmérin, malgré les sculptures si riches et si bizarres de sa corniche en bois et de ses poutres-entraits, pour nous arrêter à la modeste, mais très ancienne église de Lanmérin, qui a pour patron un saint légendaire encore, saint Mérin, un ermite, croit-on, du VIème siècle, probablement un compagnon de saint Tugdual. Il est représenté dans l'église en chape, nu-tête, un livre à la main. C'est le patron des chantres, parce que suivant la tradition, et c'est tout ce qu'on sait de lui, il chantait et apprenait au peuple à chanter les louanges de Dieu. Lucius Ferrari en parle dans son Martyrologe.

Plus loin, c'est Langoat avec sa famille de saint Tugdual. L'église est élégante et d'une architecture à part. Bâtie à la veille de la Révolution, elle fut la dernière église consacrée par Mgr Le Mintier, le dernier évêque de Tréguier. Le recteur que venait aussi de construire son presbytère, pressentant la tempête qui allait l'emporter, fit inscrire sur les 14 modillons qui en soutiennent la toiture, ce commencement du célèbre vers de Virgile : S.I.C. V.O.S. N.O.N. V.O.B.I.S.

Au milieu de l'église, on voit le tombeau de sainte Pompée, appelée Coupaïa [Note : Ou Quoupaïa, les Irlandais employant qu à la place de p qui est de l'alphabet gaulois. (D'Arbois de Jubainville)], mère de saint Tugdual. Près de l'autel est sa statue ainsi que celle de son fils portant la tiare. Saint Léonor, son second fils, y avait aussi une statue ; on en a fait récemment un saint Brieuc !. La statue de sainte Sève, leur sœur, s'y voit toujours, mais le nom a été effacé. De Langoat, nous voyons l'église de la Roche-Derrien, d'un aspect imposant. Mélange assez curieux de roman et de gothique, elle peut devenir l'objet d'une étude sérieuse. La tour, terminée par une belle flèche en granit, est sur le collatéral midi ; l'autre collatéral et la nef principale sont du style roman ; le reste est de l'époque ogivale du XIVème siècle, comme l'atteste une inscription sur le mur extérieur du chevet : Anno Domini MCCCXXX post passionem Christi fundamentum posuit...

Non loin de cette église est la chapelle de Notre-Dame de Pitié, près de laquelle se livra le terrible combat de 1347, où Charles de Blois fut fait prisonnier. On a même prétendu que c'est son buste qui est représenté dans l'église de la Roche, du côté de l'évangile, entre deux têtes, de l'abbé de Bégard et de Jeanne de Penthièvre. En face se voit un tableau de saint Yves, qui n'est pas sans mérite. L'autel est en bois sculpté d'un travail remarquable ; il appartenait à la chapelle des Capucins de Sainte-Brieuc.

C'est encore de la Roche que partit Charles de Blois, après sa captivité, pour aller nu-pieds, visiter le tombeau de saint Yves à la cathédrale de Tréguier. Au village de Langazo on avait une voie romaine très mal pavée, dont les pierres allaient déchirer les pieds de l'illustre pèlerin. Les habitants l'avait recouverte de paille, mais le duc l'écartait pour marcher sur la pierre dure. Depuis ce jour ce chemin porte le nom de Chemin de la pénitence, hent ar bénigen !

Arrivé à Tréguier, Charles de Blois descendit à genoux les six marches que l'on voit encore sous le porche de la cathédrale, et se traîna ainsi jusqu'au tombeau du saint, qu'il baigna de ses larmes. Son successeur, Jean IV, donna son poids d'argent pour ériger un monument sur ce tombeau venéré, et Jean V fit construire une chapelle pour être enterré à côté de saint Yves.

Je m'arrête, Messieurs, devant ce tombeau où tant de générations sont venues prier. C'est comme le palladium de notre Bretagne. Un autre monument se prépare pour remplacer celui que le temps et le vandalisme des hommes ont détruit.

(l'abbé FRANCE, Curé-Doyen de Lannion, 1884).

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