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LE QUAI D'AIGUILLON A LANNION

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Emmanuel-Armand du Plessis-Richelieu, duc d'Aiguillon, lieutenant-général et commandant en chef de la province de Bretagne, s’y fit personnellement détester par sa morgue et son caractère hautain. Mais son gouvernement fut intelligent et libéral. Il n’est pas une de nos villes bretonnes qui ne conserve des marques de sa munificence.

Lorsqu’il fit son entrée solennelle à Lannion, en 1755, la communauté de ville ajouta dans son zèle, au cérémonial d’usage. On voit figurer aux comptes du miseur, une dépense de 114 livres, dans laquelle était comprise une somme de 4 livres 4 sous, pour sept douzaines de crêpes offertes à Monseigneur, et une autre de 16 livres, pour des chevaux destinés à ses fréquents voyages de Perros (Perros-Guirec).

Les travaux du grand chemin de Perros à Lannion, étaient alors en pleine activité. Le règlement et les instructions du duc et de l’intendant Le Bret, qui devaient doter la province de tant d’admirables voies de communication, avaient été publiés à Rennes le 5 novembre de l’année précédente.

Avant cette époque, nous n’avions, « à proprement parler, que deux grandes routes, l’une entrant dans la province du côté du midi , par Ingrande , et continuant jusqu’à Brest, par Nantes, Vannes, Quimper, Landerneau ; l’autre, entrant aussi dans la province du côté du nord, par Pontorson, et continuant jusques à Brest par Dinan, Saint-Brieuc, Morlaix et Landerneau » (De Nointel, Mémoire Mss 1698).

L’accueil et la reconnaissance de Lannion lui valurent la faveur intime de ce puissant personnage, gouverneur de fait de la province, puisque le titulaire de cette dignité, le duc de Penthièvre, n’avait pas le droit d’entrer dans son gouvernement. Aussi nos volontaires ne furent-ils pas les derniers à se rendre à son appel, lorsqu’en 1758, les Anglais menaçaient nos côtes. Réunis aux troupes du compte d'Aubigny, qui commandait à Tréguier, ils contribuèrent vaillamment au gain de la bataille de Saint-Cast. On sait que le duc d'Aiguillon leur laissa comme trophée, un certain nombre de fusils, qu’ils avaient pris à l’ennemi, et notre garde nationale les possédait encore en 1815.

Peu de temps après ce brillant fait d’armes, le duc revint à Lannion. Il était souffrant. Nos excellentes eaux minérales, par trop négligées aujourd’hui, lui rendirent la santé. C’est pendant ce séjour qu’il apprit à connaître les besoins de la localité, et qu’il conçut le plan de ces utiles et vastes travaux, qui d’une assez laide bourgade, sombre et resserrée comme toutes les forteresses du moyen-âge, firent la charmants cité que nous habitons.

Un homme de mérite, l’ingénieur Anffray, à qui l’on doit, par parenthèse, l’église de Langoat, le tribunal de Guingamp, et d’autres monuments remarquables, dirigeait tout sous ses ordres. Il fixait les limites de la banlieue aux cinq entrées des routes nouvelles, relevait le pavage, redressait les rues, achetant à cet effet des maisons, celle entre autres du sieur Le Caër à l’angle de la rue de Tréguier. Il réédifiait le mur du cimetière du Baly, approuvait le projet de translation des halles aux buttes de l'Arbalète, comblait le pavé neuf sur les anciennes douves, et plantait l'Allée-Verte, commencement du frais boulevard qui devait enceindre la ville.

Mais sa création la plus importante, est celle dont nous allons plus spécialement parler.

Lannion : Quai d'Aiguillon

Sur sa demande, les états de Bretagne votèrent les fonds nécessaires à la construction du quai de Lannion. Le 9 février 1762, la communauté de ville, assemblée au son de la campane, et délibérant en la manière accoutumée, est d’avis : « de suivre le devis et arrangement du quai, dressé par M. Magin. — Que M. de Lestimber-Couppé, Maire, fasse sans délai les approvisionnements de matériaux nécessaires. — De s’entendre avec le sieur Frottin, entrepreneur, pour le prix qu’il conviendra lui donner pour veiller à l’exécution des travaux du quay... — Et ont les susdits délibérants statué de faire élever au milieu du nouveau quay une obélisque qui servira de fontaine, lorsque l’on aura par la suite les moyens d’en faire la dépense et que cette obélisque portera les armes de monseigneur le duc d'Aiguillon en sculpture, et qu’avec la permission on donnera son nom au quay ».

Nos échevins étaient alors : MM. Couppé de Kervennou, Chauvel, Saint-Hugeon, Le Bourva, de Fontainegué, Troguirec Le Poncin, Kerest-Thomas, Kervenno-Délivré, Le Jannou, Tromenguy-Jagou, Kerprigent-Riou, de Lestimber-Couppé, Maire.

Nous avions pensé d’abord, sur la foi d’un écrit par M. Couppé de Kervennou, que la première pierre du quai avait été posée le 8 février 1762.

Il en fut sans doute alors question, et le duc d'Aiguillon était dans nos murs, car dans l'Assemblée du 3 mars suivant le maire demanda « sa reprise sur les fonds de la ville d’une somme de 853 livres 16 sols 2 deniers, pour différentes dépenses faites à l’occasion du passage de monseigneur le duc d'Aiguillon, commandant en chef de la Province, par cette ville les 6, 9 et, 10 du mois dernier ».

Mais la délibération du 17 juillet, nous montre l’erreur. — En l’endroit nous a été représenté par monsieur Couppé, commissaire des états, l’inscription ci-après que la communauté est d’avis d’être mise sur la pierre destinée à recevoir la dernière inscription au quai d'Aiguillon dans les fondements : Aiguillonio duce fauente, Comitiis Armoricis largientibus, Portvs hic, augendis ditandisque Commerciis, struitur, anno M. DCC. LXII.

Et sont de plus d’avis de réitérer leurs prières à monseigneur le duc d'Aiguillon de mettre la première pierre.

Une heureuse circonstance nous a procuré des traditions et des documents qui nous permettent de décrire avec certains développements cette brillante solennité.

Dès que l’acceptation et le jour de l’arrivée du duc d'Aiguillon furent connus, on décida : « qu’il serait à propos de députer vers sa grandeur pour la supplier de permettre que la communauté ait l’honneur de lui donner à manger pendant son séjour à Lannion ».

Le couvent du Pochour était depuis longtemps disposé pour le recevoir. C’est là qu’il tenait sa cour. Pendant les repas, les portes restaient ouvertes, les dames et les notabilités circulaient autour du couvert, comme au dîner du roi. - Quels sont ces jolis enfants, demanda-t-il un jour ? - Ce sont ceux de l'alloué, M. Couppé de Kervennou. Aussitôt ils les fait approcher, et les comble de bonbons et de caresses. Or, l’un de ces enfants fut depuis député de Lannion à la Constituante et à la Convention. L’autre était cette bonne demoiselle Couppé, morte presque centenaire, et de qui nous tenons la plupart de ces détails.

Enfin, le grand jour parut. C’était le 25 juillet 1762.

Dès l'aurore, on tire les canons. La ville était déjà sur pied. Vers 9 heures, un incident fâcheux faillit troubler la cérémonie. Les ordres et les corps étaient réunis à l'Hôtel-de-Ville. Une question de préséance, qui se renouvelait sans cesse, ne pouvait manquer de surgir de nouveau, dans une aussi grave circonstance.

MM. les juges-royaux de la cour de Tréguier (au siége de Lannion), réclamèrent impérieusement le pas. Vous aurez la droite, disaient messieurs de la ville, mais nous prendrons la gauche.

Nous marcherons seuls ! dit le sénéchal Frémel, jaloux des droits de sa compagnie. Et sur ce, la magistrature sort la première.

L’échevinage, furieux, broche une protestation dont l’écriture tremblée, et les signatures, à peine lisibles, attestent les passions qui l’agitent. La maligne bourgeoisie attendait.

Le maire qui la commande donne, avec présence d’esprit, quelques ordres que se hâte de faire exécuter le Major, M. Chauvel.

La première compagnie, dont M. Riou de Kerprigent est le capitaine, ouvre ses rangs à MM. de la cour, et, prenant par la rue neuve, se dirige vers le Porchou. La seconde, commandée par M. Vistorte va servir d’escorte au clergé, et descend par le Baly et la rampe de l’église. Enfin la troisième, sous les ordres de M. de Miniac, doit accompagner la communauté de ville, et sortir par la porte de la rive.

De cette manière, tous vont se trouver réunis sur la grève, et venus par des chemins différents, nul n’aura eu le pas.

L’on se ferait une fausse idée du coup d'oeil que durent offrir ces lieux, si on les jugeait d’après ce que nous les voyons. Une grève aride et vaseuse, longeait les maisons, ou plutôt les murailles où s’ouvrait une porte, dite de la rive. A droite, les ruines du château ; à gauche, le couvent du Porchou. A la tête du pont, un vieux moulin, et en face, de l’autre côté de l’eau, Sainte-Anne au milieu de son marais.

Tel était l’amphithéâtre où se groupait un peuple immense.

Les trois compagnies se réunissent devant les Augustins, reçoivent le duc et son cortège. Le demi-cercle se forme. M. Le Nouvel, recteur de Lannion, après les prières et bénédictions d’usage, remet la truelle d’honneur au héros de la journée, qui en touche légèrement la pierre blasonnée, où brille sur sa lame de cuivre poli, l’inscription votée, entourée de lys et d’hermines.

Alors, M. Couppé, alloué et ancien maire, s’avance, et dit : « Monseigneur, On sait les services mémorables que les grands hommes de votre maison ont rendus à l'état ; mais on ressent encore mieux ceux que vous lui rendez pour vous, Monseigneur, d’exposer votre santé et votre personne pour la sûreté de la Province, travailler encore à la rendre heureuse dans les temps mêmes les plus critiques. Parmi les arts que vous protégez dans cette ville, vous avez distingué le commerce comme le plus intéressant, et si les temps ne sont pas favorables pour son rétablissement, les obstacles qui s’opposent au bien sont faits pour exercer une âme ferme qui met principalement sa gloire dans les services rendus à l’humanité. Qu’il est doux aux habitants de Lannion d’avoir tant de part aux bienfaits que vous donnez à publier à la renommée ! Oui, Monseigneur, la ville de Lannion vous devra l’activité de son commerce ; elle vous devra d’être un jour de quelque considération dans la province, et ces ouvrages qu’on va commencer sous vos auspices, redoublent la confiance que nous avons fondée sur votre puissante protection ; que le ciel exauce nos voeux ! qu’une vie longue, une santé parfaite vous affermissent, Monseigneur, dans ce rang éminent ou vous continuez de rendre à la province des services si dignes de sa reconnaissance et du souvenir de la postérité, qu’enfin les jours de votre commandement ayent aussi peu de bornes qu’en ont notre amour, notre soumission et notre respect. Pour comble de grâce, nous vous supplions de mettre la première pierre à notre port, il sera votre ouvrage, et votre main seule peut lui donner de la solidité ».

Nous n’avons pas la réponse faite à ce discours, mais, nous pouvons affirmer qu’elle fut flatteuse et bienveillante. Dans ses relations épistolaires avec nos magistrats municipaux, voici la formule qu’affectionnait le duc d'Aiguillon « Personne ne vous honore, Messieurs, plus véritablement et plus parfaitement que moi ».

Le canon tonnait toujours sur le tronçon de la vieille tour du château. Le cortège se remit en marche, ramenant le duc au couvent devenu son hôtel, précédé de la musique et des violons de la milice.

Le soir, on banqueta, on dansa, il y eut des illuminations. Le quai de Lannion venait de sortir de l'onde ! Le 27 août « le Maire remet un mémoire de dépense montant à 1,266 livres 17 sols 6 deniers pour le passage du duc d'Aiguillon en cette ville les 24, 25, 26 et 27 du mois dernier ».

Le 7 février de l’année suivante, la ville supplie Monseigneur le duc de Penthièvre de nommer la cloche du Baly, avec madame la duchesse d’Aiguillon.

Lannion : Quai d'Aiguillon

Enfin, en 1764, il est encore question de différents séjours du duc en notre ville, entre autres de celui qu’il y fit les 26, 27, et 28 janvier. Les travaux du quai s’achèvent. On parle encore, « de l’obélisque que l’on doit élever en mémoire de la protection dont monseigneur le duc daigne honorer la ville, et surtout de la pompe qu’elle désire avoir depuis plus d’un siècle, puisque dès le 17 septembre 1688, la communauté avait délibéré d’en faire venir une à Lannion ».

Un autre siècle s’est écoulé depuis ces événements, la ville forme toujours les mêmes voeux relativement à la pompe ; quant à l’obélisque, il n’en est plus question.

Et cependant, l’ingratitude n’est pas un vice breton. « Que d’autres jugent l’homme politique, attaquent même l’homme privé, cherchant un motif secret aux visites si fréquentes qu’il daignait nous faire. Nous ne verrons, nous, que ses bienfaits ; et qu’ils soient ou non gravés sur la pierre, nous n’en continuerons pas moins, respectant le vote de nos pères, à nommer le quay de Lannion le quay d’Aiguillon ! » (J. de Penguern).

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