|
Bienvenue ! |
Révolution à Lannion : émeute du 10 septembre 1792. |
Retour page d'accueil Retour " Ville de Lannion "
L'émeute du 16 octobre, causée par la misère, eut un caractère purement économique, on ne peut en dire autant de celle du 10 septembre 1792, qui eut des motifs politiques et religieux. Avant d'en entreprendre le récit, il est utile de la situer dans le temps et dans l'espace.
Malgré les craintes de ses hommes de loi, Lannion a conservé son tribunal et est devenue un chef-lieu de district, première ébauche des arrondissements actuels, mais presque de moitié moins étendu ; ses juges, procureurs, avocats, avoués, notaires sont parvenus à peu près tous à se caser dans les nouvelles administrations et sont maintenant administrateurs du département ou du district, juges de paix, ou au tribunal de district que Cadiou préside, et dont fait partie Couppé, inéligible comme tous les constituants à la Législative, dans laquelle Lannion est représentée par l'avocat Rivoallan.
La belle ardeur des débuts s'est éteinte, la Constitution qui devait « faire le bonheur de tous les Français », comme chacun le répétait trois ans auparavant, s'avère à l'usage franchement absurde, malgré ou plutôt à cause des hommes de talent qui l'ont rédigée, purs théoriciens pétris d'excellentes intentions, idéologues, dira méprisant Bonaparte, tous également dépourvus d'expérience politique. Les institutions, même médiocres, peuvent à la rigueur être corrigées dans l'application par d'habiles hommes d'état, la France en manque et elle fait le dangereux apprentissage de la liberté.
Le roi est sans autorité, et le gouvernement sans force, l'application de la Constitution civile du clergé, imprudemment décrétée par l'Assemblée Constituante, qui a prétendu réorganiser l'église de France sur le modèle de l'état sans tenir compte de ses chefs : les évêques et le pape, a troublé et divisé les esprits et provoque une profonde agitation. Les bourgeois Lannionais se sont faits dans leur district les défenseurs et les propagandistes de la nouvelle organisation religieuse, qu'ils regardent comme faisant partie intégrante de l'ordre nouveau, ils y ont perdu leur popularité et leur influence dans toutes les communes rurales restées attachées à leurs anciens prêtres, seules les paroisses dont les recteurs ont fait le serment et accepté la constitution civile, et elles sont peu nombreuses, acceptent, et encore quand leur intérêt n'est pas en jeu, leurs conseils et leurs directives.
A force de déclamer contre les tyrans, l'Assemblée législative au mois d'avril, déclare une guerre d'idéologie au roi de Hongrie et de Bohême, espérant par cette fiction diplomatique s'assurer la neutralité de l'Allemagne, dont le dit roi est aussi l'empereur, et elle s'est trouvée en face de l'Autriche et de la Prusse unies par un traité secret. Nos armées désorganisées par l'indiscipline, les mutineries continuelles depuis deux ans et non réprimées, la désertion des soldats, l'émigration des officiers, ne connaissent que des revers. La Fayette et les autres généraux réclament impérieusement des renforts, les volontaires restent rares et plus résignés qu'enthousiastes.
Il faut tout d'abord le reconnaître, la Bretagne, pépinière inépuisable de hardis marins et d'intrépides corsaires, nourrissait, semblable en cela à la plupart des provinces françaises, un invincible éloignement pour le service militaire. Parmi les charges de l'ancien régime, une des plus odieuses dans nos cantons était la milice, ou l'obligation pour chaque paroisse de fournir, par voie de tirage au sort, un ou plusieurs miliciens soldés et équipés à ses frais. En temps de paix les miliciens n'étaient astreints qu'à des assemblées périodiques, en temps de guerre ils constituaient la dernière réserve, celle qui à Malplaquet et à Denain avaient sauvé la France. Bien que la dernière convocation de la milice remontât à 1778, l'institution demeurait très impopulaire et la plupart des cahiers de doléances rédigés à l'occasion de la réunion des Etats généraux demandent l'abolition de cette loterie de malheur, dont les citadins sont exempts, et qui n'apporte dans les campagnes à ses malchanceux gagnants que des frais, des démarches, des voyages ruineux, l'impossibilité de se marier et par-dessus tout la menace d'un départ toujours possible pour l'armée et pour la guerre (Pommeret, op. cit., p. 24).
Aussi lorsque la Constituante, en 1791, eut supprimé le racolage et établi comme seul mode de recrutement les engagements volontaires, le département des Côtes-du-Nord eut le plus grand mal à fournir le contingent de gardes nationaux qui lui était réclamé. En juin 1792, il n'a mis sur pieds que deux bataillons sur les quatre qu'il doit lever, et encore les volontaires, engagés seulement pour un an, proviennent tous des villes et des gros bourgs patriotes.
L'invasion prussienne, la déclaration de la patrie en danger en juillet 1792, les pressantes adjurations des autorités constituées sont tombées dans les campagnes au milieu de l'indifférence générale. Le moment était mal choisi, l'époque de la moisson approchait, et le paysan craignait davantage la perte de ses récoltes que les Prussiens. Personnellement il n'a rien à redouter de la guerre qui se déroule au loin et il restera à ses foyers à moins qu'on ne l'en arrache de force. Non qu'il craigne la mort, et que son attachement à la vie le rende lâche, il est moins avare de son sang et de sa peine que des pauvres biens qu'il a amassés par son épargne et qu'il conserve péniblement, mais il redoute les aventures et ne comprend pas encore les nouvelles obligations qu'il a assumées en devenant citoyen et en renonçant à son particularisme provincial, pour n'être plus qu'un membre de la grande nation française.
Néanmoins, les exhortations répétées des administrations locales auraient peut-être fini par l'éclairer sur ses devoirs et par triompher de son indifférence, si la politique religieuse suivie par la Constituante et par la Législative ne l'avait déjà transformé en un adversaire de cette révolution dont il saluait naguère les premiers pas de ses acclamations enthousiastes.
Depuis l'application de la Constitution civile, le paysan a vu toutes ses habitudes religieuses bouleversées par le départ des prêtres qui avaient sa confiance et par l'intrusion de nouveaux pasteurs dont les gardes nationales des petites villes du voisinage lui ont imposé la présence. Les chapelles rurales ont été fermées, quelquefois l'église elle-même a subi le même sort, et la paroisse a été supprimée. Dans son messianisme naïf, qu'il partageait d'ailleurs avec les citadins, il a rêvé d'un âge d'or, sans charges et sans contraintes. Il a maintenant le sentiment d'avoir été trompé, et les impôts, bien que baptisés contributions, lui paraissent d'autant plus lourds que ce n'est plus seulement le fruit de son travail, mais ses fils eux-mêmes que la Révolution réclame.
Il n'est donc pas étonnant que la levée des 2.097 hommes, chiffre auquel la loi du 22 juillet 92 sur le complément des troupes de ligne fixait le contingent des Côtes-du-Nord, ne se trouvât entravée par la mauvaise volonté de la plus grande partie de la population. En vain le Conseil général du département adresse-t-il encore le 14 août de pressants appels aux volontaires et fait miroiter à leurs yeux les avantages qui les attendent, il ne trouve guère d'échos, en dehors des villes, et des paroisses rurales, peu nombreuses, sur lesquelles les curés constitutionnels ont quelque influence. Au début de septembre, le Département, en présence du petit nombre d'engagements volontaires obtenus, arrête de recourir au tirage au sort pour désigner d'office les partants et fixe l'opération au dimanche 9 septembre [Note : Ibidem., p. 166. Sur cette affaire, Cf. A. D. C-D-N. L (m5) 42, 53. - Trib. criminel. Informations contre les communes insurgées et jugements, plus liasses n. cotées oct. 92, juin 93. - A. N. F 3669, I. Mémoire du conseil général de la ville die Lannion concernant l'insurrection du 10 sept. 1792. - A. C. Pontrieux, 2e Reg. délib , ff. 96 et suiv.].
A Lannion, les jeunes gens du canton convoqués pour neuf heures à l'église des Augustins se rassemblent, sur un mot d'ordre donné, à l'exception de ceux de Ploubezre, sur la route de Perros-Guirec à l'entrée de la ville. Au nombre d'un millier, armés de bâtons ferrés, ils commencent par jeter bas leurs cocardes tricolores, dont le port était alors obligatoire, et gagnent le champ de foire du Forlac'h.
L'officier municipal Deminiac se porte vers eux accompagné de la municipalité de Rospez. Entouré, injurié et menacé, il tente de leur faire entendre raison et les exhorte à obéir à la loi et à se rendre dans l'église des Augustins pour tirer au sort. Sa harangue ne suscite que des clameurs et de bruyantes protestations : « Nous ne donnerons pas un soldat à la nation. Nous ne connaissons que le roi et il est prisonnier en ce moment. Que les citoyens marchent à la frontière, nous ne sommes pas citoyens. Nous descendrons avec nos armes dans la ville, ou bien on dissoudra la garde nationale. Vous avez emprisonné plusieurs de nos camarades, rendez-les nous ! ».
Deminiac, qui vainement s'efforce de réfuter à leurs griefs, consent dans un but d'apaisement à l'envoi de deux de leurs délégués à la municipalité, pour lui demander la permission d'entrer en ville avec leurs bâtons sous l'engagement de n'y commettre aucun dégât. Peu rassurée et manquant de confiance dans leurs promesses, celle-ci refuse et les invite à rentrer paisiblement dans leurs paroisses avec leurs compagnons. Après de nouvelles palabres et de nouvelles exhortations, les conscrits finissent par obéir et par se disperser, mais en promettant de revenir.
Pendant ce temps, à Perros, les jeunes gens du canton rassemblés par paroisses dans le cimetière à l'issue de la grand'messe, ne montrent pas, à l'exception de ceux de Trébeurden et de Pleumeur, de meilleures dispositions. Ceux de Kermaria-Sulard tombent à bras raccourcis sur deux individus qui ont manifesté l'intention de s'engager et les rossent d'importance ; ceux de Saint-Quay s'armant de pierres lapident le vicaire-jureur Le Roux, qui les exhorte à se soumettre à la loi, et l'obligent à se réfugier chez le curé constitutionnel de Perros, puis tournant leur colère contre les commissaires du district, ils les contraignent à remonter précipitamment à cheval et à reprendre au galop de leur monture la route de Lannion.
Dans le canton de Prat, rassemblés dans chaque paroisse au son du toscin, qui dès six heures du matin s'est fait entendre, les conscrits parcourent les fermes, obligent les hommes à les suivre au chef-lieu où ils arrivent un peu avant l'heure de la grand'messe. Justement alarmé de cette affluence, le maire de Prat les harangue et leur conseille vainement à retourner chez eux ; à bout d'arguments, il les invite à assister à la grand'messe qui va commencer dans un instant, et suivant son exemple ils entrent dans l'église. Plus calmes à la sortie, ils finissent pas se laisser convaincre et consentent à se disperser, mais à condition qu'on rende à leurs paroisses les prêtres emprisonnés. Du tirage au sort il n'est naturellement plus question et les commissaires du district se retirent prudemment sans insister.
A Tréguier, ce fut pire. Convoqués à neuf heures du matin dans l'ancienne église de Notre-Dame de Coat-Colvezou, les jeunes gens des communes rurales du canton s'attroupent devant la porte, qui est fermée car les conscrits de la ville et du Minihy y tirent au sort, et essaient de l'enfoncer. Au tapage qu'ils font, la municipalité de Plouguiel sort pour les inviter au calme et à la patience. « Nous ne sommes pas pressés, répondent-ils ironiquement, car nous ne voulons pas tirer au sort », puis pénétrant de force dans l'église par la porte ouverte, ils se répandent en injures et en menaces contre les autorités présentes. Un officier municipal de Tréguier essaie de leur tenir tête, ils lui arrachent sa perruque et l'en soufflettent. A coups de bâtons ils expulsent les autorités et les gardes nationaux, qu'ils désarment et qu'ils dépouillent de leurs cocardes. Pendant que les représentants de la loi s'enfuient précipitamment par une porte donnant sur le cloître de la cathédrale, ils démolissent dans leur rage, trois fusils, deux baïonnettes et un tambour, puis en bande, précédés d'un tambour de la garde nationale qu'ils ont fait prisonnier et contraint à marcher avec eux en battant la caisse, ils se promènent pendant une heure dans la ville pour célébrer leur victoire.
Dans l'après-midi, une partie d'entre eux des paroisses de Plouguiel, Camlez, Le Minihy, se portent sur Penvenan où le tirage va commencer, envahissent la maison commune, renversent tables et chaises, arrachent leur cocarde aux citoyens de Penvenan, les dispersent et rendent le tirage impossible. ?
Portée par les vainqueurs eux-mêmes et grossie par la voix publique, la nouvelle de leurs hauts faits se répand rapidement dans toutes les paroisses situées entre le Trieux et le Léguer, car c'est le dimanche et les auberges regorgent de clients. Il ne faut pas s'arrêter en si beau chemin, mais profiter des circonstances pour mettre à la raison les bourgeois des chefs-lieux de district et des petites villes, qui, appuyés sur leurs gardes nationales, terrorisent les campagnes, destituent les municipalités, arrêtent les bons prêtres, emprisonnent leurs partisans et contraignent à payer les contributions.
Le 10 au matin le tocsin sonne dans tous les clochers ; à l'est, l'ouest du Trieux, les jeunes gens de Ploézal, Troguéry, Hengoat, Pouldouran, Le Minihy, Runan, armés de bâtons, de fusils de chasse, de couteaux à pressoir, entrent à La Roche-Derrien vers une heure de l'après-midi, enlèvent ses armes et ses munitions à la garde nationale et obligent les Rochois à marcher avec eux sur Pontrieux, où ils arrivent vers quatre heures. La population alertée est sur ses gardes, et tous les hommes valides sont venus renforcer la garde nationale.
Sur la tour flotte un drapeau rouge, signal d'alarme, annonçant que la loi martiale est proclamée et que la garde nationale s'apprête à user de ses armes. Deux canons sont mis en batterie aux entrées de la ville, l'un, « rue des Galeries », menace la route de Ploézal, l'autre, près la chapelle Saint-Yves, rue des Bouchers, fait face à la route de Runan. Le maire, Le Gorrec, et son adjoint, Jean-Marie Rolland, s'avancent sur la route de Ploézal au-devant des émeutiers pour leur faire les sommations d'usage et les inviter à se retirer. Ils n'en ont pas le temps et sont accueillis par un coup de fusil, auquel la garde nationale riposte par une décharge. S'abritant dans les fossés et derrière les talus, res paysans rechargent leurs armes et redoublent leurs clameurs. De peur d'atteindre les habitants de la Roche, reconnus parmi les rebelles, les Pontriviens n'osent pas se servir du canon, mais, aidés par leurs femmes qui leur apportent des munitions, rechargent leurs fusils et font même le coup de feu à leurs côtés, ils parviennent, après plus de deux heures de combat, à repousser la cohue des assaillants qui bat en retraite, laissant sur place huit tués et de nombreux blessés. Quant aux bourgeois leurs pertes se montaient à quelques blessés légers, sauf un tambour qui mourut quelques jours après de ses blessures. Toute la nuit la ville resta en alerte, parcourue par des patrouilles, et éclairée par les lumignons que par ordre de la municipalité les habitants allumèrent à leurs fenêtres [Note : La municipalité décerna une couronne civique à une des citoyennes qui s'était particulièrement distinguée. Pour mettre la ville à l'abri d'une surprise favorisée par l'obscurité et éviter la dépense que cet entretien de chandelles causait aux habitants, elle arrêtait, le 19, l'achat de 24 réverbères. A. C., 2e Reg., ff. 99, 100].
De son côté, presqu'à la même heure, Lannion était assaillie par plusieurs milliers de paysans accourus de Rospez, Quemperven, Langoat, Coatreven, Berhet, Prat, Cavan, Trézény, Tonquédec, Mantallot, Camlez, etc. La ville « était dans la sécurité la plus parfaite », les incidents de la veille, jugés sans grande conséquence, étaient presque oubliés : tôt ou tard les récalcitrants seraient obligés d'obéir, quand, vers une heure de l'après-midi, un patriote de Tonquédec, le citoyen Le Cunder, vient jeter l'alarme dans la municipalité. Le tocsin sonne dans les campagnes, des attroupements se forment de tous côtés et marchent sur Lannion, leur but est de prendre la ville, de la désarmer et de délivrer les prêtres insermentés qui y sont emprisonnés.
Sur l'ordre du maire, Baudouin, un crieur public portant un drapeau rouge déployé fait le tour de la ville el des faubourgs pour y proclamer la loi martiale ; des émissaires sont dépêchés aux villes et bourgs patriotes du voisinage pour réclamer leur aide ; le tambour bat la générale, les gardes nationaux s'arment en toute hâte et prennent position aux principales entrées, notamment à Saint-Nicolas où un canon est mis en batterie.
Les insurgés, quatre mille hommes au moins ont dit les témoins, mais il se peut que la peur ait grossi leur nombre, au lieu d'attaquer immédiatement et de profiter de la surprise, se divisent en deux bandes qui prennent position, l'une auprès de la chapelle de Saint-Elivet, sur la route de Guingamp, l'autre à la Villeblanche, sur la route de Tréguier, et, sans doute faute de chefs, y perdent un temps précieux.
Cependant, à l'approche de la nuit, vers six heures, les paysans s'ébranlent sur la route de Guingamp et s'avancent jusqu'à l'entrée du faubourg Saint-Nicolas. Baudouin et l'officier municipal Geffroy, qui s'y sont portés, essaient de parlementer, montrent le drapeau rouge, signe de danger. « Rendez-nous nos prêtres, crient les uns. ? Plus de tirage au sort. Remettez le roi sur le trône », crient les autres. Un des plus excités, Le Cam, de Tonquédec, réclame le sang d'un intrus et d'un citoyen.
Le maire alors, au nom de la loi, les somme de se disperser, sinon la troupe usera de ses armes. Des coups de fusil lui répondent. Les gardes nationaux ripostent par quelques décharges et par deux coups de canon. Surpris par cette défense, les insurgés s'enfuient, pris de panique, abandonnant leurs armes : fusils, bâtons, fourches, etc. pour mieux courir et laissant sur le carreau un mort et cinq blessés graves, dont une femme, qui, recueillis par les Lannionais, furent soignés à l'hôpital Sainte-Anne. Au bruit du canon et de la fusillade, l'attroupement de la Villeblanche se dispersait de lui-même. Sur tout le front l'ennemi était en déroute, la ville était dégagée, mais l'alerte avait été chaude.
Comme à Pontrieux, toute la nuit se passa encore sous les armes et jusqu'au jour des patrouilles circulèrent dans les rues, éclairées par le soin des habitants, à qui la municipalité avait enjoint d'illuminer leurs maisons pour parer à une attaque nocturne. Les rebelles n'y songeaient guère. Le lendemain arrivaient plus d'un millier de gardes nationaux accourus de Morlaix, Lanmeur, Plestin, Ploumiliau, Plouzélambre, Saint-Michel-en-Grève, Penvénan et Guingamp. Les Guingampais qui venaient de Pontrieux dispersèrent au passage un petit attroupement à Pont-Losquet. Un autre, à Crec'h-an-Lan, en Brélévenez, se dissipa de lui-même.
La répression fut prompte. Des détachements de volontaires visitèrent les paroisses insurgées, qui frappées d'amende, menacées de châtiment pires encore, offrirent spontanément de fournir leur contingent de recrues et de livrer les principaux meneurs. Des quarante-quatre inculpés de la rébellion de Pontrieux, jugés à Saint-Brieuc, le 19 mars 1793, huit furent condamnés à mort dont deux par coutumace, les six autres furent exécutés successivement dans les six chefs-lieux de district de Saint-Brieuc, Pontrieux, Broons, Dinan, Loudéac et Rostrenen, où la guillotine fut promenée dans le but de frapper les esprits au moment où Boishardy tentait de soulever la région de Lamballe. Les inculpés de Lannion, jugés le 28 juin à Lannion même où s'était transporté le Tribunal criminel des Côtes-du-Nord, bénéficièrent, l'ordre rétabli dans le Trégor, des circonstances : vingt-sept furent acquittés. Un des plus compromis, Yves Le Pennou, de Perros-Guirec, qui avait fait une bannie le 7 septembre pour inviter ses camarades à la résistance, s'en tira avec six ans de « gêne » ; un seul fut condamné à mort, Guillaume Le Cam, de Tonquédec, celui-là même qui réclamait le sang d'un intrus et d'un citoyen, mais comme il était en fuite et qu'on ne fit pas de grands efforts pour découvrir sa retraite, la guillotine n'eut pas, pour cette fois, à fonctionner à Lannion.
Tel fut l'épilogue du premier tirage au sort dans le Trégor. Le souvenir de la levée d'armes auquel il donna lieu a été longtemps conservé par la tradition qui a baptisé l'année 1792 : Blavez an taoliou-vaz, l'année des coups de bâton. Lannion ignorera la chouannerie ; jusqu'à l'établissement du régime consulaire elle sera agitée à plusieurs reprises par les querelles politiques et les rivalités personnelles de quelques ambitieux remuants, notamment pendant la réaction thermidorienne, mais en dépit de la violence des passions, l'ordre ne sera plus troublé dans ses rues, ni dans ses alentours immédiats (Hervé POMMERET).
© Copyright - Tous droits réservés.