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L'EGLISE SAINT-RONAN DE LOCRONAN |
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Il n'existe sur le passé le plus lointain de Locronan que des traditions hagiographiques et populaires, matériaux peu solides pour l'historien, très précieux pour le poète et nullement négligeables pour l'archéologue. On raconte que, vers la fin du Vème siècle, tandis que le roi Grallon régnait en Cornouaille armoricaine, un très saint homme nommé Ronan aborda sur la côte du Léon, venant d'Irlande [Note : On dit indifféremment Ronan ou Renan. Aux XVème et XVIème siècles, et sans doute aussi antérieurement, on désignait Locronan sous le nom de Locronan-Coat-Nevet ou de Saint-René-du-Bois, pour le distinguer de Saint-Renan du Léon, appelée alors Locronan-ar-Fancq (Saint-Renan-du-Marais)]. Il aspirait à pratiquer sans réserves les plus hautes vertus des anachorètes ; malheureusement, la réputation de ses mérites, trop vite répandue dans le voisinage, attira bientôt vers sa retraite un flot continu de malades et de mendiants. Résolu à chercher ailleurs la veritable paix dans la solitude, Ronan, poussé par une inspiration divine, se mit en route vers le sud. Il marcha longtemps ; finalement, il s'arrêta dans une épaisse forêt, au coeur du pays de Névet, non loin de Quimper. Là, il se bâtit une modeste demeure et vécut dans la pénitence. Un jour, accusé de sorcellerie, il fut mis en prison et, en présence du roi Grallon, se justifia, ressuscitant un jeune enfant dont une méchante femme nommée Kében, mère du défunt, lui imputait la mort. Dès lors, tout le monde le respecta ; personne n'osa plus troubler l'obstination quelque peu farouche qu'il montrait à fuir le commerce des autres hommes. Il mourut chargé d'ans et nimbé de mystère. Quant à ses obsèques, elles ne furent pas moins étranges que ne l'avait été sa vie. Deux bœufs blancs traînaient une charrette de paysan sur laquelle gisait son corps. Trois évêques menaient le deuil, mais ne conduisaient pas les bœufs que, seule, dirigeait la main invisible de Ronan. Après un assez long parcours, troublé par l'intervention bruyante et violente de la détestable Kében, les bêtes inspirées, revenant à leur point de départ, c'est-à-dire à l'ermitage de Ronan, s'arrêtèrent brusquement. On enterra le saint en ce lieu qu'il avait ainsi désigné lui-même, sur le flanc occidental de la montagne qu'il se plaisait à parcourir.
Telle est la part de la légende [Note : Fr. Albert Le Grand : La vie des saints de la Bretagne-Armorique, édit. Thomas, Abgrall et Peyron, p. 205-208. D'après la Vie inédite de saint Ronan, publiée par dom Plaine, dans le Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. XVI, 1889, p. 273-318, Ronan, poursuivi par la rancune de Kében, abandonna la Cornouaille pour la Domnonée et y mourut à Hillion, près de Saint-Brieuc, d'où son corps fut ensuite rapporté à Locronan. M. R. Latouche (Mélanges d'histoire de Cornouaille, 1911) refuse absolument toute valeur à ces textes. D'après lui, nous serions en présence d'une création toponymique. « On a dû, écrit-il (p. 81), imaginer saint Ronan, parce que le nom de Ronan entrait dans la composition du nom de Locronan ». Nous n'avons pas à discuter ici cette thèse très hardie qui ne nous paraît pas, du moins dans la seconde partie, appuyée sur des preuves suffisantes. On trouvera reproduite dans l'édition citée d'Albert Le Grand (p. 211-214) une chanson populaire recueillie par La Villemarqué dans son Barzaz-Breiz. D'autre part, E. Renan, dans ses Souvenirs d'enfance et de jeunesse, a écrit sur son saint patron quelques lignes pleines d'une poétique et caressante ironie] ; voici celle de l’histoire :
En 1031, à la suite d'une victoire remportée aux environs de la forêt de Névet sur son suzerain, le duc Alain V, le comte de Cornouaille Alain Caignart établit près de là un prieuré dépendant de l'abbaye alors toute récente de Sainte-Croix de Quimperlé [Note : Dom Placide Le Duc : Histoire de l'abbaye de Sainte-Croix de Quimperlé, publiée par R.-F. Le Men, p. 13 et 66]. Dès cette époque, un certain prestige pieux s'attachait à ce coin de terre, car, avant le combat, Alain Caignart avait invoqué saint Ronan à son secours en même temps que la sainte Croix. En tout cas, Locronan était au XIIIème siècle un lieu de pèlerinage fréquenté ; Pierre Mauclerc y vint, et, plus tard, saint Yves [Note : Dom Plaine : Le tombeau monumental et le pèlerinage de saint Ronan, p. 12 (extrait de la Revue de l'art chrétien, IIe série, t. XI, 1879). Le culte de saint Ronan s'est répandu dès le XIème siècle hors de Bretagne, car son nom se lit dans des litanies de cette époque contenues dans un manuscrit de Saint-Martial de Limoges (D'Arbois de Jubainville : Quelques noms de saints bretons dans un texte du XIème siècle, dans la Revue celtique, t. III, p. 449)]. Peu à peu, il se forma ainsi autour du prieuré une bourgade que les ducs de Bretagne gratifièrent de nombreuses marques de leur faveur, notamment de privilèges financiers [Note : Ainsi, lors de la naissance de son fils qui devait être Jean V, Jean IV accorda aux habitants de la paroisse l'exemption de fouages, exemption confirmée par Jean V, en 1409 (Lettres et mandements de Jean V, publiés par R. Blanchard, n° 1034). Voir en outre ibidem, n° 1723]. En 1643, le corps politique de la « ville de Saint-René-du-Boys » demandait encore au jeune roi Louis XIV la confirmation de ses privilèges existant depuis Pierre Mauclerc (Archives du Finistère, G, paroisses, Locronan). Les routiers et brigands qui désolèrent la région à l'époque de la Ligue n'épargnèrent pas ces gens heureux [Note : Il s'agit surtout des bandes de La Maignanne et de La Fontenelle (An. de Barthélemy : Documents inédits sur l'histoire de la Ligue en Bretagne, p. 235). Le chanoine Moreau écrit de La Maignanne qu'il « fit un très grand butin, car, par la longue paix qu'avait eue cette contrée, les paysans étaient riches en meubles » (Histoire ce qui s'est passé en Bretragne durant les guerres de la Ligue, édition de 1857, p. 165)], pour qui, en compensation, se fit peu après plus abondante une importante source de richesses. Locronan, en effet, devint au XVIIème siècle un des principaux centres de l'industrie de la toile à voiles en Bretagne [Note : Ogée : Dictionnaire de Bretagne, édit. A. Marteville et P. Varin, Rennes, 1843, t. I. p. 514-515]. C'est à ce temps que remontent la plupart de ces logis au grand air qui donnent tant de dignité solennelle à la grande place silencieuse. Leur appareil de pierres de taille, leurs corniches sculptées, leurs lucarnes décorées sobrement à la mode classique rappellent un passé prospère à tout jamais évanoui [Note : L'une porte la date de 1669. Il subsiste aussi en divers points du bourg quelques parties de maisons de pierre des XVème siècle et XVIème siècles].
La petite ville demeure toutefois ce qu'elle était primitivement : un but de pèlerinage. La Révolution a fait disparaître le prieuré, mais l'église subsiste, avec son annexe du Pénity. Il n'y eut, semble-t-il, aucun edifice important à cet endroit avant le XIème siècle ; peut-être s'y trouvait-il seulement, à l’époque de la bataille, une petite maison que la tradition présentait comme l'ermitage de saint Ronan. Quoi qu'il en soit, il ne s'est rien conservé d'antérieur au XVème siècle. L'église romane elle-même, qui dût être bâtie lors de la création du prieuré, n'a laissé aucun vestige. D'ailleurs, elle devait se trouver un peu plus au sud, là où s'élève maintenant le Pénity. L'église actuelle a été construite, à une place jusqu'alors libre, aux frais des ducs Jean V et François II et aussi des seigneurs de Nevet dont la baronnie englobait Locronan [Note : « Les ducs firent construire et bâtir à leurs frais, les seigneurs de Nevet concourrant particulièrement pour les matériaux qui ne se pouvaient prendre que sur leur fond, une grande église en forme de cathédrale qu'ils firent faire au côté du nord de la dite ancienne chapelle » (Histoire de la maison de Nevet, racontée par Jean, baron de Nevet en 1644 et publiée par J. Trévédy)]. Aucun document ne nous renseigne sur la date précise à laquelle furent commencés les travaux. Mais nous savons qu'en 1444, ou peu auparavant, on enterra dans l'église de L’ocronan un certain Hervé, baron Névet, [Note : J. Trévédy : Ce qui reste des anciens nécrologes du couvent de Saint-Franrois de Quimper, dans le Bull. de la Soc. archéol. du Finistère, t. XV, 1888, p. III, n° 97. Le corps fut ensuite réclamé par les Franciscains de Quimper et inhumé chez eux le 20 juillet 1444, ainsi que nous l'apprend ce même texte], ce qui donne à penser que l'édifice avait déjà pris forme. D'autre part, nous avons un mandement du duc François II ordonnant, le 4 décembre 1475, à Henri du Juch, capitaine de Quimper-Corentin et sénéchal de Cornouaille, de conserver le produit du devoir de billot, c'est-à-dire d'un impôt sur les boissons, à la confection du grand vitrail et à l'achèvement de l'église, « grandement et somptueusement édifiée » [Note : « François... a nostre bien allié... Henry du Juch, nostre cappitaine de kemper-Corentin et a noz sencschal, bailly et procureur de Cornouaille, salut. Pour ce que [par] nos amés, feaulx et subgetz, les prieur et habitans du bourg de Saint Rennan du Boys, nous a esté en suppliant remonstré comme, paravant ces hommes, nous avions donné et octroié le devoir de billot du dit bourg pour estre emploié en l'ediffication de l’églisse du dit lieu, de quoy ils avoient joy jusques es deux ans derrains qui finiront au moys de febvrier prouchain venant, a moïen desqueulx deniers les dits exposants ont grandement et sumptueusement ediffié en icelle eglisse, et encore y reste a faire la grant vitre, laquelle ils ne porroient acomplir sans noz grace et aide humblement la nous requerans, nous, ces choses considérées et la singuliere devocion que avons au dit sainct Rennan ad ce qu'il soit intercesseur envers nostre createur de prospérer en fruict et lignée, avons aujourduy de nostre grace donné et octroié, donnons et octroyons par ces presentes aus dits supplians le dit debvoir de billot du dit bourg pour lesdits deux ans et d'abundant pour l'année subsequente, ainsi seront troys années entières, pour en estre les deniers emploiez a l'edifficacion de la dite vitre et aux autres edifices d'icelle esglisse. Si vous mandons ,.. etc. Donné en nostre ville de Nantes, le quart jour de decembre l'an mil quatre cents sexante quinze » (copie du 15 mai 1476, Archives du Finistère, H 181, fonds de l'abbaye de Sainte-Croix de Quimperlé, prieuré de Locronan)]. D'après une requête des habitants, il ne restait plus à faire que la grande vitre. Comme le monument n'offre aucune disparate de style, on est autorisé à croire qu'il fut construit en une seule campagne, à l'exception d'un petit nombre de détails exécutés seulement à la suite du mandement de François II, le manque de ressources ayant entraîné une suspension des travaux durant quelques années. Nous pouvons donc dire qu'il appartient dans son ensemble au deuxième tiers du XVème siècle [Note : Le 26 juillet 1439, un certain Jean Le Moine, bourgeois de Quimper, léguait par testament une somme de dix sous de monnaie courante de revenu annuel à la fabrique de l'église paroissiale de Locronan et, en outre, deux livres de cire à l'église neuve de Notre-Dame de Locronan (Archives du Finistère, 2 G 94). Il n'y a pas de doute sur le premier legs : il concerne bien la grande église. Le second concerne vraisemblablement la chapelle de Bonne-Nouvelle, qui, cependant, dans son état actuel, n'a rien d'antérieur au XVIème siècle].
Ce n'est, par ses dimensions (longueur à l'intérieur, 36 mètres ; largeur, 16 mètres), qu'une église rurale, mais qui a été bâtie avec soin et non sans un certain souci d'élégance. C'est ainsi que les profils de la nef y sont plus fins qu'à la cathédrale de Quimper, dont la nef est de la même époque. Pourtant, nous verrons que l'influence de Quimper se fait sentir à Locronan. Sans doute, quelques ouvriers eurent l'occasion de travailler aux deux églises, tel ce Pierre Le Goaraguer qui, après avoir dirigé la construction du croisillon nord de la cathédrale (1477-1479), apparaît à Locronan en 1485 [Note : R.-F. Le Men : Monographie de la cathédrale de Quimper. Quimper, 1877. in-8°, p. 288. D'après les inductions de Le Men, Pierre Le Goaraguer devait être déjà âgé à cette époque. Un Guillaume Le Goaraguer, que Le Men regarde comme son fils, travailla avec et après lui à Quimper. Le nom de cette famille signifie : faiseur d'arcs]. A cette date, la plus grande partie de l'église se trouvait assurément achevée, mais il est très possible que Le Goaraguer y eût travaillé antérieurement. Par malheur, les documents propres à nous renseigner sur ce point font défaut.
Le plan présente un simple rectangle, orienté de l'est à l'ouest, et comprenant six travées avec bas-côtés plus la travée de la tour. En réalité, comme le sol présentait une déclivité assez marquée, les architectes, afin de racheter un peu cette disposition désavantageuse, ont divisé leur église en deux parties égales, dans le sens de la longueur, celle de l'est étant légèrement surélevée par rapport à l'autre. Cependant, la ligne joignant les clefs des arcades reste, dans chaque partie, parfaitement horizontale, et la masse des gros piliers cylindriques qui marquent la limite intermédiaire dissimule habilement la différence de niveau pour un visiteur placé au bas de la nef.
L'intérieur frappe par son unité de style et ses formes harmonieusement proportionnées. Suivant une habitude qui se retrouve dans presque toutes les églises rurales bretonnes, aucune fenêtre haute n'éclaire la nef. La lumière ne vient guère que d'un seul côté, du sud, où s'ouvrent la chapelle annexe du Pénity et, plus loin, trois fenêtres de dimensions normales. Les ouvertures percées dans les murs du bas-côté nord sont, au contraire, petites et peu nombreuses.
La travée correspondant à la tour est, avec les través des bas-côtés qui la bordent; la partie la plus ancienne de toute l'église. De fortes piles dont le plan dessine un losange sont reliées par une arcade en tiers-point formant l'entrée de la nef proprement dite. L'arcade se compose de trois, rangs de claveaux, ceux de l'extérieur étant simplement biseautés et celui du centre orné de trois tores correspondant sur les montants à trois colonnettes qui ont de petits chapiteaux renflés. Sur chacun des bas-côtés, à gauche et à droite, s'ouvre une arcade moins haute, mais d'ornementation analogue, sauf sur les montants de l'ouest, où les trois rangs de claveaux reposent sur des chapiteaux constituant une sorte de frise que surmonte un tailloir continu. Cette disposition fait songer à celle qu'on observe sur certaines piles du chœur dans la cathédrale de Quimper. La travée de la tour était jadis couverte d'une croisée d'ogives dont les nervures retombaient sur les colonnettes subsistant aujourd'hui dans les angles. Elle a été crevée par la chute de la flèche en 1808.
Les piles de la nef sont toutes semblables entre elles, à l'exception des grosses colonnes rondes qui s'élèvent, à la limite des deux parties. Chacune est un massif cylindrique cantonné de quatre colonnettes à filet, recevant en pénétration directe, celles de l'intérieur les moulurations centrales des archivoltes, celles des côtés les doubleaux et ogives de la nef et des bas-côtés. Il n'apparaît plus de chapiteaux nulle part. Les bases sont très simples et peu élevées, sans rien de caractéristique. L'archivoite des ascades se compose de trois rangs de claveaux, décorés de rainures prismatiques qui vont se perdre dans le fût des piles. La seule différence entre les travées de la seconde partie et celles de la première consistent en ce que, dans la seconde, les bases des colonnettes des piles ont un aspect plus franchement prismatique, ce qui confirme l'hypothèse que l'église a été construite dans le sens de l'ouest à l'est. Il en existe encore une autre preuve, c'est que la face orientale des grosses piles de délimitation présente une amorce de moulures, qui devaient être le point de départ des archivoltes, surélevées plus tard.
La voûte d'ogives est du type flamboyant ordinaire, avec une longue lierne et des tiercerons à chaque travée. Le profil des nervures est prismatique avec des arêtes vives. Les compartiments sont de blocage. Ainsi qu'à la cathédrale de Quimper et dans beaucoup d'églises bretonnes, toutes les clefs, même celles des doubleaux, portent un écu. A la clef centrale de la première travée de la deuxième partie se voit un large trou de cloche en relation avec le petit clocher qui surmonte le toit en ce point.
La vaste fenêtre qui ajoure le chevet plat comprend six divisions, surmontées de soufflets et mouchettes de style flamboyant. On peut noter que le formeret n'épouse pas la forme de cette fenêtre, mais décrit un arc en plein cintre.
Les bas-côtés ne donnent lieu à aucune observation importante. Un banc de pierre y règne d'un bout à l'autre le long des murs. La croisées d'ogives, toutes pareilles à celles de la nef, mais dépourvues de liernes et de tiercerons, présentent elles aussi des écus martelés. Le bas-côté sud prend jour par cinq fenêtres correspondant aux cinq dernières travées. Sous la troisième se trouve un enfeu dont l'arcade est en plein cintre ; il ne renferme que de simples pierres tombales du XVIIème siècle sans sculptures, mais ces pierres portent les noms de deux personnages de la famille de Névet [Note : Henri-Anne de Névet, colonel du ban et de l'arrière-ban de l'évêché de Cornouaille, mort en 1621, et René de Névet, également colonel du même ban, mort au mois d'avril 1676] et c'est peut-être là que fut enterré en 1444 ce baron Henri de Névet dont il a été fait mention plus haut ; conjecture intéressante pour l'histoire de la construction de l'édifice. Sous le montant oriental de la cinquième fenêtre s'ouvre un petit lavabo décoré d'une arcade tréflée. Le bas-côté nord a, dans sa première partie, des formerets dont le tracé en plein cintre irrégulier ne marque pas réellement la limite du compartiment de remplissage qui s'appuie un peu plus haut sur le mur. Il n'en est pas ainsi dans la seconde partie, mais on remarque ici une amorce d'ogives et de formerets annonçant une construction moins élevée que celle qui a été faite : on se rappelle que nous avons relevé dans la nef une amorce analogue. Tout ce bas-côté n'est éclairé que par quatre fenêtres. La deuxième travée est percée d'une porte qui la met en communication avec un petit porche latéral. A la quatrième est adossée la sacristie, voûtée d'ogives : on y voit quelques marques de tâcherons.
La travée qui, dans le prolongement du bas-côté, flanque la tour au nord, communique avec le bas-côté proprement dit par une arcade en plein cintre composée de trois rangs de claveaux biseautés, retombant sur un groupe de chapiteaux qui couronne un tailloir continu. La décoration se compose de simples feuilles d'eau. Nous avons déjà remarqué cette disposition dans la travée voisine, sous la tour même. On la retrouve également au sud. Cet ensemble est la plus ancienne partie de l'église, sans que rien cependant y soit antérieur au XVème siècle.
L'extérieur, auquel les lichens qui s'attachent au granit gris donnent une coloration très originale, a beaucoup perdu de sa beauté par la chute de la flèche. Le clocher n'avait pas été réparé depuis longtemps lorsque, le 3 janvier 1808, la foudre y ouvrit une immense brèche ; il fallut abattre les restes de la flèche. Pour comble de malheur, la démolition fut accomplie sans aucune des précautions nécessaires. Les toitures de l'église et de la chapelle voisine furent défoncées, beaucoup d'ornements de détail brisés [Note : Bigots : Mémoire sur les clochers du Finistère, dans le Bull. de la Soc. archéol. du Finistère, t. XXI, 1894, p. 375]. C'est ainsi que les balustrades qui ornent les rampants du gâble sur le porche sont modernes.
Ce porche, placé en avant du clocher, se distingue par sa grâce bizarre et un peu massive. Son arcade en plein cintre surbaissé s'ouvre béante, presque aussi large que la tour. L'intérieur est voûté d'ogives dont la clef porte un écu aux armes de Bretagne. Sur les parois, à gauche et à droite, au-dessus du banc de pierre traditionnel, font saillie des niches vides, décorées de motifs tréflés. On pénètre dans l'église par deux portes jumelles en plein cintre, encadrée dans un grand arc également en plein cintre. Dans le tympan, un dais recouvre une assez mauvaise statue de saint Ronan. Les voussures des arcs renferment des bandes de feuillage ; les colonnettes des montants ont de petits chapiteaux renflés.
La tour (haute de 30m 50, large de 9m 30) dépasse en élévation le porche de deux étages à peu près égaux, dont le premier est orné, sur la façade, d'une fenêtre en tiers-point, le second, sur les quatre faces, de deux longues baies amorties en plein cintre, couronnées par une accolade et recoupées par des meneaux transversaux. Ces meneaux offrent une décoration tréflée, comme ceux qu'on voit sur les tours de Quimper. Dans les angles, il y a, comme à Quimper aussi, de fausses arcades en mitre. D'ailleurs, le clocher de Locronan n'est qu'une réplique rurale de ceux de la cathédrale cornouaillaise. Les colonnettes qui, à Quimper, garnissent les montants, sont remplacés ici par des gorges simplement moulurées, Ce type de clocher, inspiré de l'architecture normande, mais traité avec un caractère assez personnel, a fait vraiment fortune, car il fut conservé jusqu'en plein XVIème siècle, légèrement déformé ou transformé, pour l'église de Ploaré près de Locronan et pour Saint-Trémeur de Carhaix. Toutefois, à Locronan, il n'v a pas de galerie couverte comme dans la plupart des clochers de cette catégorie. Une balustrade quadrilobée borde la plate-forme, que surmonte un petit tambour polygonal, coiffe d'un toit d'ardoises. Sur les côtés de la tour on aperçoit des amorces d'arcs-boutants, mais il n'était pas utile d'en prévoir pour la nef, puisqu'elle est suffisamment contrebutée par ses bas-côtés dont les toits continuent le sien presque suivant une même inclinaison.
La division de l'église en deux parties dans le sens de la longueur se trouve marquée très nettement à l'extérieur. Aux deux grosses piles que nous avons signalées en décrivant la nef correspond un pignon que domine un petit clocher conçu tout à fait suivant le modèle des clochers ruraux de la region : quatre légers supports de plan carré laissant à jour entre eux un large espace ; au-dessus, une mince flèche octogonale, ornée de crochets sur les arêtes et reposant sur la base carrée par le moyen de quatre gâbles ajourés correspondant à chacune des faces de la base. Il y a là un parti architectonique, très particulier au pays de Quimper, et qui, plus ou moins développé, surchargé de détails, y est demeuré en usage jusqu'au XVIIème siècle. On n'en finirait pas à vouloir énumérer toutes les Chapelles où il se présente.
En commençant par le nord le tour de l'église, on remarquera d'abord le joli porche latéral aménagé entre les contreforts de la deuxième travée. La porte en tiers-point festonnée est flanquée de deux petites fenêtres rectangulaires jumelles. Plus loin le bâtiment de la sacristie n'est pas moins pittoresque avec sa lucarne luxueusement parée de choux frisés et d'un remplage aux découpures fantaisistes. Quant aux fenêtres du bas-côté, elles ne témoignent, elles, d'aucune recherche. La dernière, à l'est, un peu plus vaste que les deux autres, a un remplage de tradition normande.
Les contreforts à glacis sont surmontés de pinacles à crochets. Les murs des bas-côtés et ceux de la nef sont couronnés par une balustrade formée d'ornements en cœur dont la file se trouve interrompue à chaque travée par un pinacle à crochets. Les rampants du pignon central portent, dans la partie correspondant aux bas-côtés, des marches d'escalier, au second étage une suite de choux frisés ; au nord, au niveau de la balustrade supérieure, s'élève une tourelle d'escalier conique.
Enfin, au chevet et sur la face sud, on doit aussi noter des fenêtres qui, sur la face sud, sont plus larges dans la partie de l'est que dans celle de l'ouest. D'ailleurs, la partie orientale a été construite la dernière.
Mobilier (vers 1914). — Le mobilier de l'église principale ne comprend aucune œuvre d'art de valeur exceptionnelle. Cependant on y voit quelques intéressantes statues des XVIème siècle et XVIIème siècles, un vitrail du XVème siècle, une chaire à prêcher du XVIIème siècle. Parmi les nombreuses statues de bois, on s'arrêtera surtout devant celles de saint Ronan et de saint Corentin placées des deux côtés du maître-autel, celle de saint Roch, datée de 1509 [Note : Le Men y a relevé l'inscription : L'AN M. Vème siècle, IX, R. GUILLIMIN. Ce Guillimin, suivant lui, semble appartenir à une famille qui s'est consacrée principalement à la construction et à la réparation des orgues en Basse-Bretagne (Monographie de la cathédrale de Quimper, p. 323)], et, dans le bas-côté gauche, une pietà. Cette dernière statue, contemporaine, semble-t-il, de la précédente, est un exemplaire achevé de l'art rural breton. Il faut avouer qu'elle témoigne de plus de sincérité originale dans l'émotion religieuse que de science du modelé.
Au chevet, à gauche, l'autel du Rosaire [Note : Le rôle artistique des confréries du Rosaire dans les diocèses de Cornouaille et de Léon a été exposé, d'après les recherches de M. H. Bourde de la Rogerie, par M. le chanoine J-M Abgrall dans une étude publiée dans le volume du Congrès Marial tenu au Folgoët en 1912] a un retable du XVIIème siècle à colonnes torses de bois sur lesquelles s'entrelacent des pampres de vigne. Au centre, la grande fenêtre est occupée par un vitrail de la fin du XVème siècle, malheureusement très endommagé, présentant sur trois rangées superposées dix-sept scènes de la Passion, à commencer par le second compartiment à gauche (à droite pour le visiteur) de la rangée inférieure. Le premier compartiment contient un chevalier portant l'armure complète de l'époque et tenant sa bannière. C'est un seigneur de la maison Névet, la plus puissante du voisinage, qui, pour avoir contribué à l'érection de l'église, y possédait les prééminences après les ducs. Ses armes sont figurées dans les soufflets du grand vitrail en alliance avec celles de diverses autres familles bretonnes.
La chaire à prêcher est un ouvrage de bois sculpté et peint, datant de 1707, dont les dix médaillons aux couleurs vives et quelque peu criardes racontent avec beaucoup de fidélité les plus importants épisodes de la vie de saint Ronan [Note : Voici l'explication de la série : 1° un ange conduit saint Ronan dans la solitude ; 2° saint Rouar s'entretient avec un paysan voisin de son ermitage ; mécontentement de Kében, qui les surprend ; 3° saint Ronan délivre une brebis qu'un loup emportait ; Kébeu lui tend le poing ; 4° guérison d'un boiteux et d'une femme paralytique ; 5° saint Ronan fait reculer deux chiens sauvages qu'on avait lancés sur lui. Ce panneau montre deux paysans vêtus de la veste bleue encore en usage qui a fait surnommer les paysans du canton de Quimper les « glazic » et de l'ancien « bragou braz » ; 6° saint Ronan est conduit à Quimper ; 7° il ressuscite la fille de Kében ; 8° mort de saint Ronan ; 9° son convoi funèbre ; 10° saint Ronan bénit un seigneur et une dame agenouillés. Ct. Al. Thomas : Saint Ronan et la Troménie, 4ème édit. Quimper, 1911, p. 64-66].
Le trésor possède encore, malgré les déprédations révolutionnaires, trois belles pièces : un petit ostensoir du temps de Louis XIII, un reliquaire de saint Eutrope, en forme de coffret, du XVIème siècle, un calice de 0m25 de hauteur, don de Marguerite de Foix, femme du dernier duc, François II. ll ne faut pas, négliger non plus une cloche très singulière, haute d'environ 0m 20 et constituée par deux feuilles de laiton. On la vénère comme la cloche du saint patron de l'endroit et on la porte dans les processions suivant les prescriptions d'un ancien rituel.
Or, les plus anciennes cloches connues sont irlandaises, portatives, du moins pour la plupart, précisément comme celle-ci, et faites, comme elle, de deux pièces de tôle ployées et fixées par des rivets. Qui sait si la vénération populaire n'aurait pas raison ? (H-B. Walters : Church bells of England, compte-rendu par M. Aubert dans le Journal des Savants, 1913, p. 376).
(Par M. H. WAQUET).
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