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LA TROMÉNIE DE LOCRONAN

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I. — Les Origines de la Troménie.

A Locronan, en mai 1923, je demandai à plusieurs personnes : « Quelle est donc la grande fête que vous allez bientôt célébrer ? ». La réponse fut en breton : an Droviny, et je notai que la dernière syllabe du mot était fortement accentuée : preuve péremptoire que le terme troménie vient, non pas de tro menez, tour de la montagne (dans ce cas l'accent eût porté sur l'avant-dernière syllabe), mais bien de tro minihy, vocable issu lui-même de tro menec'hty : le tour du monastère. Un document de 1652, cité par le chanoine Peyron, appelle la grande procession de Locmaria (Quimper) trovinie ou tro menec'hy (Pèlerinages, Troménies, Processions votives au diocèse de Quimper). Le but des troménies, dit fort bien le même auteur, semble avoir été « de déterminer à jamais, mieux que dans un parchemin signé par devant notaire, les limites des terres franches appartenant au Saint, à l'église, et étant par là même exemptes de telles ou telles impositions » (La Légende de Saint Théleau... Saint-Brieuc, Prud'homme, 1906).

La troménie de Locronan (Bretagne)

Et quel est donc, à Locronan, le monastère dont la Troménie a délimité le fief, le mettant ainsi à l'abri des prétentions fiscales du seigneur voisin ? C'est évidemment le prieuré bénédictin, berceau de la paroisse actuelle, qu'y fonda, en 1031, Alain Cagniart, comte de Cornouaille, pour remercier le grand saint Ronan de l'avoir rendu victorieux de son suzerain, le duc Alain V, dans le combat de Locronan (en breton Gueth-Ronan). Il suffit, en effet, de jeter un coup d'oeil sur la carte dressée par M. l'abbé Guéguen, directeur au Séminaire de Quimper, pour constater que le parcours de la Troménie coïncide à peu de chose près avec les limites du territoire de Locronan.

La tradition populaire, peu soucieuse des perspectives, nous montre saint Ronan lui-même faisant chaque semaine, à jeun et pieds-nus, le chemin aujourd'hui parcouru en son honneur par la grande procession.

La troménie de Locronan (Bretagne)

La grande Troménie a lieu tous les six ans. Elle se célèbre officiellement les deuxième et troisième dimanches de Juillet, et d'une façon privée au cours de la semaine. Le parcours de la procession est de 12 à 13 kilomètres. Il est jalonné par 12 Stations, jadis indiquées par 12 croix de granit. Cette voie mystique, souvent assez large, devient parfois un sentier si étroit que les pèlerins doivent y passer à la file indienne. En certains endroits même, le sentier fait défaut et l'on s'en va à travers champs. — Quant à la petite Troménie, elle a lieu chaque année, le deuxième dimanche de juillet. Elle représente, dans les souvenirs populaires, le trajet que faisait tous les matins saint Ronan, à jeun et pieds-nus. Les croix et bannières venues de Plogonnec, Plonévez-Porzay et Notre-Dame de Kergoat en Quéménéven se joignent à celles de Locronan pour conduire directement la procession au sommet de la montagne. Le cortège suit au retour jusqu'à Kroaz-Keban le trajet de la grande Troménie, puis redescend à l'église paroissiale par l'ancienne route de Plogonnec à Locronan. Ce jour-là le reliquaire et la cloche de saint Ronan sont portés en procession.

La troménie de Locronan (Bretagne)

 

II. — La préparation de la Grande Troménie.

Vers la mi-juin, M. le Recteur de Locronan annonce à ses paroissiens que la Troménie doit s'ouvrir dans la nuit du samedi au deuxième dimanche de juillet, à minuit, pour se clore au soir du dimanche suivant ; puis il exhorte ses ouailles à préparer la grande solennité. Dociles à la voix du Pasteur les fidèles prennent leurs dispositions. Aux jours qui précèdent la fête, on voit tomber les clôtures de pierres ou de bois qui obstruent, par endroits, le sentier traditionnel. Ailleurs on coupe le trèfle, le foin ou le blé, on déblaye les douves, on débarrasse le chemin des ronces ou des herbes mauvaises qui ont pu l'envahir. Dans les régions marécageuses de Pradic-an-Droviny, Toul-ar-Stiff, Guernévez, des fascines sont jetées sur les terrains instables. Cette année les autorités civiles de Locronan se préoccupent d'établir une belle chaussée dans la direction du Leustec, à un endroit où le sentier mystique, escarpé, raviné par les eaux offrait de sérieux dangers : nous leur adressons des félicitations. — Il faut aussi construire les huttes nombreuses qui jalonneront le chemin de la Troménie : honneur que la tradition accorde à certaines familles de la paroisse. Ces chétives cabanes sont formées de branchages entrelacés, et recouvertes de draps blancs dans lesquels on a piqué des fleurs. Il y en a exactement 44. Quand la demeure est prête, le Saint peut y venir, et c'est alors l'exode des vieux Saints de leurs églises et chapelles. Aux Troménies de Gouesnou et de Plouguerneau, les Saints sont portés en procession ; à Locronan, ils sont éparpillés tout le long du parcours, et durant huit jours, — tels les Israélites jadis en la fête des Tabernacles, — ils vivront sous la tente. De là ils salueront saint Ronan à son passage et ils pourront bénir les nombreux pèlerins qui feront la Troménie privée. Par une clochette au son argentin chacun des fabriciens signalera au passant la présence du Saint dont il a la garde.

 

III. — La Grande Troménie.

1. LA TROMENIE PRIVEE. Le samedi à minuit les cloches sonnent à toute volée, et leur ondes sonores déferlent sur la campagne silencieuse, annonçant tout à l'entour que la grande fête commence. Dès ce moment plusieurs pèlerins se mettent déjà en route, et, durant huit jours, il ne se passera pas d'heure, sans qu'on voie, sur la crête ou le long des pentes, dans les voies charretières ou parmi les chemins creux pleins d'ombre, s'avancer, muets et recueillis, tête nue et le chapelet en main, quelques fidèles, isolés ou en groupes. Ceux qui font la Troménie pour la première fois se joignent à une bande de pèlerins où il se trouve d'ordinaire quelqu'un qui connaît le chemin. La Troménie individuelle peut être commencée sur tout point du long parcours, à condition que l'on revienne au point de départ. C'est ainsi, par exemple, que les pèlerins de Plogonnec pourront amorcer leur pèlerinage à l'endroit dit Kroaz-Keban. Quand la chaleur est forte, ce fut le cas en 1911, nombre de fidèles se mettent en marche vers trois heures du matin, bien avant le lever du soleil, et arrivent à temps au sommet de la montagne pour assister à la messe et baiser le reliquaire d'argent qui contient une côte de saint Ronan. Entrés à Locronan, ils font le tour de l'église à l'extérieur, pénètrent dans la chapelle du Pénity, font trois fois le tour du tombeau de saint Ronan, puis s'agenouillent et prient silencieusement.

On a dit que la Troménie est un « pardon muet ». Cela est vrai. Notons seulement que des parents ou des amis cheminant ensemble rompent parfois le silence pour chanter un cantique. Il est, admis d'ailleurs que l'on peut causer un moment au haut de la montagne.

La troménie de Locronan (Bretagne)

 

2. LA TROMENIE OFFICIELLE : LA PROCESSION. — Au Pénity, dès quatre heures du matin, des messes sont célébrées d'heure en heure. Quelques instants avant la grand'messe a lieu une cérémonie très simple et très touchante. C'est la réception, sur la grande place, des processions de Plogonnec, Kerlaz, Plonévez et Quéménéven. Croix et bannières défilent les unes devant les autres, et leurs porteurs les mettent un instant en contact : baiser de paix et de bienvenue, accolade fraternelle des membres d'une même famille, longtemps séparés, et tout joyeux de se retrouver ensemble.

A l'issue de la grand'messe, les Saintes Reliques sont présentées à l'officiant, au clergé et à tous les assistants, et pendant ce temps l'on chante à plein coeur le vieux cantique de saint Ronan, dont les couplets alternent avec le son des tambours.

C'est à une heure que s'organise la procession solennelle. Le célébrant se rend au Pénity, à l'autel de saint Ronan, y entonne le Veni Creator, puis le pieux cortège sort de l'église. Beaucoup de personnes, tenant des cierges en main, précèdent le clergé. La vieille bannière de saint Ronan ouvre la marche ; elle est suivie des croix et bannières des paroisses voisines, dans l'ordre où elles ont été relevées le matin. Le reliquaire du Saint ainsi que sa cloche s'avancent aussi, portés par des jeunes gens de Locronan. La cloche de saint Ronan, écrit M. le chanoine Abgrall, « est composée de deux feuilles de laiton fixées l'une à l'autre par des rivets, de manière à former comme un cylindre aplati, dont le plus grand diamètre est de 0m15 et la hauteur 0m20 ». Le Saint se servait de cette cloche portative pour appeler les fidèles à la prière. Il a dû l'emporter d'Irlande, pays celtique ou le missionnaire recevait l'investiture par la cloche et le bâton pastoral. Comme la cloche de Paul Aurélien, on pourrait la nommer : An Hirglas, la longue verte, à cause de sa forme oblongue et de sa couleur verdâtre ; et ce vocable, au pur son celtique, témoigne aussi à sa façon de l'antiquité de la cloche qu'il désigne [Note : Au XVIIème siècle, Michel le Nobletz se servait aussi d'une cloche, à la façon des anciens missionnaires celtiques, pour grouper les fidèles, au cours de ses tournées apostoliques en Bretagne].

La procession s'engage d'abord dans la petite rue Lann [Note : Rue Lann, c'est à dire du Prieuré. Dans cette rue l'on voit encore la maison du Prieur et le cadran solaire du Prieuré. Les anciens l'appellent an Dreussent : la rue où l'on passe entre les Saints. Au cours des fêtes de la Troménie, les Saints y sont bien plus nombreux qu'en tout autre point du parcours], à l'angle sud-ouest de la place, pour prendre, un instant après, ce qui est aujourd'hui la grand'route de Douarnenez. Parmi les statues qui sont en bordure du chemin, remarquez un saint Roch en pierre, datant de 1509, puis saint Mathurin en chasuble noire, sainte Marguerite terrassant le dragon, et un vieux saint Herbot très original.

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1ère Station. SAINT EUTROPE. — L'ancien rituel de la Troménie indique ici la première croix, dont il ne subsiste aujourd'hui qu'un fragment. Saint Eutrope, évêque de Saintes et martyr, est en particulière vénération à Locronan. Il y possédait, dans la rue an Elik (aujourd'hui rue Moal), un hôpital et une chapelle. De cette Chapelle il ne reste que quelques débris de maçonnerie. L'édifice, qui remontait au XVème siècle, mesurait une trentaine de mètres de longueur sur 11 mètres de large. Quand il tomba en ruines, plusieurs habitants de la paroisse allèrent y prendre des fragments de colonnes qu'ils conservèrent à titre de souvenir. On en voit encore quelques-uns devant diverses maisons [Note : Saint Eutrope est honoré comme le protecteur spécial des hôpitaux. C'est au XVème siècle que son culte s'est développé en Basse-Bretagne].

Un prêtre se trouve à la 1ère Station, qui présente aux fidèles les reliques de saint Eutrope. Elles sont contenues dans un riche reliquaire, sorte de coffret, dont les côtés sont recouverts de lames d'argent, ornées d'arabesques, et dont le soubassement ainsi que le couvercle sont dorés. Le fabricien qui garde saint Eutrope agite constamment sa clochette, en disant : « Celui, qui ne boira pas de cette eau ne fera pas une bonne Troménie ». Et il en offre un verre à tous ceux qui se rendent à son appel. Cette eau vient de la fontaine de Notre-Dame de Bonne Nouvelle, où les reliques de saint Eutrope ont été préalablement plongées.

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IIème Station. L'ECCE HOMO. — Ici, près de la deuxième croix, une statue en vieux chêne, représentant le Fils de Dieu souffrant : on l'appelle à Locronan le Père éternel : an Tad eternel.

 

IIIème Station. SAINT GERMAIN D'AUXERRE. — Un soubassement en granit, indique l'emplacement de la troisième croix. Saint Germain, patron de Kerlaz, est venu saluer saint Ronan sur les limites de son domaine. Lui aussi, est, un peu, de la famille des vieux Saints celtiques. Désigné par un synode des Gaules pour aller combattre en Grande Bretagne l'hérésie pélagienne, il passa la mer à deux reprises, en 429 et 447. Sous les coups du missionnaire, le pélagianisme succomba, et c'est un témoignage de gratitude autant qu'une marque de respect que les pèlerins bretons donnent ici au grand évêque d'Auxerre quand, à leur passage, ils baisent pieusement ses reliques. Il convient toutefois de noter que saint Germain est confesseur ; si donc on chante à cette Station l'hymne d'un martyr, c'est qu'il y a eu substitution. Il est probable que saint Germain a pris la place de saint Milliau que l'on vénère actuellement à la VIème Station.

Saint Germain et Saint Even viennent de l'église de Kerlaz. Quant à Notre-Dame de la Clarté, elle représente sa chapelle qui se trouve à quelque distance de là, en Plonévez-Porzay. Sainte Anne et saint Yves viennent de l'église de Locronan.

 

IVème Station. SAINTE ANNE LA PALUE. — La croix de granit a disparu. — En sortant de l'église, saint Ronan trouvait pour l'accueillir l'Enfant Jésus, Notre-Dame du Rosaire et Saint Joseph. Ici c'est l'aïeule de Jésus, la grand'mère des Bretons, Madame Sainte Anne, qui est venue de son antique Sanctuaire saluer le grand Saint. On chante l'Ave Maris Stella : c'est donc que l'on vénérait primitivement en cet endroit Notre-Dame de Bonne Nouvelle, à qui est consacrée la Station suivante.

 

Vème Station. NOTRE-DAME DE BONNE NOUVELLE. — De la cinquième croix seul le fût subsiste, à gauche de la voie romaine. — La statue de Notre-Dame de Bonne Nouvelle appartient à la chapelle du même nom. C'est un édifice du XVIème siècle que l'on appelle à Locronan : an iliz nevez, la nouvelle église. On chante à la Vème Station l'hymne des martyrs qui convient parfaitement à saint Laurent dont la procession va bientôt saluer la statue à Prat-Tréanna dans une large avenue de châtaigners. Le Saint diacre, titulaire d'une ancienne chapelle de Plonévez-Porzay a donc cédé sa place primitive à Notre-Dame de Bonne Nouvelle de Locronan. A la suite de saint Laurent vient sainte Barbe de Locronan, portant d'une main sa tour.

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VIème Station. SAINT MILLIAU, patron de Plonévez. — De la sixième croix, appelée la Croix rouge, il ne reste plus que le soubassement, adossé à un talus. L'évangile et l'hymne sont de saint Michel, dont la statue appartenant à une ancienne chapelle de Plonévez ne figure plus à la Troménie. La dévotion à Saint Michel est ancienne en Basse-Bretagne. On peut voir dans l'église de Locronan un gigantesque saint Michel en granit, qui tient dans la main gauche une balance dont les plateaux renferment deux petits personnages, représentant des âmes. Au cours de nos veillées mortuaires, l’âme du trépassé lui est particulièrement recommandée : qu'il fasse pencher, pour elle, la balance du côté droit.

Sant Mikel, balanser an eneou, 

Balanset ma ene deuz an tu diou.

La liturgie romaine présente, d'ailleurs, saint Michel comme l'avocat de l'âme auprès de Dieu.

 

VIIème Station. SAINT JEAN L'ÉVANGÉLISTE. — La septième croix existe toujours. — La statue du Saint vient de Locronan, où elle figure dans l'église paroissiale à l'autel du Rosaire. C'est le Saint Jean de l'ancien jubé de Notre-Dame de Bonne Nouvelle. L'église paroissiale possède un autre saint Jean, de plus grandes dimensions, qui porte en main son Evangile, et à la ceinture un sachet doré : il provient de l'ancien jubé de cette église. Enfin un troisième saint Jean se trouve à Notre-Dame de Bonne Nouvelle, qui vient de l'ancien jubé de saint Eutrope. On voit donc que Saint Jean l'Evangéliste représente à la VIIème Station l'église paroissiale de Locronan et les deux chapelles de Saint Eutrope et de Notre-Dame de Bonne Nouvelle.

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VIIIème Station. SAINT GUÉNOLÉ. — La huitième croix n'existe plus. — Entre les deuxième et troisième Stations le pèlerin avait salué saint Corentin, premier évêque de Quimper ; ici il va recevoir la bénédiction de saint Guénolé, fondateur de l'abbaye de Landévennec.

Nous sommes au village de Trobalo, jadis Toul banel, ce qui signifie : « trou plein de genêts ». A proximité se trouve la fontaine de saint Guénolé, et, un peu plus bas, se voyait sa chapelle dont les pierres sont entrées dans les murs de l'église de Quéménéven, lors de la reconstruction. C'est ici que, d'après la légende, les deux boeufs qui ramenaient d'Hillion le corps de saint Ronan, furent tout-à-coup saisis d'un tel effroi qu'ils ne pouvaient plus avancer d'un pas. Le comte de Cornouaille, qui suivait le convoi, fit alors don à saint Ronan de tout le terrain compris entre la vallée de Trobalo et l'ermitage du Saint. Les boeufs reprirent leur marche, pour ne plus s'arrêter qu'à l'endroit du Pénity actuel, où saint Ronan fut inhumé.

Voici maintenant Notre-Dame de Kergoat, venue de sa gracieuse chapelle de Quéménéven, et à côté de sa hutte, richement décorée, une belle croix de procession en argent ciselé. — Avant d'arriver devant Sainte Barbe de Quéménéven, nous passons au fameux village de Guernévez. C'est là que Keban, la femme méchante et effrontée, l'adversaire acharnée de saint Ronan, aurait rencontré les deux buffles sauvages qui portaient le corps de saint Ronan et les trois évêques menant le deuil. Ecoutons le Chant populaire relatif à la vie de saint Ronan : « Arrivés sur le bord du lavoir, ils trouvèrent Kéban, décoiffée, qui faisait la buée le vendredi sans égard pour le sang de Jésus, notre Sauveur. Et elle de lever son bâton, et d'en frapper un des buffles à la corne, si bien que le buffle bondit épouvanté, et eut la corne arrachée du coup » [Note : La légende de saint Ronan reflète ici l'existence d'une vieille coutume : ne point faire de lessive le vendredi. On dit encore aujourd'hui dans certaines régions bretonnes : « Qui lave au jour du Vendredi-Saint lave son linceul »]. (Légende de Saint Ronan, Barzaz-Breiz, p. 480). A l'instant même la corne fut miraculeusement recollée, et elle ne tomba qu'au haut de la colline, à l'endroit dénommé Plas-ar-C’horn (Vieux Cantique de saint Ronan).

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IXème Station. SAINT OUEN, patron de Quéménéven. — Ici une petite croix en granit d'environ un mètre de hauteur. Après avoir vénéré les reliques de saint Ouen, et quitté le territoire de Quéménéven, le pèlerin rencontre une vieille statue de Locronan : Notre-Dame de Pitié. Elle est ici à sa place. Nous sommes en effet au pied de la montagne, et il faudra du courage, après deux ou trois heures d'une marche souvent pénible, pour escalader la hauteur. Un prêtre chante l'Evangile sur la Montagne de Saint Mathieu, puis l'on tombe à genoux pour lancer vers Dieu l'ardente supplication du Miserere et du Parce Domine. C'est alors l'ascension épique de la colline. On dirait un assaut : clairons et tambours sonnent la charge ; à une vive allure les bannières, les croix, les statues s'avancent, et l'on ne saurait trop admirer la foi, et la vaillance des braves enfants de Locronan, qui, malgré la fatigue d'une longue procession et la rapidité de la côte, n'en continuent pas moins de porter haut et d'une main ferme les enseignes sacrées. La pente est abrupte et glissante, plus d'une fois le pèlerin s'affale sur l'herbe desséchée, mais Notre-Dame de Bon-Secours le réconforte, et bientôt il arrive, le coeur plein de joie, au sommet de la colline. C'est le moment de rompre le silence et de prendre un peu de repos.

Admirons le paysage enchanteur qui s'étale à nos pieds. C'est la riche plaine du Porzay dominée par les pics du Ménez-Hom, puis dans le lointain, Brest et ses alentours. Sur la gauche, Douarnenez se montre avec ses bois, ses promontoires, ses maisons blanches, ses monts, cadre idéal du plus doux des tableaux.

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Xème Station. SAINT RONAN. Au haut de la colline, la vieille croix de pierre n'existe plus ; le fragment de granit, que l'on y voyait encore jadis, a disparu lui-même sous le heurt d'une roue de charrette. — Près de la Chapelle du Souvenir, (Chapel ar Zonj), érigée en 1911, par une personne généreuse (madame Lemonnier), à la gloire de saint Ronan, s'élève une chaire en granit, bâtie en 1887, année de la grande Troménie, et couronnée d'une statue de saint Ronan en ermite. C'est du haut de cette chaire que se donne le Sermon traditionnel. Elle est à deux compartiments : ce qui permet au prédicateur de s'abriter, au besoin, contre la violence du vent ou le vif éclat du soleil.

Quelque temps après la fin du Sermon, sur un appel des clairons, la procession se reforme et reprend son train. Du haut du monument où il trône, saint Ronan semble contempler la foule qui, maintenant, s'éloigne de sa montagne. Croix et bannières disparaissent bientôt dans un chemin encaissé, à pente rapide, où le granit est à fleur de sol. Notre-Dame des Portes, venue de la chapelle de saint Alc’houen en Plogonnec, bénit à son passage le pieux cortège. Un peu plus loin, en bordure de la voie, devenue plus unie et plus large, se trouve saint Philibert qui a quitté la chapelle de saint Théleau pour offrir à saint Ronan ses hommages.

 

XIème Station. LA CROIX DE SAINT THÉLEAU. — Cette croix porte un Christ d'aspect archaïque et de facture bretonne. Elle s’oriente vers l'ouest. Saint Théleau est le titulaire d'une chapelle de Plogonnec, distante d'environ 1500 mètres. On y voit au-dessus du maître-autel un beau bas-relief du XVIIème siècle, représentant le Saint chevauchant un cerf et escaladant une colline abrupte, couronnée d'un château. La légende rapporte qu'arrivé au pays de Landeleau, saint Théleau songea à édifier une église et à fonder une paroisse. Il s'en ouvrit au Seigneur de Castell-ar-Gall qui lui dit : « Je t'abandonne tout le territoire dont tu pourras faire le tour, en une nuit ». Le Saint se mit donc en devoir d'accomplir sa chevauchée, et c'est en mémoire de ce parcours fait par saint Théleau sur son cerf que, chaque année, le dimanche de la Pentecôte, on refait le même trajet en portant les reliques du Saint. Saint Théleau, comme saint Ronan, a donc sa Troménie. Elle commence à 7 heures du matin pour se clore vers 5 heures du soir. Le parcours en est jalonné par quatre Stations : trois chapelles et le fameux chêne de saint Théleau. C'est près de ce chêne, à la IIème Station que se donne le Sermon en plein air (Cf. chanoine Peyron, La légende de Saint Théleau). — Saint Théleau évangélisa notre pays dans la deuxième moitié du VIème siècle, et passa la mer pour mourir archevêque de Landaff, au pays de Galles. C'est donc par erreur que le vieux rituel de la Troménie de Saint Ronan désigne à la XIème Station la Croix de saint Eloi ; le ministre et l'ami de Dagobert, a sa statue dans la chapelle de Saint-Théleau, mais il convient de ne pas le confondre avec le Saint breton.

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Après avoir dépassé le groupe de maisons que l'on nomme Ty-Joson, le pèlerin découvre avec plaisir la gracieuse église de Plogonnec, coquettement nichée dans le feuillage, avec son joli clocher aux lignes élégantes. — A ce point du parcours, les anciens, gardiens fidèles des traditions, ne manquent pas de quitter le milieu de la voie charretière pour prendre, à gauche, le sentier de jadis, tapissé de verdure et émaillé de petites pâquerettes. — Notez sur la carte le village de Coat-Forestier (le bois de Forestier), par lequel se faisait, autrefois, la jonction entre le Bois du Duc et la Forêt de Névet. — Avant de passer à la Station suivante, saluons saint Thurien qui représente l'église paroissiale de Plogonnec, placée sous son vocable.

 

XIIème Station. SAINT MAURICE. — Ici se voyait, avant la Révolution, la statue de saint Maurice, gardée par le fabricien de sa chapelle. Cette chapelle se trouvait à mi-flanc du coteau qui domine Locronan, au bord de la voie romaine. L'emplacement en est encore marqué par une croix de pierre. Le cercle gravé sur cette croix figure l'hostie et indique que la chapelle était au service d'une Confrérie du Saint Sacrement. La belle statue de saint Maurice se trouve aujourd'hui dans l'église paroissiale de Locronan, à l'autel du Sacré-Coeur, où elle fait pendant à celle de saint Mathurin. Il s'agit de saint Maurice, moine cistercien, premier Abbé de Carnoët, abbaye à laquelle il a donné son nom. — La douzième croix existe toujours : c'est la fameuse Kroaz-Keban. Elle mesure 1m60 de hauteur, 0m82 de pourtour, et se dresse à 3 mètres du chemin de la Troménie, à 5 mètres de la route de Plogonnec à Locronan. Le bras de croix très étroit (0m42) semble indiquer que cette croix a été taillée dans une borne milliaire. L'endroit est encore connu sous le nom de Bez-Keban : « Keban avait encore la bouche ouverte (pour outrager la dépouille mortelle de saint Ronan), que la terre l'engloutit parmi les flammes et de la fumée, au lieu qu'on nomme Bez-Keban la tombe de Keban » (Barzaz Breiz). Le vieux cantique de saint Ronan présente à ce sujet une version différente : « Keban étant morte fut mise dans une terre non bénite, au bord du grand chemin, loin du Saint, afin d'inspirer aux méchants une terreur salutaire ; on la plaça dans la montagne, entre les deux paroisses, pour que le souvenir de son châtiment ne s'effaçât jamais ». Keban, à Locronan et dans les alentours, est depuis toujours un nom maudit : c'est la suprême injure que deux femmes en querelle puissent s'adresser. La tombe de Keban, elle aussi, est restée un lieu maudit, dans l'imagination populaire. Devant la croix qui s'y trouve le passant ne se découvre pas ; à la fin du XIXème siècle des gamins lui lançaient des pierres : usages bizarres indiquant l'horreur qu'inspire, après plusieurs siècles, la mémoire de l'ennemie de saint Ronan. Une coutume semblable a été signalée pour la région de Landudal. Sur la route de Landudal à Briec, à 1500 mètres environ du bourg de Landudal existait, il y a une quinzaine d'années, une croix appelée Kroaz-an-Turk. Par mépris pour le païen dont cette croix était censée indiquer la tombe, on ne se découvrait jamais en la passant.

Après avoir quitté la XIIème Station, la procession suit un moment la voie romaine vers Plogonnec ; elle y était attendue par les Saints de cette paroisse : Saint Tujen, gardé par l'un des fabriciens qui offre aux fidèles des clefs minuscules, venant de la chapelle du Saint en Primelin (ces clefs préservent des chiens enragés) ; Notre-Dame de Tréguron venue de la chapelle de Seznec ; Notre-Dame de Lorette, de la chapelle du même nom ; Notre-Dame du Rosaire, puis saint Thégonnec, qui représente sa propre chapelle. Le cortège sacré ne tarde pas à s'engager dans un chemin creux, pour s'infléchir brusquement vers le nord-ouest. Il s'avance maintenant à travers les ajoncs, laisse sur sa droite des carrières abandonnées, et parvient bientôt à la Chaise de saint Ronan. Là, dans la morne solitude des landes de Gorreker « est vautré un monstre de granit ». Il mesure 13 mètres de pourtour, et dépasse le niveau du sol d'une hauteur moyenne de 1m60. Ce gros rocher passe, dans les conceptions populaires, pour avoir été, non pas comme l'écrit Anatole Le Braz, la monture ou l'embarcation de saint Ronan (Au Pays des Pardons), mais seulement sa Chaise : kador Sant Ronan. On l'appelle aussi ar Gazec ven : « la Jument de pierre ». C'est une pierre à bassin, où l'eau et le vent ont creusé plusieurs excavations, où l'on peut s'asseoir fort à l'aise pour contempler un site ravissant. Saint Ronan s'y est-il assis ? Peut-être. « Il jouissait de cette place, dit A. Le Braz, d'un des plus admirables panoramas qui se puissent contempler ». Oui, mais à condition que ce rocher fût dans une clairière. — Quelques pèlerins font le tour de la Chaise de S. Ronan, d'autres s'y asseoient, mais les prêtres et la plupart des fidèles passent outre sans autre souci.

Après avoir salué la statue de Saint Pierre qui vient de la chapelle du même nom en Plogonnec, les pèlerins arrivent au village de Gorréker, où l'on commence à chanter les Vêpres qui se termineront dans la chapelle du Pénity. En entrant au Pénity, chacun des fidèles passe sous le reliquaire de saint Renan que deux forts gaillards tiennent à bout de bras. On se rend ensuite dans la grande église pour y recevoir la bénédiction du Saint Sacrement. Puis un Te Deum d'action de grâces clôture la cérémonie.

La troménie de Locronan (Bretagne)

 

La troménie de Locronan (Bretagne)

 

La troménie de Locronan (Bretagne)

 

La troménie de Locronan (Bretagne)

 

La troménie de Locronan (Bretagne)

 

IV. — Caractères de la Troménie.

1. La Troménie est une fête religieuse. Pourquoi donc faire ainsi processionnellement le tour de l'ancien prieuré bénédictin ? — Pour donner au domaine des vieux moines une marque d'honneur et de vénération. N'est-ce pas là en effet une terre sainte, une terre sanctifiée par la vie et l'ermitage du grand saint Ronan ? Faire le tour d'une église, d'une statue, d'un calvaire, d'un saint tombeau, d'une fontaine sacrée, est un acte de dévotion, et nos pèlerins bretons ne s'en privent pas. Aussi bien cette façon de rendre hommage remonte très haut, puisque nous la trouvons en usage dans l'Ancien Testament, ou des processions se faisaient à l'entour de l'autel (Psaumes XXVI, 6 ; CXVIII, 27).

2. La Troménie est un pèlerinage de pénitence. Elle commence et s'achève dans la chapelle du Pénity, où saint Ronan avait son ermitage et où il s'exerça à une rude pénitence. Le mot Penity (du gallois penyd ty) signifie d'ailleurs, maison de pénitence, de réconciliation, de pardon. Quoi d'étonnant dès lors, qu'à l'occasion du grand pèlerinage sexennal, l'Eglise ait ouvert largement ses trésors spirituels ! Pie VI, pape de 1775 à 1779, accordait au début de son pontificat une indulgence plénière aux pèlerins de saint Ronan. La même faveur fut renouvelée et concédée à perpétuité par Grégoire XVI, le 12 mars 1847. Depuis 1887 cette indulgence peut être gagnée par ceux qui font la Troménie en particulier, au cours de l'Octave. — Sous une chaleur parfois accablante, le pèlerin marche à une allure dégagée ; bientôt il est couvert de sueur et de poussière ; presque à bout de souffle il gravit vaillamment la montagne de saint Ronan. Ce n'est pas là, à coup sûr, un voyage d'agrément ! Il n'est pas jusqu'aux 12 Stations qui ne rappellent par leurs croix de granit la voie du Calvaire. Ajoutez-y les Stations du début et de la fin au Pénity, et vous avez les 14 Stations du Chemin de la Croix. — Pour obtenir plus aisément le pardon de ses fautes, le chrétien dévot à saint Ronan ne manquera pas d'unir l'aumône à la prière, et bien pieusement il offrira son obole à tous les Saints échelonnés le long du parcours.

3. La Troménie est une fête pieuse. Ici ni saltimbanques ni montagnes russes. Seuls les vieux Saints celtiques sont maîtres de la rue. Au cours de la procession les chants alternent avec les sonneries des clairons et le roulement des tambours. Par intervalles, on n'entend plus que le bruit des pas et le cliquetis des chapelets. « Aux yeux vagues (des pèlerins) obstinément fixés devant eux, on devine, que toute leur âme est concentrée dans une oraison intérieure dont rien ne la saurait distraire » (A. Le Braz, op. cit. p. 248). D'un bout à l'autre de ce long pèlerinage tout se passe avec le plus grand ordre. On a seulement signalé une rixe qui éclata, lors de la Troménie du 14 juillet 1737, entre la foule ameutée et cinq gendarmes venus de Châteaulin pour maintenir le service d'ordre. Cueillons dans le procès-verbal relatif à cet incident un détail pittoresque : « Missire Philippe Perrault, recteur de Locronan, avait fait à la manière accoutumée la marche de sa procession, avec trente à quarante jeunes garçons, armés de bâtons, touts habillés de blanc, avec des bonnets de même, garnis de rubans... pour ranger le peuple ». Alors comme aujourd'hui, le Recteur de Locronan dirigeait en personne la marche de sa procession. Il disposait d'un service d'ordre bien organisé, nécessaire pour prévenir les rixes possibles entre porteurs de bannières de paroisses voisines, à cause aussi de l'empressement intempestif de la foule qui cherchait constamment à passer et à repasser sous les reliques [Note : Pareil embarras est signalé pour la procession du Saint-Sacrement à Lesneven, autour des reliques de Saint Vincent Ferrier, en 1663]. On garde toujours à Locronan le souvenir de jeunes gens qui portaient les reliques de saint Ronan, « tout habillés de blanc, avec des bonnets de même, garnis de rubans » (Cf Paul Parfouru, Une rixe à Locronan pendant la procession de la Troménie, Rennes 1898, p. 11).

4. La Troménie est une fête populaire. A Locronan et dans les environs immédiats chacun tient à faire sa Troménie. Les enfants eux-mêmes, dès l'âge de quatre ans, prennent part à la grande procession. Les parents qui sont au loin, saisissent cette heureuse occasion de revivre pendant quelques jours la vie de famille et d'apporter au grand Saint, qu'ils n'ont point oublié, le tribut de leurs hommages. Les vieillards que l'âge où les infirmités retiennent à la maison, délèguent un pauvre quelconque, moyennant une aumône, pour les remplacer au grand pèlerinage. Les défunts eux-mêmes ont leur part de la fête : leurs parents qui vivent encore font la Troménie pour eux. Quelques habitants de Locronan m'ont confié qu'ils ont effectué jusqu'à deux fois le même jour le parcours traditionnel. Tous ont à l'esprit le dicton populaire, qui se retrouve également à Landeleau :

An hini ne ra ket an Droviny e beo

A ra neï e maro

A hed he cherj bemde.

Celui qui ne fait pas la Troménie de son vivant devra la faire après sa mort ; et combien ce pèlerinage sera alors pénible, puisqu'il faudra porter son cercueil et que l'on n'avancera chaque jour que de la longueur du cercueil lui-même !

Un procès-verbal dressé à Locronan en 1618, par le Sénéchal de Châteaulin, (Archives Départementales, 5 H 508) nous apprend que « de sept ans en sept ans, le second dimanche de Juillet, se faisait une procession à laquelle assistaient 8 ou 10.000 personnes ». En 1905, sous la présidence de Monseigneur Dubillard, qui prononça le Sermon en plein air, 25 prêtres et environ 15.000 fidèles prenaient part à la grande solennité. Douarnenez jadis fournissait un lot important de pèlerins : il est à souhaiter que la grande cité maritime revienne aux anciennes traditions.

5. La Troménie enfin est une fête traditionnelle. Voyez trois processions du Très Saint-Sacrement, vous pourrez avoir trois parcours différents ; mais la Troménie est toujours semblable à elle-même : le trajet de la procession, nettement fixé par la tradition immémoriale, est de tous points invariable, et il faut qu'il en soit ainsi.

La question se pose ici, de savoir si, comme l'affirment certains critiques, le grand pèlerinage de saint Ronan, de septennal qu'il était, est devenu sexennal ? — Au XXème siècle il se célèbre tous les six ans. Le vieux cantique de saint Renan (dernière édition 1857) contient la même donnée :

Un dro bep c'huec'h bloas a ve gret,

An Dromeny ez eo hanvet.

On la retrouve dans la noble lettre d'invitation qu'adressait en 1779 à tous les Recteurs de Cornouaille, M. Jacob, Recteur de Locronan. Et c'est évidemment par des multiples de 6 qu'il faut remonter de 1779 à la fameuse Troménie de 1737, puisque M. Jacob nous fournit une donnée traditionnelle. Comment donc, dans la première moitié du XVIIème siècle, Albert le Grand peut-il affirmer que les processions de saint Ronan se font « de sept ans en sept ans » ? — Il me semble que cette formule, identique à celle que présente le procès-verbal cité plus haut, est à interpréter : l'année de la Troménie y est comptée deux fois, comme point d'arrivée pour un cycle de six ans, comme point de départ pour le cycle suivant. Est-il croyable, en effet, que dans une question d'une telle importance, quelqu'un, fût-il le Recteur de Locronan, ait eu la témérité de diminuer d'un an le cycle immuable fixé par la tradition ?

Au cours de la grande Révolution, la Troménie n'eut point lieu. Nous savons en effet par les Archives de Locronan qu'à cette époque le maire de cette commune demanda un dégrèvement d'impôts au profit de ses administrés, parce que la Troménie n'ayant pas eu lieu, ne leur avait pas apporté les ressources habituelles.

Deux détails sont encore à noter : la suppression des fifres après la Troménie de 1893 et l'apparition des clairons en 1911. Nous mettons ici sous les yeux du lecteur l'un des vieux airs donnés par les fifres au cours de la grande procession. Les tambours battent aux champs :

La troménie de Locronan (Bretagne)

Nous terminerons en reproduisant quelques phrases de l'invitation que faisait imprimer, en 1779, sur fort beau papier, M. Jacob, Recteur de Locronan, aux Pasteurs des paroisses :

« Monsieur et très honoré Confrère,

Je me fais un devoir de vous annoncer la Solennité de la grande Troménie, pour laquelle est accordée l'Indulgence (ci-jointe). Cette solennité est une des plus anciennes et des plus respectables de tout le Diocèse. Jadis elle s'annonçait dans toute la Province ; et, suivant les anciennes chartres de l'Eglise de Loc-Ronan, les Ducs de Bretagne avaient beaucoup de dévotion à ce pèlerinage... Cette tournée est d'environ 2 lieues ; et dans tous les temps le Ciel a accordé des faveurs signalées à plusieurs des personnes qui l'ont faite avec les sentiments de la décence et de la piété chrétienne.

... Malgré le concours prodigieux des peuples qui se trouvent à cette solennité, tout s'y passe d'ordinaire avec la plus grande édification. C'est Monsieur, un monument auguste de l'antique et sainte ferveur de nos Pères, capable peut-être de rappeler encore parmi nous ces jours heureux de la Religion que nous regrettons, et où les actes extérieurs de la piété étaient aussi fréquents que sublimes.

Dans les temps des calamités publiques, la paroisse de Loc-Ronan et les paroisses circonvoisines se réunissent pour invoquer Saint Ronan. On porte alors ses Reliques processionnellement comme aux jours de la grande Troménie ; et il est rare que la bonté et le pouvoir de ce puissant Protecteur de nos cantons ne se manifestent par les effets les plus heureux.

Je vous prie, Monsieur, d'annoncer cette Solennité et cette Indulgence à vos paroissiens...

J'ai l'honneur d'être avec respect, Monsieur et très honoré Confrère, votre très humble et très obéissant serviteur. A Locronan, ce … 1779, JACOB, Recteur de Loc-Ronan ».

Voici la reproduction d'un document appartenant aux archives paroissiale de Locronan et datant de 1768. Ce document détermine le lieu où se fait chaque station, la séquence d'Evangile qu'on y dicte, et l'hymme d'accompagnement.

La troménie de Locronan (Bretagne)

 

La troménie de Locronan (Bretagne)

La troménie de Locronan (Bretagne)

   

La troménie de Locronan (Bretagne)

(Archives de l'Evêché).

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