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La bataille de Caltraez

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Lutte des Bretons du Nord contre les Anglo-Saxons. — La bataille de Caltraez.

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Bretagne : lutte des bretons insulaires contre les anglo-saxons

La ligue des Bretons du Nord ne tarda point à se renouer par le choix d'un nouveau chef suprême. 

 

Owen, fils aîné d'Urien, le plus vaillant et le plus habile après lui, initié de longue main aux vastes desseins de son père, associé à l'exercice de sa puissance, et sou successeur enfin sur le trône de Rhéghed, eût été aussi, assurément, le plus apte à continuer cette brillante série de victoires, qui depuis vingt ans avaient noblement relevé dans ces parages la fortune de la Bretagne. Malheureusement, le génie breton répugnait à transmettre de père en fils, même par voie d'élection, la charge du commandement suprême ; chacune des tribus de la ligue, jalouse à l'excès de son indépendance privée, eût craint de voir cette autorité, devenue héréditaire, assurer la suprématie définitive d'une dynastie et d'un peuple sur tous les autres princes et peuples de la confédération. Owen fut donc écarté, et l'on élut, pour succéder à Urien, un prince appelé Ménézoc, roi d'Eiden, ou plutôt principal roi de cette contrée, qui semble avoir été alors partagée entre plusieurs chefs.

 

Ménézoc, bras vigoureux, coeur intrépide, talent ordinaire, soutint plusieurs années la guerre contre les Angles avec des succès divers, toujours payant bravement de sa personne, mais sans parvenir à reprendre dans cette lutte la supériorité décisive, précédemment acquise aux Bretons par le génie d'Urien. Enfin son règne et sa vie s'achevèrent dans une catastrophe, et son nom reste attaché au souvenir de l'un des plus grands désastres de la race bretonne, la bataille de Caltraez. 

 

Caltraez était un de ces châteaux construits jadis par les troupes romaines contre le mur d'Antonin, pour la défense de cette fortification. Il s'élevait dans la partie occidentale de l'isthme, très-près du golfe de la Clyde, sur les bords d'un ruisseau appelé Caldr, où remontait la mer, d'où venait le nom même de la forteresse, Caldr-Traez, grève de Caldr, par contraction Caltraez. Au siècle dernier, on voyait encore les ruines de cette citadelle tout près d'un village dit Calder­church (église de Calder) et d'un petit cours d'eau appelé Calder-burn (ruisseau de Calder), lequel tombe dans la rivière de Kelvin, pour se jeter presque aussitôt avec elle dans le fond du golfe de la Clyde (Voir Horsley, Britannia Romana, in-fol, London, 1732, pp. 167-168, et carte du mur d'Antonin).

 

C'était une dizaine d'années environ après la mort d'Urien (vers 590). Les Angles de Bernicie, unis contre les Bretons, à leurs compatriotes du Deira , venaient de contracter en outre une étroite alliance avec les Pictes, situés, comme on sait, au nord du mur d'Antonin. En face de cette alliance, présage certain d'une attaque terrible et imminente, les chefs des Bretons sentirent la nécessité de se voir, d'arrêter entre eux le plan de la défense commune, d'assembler pour y pourvoir une armée nombreuse, et, si l'occasion s'offrait, de prévenir leurs ennemis par une vigoureuse offensive. 

 

Ménézoc indiqua donc pour lieu de rendez-vous la fortereses de Caltraez, et pour date le 1er mai, le jour où les Bretons avaient d'ailleurs l'habitude de se réunir, pour célébrer avec des banquets et des feux de joie une de leurs fêtes nationales, appelée Coelkerz, débris des superstitions païennes. A cet appel on vit bientôt de tous côtés les chefs bretons, suivis de leurs guerriers, accourir à Caltraez, où il se trouva, dit-on, jusqu'à trois cent soixante princes décorés du collier d'or, insigne réservé aux rois et à leurs parents. Autour de ce royal escadron était groupée une armée superbe. Mais les Anglo-Pictes, ayant eu vent des projets des Bretons, avaient de leur côté en toute hâte rassemblé des masses de troupes ; et à peine les indigènes étaient-ils réunis à Caltraez que leurs ennemis les y assaillirent avec des forces immenses. 

 

Les barbares avaient pour chefs Domnal Brech, fils d'Héoki, roi des Pictes, célèbre dans les traditions d'Ecosse, et avec le roi des Angles, qui devait être alors Hussa, son aïeule Bebban, veuve d'Ida, que les bardes appellent Bun la Belle Traîtresse, (Bun Dradwenn), parce qu'elle était, dit-on, d'origine bretonne et se montrait au premier rang, même sur le champ de bataille, parmi les ennemis de ses compatriotes. Autour de Ménézoc se groupait, on vient de le dire, tout ce que la Bretagne du Nord avait de plus brave, de plus noble, de plus illustre. Aussi le combat fut-il soutenu, de part et d'autre, avec un acharnement incroyable. Il dura sept jours entiers, sans autre répit que les courtes trêves imposées aux deux partis par la mer montante, dont le flot eut seul la vertu de séparer ces ennemis obstinés. 

 

Cette iliade barbare a eu la chance de rencontrer son Homère — un Homère vraiment digne d'elle — dans l'un des combattants, le barde Aneurin, roi du Gododin, dont les guerriers périrent tous, moins trois, en défendant Caltraez. 

 

Le poème d'Aneurin, coupé par strophes inégales, n'est point un récit ; c'est une série d'effusions lyriques à la gloire des principaux héros, relevées toutefois par la mention d'un assez grand nombre de faits pour que l'on puisse, en les rapprochant, en tirer une narration, étrangement confuse encore, je l'avoue, mais singulièrement vivante, et par sa confusion même image d'autant plus fidèle de cette mêlée fougueuse et désordonnée, où les Bretons succombèrent couverts de gloire. 

 

Ce poème, le plus curieux peut-être de tous ceux que nous ont laissés les bardes du VIème siècle, est intitulé le Gododin ; mais, dans ces strophes héroïques, le nom de Gododin n'est que rarement restreint à la peuplade héritière des anciens Otadeni ; par une extension fort naturelle dans la bouche d'Aneurin, il s'applique le plus souvent à tout le territoire breton compris entre les deux murs, parfois même à la confédération entière des Bretons du Nord. 

 

Dans la strophe 53ème de son poème, Aneurin résume en ces traits brefs l'histoire des combattants de Caltraez : « Semblables au feu ardent allumé sur la montagne, le mardi, ils revêtirent leurs sombres armures ; le mercredi, ils fourbirent leurs cuirasses émaillées ; le jeudi, leur destruction devint certaine ; le vendredi, ils remportèrent des cadavres, le samedi, leurs travaux de fortification furent ruinés ; le dimanche, ils remportèrent leurs lames rougies ; le lundi, on vit une mare de sang leur monter aux genoux ; et le Gododin ne compte, après le désastre, qu'un guerrier sur cent de retour » (Villemarqué, Bardes bretons du VIème siècle, p. 346-347. Pour les autres citations du Gododin, qui vont suivre, nous nous bornerons à indiquer le numéro des strophes citées, mais toujours, bien entendu, d'après l'excellente édition et traduction de M. de la Villemarqué). 

 

Or, de l'ensemble du poème minutieusement étudié, il résulte que les indigènes furent d'abord vainqueurs dans trois combats livrés devant la forteresse. Ces combats durent avoir lieu les trois premiers jours (mardi, mercredi, jeudi) ; et si le barde nous dit que, le jeudi, la destruction des Bretons devint certaine, c'est que le soir de ce jour-là, après leur troisième victoire, ils se livrèrent à une orgie prolongée jusqu'au lendemain matin, durant laquelle les barbares, revenus à la charge, les surprenant dans l'ivresse, leur firent éprouver d'énormes pertes. Ce revers (qu'on doit placer le vendredi), décida effectivement du sort de cette longue bataille. Les Bretons, fort affaiblis, eurent beau s'opiniâtrer dans la résistance, la citadelle fut forcée — ce sont là les combats du samedi et du dimanche ; — et le dernier jour (le lundi), Ménézoc, livrant un dernier combat désespéré, se fit écraser avec le dernier débris de son armée, qui préféra comme lui la mort à la fuite. 

 

De l'ensemble venons au détail. Avec les principaux traits épars dans le Gododin tentons de recomposer le tableau de cette terrible bataille, d'autant plus curieux à bien connaître, qu'on y peut assurément voir le type achevé de tant de combats, livrés entre Bretons et Saxons, dans cette lutte interminable qui durait alors déjà depuis cent trente ans. Pour rendre ce tableau vivant et fidèle, j'emprunterai autant que possible les paroles du poème, en me permettant toutefois de réunir assez souvent des traits dispersés dans plusieurs strophes, qui se complètent et s'éclairent en se rapprochant. 

 

Aneurin nous montre d'abord les Bretons se rendant de toutes parts à Caltraez, et une partie d'entre eux, avant même d'y arriver, aux prises avec les barbares. « Les guerriers qui partirent pour Caltraez, après s'être enivrés d'hydromel, riaient fort dans leur marche ; leur armée était bruyante... Le pâle hydromel, leur breuvage, devint leur poison. Soudain, une descente perfide jeta le tumulte dans l'armée. Dans la déroute, ils se défendirent en braves. Onze cents (ennemis) et trois cents (Bretons) s'entrechoquèrent. Dégouttante de sang, leur lance traçait un sentier sur la terre. Ils moururent debout, en braves, en héros, au premier rang de l'armée de Ménézoc (Gododin, strophes 6, 7, 8, 9, 10). 

 

Les guerriers qui partirent pour Caltraez avec l'aurore sont respectables par leur malheur, par leurs angoisses. Ils burent l'hydromel jaune, mielleux, enivrant. Leur vie fut un météore ; ils réjouirent les chanteurs. Ils rougirent de sangleurs grandes épées et leurs panaches, leurs lames bien fourbies et leurs heaumes à quatre côtés, à l'avant-garde de Ménézoc, le guerrier courtois (Gododin, strophe 11) ... Ils firent certes avec leurs lames bien des cercueils, remplis d'aventuriers sans baptême ! Cela vaut mieux que de former des alliances. Ils ranimèrent leur vie dans le sang et la mort, à l'avant-garde de l'armée de Gododin (Gododin, strophe 12) ».

 

Ceci n'est encore qu'une escarmouche. Les Bretons se réunissent à Caltraez et célèbrent le Coëlkerz par des festins. Mais les ennemis s'approchent. Le mardi matin, un chef du pays d'Eiden les découvre à quelque distance de la place et les charge immédiatement. 

 

« Le premier, des hauteurs de la belle citadelle, Tudvoulc'h regarda. Suivi de ses guerriers eu marche parmi la verdure, le premier il s'élança, buffle délié, sur le rivage écumeux. Le premier il avait versé la limpide cervoise. Le premier, brillant d'or et de pourpre, il s'illustra. Le premier il avait poussé le cri de guerre qui donne le butin, à la marée montante, et si elle ne l'eût arrêté, jamais il n'eût reculé » (Gododin, strophe 16). 

 

« A l'heure où se leva, dans le ciel de l'île de Bretagne, le premier rayon de soleil — ce roi avec ses splendeurs — quelle rude course devant l'assaut du bouclier ! .... Le buffle (Tudvoulc'h) était resplendissant. Il demanda de l'hydromel enivrant ; il but le vin limpide ; puis un engagement eut lieu dans la tranchée. Il but le vin transparent : ce fut un signe de défi guerrier. Le combat naquit dans la tranchée ; un combat à aile déployée, un brillant, un flamboyant combat ; un combat armé de pied en cap, un combat ailé » (Gododin, strophe 17). 

 

Autour de Tudvoulc'h s'avançaient, en trois torrents impétueux, cinq escadrons et cinq cents guerriers, plus trois cents — trois cents cavaliers de bataille brillants de l'or d'Eiden, — trois armées cuirassées ; trois chefs portant le collier d'or, trois cavaliers terribles..., — tous trois, unis par la haine, pressaient rudement l'ennemi ; tous trois incessamment, lourdement tuaient raide ses plus braves guerriers. — Couronne d'or de la bataille , ces trois chefs de peuple étaient Kenric et Kénon et Kenren d'Aéron. Louange égale à ces braves que les hommes de Déira n'ont pu subjuguer ! » (Gododin, strophe 18). 

 

Un autre chef, le fils de Semno, savant en astrologie, s'illustra aussi dans cette journée ; et lui aussi, comme Tudvoulc'h, « si les vagues ne fussent venues couvrir le rivage », théâtre du combat, « il n'eût point reculé » (Gododin strophe 19).  

 

Le lendemain, à marée basse, les Bretons marchent de nouveau à l'ennemi. En tête de leurs rangs, les bardes chantent le bardit ou incantation magique, destinée à appeler tous les maux sur l'armée ennemie : « Que les armes s'unissent ! que les rangs se forment ! que tout s'ébranle ! que le chef soit percé ! que les Logriens tombent en grand nombre ! qu'ils manquent de conseil, qu'ils manquent de lances dans la bataille ! Que leurs guerriers soient couchés dans la poussière et que leurs femmes deviennent veuves ! Qu'il soit brûlé, le fils d'Héoki , avec ses javelots ensanglantés ! » (Gododin, strophe 22).

 

Le fils d'Héoki, appelé Domnal Brech, et comme je l'ai déjà dit, roi des Pictes, avait le commandement suprême de l'armée ennemie. Il fut tué par les Bretons dans cette seconde journée : « Ce chef des chefs ennemis, dit Aneurin, portait sur l'épaule un bouclier peint de diverses couleurs, qui ne le cédait en rapidité qu'à Pridwaun (Bouclier de l'Arthur mythologique). C'était le tumulte en personne dans la bataille, c'était le feu ; sa grande lance était enchantée, c'était un vrai soleil. Or, il est devenu le butin et la pâture des corbeaux, lui qui, avant que ses soldats l'abandonnassent parmi la rosée, avait l'impétuosité de l'aigle superbe ! Dans la déroute il a été atteint du côté du sein » (Gododin, strophe 22).

 

Ce combat du second jour, le plus glorieux de tous pour les Bretons, semble avoir eu le caractère d'une action générale où toute leur armée fut engagée. Nombre de leurs chefs s'y distinguèrent par de brillants exploits, entre autres : Budvan , fils de Bleizvan, l'ami des bardes ; Gwennaboui, fils de Gwenn, secourable à ses colons (Gododin, strophe 23) ; Marc'hleu, « qui abattait avec sa lame des brassées de bruyère humaine », et dont « l'épée résonna sur la tête des mères » (Gododin, strophe 24) ; Carédic, barde et roi comme Aneurin armé « d'un bouclier d'or resplendissant sur le champ de bataille comme la gelée du matin » (Gododin, strophe 25) ; Caradoc, « taureau de bataille dans le tumulte du carnage » (Gododin, strophe 26) ; Ruvon-Hir, qui traversa de part en part l'armée ennemie, en renversant devant sa lance jusqu'à vingt-cinq escadrons (Gododin, strophe 29) ; et encore Gougan , Goulon et Peredur, et tant d'autres (Gododin, strophe 27), mais par-dessus tous Morien, roi de Reivonioc, et ce même Kénon qui, la veille, avait déjà secondé si puissamment l'attaque de Tudvoulc'h : — « Morien, ce chef plein de feu, à la main armée de flammes dévorantes, ce héros du tumulte, cette forteresse pour une armée épouvantée , — devant les bataillons du Gododin il dispersa tout ! Son bouclier, dans le carnage, avait des ailes de feu ! » (Gododin, strophes 30, 31). 

 

Quant à Kénon, le barde épuise toutes les images pour peindre sa valeur irrésistible : — « Il perforait les cuirasses, il trouait les bataillons ; sa lance était un courant revenant sur soi-même quand il volait devant la verte tranchée. — Sa vigueur était celle du cuivre enchanté ; sa vitesse, celle d'Elfin (fils d'Urien, l'un des plus vaillants guerriers de la ligue du Nord) ; l'assaut de sa lance, celui des rois de guerre qui rient en frappant. — Bruyère enflammée, mur crénelé, taureau du tumulte, il était descendu dans la mêlée avant que les siens se fussent levés ; contre lui se leva une armée innombrable de boucliers ; mais ils furent brisés, ces boucliers, devant les troupes du chef de guerre, mugissant, volant , à travers le sang, au rempart ! (Gododin, strophes 32, 33) ..... Kénon ne se retira de la grève qu'en voyant les cadavres des guerriers couverts par la large vague » (Gododin, strophe 30).

 

Ainsi, ce jour-là comme la veille, c'est la mer qui sépara les combattants. Mais les Anglo-Pictes avaient. souffert de telles pertes dans cette seconde rencontre qu'ils firent demander la paix. — « Alors, vint à nous (dit Aneurin) un homme à cheveux gris, sur un coursier tacheté, caracolant, un des chefs ennemis portant le collier d'or, un sanglier de guerre, qui proposa un traité entre les combattants impétueux ». Ses propositions parurent inacceptables aux Bretons. « Un noble cri d'opposition s'éleva : — Que le ciel nous fortifie ! qu'il soit notre refuge ! qu'il nous protège ! que les lances jonchent le champ de bataille ! que les guerriers d'Arclwyd la glorieuse ne soient pas opprimés avant que leur armée ne soit par terre » (Gododin, strophe 33).

 

Dès le lendemain, les Bretons marchent de nouveau à l'ennemi en chantant ce bardit : « Qu'avec ardeur, adresse et art, qu'avec succès, à l'entour du rempart de gazon, ses cheveux flottants autour de sa tête et ses guerriers autour de lui, l'aigle de Gwédien (Note : M. de la Villemarqué pense que cette expression désigne Morien. Gwédien était le génie de l'air dans l'ancienne mythologie des Bretons) s'élance !. Que la Muse sacrée défende Morien des ruines et de la pointe des lances ! qu'il soit le premier sur le champ de bataille par la vigueur et le courage ! — Mais que le corps de Bun, la Belle Traîtresse, soit transpercé de la lance jusqu'à douze fois, par Gwennaboui, fils de Gwenn ! » (Gododin, strophe 34). 

 

Les Bretons aussitôt commencent l'attaque. « Et avec ardeur, adresse et art, officiers et écuyers s'élançant en brandissant leurs épées terribles sur la tête des Logriens, à grands coups ils coupèrent en morceaux un chef qui tenait, en guise d'étendard, une crinière de loup sans tête. Elle périt aussi, elle ne peut échapper à la mort, la Belle Traîtresse... et sur le mur de la citadelle son cadavre demeura couché. Le combat s'anime alors ; le combat s'étend furieux. Alors devant les hommes d'Arclwyd font retraite les oiseaux de bataille » (Gododin, strophe 35), c'est-à-dire les guerriers ennemis. 

 

Ainsi les Bretons triomphent encore ; ils rentrent dans la forteresse où un festin splendide les attend ; mais pendant qu'ils absorbent l'hydromel, l'ennemi croyant sans doute les surprendre, revient à l'attaque. Déjà en proie aux premières fumées de l'ivresse, les Bretons s'ébranlent lentement. Alors « l'Echanson » lui-même — par où il faut, je pense, entendre Ménézoc, instigateur du banquet — l'Echanson lui-même s'élance, suivi d'une partie de l'armée. 

 

« Ceux de Ler'hleiku (Note : aujourd'hui pays de Linlithgow et de Lothian), hommes vaillants, s'élançaient ; ceux de Gododin volaient ; ils volaient illuminant la bataille, soutenant la garnison, brisant toute entrave ; à temps tempêtant, tempêtant à temps ; faisant carnage devant cent mille ; sortant de la forteresse en torrent, en torrent y rentrant (Gododin, strophe 39)...... Serrée comme les grains d'un épi, perçante comme un essaim d'abeilles, l'innombrable armée ennemie, aux boucliers fourbis, eut son front de bataille brisé devant le taureau du tumulte (Kénon). Les étrangers, dans le tremblement et la douleur, dans le désordre de la mêlée furieuse, courent çà et là à la manière du daim » (Gododin, strophe 40). Et les Bretons, insultant à leur défaite, entonnent un chant nouveau composé sur la mort de Domnal Brech. 

 

« Brech n'est plus ; sa fureur a été brisée. Il gît à présent sans force, sans bandeau de roi, sans sourire... — En un instant son pays a été consumé par Rez (Note : Ce Rez était sans doute quelque chef breton, voisin de la frontière des Pictes qui avait par es ravages provoqué la colère de Domnal Brech), notre dragon du versant de la montagne. Il n'a point atteint, il n'atteindra pas son but. Il ne s'approchera plus de ce lieu, il n'y reviendra plus !... Ce n'est point pour son bien que son bouclier avait été placé sur la croupe de son cheval ! Ce n'est pas pour son bien qu'il avait posé lui-même sa cuisse sur le poitrail de son coursier gris !... » (Gododin, strophe 40). 

 

Malheureusement ils ne se bornent pas à ce chant pour célébrer leur victoire. Ils reprennent le festin interrompu, et pendant toute la nuit l'armée bretonne s'abreuve d'hydromel et de vin — « En face du champ de bataille, s'écrie Aneurin, à quelle funeste orgie, depuis le crépuscule jusqu'au crépuscule, se livrèrent les officiers brillants de l'éclat de la pourpre ! » (Gododin, strophe 42). 

 

Ils buvaient encore quand l'ennemi vint de nouveau les assaillir, le Vendredi matin. Ils se levèrent aussitôt pour le repousser, ceux du moins à qui l'ivresse laissait encore quelque force. 

 

Mais, hélas ! les plus vaillants avaient subi son atteinte, car, Aneurin est forcé de l'avouer, « l'hydromel précieux et le vin versé sous les portiques affaiblirent, entre les deux armées, devant Gododin, la lame de Kénon lui-même, cette bruyère enflammée, ce mur crénelé, ce taureau de bataille » (Gododin, strophe 43). Son bras héroïque finit pourtant par reprendre sa vigueur : « Les ennemis, comme des joncs, tombaient sous sa main » (Gododin, strophe 44). Autour de lui se groupèrent les chefs les plus sobres, qui n'étaient pas les moins braves : Huvelin, Morial (Gododin, strophe 43), Eidol, « riche en chevaux, en noires armures et en boucliers brillants » (Gododin, strophe 45) ; Mérin, fils de Madien, surnommé le Juste, et que le barde appelle « un serpent redoutable aux barbares, un ours furieux, un boulevard contre l'oppresseur » (Gododin, strophe 48) ; et le roi de la Gwéned du nord , c'est-à-dire d'Arclwyd  (Gododin, stroiphe 49) ; et le fils de Léouri, Gwadnerz , « sanglant moissonneur, avide de combats, qui, son bouclier sur son épaule, faisait couler le sang comme le vin brillant coule du cristal dans des coupes entourées de cercles d'argent à l'ouverture, d'or à l'intérieur, pour le banquet » (Gododin, strophe 50). 

 

Ils firent de leur mieux ; ils attaquèrent l'ennemi avec ensemble et résolution ; « ils tuèrent sept fois autant de Logriens » qu'ils étaient de guerriers (Gododin, strophe 43) ; ils firent déborder de sang la rivière (Gododin, strophe 43) qui baignait la citadelle (Gododin, strophe 51) et parvinrent enfin, pour ce jour-là, à écarter de ses murs les barbares. Mais ils n'étaient qu'une poignée. Le reste de l'armée, surpris dans l'ivresse, n'opposa qu'une résistance des plus molles, et tomba pour la plupart, presque sans combat, sous le fer ennemi. Les Bretons éprouvèrent donc, dans cette journée, des pertes immenses. Aussi Aneurin s'écrie en gémissant : « Après le banquet où coulèrent le vin et l'hydromel, ils marchèrent au combat, les hommes cuirassés. Je ne connais pas de récit de carnage pareil : si complet fut leur massacre ! (Gododin, strophe 46) — Que la vague engloutit d'officiers illustres » (Gododin, strophe 43). 

 

Ce fut donc, malgré tout, un vrai désastre. Les Bretons qui, jusque-là , avaient tenu leurs ennemis à distance, se virent pressés par eux dans leur forteresse, et l'on put prévoir dès lors la fatale issue de cette lutte terrible. 

 

Aussi les barbares se bâtent de poursuivre leur succès. Le lendemain (le samedi), « dès le lever de l'aurore, les combattants affluent dans la carrière ». Ils attaquent avec furie les palissades et autres fortifications avancées qui défendent l'approche de Caltraez ; ils les détruisent par le feu : « Quelle brèche ! quelle montagne de flammes ! s'écrie Aneurin. Que de richesses englouties ! quelle multitude ! que de sang sous les noirs faucons ! ». Mais, du côté des Bretons aussi, « les combattants affluent devant les remparts, suivant de près leur général ». Ils se placent donc en avant des murs de la forteresse, derrière la brèche ouverte dans les ouvrages avancés. Leur général, c'est le vainqueur d'Ida, l'illustre Owen. 

 

Jusqu'alors il avait peu paru dans la mêlée ; il avait laissé le champ libre aux exploits de ses rivaux ; lui aussi, hélas ! faut-il le dire, il s'était abandonné au poison de l'hydromel. Mais devant cet extrême péril tout le sang d'Urien se réveille, et le pousse au point le plus menacé. Une phalange dévouée l'y suit et l'y seconde : — « 0 terrible héros, ce fut rudement, vaillamment, que vous fîtes couler le sang et que vous moissonnâtes les hommes à coups d'épée ! En riant vous aviez bu l'hydromel : en riant vous combattiez ! Tout guerrier ennemi, égal d'Owen, et que son glaive put atteindre, tomba immédiatement sous ses coups ». — Mais Owen fut mal soutenu par les autres chefs bretons, que le désastre de la veille avait démoralisés, et qui le laissèrent presque seul en butte à l'assaut furieux des masses ennemies. Digne fils d'Urien  il ne recula point ; jusqu'à son dernier soupir il résista ; il se fit tuer sur la brèche [Note : « Tu descendis précipitamment des hauteurs (de la citadelle), lui dit Aneurin ; mais les chefs, tes compagnons, n'allèrent point avec toi : la mort, sur la brèche, fut la ruine de leurs privilèges ». Gododin, strophe 54. Tous les passages du poème, cités depuis le dernier renvoi, sont aussi pris de cette strophe 54]. 

 

Arrêtons-nous un instant pour entendre l'oraison funèbre de ce héros par son ami Aneurin : « Tout jeune, Owen possédait les qualités d'un homme ; il était vaillant dans les combats, un coursier à longue crinière sous sa cuisse : tout jeune et déjà fameux ! Un bouclier léger, large, couvrait la croupe fine de son rapide coursier. Son épée était grande, bleue, étincelante ; ses éperons, d'or qui brille... Owen, doux compagnon, ton corps disparaît sous les corbeaux » (Gododin, strophe 1) ! 

 

« Ce chef couronné, partout où il allait, sans mesure devant son bataillon il versait l'hydromel. Le haut de son bouclier était troué. Quand il avait entendu le cri de guerre, il ne faisait pas de quartier, et tant que le sang coulait il ne quittait point le champ de bataille. Comme des joncs il fauchait les guerriers. Jamais il ne reculait ! » (Godolin, strophe 2). 

 

« Ce chef couronné, avec son javelot toujours prêt, avait l'impétuosité de l'aigle du rivage. Sa promesse était sacrée, il la tenait. Il ne quitta pas l'armée de Gododin en prenant la fuite : intrépide il excitait la guerre, et il y fut exalté ; mais ni lance ni bouclier ne le protégèrent » (Gododin, strophe 3). 

 

« Ce chef couronné, à mine de loup, portait de l'ambre en forme de bandeau tordu autour de ses tempes : l'ambre avait coûté cher, plus cher coûta le vin de l'orgie » (Gododin, strophe 4).

 

« Ce chef couronné, armé en guerre, brave, ardent au milieu du sang ruisselant ; ce chef, avant d'être affaibli [par ses blessures], avait, au front de la bataille, fait tomber cinq fois cinq bataillons sous les coups de sa lance. Des guerriers de Déira et de Bernicie — hommes terribles — deux mille périrent en une heure ! — Plus tôt le loup eut ta chair que toi le vin du banquet, ô guerrier » (Gododin, strophe 5)......... 

 

« D'ordinaire, Owen, tu étais monté sur ton cheval ; et te voici abattu devant la tranchée, toi le plus beau rameau de ta race ! C'est sans mesure, c'est sans fin que je lui dois des chants à ce chef des chefs, que recouvre aujourd'hui un tertre vert : à ce chef dont la main fit tant de captures, dont la cuirasse reste vide, dont le front royal n'a plus pour bandeau que l'argile et le bois du cercueil ! » (Gododin, strophe 54).

 

La mort d'Owen livra aux barbares toutes les défenses extérieures de Caltraez ; aussi Aneurin dit-il que « le samedi, les travaux de fortification des Bretons furent ruinés » (Gododin, strophe 53). Restait uniquement le corps de la place, qui ainsi désemparé ne paraissait pas capable d'une longue résistance. C'est pourquoi à ce moment les débris de l'armée bretonne se partagèrent en deux corps. L'un, le plus faible, commandé par le barde-roi Eidol, dont on a déjà parlé, resta dans la citadelle pour continuer d'y attirer l'attention et les forces de l'ennemi, pendant que l'autre, le gros de l'armée, sortant de Caltraez sous les ordres du chef suprême Ménézoc, allait à quelque distance, tout à fait sur le rivage, se retrancher derrière une autre partie du mur d'Antonin, moins ruinée et plus facile à défendre. 

 

Cependant, le dimanche, Eidol, suppléant au nombre par l'audace, fait une sortie impétueuse sur les barbares : — « Avec les guerriers de son âge, il attaque, il monte, il descend, ce roi de la bataille, ce bouillant roi de la guerre, qui chérissait son clan et son pays. Moissonneur ardent, ardemment il fait jaillir le sang sur l'herbe ; il foule aux pieds à la ronde harnais et chevaux... Mais, autour de lui, ils ont l'image de la mort peinte sur la joue, ses malheureux compagnons appesantis, dont les lances faiblirent dès le commencement du combat » (Gododin, strophe 55). Aussi est-ce en vain qu'Eidol redouble d'héroïsme ; les Bretons sont repoussés, leur chef tombe en combattant : — « Le sang d'Eidol est glacé, son visage est blême », — et alors les Anglo-Pictes, envahissant la forteresse, y mettent le feu : « D'éclats de lumière environné, le retranchement est rayonnant. La guerre enveloppe la vallée. Elles enveloppent, elles consument le cellier et la salle où coula l'hydromel mielleux et enivrant, les flammes de la guerre allumée dès l'aurore par l'armée des Logriens » (Gododin, strophe 55). 

 

Pourtant le combat dure encore, ou tout au moins le massacre. Cette même salle où les Bretons s'étaient si mal à propos gorgés d'hydromel, elle est le théâtre d'une mêlée, d'une « boucherie horrible ». Il semble que le barde prenne un amer plaisir à nous peindre en ce lieu même, témoin de l'orgie, l'angoisse profonde de ses malheureux compatriotes,  les belles coupes dorées avec des cercles de sang, le sang cachant l'écume de l'hydromel jaune et brillant, le sang formant de nouveaux cercles ! » (Fragment déplacé du Gododin, dans les Bardes bretons, p. 378).

 

Caltraez prise et ruinée, restent les bataillons de Ménézoc, retranchés, dit Aneurin, « au point sans brèche du rivage ». Les barbares s'avancent contre eux dès le lundi, et, à leur vue, les Bretons chantent le bardit du dernier combat : « Appelons ! que la mer monte jusque dans la mêlée ! Echangeons nos javelots, nos javelots également terribles ; poussons le fer aigu, la lame meurtrière ! Qu'elle tombe dans le tumulte la couronne du guerrier replet à l'acier de flamme, la couronne du chef ennemi (le roi des Angles) ! Qu'il ramène ses chevaux de bataille et ses équipages de guerre dégouttants de sang, du sanglant combat de Caltraez ! Le voilà sur la hauteur, le fort de notre armée ! le chien de guerre héroïque (le chef breton) domine la colline ! Appelons-nous ! Levons notre étendard brillant au point culminant du champ de bataille ! Poussons le fer ! »

 

Laissons le barde raconter ce dernier combat. « Au point sans brèche du rivage, le chef de Gododin (Note : c'est-à-dire Ménézoc, chef de la confédération bretonne), le général en chef que l'on pleure n'avait point reculé devant la flamme ardente du conflit. Il s'était placé lui-même, inébranlable, au passage principal, à la tête d'un escadron solide. Avec vigueur il avait fondu sur les ennemis et les avait dispersés ; avec vaillance il avait porté une grande charge. Du clan de Ménézoc tout ce qui resta fut un glaive informe et mutilé. Quoique, par suite du banquet du matin, il n'eût pas de bouclier, il défendit bien le rivage, il brilla au champ de bataille ! Le glaive bleu de sa main porta des coups rapides ; le poids de ses javelots mit en péril la tête de quiconque l'affronta. Monté sur son coursier gris, le chef des chefs, il faisait tomber les ennemis sous les coups de sa lame, quand lui-même il tomba ! Mais il ne s'enfuit pas du champ de bataille, ce prince dont on doit célébrer l'hydromel doux et enivrant ». (Gododin, strophe 58). 

 

Sa mort n'amène point encore la déroute des Bretons. Entourés d'énormes masses d'ennemis, ils résistent avec l'enthousiasme du désespoir. Deux chefs soutiennent surtout leur courage et prennent le commandement au lieu de Ménézoc. L'un est ce Tudvoulc'h, du pays d'Eiden, qui s'était tant illustré dans le premier combat et qui ne brilla pas moins dans le dernier : « Qu'il tua de Saxons, le septième jour ! » s'écrie Aneurin (Gododin, strophe 13). L'autre est un neveu du barde, appelé Gwendoleu. A Caltraez, guerrier sobre, il avait, pendant l'orgie, « renversé à coups de piques les tables et les coupes d'hydromel ». Maintenant, il se précipite « à travers un lac de sang ; il abat les rangs ennemis qui ne reculent point ; il oppose l'assaut à l'assaut » ; et, au milieu du tumulte, il exalte ses guerriers en chantant le bardit : « Qu'on aiguise les glaives ! voici venir de l'Océan les voix bruyantes ! Du secours à l'armée ! Du secours aux lances ! Que l'avant-garde se montre ! C'est le jour des suprêmes efforts et de la grande bataille ! » (Gododin, strophe 61). 

 

Les guerriers de Tudvoulc'h répondent : « Que les armes s'unissent ! Que les rangs se forment ! Que le tumulte commence ! En avant les braves ! en avant les grands ! en avant les bons ! — Voici que l'épieu d'aune est roi ; qu'il s'entoure des cors arrondis ! qu'il s'entoure des glaives recourbés ! Honneur à notre chef au large front ! » (Villemarqué, Bardes bretons, p. 375).

 

Et sur les pas de ce chef, ils s'enfoncent au plus fort de la mêlée. Mais, hélas ! ils ne peuvent plus que vendre chèrement leur vie. Ils ont beau tuer, tuer encore : le nombre des ennemis grossit sans cesse. Ce nombre énorme et brutal l'emporte sur tous les prodiges de l'héroïsme. Tudvoulc'h tombe : — « Quand il périt, ce renfort de sa nation, son poste sur la tranchée fut changé en un lieu de sang » (Gododin, strophe 13). C'est le signal de la catastrophe suprême. 

 

L'âme bretonne d'Aneurin s'est refusée à peindre cette boucherie de héros. 

 

Arrivé à ce point de son oeuvre, il résume en quelques traits énergiques tout ce long drame de Caltraez, dont il fut l'actif témoin avant d'en devenir le poète : « J'ai vu, dit-il, des flots de guerriers qui, du promontoire d'Adoen, descendaient pour la fête du Coelkerz... J'ai vu des guerriers en ordre de bataille arriver dès l'aurore, et la tête de Domnal Brech que des corbeaux dévoraient. J'ai vu des richesses enlevées, et en monceau entassés les os des envahisseurs aux bannières azurées, venus d'au-delà de la mer. J'ai vu une grande armée vaillante, entourée d'eau, au coeur magnanime, tumultueuse, mais, hélas ! bien affaiblie, résolue à tomber devant cent mille hommes, à verser son sang pour son pays et ses coutumes ! » (Gododin, strophe 59).

 

Pour marquer le résultat final du combat et la ruine de ses malheureux compatriotes, il n'a qu'un mot : « Le lundi, on vit une mare de sang leur monter aux genoux, et le Gododin ne compte, après le désastre, qu'un guerrier sur cent de retour ! » (Gododin, strophe 53).

 

Je n'ai pas craint de multiplier les citations de cette poésie étrange, abrupte, barbare même, j'en conviens, par certains côtés, mais aussi, on l'avouera, d'une énergie peu commune. C'est que tette poésie bardique, dont le Gododin me semble le chef-d'oeuvre, n'est pas seulement une peinture vivante et forte de la lutte des Bretons contre les Saxons : c'est cette lutte même, ressuscitée sous nos yeux dans toute la grandeur de son action. Le cliquetis des lances, l'éclair des glaives, les chevaux bondissant, le sang coulant à longs flots, le râle des mourants, le chant des vainqueurs, les cris confus de la mêlée, l'ivresse vertigineuse du champ de bataille, tout cela est dans les bardes, et plus que tout cela encore, l'acharnement implacable, le sombre et fier enthousiasme d'une race qui sent sa patrie se dérober sous ses pieds, mais qui a juré de mourir libre plutôt que de vivre asservie. Aussi les bardes du VIème siècle ne se bornent pas à chanter ; ils ceignent le glaive, ils combattent ; et la harpe entre leurs mains, n'est que l'auxiliaire du glaive, une arme de plus contre les Saxons.

 

(M. Arthur de La Borderie - 1881)  

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