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Le roi ARTHUR

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Sommaire

I. Lacune de vingt-deux ans (530 à 552) dans les chroniques saxonnes, et sa cause ; — le roi Arthur, sa renommée éclatante, son existence contestée et cependant certaine. 

II. Double courant de la tradition au sujet d'Arthur. 

III. Caractère du roi Arthur d'après les traditions primitives. 

IV. Arthur, roi d'une petite tribu domnonéenne, est choisi (vers 520) pour chef de la confédération bretonne du sud de la Saverne ; — les Bretons de la Cambrie entrent (vers 525-527) dans la confédération bretonne, dont Arthur reste le chef. 

V. Après une lutte fort vive contre Arthur, les Bretons du nord entrent à leur tour (vers 530) dans la confédération bretonne, et Arthur est roi suprême de tous les Bretons. 

VI. Les douze grandes batailles d'Arthur. 

VII. Gwenn, fils de Liwarch-Hen, l'un des compagnons d'Arthur. 

VIII. Mort d'Arthur vers l'an 545.

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Bretagne : lutte des bretons insulaires contre les anglo-saxons

I. Lacune de vingt-deux ans (530 à 552) dans les chroniques saxonnes, et sa cause ; — le roi Arthur, sa renommée éclatante, son existence contestée et cependant certaine. 

Du reste, à l'époque où nous sommes arrivés, nous trouvons dans les chroniques anglo-saxonnes un vide absolu de plus de vingt ans. De 530 à 552, elles ne mentionnent pas, dans toute l'île, un seul combat entre les envahisseurs et les indigènes. On pourrait croire, à les lire, que la guerre resta pendant tout ce temps entièrement suspendue, ce qui assurément tiendrait du prodige, car, en 530, la lutte axait pris trop de développements et un caractère trop acharné pour pouvoir ainsi soudain s'apaiser et sommeiller si longtemps. Quand même, par impossible, les Saxons auraient alors interrompu leur attaque, ils eussent eu sans aucun doute à soutenir celle des Bretons. Ainsi une telle suspension d'armes est de tout point inadmissible. Mais — nous l'avons déjà dit plus haut et le fait est incontestable — les vieux chroniqueurs anglo-saxons se souciaient médiocrement d'enregistrer les défaites de leurs compatriotes. Si donc ils se taisent pendant vingt ans, ce n'est point que la guerre ait cessé ; c'est que la victoire a cessé de favoriser les envahisseurs et constamment couronné, durant cette période, la résistance des Bretons. Le silence des chroniques saxonnes a sur ce point la valeur d'un aveu décisif. 

Quelle fut l'heureuse influence qui amena cet heureux changement ? Quel héros et quel génie sut ainsi, pendant plus de vingt années, relever, soutenir, affermir la fortune de la Bretagne? Car on avouera que cette tâche exigeait un héros plus qu'ordinaire. 

Ce héros fut précisément le fameux roi Arthur, dont j'ai déjà dit un mot plus haut. 

Mais, on l'avouera, Arthur occupe dans les traditions bretonnes et dans l'imagination du monde entier, une place trop considérable pour pouvoir être abordé incidemment. Il faut s'arrêter un peu devant lui, ne fût-ce que pour démontrer son existence. Car il a eu cette fortune : une gloire éclatante, incomparable, supérieure, pendant des siècles, à celle même de Charlemagne et de César, — et une existence douteuse, obscure, incertaine, éternellement contestée. Aujourd'hui même, plus que jamais, la science se demande si le héros de tant d'épopées, de tant de romans héroïques et de récits chevaleresques qui ont enchanté nos pères, répond à quelque réalité historique, ou n'est en définitive qu'un pur produit de la double imagination des poètes et des peuples. Disons-le, le doute est permis ; et c'est la gloire même d'Arthur qui met en péril son existence. 

Non-seulement dans les romans et les épopées du moyen-âge, mais aussi dans la prétendue Histoire des rois bretons de Geoffroi de Monmouth et dans le Brut er Brenined d'où elle est tirée, Arthur est un héros colossal. Non content de délivrer la Bretagne et d'en chasser jusqu'au dernier des Saxons, il s'élance de son île pour conquérir au pas de course la Gaule, la Germanie, la Scandinavie, l'Europe entière, et pour s'asseoir en vainqueur sur le trône de l'ancien monde. Or, quand du haut de cette légende hyperbolique on redescend à l'histoire du VIème siècle pour chercher, dans les annales de la Grande-Bretagne, la place réelle qu'a pu tenir ce fameux héros, la première difficulté qu'on éprouve ce n'est pas de déterminer le rôle du personnage, c'est de découvrir son nom. On ne le trouve ni dans Gildas, ni dans Bède, ni dans la Chronique Saxonne. Il est vrai que cette chronique n'est point faite pour célébrer les héros bretons ; que Gildas, dans son Histoire, a véritablement l'horreur des noms propres, et que Bède, pour cette période, se borne à copier Gildas. Mais il n'en est pas moins vrai que la déception produite par cette inutile recherche a pour effet nécessaire de nous dégoûter de suite dit héros ; et c'est elle qui a conduit beaucoup d'historiens sérieux à le rejeter dédaigneusement dans le royaume des fables. 

Cependant Arthur est nommé deux fois dans les poèmes authentiques de Liwarch-Hen, célèbre barde breton du VIème siècle (Note : Dans le Chant de mort de Ghérent, cité plus haut, et dans le chant de Liwarch­Hen Sur la mort de ses fils ; voir Bardes bretons du VIème siècle, p. 10-11 et 146-147), qui lui donne explicitement le titre de généralissime des Bretons. Ainsi le fait de son existence, de son nom et de son titre est attesté par des documents écrits de date contemporaine, dont la critique ne peut méconnaître l'autorité. 

 

Bretagne : lutte des bretons insulaires contre les anglo-saxons

II. Double courant de la tradition au sujet d'Arthur. 

Pour le reste, c'est à la tradition qu'on doit le demander. Mais qu'on y prenne garde, il y a au sujet d'Arthur, dans la tradition bretonne, deux courants distincts et même fort opposés : d'une part, cette tradition menteuse, glorieuse, hyperbolique, qui commence dans le Brut er Brenined, se développe dans Geoffroi, et finit par aboutir an cycle romanesque de la Table-Bonde ; celle-là est la plus connue, ou pourrait presque dire la seule conne jusqu'ici. D'autre part il existe aussi un autre courant traditionnel, qui nous montre Arthur sous un aspect bien plus simple, plus humble, plus grossier, et par cela même plus vraisemblable. 

Cette tradition, qui nous rapproche de la vérité autant que possible, a pour organe les légendes de plusieurs saints bretons, entre autres, celles de saint Padarn (le Patern des Gallois), de saint Carantec, de saint Cado, surtout celle de saint Gildas publiée en Angleterre. Dans l'Historia Britonum, compilation très-informe du IXème siècle, attribuée à Nennius, le chapitre des douze victoires d'Arthur (Nennius, Hist. Brit. $ 56 éd. St. LXIV éd. G. et P.), émane encore, pour la plupart, du courant traditionnel primitif que nous indiquons ici ; mais il renferme déjà plusieurs détails merveilleux où l'on a le droit de voir le germe de cette seconde tradition, hâbleuse et vantarde, dont le Brut er Brenined (composé au Xème siècle ) fut le premier organe. Enfin, quoique les contes gallois connus sous le nom de Mabinogion (Note : Ce nom signifie à la lettre Contes d'enfants ou Contes pour les enfants ; c'est là le sens littéral, mais les critiques discutent sur la valeur réelle de ce mot dans la circonstance), et qui semblent du XIème siècle, appartiennent très-certainement au courant de cette tradition plus récente, on y reconnaît encore, en plus d'un lieu, la trace du courant primitif ; Arthur est loin d'y garder cette attitude héroïque et monumentale, que lui imposent constamment et le Brut et Geoffroi (Voir La Villemarqué, Romans de la Table-Ronde et Contes des anciens Bretons (3ème édit.), pp. 180, 181, 182, 190). 

 

Bretagne : lutte des bretons insulaires contre les anglo-saxons

III. Caractère du roi Arthur d'après les traditions primitives. 

Je vais essayer de reconstruire l'histoire de ce chef illustre d'après les monuments de la tradition que je nomme primitive. Pour comprendre à quel degré elle diffère de l'autre, il faut se rappeler que celle-ci prétend faire d'Arthur non-seulement le maître du monde mais encore le parangon de toutes les vertus chevaleresques. 

C'est sous de tout autres couleurs que le peignent les légendes de saint Cado, de saint Carantec et de saint Padarn. La première nous le montre prêt à enlever brutalement, pour satisfaire sa passion, une jeune fille en détresse, et ne renonçant à ce crime que sur le blâme énergique de deux de ses guerriers (Rees, Lives of the Cambro-British saints, p. 24). Plus loin, ayant été insulté, il exige une rançon exorbitante, hors de proportion avec l'offense, et pour punir son avidité, saint Cado change en paquets de fougères les trois cents vaches qu'on lui livre (Rees, Lives of the Cambro-British saints, p. 48). Dans la vie de saint Carantec, il veut de l'autel de ce saint se faire une table à manger ; mais, en punition de ce sacrilège, tous les mets qu'on y pose sont rejetés au loin (Rees, Lives of the Cambro-British saints, p. 99). Dans la vie de saint Padarn, c'est mieux encore ; on l'appelle sans plus d'égards quidam tyrannus, un certain tyran. Ce tyran, un jour courant le pays, entre dans le monastère de Padarn. Mais pendant que l'évêque lui parle, au lieu d'écouter ses pieux discours, il lorgne d'un oeil d'envie une riche tunique dont le saint usait dans les cérémonies religieuses ; il la demande impérieusement à Padarn et, sur le refus de celui-ci, il se dispose à la prendre de force, en proférant force injures et frappant du pied la terre avec courroux. Alors, sur un mot de Padarn, la terre s'ouvre, et le roi Arthur s'y enfonce jusqu'au menton. Il n'en put sortir qu'après avoir humblement reconnu sa faute et imploré son pardon (Rees, Lives of the Cambro-British saints, p. 193). 

Voilà certes un singulier supplément aux récits épiques du Brut et aux scènes chevaleresques de la Table-Ronde. Puisque j'ai nominé plus haut les Mabinogion, on me permettra d'en tirer une curieuse description de la cour d'Arthur. « L'empereur Arthur était à Caerléon-sur-Osk ». Liwarch intitule aussi Arthur amperoder ; mais chez lui ce mot répond mieux, comme l'imperator des latins, au titre de généralissime qu'à celui d'empereur. Quoi qu'il en soit, le conte poursuit : Un jour, Arthur était assit dans sa chambre. Avec lui se trouvaient Owen et Kénon et Rai, et Guennivar (Femme d'Arthur) et ses femmes travaillant à l'aiguille près de la fenêtre. — Or, l'empereur Arthur était assis au milieu de la chambre dans un fauteuil de joncs verts, sur un tapis de drap aurore, et il s'accoudait sur un coussin de satin rouge. Et il parla ainsi : Ne vous déplaise, seigneurs, je vais faire un somme en attendant l'heure du dîner ; pour vous, vous pouvez vous amuser à raconter des histoires et vous faire servir par Kai (l'échanson) une cruche d'hydromel et quelques viandes. — Là-dessus l'empereur s'endormit.... —  Kai se rendit donc à la cuisine, puis revint avec une cruche d'hydromel et quelques viandes rôties. Et il se mirent à manger les viandes et à boire l'hydromel ». Puis l'un des guerriers conte une histoire ; à propos de son récit une petite altercation s'élève. « Et là-dessus Arthur s'éveilla en demandant s'il avait dormi longtemps : —  Oui, sire, un peu, répondit Owen. — Est-il temps de dîner ?— Il en est temps, sire. — Alors le son du cor se fit entendre ; et, après s'être lavé les mains, Arthur et sa cour se mirent à table » (Conte d'Owen ou la Dame de la fontaine, dans M. de la Villemarqué, Romans de la Table-Ronde, 3ème édit., pp. 180, 181, 182, 190). 

Impossible, assurément, de trouver rien de moins impérial que cette cour. Je ne dis pas que ce soit là exactement les moeurs du VIème siècle ; mais c'est la physionomie et tout le personnage d'un petit chef breton, nullement la grandiose figure de l'empereur du monde. Les légendes citées plus haut ne nous montrent non plus dans Arthur qu'un prince d'une puissance bornée et de moeurs fort grossières. 

 

Bretagne : lutte des bretons insulaires contre les anglo-saxons

IV. Arthur, roi d'une petite tribu domnonéenne, est choisi (vers 520) pour chef de la confédération bretonne du sud de la Saverne ; — les Bretons de la Cambrie entrent (vers 525-527) dans la confédération bretonne, dont Arthur reste le chef. 

Tel est donc là le point de départ du héros. Toutes les traditions s'accordent à le faire naître dans la Domnonée insulaire ; c'est là sans doute qu'il régnait obscurément sur quelque petite tribu bretonne, quand sa bravoure et son génie militaire le portèrent (vers 520) au commandement supérieur de la ligue formée contre les Saxons de Cerdic par les Bretons du sud. Nennius avoue que beaucoup d'autres rois bretons l'emportaient sur lui par la noblesse (« In illo tempore Saxones invalescebant in multitudine et crescebant in Britannia … Tunc Arthur pugnabat contra illos cum regibus Britonum  et, licet, multi ipso nobiliores essent, ipse tamen dux belli fuit » Historia Britonum, $ 56, éd. St. LXIV éd. G. et P.) et sans doute aussi par la puissance ; mais il l'emporta par la vaillance, l'habileté, le bonheur, et la victoire le sacra généralissime. 

Néanmoins, même après cette élévation dans les destinées d'Arthur, la légende insulaire de saint Gildas — dont le fond est des plus anciens [Note : La rédaction elle-même semble remonter au Xème siècle, et je ne sais pourquoi M. de la Villemarqué persiste (dans les Romans de la Table-Ronde) à l'attribuer au moine Caradoc de Lancarvan, écrivain du XIIème siècle, alors que l'éditeur Stevenson a prouvé péremptoirement l'erreur de cette opinion] — ne nous donne pas de sa puissance une très-haute idée. Un petit roi breton, appelé Melvas, lui prend sa femme Guennivar, se cache avec elle dans la ville d'Ynisgutrin (aujourd'hui Glastonbury), et Arthur passe une année à les chercher sans pouvoir les découvrir. A la vérité, dès qu'il y est parvenu, il vient assiéger Melvas, nous dit la légende, « avec toutes les forces militaires de la Domnonée et de la Cornouaille  » [« Illico commovit (rex Arthurus) exercitus totius Cornubiœ et Dibneniœ » dans le Gildas de Stevenson, p. XL de la préface. — Il faut remarquer toutefois que le nom de Cornubia, désignant le comté actuel de Cornwall, n'était pas encore connu au VIème siècle, et ne semble avoir été tout au plus tôt usité que dans le VIIIème] : ce qui indique assez bien l'étendue de la confédération commandée par Arthur. Ces forces, toutefois, ne suffirent point à intimider Melvas, qui sortit hardiment pour les combattre. Mais, au moment du combat, l'intervention de saint Gildas et de l'abbé d'Ynisgutrin persuade aux deux ennemis de faire la paix. Melvas se décide à rendre Guennivar à Arthur, qui la reprend et la remmène, sans tirer de cet outrage autre vengeance. 

Cependant (vers 525-527) la puissance d'Arthur s'accrut. Les Bretons de la Cambrie, menacés à leur tour par Cerdic, s'unirent à la ligue bretonne du sud de la Saverne, et Arthur demeura le chef de cette vaste confédération, dont le territoire s'étendait au nord jusqu'à la Dee (Note : sur cette rivière est Chester, capitale du comté du même nom). 

 

Bretagne : lutte des bretons insulaires contre les anglo-saxons

V. Après une lutte fort vive contre Arthur, les Bretons du nord entrent à leur tour (vers 530) dans la confédération bretonne, et Arthur est roi suprême de tous les Bretons. 

Au-dessus de la Dee il existait encore des Bretons ; tout le côté occidental de l'île, entre cette rivière et la Clyde, était encore à celte époque occupé par des tribus indigènes, divisées en un grand nombre de petits royaumes. Arthur, sentant mieux que personne combien il était indispensable pour avoir sur les Saxons un avantage décisif — d'unir en un seul faisceau toutes les forces bretonnes, travailla énergiquement à faire entrer dans la ligue qu'il commandait tous les royaumes des Bretons du nord. Il n'y réussit pas sans obstacle. Peut-être ces Bretons du nord formaient-ils déjà entre eux une confédération particulière. Ce qui est sûr, c'est qu'un grand nombre refusèrent de s'allier aux Bretons du sud, ou du moins de se soumettre à leur chef. A la tête de ces récalcitrants était Hueil ou Howel, prince du royaume de Strat-Cluyd, le plus septentrional de tous les états Bretons du nord : il occupait en effet la vallée de la Clyde, sur l'extrême limite des Scots, et avait pour capitale la ville d'Arcluyd, devenue plus tard Dunbritton, maintenant Dumbarton. 

Cet Howel avait, dit-on, vingt-trois frères, dont l'un était l'illustre abbé saint Gildas. Sauf Gildas, voué par état au culte de la paix, tous ces frères furent pour Arthur de terribles adversaires. Ils voyaient en lui l'usurpateur de leur indépendance et refusaient énergiquement de se soumettre à son autorité [Confratres tamen XXIII (sancti Gildœ) resistebant regi rebelli prœdicto (i. e. Arthuro), nolentes pati dominium, Vit. S. Gildœ dans le Gildas de Stevenson, p. XXXIV, de la préface]. La légende de saint Gildas nous rend un écho de cette lutte, dans laquelle plus d'une fois Arthur fut battu et contraint de fuir. Howel surtout, l'aîné des vingt-quatre, le plus vaillant et le plus fameux, lui fit éprouver de sanglantes défaites. De la frontière du pays des Scots on le voyait fondre tout-à-coup sur la Cambrie, y promener l'incendie et le ravage, disperser les troupes d'Arthur, et revenir chargé de butin. Les Bretons du nord, charmés de sa gloire, se plaisaient à voir en lui le futur chef de la confédération générale et le roi suprême des Bretons. Mais un jour qu'il était dans l'île de Môn (aujourd'hui Anglesey), où il avait dirigé une de ses expéditions ordinaires, Arthur le surprit, le vainquit et le tua. Il paraît que cette victoire ne fut pas de tout point pure et loyale ; car peu de temps après, saint Gildas étant revenu d'Irlande en Grande-Bretagne, Arthur lui demanda pardon de la mort de son frère, s'en accusa avec larmes dans une assemblée d'évêques et d'abbés, et ne cessa, nous dit-on, d'en faire pénitence jusqu'à la fin de ses jours (Vit. S. Gildœ, Stevenson a imprimé cette légende en tête de son édition de Gildas, voir, les pp. XXXIV, XXXV et XXXVI). 

Quoi qu'il en soit, le but d'Arthur fut atteint par cette victoire ; tous les royaumes du Nord entrèrent sans exception et sans résistance dans la grande confédération bretonne, et de ce moment, que je place environ l'an 530, commença pour les Saxons cette désastreuse période, accusée éloquemment par le silence même de leurs chroniques. 

C'est aussi à partir de ce moment que se développa complètement le grand rôle d'Arthur. Ayant aisément réduit à l'impuissance les Saxons de Cerdic, il se tourna contre les Angles (c'était le nom d'une des principales tribus de la nation saxonne), dont de grosses troupes couraient déjà ou même étaient établies à demeure non-seulement dans la Mercie, de la Tamise à l'Humber, mais aussi au nord de ce dernier fleuve, jusqu'aux murs de Sévère et d'Antonin. 

 

Bretagne : lutte des bretons insulaires contre les anglo-saxons

VI. Les douze grandes batailles d'Arthur. 

Il est remarquable, en effet, que sur les douze batailles, dans lesquelles la tradition résumait au IXème siècle toute la gloire d'Arthur et dont Nennius donne le catalogue, dix furent gagnées dans le nord de la Grande-Bretagne, prenant ce mot, bien entendu, comme synonyme de l'ancienne Bretagne romaine. Voici l'énumération de ces douze victoires dans l'ordre où Nennius les nomme (Nennius, Hist. Brit., $ 56 éd. St., éd. LXIV éd. G. et P. — Remarquer, dans l'édition de Stevenson, les notes topologiques pp. 48 et 49) ; mais à peine est-il besoin de remarquer que cet ordre est complètement arbitraire. 

La première fut remportée à l'embouchure de la rivière de Glen, affluent de la Tweed, qui donne son nom à la vallée de Glendale dans le comté actuel de Northumberland. 

Les quatre suivantes sur les bords du fleuve Douglas, qui coule dans le sud du comté de Lancastre. 

La sixième, près de la rivière et de la ville de Bassas ou Basas, aujourd'hui (comme je l'ai déjà dit) Basing ou Basingstoke dans le Hampshire, à l'ouest de Winchester. 

La septième eut pour théâtre la forêt de Kelydon, qui alors protégeait (selon Usher) la ville bretonne de Cair-Lindcoit, aujourd'hui Lincoln. 

La huitième, l'une des plus désastreuses pour les Anglo­Saxons, fut gagnée sous les murs d'une ancienne forteresse romaine, le Vinnovium de Ptolémée, Vinovia de l'Itinéraire d'Antonin, que Nennius appelle Guinniou, et que représente aujourd'hui le bourg de Binchester dans l'évêché de Durham, au sud-ouest de cette ville. 

La neuvième, dans le voisinage de Cairlion, aujourd'hui Chester, Urbs Legionis (Note : Ne pas confondre cette ville avec une autre Cairlion ou Caërléon, sur la riviére d'Osk, dans le pays de Gwent, aujourd'hui comté de Monmouth). 

La dixième sur les bords d'un petit fleuve appelé Trahturoit, qu'on croit être l'Esk qui se jette dans le golfe de Solway, non loin d'une bourgade appelée Arturet. 

La onzième, près d'Edimbourg, appelée dans Nennius Agned, qui est l'ancien nom breton. 

La douzième, enfin, n'est autre que la bataille du mont Badon, où Arthur ne fut pour rien en réalité, puisqu'elle lui est de beaucoup antérieure. Mais comme cette journée était l'une des plus grandes victoires de la race bretonne, la tradition populaire ne tarda point de l'associer, dans ses souvenirs, au nom du plus grand héros breton. On eût cru faire injure à Arthur de ne la lui point attribuer. 

 

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VII. Gwenn, fils de Liwarch-Hen, l'un des compagnons d'Arthur. 

A toutes ces batailles d'Arthur, — abstraction faite de celle du mont Badon, — le barde Liwarch-Hen en ajoute deux : l'une, dont j'ai déjà parlé, livrée à Longport , dans le comté actuel de Somerset, l'autre qui eut pour théâtre les rives du Lawen ou Leven, petit fleuve du comté de Cumberland, qui tombe dans le golfe de Solway. L'un des fils de Liwarch-Hen, appelé Gwenn, combattait en cette dernière rencontre sous les ordres d'Arthur. Son père l'a célébré dans un chant où on lit les strophes suivantes : « Gwenn a veillé hier soir au bord du Lawen, là où Arthur n'a point lâché pied ; il s'est élancé, à travers le carnage, sur la verte rive. — Gwenn veillait hier au soir au bord du Lawen, son bouclier sur l'épaule et comme il était mon fils, il fut plein de vigilance. — Gwenn veilla hier soir au bord du Lawen, le bouclier en mouvement, et comme il était mon fils, il ne prit point la fuite.... »

Peu de temps après, Gwenn périt accablé par le nombre, en défendant, contre les Angles de Mercie, le passage du Morlas, petite rivière du Shropshire actuel, qui prend sa source près d'Oswestre et se jette dans la Saverne un peu au-dessus de Shrewsbury : «  Gwenn, un grand trou à la cuisse, a veillé hier au soir sur la rive, au passage de la rivière de Morlas, et comme il était mon fils, il n'a pas fui. — O Gwenn ! je connais ta race ; tu étais l'aigle qui s'abat à l'embouchure des fleuves ; si j'avais été heureux, tu aurais échappé à la mort … — C'était un homme que mon fils ! C'était un héros, un généreux guerrier ; il a été tué au gué de la rivière de Morlas. — Voici la bière qu'a faite à son fier ennemi vaincu, après l'avoir environné de toutes parts, l'armée des Logriens (Note : Nom donné par les Bretons indépendants aux Angles et à ceux des indigènes qui avaient accepté leur domination) ; voici la tombe de Gwenn, fils du vieux Liwarch. — Doucement chantait un oiseau sur un poirier, au-dessus de la tête de Gwenn, avant qu'on le couvrît de gazon ; il brisa le coeur du vieux Liwarch ! — J'avais vingt-quatre fils décorés du collier d'or et chefs d'armée ; Gwenn était le plus brave d'entre eux ! … » (Chant de Liwarch-Hen sur la mort de ses fils, dans la Villemarqué, Bardes bretons du VIème siècle, pp. 146-153). 

 

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VIII. Mort d'Arthur vers l'an 545.

La mort d'Arthur est enveloppée de doutes et d'incertitudes. Le Brut er Brenined le fait périr à Camlan en Domnonée, dans une bataille contre son neveu, le traître Médraud (ou Mordred. On croit que Camlan est aujourd'hui Camelford, petite ville du comté de Cornwall). Mais cette histoire de Médraud, dans l'ensemble et le détail, sent terriblement la fable. Tout au plus peut-on conclure de cette tradition fort altérée qu'Arthur, après tant d'exploits, succomba obscurément dans une guerre civile, peut-être sous les coups d'un traître. Telle fut la récompense de ce haut génie, de cette bravoure héroïque, de cette longue carrière, enfin, de fatigues incessantes, uniquement vouée à la délivrance de la patrie. 

On place d'ordinaire la mort d'Arthur de 540 à 545, et je suis porté, pour ma part, à la rapprocher le plus possible de cette dernière date. 

L'admiration de la postérité pour la vaillance sans égale du héros breton est restée inépuisable ; je suis tenté, je l'avoue, de réserver la mienne pour la force de son génie politique, qui, dans la confusion de cet âge désastreux, conçut et réalisa, malgré mille obstacles, l'union de tous les Bretons en une vaste et unique confédération, assez compacte pour permettre de porter au même instant toutes les forces de la nation sur les points les plus menacés par les envahisseurs. Aussi est-ce cette union qui donna pendant vingt ans à la race bretonne la longue série de victoires dont l'éclat illustre encore le nom d'Arthur ; et si cette heureuse union avait pu durer, elle eût amené sans nul doute l'expulsion définitive des Saxons. Mais il en fut autrement, et la fatale destinée s'accomplit.  

(M. Arthur de La Borderie - 1881)  

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