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LES GIRONDINS A KERVENARGANT

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A la fin de l’été de 1793, après avoir quitté le Calvados où leur tentative de résistance avait échoué, les Girondins proscrits par la Convention et traqués de toutes parts se réfugièrent en Bretagne, échappant avec peine aux émissaires lancés à leur poursuite. Ils trouvèrent à Quimper un asile momentané qu’ils durent abandonner bientôt. Les uns, Cussy, Salle, Bergoeing, Meillan, Girey-Dupré, cachés à Penhars chez Kervélégan, s’embarquèrent avec Duchâtel, Riouffe et l'espagnol Marchena, pour essayer d’atteindre Bordeaux par mer. Les autres, Barbaroux, Pétion, Guadet, Buzot et Louvet, se dispersèrent, tout en demeurant dans les environs de Quimper.

Louvet quitta Quimper pour aller se terrer à quelques lieues de là « dans une maison isolée ». Sa compagne Lodoïska fut reçue un peu plus loin et Louvet l’y rejoignit bientôt.

Le récit de Louvet (Louvet, Mémoires) est le seul que l’on possède sur cette période de l’exode des Girondins. Ecrit alors que la terreur sévissait encore, il abonde en réticences et en dissimulations, soit que l’auteur redoute de compromettre, en les citant, les courageux citoyens qui lui donnèrent asile ; soit que, poussé de cache en cache dans cette Bretagne qui lui était totalement inconnue, il n’ait jamais su lui-même les noms des villages ou des manoirs où on l’abrita. Il n’a pas révélé le nom de son sauveur. Il ne cite pas davantage le nom du manoir, discrétion qui a donné l’essor à des légendes (Georges Le nôtre, La proscription des Girondins, p. 61).

Cambry (Voyage dans le Finistère, p. 317-318), sans être aussi discret, n’est guère plus précis. Il se contente de donner les initiales du manoir et du propriétaire.

« Je serais coupable, dit-il, en parlant du district de Pont-Croix, de ne pas rendre hommage à la générosité, au courage, à l’héroïsme du citoyen C... Il habitait la terre de K..., à une demi-lieue de Pont-Croix, près de Poul-David, dans le moment où le couteau des assassins se promenait sur toutes les têtes, où des lois contraignaient le fils à livrer son vieux père à l’échafaud, la femme à trahir son époux, le père à sacrifier son fils. Il osa ouvrir sa porte, donner son lit, ses soins et toute espèce de secours à de malheureux fugitifs, il compromit son existence, la tête de sa femme, celle d’une mère chérie, la tranquillité de ses soeurs, d’un père, d’une mère, âgés de quatre-vingt-cinq ans. Il eut la fermeté, entouré d’espions, de leur montrer toujours un front serein ; il appela souvent chez lui la force armée, la gendarmerie, les plus ardents dénonciateurs, dans le moment où leurs victimes n’étaient séparés d’eux que par des planches. Barbaroux, Louvet et Roujoux entendaient de leur retraite les vociférations de ceux qui les cherchaient. Imaginez le mélange d’impressions qui se succédaient dans leurs âmes, les calculs qui les occupaient, le désespoir, l’espérance que chaque courrier déterminait, le sentiment de reconnaissance que chaque instant renouvelait. Voyez au milieu de tant de précautions C... toujours calme, consolateur. Tous les moyens qui pouvaient écarter les soupçons se présentaient à son esprit ; on dansait deux fois par semaine au manoir de K... Toutes les femmes du voisinage de Douarnenez étaient priées à ces fêtes brillantes ; l'étourdissement, la gaieté, tous les rapports du lendemain éloignaient des soupçons que la vérité, qui ne se cache jamais bien, faisait naître et renaître chez tous les surveillants du district et du département. La mère de Barbaroux, sous les habits d’une lingère, plaisait à tout le monde … J’ai vu cette femme respectable pendant mon séjour à K... ».

Quel est donc ce manoir de K... ?

Les guides les plus sérieux signalent encore aujourd’hui aux touristes le « château de Kervénargant » comme étant celui « où se cachèrent Buzot, Pétion, Guadet Barbaroux et Louvet », ce qui correspond d’ail­leurs à la tradition locale.

En 1836, donc à une époque où survivaient des témoins de ces temps tragiques, on montrait (Emile Sauvestre, Le Finistère, p. 75), sur la boiserie d’une cheminée, des vers inscrits au crayon par Barbaroux qui voulait ainsi tromper ses longues heures d’ennui (Ce panneau aurait été depuis vendu à des étrangers). Il composa même, pendant sa réclusion, une ode sur l’électricité. Louvet aussi, s’ennuyant à mourir dans sa « maison isolée » avait écrit, pour se distraire, son Hymne de mort qu’il se proposait de chanter lorsqu’il irait à l’échafaud. L’ode de l’un et l’hymne de l’autre n’ajoutent rien à la renommée de leurs auteurs.

Naturellement, pour André Theuriet, poète et romancier, la présence des Girondins à Kervénargant, en 1793, ne fait pas l’objet d’un doute. Il est plus piquant de séjourner dans un château historique que dans un quelconque manoir ! Il a vu — on la montre encore — « l’étroite pièce en contrebas prenant jour sur les bois par une étroite meurtrière, l’enfer » (Revue des Deux Mondes, 1881, I, p. 374) où se terraient les illustres parias... Et en gravissant les marches délabrées de l'escalier de bois à rampe de chêne qui conduit à ce réduit, il songeait au temps où Barbaroux, avec sa haute taille et sa fière tournure, Pétion, avec sa barbe et ses cheveux blanchis avant l’âge, montaient ou descendaient d’un pas inquiet ces mêmes marches qui criaient sous leurs pieds...

Dans le délicieux fouillis du jardin où tout poussait à l’aventure, plantes rares ou communes, aristocratiques ou plébéiennes, exotiques ou vivaces, sous la charmille du fond où il devait revenir plus tard écrire « Les Œillets de Kerlaz », Theuriet sentait avec les odeurs attiédies des roses et des citronnelles, une paix profonde, une quiétude assoupissante monter vers lui et l’envelopper, et le souvenir des proscrits revenir. « Quelle impression d’accalmie et d’oubli cet enclos épanoui devait produire sur les Girondins qui avaient encore dans les oreilles le fracas des batailles de la Convention, la voix tonitruante de Danton, les clameurs des tribunes, quand ils se promenaient par une après-midi d’automne le long de ces charmilles d’où ils n’entendaient plus que la musique du vent dans les pins et la voix lointaine de la mer ! ».

Or, malgré la légende et malgré la tradition, certains croient que ce n’est pas à Kervénargant que se cachèrent les Girondins, mais à Kervern, dans la commune de Pouldavid, non loin de Douarnenez. C’est l’avis de Georges Lenôtre qui a travaillé d’après les documents recueillis par l’érudit Prosper Hémon (Prosper Hémon, préparait, lorsqu’il décéda, un ouvrage sur la prescription des Girondins de Bretagne). Il ajoute que Buzot, Pétion et Guadet n’y vinrent jamais.

C’est, en effet, au manoir de Kervern qu’habitait le bienfaiteur de Louvet, Lodoïska et Barbaroux, celui que Cambry désigne par l’initiale de son nom et qui s’appelait Louis-François Chappuis de Bonlair.

C’est à Pouldavid, très probablement à Kervern par conséquent, que mourut l’année suivante la femme de Barbaroux, Marie Harlove.

Il faut donc admettre que le refuge des proscrits fut le manoir de Kervern.

Mais si ce fut là leur demeure ordinaire, ne peut-on penser qu’ils se cachèrent au moins momentanément à Kervénargant, lorsque quelque visite domiciliaire, par exemple, était annoncée ? Je le croirais volontiers.

Comment, même avec les réticences des Mémoires de Louvet, une telle légende se serait-elle attachée à Kervénargant, s’il n’y avait au moins un fond de vérité ?

Chappuis était l’ami des propriétaires de ce manoir, sinon leur parent : on trouve sa signature à côté de la leur dans les registres paroissiaux de Meilars et dans ceux de Poullan. Rien d’étonnant qu’il y ait conduit ses hôtes lorsque le séjour de Kervern devenait plus dangereux. La cache en bois de Kervénargant répond bien à la description de celle dont parle Louvet et dans laquelle il dut passer un jour entier avec Lodoïska.

Enfin, quoi qu’en pense Georges Lenôtre, il n’est pas sûr que Barbaroux soit demeuré toujours avec les autres proscrits. Sans doute, Chappuis lui offrit, lorsqu’il était sur le point de manquer d’asile, de partager la chambre qu’occupaient déjà Louvet et sa femme. Il n’est pas dit que le Marseillais ait accepté. En tout cas, le jour du départ, il semble qu’il n’était pas à Kervern. Quand, le 20 Septembre, Chappuis, à l’improviste, apprit à ses hôtes que le navire sur lequel leur passage était clandestinement retenu mettrait à la voile, à Brest, la nuit suivante, pour la Gironde, Louvet refusa d’abord de partir parce qu’il n’y avait pas de place pour Lodoïska. Racontant cet épisode, il ne dit mot de Barbaroux.

« Le 20 Septembre, on vint me chercher. Hélas, oui ! on ne venait chercher que moi !... ». Je conviens, qu’à ce moment, il pense uniquement à sa compagne et à la douleur de la quitter. Mais la suite prouve qu’il voyagea seul jusqu’à Plonévez-Porzay : « Il était cinq heures du soir, c’est-à-dire qu’il faisait encore plein jour, quand je sortis de la ville à la vue de tout le monde. A deux cents pas, un cheval m’attendait ; un ami sûr était mon guide ; nous avions neuf grandes lieues de pays, à peu près quinze lieues de poste, à faire. Il fallait être dans la chaloupe qui devait nous conduire au bâtiment, à onze heures au plus tard, car le coup de canon qui ordonnait le départ du convoi et de l’escorte serait tiré à minuit précis. A deux Lieues d’ici, j’allais trouver mes chers collègues qui m’attendaient. En effet, j’embrassai Guardet, Buzot et Pétion ; mais Barbaroux vint longtemps après... Il nous fit perdre une grande heure ».

Pourquoi un tel retard s’ils étaient ensemble à Kervern ? On dit : « Barbaroux, toujours indolent s’attarda ». Les minutes pourtant étaient précieuses, et dans une telle situation on ne perd pas une « grande heure » sans raison grave. N’était-il pas plutôt à Kervénargant ?

Les fugitifs arrivèrent avant minuit à Lanvéoc, après avoir contourné la baie de Douarnenez. Les deux frères Pouliquen, armateurs de l'Industrie — tel était le nom du navire sur lequel les Girondins allaient embarquer — les avaient rejoints en route.

Les frères Pouliquen étaient des négociants de Brest. Et voici que nous trouvons l’un d’eux, le cadet, Jean-Maurice, mêlé à l’histoire de Meilars et de Kervénargant. Lors de la vente du mobilier de l’église de Confort, le 27 Messidor an III (15 Juillet 1795), il se portera acquéreur de l’horloge pour la somme de 1.225 livres et de tous les autres meubles, après qu’il aura, un mois plus tôt, contribué au rachat de l’église elle-même et des chapelles de Saint-Jean et de Saint-Marc pour une somme de 9.050 livres, soit la moitié du prix, les paroissiens ayant fourni l’autre moitié, et acheté le manoir de Kervénargant qu’il viendra habiter.

N’y a-t-il pas, dans ce fait de voir l’un des sauveurs des proscrits girondins acquérir Kervénargant et y habiter, une nouvelle présomption en faveur de leur passage en ce manoir ? Je n’oserais l’affirmer, mais je suis tenté de le croire....

(H. Pérennès).

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