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MONASTERE ou PRIEURE DES COUETS

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Les premières traces concernant les Couëts remontent à 1119 où une bulle papale fait mention d'une chapelle dédiée à Notre-Dame au lieu des Couëts. L'église vers 1150 relève de l'abbaye de Saint-Sulpice de Rennes. C'est à cette époque que Guillaume des Couëts fit don de son manoir et d'autres biens aux religieuses et à leur ordre. Le couvent devint ainsi un prieuré, puis un monastère. Le monastère de carmélites installé aux Couëts par la duchesse Françoise d'Amboise fut abandonné en septembre 1792. En 1842, Mgr. de Hercé, évêque de Nantes établit dans les anciens locaux les « Petits clercs ». En 1848, la République permettant d’ouvrir des collèges libres, Mgr. de Hercé transforme la maison des Petits clercs en « Première section du collège catholique de Nantes ». Le 12 octobre 1848, s’ouvrent ce qu’on appellera « Les Grands Couëts » sous la direction de M. Bliquet, puis de Fr. Blanchard (de 1868 à 1880), Louis Denis (de 1880 à 1906), Victor Ménager (de 1919 à 1935), Constant Leroy (1935 à 1965) et Henri Loiseau (jusqu'en 1972, date où l'établissement devient un foyer, sous le nom de "Foyer Saint Paul").

 

Le Monastère des Couëts avant la Révolution

Le monastère des Couëts a été l'une des nombreuses fondations édifiées au moyen-âge sur le territoire du comté de Nantes, La richesse du sol, propre à presque toutes les cultures, le voisinage d'un grand port à l'abri des tempêtes de l'Océan, sur un fleuve qui arrose le centre de la France ; les encouragements et les pieuses libéralités des souverains de Bretagne déterminaient les moines et les religieuses à se fixer dans cette contrée hospitalière, et à y bâtir des monuments capables de résister à toutes les injures du temps.

Les ruines imposantes de quelques-uns de ces couvents subsistent encore, d'autres ont complètement disparu ; en 1844, on ne voyait plus de l'ancien prieuré des Carmélites des Couëts, que la fuie séculaire, et quelques parties des murs d'enclos, au milieu d'un amas de pierres. Les bâtiments avaient été rasés jusqu'à leurs fondements pendant la Révolution ; sur ces fondations se sont élevées successivement les diverses constructions qui ont données asile au petit séminaire diocésain.

Le monastère des Couëts fut une source de prospérité pour la contrée pendant les sept siècles de son existence. A l'ombre de ses murs protecteurs, se groupèrent de nombreuses maisons  d'habitation. Cultivateurs et tâcherons, bourgeois de la cité nantaise, nobles de Bretagne et du Poitou, étaient heureux de passer leur vie aux alentours du couvent. En voyant da flèche  de la chapelle, en entendant plusieurs fois le jour le son de la cloche, ils étaient assurés de trouver les secours et les consolations de la foi religieuse, quand ils en auraient besoin. Ils savaient qu'ils ne seraient pas abandonnés dans les temps de famine ou d'épidémies : les uns cherchaient le travail nécessaire à leur subsistance ; les autres, les relations de famille et d'amitié, près d'une communauté ouverte à toutes « les filles de bonnes maisons ».

Sous la direction des supérieurs du couvent, la terre a été exploitée ; les landes incultes ont disparu ; les arides coteaux se sont couverts de moissons et de vignobles ; les forêts ont été abattues et ont fourni le bois employé sans mesure dans la confection des outils et des demeures. Le désert qui s'étendait sur la rive gauche de la Loire jusqu'aux domaine de Buzay, autre propriété monacale, a été fécondé par le travail intelligent des religieuses des Couëts.

Enfermées volontairement derrière les épaisses murailles de leur monastère pour y vivre dans la pauvreté, la mortification et la prière, elles ont procuré la richesse et la civilisation à leur voisinage. Les pauvres de la contrée ou même les pauvres passants, comme l'on disait alors, n'ont jamais frappé à leur porte sans recevoir les aumônes imposées par leur règle. En tout temps, elles ont secouru les malades et les infirmes qui venaient leur demander assistance et asile. Par les ouvriers et les laboureurs, employés de père en fils, et de génération en génération à leur service, elles ont fait un travail bienfaisant et utile même au seul point de vue humain.

Ces défrichements de forêts, ces assainissements de marécages, cette exploitation des vignes qu'elles avaient plantées et qu'elles cultivaient, sont consignés dans les archives locales, ainsi que d'autres souvenirs intéressants à conserver.

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I

Le mot Couëts, écrit successivement Escoiz, Escoetz, Scoetz, Coëtz, Coëts, d'après l'étymologie la plus commune et la plus rationnelle, est un mot celtique qui signifie bois. Les Couëts étaient situés primitivement en effet à l'intersection des deux grandes forêts de Touffou et de Bougon.

A quelle époque ce lieu a-t-il été habité ? Une bulle du pape Callixte II (1119) fait mention d'une chapelle dédiée à Notre-Dame, au lieu des Couëts. En 1135, Innocent II parle également de l'église de Sainte-Marie des Escoiz ; dix ans plus tard, Eugène III dit que cette église, située en l'évêché de Nantes, relève de l'abbaye de Saint-Sulpice de Rennes, gouvernée alors par Marie, fille d'Etienne, roi d'Angleterre. La même année (1145), dans un accord passé entre les moines de Marmoutiers, résidant à Châteauceaux et les religieuses de Sainte-Radegonde, du Loroux-Bottereau, nous trouvons le nom de Guillaume des Couëts. Il est stipulé que les moines prendront le sixième des revenus de Saint-Sauveur-de-Landemont, et toucheront à Pâques une rente de 12 deniers ; que les religieuses des Couëts en auront un tiers et une rente de deux sous à Pâques (Voir Abbé Bourdeaut : Origines féodales de Châteauceaux).

D'après ce texte, les moniales des Couëts et les religieuses de Sainte-Radegonde dépendent alors de l'abbaye de Saint-Sulpice, établie d'après les constitutions de Robert d'Arbrissel, par Raoul de la Fustaie, son disciple, dans la forêt du Nid de Merle, au diocèse de Rennes. Ces religieuses suivaient la règle de Saint-Benoît. Pour leur procurer les secours spirituels dont elles avaient besoin, leur fondateur leur avait adjoint des religieux de la même observance qui devaient obéissance à l'abbesse, chargée de l'administration temporelle de la communauté. Sa pensée, en établissant cette institution, était de faire honorer la Mère de Dieu.

Le nom de Guillaume des Couëts se retrouve encore dans une Charte de l'abbaye de Buzay ; c'était sans doute le religieux proposé à l'administration des biens du couvent. Ce couvent existait donc déjà au moment où Hoël, comte de, Nantes, a signé la charte de fondation, extraite par Dom Lobineau des archives conservées dans le monastère des Couëts « Moi, Hoël, comte de Nantes, pour le salut de mon âme et pour le salut des âmes de mes parents et de tous mes prédécesseurs et successeurs, ainsi que pour le bon état du comté, donne et concède, sur mon propre héritage, à Dieu, et au bienheureux Sulpice, et à ma très chère fille 0. (Odeline) et aux autres religieuses qui y serviront Dieu, mon manoir des Couëts et ma chapelle, avec les bois, prés, moulins, ponts, pêcheries, et revenus, à partir du pont de la Sèvre, lesquels mon père avait eus en sa possession, tant sur eau que sur terre, et sont pleinement détaillés dans le titre rédigé à ce sujet, l'an de l'Incarnation 1149, aux ides du mois d'août. Signé Hoël, comte de Nantes ; t Bernard, évêque de Nantes ; t Salomon, évêque de Léon ». Les témoins de cette fondation sont G. d'Orgères, K. de Rezé, J. de Goulaine, M. de Machecoul, et beaucoup d'autres.

C'était un bel héritage que le comte de Nantes donnait à l'abbaye de Saint-Sulpice. Le couvent des Couëts devenait une de ses annexes principales ; il prend dès ce moment le nom de Prieuré qu'il gardera jusqu'à sa ruine, en 1792.

Presque tous les biens énumérés dans la charte de Hoël sont demeurée en la possession des religieuses qui se succédèrent dans les mêmes bâtiments, deux ou trois fois réédifiés dans la suite des âges. Les inventaires des diverses époques de son histoire mentionnent ces bois et ces prairies qui s'étendent du pont de la Sèvre jusqu'aux confins des domaines des abbayes de Villeneuve et de Buzay, et lui assurent de riches revenus ; ces moulins établis dans les paroisses de Rezé, Pont-Saint-Martin, Château-Thélbaud, et Bouguenaie, qui occasionnent, par leur vétusté, des dépenses considérables ; ces pêcheries, dans le Seil, la Sèvre ou la Loire, trop souvent causes de contestations et de procès, mais qui ne sont jamais abandonnées en raison des droits stipulés primitivement par le fondateur.

A l'occasion des voeux de sa fille et pour parfaire sa dot, Hoël y ajoute encore l'île de Graois, le prieuré de Sainte-Honorine ou Saint-Honoré du Bout-de-Bois, en Héric, et celui de Sainte-Radegonde, au Loroux Bottereau, déjà habité par des Bénédictines de la même observance.

Les actes de transaction, d'achat, ou de vente sont les seuls documents, avec les bulles des Papes, qui nous révèlent dans la suite l'existence du Prieuré des Couëts. Il dépend toujours de l'abbaye de Saint-Sulpice de Rennes. En 1171, une bulle d'Alexandre III, adressée à Nivœ abblatissœ, énumère parmi les dépendances de son abbaye de Sainte-Marie (quœ dicitur Scotia) située dans l'évêché de Nantes.

Dans un acte de 1177, Sylvestre, fils de Roland de Bégon, confirme les privilèges accordés par sa famille à l'abbaye de Buzay ; Johannes, prieur des Escoiz, y appose sa signature. Dans une autre donation faite à la même abbaye par un certain Even Bourdin, la même signature se retrouve ; la sœur du donateur est prieure des Couëts et s'appelle Billote ; une autre sœur de Silvestre, Guarsia, est moniale : Teste sonore ejusdem Even Bourdin, sanctimoniali des Escoiz, Johannes, prior des Escoiz. (Bibliothèque municipale de Nantes, n° 993).

Il semble bien que la communauté des Bénédictines possède déjà un domaine assez important ; elle a un procureur que les religieux reconnaissent comme prieur. C'est tout ce qui nous est révélé de l'existence du monastère pendant cette période.

En 1376, Julienne Duguesclin, soeur du célèbre connétable breton, est prieure perpétuelle du monastère des Escoetz. Est-ce pour la visiter que le guerrier si redouté des Anglais resta huit jours dans les environs de Nantes ?. Les chroniques de Froissart nous indiquent seulement qu'il entra dans la cité, et en partit pour demeurer en un village-les-Nantes, et de là s'en alla à Brest.

Julienne Duguesclin devint dans la suite abbesse de Saint-Georges de Rennes, dépendant, comme les Couëts de l'abbaye de Saint-Sulpice du Nid-de-Merle. Un biographe de son illustre frère, du XVIIème siècle, dit qu'elle mourut à Rennes en 1405, dans un âge fort avancé.

Après elle, nous trouvons aux Couëts comme prieure perpétuelle Philippe Le Gac en 1413, cette religieuse achète pour son couvent des prairies et des vignes et prend les intérêts de sa maison dans les transactions qui se font entre les abbayes de Buzay et de Villeneuve. En 1420, Gervaise de la Chapelle fait l'acquisition d'importants vignobles à Pont-Saint-Martin et à Château-Thébaud. Le couvent ne cesse de prospérer, il arrondit son domaine. Ses ressources proviennent en grande partie sans doute des dots apportées par les religieuses ; mais elles sont aussi accrues par les dons et fondations des personnes étrangères. A cette époque, tous les asiles de la prière reçoivent ces libéralités. La religion inspire aux riches de ce monde la pensée de s'assurer les suffrages des moines et des religieuses qui ont pour mission d'implorer le ciel en faveur de la terre. Par leurs pieux testaments, ils veulent faire servir, au repos de leurs âmes, les biens qu'ils n'emporteront pas au tombeau.

C'est ainsi que nous trouverons, dans plusieurs inventaires postérieurs, la nomenclature de ces legs qui demeurent mentionnés comme une dette sacrée à laquelle le couvent sera perpétuellement tenu. Jusqu'à sa disparition, le monastère des Couëts, quoique passé aux mains des Carmélites, acquitte les fondations faites aux Bénédictines. Par acte du 25 mars 1427, Jehan de Henleix a assigné une somme de soixante sous de rente annuelle pour l'entretien d'une lampe devant l'autel et l'image de Notre-Dame dans l'église des Coëtz. En 1791, la lampe était encore entretenue au moyen de la rente fondée par le seigneur de la Chésine.

Mais en même temps qu'augmentent ses revenus, le Prieuré des Couëts perd sa ferveur primitive. La prospérité temporelle est toujours un obstacle à la perfection. Les religieuses veulent user de leurs biens et oublient leurs obligations. En 1476, elles ne sont plus que sept dans le couvent : Guillemette Le Gac, prieure perpétuelle, Jehanne de la Barre, Jehanne du Breil, Perrine Sauvage, Isabelle Chasteignier, Madeleine de la Vénerie, et Annette des Genestays. Leurs familles résident dans la contrée. C'est une autre source de désordre. Les religieuses sortent sans cesse de leur monastère ; selon leur bon plaisir, elles se répandent dans les réunions familiales. A leur tour, elles reçoivent de continuelles visites ; les personnes ecclésiastiques et séculières de l'un et l'autre sexe sont admises indistinctement dans le chœur de leur chapelle ; elles ont supprimé la clôture ; elles donnent des repas mondains dans leur réfectoire. La vie régulière est devenue impossible et la conduite des moniales bénédictines est connue dans la ville de Nantes.

Le duc de Bretagne, François II, se considère comme le successeur des princes qui ont fondé et enrichi le Prieuré des Couëts. Sa tante, Françoise d'Amboise, retirée au couvent du Bondon, près de Vannes, conserve sur son esprit un grand ascendant. Quoique religieuse carmélite, elle s'intéresse toujours à la province dont elle a été la duchesse. Elle sait que la ville de Nantes ne l'a pas oubliée ; elle est moins connue à Vannes où son époux, Pierre II, n'a séjourné qu'à de rares intervalles.

D'ailleurs, elle se plaint que le mauvais air et la contagion se font sentir dans le couvent où elle s'est fixée. Cette maison est commune aux religieux Carmes et aux religieuses qu'elle a sous sa direction. Il n'y a qu'une seule chapelle ; les cérémonies et les exercices de communauté s'y font alternativement. Les religieux, comme les religieuses, voudraient un autre établissement plus favorable à la pratique de la vie conventuelle.

Françoise d'Amboise a manifesté ses désirs à son neveu. Voici, d'après l'abbé Barrin, vicaire général de Nantes et biographe de la duchesse carmélite, comment fut décidée la translation des religieuses du Bondon au prieuré des Couëts :

« Marguerite de Savoie (seconde femme de François II) avait fait un voyage à Vannes avec son frère le Cardinal d'Amboise. Elle avait été si édifiée par la conversation de Françoise d'Amboise, qu'elle avoua au duc, son époux, son désir de la revoir très souvent. François II lui répondit qu'il était prêt à quitter son château de Nantes pour aller habiter l'Hermine, à Vannes, pour lui donner satisfaction. Il fallait trouver une autre solution.

Cherchons quelque expédient, disait le duc, et, quand nous l'aurons trouvé, je vous assure que je ne négligerai rien de tout ce qui pourra la faire réussir. Vous ne serez pas longtemps, dit le Chancelier qui était présent à cet entretien, à imaginer les moyens de contenter Madame la Duchesse. Il y a à une lieue d'ici un prieuré de Bénédictines fort bien situé, presque sur le bord de la Loire, dont il n'est séparé que par une agréable prairie. On y peut construire un bâtiment commode et y faire venir la Princesse avec toutes les religieuses dont elle voudra être accompagnée. 

Cela est fort bon, dit le Duc, mais nous aurons peine à lui faire quitter un lieu qu'elle a choisi pour y passer le reste de ses jours dans la retraite et l'éloignement de la cour.

Si vous n'y trouvez que cet obstacle, dit le Cardinal de Foix, je vous dirai un moyen infaillible de la vaincre. Je sais que le Pape vous aime et qu'il a envie de vous faire plaisir. Ecrivez, ma sœur et vous, à Sa Sainteté ; je lui écrirai en même temps sur l'affaire dont il est question, et vous verrez qu'il prendra si bien la chose que la Princesse religieuse ne pourra désobéir aux ordres souverains du Père commun.

Et François II écrivit à Sixte IV. Le cardinal de Foix se joignit à sa soeur et au duc, et le pape répondit avec bienveillance à leurs requêtes.

Ce fut une grande désolation au Bondon et dans toute la ville de Vannes. Françoise, après avoir choisi les neuf religieuses qui devaient l'accompagner aux Couëts, bénit les autres soeurs, leur fit ses recommandations, et partit pour Nantes. Son arrivée fut un triomphe. Le duc et la duchesse allèrent à sa rencontre. Le peuple, malgré ses dix années d'absence, ne l'avait point oubliée. Sous son costume de Carmélite, il reconnaissait sa bienfaisante Protectrice. Les acclamations plus spontanées la saluèrent dans les rues de Nantes et l'accompagnèrent jusqu'au Château. Là, vinrent la complimenter les corps constitués de la cité et du duché. Mais Françoise avait hâte de prendre possession de son monastère. Le duc et la duchesse voulurent la conduire aux Couëts. Une grande foule de peuple suivit les souverains. L'évêque de Nantes, célèbra dans la chapelle la messe pontificale. Et quand le peuple vit la porte fermée après la solennité qui dura tout le jour, il retourna dans la ville en bénissant Dieu d'avoir rapproché cette sainte dont tout le monde admirait l'humilité et la ferveur ».

Quoi qu'il en soit de ce récit, emprunté d'ailleurs au premier biographe de Françoise d'Amboise, il est certain que François II demanda au pape l'installation de sa tante dans le Prieuré des Couëts à la place des Bénédictines.

Des négociations se poursuivirent pendant plus d'une année avant d'aboutir à un résultat. Par une première bulle, Sixte IV avait chargé Guy du Bouchet, trésorier de la collégiale Sainte-Marie-Madeleine de Vitré, et Guillaume Garangière, autre chanoine, de faire connaître aux Bénédictines qu'il autorisait la translation du prieuré de l'ordre de Saint-Benoît à celui du Carmel. Les mandataires du Saint-Siège avaient lu la bulle apostolique à Guillemette Le Gac et à ses compagnes. Ils leurs proposaient d'entrer dans l'ordre des Carmélites, si elles consentaient à en suivre les observances, ou de se retirer dans leur maison-mère ou toute autre communauté en dépendant. Si elles s'arrêtaient à ce dernier parti, le Prieuré des Couëts prélèverait chaque année sur ses revenus une pension qui leur serait servie jusqu'à leur mort ; la prieure recevrait 150 livres ; les autres moniales, 35 livres.

D'après l'ordre du Pape, le prieuré devait être remis, au temps déterminé, à la supérieure du Bondon et à ses soeurs, « qui ont une odeur de bonne renommée, ont vécu et vivent dans une très grande austérité de vie, et montrent aux autres religieux de l'un et l'autre sexe, de très bons exemples ».

Ce blâme indirect de leur conduite n'est pas compris par les Bénédictines. Guillemette Le Gac fait opposition aux mandataires du Saint-Siège. Elle écrit au Pape mais elle et ses religieuses sont frappées des censures ecclésiastiques. Et puisqu'elles ne veulent pas, de leur plein gré, quitter les Couëts, pour les obliger à partir, on fera appel au bras séculier.

Le 18 décembre 1476, le duc de Bretagne, d'après la décision du Pape Sixte IV, nomme trois commissaires pour prendre possession, au nom des Carmélites, du vieux prieuré des Couëts. Deux jours après, le sénéchal de Nantes, Renaud Godelin, les conseillers du duc Michel de Parthenay et Nicolas de Kermeno, se présentent devant les Bénédictines. Ils sont accompagnés d'un religieux carme, le P. Yves-Mathieu de la Croix, futur supérieur de la communauté carmélite, qui décline ses titres aux religieuses récalcitrantes. Il déclare qu'il vient, en qualité de procureur et comme agissant au nom de noble et humble Dame Françoise d'Amboise, veuve de Pierre, duc de Bretagne, d'illustre mémoire, et sœur de la maison du Bondon, s'installer à leur place. Il entre dans la chapelle, sonne la cloche, baise l'autel, et visite tous les appartements du monastère, escorté par les délégués du pouvoir séculier. Dans le parloir de la communauté, il signe l'acte de prise de possession que signent également les commissaires du duc, ainsi que Jean de Coetdor, Guillaume de Louveday, Gilles de Gaulteron, escuyers des diocèses de Nantes et Saint-Malo, et Jacques Cabardi, clerc de Nantes et notaire impérial.

Guillemette Le Gac ne veut pas encore céder : elle proteste de nouveau auprès du Siège apostolique « L'exposé des faits présenté au Pape est faux ; la bulle, en vertu de laquelle les juges ont mis leur sentence à exécution, est entachée de nullité ». Elle évite l'expulsion.

Sixte IV nomme alors pour examiner ses réclamations et réviser sa cause Pierre de Ferrare, auditeur du palais apostolique. De son côté, Françoise d'Amboise demande au Saint-Siège que le procès soit définitivement jugé sur les lieux mêmes par de nouveaux commissaires. Alain Lemoult, de Quimper, demeurant en la cité de Nantes, et Robert Ruallo, official du diocèse, tous deux chanoines de la Cathédrale de Nantes, sont chargés par le Pape de faire une nouvelle enquête. Ils examineront l'appel des religieuses bénédictines, entendront la prieure Guillemette Le Gac et ses compagnes, et convoqueront, s'il y a nécessité, l'abbesse de Saint-Sulpice et son conseil. Leur sentence doit être définitive.

Sans retard, ils se mettent à l'œuvre et confirment la décision des premiers mandataires du Saint-Siège. A la requête de Françoise d'Amboise, qui veut éviter de nouvelles contestations pour l'avenir, ils imposent aux Bénédictines un silence perpétuel sur cette question dûment jugée. Ni elles, ni leurs sœurs ne pourront plus jamais revendiquer la possession du prieuré des Couëts. Elles recevront l'absolution de leurs censures, et il est spécifié que, si elles se soumettent, elles ne pourront plus désormais être condamnées à des peines ecclésiastiques, sans qu'il soit fait mention de la bulle apostolique, en vertu de laquelle a été jugée leur cause. Elles recevront jusqu'à leur mort les pensions qui leur ont été promises. Dans une bulle suivante, le Pape constatait que ces pensions avaient été régulièrement payées. Et les Bénédictines quittent les Couëts sans faire de nouvelles réclamations. Guillemette Le Gac avait encore sa pension de 150 livres payée en 1524, d'après le livre des dépenses de la procureuse des Couëts.

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II


Passé dans les mains des Carmélites, avec toutes les terres et revenus qui en dépendent, le couvent, trois fois séculaire, va être l'asile des plus admirables vertus religieuses pendant les trois cents ans qu'il aura encore à subsister.

Ce fut le 24 décembre 1477 que Françoise d'Amboise fit son entrée aux Couëts avec neuf Carmélites du Bondon. Yves de Kerysec, grand vicaire de Pierre du Chaffault, évêque de Nantes, les accompagnait. François II, avec toute sa cour ducale, et une immense multitude, disent tous les biographes de la fondatrice des Couëts, faisaient cortège aux religieuses. Tous les regards se portaient sur la Bonne Duchesse ; son souvenir était encore vivant dans les cœurs de ses anciens sujets. Ils avaient admiré ses vertus quand elle tenait sa cour. Ils la voyaient encore sortir du château de Nantes pour gratifier de ses libéralités les églises et les couvents. Ils se rappelaient comment autrefois elle s'ingéniait à soulager les infortunes du pauvre peuple de Bretagne qu'elle aimait tant. Son entrée en religion avait été acclamée par la voix populaire, toujours prête à admirer les actes d'héroïsme. Une auréole de sainteté brillait sur son front où l'on avait vu resplendir les joyaux de la couronne ducale.

Certaine d'être soutenue dans ses entreprises par l'évêque de Nantes, et secondée par le duc de Bretagne, Françoise d'Amboise commence la restauration du monastère, où elle finira ses jours. La clôture n'existe plus : elle la fait rétablir. Pendant le séjour des Bénédictines, certains particuliers ont construit des habitations voisines des bâtiments occupés par les religieuses ; elle fait élever de hautes murailles qui les séparent complètement de ces maisons séculières. Le dortoir de la communauté est agrandi ; le nombre des cellules augmenté. La voûte de la vieille chapelle est remise à neuf ; le pavé est rajeuni. Un petit clocher surmonte le lieu saint ; et une cloche appelle aux exercices religieux non seulement les Carmélites, mais même les habitants du village des Couëts qui, à certaines fêtes, ont place à l'église. La sacristie est meublée et garnie des ornements nécessaires au culte divin. Les inventaires postérieurs feront mention des objets précieux donnés au couvent par sa fondatrice. Jusqu'à la Révolution, ses filles ont conservé comme reliques les deux chapelles d'or et d'argent, données par leur Bienheureuse Mère et les riches ornements qui, de son vivant, avaient servi aux grandes solennités. En moins d'un an, dit l'abbé Barrin, le monastère fut reconstruit : il devint une maison propre à loger commodément plus de cinquante religieuses et les personnes qui les devaient servir. Les rentes personnelles de l'ancienne duchesse de Bretagne sont employées à diminuer les charges du Prieuré, grevé par les pensions viagères dues aux Bénédictines, et à agrandir les domaines qu'elles ont laissés aux Carmélites. Le P. Yves-Mathieu de la Croix, vicaire du couvent, signe l'acquisition de nouveaux champs et de nouveaux vignobles dans la paroisse de Rezé, en 1478.

Françoise d'Amboise avait réservé 300 livres sur ses châtellenies de Nozay et de Fougeray, au profit du couvent du Bondon. Elle demande que 100 livres lui soient versées chaque année à elle et à sa nièce, Jeanine de la Trémouille, qui l'a suivie aux Couëts. A sa requête, François II ordonne à son trésorier général, Pierre Landais, et au receveur de Nantes, de renoncer à l'exercice du droit de rachat sur ces propriétés. Jusqu'en 1791, les Carmélites ont inscrit, parmi les recettes de leur communauté, la rente constituée par la bonne Mère duchesse sur son domaine de Rieux.

En 1478, le 19 octobre, agissant au nom de Françoise d'Amboise, naguère duchesse de Bretagne et maintenant religieuse prieure, le P. Matthieu de la Croix, humble religieux et honnête frère, vicaire du Prieuré, abbaye, et couvent des Scoetz, acquiert l'imposante métairie de la Vincée, en la paroisse de Pont-Saint- Martin.

Cette même année, le premier inventaire du Prieuré, ordonné par le Maître général des Carmes, est confié à un religieux qui rédige ainsi son rapport : « Je, frère Mathurin, humble vicaire de mon T. R. Père et Maître général de tout l'ordre des frères et soeurs de la benoiste mère de Dieu, Marie du Mont-Carmel, sur les couvents des sœurs en Bretaigne, assavoir des Trois-Maries et de N.-D. des Couëtz, ai visité le dit couvent des Couëtz, et quant au regard des biens temporels d'icelui, j'ai vu et diligentement regardé les livres et papiers, tant de la vénérable mère prieure, et de ses conseillères, aultrement nommés les papiers de l'arche, comme de la procuraisse du dit couvent, contenant les recettes ordinaires et extraordinaires de la dite procuraisse, et même les recettes qu'elle a faites de la main de la prieure et conceillères. Et premièrement ai regardé le papier de l'arche, lequel commença et originellement fut commencé dès la venue de la Très Révérante et religieuse Dame, sœur Françoise d'Amboise, naguère Duchesse de Bretaigne, vicomtesse de Thouars, et de feue Madame sa mère, dame de la Gaccille et de Foulgère, etc., et maintenant humble ancelle de Jésus-Christ, et première prieuse du dit ordre, en ce couvent, auquel elle vint au Nouël, accompagnée de onze religieuses pour le réformer, entrant l'an de la Nativité mil quatre cent soixante-et-dix-sept, selon l'usage romain. Et ai trouvé que depuis le dit jour et an entrant, jusqu'au jour présent qui est le vingt-huitième jour de ce mois de septembre de l'an soixante-et-dix-huit, la recette totale de la prieuse et conceillères en pécunne se monte à la somme de quatre mille neuf cents livres trois sous un denier ».

Comme on le voit, les ressources du couvent sont peu importantes mais le duc de Bretagne continue ses libéralités à sa tante. Par une lettre du 1er février 1479, il octroie à la prieure des Carmélites « mandement et saulve-garde des biens transférés du Bondon » ; il se déclare prêt à venger toutes les injustices faites à la bonne Duchesse et aux religieuses qui vivent avec elle dans le prieuré des Couëts.

Un autre témoignage vint encourager la Prieure dans le gouvernement de sa communauté. Le pape Sixte IV permet la réunion des religieuses du Bondon avec celles venues deux ans auparavant au monastère des Couëts.

Par la bulle Digna exauditione, il déclare qu'il tient à donner des marques de faveur aux personnes humbles et principalement à celles dont la vie est consacrée à louer le Seigneur, en suivant, comme religieuses, les règles des communautés. Il a appris que Françoise d'Amboise, veuve de Pierre II, duc de Bretagne, religieuse de l'ordre de la Bienheureuse Marie du Mont-Carmel, à la maison des Couëts, dans le diocèse de Nantes, avait, après la mort de son époux, désiré s'unir à Jésus-Christ, le plus beau des enfants des hommes, et avait rejeté toute autre alliance humaine. Après avoir fait construire la maison du Bondon, hors des murs de Vannes, elle y avait vécu selon les observances de l'ordre du Carmel, avec les autres sœurs, au milieu desquelles elle avait fait sa profession religieuse. Dans la suite, après la suppression de l'ordre de Saint Benoît dans le prieuré des Couëts, au diocèse de Nantes, il lui avait permis de s'établir dans cette maison, à titre perpétuel, avec ses sœurs carmélites. Venue du Bondon avec une partie de ses sœurs, elle vivait eux Couëts conformément aux règles religieuses, en s'appliquant de tout son pouvoir aux exercices du service de Dieu.

L'établissement du Bondon est voisin de la mer, et situé dans un endroit peu salubre ; l'infection de l'air cause des maladies aux sœurs qui y habitent et les conduit souvent à une mort prématurée. Cette maison d'ailleurs n'est pas assez vaste pour recevoir un grand nombre de religieuses. Une seule église sert en même temps aux Pères Carmes et aux sœurs séparés seulement les uns des autres par une cloison, ils se gênent réciproquement quand ils font leurs exercices et psalmodient l'office divin.

L'établissement des Couëts, au contraire, est situé dans un endroit salubre il s'élève sur la rive d'un fleuve agréable, près de la cité de Nantes ; les bâtiments sont assez vastes désormais pour recevoir un grand nombre de religieuses. Il a son église propre et beaucoup d'autres avantages. Les Pères Carmes ne gêneront plus les sœurs dans leurs exercices.

Nous savons, ajoute la bulle, qu'une grande union fraternelle règne entre les sœurs. Celles du Bondon souffrent beaucoup d'être séparées de Françoise et de ne pas vivre avec elle dans la maison où elle habite. Françoise espère que la réunion des sœurs du Bondon et des Couëts procurera à toutes des avantages temporels. Réunie dans le même établissement, elles n'auront pas besoin de tant de familiers et serviteurs ; les revenus des deux maisons seront suffisants pour leur entretien surtout pendant le temps où ceux du Prieuré des Couëts sont grevée par les pensions que, suivant les décisions du siège apostolique, on est obligé de payer chaque année aux moniales bénédictines habitant jadis en ce lieu.

Françoise, ainsi que les sœurs du Bondon et des Couëts, ont demandé humblement au Saint-Siège d'unir, d'annexer, et d'incorporer l'établissement du Bondon à celui des Couëts, et de transférer, à titre perpétuel, aux Couëts, les religieuses du Bondon. Pour elles et pour celles qui dans la suite vivront dans la communauté des Couëts, elles sollicitent en même temps la concession des indulgences, grâces, faveurs, indults spirituels et temporels, accordés par le Siège apostolique, à l'ordre du Mont-Carmel et à ses couvents. Elles désirent que la visite canonique y soit faite en général et en particulier ; elles réclament des statuts et ordonnances utiles et nécessaires pour le bonheur et la prospérité de cette maison. Françoise et ses soeurs veulent persévérer dans la pratique des observances régulières, et par conséquent souhaitent, s'il y en a besoin, que les statuts et observances jusque-là en usage soient interprétés, corrigés, changés et altérés en vue de la suppression des abus.

Françoise et ses soeurs, habitant en ce moment le prieuré des Couëts, demandent aussi la permission de sortir librement de la maison, en cas de guerre, d'incendie, ou de toute autre cause fortuite de ruine, et d'aller se fixer alors soit dans l'établissement du Bondon, soit dans tout autre lieu où elles pourront en sécurité et commodément rendre leurs hommages au Créateur. Elles attendent de la bienveillance du Siège apostolique les faveurs qu'elles sollicitent opportunément, et qui les aideront à remplir les obligations de leur état de vie.

Et nous, nous voulons surtout, avant d'unir les bénéfices ecclésiastiques dont on sollicite l'union, que les postulants exposent la valeur réelle de chacun de ces bénéfices ; c'est une obligation pour eux ; autrement l'union serait nulle. Cette union doit se faire à l'amiable, et par conséquent les deux parties doivent donner leur consentement. Considérant donc la vertu recommandable de Françoise et de ses soeurs, reconnue comme telle par ceux qui craignent Dieu, et leur pratique de la vie religieuse agréable au Seigneur ayant devant les yeux la supplique qui nous rassure sur la valeur véritable des fruits, revenus et rentes annuelles des maisons du Bondon et des Couëts ; prenant en considération la supplique de notre cher fils, François, duc de Bretagne, d'illustre lignée, qui a joint humblement sa demande à celle de Françoise et de ses soeurs en vertu de l'autorité apostolique, par la teneur de cette lettre, nous unissons, annexons, incorporons à l'établissement des Couëts la maison du Bondon avec tous ses droits et dépendances.

Ainsi donc, il est permis à Françoise et à ses soeurs de prendre, de leur propre autorité, la possession de cette maison avec ses droits et dépendances, et d'en faire servir pour leur usage et pour l'utilité de la communauté des Couëts les fruits, les rentes et les revenus qu'elles retiendront perpétuellement. En vertu de notre autorité, nous ordonnons la translation à la maison des Couëts de la prieure et des religieuses du Bondon, sans que soit requise la permission de l'évêque diocésain et de tout autre. Nous concédons à Françoise et aux religieuses des Couëts toutes et chacune des grâces spirituelles et temporelles, faveurs, permissions, immunités et exemptions, concédées en général aux frères de l'Ordre de la Bienheureuse Marie du Mont-Carmel et à leurs maisons, comme si cette concession leur était faite nommément.

A ceux qui visitent l'église de la communauté des Couëts, à ceux qui aideront à sa construction ou à sa restauration, nous accordons les mêmes indulgences pour la rémission de leurs péchés, qu'à ceux qui visitent les autres églises des Carmes ou concourent à leur réfection. En cas de guerre ou d'incendie toujours à redouter dans ces temps suspects, nous permettons aux religieuses de l'établissement des Couëts de sortir de leur maison, et de se fixer, soit dans la maison du Bondon, soit dans tout autre lieu honnête à leur convenance. Nous les autorisons à y séjourner pendant la guerre ou le temps suspect, et en vertu de la même autorité apostolique, à y habiter librement et licitement, jusqu'au rétablissement des bâtiments brûlés par l'incendie ou ruinés par d'autres causes.

Aux fidèles du Christ qui s'emploieront dans la suite à empêcher la ruine par l'incendie ou tout autre accident de l'établissement des Couëts, nous accordons, pour leur plus grand avantage et le salut de leurs âmes, en vertu de la miséricorde du Dieu tout-puissant, confiée à l'autorité des bienheureux apôtres Pierre et Paul, cinquante années et tout autant de quarantaines d'indulgences, à perpétuité, dans la suite des âges, et leur remettons miséricordieusement dans le Seigneur les pénitences par eux encourues. En outre, nous mandons à nos vénérables frères, les évêque de Vannes et de Nantes, de visiter personnellement, ou par leurs délégués le couvent des Couëts ; ils pourront s'adjoindre quelques religieux de l'observance régulière du Mont- Carmel, aptes à cette fonction par leur vie, leurs mœurs et leur âge. Ils auront uniquement en vue la gloire de Dieu ; ils corrigeront et reformeront tout ce qui pourrait avoir besoin de correction et de réforme. Ils examineront les constitutions et les statuts de l'établissement des Couëts et y ajouteront ce qui peut être nécessaire pour le bien de Françoise et de ses sœurs. Nous leur demandons de prêter assistance à ces religieuses pour qu'elles puissent en paix jouir de leurs privilèges. Ils ne permettront pas qu'elles soient molestées à cause de ces faveurs. Ils pourront frapper des censures ecclésiastiques, mais sous bénéfice d'appel subséquent, ceux qui leur causeraient des ennuis, même, si besoin s'en faisait sentir, en recourant au bras séculier.

Nous désirons que cette lettre obtienne intégralement ses effets, malgré les ordonnances antérieures du Siège apostolique, les constitutions de l'ordre, ou tout autre décision accordée à ses membres en général et en particulier. Personne ne doit être interdit, suspens ou excommunié, appelé en jugement, au sujet des règlements inclus en cette bulle, si mention expresse et verbale n'en est pas faite ; ses effets n'en doivent pas être différés. Personne ne peut éluder cette page relative à l'union, annexion, incorporation, translation, concession, indult, relaxation et mandat qui vient de notre volonté. Personne ne devra y contredire et s'opposer témérairement à son exécution. Ceux qui par présomption se le permettraient, doivent savoir qu'ils encourent l'indignation du Dieu Tout-Puissant et de ses bienheureux apôtres Pierre et Paul. Donné à Rome, près St-Pierre, l'an de l'Incarnation 1479, aux ides de Décembre la 9ème année de notre Pontificat.

Cette bulle si importante pour elles fut conservée religieusement par les Carmélites dans les archives de la communauté et plusieurs fois recopiée. C'était l'approbation par le pape de la règle que Françoise d'Amboise voulait donner à ses soeurs.

Elle-même eut à coeur tout d'abord de s'y soumettre. Après avoir été pendant trois ans supérieure, elle redevint simple religieuse, avec l'humble emploi d'infirmière. Les constitutions qu'elle avait élaborées spécifiaient que la première dignité de la maison serait confiée pour trois ans seulement à une soeur de choeur élue par ses compagnes. Il est probable qu'elle fut réélue ensuite et qu'elle en profita pour faire confirmer ce qu'elle avait établi pour le bien de la communauté.

Elle obtint de Sixte IV cet autre bref daté du 20 septembre 1483. « C'est un des principaux objets de la sollicitude apostolique de veiller aux intérêts spirituels des personnes religieuses et principalement des femmes qui, foulant aux pieds les séductions du monde, s'adonnent au service du Très-Haut, sous le joug de la vie régulière et dans les exercices de la contemplation. Il faut qu'elles puissent, dégagées de tous les obstacles et de toutes les agitations, suivre les commandements du Seigneur dans la paix et le repos du coeur et le servir avec tranquillité d'esprit. Or, nous faisons droit à la requête de Françoise, veuve de Pierre, duc de Bretagne, de célèbre mémoire. Entrée dams l'ordre des Carmes au seuil de la vieillesse, elle a d'abord été religieuse dans le couvent du Bondon, fondé par elle, puis elle a été transférée par notre autorité apostolique dans la maison des Couëts. Elle nous demande de placer à perpétuité ce monastère sous la protection spéciale du prieur général des Carmes. Nous le lui accordons ; le couvent des Couëts sera exempt de toute autre juridiction ; les provinciaux n'en pourront pas être les supérieurs. Si le prieur général est éloigné et ne peut s'occuper par lui-même de la direction des Carmélites des Couëts, ces religieuses pourront choisir pour Visiteur ou Vicaire un religieux de la véritable observance, d'une vertu éprouvée, qui sera leur supérieur particulier. Son élection devra être soumise à l'approbation du Père général qui sera tenu de la confirmer dans le délai de dix jours. S'il s'y opposait ou ne manifestait pas son approbation, le P. Vicaire serait considéré comme confirmé par l'autorité apostolique. Après son élection et son approbation, il aura plein pouvoir pour visiter et réformer la maison ; mais le prieur général ne sera pas privé de ces mêmes privilèges. Françoise et ses soeurs auront la faculté de se choisir des confesseurs parmi les religieux carmes de l'Observance régulière mais ce choix devra être approuvé par le Vicaire du Couvent. Elles pourront aussi appeler pour le service de la maison des frères de la même observance. Ceux-ci, après avoir obtenu la permission de leurs supérieurs, et même sans l'avoir obtenue, pourront venir au monastère des Couëts, et y demeurer pour remplir leur ministère. Ils ne devront point en être éloignés sans une cause raisonnable jugée telle par le Supérieur général ou le Visiteur particulier. La prieure, le vicaire et le premier confesseur sont autorisés, pendant qu'ils sont en charge, à recevoir dans la profession religieuse de l'observance régulière les sujets qui voudront s'attacher au service de la maison des Couëts. Les prêtres, choisis pour confesseurs des religieuses, ont la faculté de faire profession de la règle des Carmes, mais dans l'observance régulière. Pour sauvegarder l'exercice des exemptions accordées au couvent des Couëts, le Souverain Pontife charge l'Evêque de Nantes de pourvoir au bon gouvernement du monastère si le Prieur général néglige ou refuse de le faire. Il a le devoir, en vertu de l'autorité apostolique, de maintenir les religieuses dans la possession paisible de leurs privilèges et libertés. Il ne permettra pas qu'elles soient inquiétées par les provinciaux ou les frères conventuels. Il est autorisé à user des censures ecclésiastiques contre ceux qui voudraient s'opposer à l'exécution du décret pontifical ».

Ces constitutions demeurèrent en vigueur jusqu'en 1755. Elles étaient si sages, que sainte Thérèse, au moment où elle voulait réformer les Carmels, se proposa, a dit un de ses historiens, de venir aux Couëts pour en étudier sur place les heureux résultats.

La duchesse devenue Carmélite s'intéressa toujours « au pauvre pays de Bretagne ». Un pamphlet publié à Nantes en 1866, lors des fêtes magnifiques organisées en son honneur, la montrait comme une religieuse turbulente, venant souvent à la cour ducale, pour diriger la politique de son neveu. Tous ses biographes, au contraire, nous disent que de sa cellule elle exerça la plus salutaire influence dans la ville et le duché de Nantes. Au moment où elle finissait sa carrière terrestre, la couronne qui jadis avait rayonné sur son front, était portée par une enfant de neuf ans. Cette dernière duchesse, Anne de Bretagne, si populaire, si aimée de ses sujets, allait devenir par deux fois reine de France. Françoise d'Amboise ne devait pas voir cet événement qu'elle avait conjecturé.

Le 4 novembre 1485, la Réformatrice du couvent des Couëts exhalait son dernier soupir au milieu de ses sœurs dans l'infirmerie de la communauté, à l'âge de 58 ans. Elle avait passé huit années aux Couëts et dix-sept dans la vie religieuse.

La mort de la « Bonne Duchesse » fut un deuil pour la ville de Nantes. Le peuple manifesta sa douleur, et de nombreuses barques amenèrent au monastère une foule avide de contempler ses traits pour la dernière fois.

Les chanoines de la collégiale Notre-Dame viennent aussitôt réclamer son corps pour l'ensevelir dans leur église, où elle avait fait élection de sa sépulture, près du tombeau de Pierre II, son époux, en 1443. Depuis son entrée en religion, elle avait révoqué cette disposition. Ses religieuses devaient l'inhumer à l'entrée du chapitre, de telle sorte qu'elles eussent dans leurs allées et venues à fouler aux pieds sa dépouille mortelle. Ce voeu de son humilité fut exaucé, et sa tombe fut creusée à l'endroit désigné par elle.

Son acte de décès fut transcrit en latin sur les registres de la communauté, et l'abbé Richard, son biographe, en a donné cette traduction « Mort d'Illustrissime et de bienheureuse mémoire, notre Révérende Mère Françoise d'Amboise, autrefois duchesse de Bretagne. Elle fut la fondatrice premièrement du monastère de Sainte-Claire, dans la ville de Nantes, qu'elle construisit à neuf de ses propres deniers, et dans sa propre maison, lorsque vivait encore le très illustre prince et duc Pierre, et ensuite, lorsqu'elle fut devenue veuve, de celui des Trois-Maries, près de Vannes, à qui elle assigna pour dot un revenu perpétuel de six cents livres, et qu'elle bâtit sur un terrain acheté des religieuses du Bondon, dans lequel se consacrant à Dieu et à la bienheureuse Vierge, elle et tous ses biens, elle devint en peu d'années un modèle de si grande perfection, que les filles enfantées par elle à J.-C. l'élurent pour mère et pour prieure, et, malgré ses résistances, ses larmes abondantes, tous les efforts possibles de sa part, elles obtinrent ce qu'elles demandaient et ce qu'elles désiraient avec les vœux les plus ardents. Enfin, par l'autorité du Souverain Pontife Sixte IV, elle fut transférée avec toutes ses religieuses en ce lieu de N.-D. des Couëts ; elle entoura le cloître de murailles, éleva depuis les fondations le dortoir et les offices du nouveau monastère, bâtit le clocher, fit la voûte et le pavé de l'église, l'orna généreusement de tout ce qui était nécessaire, et de plus enrichit le couvent de revenus annuels. Mais ce qui fit sa gloire bien plus que toutes ces choses, ce sont ses vertus qu'il est impossible de faire connaître même imparfaitement par un court exposé car elle fut plus fervente et plus empressée que toutes les autres à pratiquer les veilles, les prières, les exercices religieux, de même qu'elle s'abaissa plus profondément que toutes les autres par son humilité ; elle est morte l'an du Seigneur mil quatre cent quatre-vingt-cinq, le quatrième jour de Novembre, vendredi, à l'heure où N.-S. et Rédempteur J.-C. expira pour le salut du genre humain ».

Regardée comme une sainte pendant sa vie, la Duchesse carmélite, après sa mort, fut appelée Bienheureuse. Tout ce qui lui avait appartenu fut conservé comme relique. Bientôt un culte filial lui est rendu dans le couvent qu'elle a restauré ; son tombeau est sans cesse visité, et des faveurs extraordinaires attribuées à son intercession récompensent la dévotion des âmes fidèles à son souvenir. 

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III

Peu nombreuses encore à la mort de leur Fondatrice, les Carmélites des Couëts ne tardent pas à faire des recrues importantes dans les plus aristocratiques maisons de la Bretagne, de l'Anjou et du Poitou. La noblesse nantaise surtout envoie ses filles au couvent qui garde les restes de la Bonne Duchesse. En parcourant les archives de la maison, nous trouvons les noms bien connus de Jeanne de la Trémouille, nièce de la fondatrice, prieure en 1489 ; de Jeanne du Mas, qui signe, en 1510, avec le même titre, d'importantes acquisitions pour sa communauté ; de Rose de la Porte, prieure en 1549, 1564, 1568.

Bertrande d'Yvignac, élue supérieure de la communauté en 1552, signe, en 1554, l'inventaire des biens du couvent ordonné par le roi de France, Henri II. Par lettres du 16 Juillet, il a chargé le sénéchal Charles Le Frère, son conseiller, de faire rentrer les droits des francs-fiefs et les nouveaux acquêts dus à la couronne dans le comté de Nantes. Les religieuses désignent des notaires qui rédigent ainsi l'acte devant être présenté au délégué du roi : Déclaration des rentes et revenus que humbles religieuses les prieures du couvent des Couëtz tiennent en la comté de Nantes et au duché d'Anjou, ensemble le grand revenu d'icelles terres quelles sont de l'ancienne fondation et dotation du dit couvent faite par les anciens rois, dues et princes de ce pays, fondateurs du dit couvent, et dont les dites religieuses en jouissent comme de fiefs et amorty à prières et oraisons.

Cette pièce curieuse donne beaucoup de détails intéressants non seulement sur l'existence des Carmélites et sur leurs propriétés, mais même sur les usages et les coutumes de la contrée voisine de leur monastère. A cette époque, le couvent est enclos de murs ; les bâtiments, les servitudes et les jardins ont une superficie de sept journaux. En dehors des murailles, il possède une maison de rapport, des vignes, et un moulin à vent, dans le village des Couëts. Dans la grande vallée de Bouguenais, à Rezé, à Pont-Saint-Martin, à Saint-Aignan, il a des prairies qui lui fournissent des revenus importants.

De concert avec l'Evêque de Nantes et le curé de Bouguenais, les religieuses lèvent, au treizième, des dîmes de vins, blés, potages et autres choses. Elles ont juridiction dans le village des Couëts : cette juridiction est limitée par celles de Bougon et du Chaffault, en Bouguenais, celle de la Trocardière, en Rezé, et s'arrête à la forêt de Touffou. Elle leur rapporte annuellement 30 livres 6 sous et neuf deniers.

Elles ont droit de pêche dans la Loire ; le fermier de leur pêcherie est tenu de leur donner chaque année 40 sous et 6 lamproies. Chaque navire, barque et autre vaisseau, chargé de sel, montant à Nantes, leur doit un quarteau de sel. Ce droit est prélevé sur la recette de la prevôté de Nantes qui doit en plus 13 livres 6 sous 8 deniers.

Dans la paroisse de Saint-Aignan, elles ont droit de dîme qu'elles partagent avec le curé mais elles afferment leur « dîmée ». Le prieur de Vertou leur doit chaque année à la Toussaint, 22 sous de rente, à raison de son prieuré ; le recteur de Basse-Goulaine, à raison de sa cure, leur paye la même somme également à la Toussaint.

A raison des vignes de bon rapport qu'elles possèdent à Monnières, elles ont, dans certaines parties de la paroisse, droit de juridiction. Leurs fermiers d'Aigrefeuille exploitent un moulin très vieux sur la Moine, appelé le moulin de la Vieille-Ecluse. Il pourrait leur rapporter annuellement, s'il était entretenu, la somme de 15 livres.

A Chantoceau, Saint-Laurent-des-Autels, Saint-Sauveur-de-Lande mont, elles perçoivent des redevances féodales assez considérables. Avec quelques redevances insignifiantes, le prieur de la Bouvre leur paye chaque année une rente de 7 sous et un denier, à raison des prés situés au nord-ouest du couvent.

Elles tiennent en Loire 37 « runctz » d'eau qui établissent leur droit de pêche. Chacun est affermé 50 sous tournois. Elles prélèvent pour le roi, 20 sous, qui lui sont payés à sa recette ordinaire de Nantes.

La châtellenie de Fougeray leur sert chaque année 300 livres monnaie. C'est une rente que Françoise d'Amboise a donnée à perpétuité au monastère des Couëts sur son héritage patrimonial. Elle a été amortie par François II, duc de Bretagne. Pour cette fondation, elles ont à faire dire chaque vendredi une messe de Requiem avec vigile, et leurs soeurs de Nazareth, comme dépendantes du prieuré des Couëts, prennent la moitié de cette somme pour subvenir à leur entretien (Note : Les Carmélites des Couëts avaient essaimé vers 1529 et fondé le couvent de Nazareth, près de Vannes).

Dans la forêt de Touffou, elles ont droit de prendre tout leur bois de chauffage, et aussi le bois nécessaire pour la construction des maisons et la confection des vaisseaux à vin. Leurs métayers ont le droit de ramasser partout le bois mort pour leur chauffage, et de couper les branches désignées par des marques pour en faire leurs instruments de labourage. En dehors des taillis, ils ont droit de pâturage pour leurs bestiaux, ils peuvent faucher les landes pour les litières. En compensation, ils payent au propriétaire de la forêt un setier de seigle, trente sous monnaie, et lui réservent le plus beau porc après celui qu'ils ont engraissé pour leur usage.

Les Carmélites jouissent des biens qu'elles ont reçus en héritage des rois et des ducs de Bretagne mais elles savent qu'ils ont été donnés au couvent à titre de fondations « pour salut et remède de leurs âmes ». Aussi s'acquittent-elles de ces obligations envers leurs bienfaiteurs, en faisant des prières nombreuses pour la bonne santé et la prospérité du roi et duc, leur successeur.

Chaque jour, elles font célébrer deux messes, l'une basse, l'autre chantée, dans l'église du monastère, pour tous leurs bienfaiteurs. A la même intention, elles chantent toutes les heures du bréviaire aux fêtes solennelles de Notre-Seigneur, de Notre-Dame, des Apôtres, pendant les octaves de Pâques et de la Pentecôte, et les autres jours les récitent ou les psalmodient ; elles ne laissent à personne le soin de s'acquitter de ce devoir.

Chaque semaine, le dimanche, mardi et jeudi, elles font une aumône commune à tous les pauvres indigents qui se présentent au prieuré, d'une valeur d'un setier de seigle, mesure nantaise les autres jours, elles font l'aumône à tous les pèlerins, passants, malades, et autres personnes indigentes, sans refuser à personne. Cette aumône est de fondation, et ne peut jamais être omise.

Tous les lundis, elles chantent quatre répons des morts suivis d'un De Profundis et d'une procession dans le cloître pour leurs fondateurs trépassés. Chaque jour, quand l'office n'est pas trop long, elles font des processions générales pour la paix du royaume et les autres nécessités du monde ; elles terminent la récitation des principales heures de leur office par des suffrages spéciaux pour le royaume et toute la chrétienté.

Chaque année, le 4 novembre, anniversaire de la mort de Françoise d'Amboise, il y a vêpres des morts, vigiles chantées, et messe chantée solennelle avec sonnerie de toute les cloches ; de même le 26 janvier, anniversaire de la mort de Marie de Rieux, femme de Louis d'Amboise, vicomte de Thouars, mère de la fondatrice, décédée au château du Gâvre en 1443, et inhumée dans l'église des Cordeliers de Nantes.

Il y a un service solennel avec sonnerie de toutes les cloches au décès d'un supérieur général de l'ordre des Carmes ; chaque année, le 25 juillet, même cérémonie pour commémorer la mort du P. Soreth qui amena les Carmélites en Bretagne et donna à Françoise d'Amboise l'habit du Mont-Carmel.

Pendant trente ans, les vicaires du couvent des Couëts ont un service anniversaire. Tous les confesseurs, religieux, religieuses décédés dans la maison ont un service annuel commun. Le jour de leur mort, la communauté fait célébrer pour chacun trois messes chantées solennelles avec sonnerie des cloches ; les sœurs chantent l'office et récitent un psautier de David. A leur intention, pendant les huit jours suivants, il y a vigile, à neuf leçons, messe chantée, et le Libera est dit sur leur tombe à la suite de la messe.

Trois fois l'année, entre l'octave de l'Epiphanie et la fête de la Purification, entre l'octave de Pâques et l'Ascension, entre l'octave de Saint Michel et la Toussaint, sont dites trois messes de Requiem chantées avec Libera pour les frères et sœurs de l'Ordre du Carmel, leurs parents, et leurs bienfaiteurs trépassés.

L'inventaire donne de minutieux détails sur les dépenses du couvent. Nous voyons qu'il est prévu dans leur budget annuel 40 livres pour les petits présents faits par les religieuses à leurs parents ou amis, 100 livres pour l'achat des fournitures nécessaires à la confection des Agnus Dei et autres reliquaires, des peintures sur parchemin, des enluminures et reliures des livres d'église. Les soeurs font elles-mêmes ces travaux délicats.

Il est noté que plusieurs personnes sont entièrement à la charge du couvent : le majeur ou vicaire des Couëts, deux confesseurs ou aumôniers, deux autres religieux pour dire les messes conventuelles et de fondation, un prêtre séculier pour s'occuper des affaires temporelles, un frère convers et deux domestiques.

Parmi les sœurs actuellement au couvent, au nombre de cinquante-sept, quinze ont été reçues sans dot, sept ont eu leurs pensions affranchies à leur entrée ; les sommes qu'elles ont apportées ont été employées déjà pour la construction des murailles autour du monastère, pour la réfection du « tournouer », la réparation des bâtiments, et l'acquisition de propriétés immobilières. 31 personnes vivent ainsi sur la fondation. 32 ont des pensions viagères, les unes de 30 livres, les autres de 25 et 24 livres ; d'autres ont été reçues pour 18 et 15 livres, et même pour 100 sous. Et encore, ajoutent-elles, nous en sommes bien mal payées et il nous en coûte beaucoup à les pourchasser.

On voit, dans le document, quels sont les gages des employés et mercenaires travaillant pour le couvent. Les procureurs, avocats, huissiers, qui font rentrer les rentes, absorbent plus de 200 livres. Les officiers qui tiennent et exercent la juridiction, les gardiens de la forêt où elles ont droit d'usage ont un salaire de 100 livres au moins. Les gages du boulanger sont de 80 livres ; ceux du cordonnier de 12 livres ; les souliers des religieuses sont faits de peaux de cerf. Quatre serviteurs de bras, fournis de souliers, sont payés 9 livres chacun. Quatre chambrières, fournies de double linge et de chaussures, reçoivent les unes 4 livres, les autres 10 sous.

Les journaliers employés dans la communauté ont leur nourriture et 20 deniers ; les femmes de journée, laveuses, moissonneuses, et vendangeuses, qui viennent presque continuellement, coûtent par an 80 livres.

Les Carmélites, vêtues d'étoffes grossières, « et ne pouvant porter un habit plus de trois ans, disent-elles », donnent chaque année 300 livres à leur drapier. « En sucre, pour faire les sirops et conserves pour les malades, et pour faire des confitures pour les collations de Carême et de l'Avent, et pour faire les " rachaptez " pour les malades, et en rubarbe cassée, pillés, médecines, electuaires, restaurants, restringents, et épice et autres drogues qui appartiennent à malades, nous faut chaque année plus de 300 livres. Car le lieu est " remuaticq et acaticq " et les religieuses sont fort maladives et délicates, et toutes de bonnes maisons »

Le médecin vient visiter les malades plus de quinze fois l'an ; pour chaque voyage, il prend un écu ; quand il est au couvent un jour et une nuit, deux écus. Les chirurgiens n'ont que 30 sous.

La cuisine frugale du couvent n'est pas coûteuse comme de nos jours. Les. religieuses ont besoin de quatre milliers de beurre qu'elles payent 7 livres le cent ; mille livres de miel, à douze deniers la livre, 50 livres par an. Il leur faut trente boeufs et vaches « Nous n'avons pas de pâturages pour les engraisser et ils sont fort chers en ce pays, et il faut les prendre à tel prix que l'on peut. Hors l'Avent et le Carême, en tout temps, nous mangeons de la chair le dimanche, le mardi et le jeudi, et outre le bœuf et le lard, il nous faut chaque jour deux veaux et demi ou trois moutons, et chaque année plus de vingt pourceaux ».

Quatre-vingt-dix personnes et plus ne dépensent en poisson que 50 sous par jour.

Les religieuses ont besoin de 313 setiers tant de seigle que de froment pour faire leur pain et pour donner l'aumône de fondation ; elles achètent chaque jour deux douzaines de pains blancs pour les malades et les gens de bien « survenants », cinq douzaines aux grandes fêtes parce que l'office est pénible et long, et les pitances trop modiques.

Il leur faut acheter de l'avoine pour nourrir les deux chevaux qui travaillent à la communauté, l'âne qui apporte chaque jour les provisions de la ville, et pour entretenir les chevaux des gens de bien qui viennent assez souvent visiter leurs parents.

Il leur faut chaque année plus de 30 milliers de fagots pour cuire le pain, pour la cuisine, l'école, le « chauffouër », la buanderie et l'apothicairerie ; en dehors du cloître, il y a deux ou trois cheminées pour les nécessités des gens de bien qui surviennent chaque jour. Chaque millier de fagots coûte 8 ou 9 livres.

Toutes les autres menues dépenses énumérées dans cet inventaire font connaître la vie journalière du prieuré, le genre de nourriture de cette époque, le prix des denrées et des objets d'un usage courant, le salaire des hommes de peine, les honoraires accordés à ceux qui exercent des professions libérales. Les traditions se continuent dans les couvents ; les vieux usages se maintiennent. Nous avons par lui un aperçu des coutumes suivies par les religieuses dans les années qui suivent.

Les Carmélites se plaignaient de la cherté de la vie, quand elles donnaient 30 sous à « Monsieur de Nantes », Mgr. l'Evêque, pour la visite de leur couvent le jour de la Saint Luc, un écu ou deux écus au médecin qui venait de Nantes, quelques sous aux journaliers et ouvriers qui travaillaient pour elles !

« Tout ce que nous pouvons faire et mettre à bout et profit tout le revenu de ce couvent, disent-elles en terminant, nous sommes endettées de bien huit cent livres que nous devons aux marchands et gens de bien de la ville ..... à notre " siergier et beurrier " ».

A Bertrande d'Yvignac, qui avait signé cet inventaire, succéda comme prieure des Couëts, Claude Binet, comme elle de la plus antique noblesse bretonne. La communauté, plus nombreuse encore, malgré les guerres de religion qui ensanglantaient alors la Bretagne et le Poitou, passa sous son gouvernement des jours prospère. Une terrible épreuve était réservée à la prieure Françoise de Mauro pendant les années suivantes.

En 1568, pour échapper aux menaces des Calvinistes qui projetaient de brûler le monastère, elle dut conduire ses religieuses dans une maison située sur le quai de la Fosse, à Nantes. Le P. Yves Langlais, leur vicaire, en avait obtenu la permission de l'autorité ecclésiastique. Avant de partir, elles avaient ouvert le tombeau de leur bienheureuse Mère. Le corps de Françoise d'Amboise fut trouvé sans corruption ; ses vêtements mêmes étaient intacts comme au jour de sa sépulture. Elles l'avaient laissé exposé tout un jour et la nuit suivante. Pendant qu'elles le veillaient avec une pieuse vénération, des ténèbres subites avaient enveloppé les environs du monastère, et un grand bruit  les avait jetées dans l'épouvante. Le lendemain, elles portèrent en procession dans l'église et dans le cloître ces précieuses reliques et les déposèrent en un endroit propice pour les soustraire à la rage des ennemis de la religion.

Mellinet s'est trompé en racontant cette page de l'histoire des Carmélites « Rien, dit-il, n'arrêta l'audace des Calvinistes ; ils pénétrèrent dans le couvent des Couëts, en rendant les religieuses l'objet de lâches insultes. Elles vinrent se réfugier à Nantes, en apportant avec elles le corps embaumé de sainte Françoise d'Amboise, dont le nom était resté populaire. A la vue de ces restes vénérés qui semblaient encore pleins de vie, et que le peuple accompagna jusqu'au Château, les cris de fureur et les menaces de vengeance retentirent dans toutes les bouches contre les Calvinistes qui se présentèrent devant Nantes ».

Albert de Morlaix, et à sa suite tous les biographes de la Duchesse carmélite, dit au contraire que les Huguenots, repoussés par une force invisible, ne purent entrer dans la maison. Leurs chefs, et parmi eux se trouvait le seigneur du Chaffault, parent de plusieurs religieuses, racontèrent plus tard qu'une obscurité subite leur avait caché les murailles du monastère des Couëts, et qu'effrayés par un bruit insolite, ils avaient erré dans la campagne. Ils avaient alors incendié le couvent de Saint-Martin de Vertou qu'ils avaient pris pour l'asile des filles de Françoise d'Amboise.

Revenues aux Couëts après un court exil, les religieuses continuent près du tombeau de leur Fondatrice leur vie de prière et de pénitence. Elles élisent successivement pour prieures Anne de l'Hôpital (1570), Marie de Baumont (1573), Jeanne de Vaugirault (1579 et 1585). Un siècle après la mort de leur Mère, elles forment une communauté très prospère. Par leurs dots, les fondations de leurs riches familles, et des acquisitions judicieuses, elles ont considérablement augmenté leur domaine. Toutes les cellules sont occupées par des « filles de bonnes maisons » où nous relevons les noms de Françoise d'Avaugour, Jacquette de l'Eperonnière, Raoulette de Chevigné, Jeanne de Kermainguy, Charlotte de Villeneuve, Renée du Puydufou, Gabrielle de Becdelièvre, Françoise de Vaux, noms bien connus dans le pays nantais.

Au siècle suivant, Louise de la Motte (1594), Jacquette de Goulaine (1612), Catherine Raoul de la Guibourgère (1615), Anne de Sesmaisons (1627), Marie du Chaffault (1656, 1661) gouvernent la communauté et attirent près d'elles leurs sœurs et leurs nièces. Leurs livres de dépenses montrent qu'elles reçoivent de nombreuses visites, et qu'elles hébergent magnifiquement les somptueux équipages de leurs parents. 

Le 3 avril 1640, sous la présidence du père David Berthaud, docteur en théologie, vicaire du couvent, et en présence de trois notaires royaux, les sœurs professes au nombre de trente-six, se réunissent en chapitre dans le parloir de la communauté. Elles délibèrent sur l'acceptation de deux postulantes présentées par leurs parents, Catherine et Antoinette de l'Espinaye. L'aînée est âgée de sept ans et demi, sa sœur n'a que six ans et quatre mois. D'un commun consentement, et sous l'autorité du Père vicaire, visitateur du couvent, avec la permission de M. l'Evêque de Nantes, « les dites dames, prieure et religieuses, prendront les demoiselles Catherine et Antoinette de l'Espinaye, et donneront lits et pensions, et aussi à leur gouvernante, pour demeurer religieuses au dit couvent et y faire profession, restant nonnes, moyennant la somme et nombre de 300 livres tournois, et par chacun an pour les deux, tant pour leur pension viagère qu'autres nécessités ». Leur mère, Antoinette Jusseaume de la Bretesche, femme de Samuel de l'Espinaye, seigneur du Chaffault et de Brior, pourra venir tant qu'elle, voudra les visiter, et elle aura sa chambre au couvent.

Ce contrat, conservé à la bibliothèque municipale de Nantes, donne le nom de ces trente-six religieuses professes. Sœur Marie de Crespy, humble prieure, Marguerite de Gastinaire, sous-prieure, Marguerite de Compludo, discrète, Marquise Bardoul, aussi discrète, Françoise Richoust, procureuse, composent le conseil de la communauté. Les Carmélites prennent des précautions quand il s'agit de la bonne administration temporelle du couvent. Elles ne dédaignent pas d'admettre les enfants destinées par leurs parents à la vie religieuse, mais elles prévoient aussi leur sortie du monastère après l'épreuve de leur vocation. Ce contrat nous explique ces précautions et nous révèle comment, malgré les aumônes considérables qu'il distribuait, le couvent pouvait augmenter ses revenus.

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IV


Dans les années suivantes, la paix ne régna pas comme autrefois dans la communauté. Un arrêt du conseil royal, du mois de septembre 1639, avait autorisé dans le royaume de France la publication d'un bref du Saint-Siège, autorisant les religieuses de Notre-Dame des Couëts à se soustraire à la juridiction des Pères Carmes de la province de Touraine. Elles étaient libres de se mettre sous la juridiction de l'Evêqne de Nantes, ou de prendre le concordat passé entre ces Pères et les couvents de Rennes et de Ploërmel.

Le P. Vicaire et les anciennes supérieures ne voulaient point changer leurs constitutions. La plus grande partie des professes au contraire demandait à se ranger sous l'obéissance de l'évêque de Nantes. En 1641, vint s'installer au couvent un Père carme appelé dans un acte « humble et dévot religieux, Renaud Legendre, docteur en théologie de la faculté de Paris, premier confesseur des religieuses ». Il préside les élections du mois de Mai. L'ancienne sous-prieure, Marguerite de Gastinaire, une des principales opposantes, est élue prieure. Renée de Monti a la charge de sous-prieure. Le vicaire du couvent, le P. David Berthaud, ne veut pas approuver ces élections.

Alors vingt-neuf religieuses, à son insu, écrivent à Mgr. de Beauveau, évêque de Nantes, et lui demandent de prendre sous sa juridiction le prieuré des Couëts. De leur côté, le Père vicaire et les religieuses qui lui restent fidèles s'adressent au Saint-Siège. Le pape Urbain VIII conseille à l'Evêque de Nantes de ne pas s'ingérer dans le gouvernement du monastère.

Le Père Renaud Legendre, envoyé par le Supérieur général des Carmes pour mettre la paix dans la communauté, n'avait pu réussir dans sa mission. Il est remplacé par un autre docteur de Sorbonne, le père Reginald, qui s'occupe activement des intérêts temporels des religieuses. C'est lui qui reçoit en 1643 la pension viagère versée par Yves de Monti de Rezé, seigneur des Pallets, pour sa sœur, et, en 1644, les allocations annuelles dues par les parents des petites de l'Espinaye élevées au couvent en attendant leur entrée au noviciat.

Les religieuses fidèles aux anciennes constitutions ont élu pour prieure Louise-Marie de Rieux, l'une des plus jeunes professes. Son élection n'est pas confirmée par le conseil de la communauté.

A la Pentecôte de 1645, se tient à Rome le chapitre général des Carmes ; au mois d'août suivant, le Supérieur général promet aux sœurs des Couëts qu'il enverra un commissaire présider de nouvelles élections, et leur défend, sous peine d'excommunication, de ne rien changer dans la maison avant son arrivée.

Marguerite de Gastinaire est mécontente. Elle écrit à l'Evêque de Nantes. Sans tenir compte des conseils précédemment donnés par le pape, il répond aussitôt qu'il fera procéder à l'élection de la prieure et des autres dignitaires.

Le dimanche 5 novembre, jour où l'on célébrait la fête de la Bienheureuse Fondatrice, des hommes d'armes, sous la conduite d'un sergent, entrent dans les cours, les parloirs, et jusque dans la chapelle. Au nom de l'évêque, le chef de la troupe, signifie au P. Réginald qui se préparait à monter à l'autel, de se dévêtir des ornements sacerdotaux et de se retirer. Les soeurs qui étaient venues pour assister à sa messe, protestent avec force contre l'envahissement de leur clôture. Elles sont molestées, et, devant les menaces des épées et des mousquets, se retirent dans leurs cellules.

Le lendemain, le vicaire général de Nantes, Michel Laubide, se présente devant les grilles de la clôture. Il est accompagné de son frère, capitaine d'un régiment de mousquetaires, et de messire Yves de Monti de la Challonnière, conseiller du roi et maître de ses comptes en Bretagne. Il préside les élections ; les anciennes prieures, Anne de Sesmaisons, Catherine Dubois, Marie de Crespy, une des plus anciennes professes, Gabrielle Linger, et deux des plus jeunes, Louise-Marie de Rieux et Louise Dubois, n'y sont point convoquées.

Marguerite de Gastinaire et Renée de Monti, qui ont conduit cette cabale, sont reconnues comme prieure et sous-prieure, par le délégué de l'Evêque. Le P. David Berthaud, vieillard sexagénaire, et son coadjuteur, sont expulsés du couvent par la force des armes. Les sept religieuses qui ont protesté sont délaissées par leurs compagnes et privées des secours spirituels qu'elles ne veulent pas recevoir des prêtres imposés par le vicaire général de Nantes.

Pendant un mois, elles examinent entre elles le parti à prendre pour sortir de cette malheureuse situation, et Louise de Rieux est chargée de faire connaître leurs doléances au Saint-Siège et à la régente du royaume de France, Anne d'Autriche. La supplique dressée au pape Innocent X, en latin, fut traduite en français pour la Reine-Mère ; cette longue pièce, conservée dans les archives départementales, porte le sceau de la communauté, et est intitulée " Très humble remontrance présentée à la Reine sur le présent état du monastère des Carmélites des Couëts-lez-Nantes par sœur Louise-Marie de Rieux au nom de toutes celles qui défendent leurs vœux et leur profession ".

Il est probable que cette protestation ne parvint pas à la Reine-Mère. Les archives de la communauté n'ont conservé aucune trace des décisions prises au sujet de ce différend. Louise de Rieux demandait que sa requête fût examinée par les docteurs de Sorbonne. Elle ne l'a vraisemblablement jamais été, et la querelle s'apaisa d'elle-même.

Les anciennes prieures reparaissent les années suivantes dans le conseil de la communauté. Anne de Sesmaisons et Catherine Dubois signeront en 1659 l'acte de reconstruction du couvent. Louise Dubois sera prieure cinquante ans plus tard. Louise de Rieux seule dut quitter les Couëts. Son père, Emile de Rieux, marquis d'Assérac, cessa d'exécuter le contrat signé par lui en 1638, lors de l'entrée de sa fille au couvent. Les Pères carmes, jusque-là aumôniers des religieuses, furent remplacés par des prêtres séculiers ou réguliers, choisis par l'Evêque de Nantes.

Marie de Gastinaire succède à sa sœur dans le gouvernement de la maison. Au mois d'avril 1648, elle charge son procureur ecclésiastique de soutenir un procès pour la possession du canton des Houx, partie de la forêt de Touffou, en Rezé, où, de temps immémorial, les Carmélites des Couëts ont droit d'usage et de pacage. Pierre de Cornulier, réformateur, des eaux royales et forêts de France au département de Bretagne, et grand veneur du dit pays, ordonne au procureur des religieuses, après un procès-verbal d'arpentage, de clore la partie contestée, et prononce définitivement que les Carmélites non seulement conserveront leurs droits d'usage et de pacage, mais qu'elles auront à les faire respecter par officiers de la juridiction des Couëts ; de plus, elles pourront prendre, dans la partie enclose par leurs soins, tout le bois de haute futaie qui leur serait nécessaire.

C'était pour le couvent une ressource attendue depuis longtemps. Les bâtiments tombaient en ruines à plusieurs reprises, les prieures avaient envisagé la réfection des charpentes, à condition que le bois leur fut fourni à bon compte par la forêt de Touffou.

Les dots des nouvelles recrues permettaient des travaux plus considérables. Pierre Brossard, sieur de la Trocardière, en Rezé, en 1648, présente à la prieure Louise de Liscouet, sa fille Jacquette, âgée de dix ans ; il s'engage à payer tous les trimestres la pension exigée par le conseil de la communauté, et il promet 1.250 livres le jour où elle fera profession. Jacquette Brossard est acceptée ; nous la retrouvons plusieurs fois prieure dans la suite. De Rezé, arrive aussi la même année une autre riche postulante, Mathurine Cadoret, obligée quelques mois plus tard de rentrer dans sa famille pour raison de santé ; sa dot lui est rendue, retenue faite de sa pension annuelle.

La famille de Monti de Rezé fait la même année effectuer le partage de ses biens. Les notaires royaux apportent aux Couëts la part d'héritage des deux sœurs professes, et de la jeune postulante. En 1656, Renée Verdier, avant de céder sa charge de prieure à Marie du Chaffault, signe plusieurs quittances, entre autres celle-ci : « Nous, humble prieure du couvent des religieuses de l'Observance des Carmélites des Couëts, confesse avoir reçu de escuyer François Roux, seigneur des Sorinières et de ses deniers la somme de 362 livres 10 sols, en l'acquit du haut et puissant messire Samuel de l'Espinaye, seigneur de Brior, pour les pensions viagères de mesdames ses filles, nos chères mères Catherine et Antoinette de l'Espynaie, à nous dues tous les ans le 12ème jour d'avril, et payées par avance, dont la dite somme je me tiens contente pour l'année qui a commencé le 12ème jour d'avril et finira à pareil jour de l'an 1657, et en quitte le dit seigneur de Brior et de tout le temps passé ».

Le prieuré des Couëts n'a jamais connu encore une si grande prospérité. Les procès pendants depuis de longues années se sont terminés à son avantage. Le riche vignoble qui l'entoure, ou qui a été constitué dans différentes paroisses plus éloignées, est en plein rapport. Leurs fermiers ont défriché les landes et les marais qui avoisinent le lac de Grand-Lieu. Les cellules sont insuffisantes pour recevoir les recrues qui viennent toujours plus nombreuses demander un asile au vieux monastère. Une restauration complète est décidée. Les bâtiments seront agrandis ; deux nouveaux pavillons seront édifiés.

Le conseil de la communauté se réunit au parloir. Renée Verdier, prieure, Lucrèce Raoul de la Guibourgère, sous-prieure, Marie du Chaffault et Hélène Raoul de la Guibourgère, discrètes, Marie de Gastmaire, procureuse, soumettent aux autres religieuses professes un devis de reconstruction, approuvé par noble et discret messire Georges Arnault, vicaire général de l'Evêque de Nantes, et recteur de Saint-Sambin.

Louise de Marchy, Marguerite de Gastinaire, Anne de Sesmai sons, Catherine Dubois, anciennes prieures, Françoise Jussaume de la Bretesche, Marguerite Juchault, Jeanne et Mathurine Cadoret, Catherine et Antoinette de l'Espinaye signent le contrat qui est présenté par Trigal et Jacques Cariet, architecte et entrepreneur, demeurant en la paroisse de Saint-Laurent de Nantes.

Ceux-ci s'engagent à faire à pierre, à chaux et à sable un double pavillon à la suite de l'ancien corps de logis, qui comprendra une cuisine, un office ou décharge de cuisine, une buanderie ; un escalier à quatre noyaux avec marches, rampes, piliers et contreforts de grison ; un corps de bâtiments qui comprendra un lavabo, un réfectoire et une décharge de réfectoire ; un cloître de 12 pieds de large avec piliers à huit pans, voûtés en anses de paniers.

Au premier étage du pavillon, il y aura la chambre de récréation ou chauffoir, et l'école ou noviciat. Dans chacune de ces chambres, il y aura une cheminée. Au deuxième étage seront le Degré, au haut de l'escalier, et les greniers qui remplaceront les dortoirs alors existants.

Toutes les portes et fenêtres doivent être entourées de tuffeau taillé ; entre deux fenêtres se trouveront des lucarnes ; toutes les murailles portant charpente doivent avoir trois pieds et demi d'épaisseur. Jusqu'à deux pieds de hauteur à partir du niveau du sol, jusqu'à la hauteur de cinq pieds dans les coins du bâtiment, il y aura des pierres de grison taillé.

Les entrepreneurs devaient prendre à la communauté tous les matériaux nécessaires à la construction, pierres, chaux, sable, tuffeau, grison ; la plupart provenait des démolitions du vieux bâtiment. La pierre, serait tirée d'une carrière ouverte dans l'enclos ou une autre non loin du couvent. Tout le bois pour les charpentes serait pris au couvent ; on ne devait pas employer celui qui avait déjà servi et qui était réservé pour le chauffage. Les religieuses mettaient à la disposition des ouvriers une chambre garnie de deux ou trois lits et un autre appartement avec de la paille. Les travaux de maçonnerie devaient commencer immédiatement et être terminés à la fête de la Toussaint 1660.

Pour denier à Dieu, les religieuses donnaient la somme de soixante livres, payaient dix livres par toise de six pieds carrés, et seraient averties quinze jours à l'avance quand il y aurait lieu d'effectuer de gros paiements.

Si le contrat n'était pas exécuté, les religieuses et les entrepreneurs s'obligeaient sur leurs biens meubles et immeubles à réparer le dommage causé. Hypothèque était placée sur ces biens ; les entrepreneurs consentaient à ce qu'il y eût saisie et criée sur leurs immeubles, et s'exposaient à être arrêtés et mis en prison fermée comme pour les délits royaux

Les trente-six religieuses professes approuvèrent ce qu'avaient décidé leurs supérieures. A peine les travaux étaient-ils commencés que les élections trisannuelles donnèrent la dignité de prieure à Marie du Chaffault, assistée comme conseillères de Marie de Gastinaire, sous-prieure, Louise Dubois et Marie de Compludo, discrètes. L'ancienne prieure Renée Verdier devenait procureuse.

Les entrepreneurs avisèrent le nouveau conseil de la communauté, que les matériaux fournis par le couvent ne seraient pas suffisants pour l'achèvement des travaux promis dans le précédent devis. En conséquence, ils s'engageaient à leur fournir toutes les marches et paliers nécessaires pour les saillies du bâtiment neuf, et les rampes de l'escalier. Toute la marchandise serait bonne et compétente ; les pierres de grison seraient d'une seule pièce, et payées dix livres la pièce. Les chambres du dernier étage, qui devaient avoir neuf pieds et demi sous poutres, n'auraient plus que six pieds et demi ; les greniers n'auraient point d'exhaussement.

A l'époque fixée, les travaux étaient terminés le monastère rajeuni pouvait recevoir en plus grand nombre de nouvelles disciples de la Bienheureuse Françoise d'Amboise. En 1668, il comptait 69 professes.

Cette année-là, la prieure, Marie de Gastinaire présente à un commissaire du parlement de Bretagne l'inventaire des biens, droits et redevances féodales, charges et devoirs du couvent. Il est officiellement reconnu que les Dames Carmélites ont, dans la Loire, la Sèvre, et la Moine, des droits de pêches accordés par les rois Henri Second, Charles IX, Henri III, Henri IV et Louis XIII, moyennant les redevances fixées par les lettres patentes du roi. Elles ont droit de terrage à Saint-Aigman. Par leurs procureurs, elles font la dîme à Bouguenais, Aigre feuille, Montbert et Monnières et reçoivent ordinairement la treizième partie de la récolte en blé et en vin. Elles ont droit de haute justice à Monnières ; de moyenne et de basse justice à Bouguenais. Leurs métayers de la Vincée et des Menanties, en Pont-Saint-Martin, jouissent des mêmes privilèges qu'elles-mêmes dans la forêt de Touffou.

Leurs métairies et propriétés immobilières sont disséminées dans les paroisses de Bouguenais, Pont-Saint-Martin, Saint-Aignan, Montbert, Maisdon, Aigrefeuille, Châtieau-Thébaud, Monnières, Champtoceaux, Saint-Sauveur-de-Landemont, Saint-Laurent-des-Autels. Elles ont d'importants vignobles à Rezé, Mouzillon, Le Pallet ; de belles prairies au Pellerin, à Couëron, à Saint-Etienne-de-Mont-Luc. Les îles de Cunault, Chanteloup, Rozereule, Bottie, au milieu de la Loire, leur fournissent du foin excellent.

Par contre, dans quelques paroisses, elles n'ont que des revenus insignifiants. Le recteur de Basse-Goulaine ne leur verse que 4 sols et 6 deniers par an ; le recteur de Maisdon, 1 sol ; le prieur de Saint-Pierre-de-Vertou, 6 sols tous les cinq ans. Leur revenu intégral est de 12.663 livres, insuffisant, note le commissaire chargé de l'inventaire, pour l'entretien de soixante-sept religieuses, parce que le couvent est grevé de nombreuses aumônes de fondation, en plus des autres, faites volontairement aux pauvres passants, estropiés et malades. Tous les malheureux sont secourus dans les terres de la juridiction ; les visites des médecins et les remèdes fournis par les apothicaires sont payés par le couvent à dates régulières, des vêtements sont donnés aux enfants pauvres des Couëts. Il est à propos, ajoute-t-il en terminant son rapport, de réduire à vingt-cinq le nombre des religieuses professes.

Ce vœu ne se réalisera que peu à peu. En 1685, sous le priorat de Bonne de Monti de Rezé, il y a encore aux Couëts quarante-neuf Carmélites professes.

A cette époque, leur chapelle est facilement ouverte aux paroissiens de Rezé et de Bouguenais. Il s'y fait de temps en temps des baptêmes, des sépultures, et même des mariages auxquels assistent les religieuses. Les recteurs donnent aux aumôniers les permissions indispensables, et inscrivent les actes sur les registres paroissiaux. « Le 17 avril 1686, porte le registre de Bouguenais, a été par nous, Gilles de Labaulme-Leblanc, ancien évêque de Nantes, reçue aux dernières cérémonies du baptême, damoiselle de Crapada, fille de Messire Henry-Albert Angier de Lohéac, seigneur de Crapado, et de la chevalière et dame Loyse du Chastelier, ses père et mère, et lui a été imposé le nom de Anne-Marie, âgée de onze ans cinq mois et dix-huit jours, en l'église des dames religieuses des Couëts, paroisse de Saint-Pierre-de-Bouguenais. A été parrain messire Julien Boux, seigneur de Bougon, ancien juge prévost de la ville de Nantes, et marraine, Marie-Thérèse Cassard, femme et compagne de messire François Noblet de l'Espinaye, seigneur du Chaffault, conseiller du Roy et son advocat général en la chambre des comptes de Bretagne, et la dite damoiselle Anne-Marie Angier de Lohéac a été ci-devant baptisée à la maison de la Chauvelière, paroisse de Joué. Signé : t Gilles, ancien évêque de Nantes, Anne Angier de Lohéac, religieuse, Jeanne de Montalembert, religieuse. Par commandement de Mgr. Macé, sec. ».

En 1687, les religieuses reçoivent confirmation de leurs droits et privilèges « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et avenir, salut. Nos aimées, les prieures, religieuses et converses de N.-D. des Couëts, ordre et ancienne observance du Mont-Carmel, près notre ville de Nantes, nous ont fait observer qu'elles ont été fondées et dotées par nos prédécesseurs, les ducs de Bretagne, longtemps avant la réunion du duché à notre couronne, et chargées par les titres de fondation de grand nombre d'oraisons, prières, messes et services journaliers composés de matines, laudes, heures canoniales, vespres et complies à haute voix, de faire trois jours chaque semaine une aumône générale et assujetties à plusieurs autres charges semblables, etc. Nos prédécesseurs Jean et François en 1361, 1397, 1435, 1442, 1444, pour des motifs de piété et de singulière estime, ont accordé et fait don de plusieurs francs droits, privilèges, franchises et exception. Notre honoré père Louis XIIIème de glorieuse mémoire les a confirmés par lettres patentes et 1614. En conséquence de plusieurs arrêts rendus par notre parlement de Bretagne, leur maison composée de quatre-vingt religieuses ne pourrait subsister. Pour leur permettre de continuer leurs voeux, oraisons et prières, nous confirmons ces droits, privilèges et exemptions ».

La chambre des Comptes, en enregistrant cette ordonnance de Louis XIV, détermine quels sont ces privilèges. Ils ont été déjà signalés dans les précédents inventaires. De nouvelles faveurs y sont ajoutées. Les dames Carmélites peuvent faire vendre 50 pipes de vin de leur cru, sans payer aucun droit, et pour en faire le débit, il leur est permis d'établir deux foires par an dans le bourg des Couëts.

Elles auront le droit de percevoir un quarteau de sel, mesure de Nantes, sur les bateaux montant en Loire, à condition toutefois d'entretenir une balise dans cette rivière, vis-à-vis de leur monastère. Comme elles ont besoin de l'étier qui communique avec la Loire pour voiturer ce qui est nécessaire à leur maison, elles peuvent défendre aux particuliers de ne rien mettre en cet étier pour en empêcher le cours.

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V


Après la restauration de leur couvent, les Carmélites des Couëts, recrutées presque exclusivement dans les familles nobles de la contrée, sont, plus que dans les siècles précédents, visitées par leurs parents. Elles commencent à avoir des dames pensionnaires qui vivent au couvent et y meurent.

Le 22 avril 1696, les cinquante-quatre religieuses professes « assemblées en corps politique » dans le parloir de la communauté élisent comme prieure Louise Dubois. Elle meurt dans l'exercice de sa charge, deux ans après, et est remplacée par Jacquette Brossard, qui dans la suite sera réélue quatre fois. Son conseil se compose de Bonne-Pélagie de Rosmadec-Molac, sous-prieure, Anne de Monti de Rezé et Angélique Le Séneschal de Carcado, discrètes, Marie-Céleste Gabard, procureuse. Elles reçoivent d'importantes fondations pendant leur triennat : Kernotte de Kerpoisson, de Guérande, sœur de deux professes des Couëts, lègue au couvent une somme de 2000 livres de rentes pour l'entretien d'une fille pauvre de bonne maison désireuse de se faire Carmélite. Les héritiers de Jean Renaudin, sieur de la Houdinière, reconnaissent la dette d'une rente annuelle de 3 livres pour l'entretien d'une lampe dans la chapelle. A l'occasion de l'entrée en religion de sa fille Françoise, Louis Chevigné de la Sicaudais donne à la prieure des actes de subrogation, des quittances de remboursement, une procuration pour toucher les rentes et faire poursuivre en justice les débiteurs récalcitrants.

Jacquette Brossard est remplacée par Marie-Céleste Gabard. La nouvelle prieure écrit de nombreuses lettres aux officiers de la juridiction des Couëts pour faire rentrer au couvent les redevances, rentes et revenus qui ne sont pas arrivés à la date fixée par les contrats. Elle s'adresse même aux débiteurs, et revendique les droits qu'elle est chargée, dit-elle, de faire respecter.

En 1707, Bonne de Rosmadec-Molac est appelée à son tour au gouvernement de la maison. Elle reçoit la visite de son frère, gouverneur de la cité de Nantes, de Monseigneur Gilles de Beauveau, et de ses vicaires généraux. « Quoique servi en maigre, d'après nos constitutions, note la procureuse, le repas nous a coûté fort cher, et il nous a fallu vendre une partie du bois mort en réserve pour les pauvres ».

Les registres paroissiaux de Bouguenais nous font connaître quelques détails sur la communauté surtout à partir de cette époque. Les Dames Carmélites ont désormais deux aumôniers attitrés qui résident dans le couvent et pourvoient à leurs besoins spirituels ; l'un est toujours nommé leur directeur ; l'autre est ordinairement un des vicaires du recteur de Bouguenais. Avec eux, habitent, dans l'aumônerie, trois ou quatre prêtres âgés qui acquittent les messes de fondations célébrées dans la chapelle du monastère et prêtent leur concours dans les cérémonies solennelles.

Peu à peu, le nombre des religieuses professes diminue. Mais les pensionnaires sont plus nombreuses. De toutes jeunes filles accompagnent leurs tantes ou leurs sœurs quand elles entrent au couvent sous la garde de leurs gouvernantes, elles font leur éducation à l'école des filles de Françoise d'Amboise. Les unes y font les vœux de religion, les autres retournent dans le monde ou deviennent religieuses dans d'autres communautés. Certaines dames viennent aussi partager les exercices de dévotion des Carmélites. Quelques-unes font élection de sépulture dans la chapelle du couvent. On trouve, parmi ces dames pensionnaires, les noms de Catherine de la Roche-Saint-André, Marie de Bruc, Marie de Bessay de la Hautière, Marguerite de la Botinière, Marie de Ramaceul. Un peu plus tard, quelques Irlandaises se joindront à elles.

Aussi la chapelle devient-elle une annexe des églises voisines. Il s'y bénit des mariages ; il s'y fait des sépultures. Jacques Fresnel, notaire royal, fils du procureur fiscal et greffier de Bouguenais, est marié par le Directeur des Dames Carmélites avec Jeanne Bretineau, en présence des recteurs de Bouguenais et de Rezé. En 1718, dans la même chapelle, est baptisé par le premier aumônier de la maison, le neveu de la prieure. Des nobles, des métayers, des domestiques demandent à être inhumés près du tombeau de Françoise d'Amboise ou dans le petit cimetière de la communauté.

Après le priorat de Renée-Angélique de Carcado, les anciennes prieures sont toujours réélues de trois ans en trois ans jusqu'à ce que l'âge ou les infirmités les empêchent de remplir leurs fonctions. Jacquette Brossard, en 1728, est chargée pour la quatrième fois du gouvernement de la maison. Elle fait constater par le parlement de Rennes les droits seigneuriaux de sa communauté. Il est reconnu que les dames Carmélites des Couëts ont droit de haute, moyenne et basse justice sur leurs vassaux et sujets, droits d'apposition des sceaux, droits de perception sur les inventaires, tutelles, curatelles, sur les rentes, lods et rentes, sur les successions de bâtards, sur la déshérence des lignes, droit de moulin, et sur les mesures à blé ou à vin, droit sur les baux, droit d'amende, de guet, de garde, droit de soulte sur les nouveaux mariés l'année de leurs noces, et tous autres droits « que le fief le requiert », comme épaves, quintaines, rachats, sous-rachats, droit de percevoir, en tout temps et sur toutes personnes, deux deniers monnaie par pipe de vin charroyée au port de l'étier des Couëts. Cette reconnaissance de leurs privilèges, faite en 1729, sera renouvelée deux ou ou trois fois dans la suite.

Avec Marie-Durable du Chaffault, prieure en 1731, 1737, 1743, arrivent au couvent un certain nombre de postulantes toutes apparentées aux nobles familles du pays de Retz. Marie-Anne, Bonne, Catherine de Monti de Rezé remplacent aux Couëts les anciennes religieuses de leur sang ; Anne et Marie Langlois de la Roussière quittent le manoir du Breil, après la mort de leurs parents. Leur frère, héritier de la demeure familiale, leur versera leurs dots ; il conduira sa fille, âgée de treize ans seulement rejoindre ses tantes. Cette enfant est destinée à gouverner plus tard la maison, et à assister, malgré ses héroïques efforts, à sa dispersion et à sa ruine.

De la maison noble du Rocher, en Bouguenais, sortent Jeanne et Françoise de Santo-Domingo de la Bouvraie, nées dans la paroisse Saint-Louis du Quartier marin, île de Saint-Domingue, orphelines recueillies par leur tante, et qui passeront au couvent le reste de leurs jours. Françoise deviendra six fois prieure.

Les autres professes sont Madeleine Rouaud du Tréjet, Jeanne Bedeau de Launay, Arthémise de Soulange, Louise Bidé, et ses cousines de Chevigné, du Souchais, du Bois-de-Chollet, Louise Carheil de la Barillère. Cette dernière, d'abord pensionnaire au couvent, a mannifesté le désir d'être nonne. Acceptée par le conseil de la communauté, en 1722, elle a fait sa profession religieuse. Son frère, Joseph de Carheil, a consenti à payer 600 livres, et à donner en plus 2400 livres ajoutées à sa pension viagère annuelle.

En 1746, Louise Bidé est pour la première fois élue prieure. Elle succède à Marie Beufvier qui lui succédera trois ans après ; toutes les deux jusqu'à leur mort seront alternativement à la tête de la maison.

En 1749, Claude Curatteau, de la paroisse de Saint-Saturnin de Nantes, docteur en théologie de l'université, obtient au concours la cure de Bouguenais. Plus intransigeant que ses prédécesseurs, il exige que les obsèques des pensionnaires du couvent se fassent dans l'église paroissiale. Un des aumôniers a choisi pour sa sépulture la chapelle du couvent. Les dames Carmélites le font remarquer au recteur ; il accepte un accommodement. Lui-même présidera la cérémonie, et ramènera aux Couëts le corps du défunt. Il rédige ainsi l'acte de sépulture « Le 30ème jour de septembre, le corps de Messire Julien Fro, prêtre aumônier des dames religieuses des Couëts, décédé d'hier dans leur monastère, âgé d'environ soixante-trois ans, a été transporté dans l'église de cette paroisse, et après la célébration du St-Sacrifice, rapporté dans celle du dit monastère, dans laquelle nous sommes rentrés et avons terminé le convoi par les prières et oraisons accoutumées, et avons consenti que les dits sieurs aumôniers en fissent l'inhumation dans la dite église des Couëts, que le défunt avait par testament choisi pour lieu de sa sépulture ».

En 1752, la prieure des Couëts, au nom de sa communauté, s'unit aux seigneurs de Bougon, du Breil, au comte de Rezé, et à quelques notables de la paroisse de Bouguenais pour solliciter du Parlement de Bretagne un arrêt destiné à sauvegarder leurs intérêts. Tous propriétaires de la grande prairie qui s'étendait du village des Couëts jusqu'à l'île d'Indret, ils demandaient que, de la fête de la Chandeleur jusqu'à l'enlèvement des foins, l'accès de leur propriété fût interdit aux habitants des villages voisins qui jusque-là y conduisaient leurs animaux sans se préoccuper de la récolte à venir. Le Parlement leur rendit justice.

L'année suivante (1753), Louise Bidé, en prenant possession pour la troisième fois de la charge de prieure, a un procès à soutenir. Par une ordonnance qui n'a pas été comprise, le grand maître des eaux et forêts de France a défendu d'enlever du taillis de la Vincée, dépendant de la forêt de Touffou, les branches de certains arbres dont la coupe devait se faire tous les neuf ans. Les fermiers des Carmélites n'avaient pas tenu compte de cette prescription : les religieuses étaient responsables. En vain leur avocat chercha à prouver qu'il n'y avait pas eu délit, parce que le bois coupé était inutile. Les religieuses furent condamnées à une légère amende.

En 1754, la même prieure acceptait d'être marraine d'une cloche de l'Eglise de Bouguenais, et se faisait représenter à sa bénédiction ; cette cérémonie est relatée dans les archives paroissiales « Le 23 décembre 1754, ont été bénites dans cette église par messire Jean-Baptiste Condrin, recteur de la paroisse de Saint-Aignan, les deux dernières cloches de cette paroisse ; la première, sous la protection de la sainte Vierge Marie et de St. Claude, a eu pour parrain messire Claude Curatteau, docteur en théologie de l'Université de Nantes et recteur de cette paroisse et pour marraine Marie Portier de Lantimo, épouse d'escuyer Henri Chaurand, seigneur du Chaffault. La deuxième, sous l'invocation de St. François et de St. Jacques, a eu pour parrain messire Jacques Langlois, chevalier, seigneur de la Roussière, et pour marraine demoiselle Marie Biré, au nom des dames Louise Bidé, prieure et religieuses de la communauté des Couëts ». Le registre est signé : Marie Biré, Sainte Biré de la Marionnière, Eulalie Biré, Ozite de Chevigné du Bois de Chollet, Roland Hervé de la Bauche, Jacques de la Roussière, Claude Curatteau, J.-B. Condrin. Les trois jeunes Biré étaient nièces de la prieure. Pensionnaires au couvent depuis la mort de leur père, M. Gorgette, notaire royal à Bouguenais, administrait leurs biens et remettait tous les trimestres à la procureuse le prix de leurs pensions. Marie Biré, devenue religieuse, était procureuse de la maison au moment de sa ruine. Ozibe de Chevigné, autre pensionnaire parente de la prieure, devint elle aussi carmélite professe. M. Roland Hervé de la Bauche, aumônier-directeur des Dames des Couëts, devint curé de Machecoul, et périt dans les eaux de la Loire en face du monastère où il avait passé les premières années de sa vie sacerdotale. Les cloches de Bouguenais bénites cette année-là devaient, cinquante ans plus tard, être converties en sous à la monnaie de Nantes.

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VI

En 1645, les Carmélites des Couëts avaient été obligées de modifier leurs constitutions. Pour rester fidèles aux règles données par Françoise d'Amboise, elles n'avaient point adopté, comme la plupart des Carmélites de France, la réforme de Sainte Thérèse. Elles étaient restées religieuses de l'ancienne observance du Carmel. Mais elles sentaient que leur Fondatrice leur avait donné des statuts qui ne s'accordaient plus avec les exigences de leur siècle. Il était de leur intérêt de reconnaître comme leur supérieur l'Evêque de Nantes. Seul, le Souverain Pontife pouvait remédier à leur situation. Benoît XIV demanda à Mgr. de la Muzanchère de vouloir bien prendre sous sa juridiction réelle et effective le prieuré de Notre-Dame des Couëts.

Dès la fin de l'an 1755, le livre des nouvelles constitutions était imprimé à Nantes, et chaque professe en recevait un exemplaire. Cette nouvelle observance devait être appliquée trois ans plus tard. Par les extraits que nous en pouvons faire, nous sommes à même de nous rendre compte de la vie des religieuses carmélites dans le couvent des Couëts. La première partie de ce tout petit volume contient la règle des Frères de l'Ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel composée et donnée par Albert, patriarche de Jérusalem, à Frère Brocard, prieur général, et aux frères qui vivaient alors comme Ermites, mitigée et modérée par les papes Innocent IV et Eugène IV, et approuvée de plusieurs autres papes.

La seconde partie renferme les statuts et ordonnances pour les religieuses de l'ancienne observance de Notre-Dame du Mont-Carmel établies au lieu des Couëts, près de Nantes, par la vénérable Françoise d'Amboise, leur mère.

Tous les matins, la cloche sonnait à 6 heures le réveil de toutes les religieuses. Une sœur se rendait dans chaque cellule et y portait de la lumière depuis le 1er octobre jusqu'au 10 mars. Toutes se rendaient à la chapelle à 7 heures ; à 7 h. 1/2 se disait une messe basse pour les religieuses qui ne pouvaient assister à la grand'messe.

Lorsque toutes les professes étaient arrivées à leurs stalles, la prieure commençait la psalmodie de l'office de Prime, et toutes devaient observer les cérémonies d'après l'usage du Saint-Sépulcre de Jérusalem. L'office de Tierce se disait après la messe ; il était chanté pendant l'octave de la Pentecôte. A 9 h. 1/2, avant la grand'messe, trois Ave Maria étaient chantés pour la conservation de la maison et le maintien de la paix ; on y ajoutait le Stabat tous les vendredis, sauf pendant le temps pascal. Une procession dans le cloître se faisait à toutes les fêtes de la Sainte Vierge, les seconds dimanches du mois, le dimanche des Rameaux, les jours des Rogations ; en la fête du Saint-Sacrement, le dimanche et le dernier jour dans l'octave ; aux fêtes de Saint Michel, Saint Sébastien, Saint Roch, Saint Joseph, Sainte Anne et Saint Antoine. Tous les lundis, se faisait la procession des morts au cimetière.

Le repas avait lieu à midi, suivi d'une récréation obligatoire. A 3 heures se chantaient les vêpres ; à 4 h. 1/2, on récitait Complies et on faisait oraison ; à 5 h. 1/2, on se rendait au réfectoire pour la collation ; à 8 h. en hiver et à 8 h. 1/2 en été, se chantaient ou se récitaient matines et laudes, et les sœurs se retiraient dans leurs cellules.

La clôture était sévèrement gardée. Les deux discrètes devaient accompagner partout ceux que la nécessité obligeait d'entrer dans la maison. Seuls, l'Evêque ou ses grands vicaires pouvaient donner la permission de franchir la clôture à toute personne étrangère, à la réserve des Princes et des Princesses qui étaient invités à y entrer avec le moins de suite possible.

« On ne recevra à l'avenir, était-il dit plus loin, que des pensionnaires se proposant pour être religieuses, et on leur donnera deux ans pour prendre leur parti ; au bout de ce temps, elles seront obligées de se retirer si la maison ne leur convient pas ou si elles ne s'y conviennent pas elles-mêmes ».

Les parloirs étaient fermés pendant les offices. Les professes qui n'avaient pas encore trente ans ne pouvaient s'y rendre que pour voir leurs parents, leurs frères et leurs sœurs, après en avoir obtenu la permission de la prieure.

L'obéissance aux supérieurs devait être entière. Toutes les sœurs en passant devant la prieure étaient tenues à faire la révérence en signe de respect.

Les vêtements et autres objets étaient communs. « Rien n'étant plus conforme à l'esprit de pauvreté que de s'aider soi-même, du travail de ses mains, il serait étrange que des personnes religieuses refusassent de manier le fil et l'aiguille pour raccommoder les hardes à leur usage, ainsi qu'on instruit à le faire, sous les yeux des pères et mères, les filles bien élevées dans le monde qui se destinent à y demeurer. C'est pourquoi toutes les sœurs n'auront recours à personne pour de pareils services, à moins que le temps, la vue ou la santé ne leur permettent pas de se les rendre à elles-mêmes. Si après cela il leur reste assez de loisir pour faire d'autres petits ouvrages, elles pourront s'y appliquer, mais elles ne feront pas de présents sans la permission de la mère prieure. La soie, les fils d'or et d'argent et les autres choses nécessaires leur seront fournies par la communauté ».

Toutes les sœurs professes jeûnaient, en plus des jeûnes ordonnés par l'Eglise à tous les fidèles, tous les vendredis de l'année, tout le temps de l' Avent, le mercredi, le vendredi et le samedi, depuis la fête de l'Exaltation de la Sainte Croix (14 septembre) jusqu'à Pâques, les veilles des fêtes de la Sainte Vierge, des saints et saintes de l'ordre des Carmes, de l'Ascension, de la Pentecôte, et du Saint-Sacrement. Des dispenses étaient accordées temporairement aux malades par la prieure.

L'élection de la Prieure, se faisait tous les trois ans en présence de l'Evêque ou de son délégué. Toutes les religieuses professes étaient invitées à donner leur voix à celle des sœurs qu'elles jugeaient la plus digne ; l'élue devait avoir quarante ans d'âge et quinze de profession. Après trois ans, elle se démettait de sa charge. En fait, elle la reprenait trois ans plus tard. La mère Louise Bidé, la mère Françoise de Santo-Domingo de la Bouvraie furent six fois élues. Jeanne Langlois de la Roussière commençait elle aussi son sixième triennat quand la communauté fut obligée de se disperser.

Pour remplacer la mère de la Bouvraie, âgée de 84 ans, en 1785, les religieuses avaient choisi Anne Bourdin du Brandais, qui aurait vraisemblablement été réélue en 1791, si les élections avaient pu se faire régulièrement.

La sous-prieure avait la deuxième place dans la communauté. Elle était chargée spécialement des cérémonies du chœur et s'occupait des novices et des sœurs converses.

Les discrètes étaient les conseillères de la prieure. Elles signaient avec elle tous les actes importants qui initéressaient le gouvernement de la maison. Chacune avait une clef des archives qu'elle ne pouvait donner à personne, pas même à la prieure. Elles étaient chargées d'écrire à l'Evêque pour lui donner des renseignements sur la marche de la communauté, et elles faisaient à la prieure les observations et les remontrances qu'elles jugeaient opportunes. La première discrète était toujours une des anciennes prieures ; la deuxième était choisie ensuite pour prieure.

La procureuse, chargée du temporel de la maison sous la direction de la supérieure, faisait les marchés, réglait les gages des domestiques, déterminait les aumônes extraordinaires et imprévues données à la porte du couvent. Toutes les cinq semaines, elle présentait ses comptes à la prieure et à son conseil, et leur remettait ses livres à la fin du triennat, même si elle était réélue.

Les nouvelles constitutions introduisaient dans le conseil de la communauté les deux portières. Pour remplir cet emploi, les professes devaient avoir trente ans accomplis. Leur office consistait surtout à prévenir la prieure et les discrètes, quand se présentaient des visites nécessitant l'entrée dans la clôture.

Les autres emplois de la communauté : sacristaine, maîtresse des novices, dépensière, robière, infirmière, grainetière, boulangère, réfectorière, cavière, étaient assignés par la prieure aussitôt après son élection. Les sœurs tourières les aidaient dans leurs fonctions.

Les Carmélites des Couëts, appelées Carmélites de l'ancienne observance, avaient le même costume que les religieuses de l'ordre du Carmel. Elles portaient une robe noire serrée à la ceinture par un cordon blanc ; à leur côté pendait un chapelet à gros grains noirs. Un bandeau noir entourait leur front, et un voile de même couleur leur couvrait entièrement la tête et le milieu du corps. Une guimpe blanche, de fine toile pour les professes de chœur, de toile plus grossière pour les tourières, entourait leur cou et cachait l'agrafe du manteau de laine blanche qui enveloppait tout leur corps. Elles avaient pour chaussures des sandales de cuir. Les novices et les postulantes portaient des guimpes et des voiles différents. Les veuves, devenues religieuses, en souvenir de Françoise d'Amboise, recevaient, le jour de leur profession, un voile coupé à ses extrémités.

Les sœurs tourières étaient au nombre de huit ; on n'en admettait davantage. Elles n'étaient pas reçues avant l'âgé de vingt-cinq ans, et devaient avoir une robuste constitution. Chaque jour, une tourière se rendait à Nantes avec une charrette à âne, chercher les provisions, et faire les commissions de la communauté.

L'Evêque ou son délégué faisait la visite canonique du monastère une fois l'an, ordinairement le jour de la Saint Luc (18 octobre). Ce jour-là, l'austère régime du réfectoire était amélioré, comme d'ailleurs en certaines autres fêtes. Le livre des menues dépenses de la procureuse note naïvement comment se composaient ces repas extraordinaires de la communauté. « Le 19 juin 1789, le vendredi de la fête du Sacré-Cœur de Jésus, nous avons eu notre Seigneur Evêque à dîner. Il a assisté au sermon dans le chœur avec M. de Bossieu et M. de Hercé, ses grands vicaires et nos deux aumôniers. Nous les avons servis à deux certes. Il en a coûté pour le poisson 70 livres. La communauté a été servie à dîner de homards, soles et tanches ; à la collation des pois et des asperges ... Le 4 novembre 1785, fête de notre bienheureuse Mère, nous avons servi pour dessert de la tourte d'abricots et du café.... Le jour de l'Assomption, la R. M. Prieure a donné à dessert deux maspins macarons, des poires, du vin de liqueur, et du café .... ».

Le 17 décembre et les jours suivants, la mortification de l'Avent était quelque peu atténuée. Les dignitaires de la communauté entonnaient chacune à leur tour, à l'office des vêpres, les grandes antiennes O. Elles offraient à cette occasion quelques friandises à leurs compagnes. En la fête de l'Epiphanie, le gâteau des Rois mettait à contribution la religieuse désignée par le sort reine de la fête. « Le 6 janvier 1788, la mère de la Ville a été reine, note la procureuse . elle a donné à souper des maspins, des macarons, de l'angélique, de la liqueur, des fruits à l'eau-de-vie, du café ... et des bijoux ! ». Le jour de la vêture ou de la profession, la nouvelle Carmélite « régalait » suivant l'expression du même journal.

Ces innocentes distractions ne faisaient point oublier aux religieuses les aumônes traditionnelles. Tous les ans, pour les fêtes de Noël, elles habillent, à leurs frais, une petite fille pauvre du village des Couëts. « 31 Décembre 1785. Nous avons habillé, suivant l'usage de notre mère fondatrice Françoise d'Amboise, un enfant et lui avons donné deux robes, deux chemises, un bonnet, un mouchoir, une paire de sabots, deux paires de bas pour l'habillement, 26 livres ».

Outre les deux setiers de grain distribués régulièrement par les tourières le dimanche, mardi et jeudi de chaque semaine, et dont font mention tous les inventaires jusqu'à la Révolution, les Carmélites des Couëts donnaient chaque année des sommes importantes au Carmel de Ploërmel, où leurs soeurs de la même observance étaient plus pauvres. Elles secouraient généreusement les sœurs du couvent des Saintes Claires de Nantes, fondé par Françoise d'Amboise « il faut bien leur donner, dit la procureuse, puisqu'elles ne vivent que d'aumônes ». Les capucines de Tours sont hospitalisées au couvent des Couëts, quand elles font leurs quêtes dans le pays nantais. En 1781, une riche aumône est donnée à deux religieux grecs melchites, « qui ont été brûlés par les ennemis des chrétiens ». Elles donnent chaque année aux Pères de la Merci pour la Rédemption des Captifs, et aux capucins de l'Hermitage de Nantes. Ces religieux sont d'ailleurs les prédicateurs extraordinaires du couvent. Ils y viennent presque à toutes les fêtes et reçoivent, en plus de leurs honoraires, ce que la procureuse appelle des petits présents.

Dans le même journal, nous trouvons mention des sommes données aux pauvres honteux. Pour que la charité soit faite plus discrètement, c'est la mère prieure qui distribue les aumônes et les secours, et la procureuse ignore les noms de ceux qui les ont reçus.

Quelques années surtout avant la Révolution, les Carmélites payent les études des jeunes gens qui se destinent à l'état ecclésiastique. La plupart des prêtres, originaires de la paroisse, de Bouguenais à cette époque, sont nés dans le village des Couëts ; leurs parents sont de pauvres fermiers du couvent ; les aumôniers ont pris chez eux leurs enfants de chœur, et les religieuses se chargent ensuite de leur éducation cléricale.

Les domestiques de la maison sont l'objet des sollicitudes des bonnes religieuses. La procureuse leur paye leurs gages à la Saint-Jean. Le premier janvier, les RR. Mères leur donnent des étrennes. Au jour de leur mariage, elles leur offrent des cadeaux utiles. Ils se marient bien souvent dans la chapelle. Quand ils sont malades, c'est le médecin de la communauté qui les visitent ; les remèdes sont toujours fournis gratuitement par l'infirmière ; s'ils meurent, ils sont inhumés dans le cimetière du couvent, et quelquefois même dans la chapelle.

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VII

Au mois de mai 1758, Mgr. Pierre Mauclerc de la Muzanchère, accompagné de ses grands vicaires, de plusieurs chanoines de la cathédrale et de la collégiale de Nantes, et des recteurs de Bouguenais et de Rezé, vient présider les premières élections faites d'après les nouvelles constitutions. Pour la quatrième fois, Louise Bidé est élevée à la dignité de prieure. Elle remplace Françoise de Santo-Domingo de la Bouvraie qui devient première discrète. Arthémise-Françoise Paris de Soulange est nommée seconde discrète ; Louise de Carheil est sous-prieure. Jeanne Langlois de la Roussière entre dans le conseil de la communauté avec la charge de procureuse. Simone Bizeul et Cécile Busson deviennent portières. Le procès-verbal des élections mentionne que les emplois inférieurs ont été distribués séance tenante par la R. M. Prieure, et que Mgr. de Nantes a promis de venir présider la cérémonie de profession des postulantes alors dans la maison. Le 11 juin de l'année suivante, il vient en effet recevoir comme religieuse de chœur Madeleine de Royrand, et, le 12 janvier 1762, il donne l'habit de Carmélite à Mlles Duguénorme et Madeleine Vanberchem.

Il procure une grande joie à la communauté en leur promettant la béatification solennelle de Françoise d'Amboise, Depuis longtemps déjà les pieuses Carmélites désiraient pour leur Fondatrice les honneurs officiels de l'Eglise. En 1761, les Etats de Bretagne avaient sollicité cette faveur en s'adressant au Saint-Siège. Une supplique avait été envoyée à Clément XIII et les présidents des trois ordres, clergé, noblesse, et tiers-état, l'avaient signée. « Les souverains pontifes, vos prédécesseurs, y était-il dit, ont loué la merveilleuse piété, la parfaite innocence et sainteté de vie de Françoise d'Amboise, duchesse de Bretagne. Le ciel fait écho à la terre pour célébrer ses louanges, et, par la renommée des miracles qui s'opèrent chaque jour à son tombeau, atteste qu'elle est parvenue au degré héroïque de toutes les vertus, soit avant son mariage, soit dans l'état conjugal, soit durant sa viduité dans le monde, soit dans la solitude du cloître, lorsqu'elle y menait la vie religieuse, sous l'étendard de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel. Mais il faut attendre le jugement définitif du Siège apostolique pour que cette illustre duchesse puisse être honorée d'un culte public et religieux par tous les fidèles. Ce ne sera pas une petite gloire pour le royaume de France auquel est heureusement uni aujourd'hui le duché de Bretagne, et cette province y trouvera un nouvel accroissement de la fidélité et du dévoûment qu'elle a toujours professé pour le Siège apostolique. Signé : t Pierre, évêque de Nantes, de Rohan, Bellabre ».

Le 19 janvier 1762, le conseil de la communauté était assemblé par la prieure. Françoise da Santo-Domingo lisait la lettre envoyée par l'Evêque où il annonçait qu'il viendrait le 29 mars suivant faire l'examen canonique du tombeau de la Fondatrice et ouvrir le procès de Béatification. Les membres de la commission chargée de reconnaître les reliques étaient déjà désignés. C'était Messire Nicolas de Pontual, chevalier de Saint-Louis, propriétaire de la maison de la Chabossière, voisine de la communauté ; Messire Jean-François Froment, bachelier de Sorbonne, supérieur de la communauté des prêtres de Saint-Clément de Nantes ; Gabriel Douaud, chanoine de la collégiale Notre-Dame, secrétaire particulier de l'Evêque ; Séraphique Couraud et Yves Brossaud, aumôniers des Carmélites des Couëts ; J.-B. Dubois, docteur en théologie, vicaire de Rezé ; Mathurin Grolleau, ingénieur des Ponts et Chaussées de France ; Jean Minatte, maître chirurgien des religieuses, habitant le bourg de Bouguenais.

Le 29 mars, en effet, tous ces commissaires se rendent auprès du tombeau vénéré dans la chapelle du couvent. L'une des extrémités se trouve dans la clôture l'autre, dans la partie ouverte au public. Sur les barreaux de la grille qui renferme le monument sont suspendus des béquilles, voeux et tableaux, gages de la reconnaissance des fidèles envers la Duchesse Carmélite. Le secrétaire de la commission déchiffre l'épitaphe écrite en caractères gothiques sur la pierre tombale, la copie, et la lit à haute voix. On ouvre le sépulcre, et on trouve une châsse de bois et un cercueil de plomb, qui contient des ossements. Le médecin en dresse l'inventaire. Il y a en plus des morceaux d'étoffe provenant de la robe, du manteau, du voile et du scapulaire de la Bonne Mère, le bouton du manteau en son entier, une partie de son crucifix en or, et plusieurs grains d'un chapelet de bois. Malgré la pluie qui tombe en abondance le jour suivant, les fidèles sont accourus au couvent ; ils demandent la faveur de faire toucher aux précieuses reliques les objets qu'ils présentent les commissaires épiscopaux donnent à quelques-uns de petites parcelles des vêtements.

Le 31 mars, les ossements sont renfermés dans une boîte de bois garnie d'une étoffe de soie blanche ; la boîte est scellée en quatre endroits différente du sceau de l'évêque de Nantes. Dans une autre boîte sont recueillies les parcelles d'étoffe, et dans une troisième les cendres et les poussières trouvées dans le cercueil. Le tout est replacé dans la châsse primitive avec les certificats et le procès-verbal de l'ouverture de ce tombeau. Et la pierre sépulcrale retombe sur ces précieuses reliques.

La dévotion des religieuses et des fidèles de la contrée s'accrut à partir de cette époque. Les pèlerinages devinrent plue fréquents au tombeau de la Bienheureuse, dans cette chapelle qu'elle-même a fait reconstruire en arrivant aux Couëts. De nouveaux ex-voto furent suspendus à côté de ceux qui garnissaient déjà les grilles et les murailles. En 1785, la procureuse signale que deux de ces pieux objets ont été payés par la communauté ; en 1785, il est noté que la R. M. Prieure a fait l'achat d'un devant d'autel pour le tombeau de la bienheureuse mère fondatrice. Ce culte se continua jusqu'à la Révolution. Les persécutions subies alors par les filles de Françoise d'Amboise rendirent impossible la conclusion du procès canonique commencé pour la béatification. Mais les reliques furent sauvées en 1793. Aucune des Carmélites des Couëts ne devait voir en 1866 la glorification de la Bonne duchesse de Bretagne.

L'année 1788 fut la dernière réellement heureuse pour le couvent. Les élections, les dernières avant la dispersion de la communauté eurent lieu le 3 juin. Trois ans plus tard, à la même date, le couvent sera envahi par les immondes Fouetteuses. La session dura deux jours et fut présidée par M. l'abbé de la Tullaye, archidiacre de la Cathédrale de Nantes.

Jeanne-Augustine-Victoire Langlois de la Roussière remplaça comme prieure la mère Marie-Anne Bourdin du Brandais, redevenue première discrète. La mère Perrine Grangier de la Ferriène fut confirmée dans la charge de sous-prieure. Françoise Fildié fut élue deuxième discrète ; Marie-Stylite de Biré resta procureuse, Victoire de la Ville et Rose Gohéau du Vigneau occupèrent de nouveau les charges de portières.

La Prieure nomma pour le bon ordre de la maison aux emplois secondaires. La mère Madeleine Vanberchem continue d'être dépositaire ; Aimée Le Maignan devint sacriste ; la mère Joullain d'Urbé, maîtresse des novices ; la mère Paris de Soulange, jardinière ; Catherine Mergé de Monplaisir, grainetière ; Jeanne Goguet de la Salmonière, robière ; Renée de la Ramée, pharmacienne ; Thérèse Hamon de la Thébaudière, réfectorière ; Julienne Dufief-Morissom, dépensière ; Clotilde Reliquet de la Roberdière, cavière ; Claire Daniel du Tréjet, infirmière ; Anne Berthou de la Violais, lingère.

Les mères Gallot de Lierne, ancienne discrète, Simone Bizeul, Cécile Busson, Renée d'Anguy, Louise de Latourche-Limouzinière étaient alors malades. La vieille mère Santo-Domingo de la Bouvraie, âgée de quatre-vingt-six ans, accablée d'infirmités, était sur le point de mourir. Les cérémonies de l'élection ne donnèrent lieu à aucune des réjouissances ordinaires dans la communauté.

Le 29 février 1789, eut lieu la dernière vêture solennelle, présidée par le grand vicaire de Nantes. Thérèse-Félicité Cuisinier reçut l'habit des Carmélites. Les événements qui suivirent l'empêchèrent de faire sa profession solennelle.

Le vieux couvent a désormais une histoire très mouvementée. Sa tranquillité, rarement troublée pendant les trois siècles de sa durée, se change en un douloureux martyre pour les religieuses qui vont bientôt se séparer. Le 17 septembre 1792, elles quittent définitivement leur chère maison, mise à l'encan et achetée (frimaire an II) par un charcutier de la rue Jean-Jacques Rousseau de Nantes pour 82.000 livres. Cette acquisition onéreuse ne put lui être profitable ; complètement ruiné, il revint un jour se pendre sur ses ruines ( J.-B. Branchereau).

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