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Pèlerinages des Bretons à Rome et Jérusalem.

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Les travaux de M. Bédier, de M. Male et d'Ebersolt ont révélé le rôle considérable qu'eurent au moyen âge les pèlerinages sur la littérature et l'art [Note : J. Bédier : Les légendes épiques, Paris 1908-13, 4 vol. in-8°. — E. Male : L'Art religieux au XIIème siècle, Paris, 1922, pp. 245 et suiv. — Ebersolt : Orient et Occident, Paris et Bruxelles, 1928-29]. C'est, en effet, par leurs routes que se propagèrent alors dans le monde les créations nouvelles et que s'exercèrent continuellement des échanges d'influences.

Les trois plus grands pèlerinages de la Chrétienté étaient à cette époque, ainsi que l'on sait, ceux de Jérusalem, de Rome et de Compostelle ; mais, tandis que les deux premiers étaient déjà fréquentés au IVème siècle, ce n'est guère qu'à la fin du IXème que Saint Jacques commença à attirer les pèlerins [Note : La première mention connue du pèlerinage de Compostelle date de 860. Sur ce pèlerinage, voir Mgr. Duchesne : Saint-Jacques en Galice dans Annales du Midi, T. XII (1900)].

Au début du XIIIème siècle, ils étaient tous les trois si courus que le Livre des Métiers d'Etienne Boileau indique les dispositions suivantes qui avaient dues être prises spécialement par les poissonniers parisiens en faveur des pèlerins : « ... Se aucun poissonnier gist malades, ou en la voie d'oustremer, ou en la voie monseigneur Saint-Jasques, ou à Rome, par quoi il ne peut user ne hanter en la vile de Paris le mestier devant dit en la manière desus devisée, sa fame ou aucun de son commendement, enfant ou autre, pueent user et hanter le mestier devant dit en la manière desus devisée, en toutes choses, en touz leus, tant que on sache la certeineté de sa mort, ou de sa vie, ou de sa revenue » (Edition Depping, Paris, 1837, p. 266).

Dans les pages qui suivent, nous nous proposons d'examiner succinctement la part qu'ont prise les bretons, du VIème au XIIIèmes siècle, aux pèlerinages de Rome et de Jérusalem et quels apports ils en retirèrent.

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Si l'on en croyait Guibert de Nogent, les Bretons auraient été des précurseurs. Quiry, un de leurs rois, parti pour la Terre Sainte, serait en effet parvenu à Jérusalem peu de temps après l'Ascension du Sauveur. « Choyé de la Vierge et des Apôtres », il aurait reçu le baptême et de précieuses reliques, entre autres les liens et les verges de la Passion ainsi que la couronne d'épines de Notre-Seigneur. Il aurait ensuite repris le chemin du retour ; mais, malheureusement pour les Bretons, serait mort à Nogent laissant là son trésor.

Toujours d'après des récits fabuleux, un Breton du nom de Jacques aurait été fait archevêque d'Antioche en 445 ; et, en juin 514, le roi Arthur en personne aurait pris Jérusalem et mis dedans « des bons Cristiens qui nettement gardèrent le Sépulcre et y domorèrent enssi longtemps » (Jean des Preis, dit d'Outremeuse : Ly mireur des histoires).

Egalement, si l'on en croyait leurs biographes, nos vieux saints bretons auraient effectué de nombreux pèlerinages soit à Rome soit à Jérusalem. Selon eux, Saint Petrok fit un voyage à Rome vers 550 ; puis, ayant prophétisé à faux, il y retourna et gagna ensuite Jérusalem ainsi que les frontières les plus lointaines de l'Inde ; Saint Patern, Saint David et Saint Theliau allèrent de compagnie en Terre Sainte et reçurent ensemble la consécration épiscopale du patriarche de Jérusalem. Saint Cado, suivant Lifris, fit trois fois le pèlerinage d'Orient et sept fois celui de Rome ; et Saint Budoc, suivant Baudry, fit également le voyage d'outre-mer et en rapporta à Dol de précieuses reliques. Neventer et Derrien allèrent également à Jérusalem, ainsi que Saint Congar qui y mourut, dit-on.

Saint Tugdual est, lui aussi, réputé avoir été à Rome et même y avoir été couronné pape ; Saint Goulven, Saint Briac, Saint René, Saint Judoce sont mentionnés également parmi les pèlerins de la Ville éternelle, ainsi que Saint Colomban qui y aurait reçu de Grégoire le Grand l'une des urnes de Cana, conservée actuellement encore au trésor de Bobbio.

Saint Martin de Vertou, enfin, s'attira la reconnaissance de l'Europe entière en accommodant tous les chemins menant aux tombeaux des saints Apôtres. Pèlerin infatigable, il rasait les montagnes, bâtissait des ponts admirables et faisait sourdre des fontaines là où il était nécessaire.

Légende évidente, dans l'ensemble, que tout cela ; mais qui vient confirmer pleinement combien du VIIIème au XIIème siècle, époque où furent rédigées ces Vies, les pèlerinages des Bretons étaient fréquents [Note : L'abbé Duine indique que dans l'hagiographie bretonne, les pèlerinages hiérosolymitains caractérisent les pièces du Xème au XIIème siècle (La Métropole de Bretagne, Paris, 1916, p. 59). L'examen des Vies des Saints, d'ailleurs datées par ce savant auteur, montre qu'il faut avancer la première date au moins jusqu'au VIIIème siècle]. Ces récits contiennent en outre un grand nombre de détails fort précieux, ainsi que nous le verrons plus loin ; car, s'ils n'ont aucune valeur pour la période à laquelle ils prétendent se rapporter, il n'y a, par contre, aucune raison de douter de leur authenticité pour l'époque où ils furent relatés.

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Quittant la légende, examinons maintenant la réalité à la lueur des trop rares documents qui nous sont parvenus. Nous noterons tout d'abord que ces pèlerinages étaient entrepris soit par piété, soit pour obtenir l'absolution d'une faute grave relevant de la Papauté, soit enfin à l'occasion de mission spéciale auprès du Saint-Père.

Dès le VIème siècle, Grégoire de Tours remarque l'attrait qu'exerçaient les lieux saints sur ses contemporains et mentionne particulièrement la visite que lui fit un prêtre breton, nommé Winnoch, qui lui manifesta en 577 son désir de se rendre à Jérusalem [Note : Grégoire de Tours : Histoire des Francs, édition Poupardin, Paris, 1913, livre V, p. 180. — On trouve une longue liste des pèlerins de Jérusalem du IIIème au VIème siècle dans : Itinera Hierosolymitana, édition Tobler et Molinier, Genève 1879]. L'un des prédécesseurs de Grégoire, Licinius, qui écrivit la lettre bien connue aux deux prêtres bretons Louocat et Cathiern, avait d'ailleurs parcouru la Palestine vers 490 ; et, en 507, Epiphanius, évêque de Nantes, avait également visité les lieux saints et en avait rapporté une relique de Saint Etienne (D. Chamard : Vie des SS. de l'Anjou, T. I, p. 193. Cet évêque siégea en 511 au concile d'Orléans). Au siècle suivant, malgré la prise du Saint Sépulcre, par les Perses d'abord, puis par les Arabes, les pèlerinages n'y cessèrent pas, non plus qu'à Rome où se rendit Saint Kilian, contemporain et compatriote de Saint Fiacre. Au début du VIIIème siècle (715-720), un évêque de Rennes, Moderannus, entreprit également, suivant Flodoard, ce dernier pèlerinage à la suite duquel il se retira au monastère de Berceto au-dessus de Lucques. Quant aux pèlerinages des Bretons en Terre Sainte, ils étaient alors si fréquents que les annales anciennes eurent soin de mentionner, à propos de la rigueur de l'hiver 763, que le Bosphore et le Pont Euxin gelèrent dans un espace de plus de soixante lieues (Ch. Le Maoût : Annales Armoricaines, Saint-Brieuc, 1846).

Au IXème siècle, le pèlerinage de Saint Pierre était très populaire, et l'on sait que lorsqu'en 846 les Sarrazins s'emparèrent d'Ostie avant de piller Rome, ils se heurtèrent à une légion de pèlerins francs. Actard, évêque de Nantes, fit alors de nombreuses fois le voyage d'Italie, chargé auprès du Souverain Pontife de missions du roi ou des conciles. A la même époque, la Borderie relate le curieux pèlerinage d'un habitant d'Aleth du nom de Wiomarch, qui, dans un accès de rage, avait tué ses trois fils. Son évêque, Rethwalar, lui imposa un régime de pénitence et l'obligation d'aller demander l'absolution au pape Nicolas Ier (858-867). Celui-ci lui prescrivit d'abord un pèlerinage à la basilique Saint-Michel du Mont Gargan, puis le renvoya dans son pays, excommunié pour sept ans, avec une lettre pour l'évêque détaillant le régime pénitentiel auquel il devait être soumis pendant ce temps [Note : De la Borderie : Histoire de Bretagne, Rennes, 1906, T. II, p. 286. — Les pèlerinages à Rome pour faute grave n'étaient pas exceptionnels. La vie légendaire de Saint Goulven mentionne, par exemple, la macabre pénitence imposée par le saint à un homme que lui avait adressé l'évêque de Léon. Ce pénitent, ayant fait voeu d'aller à Rome avec l'un de ses voisins, avait si bien différé son voyage que son compagnon était mort sans avoir accompli sa promesse. Saint Goulven ordonne au survivant de faire le pèlerinage en emportant avec lui, cousus dans un sac de cuir les restes de son ami].

Peu après, en 872, le roi Salomon, désirant faire le voyage de Rome, mais ne pouvant s'absenter, envoya auprès du pape une ambassade conduite par l'évêque de Vannes et son archidiacre, délégation portant de riches présents, entre autres une statue d'or, de la taille du roi, enrichie de pierreries [Note : Cette mention d'une statue à une époque où la statuaire semble extrêmement rare est à retenir]. Adrien II, en retour, accorda à Salomon des reliques de Saint Léon et le privilège pour tous les Bretons, que leur âge, leur sexe, ou leur fonction, empêcherait d'accomplir le pèlerinage de Rome, de le remplacer par trois visites dans l'année à ces saintes reliques [Note : Cartulaire de Redon, édition de Courson, Paris, 1863, p. 68, charte n° XC. L'éditeur l'a faussement datée de 884. Il est manifeste qu'elle est antérieure à novembre 872, date de la mort d'Adrien II, et postérieure à la lettre de Salomon de 871].

Mais, de tous les pèlerinages du IXème siècle, l'un des plus connus, et en tout cas des plus typiques, est certainement celui de Fromond relaté dans les « gesta, sanctorum rotonensium ». Pour expier un crime, ce seigneur partit pour les lieux saints chargé de chaînes et accompagné de deux de ses frères. A Rome, ils reçurent une lettre de recommandation du pape Benoît III (855-858) et gagnèrent Jérusalem. De là, ils se rendirent en Egypte où pendant deux ans ils visitèrent différents monastères ; puis à Carthage, où ils révérèrent les reliques de Saint Cyprien. Ils revinrent à Rome où ils reçurent la bénédiction du Souverain Pontife, puis retournèrent au Saint Sépulcre, visitèrent la Galilée, l'Arménie et le rivage de la mer Rouge où ils contemplèrent l'endroit où s'était arrêtée l'arche de Noë, et burent à Cana du vin du miracle. Par Rome, ils gagnèrent enfin la Bretagne où Fromond perdit l'un de ses frères et se rendit, quant à lui, au monastère de Redon (Peregrinatio Frotmundi, dans : Acta Sanctorum, 24 oct. T. X, p. 847).

A la fin du IXème siècle, les Maures, partis de leur base de Fraxinetum près Saint-Tropez, interceptent les communications entre la Gaule et l'Italie par les Alpes. Pèlerins et voyageurs sont alors rançonnés ou massacrés ; et, en 939, les Sarrazins poussent même jusqu'à Saint-Gall ; aussi, au Xème siècle, les pèlerins furent, semble-t-il, plus rares. Les Bretons étaient d'ailleurs fort occupés à réparer les désastres de l'invasion normande ; cependant, à la fin de ce siècle, un sourd-muet de Nantes, ayant miraculeusement retrouvé ses sens lors de la procession faite pour la reconstruction de l'église Saint-Similien, alla visiter les saints lieux de Jérusalem où il mourut d'ailleurs. Peut-être également, le moine Bernard, qui entreprit en 970 le voyage d'outre-mer, était-il Breton, car il a soin de mentionner, au cours du pèlerinage qu'il fit au Mont-Saint-Michel à son retour, que l'abbé Phinimontius était Breton. De Rome, il gagna Tarente où il s'embarqua pour Alexandrie, et, après avoir visité le Caire, se rendit à Jérusalem par Tannis et Gaza (Itinera Hierosolymitana, loc. cit.).

En 972, la capture du célèbre abbé de Cluny, Mayeul, au passage du grand Saint-Bernard, détermina une action énergique contre les Maures et la destruction de leur base de Saint-Tropez ; aussi, au XIème siècle, les pèlerinages à Rome sont-ils à nouveau fréquents. Par exemple, en 1008, le duc Geofroy se rend aux tombeaux des apôtres, mais meurt en voyage, et, en 1028, l'évêque de Quimper, Orscand, et la comtesse Judith vont faire part au pape Jean XIX du songe d'Alain Caignart.

Quant à la Terre Sainte, au début du XIème siècle, en 1009, un événement considérable s'y produisit, ainsi que l'on sait : le calife fatimite Hakim Biamrillah ordonna la destruction de fond en comble du Saint Sépulchre et de tous les établissements latins de Jérusalem (Voir à ce sujet : Anouar Hatem : Les poèmes épiques des croisades. Paris, 1932, p. 41). Al-Zahir, par traité de 1027 renouvelé en 1036, accorda aux chrétiens l'autorisation de relever le Saint Sepulchre ; aussi une multitude de pèlerins se rendit-elle à Jérusalem pour « restaurer la maison de Dieu » parmi lesquels Gauthier, évêque de Nantes, et plusieurs centaines de Bretons de l'évêché de Vannes. La restauration fut achevée en 1048 ; mais, dès, 1056, les chrétiens furent chassés ; et, en 1071, les turcs seldjoukides envahirent l'Asie Mineure, puis s'emparèrent de Jérusalem, de Damas et enfin d'Antioche en 1084. Dès 1056, l'idée de délivrer le Saint Sépulchre avait commencé à se dessiner en Occident ; mais, les musulmans d'Espagne préoccupant bien davantage la papauté, Urbain II déclara en juillet 1089 que tous ceux qui, en argent ou autrement, contribueraient à reconstruire Tarragone pour en faire un boulevard contre les infidèles, gagneraient toutes les indulgences du voyage à Jérusalem. Ce n'est qu'à partir du concile de Clermont que les regards se tournèrent définitivement vers l'Orient ; et l'on sait combien nombreux les Bretons participèrent aux croisades à partir de 1096 et entrèrent victorieux à Jérusalem le 15 juillet 1029 [Note : Sur le rôle des Bretons aux croisades, voir H. de Fourmont : L'Ouest aux Croisades, Nantes, 1864-67, tomes I et II].

Bornons-nous à rappeler parmi ces pieux voyageurs : Guiomar et Hervé de Léon (1096) ; Alain Fergent, qui revint de la croisade en août 1101, Geffroy le Roux, son second fils, qui mourut à Jérusalem en 1118 « à grant doleur de l'exercite christienne » ; Gervais de Dol et Rivallon de Dinan son cousin (1112) [Note : Voir le récit de leurs aventures dans : Migne : P. L. Tome 188, col. 821 et suiv.] ; la duchesse Ermengarde, qui séjourna plusieurs années en Terre Sainte (1130-1134) et entreprit de relever l'église que Sainte Hélène avait jadis édifiée à Naplouse sur le puits de la Samaritaine [Note : Elle ne put achever cette reconstruction à cause de l'attaque des Bédouins, et M. l'abbé Bourdeaut a montré que la fondation de l'abbaye de Buzay était probablement due à cet inachèvement. Voir abbé Bourdeaut : Ermengarde, comtesse de Bretagne, Nantes, 1936] ; Geffroy du Guesclin (vers 1150) ; André II de Vitré (1184) ; Mériadec de Sérent (1190) ; Alain de Pontbriand, etc., etc.

S'il ne s'agit là que d'importants personnages, parce que les mentions les concernant ont subsisté de préférence, d'autres preuves demeurent cependant de la vogue des pèlerinages. En 1093, par exemple, Guillaume, receveur de l'évêque de Nantes, donne à Sainte-Croix de Quimperlé le tiers des biens qu'il possédera à son décès et ajoute « que si la dévotion le prend d'aller en pèlerinage à Saint-Pierre ou à Saint-Jacques ou en autre lieu saint éloigné et qu'il y meurt, les religieux jouiront en paix de sa donation suivant cet accord ».

Nous savons, d'autre part, quelle foule pèlerins de tous âges et des deux sexes accompagna les premiers croisés. Rappelons qu'embarqués sur treize navires génois et plusieurs navires anglais, ils abordèrent à Port Saint-Siméon les premiers le 17 novembre 1097 et les seconds le 4 mars 1098.

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Les routes de pèlerinages menant à Rome et à Jérusalem sont bien connues depuis le IVème siècle ; mais différents itinéraires, qui ont d'ailleurs varié avec les circonstances, s'offraient aux pèlerins. Ces derniers pouvaient notamment choisir entre ceux purement maritimes et ceux presqu'uniquement terrestres (Voir Itinera Hierosolymitana, loc. cit.).

La route maritime était évidemment la plus simple et la plus naturelle pour les Bretons. C'est celle indiquée dans la Vie de Saint David, de Saint Theliau et de Saint Paterne, et ce fut celle généralement suivie par les croisés bretons à partir du XIIème siècle. Cependant, du milieu du VIIIème à la fin du XIème siècle, les Musulmans contrôlant toute la Méditerranée occidentale et la navigation y étant de ce fait peu sûre, il semble que la route terrestre ou tout au moins un itinéraire mixte avec embarquement en Italie aient été seuls utilisés [Note : Rappelons qu'à partir de 711 les Sarrazins envahirent l'Espagne et firent jusqu'à la fin du VIIIème siècle de nombreuses incursions en France, prenant Carcassonne et Nîmes, en 725, Bordeaux en 732, Avignon en 736 et occupant Narbonne jusqu'en 759. D'autre part, ils remontèrent le Rhône jusqu'à Arles en 842, 850 et 869, conquirent la Sicile de 827 à 902 et la conservèrent jusqu'à la fin du XIème siècle. Ils occupèrent également Bari de 841 à 870 et dévastèrent en même temps le Mont Gargan. Pendant tout le IXème siècle enfin, ils interceptèrent toutes les communications entre la France et l'Italie par les Alpes].

Beaucoup de pèlerins, tels les croisés de 1096, préféraient d'ailleurs ce dernier qui leur permettait d'admirer à Constantinople les édifices élevés par Constantin et ses successeurs et de parcourir des lieux saints avant de parvenir à Jérusalem. D'Italie, après s'être mis sous la protection de Saint Michel de Monte Gargano, ils traversaient l'Adriatique et débarquaient soit à Raguse, soit à Cattaro, soit à Scutari d'Albanie. De là, par Skoplie, Philoppopoli et Andrinople, ils arrivaient à Constantinople. Après avoir traversé le Bosphore, par Scutari, Nicomèdie, Nicée, Laodicée, Tarse et Payas, ils atteignaient la Syrie à Antioche. De cette grande citée, par Tripoli, Beyrouth et Damas, ils ne manquaient pas de se rendre à Cana, puis à Capharnaum et Nazareth. Enfin, par Sichem où se trouvait la si curieuse église à quatre nefs construite sur le puits de Jacob, ils atteignaient la colline de Montjoie d'où ils découvraient Jérusalem [Note : On sait que l'origine des montjoies est fort ancienne. C'étaient primitivement des monceaux de pierres que dressaient les pèlerins et sur lesquels ils plantaient des croix aussitôt qu'ils apercevaient le lieu de dévotion où ils se rendaient en pèlerinage. Par extension, on appela également ainsi les oratoires jalonnant les routes de pèlerinages. A Rome, le Mons Gaudii, à Jérusalem et à Compostelle les collines de Montjoie rappellent les lieux d'où, pour la première fois les pèlerins apercevaient ces cités saintes. A Jérusalem, ce fut sur cette colline que fut édifié le premier bâtiment hospitalier de l'ordre éphémère de Notre-Dame de Montjoie, ordre que rappellent en Bretagne les établissements de Brélévenez et, par déformation, de Merlévenez].

Quant aux pèlerins se rendant en Terre Sainte sans faire le voyage de Rome, ils empruntaient la grande voie des Nations et gagnaient Constantinople par Vienne et Budapest.

Rares sont les Vies des saints bretons qui nous donnent quelques détails sur ces itinéraires ; cependant, celle de Saint Briac indique qu'allant à Rome le saint s'embarqua en Provence pour Gaëte et qu'il revint par Marseille et Arles où il séjourna deux ans ; celle de Saint Moderan, son passage par Reims ; et celle de Saint Kilian, son retour par Meaux. Quant à la Vie de Saint Servan, elle mentionne que du pays de Chanaan, dont il était originaire, le saint se rendit à Constantinople, puis à Rome, où, le siège étant vacant, il fut, comme Saint Tugdual, élu pape. Toujours suivant la même Vie légendaire, il abandonna au bout de peu de temps le trône de Saint-Pierre pour se rendre en Ecosse et subit en traversant les Alpes tous les tourments que l'enfer peut inventer [Note : Saint-Servan, qui avait étudié à Alexandrie, fut sans doute l'un de ces nombreux moines, qui, après la conquête arabe, quittèrent l'Egypte, soit pour l'Italie, soit pour les monastères irlandais alors fort réputés. M. Perdrizet, dans les Mélanges offerts à M. Nicolas Jorga par ses admirateurs, a signalé à ce sujet, d'après le Cartulaire de Landevennec, plusieurs rites empruntés aux pères du désert et plusieurs traits communs à la vie des moines bretons et des moines égyptiens].

C'est qu'au moyen âge, voyages et pèlerinages n'allaient pas sans quelques dangers. Il en avait sans doute toujours été ainsi, car les fouilles d'Ur ont récemment mis à jour une petite chapelle dédiée à Pa-Sag, déesse chargée de protéger les voyageurs s'aventurant dans le désert 2500 ans avant notre ère ; et les gallo-romains, eux, érigeaient à certains carrefours des statues au dieu au maillet, protecteur des chemineaux, dont l'une subsiste, d'ailleurs très mutilée, dans les Côtes-du-Nord (Côtes-d'Armor), au village du Rillan, en Saint-Brandan [Note : Rappelons qu'il subsiste plusieurs beaux exemplaires de ces statues, notamment au musée de Beaune et à celui de Trêves. Une petite statuette existe également à Paris au Cabinet des Médailles (Collection Caylus n° 694)].

Que ce soit par mer ou par terre, l'on risquait fort soit de faire naufrage ou d'être emmené en captivité, soit d'être détroussé ou de succomber en route, et nombreux sont les pèlerins bretons qui, comme le duc Geffroy et Riou de Lohéac, n'eurent pas la joie de revoir leur patrie. Aussi Saint Suliau détournait-il sagement l'abbé Guimarch du long et pénible pèlerinage de Rome, dans lequel, ajoutait-il malicieusement, la curiosité pouvait bien avoir souvent autant de part que la dévotion.

Au VIIème siècle, entre 663 et 675, au retour d'un voyage à Rome, un évêque de Rennes du nom de Didier fut assailli et assassiné par des malandrins sur la route de Delemont ainsi que le prêtre Reinfroy qui l'accompagnait, et leur tombeau fut l'origine de la ville de Saint-Dizier [Note : Cet événement est relaté dans la « Passio sanctorum. Desiderii episcopi et Reginfridi », écrite entre le IXème et le XIème siècle ; voir à ce sujet : Duine : Memento des sources hagiographiques de l'Histoire de Bretagne, n° 27. Mgr. Duchesne était sceptique sur l'existence de cet évêque de Rennes ; voir : Fastes Episcopaux, T. II, p. 345]. Pareille mésaventure arriva d'ailleurs également au XIème siècle à Saint Coloman, qui, se rendant en Terre Sainte et pris pour un espion, fut assassiné à Stockerau, le 17 juillet 1012 ; puis, au XIIème siècle, à Yves Le Breton, évêque de Tréguier, qui se rendant à Rome, fut dévalisé de ses biens et tellement battu qu'il mourut huit jours après [Note : R. Couffon : Un catalogue des évêques de Tréguier rédigé au XVème siècle, Saint-Brieuc, 1930, p. 42. Plusieurs catalogues, épiscopaux mentionnent ainsi le décès d'évêques au cours d'un voyage en Terre Sainte, par exemple celui d'Avesgaud, évêque du Mans survenu à Verdun à son retour en 1036 et celui de Rambert, évêque de Verdun, en 1038]. Béde rapporte qu'au VIIème siècle un évêque de Gaule du nom d'Arculfe, regagnant son siège après un pèlerinage en Terre Sainte, fit naufrage sur les côtes de Grandes Bretagne [Note : Il dicta la curieuse relation de son voyage à l'abbé Adamnan, relation contenant des croquis fort précieux des plans des principaux édifices. Voir Itinera Hierosolymata, loc. cit.], et pareil accident faillit survenir à Foulques Nerra au large de Bari au début du XIème siècle. L'on sait qu'en reconnaisance de son salut, ce duc fonda le monastère de Saint-Nicolas d'Angers, qui, dans la suite, posséda plusieurs prieurés bretons [Note : Plusieurs sanctuaires ont la même origine. Rappelons, par exemple, qu'à Ravenne, l'église Saint-Jean l'Evangéliste fut construite par Galla Placidia en reconnaissance d'avoir échappé à la tempête en revenant de Constantinople en 424]. Jean, élu de Dol, mourut à Rome en allant s'y faire sacrer ; et Saint Concord, archevêque d'Armagh, mourut en odeur de sainteté en 1175 au prieuré bénédictin de Lemenc en revenant du tombeau des apôtres.

En dehors de ces dangers, des tentations diverses s'offraient également aux pèlerins, d'où l'adage : « Qui multum peregrinantur, raro sanctificantur », et Hildebert de Lavardin, hostile aux abus des pèlerinages, loue une noble dame d'avoir préféré à la vue de Jérusalem l'entrée du monastère [Note : Voir Duine : La Métropole de Bretagne, loc. cit., p. 60, extrait de Migne : P. L., tome 171, col. 148 et suiv. Rappelons à ce sujet qu'Hildebert de Lavardin fut évêque du Mans de 1096 à 1125 et nommé ensuite à l'archevêché de Tours. N'étant encore qu'archiprêtre, il se rendit en Apulie chercher pour la cathédrale du Mans le trésor donné par Geffroy de Mayenne et contenant un grand nombre de reliques et d'objets précieux venant d'Orient. La curieuse description de ce trésor a été publiée dans : Actus Pontificum Cenomannis an urbe degentium, Le Mans, 1902, pp. 417 et suiv.].

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S'il est impossible de déterminer exactement la fréquence des pèlerinages bretons à Rome et en Terre Sainte du VIème au XIIème siècle, les exemples précédents montrent cependant qu'il y eut pendant toute cette période un contact constant entre la Bretagne, l'Italie et l'Orient. Nous allons examiner maintenant quelles influences s'exercèrent en conséquence sur la Bretagne, et plus particulièrement dans les domaines religieux et artistiques.

Au point de vue littéraire, en effet, après les études magistrales et classiques de MM. Bédier et Faral sur le cycle épique breton et sur ce qu'il doit aux pèlerinage, il n'y a rien à ajouter. Nous rappellerons cependant dans ce domaine une remarque importante de l'abbé Duine signalant combien les pèlerinages de Terre-Sainte avaient développé en Bretagne le goût des noms grecs, notamment dans le pays de Dol où le seigneur Main, né à la fin du Xème siècle, s'appelait Théogenète, et la femme de Jean II de Dol-Combour Basilia (Abbé Duine : La Métropole de Bretagne, loc. cit.), prénom que portait également à la fin du XIème siècle la femme de Gauthier Hay, seigneur de la Guerche.

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Au point de vue religieux, qu'il s'agisse de récits légendaires ou historiques, un fait domine nettement tous les autres : l'attrait qu'exercèrent sur les Bretons, ainsi d'ailleurs que sur tous leur contemporains, les saintes reliques, et l'avidité qu'ils eurent d'en posséder.

Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit du légendaire Quiry, mais nous rappellerons que, suivant son biographe, Saint Judoce reçut du Pape une écharpe de pèlerin « toute garnie de reliques de Saints et cousue à ouvrage d'aiguille fort artistement », que Saint Briac fut également enrichi par le Saint Père de plusieurs reliques précieuses, et que Saint Budoc rapporta de Jérusalem plusieurs reliques à Dol. L'abbaye de Rhuys prétendait, quant à elle, posséder le calice de la Cène, celui-là même que les pèlerins anciens pouvait contempler dans la basilique du Golgotha ; et l'abbé Daïoc, fuyant l'invasion normande, reçut un accueil empressé à Deols pour l'avoir exhibé avec son trésor. Plouézec se targuait de posséder le berceau de la Sainte Vierge [Note : La chapelle de Notre-Dame du Gavel avait été élevée pour renfermer le précieux berceau. Tombée en ruines au XVIIème siècle, elle fut relevée en 1634, mais vendue comme bien national le 17 thermidor an IV et détruite] et Dol l'un des dés ayant servi à jouer la tunique de Notre-Seigneur. La duchesse Ermengarde rapporta, elle aussi, de nombreuses reliques d'Orient ; enfin, en 1101, Gauthier, fils de Judicaël de Lohéac, donna à Redon une parcelle de la vraie croix, une parcelle du sépulchre du Christ et plusieurs de divers sanctuaires que son frère Riou avait achetées à Jérusalem, et qu'au moment de mourir, sur le chemin du retour, il avait confiées à Simon de Ludron.

Ce désir des pèlerins de rapporter des reliques et l'accueil enthousiaste qu'elles reçevaient firent d'ailleurs naître un véritable commerce. Le Cartulaire de Redon mentionne à ce sujet l'association qu'avaient faite deux religieux, David et Morund, pour exhiber des reliques plus ou moins authentiques de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge, et l'importante donation en leur honneur qu'ils reçurent en 852 d'un clerc nommé Théodoric (Cartulaire de Redon, loc. cit. Appendice n° 35, p. 367). Aussi est-il permis de douter, avec l'abbé Duine, de l'authenticité de certaines de ces reliques. Notre si regretté ami Le Guennec n'avait-il pas découvert en effet dans un inventaire du château de Lesquiffiou la mention d'un flacon contenant les larmes de la Sainte Vierge ! [Note : Ce reliquaire n'était, il est vrai, pas plus extraordinaire que ceux du lait de la Sainte Vierge et du lait de Sainte Catherine exhibés au trésor ecclésiastique de Vienne].

Quoi qu'il en soit, c'est grâce à cet apport de reliques par les pèlerins que s'est propagé le plus souvent en Bretagne, comme ailleurs, le culte des saints étrangers en général, et celui des saints orientaux en particulier ; et peut-être n'est-il pas inutile de rappeler ici très brièvement le processus de cette propagation.

Il convient, tout d'abord, de faire une distinction profonde entre l'Occident et l'Orient, ainsi que l'a si remarquablement exposé le Père H. Delehaye (H. Delehaye S. I. Bollandiste : Les origines du culte des martyrs, Bruxelles, 1912).

Tandis qu'en Orient l'on procéda dès le IVème siècle à des translations solennelles de corps saints et que l'on n'hésita pas à diviser leurs reliques, en Occident, au contraire et jusqu'au VIIème siècle tout au moins, les reliques des martyrs étaient intangibles et ne furent levées de terre que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles.

Il en résulte que, tandis qu'en Orient la propagation du culte des saints par les reliques eut lieu de très bonne heure, en Occident, elle ne fut qu'exceptionnelle avant la fin du VIIème siècle, et donc très postérieure à l'organisation religieuse de l'Armorique par les Bretons, organisation d'ailleurs très particulière ainsi que l'a si remarquablement démontré Largillière (Largillière : Les saints et l'organisation chrétienne primitive dans l'Armorique bretonne, Rennes 1925).

En Occident, il était coutume de vénérer des objets n'ayant d'autre caractère sacré que celui d'avoir été en contact plus ou moins lointain avec la chasse du saint, objets connus sous le nom de pignora ou bandea. Grégoire de Tours rapporte, par exemple, qu'il avait arraché, pour s'en faire une sauvegarde, quelque peu de la frange du voile qui recouvrait à Brioude le tombeau de Saint Julien, et que des moines de Tours, construisant une basilique en l'honneur de ce martyr, sollicitèrent de lui cette précieuse relique.

Plus tard, vers le VIIIème siècle, on leva, comme en Orient, les corps saints, élévation qui eut, ainsi que l'on sait, une répercussion considérable sur le plan des églises, et l'on divisa également leurs reliques. Nous avons vu que le Pape Nicolas Ier fit présent de reliques de Saint-Léon au roi Salomon en 866, et que celui-ci gratifia de nombreuses reliques le monastère de Maxent. Les pieux, larçins ne cessèrent pas pour cela, bien au contraire. Rappelons que les moines de Redon, dirigés par Saint-Convoion en personne, ravirent à leurs frères angevins le corps de Saint Hypothème vers 840 ; et que, quelques années plus tard, vers 849, le corps de Saint Magloire fut dérobé aux moines de Serk par ceux de Léhon.

En Orient, les fidèles voulaient des reliques réelles, aussi les translations se succédèrent-elles nombreuses dès le IVème siècle [Note : L'une des premières translations mentionnées est celle de Saint Babylas vers 351-352, suivie de près, en 356, par celle des reliques de Saint Timothée, et, l'année suivante par celles de Saint André et de Saint Luc], notamment pour enrichir les grandes églises de Constantinople érigées par Constantin et ses successeurs, translations qui s'effectuaient en grande pompe. A propos de celle des reliques du prophète Samuel, de Judée dans le sanctuaire construit à Constantinople par Arcadius (décédé en 408), Saint Jérôme donne de curieux détails. Il indique que les restes sacrés étaient enveloppés dans un précieux tissu de soie et portés solennellement par des évêques ; et que, sur tout le parcours, les fidèles, accourrus en grand nombre, manifestaient autant de joie que s'ils eussent vu le prophète en personne. Un ivoire bien connu du trésor de la cathédrale de Trêves représente précisément l'une de ces translations au temps de Sainte Hélène et de Constantin et vient confirmer pleinement le témoignage du vénérable Père.

Translation de reliques à Constantinople.

De grandes basiliques s'élevèrent ainsi dans tout l'Orient pour abriter ces reliques, sanctuaires que ne manquaient pas de visiter les pèlerins au cours de leurs voyages. Les principaux étaient comme l'on sait : à Chalcédoine, l'église Sainte-Euphémie et celle de Saint-Christophe ; à Tarse, l'église Saint-Cyr et Sainte-Julitte ; à Diospolis, l'église Saint-Georges ; à Antioche, l'église Saint-Lucien ; à Ephèse, la basilique de Saint-Jean rebâtie par Justinien, l'église des sept dormants et celle de Sainte-Timothée ; à Coesarée, l'église Saint-Procope et les tombeaux de Saint Pamphile et de Saint Corneille ; à Edesse, la basilique de Saint-Thomas ; à Dara, celle de Saint-Barthélemy ; à Euchaïta, celle de Saint-Théodore ; à Séleucie, l'église de Sainte-Thècle ; à Sébaste, l'église de Saint-Blaise. Enfin, avec Ephèse, nul sanctuaire n'était plus renommé que la grande basilique de Rosapha contenant le tombeau de Saint Serge.

Outre les sanctuaires édifiés en l'honneur des reliques des martyrs, d'autres s'élevaient également aux lieux importants de la vie publique et de la Passion de Notre-Seigneur. Avant tout, c'étaient les quatre églises élevées à l'emplacement du Calvaire et du Saint Sépulchre, et la basilique du Mont Sion où l'on montrait le lieu de la Cène, la colonne de la Flagellation, l'emplacement où s'était accomplie la Pentecôte, enfin celui de la Dormition de la Sainte Vierge. Accolée à cette dernière basilique, une petite chapelle rappelait l'emplacement de la lapidation de Saint Etienne. Au Mont des Oliviers était l'église de l'Ascension ; à Gethsémani, le tombeau de la Sainte Vierge ; à Bethléem, la basilique de la Nativité au choeur tréflé ; et à Béthanie, l'église édifiée sur le sépulchre de Lazare. Après son invention par Sainte Hélène, la sainte Croix fut l'objet d'une dévotion toute particulière, la possession d'une parcelle étant enviée de tous les pèlerins. On raconte à ce sujet que l'un d'eux, quand vint son tour de la vénérer, en arracha un morceau d'un coup de dents ; aussi, dès le IVème siècle, selon Saint Cyrille, tout l'univers en eut des reliques.

En Occident, ainsi que nous l'avons dit plus haut, les translations furent extrêmement rares avant le VIIIème siècle. Cependant l'on peut citer celles, à Milan, des corps de Saint Gervais et Protais dont l'invention fut faite par Saint Ambroise [Note : L'évêque de Tours, Eustochius, avait élevé dans sa ville épiscopale une basilique pour y déposer des reliques de Saint Gervais et Saint Protais rapportées d'Italie par Saint Martin lui-même], et des reliques de Saint Nazaire et Saint Celse en 395 ; celles à Bologne de Saint Vital et de Saint Agricola ; celle de Saint Eutrope à Saintes ; de Saint Ferréol à Vienne, de Saint Julien à Brioude.

Certains grands personnages bretons purent obtenir des reliques qu'ils apportèrent en Bretagne où ils élevèrent des sanctuaires en leur honneur. L'évêque de Nantes, Epiphanius, avait, dès le début du VIème siècle, rapporté d'Orient une relique de Saint Etienne [Note : L'église Saint-Etienne de Nantes est un petit édifice rectangulaire dont certaines parties sont fort anciennes. L. Maître prétend qu'elles sont antérieures à l'épiscopat d'Epiphane qui y fut enterré, mais les arguments de ce savant auteur sont loin d'être probants] ; Félix, à l'occasion de la dédicace de sa cathédrale, obtint une relique de Saint Ferréol ; et, à la même époque est mentionnée l'édification d'une basilique dédiée à Saint Nazaire « in quodam vico » de l'évêché de Nantes afin d'abriter une relique de ce saint [Note : Origine de la ville actuelle de Saint-Nazaire]. Le culte de Saint Cyr [Note : L'on sait que Saint Cyr était moine et médecin. L'on montrait au pèlerins, à Alexandrie, le cabinet où il donnait ses consultations] et de Sainte Julitte fut introduit de bonne heure en Bretagne. Un monastère leur était dédié à Rennes avant les invasions normandes et fut restauré en 1037 ; une église de Nantes, également détruite par les barbares, leur était aussi consacrée et fut relevée en 1038 ; enfin, une autre existait fort anciennement dans la presqu'île de Rhuys, suivant le cartulaire de Quimperlé, et leur culte s'est perpétué, aujourd'hui encore, dans la paroisse de Pleubian, par exemple. Saint Serge et Saint Bacchus furent également l'objet d'un culte précoce. Un petit monastère leur était en particulier dédié dans la forêt de Quénécan, à l'emplacement de la chapelle actuelle de Guermané, ainsi qu'il résulte d'un acte de 871 du cartulaire de Redon [Note : Cartulaire de Redon, loc. cit., Charte CCXLVII, p. 198. Rappelons que Grégoire de Tours déposa en divers sanctuaires de sa ville épiscopale des reliques de Saint-Serge et qu'Erispoë déposa dans la célèbre abbaye angevine dédiée à ce saint le corps de Saint Brieuc]. Rappelons également qu'à l'époque du roi Salomon, des reliques de Saint Mathieu apportées en Bretagne furent l'origine de la fondation de la grande abbaye finistérienne [Note : Au sujet de toutes les légendes ayant couru à ce sujet, voir Loth : Le texte original de la translation des reliques de Saint Mathieu en Bretagne, dans Annales de Bretagne, t. XVIII, p. 603]. Saint Gervais et Saint Protais, Saint Cosme et Saint Damien furent également honorés de bonne heure d'un culte en Bretagne. Quant à Saint Georges, qui avait une chapelle dans le Maine dès le VIème siècle, il ne vit, semble-t-il, son culte introduit en Bretagne qu'à la fin du XIème siècle par la fondation de la célèbre abbaye rennaise qui le propagea ensuite. C'est sans doute également à des pèlerins qu'est due, par exemple, l'introduction du culte de Sainte Thècle à Ploubezre et de Saint Florian à Plancoët, nous ne pouvons malheureusement en préciser l'époque [Note : Rappelons que Saint Florian, noyé sous Dioclétien, est invoqué contre les incendies. Son culte se répandit du monastère de Saint-Florian entre Linz et Vienne. Les paysans des Alpes l'invoquent ainsi : « Heiliger Sankt Florian, verschon mein Haus, Zünd's andere an » : Saint Florian, épargne ma demeure, incendie une autre]. De tous ces saints étrangers, beaucoup, tels Saint Zénon ou Saint Athanase [Note : Un village porte encore le nom de Saint-Zénon en la commune de Séglien, un autre celui de Saint-Athanase près Quimper], sont aujourd'hui bien oubliés, l'hagiographie populaire n'ayant conservé que les intercesseurs jugés par les foules les plus influents pour guérir de leurs misères les bestiaux et les êtres humains. D'autres ont vu un autre culte se substituer au leur, tels, ainsi que nous venons de le voir, Saint Serge et Saint Bacchus à Lescouët-Gouarec, tels les sept dormants d'Ephèse dont les statues subsistent toujours dans la curieuse chapelle du Vieux-Marché, mais qui y ont été supplantés par les sept saints bretons [Note : Grégoire de Tours avait traduit avec l'aide d'un interprète syrien la légende des sept dormants d'Ephèse ; et sans doute est-ce à partir de cette époque qu'elle se propagea dans l'ouest]. Par contre, au moyen âge, ainsi que l'a montré Largillière, ce sont au contraire nos vieux saints éponymes de paroisses qui ont été dénichés par des saints étrangers.

C'est d'Orient, enfin, que se propagea comme l'on sait le culte de la Sainte Vierge ; mais, ainsi que l'ont indiqué Loth et Duine, il ne pénétra que tardivement en Bretagne. Le plus ancien témoignage que le savant abbé ait retrouvé date seulement de 847 [Note : Duine : Bréviaires et Missels, Rennes, 1906, pp. 208 et suiv. Loth a indiqué, à ce sujet, combien il était remarquable qu'aucune paroisse avant le Xème siècle n'ait été sous le vocable de la Sainte Vierge en pays bretonnant] ; et Largillière a pu établir que les nombreux Loc Maria ne remontent seulement qu'au Xème siècle environ.

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Après les savantes et classiques études de MM. Baltrusaitis, Brehier, Deschamps, Diehl, Dussaud, Enlart, Jerphanion, Millet, Ramsay, Rey, Strzygowsky, de Vogue, pour ne rappeler que les principales, l'influence de l'Orient sur l'art occidental n'est plus à démontrer. L'on sait en particulier quel rôle important lui revient dans l'iconographie religieuse et quelle influence profonde les étoffes et les ivoires rapportés de Grèce, d'Egypte, d'Asie Mineure et de l'Inde ont eu sur la décoration romane.

Malheureusement, en ce qui concerne la Bretagne, l'invasion et l'occupation normande du Xème siècle, la guerre de succession du duché au XIVème, les guerres de religion du XVIème, enfin les innombrables destructions d'édifices religieux opérées depuis le XVIIème et surtout au XIXème n'ont laissé que bien peu d'objets ou de monuments sur lesquels apparaissent les influences orientales, nous les examinerons tout à l'heure. Par contre, quelques témoignages sont d'une importance considérable pour remédier à cette indigence.

Parmi le trésor donné par le roi Salomon à l'abbaye, Saint-Sauveur de Plélan le 17 avril 869, sont mentionnés, entre autres : une chasuble tissée d'or qui lui avait été offerte par Charlemagne ; un coffret d'ivoire de l'Inde merveilleusement gravé et rempli de précieuses reliques de saints ; un évangéliaire recouvert d'or et de plaques d'ivoire de Paros ; un sacramentaire avec couverture en ivoire de l'Inde, document fort important puisqu'il nous montre que des objets, tant de traditions hellénistiques qu'asiatiques, avaient pénétré en Bretagne et qu'il nous fait connaître un atelier d'ivoiriers grecs du IXème siècle [Note : Cartulaire de Redon, loc. cit. charte n° CCXLI, pp. 189 et suiv.. Le fait de trouver un atelier d'ivoiriers à Paros n'est d'ailleurs pas pour surprendre, la technique du travail de l'ivoire étant la même que celle du marbre].

La Vie légendaire de Saint Patern, écrite entre 1040 et 1081, mentionne que le saint reçut du patriarche de Jérusalem une belle crosse d'ivoire et une dalmatique tissée d'or qui excita la jalousie d'Arthur, seigneur du pays. Quant à ses compagnons, Saint David et Saint Theliau, ils reçurent un autel portatif, un bâton pastoral, une cloche et une paire de cymbales ayant un effet magique.

Enfin, la seconde Vie de Saint Tugdual, à peu près contemporaine de la précédente, indique, au sujet de son embaumement, qu'un fidèle ayant été au Saint Sépulchre avait rapporté de Jérusalem de la myrrhe, du baume, des aromates et beaucoup d'autres choses précieuses (« Nec non multa alia preclara et preciosa munera »).

Ainsi que de nos jours, beaucoup de souvenirs étaient en effet rapportés par les pèlerins ; et, si les plus pauvres se contentaient de cailloux du Cédron ou de palmes coupées dans le jardin d'Abraham, les plus riches achetaient, échangeaient ou recevaient en dons des objets de cuir ou d'orfèvrerie, des ivoires et des tissus.

Dans le récit des aventures de Rivallon de Dinan durant sa captivité, il est relaté que ce séduisant seigneur était vêtu de tissus de soie, don du calife dont il était le prisonnier ; et il est à signaler, à ce sujet, l'habitude que prirent, certains seigneurs revenant de la Terre Sainte de se vêtir ensuite à la mode orientale. Un curieux tableau, qui, il est vrai, ne semblait dater que de la seconde moitié du XVème siècle, mais peint peut-être d'après un document plus ancien, représentait ainsi Alain Fergent dant l'abbatiale de Redon [Note : Portrait reproduit dans l'Histoire de Bretagne de Dom Lobineau, Paris, 1707, T. I, face à la page 105 ; et dans celle de Dom Morice, Paris, 1750, T. I, face à la page 90].

Des quelques objets influencés par l'Orient et subsistant encore en Bretagne, nous rappellerons l'une des crosses en ivoire conservées dans le trésor de la cathédrale de Vannes et la chasuble dite de Saint Yves appartenant à l'église de Louannec.

La crosse en ivoire de Vannes paraît ne remonter qu'à la fin du XIIème siècle. Sa volute a l'extrémité amortie par une tête de dragon, et est, quant à elle, étrésillonnée par le beau motif oriental du lion égorgeant une gazelle... C'est là, ainsi que l'on sait, un motif fort ancien remontant à l'art barbare asiatique et que l'on a retrouvé notamment sur des cylindres de Suse datant de 3000 ans environ avant l'ère chrétienne, sur des plaques des fouilles de Tello, sur des monnaies macédoniennes de l'an 500 avant notre ère, etc., etc. [Note : C'était là un motif courant chez les ivoiriers et chez les marbiers. On le rencontre par exemple, sur le feuillet d'un dyptique byzantin de 506 conservé au Musée de Cluny, ainsi que sur un coffret d'ivoire faisant partie du trésor de la Cathédrale de Sens. Il figure également sur plusieurs bas-reliefs en marbre du musée byzantin d'Athènes et du musée d'Istanbul].

Vannes (Bretagne) : Crosse épiscopale en ivoire.

La chasuble de Louannec, dite de Saint Yves, parce qu'une tradition très ancienne et en tout cas très vraisemblable indique qu'elle fut portée par le saint pendant son rectorat, remonte au moins au XIIème siècle. Probablement est-ce là un tissu byzantin, mais elle est décorée de griffons affrontés entre lesquels se dresse, stylisé, le home ou arbre de Vie, montrant ainsi l'origine nettement sassanide du décor, dérivant lui-même de motifs sumériens et élamites fort anciens.

C'était d'ailleurs là un motif très répandu à l'époque romane, que l'on retrouve notamment sur un chapiteau du XIIème siècle des collections archéologiques du musée de Rennes [Note : Chapiteau trouvé lors de la démolition du couvent des Catherinettes et provenant de l'ancien cloître de Saint-Melaine. Ce beau motif, reproduit très souvent, se retrouve entre autres sur l'ornementation de certaines portes de bronze, à Amalfi, par exemple].

Louannec (Bretagne) : Chasuble dite de saint Yves.

S'il est à peu près certain que les rares chapiteaux romans historiés conservés en Bretagne y furent introduits par les ateliers des grandes abbayes ligérines et poitevines auxquelles fut confiée, au XIème siècle, la réforme des abbayes bretonnes, et si la présence à Nantes, à Rhuys et à Redon de chapiteaux en calcaire dénote probablement une importation directe des ateliers saintongeais, sans nul doute, les pèlerinages avaient développé le goût de l'iconographie orientale et, là comme ailleurs, l'y firent adopter.

Sur un chapiteau de la même série du musée de Rennes, l'on voit deux sirènes à corps d'oiseau et à tête de femme, motif également d'origine orientale et extrêmement ancien (Voir à ce sujet : Mlle D. Jalabert : De l'art oriental à l'art roman : Les sirènes, dans : Bulletin Monumental 1936, 4ème fascicule). Il est courant dans la décoration romane et on le retrouve notamment en Bretagne sur l'un des chapiteaux de Saint-Aubin de Guérande. C'est par contre une sirène à queue de poisson, divinité marine antique, qui est figurée sur un chapiteau du musée Dobrée, et avec une double queue sur l'un des chapiteaux de Saint-Sauveur de Dinan. Dans cette dernière église, un autre chapiteau représente deux dragons opposés avec queues entrelacées, et un troisième, fort curieux, deux dromadaires affrontés et séparés par un home stylisé en forme de fleur de lys.

A Guérande, l'on voit un monstre à plusieurs têtes, comme également à Saint-Gildas de Rhuys, motifs orientaux complexes obtenus par la superposition de sujets simples ainsi que l'a montré M. Baltrusaïtis (J. Baltrusaïtis : La stylistique ornementale dans la sculpture romane, Paris 1931). A Sainte-Croix de Quimperlé, l'on trouve aussi des monstres à têtes humaines ainsi que des oiseaux affrontés et des rosaces représentant des motifs orientaux fort anciens transmis par la Syrie.

Rappelons également que l'un des chapiteaux de l'ancienne cathédrale de Nantes représente un âne jouant de la lyre, motif que l'on voyait également à Landévennec et que M. Baltrusaïtes a montré être tout semblable à l'un de ceux décorant la harpe de la tombe royale d'Ur (J. Baltrusaïtis : Art Sumerien, Art Roman, Paris, 1934). Un autre chapiteau de la même cathédrale représente un beau shynx ainsi qu'un bas-relief conservé lui aussi au musée Dobrée.

Enfin, signalons que le même musée renferme de beaux rinceaux de vigne avec grappes, motif iranien transmis de Palmyre par Antioche et transformé par la Grèce de façon réaliste, ainsi que des claveaux provenant de Saint-Martin de Vertou et décorés d'une croix byzantine aux deux bras de laquelle sont suspendus l'alpha et l'oméga, type assez répandu et qui décorait notamment le tombeau de Saint-Martin à Tours.

Etant donné le climat et les destructions opérées, rien ne subsiste plus en Bretagne de la décoration picturale romane. Seule, au moment de la destruction de la vieille église de Saint-André-des-Eaux, apparut, bien vite effacée, une fresque de la fin du XIème siècle représentant la Crucifixion de Notre-Seigneur et d'influence toute orientale, ainsi que le prouvent, entre autres, les perlages des vêtements.

Saint-André des Eaux : Peinture murale de l'ancienne église.

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Si l'iconographie religieuse et la décoration occidentales doivent beaucoup à l'Orient, l'architecture ne fut pas moins influencée par lui. Nombreux sont en effet les moines architectes orientaux qui vinrent en Occident [Note : Parmi ceux-ci, rappelons que Saint Petronius, originaire de Constantinople, devint évêque de Bologne et y construisit à la fin du IVème siècle un monastère reproduisant le Saint-Sépulchre et appelé Jérusalem. Il fut habité jusqu'en 543 par des moines égyptiens et syriens] ; et, parmi les pèlerins qui entreprirent le voyage de la Terre Sainte, nombreux également, comme le moine Jean [Note : On sait qu'envoyé par l'évêque de Vendôme, il reconstruisit, entr'autres, vers 1110 la nef de la cathédrale du Mans, nef presqu'aussitôt détruite par l'incendie de 1134], furent les architectes occidentaux qui rapportèrent des plans et des croquis des grands édifices orientaux.

De ceux ci, ainsi qu'il était naturel, nuls n'eurent plus d'influence que le Saint Sépulchre puis la mosquée d'Omar. La célèbre rotonde qui abritait le tombeau du Christ fut souvent reproduite par les ivoiriers [Note : Par exemple sur le célèbre ivoire de l'Ascension conservé au Musée National de Munich et datant du IVème siècle ; sur celui de la Résurrection du Musée Britannique datant du Vème siècle ; sur l'ivoire du IVème siècle de la collection Trivulce ; sur la boucle dite de Saint-Césaire conservée à N.-D. de la Major à Arles, etc., etc...] et les miniaturistes, et de très nombreux monuments occidentaux s'en inspirèrent dont le plus connu, en France, est l'église de Neuvy-Saint-Sépulchre.

La Bretagne possède encore, quant à elle, deux édifices de la fin du XIème siècle, dérivant de ce plan : l'abbatiale Sainte Croix de Quimperlé, qui dut être malheureusement reconstruite en grande partie de 1864 à 1868 après l'écroulement du clocher en 1862 [Note : En réalité, tandis que Sainte-Marie de Lanleff dérive directement du Saint-Sépulchre, Sainte-Croix de Quimperlé présente une combinaison de plan circulaire et du plan tréflé ainsi que l'a indiqué M. Perrault-Desaix dans ses « Recherches sur Neuvy-Saint-Sépulchre et les monuments de plan ramassé », Paris, 1931. — Sur la reconstruction de Sainte-Croix de Quimperlé, voir l'article de M. Bigot père dans les Mémoire de la Socité Archéologique du Finistère, tome XX (1893), pp. 45 et suiv. Sainte-Croix de Quimperlé a été étudiée par le chanoine Abgrall. Livre d'or des Eglises de Bretagne, Rennes, 1899. fascicule 17], et les ruines de l'église de Sainte-Marie de Lanleff, appelée « le temple de Lanleff » par des archéologues du XIXème siècle qui ont émis à son sujet les hypothèses les plus invraisemblables [Note : Si l'on excepte Aldolphe de Dion, qui, au Congrès Scientifique de France, tenu à Saint-Brieuc en 1872, avait déjà démontré que « le temple de Lanleff » était une église ronde du XIème siècle, et, étant donné cette dernière date, ne pouvait donc être un baptistère. La monographie de Lanleff, due à M. A. Rhein, a été publiée dans le Congrès Archéologique de France, LXXXIème session (1914), pp. 542 et suivantes]. Leur étude définitive ayant été faite, nous n'y reviendrons pas.

Il est un troisième monument sur lequel apparaissent nettement, ainsi que nous l'allons voir, des influences orientales, c'est Saint-Sauveur de Dinan, ou, plus exactement, les parties romanes de l'édifice.

La construction de cette église, qui ne paraît pas être antérieure au milieu du XIIème siècle, est généralement attribuée à Rivallon de Dinan, à son retour de l'Orient ; mais aucun texte, malheureusement, ne vient confirmer cette tradition. Le monument apparaît d'une facture isolée au milieu des édifices romans subsistant encore dans son voisinage et qui, soit comme les petites églises de Tréfumel, de Saint-André-des-Eaux, de Plurien ou de Morieux, reproduisent le type carolingien du nord de la Loire, soit, comme l'église plus importante d'Yvignac, présentent tous les caractères de l'école romane normande [Note : R. Couffon : Note sur l'église d'Yvignac dans : Mémoires de la Société d'Emulation des C.-du-N., t. LXVI (1934) : On retrouve des chapiteaux semblables à ceux d'Yvignac dans la chapelle de Durham Castle et des sculptures analogues sur le tympan de Dinton].

De la construction primitive de Saint-Sauveur de Dinan ne subsistent plus que la partie inférieure de la façade occidentale et la longère sud de la nef, tout le reste ayant été reconstruit à partir de la seconde moitié du XVème siècle.

Les archéologues, qui ont étudié ce monument, sont presque unanimes à y reconnaître les dispositions de l'école romane poitevine, tant dans les contreforts-colonnes de la longère sud que dans la décoration de la façade ; et, dans son beau livre « L'Art Breton », M. Waquet a très justement signalé la ressemblance frappante de cette dernière avec la façade de Civray.

Convient-il donc d'attribuer Saint-Sauveur de Dinan à un architecte poitevin, ou cette église ne dériverait-elle pas d'un prototype commun et n'aurait-elle pas été plutôt construite par un architecte venu d'Orient comme l'a suggéré le premier Ruprich Robert [Note : Rapport manuscrit de Ruprich Robert, daté de décembre 1855 et conservé aux Archives du Service des Monuments historiques], c'est ce que nous nous proposons d'examiner. Si, en effet, la ressemblance de la façade avec les monuments poitevins est évidente, l'influence purement byzantine qui présida à la construction du monument est non moins indéniable.

Lorsque l'on examine la façade de Civray, l'on est frappé dès le premier regard par les arcatures profondes qui s'y superposent en deux étages et dont seul l'inférieur subsiste à Dinan. C'est là, ainsi que l'on sait, l'une des caractéristiques des monuments byzantins, transmise à Constantinople par l'Anatolie et remontant à l'art mésopotamien [Note : V. Ramsay-Bell : The Thousand and one Churches. Londres, 1909. — M. Millet a montré comment ce type s'était lui-même propagé de Constantinople en Grèce. Mais, dans ce dernier pays si la saillie des arcatures a disparu, l'ordonnance décorative de la façade demeurant cependant la même ainsi qu'on peut le voir à Saint-Luc (G. Millet : L'école grecque dans l'architecture byzantine, Paris, 1916)].

Les deux arcades aveugles, de chaque côté de la porte, encadrent elles-mêmes deux arcades géminées supportées. à Saint-Sauveur par un meneau central et deux colonnes torses latérales. C'est là, également, une disposition nettement byzantine, utilisée, à Dinan comme à Civray, dans un but purement décoratif, mais qui doit son origine à la nécessité d'étayer par un diaphragme les arcades très largement ouvertes éclairant notamment les transepts des grands édifices byzantins [Note : Dans toutes les petites églises byzantines si nombreuses en Grèce, cette disposition, qui n'était plus nécessaire au point de vue constructif, fut également conservée comme décoration. Cette disposition seule, ne suffirait évidemment pas à démontrer que Saint-Sauveur de Dinan est un édifice byzantin. Rappelons en effet qu'on la trouve également reproduite sur quelques canons d'évangiles et qu'elle aurait pu être transmise par eux. Voir, par exemple, la Bible de Théodulfe du début du IXème siècle (B. N. f. lat. 9380). Il est a remarquer, là encore, que des miniatures représentent souvent des colonnes reposant sur des lions. L'une de la Bible de Saint-Martial de Limoges montre même des chapiteaux surmontés de lions qui supportent l'arc, tandis que les colonnes reposent sur de petits personnages (B. N. f. lat. 8 fol. 41 r°)].

Meneaux et colonnes, ainsi que les statues décorant les arcades géminées reposent à Saint-Sauveur sur des lions. C'est là un détail assez répandu, que l'on rencontre non seulement en divers points de la France, mais plus particulièrement en Italie, en Lombardie et dans les Pouilles, détail lui aussi nettement oriental dont les traces de propagation sont visibles également en Dalmatie et dont les premiers exemples ont été retrouvés dans les fouilles des palais hittites [Note : Mérimée a signalé la rareté des dais au-dessus des statues à l'époque romane].

Eglise de Dinan (Bretagne).

Si maintenant, de l'examen de la façade occidentale, nous passons à celui de la longère sud, l'on voit qu'extérieurement, celle-ci est divisée en sa longueur en six travées inégales par des contreforts-colonnes remplacés dans la troisième par des pilastres. En élévation, chacune d'elles est séparée en deux, à peu près à mi-hauteur, par un bandeau. La partie basse est décorée d'une double arcade et la partie haute de trois niches, dont celle du milieu percée d'une fenêtre.

Eglise de Dinan (Bretagne).

Intérieurement, la disposition est un peu différente. Les contreforts-colonnes sont supprimés et les niches remplacées par une arcature alternativement aveugle et ajourée. Les archivoltes des arcades ajourées comprennent deux rouleaux moulurés, à l'inverse de celles des arcades aveugles qui n'en comportent qu'un.

C'est là un procédé, en même temps que décoratif, extrêmement ingénieux pour alléger la maçonnerie tout en lui donnant une grande stabilité transversale.

L'on ne rencontre pas, croyons-nous, en Poitou de semblable construction. La double arcature a été très employée dans l'art préroman, ou, suivant M. Puig y Cadafalch, dans le premier art roman ; mais il suffit de jeter un coup d'oeil sur la carte des monuments de ce type dressé par ce savant pour voir combien Dinan était éloigné des voies naturelles de propagation de cet art [Note : J. Puig i Cadalfalch : La géographie et les origines du premier art roman, Paris, 1935].

C'est bien loin, là encore dans les églises de Constantinople, qu'il faut aller, chercher des murs allégés dans la partie basse par des arcatures et, dans la partie haute par des niches, mais cette disposition y est courante. On la retrouve en effet sur les chapelles absidales de l'église du Christ Pantocrator (Kariye-Djami) ; à l'église de la Vierge Panachrantos (Fenari-Issa-Djami) ; à l'église Sainte-Théodosie (Gul-Djami), à Kilissè-Djami, enfin plus tardivement, au XIIIème, à la chapelle funéraire de la Vierge Pammacaristos (Fethiye-Djami) (Voir Ebersolt et Thiers : Les églises de Constantinople, Paris, 1913).

Tout en grand appareil, la longère de Saint-Sauveur présente cependant une grande inhabileté dans le tracé des niches ; aussi, à priori, avions-nous pensé que le maître de l'oeuvre n'était pas familiarisé avec cette décoration étrangère et l'avait sans doute exécutée d'après des croquis. L'examen attentif sur place de divers monuments, entre autres de la Kariye-Djami à Istambul et des Saints Apôtres à Salonique, nous a révélé exactement la même maladresse dans le tracé des niches. Aussi, si aucun document ne permet d'affirmer que Saint-Sauveur de Dinan fut construit par un architecte oriental, ainsi que le pensait Ruprich Robert, rien ne vient semble-t-il s'opposer, bien au contraire, à cette hypothèse des plus vraisemblables.

Cette disposition des niches et arcatures provient elle-même, comme l'on sait, de monuments beaucoup plus anciens : églises de la Syrie centrale et palais persans. On la retrouve notamment, dès le troisième siècle, appliquée à la facade du palais du roi Sapor à Ctésiphon.

Istanbul et Ctesiphon.

Bretagne : Histoire, Voyage, Vacances, Location, Hôtel et Patrimoine Immobilier

Si, dès longtemps, des colonies de marchands juifs et syriens ont été en Occident les propagateurs de l'art oriental, et si au VIIème siècle l'exode des moines égyptiens et arméniens contribua à faire connaître jusqu'en Bretagne et en Irlande les rites et l'iconographie de l'Orient, par les routes de pèlerinage s'établirent également des relations constantes entre l'Orient et la Bretagne. Celle-ci en reçut quelques apports, notamment de la Syrie et de Constantinople dont l'art avait fait tant d'emprunts aux sources asiatiques anciennes.

Des influences souvent très lointaines, ainsi que nous l'avons rappelé, et issues pour quelques-unes des confins les plus éloignés de l'Asie, parvinrent ainsi jusqu'à l'extrémité de l'ancien continent (R. Couffon).

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