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USEMENT DE QUEVAISE DANS LE DOMAINE DE PENLAN |
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L'USEMENT DE QUEVAISE DANS LE DOMAINE DE PENLAN (EVECHE DE TREGUIER).
Si l'on ouvre le volume du jurisconsulte Michel
Sauvageau [Note : Michel Sauvageau, seigneur des Burons, fut comme son père,
Mathurin Sauvageau, mort en 1651, conseiller référendaire à la Chambre des
Comptes de Nantes, après avoir été l'un des plus notables avocats au Parlement
de Bretagne. Il siégeait à la Chambre des Comptes en 1648. On le trouve ensuite
procureur du roi à Vannes. Il n'est guère connu que par ses ouvrages]
Coutumes de Bretagne, aux pages 373 et 374 [Note : Rennes et Brest. 3ème
éd. 1771. Coustumes de Bretagne avec les commentaires et observations pour
l'usage et l'intelligence des articles obscurs, etc. La première édition,
déjà posthume, avait été publiée en 1710 à Nantes chez Jacques Mareschal], on y
trouvera un titre : Droit de quevaize, usité dans l'étendue des seigneuries
des abbayes du Rellec et de Bégar, de l'ordre de Cisteaux et de fondation ducale
et des terres dépendantes de la commanderie du Pallacret, suivi de douze
articles qui caractérisent cet usement dont l'aire d'application fut toujours
restreinte.
Cette étude, on la restreindra ici au domaine de Penlan
que les moines de Bégard, depuis le XIIIème siècle, considéraient comme le
membre principal de leur abbaye [Note : Dépouillement des terres et
seigneureries de Penlan, membre de Bégar, etc., ms. de 358 pages.
Archives des Côtes-d'Armor. Fonds Bégard (sans autre cote)].
Quelles étaient les stipulations de cet usement ?
« L'homme quevaizier,
est-il dit tout d'abord, ne peut tenir plus d'un convenant sous la même
seigneurie » sans l'autorisation du
seigneur, sinon sa première tenue tombe « en commise au profit du seigneur
qui peut en disposer à sa volonté ». Le quevaisier doit occuper en personne
le convenant qui lui a été attribué et tenir en état les terres et les édifices.
S'il le laisse vacant plus d'un an et d'un jour, le seigneur peut en disposer à
son gré.
Le quevaisier ne peut le partager, le vendre, le
diviser, l'échanger ni l'hypothéquer sans le consentement préalable du seigneur
« à peine de privation et de commise au profit du seigneur ». Si
celui-ci consent à la vente, il perçoit « par reconnaissance » un droit
égal au tiers montant de cette vente.
Le tenancier d'une quevaise doit labourer et ensemencer
le tiers des terres chaudes [Note : Les terres chaudes sont les terres
susceptibles de « gaigneries », c'est-à-dire les terres cultivables par
opposition aux « terres froides » qui ne le sont pas et dont la
qualification peut s'appliquer à des landes, des garennes, des issues] de
manière à ce que le seigneur ne soit pas privé de ses « droits de gerbe
[Note : La plupart des seigneuries prélevaient d'ordinaire une dîme féodale à la
douzième ou à la treizième gerbe dont elles gardaient les deux tiers, le
troisième tiers allant le plus souvent soit au clergé paroissial soit à des
chapitres de chanoines] et de champart » [Note : Henri Sée, Etude
sur les classes rurales en Bretagne au moyen âge, Paris, 1896, et Les
Classes rurales en Bretagne du XVIème siècle à la Révolution, Paris, 1906]
qu'il prélève avant que le quevaisier soit autorisé à transporter le surplus de
la récolte.
Si le quevaisier a plusieurs enfants le dernier des
mâles, le « juveigneur », succède seul à son père. A défaut des mâles,
c'est la plus jeune des filles. Les autres enfants n'ont droit qu'à une
compensation. Si le quevaisier n'a pas d'enfants légitimes, « d'hoirs de son
corps », le seigneur rentre dans la propriété totale de la tenue, sans que
les collatéraux puissent demander autre chose — et cela dans un délai de deux
ans — que le montant du prix des veillons et des engrais. En outre « en
quevaize, il n'y a ni douaire, ni retrait lignager » : aucune partie de la
tenue ne peut donc être réservée à la veuve du tenancier sa vie durant et les
collatéraux ne peuvent demander dans le délai d'un an et d'un jour l'annulation
de la vente effectuée par le tenancier qui aurait agi avec l'acceptation de son
seigneur, pour en devenir acquéreurs.
Le tenancier jouit dles émondes des arbres poussés ou
plantés sur les talus, mais il ne peut en couper le fût (le tronc) sous peine de
dommages et intérêts s'ajoutant à la valeur du bois irrégulièrement abattu.
Le quevaisier doit suivre la cour et le moulin du
seigneur, lui rendre aveu, subir les corvées de fanage, de charroi et
d'engrangement des foins, de « saunage ou voiture à sel », de charroi
des vins, des blés et des bois pour l'approvisionnement des abbayes et
commanderies, ainsi que les charrois des matériaux nécessaires à la
réédification ou à la remise en état des églises, chapelles, maisons, chaussées
et moulins de la seigneurie dont il dépend.
Le quevaisier est donc en quelque sorte un mainmortable
qui ne peut se départir de sa tenue sans l'autorisation du seigneur, même pour
en faire « exponse » (Voir infra, pp. 409 et 426) à moins d'en
déguerpir subrepticement pour se livrer le plus souvent au vagabondage et à la
mendicité. S'il existe une différence entre le quevaisier et le fermier
héréditaire et perpétuel, c'est que la succession de celui-ci ne paraît pas
devoir exiger le transport de sa ferme à son juveigneur.
On doit dès maintenant attirer
l'attention sur le début de l'article premier de l'usement de quevaise, tel que
le rapporte Michel Sauvageau : « En quevaize l'homme quevaizier » ne
peut tenir plus d'un convenant« sous la
même seigneurie ».
C'est que le mot quevaise est une appellation
relativement récente, créée, semble-t-il, par la réprobation populaire attisée
par nombre d'hommes de loi des campagnes. La quevaise est primitivement et
seulement un convenant, c'est-à-dire une tenue dont l'origine remonte à
une convention plus ou moins librement débattue et consentie.
Mais à l'encontre des tenues généralement soumises aux
usements en vigueur dans toute la région bas-bretonne, elle est un convenant
non congéable. La plupart des autres tenues sont des convenants
congéables. Elles sont soumises à des usements à domaine congéable, mais
elles sont tellement nombreuses que les expressions à domaine congéable,
ou à convenant sont devenues synonymes.
Il est, en effet, de notoriété publique que, à moins
d'actes notariés contraires, toutes les terres relevant des seigneuries
bas-bretonnes sont réputées à domaine congéable, tandis que celles relevant des
seigneuries ecclésiastiques de Bégard, du Rellec et du Palacret, le sont à
quevaise. En cas contraire les actes notariés ne manquent jamais d'inscrire les
termes de fermes, de métairies. et de censives.
L'abbaye
de Bégard est la première fondation cistercienne de Bretagne. Par son
antériorité et par l'intérêt que les ducs lui ont porté, elle a mérité d’être
appelée le Cîteaux de la Bretagne.
Sa fondation remonte à 1130. Elle fut due à la
générosité et à la piété d'Havoise de Guingamp, épouse d'Etienne de Penthièvre,
encouragée par Ermengarde d'Anjou, veuve du duc Alain Fergent, amie et
correspondante de saint Bernard.
La nouvelle abbaye ne tarda pas à bénéficier de
donations diverses. La plus importante fut celle de la seigneurie de Penlan, qui
avait son siège à Trébeurden, au nord-ouest de la péninsule lannionnaise [Note :
Considérée comme se développant entre la rade de Perros-Guirec et l'embouchure
du Léguer]. La date de 1225 qu'on lui attribue est vraisemblable, car on sait
que les moines de Bégard achetèrent cette année-là dix arpents de terre à
Trégastel [Note : Bibliothèque Nationale, Fr. 22-337, folio 163 et dom
Morice. Preuves de l'Histoire de Bretagne, I, p. 855], acquisition
inexplicable étant donné la faible étendue de cette acquisition et son
éloignement de l'abbaye, mais qui se justifie s'ils ont eu le désir d'arrondir
une propriété voisine dépendant de la seigneurie de Penlan.
D'après le registre manuscrit intitulé Dépouillement
des terres et seigneuries de Penlan, membre de Bégar, etc. établi en avril
1788 par ordre du dernier prieur de l'abbaye [Note : Il se nommait Jean-Baptiste
Mauffray. Il avait dû naître en Lorraine vers 1756 (sa pension de novice fut en
effet payée par un sieur Laurent, imprimeur-libraire à Remiremont). On le trouve
professeur à l'abbaye de Bégard en 1778. Il y succède peu avant la Révolution à
Augustin-Jean-Baptiste 0llivier en qualité de prieur. En 1790 il déclare vouloir
sortir du cloître et prête le serment à la Constitution civile du Clergé. Il
devint l'un des vicaires généraux de l'évêque constitutionnel des Côtes-du-Nord
(aujourd'hui Côtes-d'Armor), Jean-Marie Jacob, puis curé de La Malhoure.
Obéissant aux injonctions du conventionnel Le Carpentier, il abdiqua les
fonctions sacerdotales et épousa une ancienne religieuse, Mathurine Le Corgne.
Il fut assassiné à La Malhoure par les Chouans le 14 thermidor an III (3 août
1795)], le domaine de Penlan s'étendait dans les paroisses de Trébeurden (qui en
dépendait presque entièrement), de Pleumeur-Bodou, de Trégastel, de
Perros-Guirec, de Trélévern, de Rospez, de Buhulien, de Kermaria-Sulard (trève
de Louannec), de Ploubezre, de Ploumilliau, de Plouigneau, de Lanmeur, de
Guimaëc, de Plougonven, de Plouaret, de Lanvellec, de Plounévez-Moédec, de
Brélévenez, de Ploulec'h, etc. [Note : Cet « etc. » figure dans la
nomenclature des paroisses, qui paraît pourtant être complète].
On aimerait savoir quel était le régime des terres du
domaine de Penlan quand elles dépendaient d'une seigneurie laïque et à quelle
époque — évidemment non antérieurement au XIIIème siècle — elles furent soumises
à l'usement de quevaise.
On s'abstiendra cependant de toute hypothèse tellement
est controversée la question de l'établissement du domaine congéable en
Basse-Bretagne que certains historiens font remonter au VIème siècle et que
d'autres reculent jusqu'au XVème, et celle de l'apparition de la quevaise qu'on
fait varier entre le XIIème et le XVème siècle. Encore ne faudrait-il pas
exclure l'idée que, sous une dénomination oubliée, l'usement de quevaise aurait
pu être antérieur à ceux du domaine congéable. Mais il est essentiel d'en
indiquer les caractéristiques pour voir en quoi diffèrent les convenants
congéables de ceux qui ne le sont pas.
En domaine congéable, le seigneur conserve le fonds de
la tenue en toute propriété : il est le propriétaire foncier ; son vassal a la
propriété à temps des droits superficiels et réparatoires, il est le
propriétaire convenancier. Il est détenteur d'une baillée et paye chaque année
une rente foncière et convenancière.
Dans l'usement de Tréguier et de Goëllo [Note :
Traité des domaines congéables à l'usement de Tréguier et comté de Goëllo,
composé et rédigé par l'écuyer F. de Rozmar, avocat au Parlement], le plus
libéral de tous, qui enserre le domaine de Penlan, les baillées étaient
consenties pour neuf ans, à l'expiration desquels le foncier pouvait congédier
le domanier en lui remboursant la valeur des améliorations réalisées avec son
consentement, des engrais et des ensouchements. Précaution nécessaire car le
convenancier pourrait charger sa tenue d'édifices que le bailleur se trouverait
hors d'état de pouvoir rembourser, d'où faillite et peut-être « vente
judicielle » [Note : Il ne fut pas rare de voir la condition du foncier
inférieure pécuniairement à celle du convenancier].
Le plus souvent le domanier cherchait à s'assurer la
continuité de sa possession en payant au foncier une assurance de baillée ou pot
de vin dont le montant, réparti sur plusieurs années, augmentait d'une manière
souvent considérable celui toujours assez faible de la rente foncière et
convenancière, demeurée invariable depuis la création du convenant.
Durant le temps de sa baillée, le domanier (convenancier
ou encore colon) jouit pour les droits superficiels et réparatoires de tous les
avantages de la propriété. Il peut le vendre en totalité ou par parties ou
l'hypothéquer. Ses héritiers lui succèdent sans difficulté : ils demeurent dans
l'indivision ou réalisent son partage — partage égal entre tous garçons et
filles, suivant l'usage des successions roturières.
Il n'est pas rare que le même domaine congéable demeure
aux mains d'une même famille pendant plusieurs siècles.
Mais si le domanier peut être congédié par le foncier,
il ne peut lui-même mettre fin à sa baillée. Il resterait même dans sa tenue par
tacite reconduction si le foncier négligeait de la renouveler. Il ne peut en
partir de lui-même qu'en l'abandonnant, en faisant exponse, c'est-à-dire en
renonçant à tout remboursement pouvant lui être dû.
Le mot seigneur, à l'origine, n'a que le sens
de propriétaire : c'est le landlord des terres britanniques. Mais il
fut courant de voir le seigneur confondu avec le suzerain. En cette qualité, il
impose à ses domaniers, quand ils sont également ses vassaux (car ils peuvent
n'être que ses vavasseurs quand s'interpose un propriétaire secondaire — ce qui
est courant dans le fief), le paiement de droits féodaux en récompense
de la protection qu'il leur assure. Avec le temps des confusions n'ont pas
manqué de se produire entre la rente foncière et convenancière qui, dans son
principe, n'a rien de féodal et les droits féodaux proprement dits.
Poussés par la nécessité nombre de seigneurs nobles
secondaires ont dû vendre le fonds de leurs convenants, qui, surtout après le
XVème siècle, furent souvent acquis par des non-nobles, lesquels devaient les
droits féodaux à leur suzerain, majorés d'une faible chefrente, niais en
incorporaient le montant dans celui de la rente foncière et convenancière, à
l'exception des droits honorifiques.
De telles confusions devinrent de plus en plus
fréquentes quand se développèrent bourgeoisie urbaine et même bourgeoisie
rurale. En sorte que, à la veille de la Révolution, les domaniers ne se voyant
généralement plus protégés par les seigneurs et considérant l'aggravation de
leurs charges, en vinrent à penser que la non-réciprocité à
l'expiration de leurs baillées constituait une atteinte à leur désir
d'émancipation économique. Souvent même ils purent se croire les descendants de
ceux qui, propriétaires incommutables de leurs tenues, en auraient été
dépouillés sans compensation suffisante. Erreur évidente, mais dans laquelle ils
furent souvent ancrés par des agitateurs, nombreux parmi les hommes de loi des
campagnes.
La quevaise qui, sur certains points, se
rapproche davantage de l'usement congéable de Rohan « le plus
grevant » de tous, est beaucoup plus dure que ne l'a jamais été l'usement
de Tréguier et de Goëllo. Sans doute le quevaisier n'est jamais congédié, mais
les devoirs auxquels il est astreint sont beaucoup plus nombreux et plus
stricts. Il est en somme corvéable et le fait d'être fixé au sol le rapproche en
quelque façon du serf.
Comment se fait-il qu'un tel usement ait été institué
dans quelques seigneuries ecclésiastiques de Basse-Bretagne, où l'on montrait
d'ordinaire plus d'humanité que dans les seigneuries laïques ?
Les documents authentiques étant extrêmement rares avant
le XVème siècle, on est amené à formuler une hypothèse.
Quand l'abbaye de Bégard fut fondée, en 1130, grâce à
l'arrivée de quatre moines empruntés à l'abbaye de l'Aumosne, dans le diocèse de
Chartres les seigneuries laïques avaient englobé avec des landes, des garennes
et des bois, les meilleures terres cultivables. Sans doute étaient-elles
occupées à titre de cens, les détenteurs ayant pris soin de se recommander
à qui pouvait les protéger contre les exactions de quelque nature qu'elles
fussent.
Cette grande opération d'économie rurale était
virtuellement achevée avant l'implantation des premières abbayes cisterciennes.
Quand les moines de l'abbaye de l'Aumosne arrivèrent dans
le lieu désolé de Pluscoat qui dépendait de la paroisse primitive de
Plégauguern, où « aurait » vécu un ermite (un begar venu
d'outre-Manche), ils se trouvèrent en un lieu complètement inculte avec, en
perspective, de grands travaux de déboisement et de défrichement auxquels ils ne
pouvaient suffire. ils durent s'adresser à une main-d'oeuvre flottante ou
vagabonde qu'ils élevèrent petit à petit de la qualité de tâcherons à celle de
quevaisiers par leur fixation postérieure au sol.
La convention que les moines eurent alors à débattre avec
de telles gens, littéralement « sans aveu », ne pouvait être aussi
libérale que celles qui avaient présidé ou allaient présider à l'élaboration du
domaine congéable. Il fallait tout leur donner, aussi bien les cantons à
défricher que les moyens et les animaux leur permettant d'y parvenir.
Main-d'oeuvre incertaine et précaire toujours prête à disparaître. Il fallait la
fixer au sol : d'où la nature non congéable des convenants qui lui étaient
accordés et la stipulation que c'est aux juveigneurs vivant avec leur père que
la concession revient. Ce n'était pas vouloir réduire les aînés au vagabondage
et à la mendicité. Après les premières concessions il en restait de nombreuses
autres que les moines étaient disposés à accorder à ces aînés. N'avait-il pas
été spécifié tout au début que chaque convenancier non congéable ne pourrait
posséder qu'une tenue, sauf consentement des seigneurs ?
De telles tenues ne pouvaient exister en nombre indéfini.
Aussi l'usement qui s'établissait ainsi était-il condamné à s'éloigner dans la
pratique de sa pureté primitive.
Assurément les moines (qu'ils fussent les cisterciens de
Bégard et du Rellec ou les chevaliers-moines du Palacret) percevaient sur leurs
convenanciers une rente très faible, mais ils renonçaient à la possibilité des
assurances de baillée, des pots de vin, qui augmentaient sensiblement les rentes
foncières et convenancières des domaines congéables. Comme ils étaient en même
temps des seigneurs féodaux, ils ajoutèrent, en forme de compensation, aux
corvées d'usement qui, sous le régime convenancier de Tréguier et de Goëllo (de
même que sous celui de Cornouaille dans l'étendue duquel étaient insérées les
quevaises de l'abbaye du Rellec), étaient peu considérables, d'autres corvées
qui, dans leur esprit, balançaient plus ou moins les revenus dont ils étaient
contraints de se passer, étant donné la mauvaise qualité de leur main-d'oeuvre.
On ne saurait oublier, d’autre part, que les moines
cisterciens estimaient avoir charge d'âmes, surtout dans les campagnes où le
paganisme renaissant avait fait oublier les vagues leçons du christianisme
insuffisamment dispensées jadis par les moines venus surtout du pays de Galles à
l'époque des migrations transmarines. En maintenant ces nouveaux paysans à leur
terre, ils les conservaient à leur portée et pouvaient plus aisément exercer sur
eux leur oeuvre d'évangélisation.
C'était créer ainsi, dans les seigneuries ecclésiastiques
nommées précédemment, un usement de mise en chantier de défrichements et
d'asséchements. Mais c'était s'exposer à plus de déboires et de soucis que si
l'on avait pu adapter aux conditions nouvelles l'usement convenancier le plus
voisin. Le bienfait initial de l'usement allait être assez vite oublié aussi
bien des tenanciers que des moines qui, suivant les époques et aussi la
bienveillance ou la dureté de leurs procureurs-cellériers pouvaient le rendre
insupportable, attentatoire à la dignité humaine, aux règles normales des
successions, justifier la suppression qu'en prononcera la loi du 27 août 1792.
Les motifs de la constitution du domaine congéable et du
domaine non congéable n'ont donc pas été les mêmes. Cependant certaines des
dispositions du domaine congéable, telles que le droit de disposer à intervalles
déterminés des émondes des arbres sur les talus, figurent aussi dans le domaine
congéable parce qu'elles étaient sages et conservatrices des droits des
seigneurs. En sorte que l'on a pu considérer le domaine non congéable comme une
aggravation féodale du domaine congéable.
Cela parut notamment être vrai pour le domaine de Penlan,
dont la donation à l'abbaye de Bégard ne date que du début du XIIIème siècle,
dans lequel un mode ancien d'économie rurale avait tendance à subsister.
Ce qu'on a appelé l' « avidité » des moines, ou
simplement leur désir d'uniformité, les conduisit à vouloir donner à leurs
vassaux de Penlan le même statut économique que celui de leurs vassaux de Bégard
ou de Pédernec.
Le mot de quevaise, qui le nomme sans le définir
avec exactitude, n'apparaît que tardivement dans les minus et dans les aveux. Il
a commencé par être une qualification infamante dans la bouche des vassaux et de
la majorité des hommes de loi des campagnes, qui furent durant des siècles les
conseillers d'abord, les entraîneurs ensuite des paysans dans leurs
revendications.
La première fois que j'ai rencontré, pour le domaine de
Penlan, le mot quevaise c'est dans un aveu du 30 mai 1577 de la
quevaise de Rochanbassel dans la paroisse de Pleumeur-Bodou (Archives
départementales, Côtes-d’Armor, H 138). Le mot apparaît ensuite dans
plusieurs autres actes et, en particulier, dans l'acte de vente « d'une
tierce partye d'une moitié de quevaize », frairie de Golgon, paroisse de
Trégastel pour « vingt escus d'or sol », en date du 4 décembre 1578 (Archives
départementales, Côtes-d’Armor, H 139). Je l'ai retrouvé ensuite dans les
pièces d'un procès commencé vers 1580 au nom de l'abbé et des religieux de
l'abbaye de Bégard, que termina, le 27 février 1587, un arrêt du Parlement de
Bretagne, auquel il est fait allusion dans le document de la fin du XVIIème
siècle intitulé Notice intéressante sur les usements du domaine de Penlan
(Archives départementales, Côtes-d’Armor, H 124). On y fera quelques
notables emprunts. Il a dû être rédigé après 1661 [Note : Il y est en effet
question d’un acte de procédure du 19 janvier 1661 suivi d'un arrêt du Parlement
« confirmatif de l'uzement quevaizier sur les domaines et terres non
congéables de ladite seigneurye comme ceux de la seigneurye de Bégar »] par
un procureur fiscal de la seigneurie, Le Lagadec sieur de la Maisonneuve,
Jacques Le Calennec sieur de Keruzec, ou Charles Fleschard sieur de Ferrand
[Note : Ils furent tous les trois avocats au Parlement. Ils résidaient à
Lannion. Ils étaient chargés, en qualité de procureurs fiscaux (ou procureurs
d'office) de l'administration d'autres seigneuries, moins importantes que celle
de Penlan, dont ils s'occupèrent successivement].
La terre qu'on nomme la seigneurye de Penlan, écrit
ce procureur-fiscal, est un membre de la seigneurye de Bégar et a le mesme
uzement que la seigneurye de Bégar, c'est-à-dire que dans les deux seigneuryes,
les terres et hérittages sont seullement possédés par les vassaux ou à pur [..]
[Note : Mot illisible] en simple hérittages à debvoir de lods et vantes
au denier huict, rachapt et autres droicts seigneuriaux ou à tiltre de
convenants domaines non congéables de l'abbaye de Bégar, lesquels, dans les
derniers temps [Note : Des droits superficiels et réparatoires], les
colons ont nommés quevaizes, tiré du mot breton quenaize, qui veut dire vat
dehors, parce, suivant l'usement de lad. abbaye, lorsque le propriétaire
[Note : Usances locales et Coustumes particulières à la vicomté de Rohan,
dans Michel Sauvageau, op. cit.] décède sans hoirs légitimes de son corps,
la tenue ou convenant retourne à l'abbé et aux relligieux par déshérance et
droict de réversion.
Cependant autrefois on n'uzoit point de ce mot
quevaize, mais on disoit seullement domaine non congéable à l'uzement de
l'abbaye de Bégar, ce quy se pratiquoit de la mesme mannière aux abbayes du
Rellec et commanderie de Paraclet (sic) [Note : L'abbaye du Bellec
s'élevait à une lieue environ à l'ouest de Plounéour-Menez et la commanderie du
Palacret à petite distance de l'abbaye de Bégard dans la paroisse de
Saint-Laurent] quy ont également le mesme uzement. Un pareil est aussy
observé au duché de Rohan où il y a déshérance et droict de réversion quand le
propriéttaire décède sans hoirs légitimes de son corps et le juveigneur succède
aussy à tout du convenant à l'exclusion de ses frères et soeurs.
On scait que suivant ledit uzement les vantes se
payent au denier quart [Note : Sauvageau dit « au tiers denier »
(art. 4 du Droit de quevaize). Je ne l'ai jamais rencontré que « au denier
quatre », ce qui est le double de la perception des lods à ventes pour les
métairies, fermes et convenants congéables roturiers] avec touttes les
aultres obligations et charges auxquelles les quevaiziers possédants domaines de
lad. abbaye sont tenus...
Et, à la fin de la notice :
... Il serait inutile d'objecter que quelques
convenanciers dud. Penlan ne se servent pas dans leurs adveux du mot quevaize,
mais seullement de celluy de convenant, des domaines et terres non congéables de
la seigneurye de Penlan, et comme les aultres convenants de lad. seigneurye.
On répond que ce mot quevaize ou quéarmez est un mot
nouveau, fabricqué et donné aux convenants qu'on dict à l'uzement de Bégar par
les convenanciers et par raport à la réversion desd. convenants quy retournent
au seigneur lorsque les propriétaires décèdent sans hoirs légitimes de leur
corps et parce que quevaize ou quéarmez, mot bas-breton, veut dire vat dehors
d'où vient que quelquefois les nottaires dans leurs actes nomment ce convenant
du fieff vat dehors...
... ce qu'on appelle quevaize sont les convenants des
domaines et terres non congéables de l'abbaye de Bégar ; mais il ne s'ensuit pas
qu'un convenantier de lad. abbaye n'avoit pas employé dans son adveu ce mot de
quevaize qu'il ait dérogé audit uzement ; non, il suffit qu'il reconnoisse que
son convenant est des domaines et terres non congéables de lad. abbaye et qu'il
la possède comme les aultres convenantiers et suivant l'uzement du fieff et
seigneurye de Bégar et celle de Penlan, membre dud. Bégar.
C'est ce quy se justiffie par les baillées antiennes
que les abbés de Bégar en ont faict à leurs convenantiers où ils ne se servent
jamais du mot de quevaize non plus que les convenantiers dans les adveus qu'ils
ont fourny dans ces temps-là, mais seullement celluy du convenant à l'uzement
des terres de lad. abbaye de Bégar et seigneurye de Penlan, membre dud. Bégar,
et où ils expliquent led. uzement sans parler du mot quevaize [Note :
Archives départementales des Côtes-d’Armor, H 124].
Charles Fleschard paraît avoir été le meilleur théoricien
de l'usement de quevaise et le procureur-fiscal qui a cherché avec le plus
d'ardeur, sinon de conviction, à en rapprocher les conditions présentes de ses
dispositions originelles. Qu'on relise ses « moyens d'impunissement »
de l'aveu fourni le 30 décembre 1698 par Jean Le Saulx, Jacques et Marie Le
Cozic « et autres consorts » pour le convenant Jan Mary — convenant
d'ailleurs congéable — dans la paroisse de Trébeurden :
... Dict qu'il est nécessaire pour bien connoistre la
vérité du faict que les terres mouvantes du fieff de Penlan sont de deux espèces
: soubz les premières sont les terres qu'on appelle domaine et sont de la nature
des quevaizes de l'abbaye de Bégar dont dépand led. Penlan, ces terres ou
convenants sont sujettes à de grosses rantes par grains ou deniers [Note :
Bien relativement, car, sous d'autres seigneuries voisines, des terres à domaine
congéable de même consistance paraissent souvent payer davantage, non compris
les pots de vin pour assurance de baillée], doibvent obéissance, à cour et
moullin, et lods et vantes au quart denier lors des vanditions.
Soubz la seconde espèce sont les terres dittes
herittages en fieff quy sont sujettes à certaines cheffrantes modiques, lods et
vantes au denier huict et rachapt quand il y eschet...
Et plus loin Fleschard apportera une précision
intéressante motivée par la prétention des avouants à s'exonérer des droits de
rachat et de lods et ventes sous le prétexte que leur convenant était «
amorti » puisque le domaine de Penlan l'était à l'égard du roi, prétention
qui leur avait été suggérée par leur procureur Milion Lopès, qui la savait
insoutenable.
... Le fieff de Penlan, écrit Fleschard, est
véritablement un fiefs amorty à l'esgard des abbé et relligieux de Bégar par une
grâce spécialle de nos souverains, et... les abbé et relligieux de Bégar en
faveur de cet amortissement, quoyque gens de mainmorte, jouissent de ceste terre
à tiltre de prières et d'oraisons sans obligation de païer rachapt ou de fournir
homme vivant, mourant et confiscant [Note : Les établissements religieux
non amortis devaient nommer un homme vivant, mourant et confisquant, à la mort
duquel ils payaient sur leurs biens le droit ordinaire de rachat] à Sa
Majesté et c'est en cela que consiste leur advantage de fieff amorty.
Mais quoyque ce fieff soit amorty à l'esgard desd.
Relligieux vers Sa Majesté, les terres ne le sont pas à l'esgard des deffandeurs
ny des aultres vassaux quy en rellèvent et sont sujetz, outre les rantes
annuelles qu'ils paient, aux debvoirs seigneuriaux, comme lods et vantes,
rachapt et aultres droictz, suivant l'uzement du fieff cy-dessus expliqué et
c'est une grande erreur aux deffandeurs de prétandre l'exemption de lods et
vantes et rachapt, parce que led. fieff de Penlan est fieff amorty... (Archives
départementales des Côtes-d’Armor, H 129)
On pourra dire que de telles remarques pour un convenant
ne relevant de la seigneurie de Penlan que par l'intermédiaire de la seigneurie
de Trovern étaient bien superflues. Mais les procureurs aimaient tirer à la
ligne, multiplier les développements. Il n'est pas nécessaire d'en préciser !a
raison.
... Il est de très réelle vérité que l'abbé et les
religieux de Bégard ont toujours expressément tenu à ce que leurs convenanciers
se reconnussent soumis, dans leur domaine propre, à l'usement de leur
seigneurie.
Comment se fait-il donc que, au XVIème et au XVIIème
siècle, des procès se soient élevés nécessitant même des arrêts du Parlement de
Bretagne ? Vers 1580, c'est l'abbé commendataire de Bégard, Pierre de la Baume,
conseiller et aumônier de la reine, évêque de Saint-Flour, au nom duquel
s'intentent les poursuites. Entre 1657 et 1661, c'est seulement le fermier des
dîmes de Penlan, Pierre Illixant, qui en prend l'initiative.
Il ne suffit pas d'invoquer cet instinct si invétéré de
la fraude fiscale que toutes sortes de motifs plus ou moins justifiables ont
généralisée. Car il n'est pas téméraire d'y voir l'intervention intéressée des
hommes de loi qui forment la classe supérieure de la bourgeoisie rurale, chez
qui s'est perpétué le souvenir du temps où toutes les terres quevaisières de la
seigneurie de Penlan étaient soumises à un autre régime économique et ne
payaient pour les lods et ventes et les rachats que le huitième denier. Souvenir
renforcé par l'existence dans toutes les seigneuries voisines de l'usement
congéable de Tréguier et de Goëllo.
Il fut pourtant extrêmement rare de voir les
contestations relatives à la quevaise portées jusque devant le Parlement de
Bretagne. Il fallut que, dans certaines circonstances, ceux qui s'y trouvaient
soumis, eussent été soutenus par les possesseurs de ces seigneuries voisines
sans cesse en contestation entre elles ou avec celle de Penlan pour des
questions de mouvances et de dîmes. Le résultat fut qu'il exista une
jurisprudence de la quevaise d'autant mieux observée, dans la généralité des
cas, qu'elle émanait de la plus haute instance judiciaire de la province.
D'ordinaire les contestations n'allaient pas plus loin
que la juridiction seigneuriale de Penlan [Note : Elle s'exerçait à Lannion dans
la maison dite de Penlan. Celle-ci se trouvait sur le quai du Léguer
(aujourd'hui quai d'Aiguillon), sur l'emplacement qu'occupe en partie l'agence
de la Société Générale (vers 1960). Comme les tabliers des notaires, l'auditoire
était au premier étage de l'immeuble, les magasins du rez-de-chaussée et les
greniers étant loués à divers marchands] ou la juridiction royale de Lannion. La
sentence qui paraît avoir été le plus souvent invoquée est celle qui suivit
l'action intentée, au mois de mars 1660, par Louis de Kergariou, procureur
d'office de la juridiction de Penlan, contre deux quevaisiers de Trébeurden, la
veuve d'Alain Cam et Alain Le Cozic, et que rendit le sénéchal Yves Evenou, le
10 octobre 1663. Marie Audren, la veuve d'Alain Cam, avait acheté, avec
l'autorisation de la seigneurie, la quevaise dite d'Alain Le Cozic pour cent
vingt livres. Elle ne voulait payer pour lods et ventes que quinze livres au
lieu de trente et s'obstinait à ne pas vouloir communiquer son contrat d'acquêt.
Par le paragraphe essentiel de la sentence, elle avait été condamnée à payer la
somme de trente livres « pour le droict de vante d'icelluy à raison du quart
denier suivant l'uzement quevaisier » (Archives départementales des
Côtes-d’Armor, H 124).
Il ne suffisait d'ailleurs pas de prononcer une sentence
et de la faire signifier pour qu'elle fût exécutée par le condamné. On en eut un
exemple, dès l'année suivante. Jean Tugdual, de Trébeurden, avait été condamné,
comme la veuve d'Alain Cam, à payer les ventes au « quart denier » pour
son acquisition de terres quevaisières effectuée le 21 novembre 1658. Il se
refusa en premier lieu à payer les dépens mis à sa charge. Il fallut procéder à
leur liquidation devant la même juridiction, en présence de Denys Mauduict, le
procureur cellerier de l'abbaye de Bégard, assisté de Maître Yves Le Lagadec,
son avocat, et en l'absence de Maître Jean Le Bouloign, l'avocat de Jean
Tugdual, qui avait estimé inutile de se déranger. Mais deux autres avocats,
François de Lésormel et Henry Le Poncin, en conséquence de l'abstention de leur
confrère, avaient eu à connaître de l'affaire, en sorte que Jean Tugdual eut
finalement à débourser beaucoup plus que la somme de vingt et six livres
tournois « comprins la présente vacation, journée dud. demandeur, assistance
des accesseurs et grosse et signification de l'ordonnance de mond. sieur le
Sénéchal » à laquelle les dépens avaient été « taxés et trouvés »
(Archives départementales des Côtes-d’Armor, H 124) (15 mai 1664).
Cependant il apparaît, dans cette affaire, que la rigueur
de l'usement en ce qui concernait la réversion de l'unique quevaise que pouvait
originellement posséder le quevaisier, au seul juveigneur, ou s'il n'avait pas
laissé d'enfants, au seigneur d'un fief, était parfois tempérée.
Qu'on lise avec attention le début du document suivant où
il est reconnu en présence du procureur-cellérier de l'abbaye que le quevaisier
défunt avait été autorisé tacitement ou explicitement à posséder plusieurs
quevaises.
Sur l'exécution de sentance randue en la jurisdiction
de Penlan, fieff amorty, membre despandant de l'abbaye Nostre Dame de Bégar, au
proffict des humbles pères prieur et relligieux aud. Bégar, demandeurs en
exécution de lad. sentance, contre Guillaume Le Moign, Françoise Le Blanche,
veufve Jan Le Moign, curatrice de son fils mineur, et Guillaume Broudic, tant en
privé que comme père et garde naturel d'Yves et Janne Broudic, héritiers
s'estant portés de deffunct 0llivier Le Moign, décédé sans hoirs de corps,
possesseur de nombre de terres et plusieurs hérittages rellevants de lad.
seigneurye de Penlan, lad. sentance randue le vingtiesme décembre dernier (22
décembre 1662) par laquelle lesd. prétandus hérittiers auroint esté condemnés de
quiter et dellaiser ausd. relligieux la libre jouissance et disposition des
terres dont led. deffunct 0llivier Le Moign seroit décédé propriettaire et
possesseur leur estants escheus par droict de réversion comme de tenue en tiltre
quevaisier, etc. (Archives départementales des Côtes-d’Armor, H
129).
Qu'0llivier Le Moign eût bénéficié de la faveur ou tout
au moins de la tolérance des moines ce n'est pas douteux. Il est vrai qu'ils
avaient le pouvoir de réunir en une seule tenue des terres et des héritages
disparates. L'ont-ils fait en l'occurrence ? C'eut été accommodement avec
l'usage de manière à maintenir le principe de l'unicité de la quevaise et leur
droit de réversion.
L'accord qui en est résulté semble donner un certain
crédit à cette manière d'envisager les choses. Devant les notaires royaux
lannionnais Jannin et Charles Le Gluidic comparurent, le 6 août 1663, «
honorable homme » Guillaume Le Moign, époux de Marie Le Blanche, demeurant
Rospez, frairie de Kergolvezan, et dom Denys Mauduict, dont il a été question
précédemment. Celui-ci consentit à Guillaume Le Moign, pour lui, « ses
hoirs, successeurs, à quy luy auraint cause », à titre de quevaise, les
biens dont son frère 0llivier avait joui, moyennant cent vingt livres tournois
et la même rente quevaisière annuelle que précédemment.
Par ce procédé le procureur-cellérier, s'il n'avait pas
fait payer le rachat, avait exigé un pot de vin pour la cession de la quevaise —
ce qui ne serait pas allé de soi si 0llivier Le Moign avait eu seulement un fils
ou une fille.
Puis dom Denys Mauduict tint à faire préciser par les
notaires que la quevaise ainsi transportée l'avait été conformément à la coutume
et « à la nature des autres quevaizes de lad. abbaye et seigneurye dud.
Penlan, qui est tel, approuvé et observé entre le seigneur abbé d'icelle abbaye
et tous ses hommes quevaiziers. Scilicet que lorsque le quevaizier meurt,
scavoir, son fils juveigneur ou fille juveigneure... est seul de fondé de jouir
et disposer de lad. quevaize, sans estre obligé de bailler part ny portion à ses
autres frères et soeurs, et advenant la mort dud. juveigneur ou juveigneure,
lad. quevaize retourne pour ainsin dire aux seigneurs dont ils rellevent, et
sans préjudice d'autres droicts en lad. nature... ».
Dans une autre affaire, celle de la quevaise Michel
Huellou, dans la paroisse de Trébeurden, frairie de Kerillis, qui se termina
également par un accord, on voit se produire une autre anomalie par rapport à
l'usement. Il ne prévoit pas, en effet, qu'une quevaise puisse être partagée,
puisqu'elle doit revenir en son entier au seigneur, si le quevaisier meurt sans
enfant. Or, à son décès, le recteur de Trébeurden, 0llivier Riou, se trouve
possesseur de la moitié de la tenue Michel Huellou qu'il tient incontestablement
à titre quevaisier puisqu'une sentence de Penlan débouté ses héritiers et
déclare que « lad. moittié dud. convenant est tombée et advenue ès mains des
humbles frères prieur et relligieux dud. Bégar à présant seigneurs
propriéttaires dud. Penlan... ».
L'accord qui suit cette sentence est conclu entre dom
Denys Mauduict et « noble hôme Jan Riou, sieur de Runeuffve, demeurant en la
ville de Lannyon, présant et acceptant pour il, les siens, hoirs, successeurs et
causéients à perpétuité à tiltre de quevèze aus ux, coustumes et à la nature des
autres quevèzes de lad. abaye et seigneurye de Penlan, scavoir est etc. » (Archives
des Côtes-d’Armor, H 133 et 136 - 3 août 1663)
La plupart du temps on ne prend pas la peine de donner à
de telles dérogations un semblant d'explication : que des quevaises soient, par
respect de l'usement, déclarées parfois indivises, il n'en est pas moins vrai
que beaucoup d'entre elles sont partagées entre les héritiers naturels ou même
entre les collatéraux. Ce n'est que rarement que la lettre de l'usement est
invoquée.
On voit même la juridiction de Penlan avaliser une telle
pratique. Le 31 août 1670, son sénéchal condamne les tenanciers du convenant non
congéable Henry Le Moal (paroisse de Trébeurden, frairie de Kerroch), héritiers
de Tugdual Le Brozec, à payer les ventes au « quart denier ». Mais ce
pourrait bien être la conséquence d'une astuce du procureur-fiscal désireux de
faire payer aux collatéraux un droit seigneurial important, comme s'ils étaient
devenus détenteurs de cette quevaise par le moyen d'une vente réelle.
La raison en est probablement que toutes les terres
cultivables disponibles avaient sans doute été concédées. Si, à l'origine, on
avait tenu à ce que l'héritier fût le juveigneur, c'est qu'il en restait
d'autres à attribuer aux autres enfants. Quand il n'y en eut plus, il fallut,
pour éviter l'intensification du fléau de la mendicité, composer avec l'usement
et, en conservant plus ou moins la lettre, ne pas trop chercher à en appliquer
les dispositions dans leur rigueur. Ainsi fut partagée, en fait, entre Jean
Tudual et ses frères et soeurs la quevaise de Rochanbassel, en Pleumeur-Bodou,
dont il a été question précédemment.
D'autre part, les portions de quevaises partagées et
repartagées devenant souvent infimes, il fallut admettre ou tout au moins
tolérer qu'un même quevaisier pût posséder les droits superficiels et
réparatoires de plusieurs d'entre elles, soit par héritage, soit par achat. On
le constate souvent par la simple énumération des consorts en tête des aveux ou
par les ventes de plus en plus nombreuses de ces portions. Ce qui fait présumer
pour chacune d'elles au moins un partage antérieur.
Ne voit-on pas, le 3 octobre 1658, Grégoire Ezvenou et sa
femme Françoise Le Bivic vendre à Yves Le Bivic, mari d'Anne Le Cozic, la moitié
du courtil appelé Liors an Ty, dépendant du convenant Randreux, dans la paroisse
de Perros-Guirec, frairie de Kergomar, moyennant soixante‑treize livres et dix
sols tournois (Archives départementales des Côtes-d’Armor, H 140). Or
le courtil Liors an Ty est quevaisier alors que le convenant Randreux est à
domaine congéable. La plus grande partie de ce convenant relève de la seigneurie
de Barac'h, en Louannec [Note : Possédée alors par François du Coskaër, sieur de
Barac'h (Louannec) et de Rosanbo (Lanvellec)] et le surplus de celle de Penlan.
Combien d'atteintes à l'usement faut-il supposer pour en arriver à de telles
distinctions et à un tel émiettement !
Un autre exemple sera fourni par une sentence de la
juridiction de Penlan, en date du 30 octobre 1747. Le procureur-cellérier de
l'abbaye de Bégard a fait poursuivre Jean Le Damany qui s'est refusé à payer les
lods et ventes au « quart denier » pour son acquisition d'une portion
de champ nommé Jeant Le Devedou, paroisse de Trébeurden, frairie du Guiller. Il
obtient satisfaction, mais il apparaît que si ce champ appartient partiellement
à Penlan à titre quevaisier, le surplus relève de la seigneurie de Lanascol
(paroisse de Ploumilliau, trêve de Keraudy) à domaine congéable [Note :
Archives départementales des Côtes-d’Armor, H 136. La sentence est très
argumentée par noble maître Hippolyte-César Le Demour, sieur de Fontainnegué,
avocat en Parlement, sénéchal et seul juge de Penlan].
Il n'est pas rare, en effet, qu'un même individu soit
possesseur de plusieurs portions de quevaises sous le domaine de Penlan et de
plusieurs portions de convenants congéables sous d'autres seigneuries.
Au reste, ce à quoi tiennent surtout les
procureurs-fiscaux de Penlan, c'est au paiement de lods et ventes au « quart
denier » et, en conséquence, à la reconnaissance par les avouants de la
nature quevaisière de leur possession ou de leur acquêt. Les sentences de la
juridiction abondent en ce sens. On se bornera à citer celle du 22 décembre 1663
déclarant quevaise le convenant Alain Cozic Pors Mabou, à Tréheurden (frairie du
Guiller) (Archives départementales des Côtes-d’Armor, H 133) et surtout
celle plus générale du 26 janvier 1680 qui adjuge à la seigneurie de Penlan les
lods et ventes au « quart denier » dans toutes les quevaises de son
domaine.
D'ordinaire, au cours des siècles, on ne relève pas de
modifications dans le statut territorial des convenants. On n'a trouvé qu'une
fois, en 1748, mention d'un convenant Cozleur ou Quiniou, à Trébeurden (frairie
de Kerroch), convenant congéable, devenu non congéable (Archives
départementales des Côtes-d’Armor, H 140). Ni l'époque, ni la raison de
cette transformation ne sont connues.
Il aurait été intéressant de savoir ce que devinrent les
six convenants non congéables que l'abbaye de Bégard fut obligée de vendre, avec
d'autres terres, pour obéir aux ordres du roi Charles IX qui, avec l'assentiment
du pape, avait imposé une « finance » à tous les bénéficiers
ecclésiastiques pour l'aider à combattre les adeptes de la Religion
Prétendue Réformée. Ces six convenants furent achetés par le seigneur de
Trovern qui ne connaissait parmi ses vassaux que fermiers et surtout
convenanciers congéables. En a-t-il transformé l'essence ? Sont-ils redevenus
quevaises quand Louis XIII eut permis aux anciens propriétaires de rentrer dans
leurs biens jadis aliénés ? Les sentences des Requêtes du Palais, qui fixent le
montant des sommes à verser par l'abbaye de Bégard pour désintéresser les
possesseurs intérimaires, sont toutes muettes sur ce point.
On n'a rencontré qu'une fois un acte de générosité. Il
est à l'actif de Charles Fleschard sieur de Ferrand, l'un des procureurs-fiscaux
les plus exigeants et les plus enclins à impunir les déclarations et les aveux
des vassaux. Le 3 mars 1689, il déclare transporter « les droicts amortys,
non congéables et réparatoires d'une maison en estat telle qu'elle est à présent
», avec un jardin et une parcelle de « terre chaude », situés à
Perros-Guirec (frairie de Ploumanac'h) « par pur don gratuit de ce jour à
l'advenir à Louis Le Guillou et Louise Le Quellec sa femme ». Mais ils
paieront « les Tantes et les droictz », — rente quevaisière et droits
seigneuriaux et féodaux. Il s'agit donc seulement d'une remise des lods et
ventes, vraisemblablement suggérée par le prieur de l'abbaye.
A l'exception de cette mesure de bienveillance, on
n'a rencontré chez Charles Fleschard que désir d'accroître les casuels du
domaine de Penlan, sur le montant desquels il percevait personnellement
trois sols pour livre. S'il paraît avoir été particulièrement sévère, son
prédécesseur Yves Le Lagadec sieur de Maisonneuve ne l'était guère moins.
C'est ainsi qu'on le voit impunir, le 25 mai 1666, l'aveu rendu par Yves
Lostis, mari de Catherine Le Lan, héritière de son frère Jean Le Lan, pour
le convenant Lan an Guiben ou simplement Le Lan, à Plouzélambre (frairie de
Runanspern), pour ne pas avoir déclaré « la nature du fief » (Archives
départementales des Côtes-d’Armor, H 140).
Pour achever le tableau succinct des vicissitudes de
l'usement quevaisier dans le domaine de Penlan, il peut être utile d'attirer
l'attention sur quelques cas particuliers, s'appliquant l'un à une
succession vacante, l'autre à une exponse, le troisième à une réquisition.
Le 12 août 1747, Rolland Le Scan, quevaisier du convenant
Ty bihan, à Trébeurden (frairie du Guiller) mourut sans hoirs de son corps. Sa
femme, Mauricette Gouriou, ne tarda pas à se remarier avec un nommé Yves
Crec'hriou. Elle demeura avec son second mari dans la quevaise dont la propriété
des droits superficiels et réparatoires avait appartenu au premier. Le
procureur-fiscal de Penlan, l'avocat au Parlement Le Bourva de Coatcongar en fut
aussitôt averti d'une manière indirecte. Fort mécontent, il fit sommer le ménage
de quitter les lieux. Mauricette Gouriou réclama son « douaire », qui
ne pouvait s'appliquer qu'aux meubles du temps de sa communauté avec Le Scan, en
quevaise n'existant « ni douaire ni retrait lignager ». La sentence de
Penlan fut un peu moins sévère qu'on aurait pu s'y attendre. Sans doute la
seigneurie reprit la quevaise Ty bihan, ordonna la mise en vente des meubles à
l'encan — vente qui rapporta un peu plus de trente-cinq livres — dont Mauricette
Gouriou fut autorisée à prélever le tiers, mais il lui fut remboursé les frais
faits par elle et son second mari sur la quevaise depuis la mort du premier (Archives
départementales des Côtes-d’Armor, H 139).
... Il arriva quelquefois que des quevaisiers eussent
abandonné leur tenue sans en aviser le procureur fiscal. Ce fut très rare. Que
devinrent-ils ? Des vagabonds ou des mendiants sans doute, la mendicité
accompagnant le vagabondage et la rapine. Faut-il en rendre responsables les
exigences de l'usement et celles des procureurs ? Parfois peut-être, mais il ne
faut pas négliger certaines autres causes possibles, telles que la paresse et
l'ivrognerie. On a rencontré quelques cas où, devant les coups du sort
s'abattant sur des travailleurs sérieux, les prieurs de Bégard ont modéré le
zèle de leurs procureurs fiscaux, fait remise d'une partie ou même de la
totalité des rentes qui leur étaient dues, pour permettre à ces quevaisiers de
rétablir leur situation. Ces prieurs eurent même parfois à lutter contre leurs
procureurs-cellériers dont certains, tel Bonaventure Hervieu, au XVIIIème
siècle, ignoraient que la procure monacale pouvait se résoudre à des
accommodements.
Mais il existait une procédure de l'exponse, dont on n'a
trouvé qu'un exemple dans les nombreux dossiers du domaine de Penlan. Pierre Le
Bivic, sa femme Jeanne Lissillour et leur fils Paul Le Bivic, estimant qu'il
leur était impossible de vivre sur la quevaise Crec'heren à Trégastel (frairie
de Golgon), demandèrent à faire régulièrement exponse. Cette quevaise n'était
guère composée que de terres froides, de landes et de rochers. Ils furent reçus,
le 10 juillet 1677, dans la maison dite de Penlan, à Lannion, par le
sous-procureur de l'abbaye, Jean Nicolas, bachelier en théologie de la faculté
de Paris. Celui-ci consentit à leur départ, quoique les Le Bivic eussent un fils
qui aurait dû leur succéder, à condition de payer les quatre levées de rentes
arriérées, soit trente-six livres, pour la valeur de huit boisseaux de froment,
et dix sols pour la dîme seigneuriale (Archives départementales des
Côtes-d’Armor, H 139). Ils s'y engagèrent mais ne purent tenir parole. Leur
dette figura longtemps sur les états annuels des « restaux » de Penlan
accompagnée du mot marginal « cadis » signifiant qu'elle était
irrécouvrable.
La quevaise Crech'eren ne trouva pas un autre quevaisier
et dut être louée à « simple et pure » ferme.
... Autre application des dispositions de l'usement de
quevaise : — dans son domaine l'abbaye de Bégard possédait le moulin à eau de
Goulagoar, situé près de l'embouchure du minuscule ruisseau qui sépare les
paroisses de Trébeurden et de Servel. Moulin d'un bon rapport et qui faisait au
moulin à vent du Guiller, qui dépendait aussi du domaine de Penlan, une telle
concurrence qu'il fallut répartir entre l'un et l'autre « les moutaux et
détreignables » d'après les frairies. C'est sur la paroisse de Trébeurden
(frairie de Kerroch) que tournait la roue du moulin de Goulagoar.
Au bout d'un certain temps, son étang s'envasait. Ainsi
en fut-il en 1746. On décida de procéder à son « curement et désencombrement
». A la demande du procureur-cellérier de l'abbaye, le recteur de
Trébeurden, au prône de la grand'messe du 26 juillet, informa les vassaux qu'ils
étaient requis pour y procéder, leur indiquant le nombre d'hommes que chaque
convenant devait fournir et le jour auquel ils étaient convoqués [Note :
Archives départementales des Côtes-d’Armor, H 132. Il y eut quelques autres
réquisitions, notamment pour l'agrandissement de la chapelle Notre-Dame de
Bonnes-Nouvelles à Trébeurden. Son agrandissement avait été demandé par les
vassaux de Penlan eux-mêmes].
... Qu'il y ait eu aussi des litiges relatifs aux émondes
des arbres crûs sur les talus, que des quevaisiers aient commis la contravention
de couper « des bois sur pied », c'est certain. Pourtant on n'en trouve que de
rares mentions pour ce qui regarde le domaine de Penlan, sur lequel il n'y avait
qu'assez peu d'arbres. Les bois, que l'on rencontre dans la presqu'île
lannionnaise, décorés parfois du nom de forêts, appartiennent à des seigneuries
voisines, comme celles de Keruzac et de Kerduel en Pleumeur-Bodou ..
Il serait déloyal de ne pas noter que l'usement
quevaisier fut appliqué dans le domaine de Penlan avec assez de libéralisme.
Sauf la disposition de la déshérence (encore fut-elle maintenue surtout
théoriquement) les modifications qui y furent apportées par la jurisprudence
seigneuriale ont toutes été en faveur des quevaisiers. Mais on a l'impression
que ceux-ci travaillaient dur et souvent pour un maigre profit. C'est non
seulement parce que les procédés de culture étaient arriérés et routiniers, mais
aussi parce que, dans les paroisses où des terres nombreuses. relevaient de
Penlan, beaucoup d'entre elles ne se différenciaient guère en qualité de celles
qui étaient regardées comme des communaux. Aussi les quevaisiers devaient-ils et
savaient-ils se contenter de peu. Il est certain que les rentes qu'ils levaient
et les droits féodaux auxquels ils étaient soumis rendaient leur situation
économique précaire. Pourtant, on ne peut nier que leur condition s'était
améliorée. Elle ne paraissait même pas à leurs contemporains vraiment
désastreuse puisque, en cas de déshérence, ce sont presque toujours les
héritiers collatéraux du défunt qui se font mettre en possession des quevaises
ou des portions de quevaise revenues dans les mains des religieux..
Les litiges qui se réfèrent directement à la
méconnaissance des dispositions de l'usement n'ont pas été exagérément nombreux.
Ils l'ont été beaucoup moins que les litiges se rapportant à la dîme. Sur le
domaine de Penlan, comme d'ailleurs dans la plupart des seigneuries de la
presqu'île lannionnaise, c'est la dîme seigneuriale qui avait cours. Elle était
d'ordinaire perçue à la douzième gerbe, aussitôt après la récolte. Le tiers en
était le plus souvent reversé au clergé des paroisses (qui bénéficiait d'autre
part des prémices) ou au chapitre cathédral de Tréguier. Or la seigneurie de
Penlan, notamment dans les paroisses de Trébeurden et de Pleumeur-Bodou,
prétendait lever la dîme même sur certaines des terres roturières des
seigneuries voisines. D'où des procès constants qui trouvent leur issue
généralement favorable aux moines devant la cour royale de Lannion et parfois
devant le présidial de Rennes quand ce n'est pas devant le Parlement de
Bretagne.
Si des quevaisiers se sont trouvés impliqués dans de
telles affaires, il semble que ce soit uniquement pour les droits superficiels
et réparatoires des convenants congéables dont ils possédaient des portions sous
d'autres seigneurs qui leur réclamaient aussi le paiement de la dîme. Il est
probable que ces quevaisiers se seraient abstenus de toute opposition s'ils
n'avaient subi l'influence des agents de ces autres seigneurs et celle des
procureurs, avocats et notaires pullulant dans les campagnes, qui cherchaient,
les uns, à étendre les mouvances de leurs seigneurs, les autres à tirer profit
de la multitude des actes et des plaidoyers que nécessitait le règlement du
moindre procès. Car la classe des hommes de loi campagnards est en marche vers
l'accession à la bourgeoisie judiciaire urbaine, voire à la noblesse par des
mariages profitables ou par l'acquisition de charges qui la confèrent. Le Tiers
Etat, ce ne sont ni les convenanciers ni les quevaisiers et, s'ils sont brimés,
c'est souvent plutôt par les agents des seigneurs que par les seigneurs
eux-mêmes.
Les paysans ne seraient pas des paysans s'ils n'avaient
quelque plainte à faire entendre. Leur voix s'amplifia singulièrement dans la
seconde partie du XVIIIème siècle. Ils y furent excités moins par certains
d'entre eux que par ces hommes de loi des campagnes plus ou moins frottés (et
d'une manière souvent indirecte) de la philosophie de l'époque. La multiplicité
des afféagements de terres vaines, vagues et décloses que les quevaisiers
regardaient comme des communaux, où ils faisaient paître leurs bestiaux, où dans
certains des douets ils les faisaient boire et dans d'autres y faisaient rouir
leur lin ou leur chanvre, puis la réfection du terrier de l'abbaye de Bégard
ordonné par son dernier prieur Jean-Baptiste Mauffray, donnèrent des raisons
supplémentaires à leurs revendications.
D'autre part, le régime féodal était violemment attaqué
par les bourgeois de la robe et du commerce, habitués des chambres littéraires
et des loges maçonniques, dont la plupart enviaient les privilèges des nobles
qu'ils rencontraient souvent dans les sociétés de pensée. Les paysans
estimaient, tout comme eux, que les droits féodaux ne se justifiaient que par
les services que les seigneurs devaient leur rendre, assurant protection de
toutes manières. Or la plupart de ceux-ci n'en rendaient plus aucun : ils ne
protégeaient même plus leurs cultures contre les déprédations du gibier et des
pigeons, alors que leurs agents se montraient plus rigoureux et plus jaloux de
leurs droits.
Comme en Basse-Bretagne, le statut des tenues était
présumé à domaine congéable, sauf conventions contraires, c'est contre lui que
furent dirigées les attaques les plus véhémentes, même quand il s'agissait de
l'usement de Tréguier et de Goëllo, sous lequel les convenanciers avaient joui
d'un état économique et social supérieur à celui de la plupart des paysans de
France.
C'est en vain qu'un jurisconsulte raisonnable, Baudouin
de Maisonblanche, écrira un traité remarquable [Note : Institutions
convenantières ou Traité raisonné des domaines congéables en général et
spécialement à l’usement de Tréguier et Goëlo, Saint-Brieuc, 1776, 2 vol.
in-12°] sur cet usement où il montrera avec netteté que si le régime
convenancier paraissait entaché de féodalité, c'est qu'une confusion s'était
naturellement produite quand le suzerain était en même temps le propriétaire du
fonds. Ce que la majorité des paysans voulait, c'était obtenir la réciprocité en
matière de congément, c'est-à-dire le droit de quitter leur tenue, par un acte
de leur volonté, à l'expiration de la baillée en percevant le montant de leurs
améliorations ou la transformation de leurs tenues congéables en censives. Les
plus violents, souvent les moins aptes à envisager avec justesse leur condition,
poussés par les agitateurs, réclamaient « la loi agraire »,
c'est-à-dire l'appropriation pure et simple des terres que leurs familles
avaient parfois labourées depuis deux ou trois siècles et de la propriété
desquelles ils prétendaient qu'elles avaient été spoliées.
Il était naturel que les quevaisiers soumis à un usement
dont personne ne contestait le caractère féodal puisqu'il fixait les paysans à
la terre, se rapprochant de la mainmorte et même du servage, fissent entendre
aussi de véhémentes réclamations. Ils demandaient soit la transformation de
leurs terres en censives, soit leur appropriation.
Les cahiers de doléances en font foi. Malheureusement
ceux de la sénéchaussée de Lannion n'ont pas été retrouvés. Tout permet de
penser que les quevaisiers de Penlan firent entendre les mêmes doléances que
ceux plus voisins de l'abbaye de Bégard et qui figurent dans la monumentale
publication de Henri Sée et André Lesort : Cahiers de doléances de la
sénéchaussée de Rennes (Voir le quatrième volume consacré aux Cahiers
des paroisses de l'évêché de Tréguier, Rennes, 1912). C'est ainsi que le
cahier de Squiffiec demande (art. 11) « que les usements convenantiers,
quevaisiers, droits de motte soient supprimés et les rentes converties en
foncières et censives » (Ibid., p. 123). L'article 4 de celui de Pédernec,
dont le territoire appartenait en grande partie à l'abbaye (Ibid., p. 139.
L'abbaye possédait 107 tenues quevaisières dans la paroisse de Pédennec),
réclame « l'abolition de tous usages ruraux, soit domaines congéables, soit
quevaises, afin que tous les citoyens du Roi puissent jouir de leurs propriétés
librement et à titre de vrais propriétaires, conformément aux coutumes générales
du royaume, ces usements n'étant qu'un reste de l'esclavage et de la tyrannie ».
A Mousteru, trêve de Pédernec, le cahier met davantage
l'accent sur « l'usement fatal de quevaise », entraînant la ruine de
leurs tenanciers « par le prélèvement que le seigneur fait sur nous dans les
cas de déshérence ... qu'il a dans toutes les successions collatérales »
(Ibid., pp. 142-146).
Enfin (car il faut se borner), le cahier de Guénézan,
paroisse dans laquelle s'élevait l'abbaye de Bégard [Note : La Convention réunit
en une seule commune les paroisses de Guénézan, Botlézan et Trézélan ainsi que
les trêves de Lanneven et de Saint-Norvez, sous le nom de commune de Bégard
(décret du 26 mai 1793)], demande avec plus de modération, mais autant de
netteté, que « l'usement de Tréguier sur les quevaises étant une loi dure et
barbare, il serait doux et favorable pour nous qu'il serait entièrement supprimé
et aboli et qu'il fût converti en titre de rente censive » (Sée et Lesort,
op. cit., p. 149).
Ce n'est pas s'avancer beaucoup que d'estimer que les
quevaisiers de Penlan ont dû faire entendre d'analogues doléances.
Si la question du domaine congéable devait être débattue
à plusieurs reprises, tant par la Constituante et la Législative que par les
Conseils des Cinq Cents et des Anciens, l'usement de quevaise allait se trouver
aboli par la Législative d'une manière définitive. C'est surtout parce qu'il
n'existait que dans des seigneuries ecclésiastiques qui furent rapidement
supprimées et ne se reconstituèrent pas.
Quelques dates sont à rappeler, celles du décret du 19
décembre 1789, ordonnant la mise en vente de la plupart des biens de la couronne
et des biens ecclésiastiques jusqu'à concurrence de quatre cents millions de
livres ; — du décret du 13 février 1790, prohibant les voeux monastiques ; — du
décret du 14 mai suivant, autorisant les municipalités à soumissionner les biens
ecclésiastiques à charge de les revendre et de prélever sur leur produit le
bénéfice d'un seizième.
Bien que ce dernier décret n'eût pas rencontré un grand
empressement des municipalités et ne connût ici et là qu'un commencement
d'exécution, c'est à son application qu'on doit d'utiles précisions sur les
tenues du domaine de Penlan à l'époque révolutionnaire.
La municipalité de Guingamp fut, en effet, une des rares
municipalités du département des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor) à
soumissionner les biens provenant des maisons ecclésiastiques supprimées qui en
avaient possédé dans l'étendue du district dont la ville était le chef-lieu, et
même en dehors du district, quand le siège de ces maisons s'y trouvait.
L'estimation des biens de l'abbaye de Bégard fut confiée
au priseur et arpenteur Yves Le Roy, nommé par la municipalité et à l'ingénieur
des ponts et chaussées Jacques-François Anfray, nommé par le directoire du
district, qui jouissait d'une grande réputation. Ils furent ainsi amenés à
expertiser, sauf erreur, 131 quevaises dépendant de Penlan, dont 77 dans la
seule commune de Trébeurden. Elles ne composaient pas seules ce domaine qui
comprenait encore des moulins, des dîmes, des îles (dont les Sept Iles), des
greffes de juridiction, des pièces de terre chaudes, froides, des issues, des
garennes, etc.
La soumission de la municipalité de Guingamp ne fut
d'ailleurs pas retenue par le comité d'aliénation de la Constitutante.
Moins encore que les convenants congéables qui, avec
quelques aménagements favorables aux domaniers, furent d'abord maintenus par la
loi du 6 août 1791, les quevaises ne trouvèrent de soumissionnaires. Après le
vote de cette loi, le directoire départemental des Côtes-du-Nord (aujourd’hui
Côtes-d’Armor), dans une lettre du 14 août, adressée aux directoires des
districts de Pontrieux, Guingamp, Lannion et Rostrenen, précise « qu'il y a
une distinction à faire entre les rentes foncières-convenancières et les rentes
quevaisières ». La mainmorte ayant été abolie par la loi du 28 mars 1790,
il croit savoir « que les rentes de cette espèce auraient été commuées en
droits incorporels et que les tenanciers qui, par des dispositions pénales de
l'usement, pouvaient autrefois être dépossédés, sont aujourd'hui propriétaires
fonciers de leurs tenues ». Il prescrit en conséquence de suspendre
l'aliénation de cette espèce de rentes. Pour le cas où les directoires de
districts bas-bretons en auraient effectué des ventes, ils devront en établir le
bordereau qui sera soumis au comité d'aliénation pour être statué sur leur
validité.
Ce fut l'Assemblée législative qui, in extremis, confirma
cette manière de voir par son article 4 de la loi du 25 août 1792 et, sur le
rapport du député de l'Aube, J.-B. Regnault-Baucaron, rapporteur de son comité
féodal, supprima définitivement la mainmorte. Elle étendit les dispositions de
cette décision aux « ci-devant provinces de Bourbonnais, de Nivernais et de
Bretagne pour tous les actes relatifs aux ci-devant tenues en bordelage, en
motte et en quevaise ».
Ainsi furent réalisés les voeux des plus extrémistes des
quevaisiers : ils devinrent, sans bourse délier, propriétaires incommutables et
libres de leurs tenues. Les seigneuries ecclésiastiques auxquelles ils étaient
soumis n'ayant pas retrouvé leurs moines et l'usement de quevaise ne
s'appliquant qu'à quelques milliers de paysans, personne, même aux époques de
réaction, ne chercha à les transformer en rentes censives même rachetables.
Il en alla différemment pour le domaine congéable.
Supprimé par la loi du 27 août 1792, il fut rétabli par celle du 9 brumaire an
VI (30 octobre 1797). Ainsi les moins favorisés des convenanciers acquéraient,
les premiers, une situation économique et sociale plus avantageuse.
Il ne reste aucune trace de la quevaise, alors qu'il existe encore dans l'étendue de l'ancien évêché de Tréguier quelques vestiges de domaine congéable dont le caractère a été sensiblement amélioré. Quelques propriétaires fonciers tiennent encore à le conserver, alors que leurs domaniers souhaitent le voir disparaître, soit par la transformation de leurs convenants en fermes, soit par le rachat des droits des fonciers et leur accession à la complète propriété (Léon Dubreuil).
(article diffusé avec l'aimable autorisation de la famille Dubreuil).
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