|
Bienvenue ! |
DES BRETONS EN ITALIE AU XIVème SIECLE |
Retour page d'accueil Retour page "Ville de Ploufragan"
Le XIVème siècle a été le siècle des grands coups d’épée. La Bretagne, à cette date, affirmait une fois encore sa vaillance, sous la bannière du plus illustre de ses guerriers. L’héroïsme est contagieux, il n’est donc guère de nos cités qui ne puissent revendiquer une part de gloire dans cette épopée chevaleresque. « Au tems de Charles de Blois, écrit d'Argentré, il se fit et esleva des plus vaillants capitaines au monde, et entre iceux messire Bertrand du Guesclin, messire Olivier du Guesclin, son frère, messire Olivier de Clisson, messire Silvestre Budes, etc., etc. » [Note : D’Argentré, en son Hist. de Bret., chap. des Illustres]. La liste en est longue.
Que chacun fouille son coin de terre, il y récoltera une ample moisson. Pour Saint-Brieuc, les chroniques du temps, les montres et revües du connétable nous révèlent trois noms particulièrement glorieux : Budes, Boisboissel et Plédran [Note : Le testament, encore inédit, de Pierre du Boisboissel est assurément une des pages les plus curieuses de l’histoire de St-Brieuc, au XIVème siècle. Ce capitaine, nous dit dom Lobineau, suivit du Guesclin dans toutes ses expéditions; nous ajouterons qu’il doit être considéré comme l’un des bienfaiteurs de sa ville natale. Le détail de ses largesses, ses aveux sont pleins de révélations. Citons au hasard : « Item : Ge donne et lesse à la soustenance des pouvres de lostellerie de St-Brieuc ung tonnel dorge ; item, à loupvre de la chapelle de la Magdelaine de St-Brieuc ung tonnel froment ; item, à la sustentacion des pouvres de lad. chapelle ung tonnel dorge et de febves ; item, cinquante libvres rentes annuelles et perpétuelles à l’Esglise de St-Brieuc sises en mes héritaiges entre Urn et Gouët ; item, ge donne et lesse et veill que soint donnez et distribuez vingt escus d’or... item, pour ce que gay hanté les armes ou tems passé et en ma compaignie ay mené et tenu par pays gens d’armes, archiers et aultres gens qui ont prins, ravi et pillé plusieurs biens, et ge mesme en ay prins, ge veill et ordrenne que mes exécuteurs dongent, baillent et livrègent, tant aux esglises que aux pouvres, 50 escus d’or, etc., etc. ». C’est lui qui dote la Cathédrale et St.-Michel d’insignes reliques rapportées par ses pères, après les Croisades : Vraye Croëz où nostre seigneur fust cruscifié... Certaine partye de son sang... Espine dont fust couronné, le tout renfermé dans des joyaux. Ce testament, dont nous devons communication à notre savant collègue, M. l’archiviste Tempier, fait partie du Dépôt des Côtes-du-Nord. Il est daté du Mercredy après la Exaltation Saincte Croëz, de l’an 1364, et fait par Pierre du Boisboissel, en sa maison et manoir de la rue Sainct Père. Quelques jours après, Boisboissel tombait glorieusement auprès de Charles de Blois, à Auray. Le sceau des Boisboissel, prévost féodés de l’évêché de St-Brieuc, portait : d’Hermines au chef de gueules chargé de 3 mâcles d’or, alias, de gueules à la croix d’argent cantonnée aux 1 et 4 : de quatre mâcles ; aux 2 et 3 : d’une étoile, le tout d’argent. Les sires du Boisboissel se sont fondus, au XVème siècle, dans la maison du Rouvre. Le testament ci-dessus nous donne le nom patronymique des du Rouvre, qui est de Matelien, alias Maëlien, nom qui ne figure pas dans nos armoriaux bretons. Quant à Henry de Plédran, il faisait non moins grande figure dans nos parages : « La montre de Monsieur Henry de Plédran, chevalier, et huit escuiers de sa compaignie, reçue à Dinan, le 24e jour d’Avoust, l’an 1378, sous le gouvernement de M. le Connestable. » (D. Mor. Pr. t. 11, col. 186). Son scel ou signet est chargé d’un casque sommé d’une hure de sanglier, avec les lettres H. P. (id. ibid. col. 66). Henry de Plédran avait pour femme Jeanne de Malestroit, qui donna ung tonnel de fourment, à la collégiale de St-Guillaume, pour la grand'messe du lundi (Fondations anciennes de St-Guillaume. Manuscrits de Ruffelet. Arch. de La Villerabel). Les Plédran avaient leur enfeu à St-Guillaume], glorieux autant qu’oubliés, avouons-le tristement ! Quel monument si simple qu’il soit, quel tronçon de rue rappelle en effet aux Briochins ces vaillants, qui se disputèrent le périlleux honneur de les protéger, les dotèrent de privilèges acquis au prix de leur sang ; qui appelèrent enfin, par leur mort héroïque, la gloire sur leur berceau ? [Note : Les Fragments inédits de du Paz, publiés dans la Revue historique de l’Ouest, racontent les démêlés des deux capitaines briochins, Pierre du Boisboissel et Henri de Plédran, se disputant à main armée l’honneur de défendre leur ville, en occupant sa vieille cathédrale fortifiée, durant cette guerre terrible de la succession de Bretagne. Il ne fallut rien moins que l’intervention de Charles de Blois, lui-même, dont ces deux chevaliers tenaient le parti, pour régler ce différend, point d’honneur exagéré par ces hommes de fer du moyen-âge. « Ce prince accommoda cette affaire, écrit du Paz, comme il se voit par ses lettres-patentes du 7 décembre 1354, par lesquelles il est dit : Que ledit Plédran remettra entre les mains dud. Monsour Charles de Blois l'esglise et la tour d’icelle et le manoir épiscopal, pour estre rendus à l’évesque et aux chanoines de St-Brieuc, à condition cependant qu'ils ne pourraient en confier la garde audit Monsour Pierre du Boisboissel, tandis que dureroient les dissensions et différens qui estaient entre luy et Henri de Plédran. » (Ext. des mss. du P. du Paz. — Revue historique de l’Ouest, T. I, p. 192)] Qui sait aujourd’hui, qu’aprés des prouesses sur vingt champs de batailles, à travers la France, l’Allemagne et l’Espagne, en compagnie de Messire Bertrand, Sylvestre Budes, par exemple, portait haute et fière sa bannière à Montiel et Navarette ; que Henry de Plédran relevait, à Cocherel, cette même bannière trois fois abattue ; que Pierre du Boisboissel faisait des prodiges avec lui, à la sanglante journée d'Auray ?
Du moins, si la reconnaissance de notre siècle fait défaut à ces héros du passé, leurs gestes sommeillent dans nos chroniques, jusqu’au jour où la justice et l’orgueil national les vengeront de l’oubli.
Modeste chercheur, il nous eût été doux de contribuer à cet acte de réparation, et c’est dans ce but que nous allons essayer de faire revivre, en quelques pages, non pas tant le côté chevaleresque, les hauts faits de ces vaillants, déjà signalés par nos vieux historiens, mais le côté pratique, le bénéfice que nos pères ont pu retirer de ces expéditions guerrières [Note : « En ce tems avoit en la marche de Rome un moult vaillant et hardy Chevalier de Bretaigne, qui s’appelait Sylvestre Budes, qui tenoit sous luy plus de deux mille Bretons, et s'estoint ez années passées moult bien portez contre les Florentins, que le pape Grégoire avoit guerroyez et excommuniez pour leur rébellion, et avoit ce Sylvestre Budes tant fait que ils estoint venez à mercy. Pape Clément et les Cardinaux qui estoint de son accort, le mandèrent secrettement et tous ses gens darmes. Si se vindrent bouter au bourg St-Pierre, au fort Chastel St-Ange, pour mieux contraindre les Romains. Si n’osoit Urbain partir de Thieulle, ne les Cardinaux qui de son accord étoint ; et grandement n’en y avoit mie pour la doutance de ces Bretons ; car ils estoint grand foison et tous gens de fait, qui ruoint sus tout ce qu’ils trouvoint et rencontroint. » (Froissart, Chroniques)]. Notre époque positiviste le comprendra peut-être mieux : beaucoup étant persuadés qu’ils n’ont dû conquérir, ces preux, que gloire et horions, deux choses négatives, et presque synonymes pour eux...
Un heureux hasard, des documents authentiques et inédits, vont nous permettre de révéler notamment les résultats ignorés de la campagne d’Italie, dans laquelle succomba tragiquement Sylvestre Budes, le plus célèbre de nos trois Briochins, celui que Froissart qualifie de « moult vaillant et hardy chevalier », que le pape Clément VII n’hésite pas à proclamer « défenseur de l’Esglise », en le nommant Gonfalonier de ses troupes ; Sylvestre Budes, illustre ancêtre du maréchal de Guébriant, (autre enfant de Saint-Brieuc, oublié !) qu’un injuste trépas rendit le bienfaiteur de toute une contrée.
Toutefois, avant d’entrer en matière, permettez-moi de vous présenter ce fameux « Monsour Selvestre », comme l’appellent les chroniqueurs du XIVème siècle. Voici son crayon d’après un contemporain, l’un de ses frères d’armes, Guillaume de la Pérenne [Note : Guillaume de La Pérenne, ainsi nommé par les Français, s’appelait en réalité du Perenno, du nom d’une terre située en Bodivit, au diocèse de Cornouailles. Son sceau portait : d’azur à 3 poires feuillées d'or, à la fleur de lys de même en abyme, alias une fasce ondée, 1379. Il fut poète et soldat tout ensemble, d’après cette rapide autobiographie qu’il a eu soin de nous laisser. « L’an MCCCLXXVIII fist Monsieur Guillaume de La Pérene cest roman pour amour et honour de nostre mère saincte Eglise, et pour vaillance d'armes que fist en celuy temps Monsieur Selvestre Budes avecque plusieurs hommes qui en sa compagnie estaient ou faie de l'Eglise ; lequel messire Guillaume fut trois fois prisonnier audit pays ». A la suite de ce poème est une autre pièce de vers intitulée : Description des obsèques de Bertrand du Guesclin, conestable de France, faites en l'abbage de S. Denis, en France. Cette pièce, qui se compose de cent trente-six vers, se termine par les lignes suivantes : « Explicit iste liber, Deo gratias. Si male quod feci : veniam peto ; si bene, gratiam. Qui me scribebat, Guihelmus nomen habebat, corisopitensis diocesis… Et fui scriptus in civitate Avenionensium anno Domini MCCC nonagesimo. » (Voir D. Martène et D, Morice, ainsi que la Biographie bretonne, de Levot, art. La Pérenne)] :
Mais ce n’est pas tout, écoutez :
Tout va à merveille jusque-là. Malheureusement, il y a un si parmi les perfections de « Monsour Selvestre », et le poète l’avoue :
On le voit, pas de médaille sans revers : Sylvestre Budes ne savait pas chanter ! C’est fâcheux sans doute... pour les mélomanes ; nous allons voir du moins qu’ils savait faire chanter l’ennemi, mieux même que ne fait son historiographe, en sa Chanson de Gestes, aussi ennuyeuse qu’élogieuse, de prés de 3,000 vers dont je vous ferai grâce [Note : Sylvestre Budes était fils de Guillaume, seigneur d’Uzel et du Plessis-Budes et de Jeanne du Guesclin, sœur de Guillaume du Guesclin, seigneur de Broons, père du connétable. « Les mémoires de la maison des Budes et de tous les curieux de Bretagne portent que sa femme s’appelloit Renée Goyon, et qu’elle était fille d'Estienne Goyon seigneur de Matignon et de la Roche-Goyon, chevalier des plus célèbres de son temps, qui avoit épousé Alix Painel, de l’illustre maison de Hambuye, en Normandie, fondue par alliance en celle d'Estouteville et delà en celle d’Orléans-Longueville. » (Le laboureur, Histoire généalogique de la maison des Budes, page 27). Sylvestre Budes n’eut qu’une fille de son mariage avec Renée Goyon, Margelie Budes, dame d’Uzel, etc., mariée : 1° à Bertrand du Marchaix, dont Isabeau du Marchaix, mariée à Jean d’Avaugour ; 2° à Raoul de la Chasteignerais, dont Havisette de la Chasteignerais, mariée à Olivier de Rohan. [Ibid, acte du 8 octobre 1399, cité par le Laboureur, p. 31 et suiv.)]. Laissons donc le poème, et demandons à Dom Lobineau de nous résumer, en quelques lignes, les faits d’armes de nos Bretons. Cela suffira pour expliquer la suite de ce travail.
« Après avoir fait la guerre pour le Roi de France, écrit le docte Bénédictin, Sylvestre Budes s’avisa d’aller offrir ses services au pape Grégoire XI, à Avignon. Le Pape l’envoia en Lombardie, où ceux qui tenoient son parti savoient mieux piller le peuple que le métier de la guerre. Budes, après avoir forcé les passages de Piémont, les armes à la main, suivi de quatre cents lances, mit en fuite les ennemis du Pape et lui ouvrit le chemin de Rome. Les Bretons qui l’accompagnoient se signalèrent par beaucoup d’actions et de combats ; un des plus considérables fut un combat de dix d’entre eux contre dix Allemans, où les Allemans furent vaincus. Ces illustres champions estoient Hamon de Tréfili, Trémigon, Bourdat de Tréfili, Calvaric, Lochrist, le Carias, Jacques Le Noir, Taleverne, Chiquet et Keroüare. La réputation que Budes s’estoit acquise en Italie attira sous sa bannière tant d'autres Bretons, qu’il s'en trouva deux mille, lorsque Robert de Genève, sous le nom de Clément VII, entreprit d’occuper le siège de saint Pierre, dont Urbain VI estoit en possession. Clément engagea Budes et les Bretons dans son parti, et Budes se logea d’abord dans le château Saint-Ange. Les Romains de leur costé firent venir des Allemans, qui escarmouchoient tous les jours contre les Bretons. Les prélats de France, l’Université de Paris, le Roi et ses frères se déclarèrent pour Clément ; il fut mesme ordonné par le Roi, que dans tout le Roïaume on ne reconnust point d’autre pape que lui. L’Espagne, Milan et Naples suivirent ce parti, aussi bien que l’Escosse ; mais l’Empire et la plus grande partie de l’Italie tenoient pour Urbain, aussi bien que le comte de Flandres. Pendant que Clément qui avoit résolu de venir établir son siège en France, estoit encore à Fondi, les Romains ou plus tost les Allemans, profitant de l’absence de Budes, prirent le bourg de Saint-Pierre sur les Bretons, qui furent obligés de se retirer au chasteau Saint-Ange, où les Allemans les pressèrent de manière, qu’ils furent contraints de se rendre, la vie sauve et de se retirer à Fondi. Silvestre Budes aïant appris cette perte, prit avec lui ses gendarmes, monta à cheval et se rendit à Rome, sur le soir, par des chemins détournez. Il y entra par la porte de Naples, et alla droit au Capitole, où il avoit appris que tous les notables estoient assemblés ce jour-là ; mais les aïant trouvéz sortis, et qui se promenoient sur la place, les Bretons, la lance baissée, fondirent sur cette multitude désarmée, dont ils firent un grand carnage. Il en demeura de morts sept Bannerets, et deux cents autres des plus riches de la ville. Après quoi les Bretons se retirèrent, laissant Rome dans une étrange consternation. Les Romains se vangèrent le lendemain sur les Clercs étrangers qui se trouvèrent dans la ville, et aucun Breton de ceux qui tombèrent entre leurs mains, ne put échapper à leur fureur. Budes fut pris depuis par Jean Haconde Anglois, que les Romains avoient pris à leur solde ; mais estant sorti de prison, il se rendit à Avignon avec un gentilhomme de son païs, nommé Guillaume Boileau. Le cardinal d’Amiens dont il avoit autrefois pillé la vaisselle d’or et d’argent pour se païer de ce qui lui estoit dû, fit en sorte que Budes et son compagnon furent arrestéz comme traistres, par ordre du Pape, et menez à Macon où il furent décapitez tous deux [Note : On nous saura peut-être gré de rapprocher de cette version un peu sèche le récit que fait, de la mort tragique de Sylvestre Budes, le chroniqueur d’Argentré, d’après le texte de Froissart et de D. Martène. « Et sur ce poinct se trouva de fortune le cardinal d’Amiens, qui se plaignoit que passant par la Romaigne et faisant son chemin à Rome, ledit Budes l’avoit détroussé de sa vaisselle d’argent et de tout son buffet et équipage, et l’avoit envoié en blanc sans respect de sa qualité. Ce que Budes avoüoit assez quant à sa vaisselle ; mais il disoit que c’étoit pour soudoïer ses gens lesquels n’avoient un seul fond. Le Pape enfin ne print rien de son excuse en payement. Tellement que le faisant prinsonnier, il luy fit trancher la teste à Mascon, et à un autre capitaine venu avec luy nommé Estienne Boyleau. Ce fut une mauvaise reconnaissance du service qu’il luy avoit fait, et fut fort plaint Budes des gens de guerre ; car il étoit vaillant, hardy, et de grande conduite, capitaine expérimenté et remarqué en tous les voïages d’Espagne, d'Arragon, d’Italie, et avoir été un grand chef, nourry à l’escole de messire Bertran du Guesclin, qui le print si mal, que s'il eut vécu plus longtemps il était à mal avenir au pape ; car il estoit parent dudit Guesclin ». (D’Argentré, Histoire de Bretagne)]. Le Conestable de France (du Guesclin) fust très irrité de la mort de Budes, qui estoit son parent, mais il ne vescut pas assez pour le venger. » (Histoire de Bretagne, p. 420-427).
Tel est le bref récit de Dom Lobineau. Et cependant, certains faits d’armes, notamment le combat des Dix, glorieux écho du combat des Trente, auraient mérité quelques développements.
Laissons donc Guillaume de La Pérenne nous esquisser, en son vieux et pittoresque langage, cette Passe-d’armes, où nos compatriotes se couvrirent de lauriers :
Note 1 : Yvon de Trémigon, (alias) Eon, d’après les montres et revues de la même époque, d’une maison originaire de la paroisse de Combourg, en l’évêché de Saint-Malo. Le sceau de Trémigon, en 1370, porte : d’argent à un écusson de gueules en abyme, accompagné de six fusées de même
La mode était, en ces temps-là, aux combats singuliers, à ces duels entre preux, dont l’immortelle joûte de Mi- Voie restera le glorieux prototype [Note : Sylvestre Budes avait donné, le premier, l’exemple à ses compagnons, si l’on en croit La Pérenne :
].
Ils avaient du moins ce bon côté d’épargner les grandes effusions de sang et de mettre en relief les bons corps, les bras puissants.
Déjà Pierre du Boisboissel, notre capitaine briochin, s’était rendu fameux, lors d’un voyage qu’il fit en Angleterre pour aller rendre ses devoirs à Charles de Blois, son prince exilé. Ce fut lui en effet que Charles de Blois désigna au roi d’Angleterre pour prendre part à la célébré passe-d’armes de 1351, entre dix chevaliers bretons et dix chevaliers anglais.
Mais revenons aux compagnons de Sylvestre Budes.
Ce fut donc Yvon de Trémigon (et non Trémagon comme l’appelle notre chanteur), qui attacha le grelot et provoqua l'Allemand, en lui disant carrément, qu’en prétendant que la Ligue l’emportait sur Sainte Eglise, il en avait menti.
En écorchant leurs noms, La Pérenne va nous dire la rude besoigne de chacun de ces braves, dans cette lutte corps à corps.
Note 1 : Hamon de Tréfili ou Treffily, alias Trécevilly, du nom d’un fief, érigé plus tard en vicomté et situé en l’évêché de Cornouailles, portait : d’or semé de feuilles de cormier de sinople à une roue de gueules (sceau de 1313). Alain de Treffily ou Trécevilly, d’après le nobiliaire de Courcy, et non Hamon.
Note 2 : Voir la note ci-dessus relative à Trémigon.
Note 1 : Bourdat de Tréfily, d’après Dom Lobineau, semble de la même famille que Hamon, ci-dessus nommé.
Note 2 : Ce Cavalerie, de La Pérenne, inconnu parmi la chevalerie bretonne du XIVème siècle, est appelé Calvaric par Dom Lobineau, nom encore porté en Cornouailles. Rapprocher aussi le Calvarin, du Nobiliaire de Courcy (employé fautivement pour Kaervarin, nunc Cavardin), nom d’une ancienne maison chevaleresque de la paroisse d’Avessac, au diocèse de Nantes, et qui a produit, au XIVème siècle, Jehan de Kaervarin, époux d'Aliette de Luzanger (titre du 31 octobre 1382, arch. de la Loire-Inférieure, série E, fonds du Pordor). Le sceau de cette famille, aujourd’hui éteinte, portait : de sable à la bande d'or côtoyée de 6 coquilles du même (Voir Nobiliaire breton-angevin, par le comte Régis de de l'Estourbeillon, art. Kaervarin).
Note 3 : N. de Lochrist, alias Locrist. Originaire de l’évêché de Cornouailles et dont le fief était situé en la paroisse de Trébrivant. Portait : de gueules au croissant de vair, accompagné en chef d’une quinte feuille d’or et en pointe d'une étoile du même (sceau 1306).
Note 1 : Le Carias, peut-être Cariou, ou Kaeriou ; on trouve aussi Karraz ? — « Jehan Kariou » (montres d’Olivier de Clisson, 1375 et 1376) ; « Jehan Karraz » (compte des trésoriers de France, en 1378). — Pr. de Bret. II, col. 101, 173, 188, 399, etc.).
Note 2 : Jacques Le Noir, dont nous retrouvons la famille établie, dès le XIIIème siècle, au pays briochin, portait : d'azur à 3 chevrons d'or, au franc canton de gueules chargé d'une fleur de lys d’argent (Ane. montres et réf. de l’évêché de Saint- Brieuc).
Note 3 : Talvern ou Talgwern, du nom d’un fief de la paroisse de Pluméliau, en l’évêché de Vannes, portait : d'hermines à 3 chevrons d’azur.
Le résultat de cette journée grandit singuliérement la réputations des Bretons en Italie. Nos pères en rapportèrent le succès à leurs glorieux compatriotes, Yves de Kermartin, récemment canonisé, et Charles de Blois, placé, lui aussi, par la voix du peuple, au nombre des bienheureux protecteurs de la Bretagne.
Note 1 : Le nom d’Alain Chiquet, que Lamballe réclame avec orgueil, est absolument inconnu parmi la chevalerie bretonne, et sans doute défiguré par les copistes. Nous serions tenté d’y voir Alain Gouiquet. Plusieurs actes du XIVème siècle et du commencement du XVème s., font mention d‘Alain Gouiquet, alias Guicquet, parmi les hommes d’armes de l’évêché de St-Brieuc (Voir les anciennes montres et réformations de Bretagne), Les Gouiquet portaient : d'argent à une croix pattée, mi-parti de gueules et d'azur cantonnée de 4 macles de gueules.
Note : Hervé de Kerouartz, d’une maison originaire de l’évêché de Léon, paroisse de Lanilis, époux, en 1380, de Jehanne Le Barbu, portait : d'argent à la roue de sable, accompagnée de 3 croisettes de même.
Note 1 : Gestes des Bretons, etc., d’après le manuscrit de Saint-Aubin d’Angers.
Mais nous avons promis de ne faire qu’effleurer les faits d’armes de l’expédition ; j’en aborde bien vite le côté pratique.
Le premier auteur, qui ait laissé entrevoir les bénéfices de l’expédition de nos Bretons en Italie, semble être le Laboureur, qui publiait, en 1656, l'Histoire généalogique de la maison des Budes. En traitant l’article de Tristan Budes, seigneur du Tertre-Jouan et de plusieurs terres voisines de Saint-Brieuc, le prieur de Juvigné s’exprime ainsi : « Il étoit second fils de Jean Budes, seigneur du Hirel, et neveu de Sylvestre ; et les mémoires de sa maison rapportent aux services rendus à l’Eglise romaine l’exemption des Dixmes accordée aux seigneurs du Tertre-Jouan dans toute l’étendue de la paroisse du Tertre-Jouan, dont ils jouissent encore, quoique vassaux de l’évêque de Saint-Brieuc. Il y a sujet de croire qu’il suivit ledit Sylvestre, son oncle, aux guerres d’Italie, où il mérita cette récompense... Quoi qu’il en soit, ce Tristan Budes icy en jouissoit, dès l’an 1380, et depuis ce temps-là elle est demeurée à ses descendants qui la possèdent encore. C’est une terre de grande étendue, qui a tous droits de Haute-Justice et une paroisse de son nom, de laquelle et de quelques autres voisines les honneurs appartiennent aux seigneurs du Tertre-Jouan » [Note : Le Laboureur, Histoire du mareschal de Guébriant, suivie de l’Histoire généalogique de la maison des Budes, Paris, M. D. CL VI.].
On a lieu de s’étonner que, mis en possession d’une grande partie des archives des Budes, l’érudit historiographe du maréchal de Guébriant, non-seulement n’ait pas dit plus et mieux, mais qu’il ait même commis de graves erreurs, que Denis de la Barde, évêque et seigneur de Saint-Brieuc, crut devoir relever, lors de l’apparition de l’Histoire du mareschal de Guébriant, suivie de l’Histoire généalogique de la maison des Budes. Dans une lettre fort intéressante, le prélat briochin établit que, d’abord, il n’existe pas de paroisse du Tertre-Jouan dans son évêché ; en second lieu, que la terre du Tertre-Jouan relève immédiatement de sa juridiction des Régaires, l’évêque de Saint-Brieuc étant seul seigneur haut justicier de la paroisse de Ploufragan, où se trouvent son manoir de plaisance et sa forêt des Chastelets, l’un des membres de son Franc-Régaire [Note : Voici le passage de la lettre de Denis de la Barde, évêque de Saint-Brieuc, relatif aux erreurs commises par Le Laboureur. « ... Je suis contraint de vous découvrir une chose qui importe beaucoup à l’évêché que je possède, qui pourroit recevoir notable préjudice si l’on se vouloit prévaloir de ce que vous avez avancé touchant la maison du Tertre-Jouan. Je ne sçay qui vous en aura fourny les mémoires, je n’y veux point soupçonner de dessein, mais on ne s’est pas informé assez exactement de la vérité des choses : Pour la connaissance que j’en ay, je vous diray que je n’en ay aucune de l’exemption des Dixmes dans toute la paroisse qui est qualifiée du Tertre-Jouan, et je n’en sçay point de ce nom. La maison du Tertre-Jouan est sans doute considérable, mais il est notoire que dans la paroisse où elle est située, et dans les voisines qui sont du Franc Régaire de Saint-Brieuc, toute la justice et les droits honorifiques appartiennent à l’évêché, duquel cette maison relève entièrement. Cela mérite bien que vous y fassiez réflexion, afin d’ôter toute la mauvaise impression qu’on en pourrait tirer au préjudice des droits de mon évêché, et de vos bonnes intentions, dont je suis assez persuadé, pour veu que les autres le soient comme moy : Je vous prie de vous prévaloir de cet avis, et de me croire toujours, Monsieur, Votre très humble et très affectionné serviteur. L’E... de Saint-Brieuc ». (Appendice à l’Histoire du Mareschal de Guébriant, Paris, M. D, CLVI)].
Guy Le Borgne, qui publiait son très curieux Armorial breton, en 1667, quelques années après l’apparition de l’Histoire du mareschal de Guébriant, (1656)., est déjà mieux informé : « Budes, écrit le savant héraldiste, porte d’argent à un pin de sinople chargé de trois pommes d’or et un aire d'épervier du même, le tronc accosté de deux fleurs de lys de gueulle vers la pointe, qui anciennement estoient d'or, mais l’un de nos papes ayant fait mettre à mort, dans Macon, ce grand capitaine Sylvestre Budes, tant renommé dans nos histoires, sur le moindre rapport de ses ennemis et envieux, après avoir enfin reconnu qu’à tort et précipitamment il aurait fait mourir ce grand personnage, voulut qu’à l’avenir sa postérité les portast de gueulle en mémoire éternelle de ce sang injustement répandu ; et, par lettres-patentes et authentiques, déclara aussi toutes les terres, dont il mourut possesseur, exemptes de dixmes : Quel droit, privilèges et immunitez est encore aujourd’huy continué par les seigneurs issus de la même famille » [Note : Guy Le Borgne : Armorial Breton, édit. 1667].
Ces révélations de Le Laboureur et de Guy Le Borgne, sont déjà un précieux indice des largesses pontificales ; mais elles sont incomplètes et ne font mention que de faveurs personnelles à la famille du héros breton.
Depuis longtemps, l’examen de vieux titres de propriétés, notamment ceux de la maison de Beaucemaine, alliée des Budes du Tertre-Jouan, nous avait laissé rêveur en constatant dans la nomenclature des pièces de terre de certaines métairies, une parcelle désignée invariablement sous cette rubrique : le Champ-Franc. Que voulait dire cette épithète ? Sans doute elle faisait allusion à l’exemption de la dîme ecclésiastique qui frappait ses voisines et l’épargnait, elle. Les vieillards que j’interrogeais, se souvenaient bien de cela ! Mais pourquoi ces Champs-Francs ? Qui leur avait valu, à ces domaines, ce privilège ? Nos pères répondaient que l’origine de cette faveur se perdait dans la nuit des temps, d’après l’expression consacrée à l’X de beaucoup de nos problèmes historiques, et qu’elle rendait témoignage de services rendus jadis à l’Eglise par les seigneurs du pays [Note : L’exemption de dîme était un privilège très rarement concédé, et concédé seulement pour des services exceptionnels rendus à l’église. C’est ainsi que nous voyons l’ordre de Malte, et quelques ordres religieux, tels que Citeaux, les Chartreux et les Célestins exemptés par le Saint-Siège du paiement des dîmes, en raison, comme nous le disions, des services rendus à l’Eglise, soit en la défendant à main armée, soit en étendant son action dans le domaine de la science et de la civilisation. (V. Dict. de Droit ecc. — Encycl. t. IV. — Art. — Dixme). Quelquefois aussi les papes récompensèrent des laïcs mêmes en leur donnant des dîmes, comme fit Urbain qui abandonna aux rois d’Espagne les dîmes des provinces dont ils avaient chassé les Maures. (Salgado de Salmoza, Tract. de supp. ad sum. Pontif. II. part cap. XXV). — (id. ibid.)]. La Révolution du reste avait fait litière des privilèges des Champs-Francs, comme des autres, et l’on n’y pensait plus.
Nous allons voir, en dépouillant un curieux registre, provenant des archives de la paroisse de Ploufragan [Note : Nous devons communication de ce Registre à notre excellent ami M. Fernand de Keréver, maire de cette importante et historique paroisse de Ploufragan], que ces largesses, octroyées par Clément VII, ne se bornèrent pas aux seuls descendants de Sylvestre et de Tristan Budes, mais qu’elles s’étendirent à leurs frères d’armes, seigneurs ou paysans, marchant sous leur bannière. Il nous dira en quoi consistaient ces largesses et nous donnera l’origine de ces Champs-Francs disséminés dans le rayon immédiat de Saint-Brieuc, histoire jusqu’ici ignorée, avons-nous dit ; il nous permettra enfin de déterminer les noms des paroisses, des manoirs et des familles qui envoyèrent des défenseurs au souverain Pontife [Note : Notre érudit collègue, le R. P. Perquis, nous avait promis, il y a de cela quelques années, une étude sur les Champs-Francs. Son éloignement de la France nous a sans doute privé de son travail. Nous serions heureux que les documents, que nous publions aujourd’hui, puissent aider à ses savantes recherches].
Cette page inédite de notre histoire locale, nous allons la prendre sur le vif, pour lui laisser toute sa saveur de vérité et d’originalité. On verra comment, au bon vieux temps, si décrié par l’ignorance et la mauvaise foi, se traitaient les affaires, les intérêts des habitants d’une simple paroisse rurale : et combien le Général, (lisez Conseil municipal et Conseil de fabrique d’aujourd’hui), était soucieux de l’individu et de la collectivité tout ensemble. En lisant ces délibérations, prises par de simples paysans, sous la paternelle direction de leur recteur, on jugera si notre siècle, affolé d’instruction publique, laïque et obligatoire, peut se targuer, à l’exclusion de ses devanciers, du titre de siècle des lumières.... même au point de vue calligraphique.
« Le dimanche troisième jour de septembre l’an Mil sept-cent-cinquante-huit, environ les huit heures du matin, le Général de la paroisse de Ploufragan assemblé en corps politique dans la sacristie de la mesme paroisse, en présence de M. le Recteur, après avoir été convoqué au prosne de la grand’messe paroissiale, dimanche dernier ; et à laquelle assemblée ont assisté Mathurin Le Monnier, François Durand, Jan Philippe de la Sorais, Pierre Quintin, Pierre Hillion, Mathurin Philippe, Louis Cosson, Pierre Marc, François Renouard, Yves Pavio, Louis Courtel, Guillaume Le Mée ; et où présidoit Monsieur le Procureur fiscal des Régaires de Saint-Brieuc. Sur la nouvelle que Guillaume Fromentin, Mathurin Lorans et Jan Courtel de la Ville-au-Baud nous ont donnée de la signification à eux faite de la part de Messieurs les doyen et chanoines du vénérable Chapitre de l’église cathédrale de Saint-Brieuc, prétendant lever la dixme dans leurs champs-francs, contre l’usage et la possession immémoriale en la paroisse de jouir de cette franchise ; le général, assemblé à cet effet et convoqué de dimanche dernier, après avoir fait la perquisition des pièces et titres au soutien de ses droits, a trouvé dans ses archives deux sentences du Présidial obtenues par lesdits Messieurs chanoines, en date du 23 octobre 1660, et l’autre du 6 mars 1739, et un acte d'afféagement accordé par feu M. de Monclus, évêque et seigneur de Saint-Brieuc, à François Courtel et Marie Fromentin sa femme, lesquelles pièces constatent la possession des champs-francs dans ladite paroisse ; et, en ayant pris lecture, le général, pour le bien commun de tous, est prié de ce délibérer.
Sur quoy le général est d’avis qu’il soit fait recherche et qu’on compulse toutes autres pièces qu’on pourra trouver et qui puissent servir au soutien des droits de la paroisse pour, après, en faire un mémoire détaillé qui sera envoyé à trois avocats postulants au Parlement (autres que ceux choisis par Messieurs du chapitre), qui seront priés de consulter et donner leur avis pour, après la consultation reçue, le général prendre le partiqui lui sera indiqué par ladite consultation » [Note : Extrait du Registre des délibérations du Général de la paroisse de Ploufragan, chiffré et millésimé par messire Pierre-François Phelippot de la Piguelaye, conseiller du Roy, son sénéchal à Saint-Brieuc, du 21 juin 1732, — 50 feuillets. — Commençant au 12 avril 1733 et finissant par la délibération du 1er septembre 1765. — (Archives de Ploufragan)]. (Suivent les signatures).
Nous regrettons de n’avoir pas retrouvé la minute du mémoire détaillé des titres mis en avant pour soutenir les droits de la paroisse. Du moins, l’assemblée du Général, du 1er octobre 1758, nous apprend que maîtres Dagorne, Le Corvaisier et Bureau, avocats postulants à la Cour de Parlement, après s’être consultés : « Sont d’avis que les trois particuliers assignés de la part de MM. du Chapitre se présentent audit Présidial et fournissent des défenses par lesquelles ils se borneront à une simple exception et fin de non-recepvoir, tirées des sentences de 1660 et 1739. Et que, si en réponse, les décimateurs prétendent aller contre l’esprit et la lettre de ces jugements, ou s’ils osent en contester l’existence, ou enfin, s’ils ne veulent pas accorder à chaque étagé son journal franc, tel qu’il doit estre, le Général sera alors dans le cas de devoir intervenir pour leur faire teste et les faire déboutter de leur demande » [Note : Extrait du registre mentionné ci-dessus].
Qui le croirait ! Deux années se passent, et Dagorne et consorts ne donnent pas signe de vie ! Pas un mot, pas une lettre sur leurs agissements ! On voit que l’expédition des affaires laissait à désirer en ce temps-là (absolument comme de nos jours), et que Messieurs de la Justice en prenaient à leur aise. Cela ressort de la délibération suivante du Général, assemblé le 23 mai 1762, où nous lisons :
« ... Et après que ledit sieur Recteur a dit avoir appris, par le marguillier de la paroisse de Trégueux, que l’affaire concernant les champs-francs de Ploufragan serait peut-être décidée avec celle de la paroisse de Trégueux, sans en pouvoir dire davantage, n’en sachant aucune autre nouvelle, avons tous unanimement délibéré qu’il est étonnant, non seulement que l’on ne sache des nouvelles de cette affaire que par des voies aussy indirectes que celle du marguillier de Trégueux, mais mesme qu’une affaire aussy simple dure aussi longtemps ; que l’on ignore les droits de la paroisse de Trégueux, mais que ceux de la paroisse de Ploufragan sont incontestables, que de tout temps la paroisse de Ploufragan a joui de ses champs-francs, qu’elle y a été maintenue par des jugements passés en force de chose jugée et contradictoires avec les décimateurs ; que le chapitre et le seigneur Evesque ont toujours reconnu la légitimité de cette exemption tant dans leurs baux à ferme que dans leurs afféagements ; et qu'enfin ladite paroisse a constamment payé la prémice audit Recteur, tantôt en gerbe, tantôt en grains ; qu’ainsy tout concourt à faire déboutter le chapitre de sa nouvelle tentative. Et ont par la présente nommé Jan Fromentin et François Urvoy pour écrire audit procureur et en recevoir des lettres et sçavoir de lui l’état de l’affaire, duquel ils seront obligés d’instruire le général, pour sur cela se délibérer ainsy qu’il verra l’avoir à faire ... » [Note : Registre de Ploufragan, loc. cit.].
Décidément maître Dagorne se moquait de nos Ploufracanais, en laissant au Bédeau de Trégueux le soin de les renseigner sur une question aussi importante. Donc, ne pouvant rien obtenir de Dagorne, leur mandataire, nos paroissiens songent à se retourner d’un autre côté, ainsi que nous le confie une délibération, du 4 juillet 1762, par laquelle on reconnaît : « Qu’il est très intéressant pour la paroisse que maître Allain, notre procureur au présidial de Rennes, reprenne de chez Me Dagorne les pièces du Général de cette paroisse pour les remettre à M. de la Haye-Jousselin, avocat, afin qu’il émette au nom du Général de cette paroisse une requeste d'intervention et qu’il prenne fait et cause dans l’affaire que le chapitre de l’église Cathédrale de Saint-Brieuc a intentée aux nommés Jan Courtel et Guillaume Fromentin, habitants de cette paroisse, au sujet des Champs-Francs, dans laquelle requeste Me Jousselin aura la bonté de faire valoir la possession immémoriale où est la paroisse de jouir de ses Champs-Francs ... » [Note : Id. Ibid. ].
Après pas mal de temps, Me de la Haye-Jousselin soumit à ses clients la copie tant désirée de cette requête d’intervention près le Présidial. Ce factum, un peu long, donne lieu à diverses critiques, qui révélent du flair chez nos braves ruraux, en même temps qu’une prudence qui n’est pas exempte d’une finesse voisine de la finasserie. Malheureusement le résultat le plus net de cette nouvelle opération, c’est qu’après avoir soldé la note de Dagorne, (ci : 15 livres), maître Jousselin s'était empressé, lui aussi, de servir la carte de ses honoraires (ci : 36 livres) ; sommes que le Général, entre parenthèse, ne possédait pas en caisse et qu’il fut obligé d’emprunter séance tenante. L’affaire était entamée depuis le mois de mai 1762, et le 24 juillet 1763 on n’était pas plus avancé... Il y a des bornes à tout, même à la patience des plaideurs, aussi nos paroissiens horripilés résolurent de frapper un coup décisif.
La première victime fut maître Jousselin, qu’on envoya poliment rejoindre Dagorne, son confrère en inertie. Puis l’on s’enfonça tête baissée dans l’étude des vieux titres ; on fit un exposé nouveau de l’affaire, qu’on confia a de nouveaux mandataires, avec injonction d’aboutir à tout prix. C’était le mandat impératif [Note : Nous remarquerons que, du jour où les cartes semblent tout à fait se brouilller avec messieurs du Chapitre, le Recteur disparaît, ostensiblement du moins et comme le veulent les exigences de son caractère ecclésiastique vis-à-vis d’un supérieur ; mais nous le soupçonnons fort de ne pas ménager, en dessous, son dévouement et ses lumières à ses chers paroissiens]. C’est ici que nous allons voir apparaître Sylvestre Budes et ses compagnons, que nos plaideurs eurent la bonne idée d’appeler à la rescousse, et qui de nouveau devaient opérer des prodiges.
« Le dimanche 24 juillet l’an 1763, environ les huit heures du matin, le Général de la paroisse de Ploufragan, assemblé en corps politique dans la sacristie de ladite paroisse, après convocation düement faite et en forme ordinaire au prône de la grand'messe, le dimanche précédent, à laquelle assemblée a présidé le sieur François Oizel, ancien trésorier et sindic de ladite paroisse, et y ont assisté Pierre Marc, François Le Monnier, Jean Fromentin, Pierre Hillion, Julien Courtel, Allain Hamon, François Renouard, Louis Collet, Toussaint Oizel, Maturin Philippe, Jan Philippe de la Sorais, et Pierre Quintin, tous anciens trésoriers délibérants, en présence de François Durand et François Courtel, trésoriers actuels ; et ont d’une voix unanime délibéré de choisir pour avocats du général dans l’affaire qu’il a au présidial de Rennes, contre le Chapitre de l’église-Cathédrale de Saint-Brieuc, maîtres du Châtelet, Estin ou Vologé, à défaut les uns des autres, les priant très instamment de faire connaître au siège combien la prétention du Chapitre est injuste et révoltante, la conduite que tiennent envers la paroisse les autres décimateurs en est une preuve convaincante. Le seigneur Evêque de Saint-Brieuc perçoit la moitié des dixmes de la paroisse, et il se tait, parce qu’il sçait que la possession où est la paroisse de jouir d’un journal franc de dixme par chaque métairie ou tenue a non-seulement toujours été connue de ses prédécesseurs, mais même que ses archives sont pleines des approbations qu’ils en ont faites dans tous les temps. On y trouve un nombre infini de contracts passés par les seigneurs Evêques avec différents habitants de Ploufragan, portant tous que le tenancier jouira d'un Champ-Franc de dixme, nommé communément l’hébergement. Si ce n’avoit pas esté un droit certain, constant, universel dans la paroisse, l’Evêque eût-il pu faire de semblables conditions, et ses co-décimateurs, privés par ces clauses de percevoir la dixme sur ces franchises, l’eussent-ils souffert ? Ses successeurs à luy-mesme ne fussent-ils par revenus contre ? Ils étoient les uns et les autres aussi attentifs à leurs intérêts que le peut estre aux siens le Chapitre aujourd’hui. Cependant ces clauses ont constamment subsisté et le font encore. Ces tenanciers jouissent, comme le fait et l’a toujours fait la paroisse, d’un journal franc de toute dixme ; et quand quelques paroissiens ont été troublés dans ce droit, ils y ont été maintenus, ainsi qu’il se voit par les sentences du siège de 1660 et 1739, où le Chapitre voulant dixmer sur le Champ-Franc, ensemencé de grains décimables, fut débouté de sa demande et n’eut la dixme que sur ce qui excédoit la contenance du Champ-Franc, conformément à la coutume établie dans la paroisse par une possession déjà lors immémoriale. Ainsy le seigneur Evêque a-t-il garde d’inquiéter la paroisse à cet égard. Le scholastique de l’église cathédrale de Saint-Brieuc, qui est décimateur pour un quart dans la totalité des dixmes de la paroisse, se tait également, parcequ’il a connaissance que son prédécesseur s’étant joint au Chapitre en 1739, dans une circonstances pareille à celle-ci, consentit à ce que les habitants de Ploufragan fussent confirmés dans leur possession. Il n’y a donc que le Chapitre de Saint-Brieuc qui, malgré les connaissances qu’il a, malgré le consentement des autres décimateurs qui y sont intéressés pour les trois quarts, malgré les approbations qu’il a données luy-même au droit des habitants de la paroisse de Ploufragan, malgré enfin les condamnations du siège qui l’a débouté de sa prétention, toutefois qu’il la forme, veut anéantir tout cela et confondre la paroisse de Ploufragan parmy celles qui, sans possession et sans titre, ont voulu s’arroger un droit quelles n’avoient pas ; c’est-à-dire qu’il veut tâcher de tirer la paroisse de Ploufragan du cas particulier où elle est, pour luy appliquer des principes généraux qui ne la regardent pas, et luy enlever, si il le pouvoit, un privilège qu'elle doit au service signalé que Sylvestre Eudes, seigneur du Tertre-Jouan, rendit à l’Eglise pendant le fâcheux schisme de la fin du quatorzième siècle. Ce grand homme se déclara pour Clément sept et remporta tant d'avantages sur les partisans d'Urbain six, qu'il s'acquit le glorieux titre de Défenseur de l’Eglise ; mais il en reçut aussy des bienfaits, la terre du Tertre-Jouan, située dans la paroisse de Ploufragan, et tous ses vassaux prochains du château furent déclarés exempts de toutes sortes de dixmes, et la paroisse, dont plusieurs habitans l’accompagnoient dans ses exploits, eut le privilège de journal franc de toute dixme ce que le Chapitre de Saint-Brieuc cherche à luy enlever. Depuis ces temps reculés, la possession des seigneurs du Tertre-Jouan est toujours la même et n’a jamais changé à cet égards non plus que celle de la paroisse. L’une et l’autre sont l’ouvrage de plusieurs siècles, et de droit elles font présumer pour le titre, d’autant plus que la possession de la paroisse, que le Chapitre attaque aujourd'huy, pour attaquer par degrés celle des seigneurs du Tertre-Jouan, est soutenue de jugements contradictoires et passés en force de choses jugées. Ils sont acquiescés ces jugements par le Chapitre luy-même ; les fermes qu’il a passées pour son quart de la dixme de la paroisse de Ploufragan en fournissent une preuve sans réplique ; il n’y a affermé que la dixme de l’excédant du Champ-Franc, et a défendu à ses fermiers de dixmer dans la franchise, conformément, a-t-il dit, aux sentences rendues entre la paroisse et luy. Peut-il y avoir rien de plus fort, et le Chapitre ne convient-il pas par là que la paroisse a droit de jouir d’un Champ-Franc sans qu’il ait droit de dixmer, et que c’est là l’esprit des sentences rendues entre luy et la paroisse. Qui mettra donc des bornes aux disputes des hommes et qui fixera leurs droits, si une possession de plusieurs siècles soutenue par des jugements acquiescés par les parties mêmes ne peut le faire ?
Ils ont aussy unanimement délibéré que les sieurs François Urvoy et Jean Fromentin continueront leurs bons offices et leurs soins pour les intérêts de la paroisse, et qu’ils enverront à Me Allain, procureur du Général, la présente délibération pour qu’il la remette à l’avocat qui défendra la cause de la paroisse, les chargeant au surplus de presser le plus qu’il leur sera possible le jugement de cette affaire. Délibéré, etc., etc. » [Note : Registre de Ploufragan. Id. Ibid. ].
Que pouvait-on dire et faire de plus ? La lumière éclatait de toutes parts. Nos plaideurs étaient sans doute à la veille de voir leur bon droit sanctionné, leur cause gagnée ?
Hélas ! de longs mois se passèrent encore ! Cependant, un beau matin, le premier jour d’avril 1764, (date fatidique, jour des surprises) : « M. le Recteur, lisons-nous sur notre registre, donne lecture au Général assemblé d’une lettre que maître Allain, procureur du Général en laditte affaire, luy écrivit le vingt mars dernier, par laquelle il luy marquoit qu'ayant fait évoquer la cause du Général et du chapitre, et étant par conséquent sur le point de la faire décider, rien ne l’étonna plus que d’entendre l’avocat du chapitre dire au siège que les parties se voulaient concilier, qu’à cette fin elles étoient convenues d’un commun accord d’en passer par l’avis de Maître du Parc-Poulain, et que, pour cet effets il luy avoit remis ses pièces ; ajoutant qu’il eût cru que le Général eût dû l’instruire, ainsy que Me Béziel, son avocat, de ce qu’il feroit à ce sujet ; qu’à la lecture de cette lettre les dits commissaires n’ont pu s'empescher de marquer leur surprise à Me Allain et de luy dire qu’ils croyent que ce n’est qu’une supercherie dont le chapitre avoit usé ; qu’ils n’avoient pas entendu parler de ce prétendu arbitrage et qu’ils pensoient qu’il n’avoit jamais existé que dans l’idée de leurs parties adverses. » [Note : Registre de Ploufragan. Id. Ibid.].
Nos délibérants tombèrent des nues à cette révélation.
Il n’y avait pas en effet un traître mot de vérité en toute cette histoire, aussi lisons-nous leur protestation en bonne et due forme sur le registre susdit.
Nous y relevons de plus quelques détails sur la campagne glorieuse des Ploufracanais en Italie, sous la bannière des Budes : « Sur laquelle remontrance le Général délibérant a dit d’une voix unanime que loin d'estre convenu avec le chapitre de l’église cathédrale de Saint-Brieuc, d’en passer par l’avis de Maistre du Parc, il n’a jamais entendu parler d’aucunes propositions, et que par conséquent il n’a eu garde d’en venir avec luy à aucunes conventions : que si le chapitre avoit voulu lui rendre justice en particulier, il n'eût jamais songé à la réclamer en public ; qu’il ne plaide qu’à son corps défendant et pour soutenir un ancien privilège que luy a mérité Sylvestre Budes qui, accompaigné de Tristan [Note : Sylvestre Budes et son neveu Tristan ne furent pas les seuls membres de cette vaillante race à guerroyer en ces temps là. Les frères de Sylvestre, Geoffroy Budes, seigneur du Plessis-Budes, et Bertrand Budes, Chevalier, l’avaient déjà suivi dans ses expéditions en Espagne et en France. Bertrand devait trouver, lui aussi, une mort glorieuse dans le premier de ces royaumes. (Froissart, Chronique I. 235. — Le Baud, Hist. de Bret. ch. IV). Le sceau de Sylvestre Budes porte les armes d’Uzel : trois besants d'or ; celui de Geoffroy : une bande chargée de trois tourteaux, avec col et teste d’asne, pour Cimier (Dom. Mor. II. 88)], son neveu, ainsy que des seigneurs de cette paroisse, suivis d’un grand nombre des habitants, rendit au Saint-Siège des services signalés, et qui eurent pour récompense l’exemption dont jouit aujourd’huy la paroisse : que, malgré tout ce que le chapitre pourra faire, il ne la confondra pas avec d’autres paroisses qui ne sont pas dans le cas où elle se trouve : qu’enfin, s’il fait ou fait faire des propositions d’accommodement auxdits commissaires, ils aient à les écouter et à luy en rendre un compte exact pour, sur ce, prendre telle délibération qu’il sera veu appartenir ; et qu’au cas que, sous un mois, ils n'entendent parler d’aucunes propositions, les dits commissaires ayent à donner ordre à Me Allain, leur procureur au présidial de Rennes, de presser le jugement de l’affaire ; le silence du chapitre étant une nouvelle preuve sans réplique de l’injustice du procédé qu’il vient d’avoir, etc. » [Note : Registre de Ploufragan, id. Ibid.].
En dépit de l’habileté de leur plan de campagne, les mandataires du chapitre étaient décidément acculés : il devenait urgent de battre en retraite. Restait une difficulté : comment sauvegarder sa dignité en mettant bas les armes ? Cette dignité, comme seigneurs décimateurs, partant le crédit dont ils jouissaient dans la paroisse, couraient quelques risques d’être légèrement écornés. Le cas était difficile. Enfin, le scholastique de la cathédrale, un de leurs confrères, voulut bien se dévouer. Son titre lui donnait une juste notoriété et des droits assez considérables à Ploufragan, et d’ailleurs, ce dignitaire du chapitre s’était, dès le début, refusé à prendre part au procès, ainsi que nous l’avons vu : ce devait être une bonne note près de nos paroissiens.
C’est ici que le comique se substitue au tragique. Nous allons voir comment le bon chanoine s’y prit :
« Le dimanche 6 du présent mois de may 1764, M. Soubens, chanoine et scholastique de l’église cathédrale de Saint-Brieuc, fit le prosne pendant la grand'messe, et, après avoir souhaité à la paroisse la paix avec Dieu, il lui annonça au nom du chapitre de St-Brieuc et comme son député, la paix avec les hommes : C’est-à-dire, continua-t-il, je viens vous offrir de la part du chapitre une conciliation au sujet de l’affaire des Champs-Francs de cette paroisse. Le chapitre reconnaît aujourd’huy vos prétentions légitimes ; il vous accorde ce que vous demandez ; moi-même, en qualité de scholastique, n’aurai-je pas droit de les disputer, si je ne les connaissais pas tels ? Il ne faut donc pas pousser la chose plus loin ; et, chacun payant ses frais, les uns et les autres demeureront dos à dos » [Note : Registre de Ploufragan, id. Ibid. ]. E finita la comedia ! ! !
Toutefois nos ruraux ne se payaient pas de paroles : « Sur quoy le Général délibérant, lisons-nous encore, a été d’avis d’une voix unanime de charger ses commissaires d’aller, vendredy prochain, premier juin, au Chapitre de l'église cathédrale de Saint-Brieuc et d’y dire à Messieurs les chanoines assemblés que le Général a toujours été disposé à prendre les voies de paix ; qu’il n’a plaidé qu’à son corps défendant et que, si il a vu avec la dernière peine que l’on s’est servi de faits, qu’il ne rappellera point ici, pour éloigner le jugement du procès, tandis qu’il le pressoit de son costé et qu’il étoit sur le point d’estre rendu, il a vu avec plaisir le sieur Soubens faire en pleine chaire, le six mai présent mois, l'aveu public et solennel de la légitimité et de la justice des prétentions de cette paroisse, non seulement au nom du chapitre et comme son sindic, mais s’annonçant encore comme scholastique, qui est une qualité, où il auroit eu, lui seul, autant d’intérêt à soutenir la cause qu’il proscrivoit, que le chapitre en pouvoit avoir tout ensemble. Qu’en conséquence, le Général est prêt à ne pas pousser la chose plus loin ; qu’il accepte d’en venir à une conciliation, ainsy qu’on le luy a offert de la part du chapitre, et qu’il le prie, pour y parvenir et en régler les conditions, de nommer des commissaires à cet effet porteurs de ses intentions et munis de tout pouvoir requis pour faire une transaction irrévocable et capable d’éviter à l’avenir toutes tracasseries » [Note : Registre de Ploufragan, id. Ibid.].
Tout allait s’arranger, lorsque les commissaires du Chapitre se prirent à ergoter sur l’emplacement du Champ-Franc, pour chaque métairie, qu’ils prétendirent devoir être à l’avenir situé auprès de la maison d’habitation, tandis que, dans l’origine et de toute antiquité, le journal exempt de dîmes, le Champ-Franc, existait n’importe sur quel point du domaine. Le Général trouvait un inconvénient à ce déplacement arbitraire du Champ-Franc, et une occasion de procès pour les familles, au moment des partages. « On voit depuis un temps infini, remarque-t-il dans la délibération du 19 août 1764, que dans les partages qui se sont faits des différents biens de la paroisse, l’enfant qui a eu la maison et la tenue n’a pas eu souvent le Champ-Franc, parce qu’il n’en était pas le plus proche ; or l’enfant qui a eu la maison a eu une plus forte lottie pour équivaloir à cette franchise ; si aujourd'huy le Chapitre changeoit l’ancienne désignation et plaçoit le Champ-Franc proche la maison, l’enfant qui a eu la maison se trouveroit à avoir le Champ-Franc ; et la lottie de celuy qui l’avoit eu dans le partage, seroit diminuée et se trouveroit moindre de deux fois la valeur du Champ-Franc ; il faudroit donc, en ce cas, revenir à des raggrandissements qui monteroient à des temps bien éloignés, l’action de garantie ne commençant à courir que du jour du trouble. Il en faudroit dire autant des ventes particulières qui se sont multipliées dans la paroisse. Quel cahos et quelle confusion n'entraîneroit donc pas pareil changement ! Et n’est-il pas bien plus naturel de dire que, puisque le Chapitre reconnoit encore aujourd'huy que la paroisse a droit de jouir d’un Champ-Franc, elle en doit jouir comme elle en a toujours joui, du consentement de ses parties mêmes et suivant une possession immémoriale, uniforme et constante, qui sans contredit est le meilleur interprète du titre primordial » (Registre de Ploufragan, id., ibid.).
Finalement, le 11 août 1769, c’est-à-dire après onze années de procédure, le Présidial de Rennes jugea : « Que le Général de la paroisse de Ploufragan jouira, conformément aux ordonnances de 1660 et 1739, d'un journal franc de dixme, par chaque maison dans laquelle il y a et aura domicile actuel et ordinaire ; lequel journal sera joignant et le plus proche de la maison, et en iceluy compris les jardins et courtils, et ne pourra varier. Qu’en plus, le Chapitre est condamné dans tous les dépens... » [Note : Extrait du Registre des délibérations du général de la paroisse de Ploufragan, 1766 à 1790, faisant partie des Archives du presbytère, et que nous communiqua, en 1865, feu M. l’abbé Josse, recteur de Ploufragan. Cette sentence du Présidial de Rennes, rapportée ci-dessus, avait dans le temps vivement sollicité notre curiosité, que devait complètement satisfaire, on vient de le voir, le Registre de 1732 à 1765, appartenant aux Archives communales].
Messieurs du Chapitre étaient décidément obligés de s’incliner devant de glorieux privilèges, noblement conquis, vaillamment défendus, et dont bénéficièrent seigneurs et paysans jusqu’à l’époque de la Révolution.
Une chose frappe dans l’étude de ces revendications : la logique et le bon sens de l’argumentation, autant que la ténacité toute bretonne de ces paroissiens de Ploufragan, dignes héritiers de ces vaillants du quatorzième siècle. Aussi sommes-nous heureux de constater le succès complet de ces braves gens, dans un procès, aussi instructif pour notre histoire locale, que curieux dans ses détails couleur du temps.
Nous avons dit que, grâce à ces documents nouveaux, il nous devenait possible de déterminer à quelle région exacte appartenaient les compagnons d’armes de Sylvestre et de Tristan Budes, c’est-à-dire ceux de leur ordonnance, car, il est évident que bien d’autres Bretons se levèrent à l’appel de Clément VII et s’illustrèrent sous leurs chefs respectifs. La chose était facile ; il suffisait de remonter de l’effet à la cause : là où se trouve le Champ-Franc, là fut l’hébergement et l’étager, c’est-à-dire la demeure de l’homme d’armes de l’ordonnance immédiate des Budes.
Le titre de Seigneur d’Uzel, donné à Sylvestre,
nous a engagé à rechercher si notre gonfalonier de
l’église romaine n’avait pas également sous sa bannière, de 1376 à 1379, les
Vassaux de cette vieille seigneurie d’Uzel. Nous avions un moyen de contrôle,
étant donné que le Pape avait accordé le Champ-Franc à tous et chacun des
étagers des paroisses qui avaient fourni à l’ordonnance de Sylvestre et de
Tristan Budes. Or, les recherches que nous avons fait faire et que nous avons
faites nous même, dans le ressort de la seigneurie d’Uzel, nous ont démontré que
le Champ-Franc y était inconnu. Nous en
-31-
avons tout naturellement conclu
que les vassaux de cette seigneurie n’avaient pas pris part à l’expédition
d’Italie, et que, Sylvestre mort, ce fut le seigneur du Tertre-Jouan et les
braves qui avaient partagé ses périls et sa gloire, c’est-à-dire ceux de son
pays natal, ceux du terroir briochin, qui avaient bénéficié des largesses
pontificales [Note : Tristan Budes était fils de Jean Budes, seigneur du Hirel,
chevalier, et de Jeanne Du Guesclin. «
C’est de lui que sont issus, dit Le Laboureur, les barons de Sacé, le
mareschal de Guébriant et les Seigneurs du Tertre-Jouan » (Hist. généalogique des
Budes, p. 14). Quelques auteurs, (contrairement aux assertions de Le Laboureur),
ont prétendu que les Budes ne possédaient le Tertre-Jouan que depuis le XVIème
siècle. L’historique du privilège des Champs-Francs, que nous venons de donner,
et la mention de faveurs spéciales aux vassaux de ce domaine, obtenues par les
Budes, à la fin du XIVème siècle, donnent raison à Le Laboureur].
En effet, ces paroisses à Champs-Francs appartiennent exclusivement au rayon, à la banlieue de Saint-Brieuc, où les Budes possédaient hôtels et fiefs, de temps immémorial. C’est donc là qu’il faut chercher le noyau des hommes d’armes de Sylvestre Budes, levés sur la semonce du Pape, avec l’assentiment et le contingent de l’évêque de Saint-Brieuc lui-même, seigneur supérieur de ces paroisses qui formaient son Franc-Régaire [Note : Les paroisses composant le Franc-Régaire de l’évêché étaient celles de Saint-Brieuc, Cesson, Ploufragan, Trégueux et Langueux. Les plus anciennes montres et réformations du XVème siècle nous donnent les noms des subjects aux armes avec celui des manoirs et hébergements nobles ; l’état parcellaire du cadastre de ces communes nous permet, grâce au qualificatif de Champ-Franc, de retrouver la demeure du plus humble des compagnons des Budes. (Voy. Mss. de la Bibliot. de la ville de Saint-Brieuc, donnant les Montres et réformations, imprimées du reste dans un assez grand nombre de Revues et Nobiliaires bretons)].
Les Réformations, montres et revues de la noblesse, aux premières années du XVème siècle, nous donnent les noms des familles, des manoirs, des étagers qui fournirent ce contingent.
Saint-Brieuc peut donc légitimement revendiquer la meilleure part dans l’épopée de Sylvestre Budes, en Italie, au XIVème siècle.
Que conclure de tout cela ? C’est qu’il importe de garder le souvenir de cette page glorieuse et féconde de notre histoire [Note : Il ne reste plus rien du château du Tertre-Jouan couronnant jadis l’un des sites les plus pittoresques du Gouët, de cette antique demeure que la tradition regarde, à bon droit, comme la première station de l’apôtre Fracan, sur nos rivages, et qui devint un des fiefs les plus importants des Budes. Portée par mariage dans la maison de Lesquiffiou, vers le milieu du XVIIème siècle, cette terre a passé successivement, par alliances, aux du Louët, de Harlay, de Montmorency et Potier de Gesvres, puis par acquêt, dans la seconde moitié du siècle dernier, aux Picot de Plédran. Confisqué par la nation, à l’époque de la Révolution, le Tertre-Jouan tomba entre les mains de paysans qui en achevèrent la démolition. Alliée aux Budes du Tertre-Jouan, la famille de celui qui écrit ces lignes fut assez heureuse de sauver, en les achetant, quelques débris de cette opulente construction, meurtrières ajourées, écussons, fragments de frise historiée, aujourd’hui conservés au manoir de Beaucemaine, en Ploufragan. Les blasons en alliances avec Budes sont ceux des maisons de la Soraye. du Houlle, de Beaucemaine, du Gourvinec, etc. Nous remarquons aussi que toujours le pin de l’écusson des Budes du Tertre-Jouan est sommé d'un épervier, et non d’un croissant au franc cartier, comme le porte Le Laboureur dans ses gravures de l’Histoire généalogique de cette maison. Les tombeaux armoriés qui recouvraient, dans la vieille église de Ploufragan, les restes des Budes du Tertre-Jouan et des autres familles y ayant droits d’enfeux, et auxquelles la reconnaissance avait accordé la faveur d’y reposer en paix depuis des siècles, ont été démolis, sans scrupules, lors de la reconstruction de l’église. Une modeste plaque de marbre noir, reléguée au bas de cette église, rappelle seule, aujourd’hui, le souvenir de ces bienfaiteurs oubliés].
(M Le Vicomte Arthur Du Bois de la Villerabel).
© Copyright - Tous droits réservés.