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Les derniers protestants dans les évêchés de Saint Brieuc, Tréguier et Quimper.

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NOTES ET CORRESPONDANCE DU MARQUIS DE LA COSTE.

J'ai entre les mains une liasse assez volumineuse de documents historiques inédits [Note : Je dois la communication de ces documents à la bienveillante affection de M. l'abbé J.-M. de Lamennais] dont la publication et l'analyse ne sembleront pas sans intérêt, je l'espère, à un certain nombre de lecteurs. Ces documents consistent dans des lettres et des notes officielles adressées au marquis de La Coste, lieutenant pour le roi en Basse-Bretagne, et l'un des commissaires départis pour assurer l'exécution du plan formé par Louis XIV et son conseil, de ne laisser subsister en France que l'exercice public du culte catholique ; système absolu, où la politique eut plus de part que la religion et dont le couronnement fut la célèbre ordonnance du mois d'octobre 1685, qui révoquait l'édit de Nantes.

Mon dossier porte cette suscription de la main du marquis de La Coste : « Touchant les nouveaux convertis de l'estendue de ma charge ; » toutes les lettres sont autographes : ce sont des matériaux importants tout à la fois pour notre histoire locale et pour l'histoire du protestantisme en Bretagne. Ces deux histoires sont à faire ; mais on s'en occupe, et je ne veux pas, pour ma part, que nos écrivains modernes puissent m'adresser le reproche que notre grand chroniqueur du XVIème siècle jetait à ses contemporains : « Plus eussé-je fait si tous ceux qui ont des renseignements au coffre m'en eussent secouru ».

Il est impossible de raconter une chose plus humiliante que l'échec complet, inouï, des prédicateurs de la réforme, dans notre catholique pays, dans la Basse-Bretagne surtout. Quelques grands seigneurs que l'entraînement de la mode et des considérations politiques et personnelles touchèrent beaucoup plus que tout le reste ; l'entourage intime, j'allais dire servile, de ces gentilshommes ; des négociants étrangers à la province, venus, pour leur trafic ou leur industrie, des pays où la réforme avait pu prendre racine ; voilà tout ce que l'hérésie compta jamais d'adeptes dans nos contrées. Ce n'est là assurément ni un titre de gloire pour le passé, ni un encouragement pour l'avenir, et nous n'étions pas surpris qu'aucune main pieuse n'eût voulu jusqu'ici exhumer des limbes de la bibliothèque de Rennes le manuscrit de Crevain. M. B. Vaurigaud, président du Consistoire, et pasteur de l'Eglise réformée de Nantes, n'a pas jugé les choses au même point de vue, et il vient de publier, pour la première fois, le manuscrit de la bibliothèque de Rennes [Note : Histoire ecclésiastique de Bretagne, depuis la réformation jusqu'à l'édit de Nantes, par Philippe Le Noir, sieur de Crevain, pasteur de l'Eglise réformée de Blain ; ouvrage publié pour la première fois par B. Vaurigaud, etc. Un volume in-8°, Nantes 1851]. On sait que cet ouvrage, qui date de 1683 ou 1684, traite de l'histoire du protestantisme en Bretagne, depuis son introduction dans la Province jusqu'à l'édit de Nantes. M. Vaurigaud se propose de continuer et de compléter l’œuvre du pasteur de Blain. Nous serions heureux que les notes que nous publions aujourd'hui fussent de quelque utilité à l'historien protestant ; car, comme catholique, nous lui savons gré de constater lui-même, avec une sincérité qui ne sera suspectée de personne, la désespérante infécondité du prosélytisme de ses prédécesseurs.

De tous les diocèses de Basse-Bretagne, celui de Saint-Brieuc fut celui qui compta le plus grand nombre de protestants. Une famille puissante et riche entre toutes, les Gouyon de La Moussaye, y joua le rôle qu'avaient rempli Dandelot et les Rohan dans les diocèses de Nantes et de Rennes. Les La Moussaye furent des premiers à embrasser le calvinisme et ils comptèrent bientôt dans leurs alliances les plus illustres noms huguenots de la province : les La Noue, les La Musse Ponthus, les Du Bordage. Charles, baron de La Moussaye, suivant la mode des gentilshommes calvinistes qui se piquaient de littérature et maniaient la plume avec autant de plaisir que l'épée, a laissé des mémoires relatifs aux troubles et aux guerres auxquels il prit part, de 1562 à 1585. La terre de La Moussaye fut érigée en marquisat, l'an 1615, en faveur d'Amaury II de Gouyon, marié à la fille du comte de La Suze et auteur, lui aussi, d'un livre intitulé : Méditations chrétiennes sur divers textes de l'Ecriture Sainte. Amaury III, marquis de La Moussaye, épousa Henriette de La Tour d'Auvergne, princesse de Sedan et sœur de Turenne, et acheta des La Trimouille, en 1638, la terre princière de Quintin et la baronie d'Avaugour. C'était là une influence énorme, une position presque royale dans la province ; M. et Madame de La Moussaye n'en usèrent que pour donner libre cours à leur zèle de propagande protestante.

Les édits les plus sévères semblaient ne pouvoir les atteindre et bientôt ils eurent des prêches et des ministres à Plouër, à Plénée-Jugon, l'Hermitage et à Quintin. Ce furent les beaux jours de la réforme dans le diocèse de St-Brieuc. L'évêque Denis de La Barde, appuyé sur les ordonnances royales, n'eut pas trop de toute son autorité et de tout son zèle pour tenir tête à l'audacieuse Henriette de La Tour d'Auvergne. Pendant une visite pastorale du prélat à Quintin, les gens du château firent razzia sur toutes les provisions qui garnissaient le marché, et le procureur fiscal insulta l'évêque jusque dans l'église. La marquise elle-même osa un jour lever la main sur Monseigneur de La Barde, et, au milieu d'un torrent d'injures, essaya de lui donner un soufflet. L'évêque garda tout son calme et se contenta de faire à la marquise une profonde révérence. Ce trait inouï d'audace souleva la province : les évêques bretons adressèrent au roi une plainte collective et cette affaire aurait eu des suites fatales pour M. et Mme de La Moussaye, si Denis de La Barde ne s'était généreusement interposé entre la justice royale et l'auteur insolent d'une brutale et grossière agression. Il fallut cependant que l'arrogante calviniste se courbe devant la vertu de l'évêque catholique et lui dît, en présence de la noblesse et du peuple de Quintin, assemblés dans l'église de cette ville : « Monseigneur, je viens declarer que je suis fachée du passé, vous priant de l'oublier ». Le prélat, pour achever d'écraser son adversaire sous le poids de sa générosité et de sa patience, alla, une heure après, avec tout son clergé, rendre visite à la marquise : il écrasa du même coup le calvinisme dans son diocèse.

En effet, quelques années plus tard, ruiné par les prodigalités d'une propagande stérile, par la foule des ministres, des chirurgiens et des apothicaires huguenots que devait trainer à sa suite tout grand seigneur calviniste, Henri de La Moussaye était forcé de revendre la terre de Quintin, et, en 1685, au moment où s'ouvre la correspondance du marquis de La Coste, il ne restait plus à La Moussaye, pour protéger le chétif troupeau de réformés disséminés dans l'évêché, qu'une femme bien entêtée dans l'hérésie, mais dont l'influence était mince en face de l'autorité épiscopale et des pouvoirs du lieutenant du roi.

A tout seigneur, tout honneur ; c'est par une lettre autographe de Mademoiselle Marie Gouyon de La Moussaye que nous voulons commencer le dépouillement du dossier que nous avons entrepris de publier.

« A La Moussaye, ce 8 Novembre 1685. MONSIEUR,
Voilà le mémoire des gens de notre religion qui sont céans que je vous envoye comme vous le demandez. Je vous assure, Monsieur, que je dirai à ceux qui sont icy auprès et que je verrai qu'ils facent la mesme chose, puisque vous le désirez. Je vous supplie d'estre persuadé que je suis véritablement, Monsieur, votre très-humble et obéissante servante, Marie Gouyon La Moussaye »
.

Suit la note des protestants au service de La Moussaye. Cette note est, comme la lettre, de l'écriture de Mademoiselle de Gouyon, écriture hardie, heurtée et presque masculine.

« Isaac Callac, sieur Desloges, qui met les plats sur ma table. Il a esté depuis plus de 40 ans dans notre maison, ayant servi mon père de valet de chambre [Note : Normand].

Henri Poulce, sieur de la Villebufet, receveur de la terre de La Moussaye. Il ne demeure pas chez moi, mais il a son domicile au Margaro, dans la paroisse de Sévignac, où est sa femme et ses trois enfants : il est natif de ladite paroisse de Sévignac.

Une bonne vieille fille nommée Rachel Rochelle, qui m'a servi autrefois de femme de chambre, et qui est née à Asé, en Touraine.

Une femme de chambre nommée Caterine La Croix, née à Saint-Silvain, en Normandie.

Marie Desmoulins, qui m'a servie avant d'estre mariée et qui a été mariée céans, femme du sieur de Grave, peintre [Note : Normand], qui a travaillé souvent pour moy depuis quelques années, lequel de Grave est absent depuis plus de six mois pour des affaires qu'il a au Limousin. La dite demoiselle de Grave n'est pas ma domestique ; elle a une petite fille avec elle et une à la nourrice, elle est née dans la paroisse de Plémet.

Un petit garson nommé François Bonneau, né à Rennes, que le dit de Grave avait pris pour lui broyer ses couleurs, et qui est demeuré en ma maison en mon absence.

Charles Bourlionne, fils d'Antoine Bourlionne que je viens de prendre pour être laquais, né à Saint-Mesleu.

François Flandraie, de Mouchant [Note : Poitou] et Marguerite Ferrant sa femme, natifs de Mouchant, valet d'écurie et servante de basse court.

Je cherche des cuisiniers, sommeliers, jardiniers, valets et servantes, cochers et postillons que j'ai renvoyés parce qu'ils étoient catholiques pour obéir aux ordonnances de Sa Majesté.

J'ai aussi dans ma maison une jeune fille nommée Susanne du Lac, née à Guingamt qui est céans depuis six ans. Fait à La Moussaye ce 8 novembre 1685. — Marie Gouyon ».

Mademoiselle de La Moussaye était de trop bon sang huguenot pour abjurer le calvinisme ; quelques mois après, elle chercha à sortir du royaume ; mais elle fut arrêtée à la frontière et reconduite à la citadelle de Tournay.

Presque toute la maison de Mademoiselle de La Moussaye était, on le voit, composée d'étrangers, et elle n'avait pu trouver assez de protestants pour la compléter dans ces paroisses de Plénée-Jugon et de Sévignac [Note : Séviguac était alors de l'évêché de Saint-Malo : il y avait dans cette paroisse quatre maisons protestantes, savoir : Jean Blanchart, écuyer, sieur de La Balaisaye, originaire de Normandie, et ses quatre enfants ; Amaury Poulce, sieur du Laurier, sa femme et ses six enfants ; Henry Poulce, receveur de La Moussaye, sa femme, ses quatre enfants et deux enfants d'un ministre nommé Laloué, recueillis chez Henry Poulce enfin, Daniel Hersan, parisien, sa femme et une petite fille], où sa domination était absolue. En effet, en dehors du château, on ne trouvait, à Plénée-Jugon, en 1685, que huit ou neuf familles huguenotes, toutes pour ainsi dire, introduites dans le pays par les La Moussaye, et dépendant d'eux à divers titres ; à tel point que, dans toutes ces familles, les enfants portent les prénoms d'Amaury, Henry et Marie, prénoms habituels et traditionnels des La Moussaye. C'était bien la peine de se ruiner, pour n'obtenir que de pareils résultats !

Nous dressons le rôle des réformés de Plénée d'après les notes fournies au marquis de La Coste par M. Jean Gicquel, vicaire perpétuel de Plénée-Jugon :

Suzanne Doudart, née à Rennes, sœur d'un banquier de cette ville, et veuve d'écuyer Charles de La Place, sieur de Bel-Orient, ancien ministre de La Moussaye : son fils, Jean de La Place, marié à une demoiselle de Metz, et une servante venue de Mouchant, en Poitou. Il ne paraît pas que cette famille se soit convertie. Un second fils, Henri de La Place, avait, depuis plusieurs années, quitté le royaume.

Ecuyer Jean du Rocher, sieur du Pargat ; sa femme, Anne des Grêts, et leurs quatre enfants. Le chef de cette famille et son fils aîné avaient déjà abjuré ; les autres membres ne tardèrent pas à imiter leur exemple.

« Le sieur de La Villequeneuc, chef d'une autre famille huguenote, écrit M. Gicquel, à la date du 10 Novembre 1685, est allé aujourd'hui à la messe pour la première fois. Il aurait abjuré avec sa femme, si Monseigneur de Saint-Brieuc m'avait donné l'autorité de les recevoir. Je lui écris pour cela, parce qu'il ne peut pas aller à Sainct-Brieuc, ayant des affaires importantes qui le retiennent.

Le sieur de La Haie Sainct-Paul, cy-devant procureur fiscal de La Moussaye, m'a promis d'aller cette semaine à Sainct-Brieuc pour se faire instruire. Il me paraît, aussi bien que sa femme, dans la disposition de changer au plus tôt. C'est pourquoi il m'a prié de ne point donner d'autre déclaration de sa famille ».

Il y avait encore à Plénée la famille de Joseph Poulce, composée de sa femme, d'un fils et de quatre filles ; ces gens, de la même famille, sans doute, que le dernier ministre de La Moussaye et que les Poulce de Sévignac, étaient dans le besoin et ne firent aucune difficulté d'abjurer.

Enfin, cinq autres familles, tout-à-fait dans la misère, complétaient l'entourage de La Moussaye : c'étaient Jacob Rochelle, « chirurgien autrefois de sa profession, » sa femme et ses cinq enfants. Ils se convertirent sincèrement.

Maurice Desmoulins, qui avait épousé en secondes noces Marie Rochelle, veuve de maître Philipert Taniou, apothicaire, laquelle Marie Rochelle faisait, à l'exemple de son feu mari, de la médecine et de la chirurgie, ce qui, paraît-il, ne suffisait pas pour entretenir deux filles du premier lit et trois enfants du second.

Antoine Bourglionne, sur le compte duquel le vicaire de Plénée écrivait cette note : « Au village de Sainct-Meleuc, en Plenest, demeure Antoine Bourglionne, cabaretier, âgé d'environ quarante ans, natif de la province d'Auvergne, demeure en Bretagne depuis les vingt-cinq ans y estant venu au service des seigneur et dame de La Moussaye. Il est marié à Louise d'Oriant, native de la paroisse de Plesnet, âgée d'environ quarante deux ou trois ans. Il a de son mariage six enfants. Il est de condition commune, assez pauvre. Il ne fait autre métier que de servir Mademoiselle de La Moussaye, des charités de laquelle il subsiste ».

Mathurin Marval, sa femme et ses quatre enfants étaient dans le même cas que Antoine Bourglionne, et étaient entretenus par Mademoiselle de La Moussaye. M. de La Coste note en marge de leur nom : « Il est besoing de leur donner quelque chose ».

Samuel Allery, pour lequel M. de La Coste écrivait de sa main ce memento : « Samuel Allery et Anne Daveau, sa femme; Henriette, Marie et Jean-Henry Allery, ses enfants, nouveaux convertis pauvres, proche La Moussaye : lui procurer de l'emploi. ». On comprend que pour ramener au catholicisme ces pauvres diables, le moyen indiqué par le marquis de La Coste était le plus simple et le meilleur.

« Nous n'avons à ma connaissance, dit M. Gicquel, que ces familles où il y ait des huguenots dans ma paroisse. Je n'en connois point dans notre voisinage de l'évêché de Sainct-Brieuc. Les plus proches sont les messieurs du Tertre Gouyquet, qui demeurent à Plœuc, cinq grandes lieues de Plenest ».

Les notes qui concernent la famille Gouyquet [Note : Cette famille est celle même du capitaine Gouyquet qui défendit Guingamp en 1499] ne sont pas les moins intéressantes de notre dossier. Le chef de cette maison, le sieur du Tertre, qui fut, je crois, sénéchal de La Moussaye et beau-frère du ministre La Place, adressait au marquis de La Coste la déclaration suivante :

« Je soubsignant, obéissant à l'ordre de monseigneur le marquis de La Coste, lieutenant pour le Roy aux quatre esvêchez de la Basse-Bretagne, déclare avoir nom Isaac Gouyquet, escuyer, sieur du Tertre, âgé de soixante-et-sept ans ou environ, faisant profession de la religion prétendue réformée ; avoir été marié avec dame Janne Doudart, décédée il y a près de dix ans ; que de notre mariage sont yssus cinq enfants vivants, trois garsons et deux filles. — Savoir :

Isaac Gouyquet, escuyer, sieur de Sainct-Eloy, mon fils aisné, âgé d'environ trente-et-quatre ans, marié à dame Marguerite Le Blanc, de la ville de Sédan, auquel sieur de St-Eloy, en faveur de son-dit mariage, j'ai relaissé la plus part du peu de bien qu'il a pleu à la Providence me départir, suivant les actes passés entre luy et moy. Madame de St-Eloy est âgée d'environ vingt-sept ans.

Mon second fils a nom Henry Gouyquet escuyer, sieur du Vaupatry [Note : Paroisse de Plémy], âgé d'environ trente-et-trois ans, auquel j'ai baillé la terre du Vaupatry, où il est demeurant à son petit ménage, il y a environ quatre ans ; il n'est pas marié que je sache.

Mon troisième fils a nom Jean Gouyquet, escuyer, sieur de Bien-Assis [Note : Paroisse de Trédaniel], âgé d'environ vingt six ans, marié à dame Claude du Ham, de Sédan, auquel j'ai aussi baillé la terre de Trédaniel, où il a tenu son ménage trois ans, y faisant une demeure actuelle ; mais il s'est retiré depuis dix-huit mois à Sédan, où je croy qu'il est demeurant à présent. J'estime qu'ils ont à présent un petit garson de sept à huit mois. La mère est âgée d'environ trente ans.

Ma fille aisnée a nom Ester Gouyquet et est âgée de vingt ans.

Ma dernière fille a nom Jeanne Gouyquet, âgée d'environ quinze ans. Comme je n'ai point de ménage fixe estant tantost chez l'un de mes fils, tantost chez l'autre, mes filles sont souvent à Rennes chez madame Doudart, leur tante, ou chez madame de Belorient, sœur de leur mère, ou auprès de madame de Saint-Eloy, leur belle-sœur.

Je n'ai de domestiques qu'un valet de la religion prétendue réformée et une servante catholique. Fait ce trois du mois de novembre, l'an 1685. — Isaac Gouyquet. ».

De son côté, le fils aîné de M. Du Tertre écrivait la lettre suivante :

« Monsieur, j'ay pris la liberté de promener Monsieur votre garde dans toute ma maison pour luy faire voir qu'elle est pleine du petit bien que Dieu m'a donné. Je n'ay vandu aucun meuble, ce qui s'appelle aucun. Ma quatrième fille a nom Jeanne Marguerite, mon valet Isaac n'est pas icy : il est de la principauté de Sédan ; Thomas Giffart est de Jersey. Janne Hubert est d'auprès de La Moussaye. Le nom du valet de mon père s'appelle, si je ne me trompe, Abraham Molé. Voilà, Monsieur, tout ce que je vous puis dire sur ce que vous me faites l'honneur de me demander. Quand j'aurais cinquante dragons ches moi, je n'en pourais pas dire davantage en disant vray, de quoy je me pique. Je n'ay jamais refusé d'éclaircissement sur le sujet de ma religion. Jusques icy, à la vérité, je n'en ay pas trouvé qui m'ait assez persuadé pour me faire changer de profession. Quay qu'il m'arrive, je ne me fonde que sur votre protection; vous nous en avès donné tant de marques jusques icy et à toute ma famille, que je ne puis croire que vous nous fassiés jamais de mal de bon cœur. S'il me vient des dragons, je leur céderay la place et m'enfuiray ; mais ce sera à La Caste : je n'ay point d'autre asile que celuy-là. Du reste, ordonnés de moi tout ce qu'il vous plaira et me faites l'honneur de me croire, avec un profond respect, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. — Saint-Eloy ».

M. de St-Eloy trouva plus tard, paraît-il, des motifs suffisants pour changer de religion, car il se convertit, ainsi que ses frères. Son père, M. du Tertre, protestant obstiné, aima mieux prendre la fuite que d'abjurer le calvinisme. Il s'embarqua clandestinement, au pied de la tour de Cesson, et gagna les îles anglaises. Conformément à l'ordonnance, ses biens furent confisqués et cette confiscation amena même, entre les juridictions de Saint-Brieuc et de Moncontour, un conflit dont je n'ai point su le résultat définitif. Quoiqu'il en soit, M. de St-Eloy, le 5 mai 1687, présentait requête aux juges de Moncontour pour être mis en possession de la succession paternelle, et produisait un brevet ainsi conçu :

« Aujourd'hui 18 avril 1687, le Roy, étant à Versailles, désirant gratifier et traiter favorablement les sieurs de St-Eloy, de Vaupatry et de Bienassis, nouvellement convertis à la religion catholique et établis en ce royaume ; Sa Majesté leur a accordé et fait don de tous les biens, meubles et immeubles du sieur Gouyquet, leur père, de la religion prétendue réformée, acquis et confisqués à Sa Majesté, pour avoir passé dans les pays étrangers, sans permission, au préjudice des défenses portées par ses édits et déclarations : pour être lesdits biens partagés entre eux suivant la coutume des lieux, et en jouir comme si leur dit père était mort dans le royaume ab intestat, à condition toutefois de satisfaire aux dettes, charges et devoirs qui se trouveront sur lesdits biens : m'ayant Sa Majesté commandé de leur en expédier toutes lettres nécessaires, si besoin est ; et cependant pour assurance de sa volonté, est le présent brevet qu'Elle a voulu signer de sa main et estre contresigné par moi son conseiller secrétaire d'Etat et de ses commandements et finances. — Signé : Louis, et plus bas Colbert ».

C'est la seule confiscation dont nous trouvions trace dans les papiers de M. de La Coste. Elle ne fut pas ruineuse pour les intéressés, et elle valut à « escuyer François Le Camus, sieur de Coatanfault, senéchal et premier juge de la juridiction de Moncontour, au duché de Penthièvre, pairie de France, à escuver Andre Scott, procureur d'office et à maître Jean Chapelain, greffier de la mesme jurisdiction, la somme de cent deux livres huit sols à chacun, à raison de huit jours et de douze livres seize sols par chaque jour, suivant les règlements, et quarante livres pour cinq journées de deux sergents que lesdits magistrats prinrent à leur suitte ».

En même temps que les frères Gouyquet, se convertit le sieur Isaac Des Moulins, leur parent, dont la mère ouvrait ainsi son cœur au marquis de La Coste ; je ne copie pas l'orthographe.

« A Trédaniel, le 7 novembre 1685. — Monseigneur, je réponds avec beaucoup de soumission à vos ordres, et je souhaite de tout mon cœur qu'ils aient une prompte exécution, en la personne de tous ceux pour qui je m'intéresse. Mon fils est âgé de vingt-cinq ans ; il s'appelle Isaac Des Moulins. Il y a quelque temps qu'il est chez moi ; mais plus ordinairement il se retire ailleurs, chez sa famille. Je n'ai que celui-là de la religion prétendue réformée. Mon fils aîné, qui n'est pas en Bretagne, ma fille et moi, avons le bonheur d'être catholiques. Je n'ai aucun domestique de la religion. J'espère que votre autorité fera ce que mes empressements n'ont pu gagner : c'est le plus grand désir dont je suis prévenue, étant d'un très-profond respect, Monseigneur, votre très-humble et soumise servante, — Catherine Gouyquet ».

Je note en passant deux pauvres huguenots convertis, Moyse de La Place, à Landéhen, et Jean du Tertre, à Moncontour, et j'arrive à Loudéac.

Les seuls réformés que l'on connût à Loudéac, suivant la déclaration de M. Bidan, recteur de la paroisse, étaient les fermiers de Rohan. Cette ferme, de dix-neuf mille livres par an, était gérée par deux associés, étrangers tous deux ; Paul Martin, sieur de Gramusse, était de Castres ; il avait épousé Marie du Boché Quervocader, née au Croisic et élevée à Vitré ; avec eux et leurs quatre enfants, habitait une jeune parente du mari, Demoiselle Marthe de La Roque de Montfort ; l'associé, Jan Mascaren, sieur de Rivière, était d'un petit village près de Castres. Tous se convertirent.

A Quintin, dans cette ville où la marquise de La Moussaye commandant en souveraine, avait établi, malgré l'évêque et le roi, le centre de sa propagande calviniste ; à Quintin, en 1685, quatre ans après le départ du dernier des La Moussaye, le protestantisme n'était plus représenté que par quatre ou cinq vieilles femmes ; toutes étrangères au pays, et que le marquis de La Coste put enregistrer sans peine sur la liste de conversion. Je copie un mémoire sans signature, mais d'une écriture que je retrouve plusieurs fois dans le dossier, et qui est peut-étre celle du secrétaire de M. de La Coste. Le marquis, habitant aux portes de Quintin même, n'avait pas eu besoin de correspondant pour cette partie de son gouvernement.

« Damoiselle Ester Girard, dame de Querveler, àgée d'environ 60 ans, de la ville de Rennes, veuve de feu Jan Uzille, sieur de Querveler, sénéchal de Quintin. Elle a sa fille, Madame du Lavoir, huguenote ; ses autres enfants se sont faits catholiques. Il y a vers quarante ans qu'elle est établie à Quintin.

Ester Chapeau, de la ville de Rennes, establie à Quintin, il y a environ trente-cinq ans, veuve de feu Ollivier du Pré, âgée de 60 ans. Elle a une fille en Angleterre, mariée à l'appelé Beaulieu, ministre autrefois à Quintin, lesquels furent obligés de se sauver, étant décretés pour des impiétés et profanations horribles par eux commises dans la ville de Quintin. » — En marge, M. de La Coste note que cette Ester Chapeau est dans la misère.

« Julienne Margueré, femme du sieur Boisnet, âgée de 55 ans, de la ville de Saint-Lô, en Normandie ». Ses deux filles se convertirent avec leur mère ; le fils, Pierre Boisnet, était à Guernesey.

« Françoise Germé, femme du sieur Bocage., âgée de 45 ans, née à Orléans, n'a point d'enfants. Son mari, le sieur Bocage est à Guernesey, ayant été obligé de quitter Quintin, comme décrété pour des impiétés et profanations, il y a cinq ans passé ». En marge, M. de La Caste a écrit : « Fort pauvre ».

Enfin, on trouvait encore à Quintin, la mère de la femme Bocage, Debora Mars, pauvre vieille veuve qui était venue de Bordeaux à Châteaulin, où nous retrouverons ses autres enfants, et de Châteaulin, après la mort de Michel Germé, son mari, était allée cacher sa misère à Quintin.

Ainsi que je l'ai dit, M. de La Coste put inscrire toutes ces femmes sur sa liste de convertis ; il en fut de même d'un ménage de marchands établis à Saint-Brandan, aux fauxbourgs de Quintin. Le mari, Geffroy Le Nepveu, était de Plouer, et la femme, Judith Canu, était née à La Roche-Bernard. Ils avaient trois enfants peu âgés.

Il ne me reste plus qu'un nom pour avoir dépouillé tous les documents relatifs à l'évêché de Saint-Brieuc. Ce nom est celui de Paul Larcher, sieur de Perteville. Nous savons très-peu de choses de ce personnage, qui était né dans le diocèse de Bayeux et qui habitait Lamballe. D'après les notes autographes du marquis de La Coste, il se invertit avec son fils, Luc Larcher ; sa belle-sœur, Elisabeth Giron ; son neveu, Paul Eserignac, et une servante. Nous avons le procès-verbal d'une perquisition faite par Messire René du Bouillye, chevalier, sieur de La Provostais, capitaine des gardes-côtes de l'évêché de Saint-Brieuc, pour trouver le sieur de Perteville et son fils. Cette perquisition, qui date du 1er décembre 1685, ét est, par conséquent, antérieure de plusieurs mois au tableau de conversion dressé par le marquis de La Coste, demeura sans résultats. Perteville était malade de la goutte dans un lit de l'auberge du Petit-Lyon-d'Or, je ne sais dans quelle ville ou bourgade de Bretagne, car la lettre qui annonce cette nouvelle et qui est signée de Thomas Quintin n'est point datée.

Ce sont là tous les renseignements que nous avons trouvés relatifs aux protestants de l'évêché de Saint-Brieuc. En les comparant au tableau sommaire, espèce de table des matières, dressé pour chaque évêché et écrit de la main du lieutenant-général lui-même, nous nous assurons que rien d'important n'a été soustrait du dossier ; et ce n'est pas sans fierté que nous pouvons offrir à notre pays cette justification complète des magnifiques éloges que l'oraison funèbre de Monseigneur Marcel de Coëtlogon donnait à la fois à l'évêque de Saint-Brieuc et au marquis de La Coste : « L'évêque, disait l'orateur, l'évêque arrête le soldat qui venait à son secours, et, accompagné seulement du marquis de La Coste, lieutenant-général de la Basse-Bretagne, illustre ami dont la piété, le zèle et toutes les vertus chrétiennes répondaient à celles du prélat, il va chercher les brebis errantes, il les rappelle, il les instruit, il les presse, il s'insinue dans les cœurs, il y fait entrer les paroles de vie et l'amour de la vérité, il les convertit, il les change ; et le lieutenant-général, témoin de tant de merveilles, voit avec plaisir son ministère devenu inutile par la douceur du prélat, qui sait tout vaincre sans autre secours que celui des armes évangéliques » [Note : Oraison funèbre de Mgr de Coëtlogon, mort évêque de Tournay, prononcée le 21 Juin 1709, dons l'église des Jésuite de Tournay, par le P. Philippe de la compagnie de Jésus].

Le diocèse de Tréguier est le plus pauvre en documents ; nous n'avons, à vrai dire, que les listes écrites par le marquis de La Coste. Si ces listes sont complètes, on n'aurait trouvé de protestants qu'à Guingamp, à Bourbriac et à Morlaix.

A Guingamp, habitaient Pierre Ulier « mestre apoticaire, » et Anne Ulier, sa sœur, veuve de Jacques Du Lac, dont elle avait onze enfants, sept garçons et quatre filles. M. de La Coste écrit en marge : « Rien de plus pauvre et de plus nécessiteux ; la plupart des enfants étoient dispersés ; il y en avoit même chez Mademoiselle de La Moussaye ». Cette misérable famille semble avoir été, après sa conversion, l'objet de la profonde commisération du lieutenant-général. Nous avons une lettre de la mère qui ne justifie guère l'intérêt qu'elle avait su inspirer à M. de La Coste ; c'est un pamphlet indigne contre M. Le Bricquir, vicaire de Guingamp, ecclésiastique éminent sous tous les rapports ; après le pamphlet, vient une supplique qui expose la misère de la famille Du Lac et se termine par cette phrase très-significative : « J'espère que Dieu y pourvoira par votre moyen, Monseigneur; seulement par quelque confiscation, s'il s'en fait ».

Sarah et Léonor Thomas étaient deux jeunes Anglaises venues à Bourbriac, je ne sais trop comment, et qui furent instruites et converties par l'abbé Le Bricquir.

Tel est le mince contingent fourni par le pays de Guingamp, si toutefois ma liste est complète ; car, au dos du rôle de l'évêché de Quimper, M. de La Coste a écrit cette note : « J'ai égaré les noms des convertis de Guingamp ».

Morlaix était la ville de Basse-Bretagne où la Réforme avait d'abord été prêchée en langue celtique. Crévain regrette amèrement la perte des actes du synode tenu à Pontivy à la mi-mars 1572, parce qu'on y eût trouvé « la vocation de Rolland et de son église à Morlaix, dont M. Louveau a conservé la mémoire à la postérité. Il dit que le synode examina M. Rolland, le trouva fort capable, lui donna l'imposition des mains et l'envoya à Morlaix pour prêcher en deux langues, savoir : en français et en breton, étant natif de Basse-Bretagne. Il ajoute que ce pasteur breton-français demeura quelque temps à Morlaix, sans dire combien, et qu'après avoir été envoyé au pays Vennetais, il y décéda quelques années avant 1590 ou bien 1584, en quoi l'on fit une grande perte. Voilà tout ce que l'on sait de cette église naissante, où l'Evangile fut prêché aux Bas-Bretons en leur langue, mais peu de temps, à cause des guerres suivantes : elle se soutint pourtant jusqu'à la ligue, car au synode de Vitré (1577), elle avait un ministre, mais absent, et à celui de Josselin (1583), elle envoya son pasteur, nommé Dominique du Gric, qui succéda à M. Rolland, fondateur. Dans notre siècle, depuis l'édit de Nantes, l'église de Morlaix s'est relevée et soutenue, jusqu'à ce qu'elle soit devenue un membre écarté de l'église de Pontivy ; mais toujours il y a eu dans Morlaix quelques familles de la religion et plusieurs Anglais allant et venant pour le trafic qui a grand cours en cette ville maritime ».

Le recensement de 1685 nous montre les rares protestants de Morlaix dans une situation encore plus misérable que ne le laisserait supposer le récit de Crévain. J'abrège, en supprimant des détails, le rôle dressé par le marquis de La Coste :

1° Pierre Deschamps, ébéniste, de Lizieux, âgé de 60 ans. Sa femme et ses enfants étaient catholiques ; lui-même se faisait instruire et ne tarda pas à abjurer.

2° Anne Galian, anglaise, née à Londres, veuve de Nicolas Pipet, pauvre. De ses quatre enfants, trois étaient catholiques ; la mère et la dernière fille se convertirent.

3° Le sieur Allain, anglais, marié à Marthe Briou, de Pontivy, sœur du dernier ministre protestant de cette ville. Les époux Allain furent les seuls habitants de Morlaix qui s'obstinèrent dans l'hérésie.

4° Le sieur Etienne Propter, anglais, naturalisé français, vieux garçon, faisant profession de la religion anglicane ; il se convertit.

5° Marie Briou, née en Touraine, mariée à un sieur Fontenay, normand, qui l'avait abandonnée depuis quatre ans ; elle avait chez elle Judith et Jeanne Briou, ses nièces, filles du ministre de Pontivy : en marge de leur nom, on lit cette mention « Catholiques de bonne foy, à ce qu'on m'a mandé ; sans aucuns biens : méritent qu'on leur donne une pension et pourroient faire négoce de toiles si on leur faisoit quelques advances ».

6° Suzanne Bernié, veuve de Louis Morel, teinturier, née à Vitré, pauvre. La plupart de ses enfants étaient passés en Angleterre ; ceux qui restaient en Bretagne abjurèrent avec la mère devant l'abbé Mex, vicaire perpétuel de Saint-Martin-lès-Morlaix.

7° Enfin, Marie Bernier, veuve de Jean de Livet, venue de Quimperlé à Morlaix, où elle habitait le quai de Léon. Elle retourna à Quemperlé et fit son abjuration, le 5 janvier 1686, entre les mains de « noble et discret messire David de Plunyé, vicaire perpétuel de la paroisse de Saint-Colomban ».

A la suite de tous ces noms M. de La Coste écrit : « Marquer que M. le doyen de Quintin a beaucoup contribué aux conversions et qu'elles se sont faites la plupart entre ses mains ».

Nous arrivons au diocèse de Quimper, par lequel nous terminons l'histoire de la mission du marquis de La Coste en Basse-Bretagne ; car nous n'avons rien concernant l'évêché de Léon, soit que cet évêché ne renfermât aucun religionnaire, soit que les notes qui le regardaient aient été égarées.

La plupart des calvinistes de Quimper tiennent par les liens les plus étroits aux quatre ou cinq principales familles huguenotes que nous avons déjà trouvées établies dans les deux autres diocèses : tant il est vrai que le protestantisme n'eut jamais de propagande fructueuse en Bretagne, et qu'il ne s'y perpétua que par des traditions domestiques restreintes dans un cercle très-peu étendu.

Aux portes de Quintin, dans le village de Saint-Léon, qui dépendait alors de l'évêché de Quimper, habitait, avec ses trois enfants, Jeanne Uzille, sœur de l'ancien sénéchal de Quintin, favori des La Moussaye, et veuve d'un sieur Duchemin. Ils abjurèrent tous dans la chapelle de Saint-Jacques de Saint-Léon, le 26 novembre 1685.

Noël Germé, marchand de vin, au Port-Launay, près de Châteaulin, et dont nous avons trouvé la famille à Quintin ; sa femme Philippe Ulier, de Guingamp, sœur de l'apothicaire et de la veuve Du Lac ; quatre de leurs enfants ; leur neveu Paul Du Lac ; leur sœur, Catherine Germé, femme de Louis Pelletier, aubergiste au Pont de Buis, et toute la famille de ce dernier abjurèrent successivement, le 1er et le 7 décembre 1685 dans l'église de l'abbaye de Landevenec, entre les mains du prieur le célèbre Fr. Maur. Audren. La fille aînée de Noël Germé, Suzanne, âgée de dix-huit ans à peine, se montra seule récalcitrante ; et le père écrivait à son sujet cette lettre curieuse au marquis de La Coste :

« Au Part-Launay, ce 30 Novembre 1685.
Monseigneur, après vous avoir rassuré de mes très-humbles respects, je vous dirai être arrivé en ce port avec bien de la peine, par le débordement des eaux. J'ai trouvé ma femme et mes enfants, ma sœur et ma nièce en mesmes dispositions de se rendre catholiques, apostoliques et romains. Je pars ce jour pour aller à Landevenec, pour faire de rechef mon abjuration, et y étant, je leur enverrai une chaloupe pour s'y rendre et pour y faire leur retraite qui commencera lundi prochain ; après quoi ils feront leur abjuration. Suivant la lettre, Monseigneur, que votre Grandeur a écrite à ma femme, touchant ma fille aînée nommée Suzon, nous lui avons fait lecture de votre lettre et lui avons dit toutes choses, touchant la religion catholique, apostolique et romaine. Elle nous a déclaré de ne la jamais embrasser. C'est, Monseigneur, ce qui me fait prendre liberté de vous l'envoyer et d'en disposer comme votre prudence le jugera à propos, pour que nous en soyons une fois délivrés. Elle dit faire grand ravage en quelque lieu qu'elle soit : si elle reste dans un couvent, il faut la tenir de court. J'ai donné à cet homme trente livres, pour délivrer à vos ordres, pour commencer sa pension. Etant, avec votre permission, d'un profond respect, Monseigneur, votre très-humble et obéissant serviteur. — Noël Germé »
. La rébellion de Suzon ne fut pas de longue durée, car nous la voyons figurer avec toute sa famille sur les listes de conversion du marquis de La Coste.

Une remarque assez bizarre, que je fais en passant, c'est que les lettres de tous mes calvinistes, quelques plébéiens que soient leurs noms, portent des cachets armoriés. Du reste, à cette époque, en Bretagne, tous les bourgeois étaient sieurs de quelque lieu, ne fût-ce que d'un sillon.

Dans un faubourg de la ville épiscopale, demeurait Demoiselle Marie Allard, veuve de défunt M. Du Chemin, marchande de vins, avec une fille, une nièce et un facteur nommé Pierre Courtaud. Mgr l'évêque de Quimper reçut lui-même l'abjuration de toute cette famille.

Monsieur de Keraustret avait à sa terre de Briec, un agent étranger appartenant à la religion réformée. Cet homme, qui avait nom Hardy, n'hésita pas à se faire catholique.

Enfin, le dernier et le principal protestant de l'évêché de Quimper, fut M. Samuel Turpin, sieur de Porzembris. Il tenait à ferme la terre du Grand-Mouros, dans la paroisse de Lanriee, prés de Concarneau. M. Turpin écrivait, à la date du 22 décembre 1685, la lettre suivante, adressée au marquis de La Coste :

« Monsieur, lorsque j'eus l'honneur de recevoir la vostre par vostre garde, j'estois dans une préméditation d'aller à Quimper voir Monseigneur de Cornouailles ; ce que je fis aussi, dès le lendemain, et, après trois ou quatre jours d'entretien, vous verrez, s'il vous plaît, par la lettre qu'il m'a fait l'honneur de me donner pour vous, ce qui s'en est ensuivy. C'est mon devoir, Monsieur, de vous aller rendre mes respects et remercier très-humblement ; mais estant un peu incommodé et embarrassé d'affaires, j'espère de vostre bonté que vous me pardonnerez quant à présent, remettant que le temps et la santé me permettent d'avoir ce bonheur de vous aller assurer, Monsieur, que je suis avec tout le respect possible, votre très-humble serviteur, — Turpin ».

C'est par la lettre de Mgr l'évêque de Quimper que nous voulons clore notre travail, dont cette lettre est, sans aucun doute, la page la plus précieuse.

« Monsieur, je viens de recevoir l'abjuration de M. Turpin, qu'il a faite avec bien de la sincérité, autant qu'on en peut juger. Comme il a bonne volonté de se sauver, je pense qu'il va estre un bon et fervent catholique. J'ay aussi fait faire la profession de foy à Mlle Du Chemin et à ses filles et nièce. Je ne sçay si sa sœur a suivi son exemple entre les mains de son recteur ou de Mgr de Saint-Brieux, comme le bruit en court. Après cela je ne sçay plus qu'il y ait d'hérétiques dans mon diocèse qui n'aient abjuré. Je souhaite que Dieu leur fasse la grâce de persévérer de tout leur cœur et sans déguisement. Je suis avec respect, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur, — Fr., évesque de Quimper ; 20 décembre 1685 ».

Le pasteur qui, deux mois après la révocation de l'édit de Nantes, avait ainsi, sans persécution, sans confiscation, sans violence, expurgé de toute hérésie un vaste et populeux diocèse, se nommait François de Coëtlogon, oncle de l'évêque de Saint-Brieuc, et l'un des plus remarquables prélats qui aient occupé le siége de Cornouailles. Il avait choisi pour modèle saint François de Sales. Il étudia profondément les écrits de l'illustre évêque de Genève et l'on a de lui un livre excellent extrait de ces œuvres immortelles ; il imita surtout la vertu de son patron, et l'on put sans flatterie graver sur sa tombe ce simple et magnifique éloge : « Pendant plus de quarante et un ans, il gouverna avec une extrême mansuétude l'Eglise de Quimper : Ecclesiam Cornubiensem mitissimè rexit ».

(M. S. Ropartz).

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