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L'incendie de l'abbaye de Redon en 1780. |
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Le 31 mai 1780, l'organiste de Saint-Sauveur ayant eu quelque soudure à faire aux tuyaux de son instrument, « l'un des plus complets du royaume », laissa en s'en allant, du feu dans la monumentale tribune « à arcade », ornée de riches sculptures qui le supportait, et, pendant la nuit, l'incendie put se développer avec une intensité telle que tout ce qui était combustible fut consumé « depuis l'orgue placé au bas de la nef jusques et y compris le choeur ». Le lendemain on ne voyait plus que des piliers et des murs calcinés.
A grand'peine, grâce au concours des habitants et des soldats du Régiment de Mestre de Camp Dragons cantonné dans la ville, on avait pu sauver « le chartrier de l'Abbaye, la procure et les maisons voisines, ainsi que le rond-point, les chapelles et l'aile droite du bâtiment religieux ».
Pour la vieille église, le désastre était grand. Des « menuiseries de l'orgue » le feu avait gagné les « pièces de charpente » ; « les flammes s'élevèrent jusques aux lambris sous les fermes du comble ; les bois de ces fermes, vieux, très secs, furent bientôt enflammés, et toutes les pièces qui composaient ces fermes tombèrent avec les couvertures en ardoises sur le sol ou pavé de la nef, du choeur et des bas-côtés. L'architecture, les décorations, les statues des saints des six autels adossés aux piliers de la nef et du choeur furent écrasées et moulues, ainsi que l'orgue, une partie de l'arcade sur laquelle il était placé ; et toutes les pièces de charpente formèrent un brasier si ardent que toutes les menuiseries, lambris du choeur, balustrades en bois des chapelles et autels du jubé et de ses environs, sièges de chantres, livres, tapis, coussins, etc. furent consumés de façon à ne laisser aucun vestige de leur existence ; l'aigle en cuivre ou airain qui servait de pupitre dans le choeur, d'une belle forme et réputé, pour le plus beau des églises de cette province, a été écrasé et divisé en plusieurs morceaux ; enfin le feu qui embrasait toutes les matières auquel il s'était attaché était si vif et si violent qu'il a calciné depuis le portail d'entrée jusques à la croix de l'église les pierres des murs des bas-côtés et celles des piliers qui séparent, ces bas-côtés d'avec la nef et le choeur sur la longueur de vingt-huit toises, au point qu'il y aurait de la témérité à charger ces murs et ces piliers du même fardeau qu'ils portaient avant cet accident. Ce même feu fit de pareils effets sur l'aile de la croix de l'église au nord, sur la charpente du petit clocher au-dessus de la tour portée par les quatre piliers de ladite croix, sur les édifices et sur la charpente entière au-dessus de l'aile du cloître du même côté ».
Ainsi s'exprime le sieur Daniel Chocat de Grand-maison, « ingénieur établi à Rennes par arrêt du Conseil du Roi pour l'inspection et conduite des édifices, ouvrages et travaux publics » que les Prieur et Religieux Bénédictins de Saint-Sauveur avaient requis, au lendemain de l'accident, de se transporter sur les lieux, d'y dresser procès-verbal détaillé des dégâts et de donner son avis sur la restauration possible et son coût approximatif.
Chocat se rendit à Redon dès le 8 juin, et, après avoir estimé la perte subie par les Moines à 177.077 livres, total auquel contribuaient respectivenment pour 36.200 livres l'orgue magnifique dont nous venons de parler avec son buffet et sa tribune sculptés, et pour 12.200 livres le jubé avec « son architecture, décorations, etc., les stalles, lambris, peintures, aigle, supports, sièges, livres et autres effets », il préconisait la démolition de toute la nef de l'église et la construction d'un simple mur-cloison sous la première grande arcade du transept, réduisant ainsi cette église à son transept et à son choeur. Il estimait que transept et choeur ayant été très peu touchés par le sinistre, assureraient au public désireux d'assister aux exercices du culte célébrés dans la vieille abbatiale un emplacement plus que suffisant.
Le rapport de Chocat est daté du 22 juin. Il reçut aussitôt un commencement d'exécution. La haute cloison qui devait séparer la nef abandonnée du transept et du choeur conservés fut construite. Mais l'effet apparut si déplorable aux Redonnais et aux religieux qu'un cri unanime s'éleva contre la parcimonie du Monastère et de son conseiller technique.
Le 21 décembre 1783, un nouveau procès-verbal était dressé par Jacques Piou « ingénieur général des Eaux et Forêts au département de Bretagne », qui se fit représenter sur place tous les travaux exécutés. Il était mandaté à cet effet par Thomas Estancelin du Touvent, grand maître des Eaux et Forêts pour la Bretagne. Après avoir pris ses mesures et dressé son plan sur les lieux, il revint sur le projet un peu misérable de Chocat. Il conservait la nef, sauf les cinq premières travées depuis le tambour d'entrée, faisait disparaître l'affreux mur que l'on avait élevé devant la tour romane, et gardait, en l'habillant à la mode du jour, tout ce qui subsistait de solide de l'ancien édifice.
Ce plan l'emporta et fut exécuté, mettant l'église à peu près dans la situation où on la voyait encore en 1933 avant les travaux de restauration si intelligemment entrepris par M. le Chanoine Hus et qui aboutirent à la restitution des piliers, des colonnes et des arcades de la nef romane que nous avons désormais dégagés devant nous et rendus à leur premier état.
Malheureusement les Bénédictins ne purent, pour manque de fonds, reconstruire la charpente de leur église avec l'élévation qu'elle avait avant l'incendie. En effet, cette charpente, doublée à l'intérieur par une voûte lambrissée, était plus haute que celle d'aujourd'hui, et nous en possédons une preuve dans ce fait que l'on aperçoit, au-dessus du toit actuel postérieur à 1786, sur la face de la tour romane et empiétant sur une partie de l'arcature décorative, le triangle de maçonnerie auquel venait s'appuyer la première ferme. L'église étant alors éclairée directement par des baies romanes en plein cintre d'assez grande dimension. Maintenant, elle reçoit le jour par le collatéral nord, et est recouverte d'un grand toit en carène de navire fort disgracieux englobant à la fois les combles de la nef et des collatéraux et dissimulant ainsi la maçonnerie extérieure des parties hautes de la nef. Mais en 1935, des travaux de crépissage du mur du collatéral sud, côté Collège, ont permis aux Redonnais d'apercevoir dans le petit appareil de la maçonnerie, la marque très nette des baies romanes aveuglées, ainsi que d'une porte en plein cintre, à piédroit surmonté d'un corbelet à masque de tête humaine soutenant un tailloir grossier, porte qui faisait communiquer le cloître avec le bas-côté sud de l'église et qu'a remplacée au XVIIème siècle la magnifique porte renaissance existant encore et qu'il s'agit de rouvrir.
Et pourtant les Religieux firent leur possible pour se procurer les fonds nécessaires à la reconstruction de leur abbatiale. Voici la lettre par laquelle le supérieur général de la Congrégation des Bénédictins de Saint-Maur faisait connaître aux autres monastères le désastre qui venait de ruiner en partie Saint-Sauveur : « PAX CHRISTI !. Mes Révérends Pères, les nouvelles publiques nous ont appris le désastre de l'Abbaye de Redon. Quoique le tableau que la Gazette de France du 27 juin en a tracé soit déjà par lui-même effrayant, cependant elle ne fait pas mention de l'aile du cloître au midi, qui a été incendiée, ni des dégradations considérables qu'ont occasionnées sur le sanctuaire et sur le bras droit de la croix, (partie méridionale du transept), sur la procure, sur le chartrier et sur l'autre extrémité de la maison, les précautions qu'il a fallu prendre pour empêcher la communication du feu. La position de nos confrères est cruelle. Il faut que le plus tôt possible, ils mettent ce qui reste d'église en état de rendre à Dieu son culte et le service accoutumé à un public nombreux qui l'exige, etc. ». (R. Grand et R. de Laigue).
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