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JEAN DE TRÉAL ABBÉ DE REDON, AU XIVème SIÈCLE

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 Cet abbé gouverna le monastère de Redon au milieu de circonstances fort difficiles, avec une grande habileté. D. Morice, dans son catalogue des abbés de Bretagne, a passé fort légèrement sur les faits qui signalèrent l'abbatial de Jean de Tréal. Mais une histoire manuscrite de l'abbaye de Redon, composée en français au XVIIème siècle, nous fournit des détails plus étendus et nouveaux en partie, qu'il peut être bon de recueillir. Cette histoire de Redon existe aux Manuscrits de la Bibliothèque Impériale, dans le XXXVIIIème volume de la collection intitulée Monasticon Benedictinun, et ce qui touche Jean de Tréal commence au fol. 26, comme suit :

« Jean IIIème du nom, surnommé de Tréal, de très noble famille, alliée dans les plus puissantes maisons de la province comme à celles de la Hunaudaie, de Rieux, de Malestroit, de Chasteaubriant et aultres, se trouve avoir gouverné le monastère de Redon avant l'an 1340, et vivait encore l'an 1372. Ce fut l'un des plus insignes prélats qui aient gouverné cette abbaye : homme généreux, de résolution et de grand courage, d'un jugement mûr, accompagné d'une grande prudence ; en un mot il avoit toutes les qualités qu'on eust peu desirer en un bon prélat.

Il vit son monastère presque réduict au mesme estat que du temps de l'abbé Daniel [Note : Cet abbé Daniel, qui vivait au milieu du XIIIème siècle, vit son monastère envahi et dévasté par le duc de Bretagne, Jean Ier]. Car après la mort de ce Jean III, duc de Bretagne, qui trespassa l'an 1341, Charles de Blois et Jean comte de Montfort, prétendant chacun estre légitime successeur du deffunet, disputèrent longuement le duché ; ce qui causa dans la province plusieurs mouvements et guerres civiles, une partie prenant les armes pour Charles, l'autre aimant le parti du comte.

Ceux de Redon furent les premiers qui se ressentirent de ces malheurs ; car s'estant declarés pour Charles, le droit du quel sembloit le plus apparent, les soldats s'approchèrent de Redon, s'en rendirent les maistres, entrèrent de force en l'église, pillèrent tout ce qu'ils peurent y rencontrer, emportèrent l'argenterie de la sacristie et commirent mille autres sacrilèges, profanant derechef ce lieu sacré, prétendant le fortifier comme une place desja acquise au comte leur maistre ; de plus ils s'emparèrent des terres et possessions de l'abbaye, chassèrent les fermiers des métairies, ravirent tout ce qu'ils y rencontrèrent, abbatirent les boys de haulte futaye et commirent toutes les insolences qu'on se peut imaginer. Ils retournèrent par après en l'abbaye, enlevèrent les meubles du monastère, chassèrent les religieux desquels ils en maltraitèrent quelques uns, se saisirent de la personne de l'abbé, qu'ils constituèrent prisonnier avec quelques siens religieux, comme rebelles à l'Estat, apres avoir commis milles excès sur leurs personnes, et ne les voulurent rendre sans une grosse rançon qu'ils imposèrent sur ledit abbé, lequel estant dépourveu de moiens suffisans pour sa délivrance, à cause du mauvais estat de son monastère, et d'ailleurs estant fort connu à cause de sa famille, fut élargi sous la caution de plusieurs seigneurs qui le plegèrent et ses religieux.

J'aprens ce misérable estat de l'abbaie de Redon en ce temps et le mauvais traitement que receut l'abbé et ses religieux de deux bulles, l'une du pape Clément VI, en date de l'an 1344, adressée à l'abbé de Bassac [Note : Bassac était une abbaye du diocèse de Saintes] et à l'official de Rennes, l'autre du pape Innocent VI, en date de l'an 1357, adressée à l'archevesque de Tours et aux evesques d'Angers et de Luçon, auxquelz lesdits papes renvoyent la connoissance de la cause et les députent commissaires pour informer de l'action que l'abbé de Redon avoit intentée contre les sacrilèges et infracteurs des privilèges et de la liberté ecclésiastique ; où tout ce que nous venons de dire estoit exposé assés au long.

Enfin les gens du comte s'estant retirés, et l'abbé retourné en son moustier, il pensa que pour la conservation, tant de l'abbaye que des habitants de Redon, il estoit nécessaire de clore la ville de bonnes et fortes murailles et l'entourer de bons fossez pour oster le moien aux ennemys de la surprendre. C'est pourquoy du consentement des habitans et avec la permission de Charles, il fist leuer un impost de douze deniers [par livre] sur touttes les marchandises qu'on apportoit à Redon pour y estre vendues tant en gros qu'en détail, pour estre ces deniers emploiés à la construction d'un ouvrage si important ; encore que quelques uns disent que Charles, voiant que la conservation luy estoit importante, imposa luy mesme ce tribut, à la sollicitation du seigneur de Rieux et du sire Guillaume d'Avaugour, auxquels il donna le soin de faire eux mesmes la cueillette et de faire prontement travailler a cet ouvrage.

Et c'est la premiere fois qu'on lit que la ville de Redon a esté fermée de murailles [Note : A l'occasion de la construction de ces murailles, une histoire latine de l'abbaye de Redon, écrite aussi au XVIIème siècle, nous dit : « Johannes abbas Rotonensem urbem muroruna claustris, AD INSTAR IMBRICI PINI FACTIS, circumdedit ac cinxit »] et que le Duc commença d'y lever des imposts ; car tous les debvoirs qui se levoient auparavant sur toutes les marchandises et denrées qui abordoient ou qu'on vendoit à Redon, tant en gros qu'en destail, tournoient au profit de l'abbé ou de son monastere, en vertu du privilege concedé aux religieux de ladite abbaye par les precedents ducs de Bretagne qui s'estoient déporté de ce droit en faveur du monastère : d'où vient qu'en ce temps là comme le tribut estoit fort modique, le trafic qui s'exerçoit à Redon estoit si grand qu'il sembloit estre le magasin de la province, où les marchands de Rennes, de Saint Malo, d'Anjou, de Normandie et du Mayne accouroient, pour de là transporter en leurs provinces toutes sortes de marchandises qu'on y rencontroit en abondance ; et en une enqueste, faite environ l'an 1400 [Note : Plus exactement 1408] par commandement et authorité du Duc, touschant les debvoirs que l'abbé de Redon levoit sur les marchandises qu'on amenoit à Redon tant par eau que par terre, plusieurs tesmoins déposent que quelquefois en une seule marée abordoient au port de Redon plus de 150 vaisseaux chargés de toutes sortes de marchandises et que les rues en estoient si remplies qu'à peine un homme à cheval pouvoit-il commodément passer ; mais depuis que les guerres civiles eurent commencé et que les Ducs, pour subvenir aux frays d'icelles, eurent imposé des tailles, tant sur leurs subjects par teste que sur les marchandises, le commerce commença à diminuer de beaucoup, et l'abbé de Redon perdit beaucoup des debvoirs qu'il avoit de coustume de lever auparavant.

Enfin le comte de Montfort estant demeuré seul duc après la mort de Charles, arrivée en la bataille d'Auray l'an 1364, la première chose à laquelle travailla le comte fut de se faire recognoistre Duc par tous les Estats du pays, et de contraindre ceux qui avoient tenu le parti de Charles de mettre les armes bas et le recognoistre pour souverain. Pour cet effect, incontinent après la susdite bataille, il vint à Redon, avec son armée, comme pour assiéger la ville, qui du temps des troubles avoit suivi le party de Charles. De quoy l'abbé et les habitans ayans été avertis, et le Duc estant proche, l'abbé Jean sortit, accompagné de quelques religieux suivis de quelques habitans principaux ; puis ayant fait fermer les portes de la ville, alla au devant du Duc qu'il rencontra proche l'église de Notre Dame : auquel il fist une très-belle harangue si remplie d'éloquence qu'il geigna les bonnes grâces du prince lequel promit audit abbé, aux religieux et habitans, de leur maintenir, garder et accomplir les libertés, noblesses, franchises, droits et diverses coutumes, tant de leur eglise et monastère que des habitans et demeurans en ladicte ville, faubourgs et territoires ; et l'abbé Jean, tant pour luy et pour son monastère que pour lesdits habitans, promit d'obéir au duc Jean IV, son souverain, et le reconnut comme son prince légitime et luy preste serment de fidelité : de quoy fut dressé un acte, lequel se garde aux archives du monastère de Redon, en date du 8 d'octobre l'an 1364, signé du Duc et de l'abbé, sellé du seau du Duc et de celuy de l'abbé et de celuy du couvent pour les habitans. Puis les portes de la ville estant ouvertes, le Duc fist son entrée solemnelle à Redon et fut receu par l'abbé, les religieux et les habitans avec tout le contentement possible et tesmoignage d'une réjouissance publique.

Depuis ce temps là, le duc fist grand estat de l'abbé de Redon, lequel il créa pour estre un de ses conseillers d'Estat, titre qui a depuis esté continué à ses successeurs abbés, qui ont tousjours esté honorés de cette qualité dans les lettres du prince, n'entreprenant rien d'important pour le bien de son estat sans avoir au préalable communiqué avec l'abbé de Redon. Et quand l'année suivante (1365), le duc s'accorda avec la veuve du deffunct Charles de Blois pour ses droits et prétentions à l'Estat, l'abbé de Redon assista, et parmi les articles du traité il fut dit expressement que le fort de Bray, appartenant à l'église de Redon, serait rendu franchement et sans aulcuns empeschements et contradictions, pour l'honneur de Dieu et la reverence de la Sainte-Eglise.

Le duc Jean estant ainsy demeuré paisible posseseur du duché, les prélats, barons et autres seigneurs de la province, pour donner moyen à leur prince de s'acquitter des debtes, èsquelles il s'estoit engagé pour le soustien de la guerre contre Charles, et d'ailleurs espérant que la province jouiroit d'une profonde paix sous l'heureuse administration de ce sage monarque, luy promirent gratuitement en l'assemblée générale des Estats que le duc convoqua à Nantes, chacun un escu d'or par chacun feu et sur chacun fief de leurs appartenances, pour une fois seulement et sans tirer à consequence ; ce que le duc aggréa par un remerciment qu'il fist à l'Assemblée et notamment à l'abbé de Redon, de la libéralité duquel il fut tellement satisfaict qu'il luy fist expedier des lettres sur ce subject, èsquelles il declare que cette libérale contribution est un don gratuit et qu'il ne veut et n'entend le tirer à conséquence ny prejudire aux libertés, franchises et privilèges du monastère.

Du temps de l'abbé Jean, l'an 1384, Rodolphe d'Apremont, chevalier, et Julienne Soual, sa compagne, ayant obtenu pour eux le droit de sepulture en l'église de Redon, fondèrent la chapellenie de la Cherche » (A. L. B.).

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