|
Bienvenue ! |
Les Constructions Religieuses à Redon au XVIIème et au XVIIIème siècle |
Retour page d'accueil Retour "Ville de Redon"
L’église Saint-Sauveur est le plus beau monument de Redon, le seul, dit-on souvent ; elle présente depuis quelques mois un intérêt nouveau, maintenant que le zèle éclairé de M. le chanoine Hus a débarrassé ce qui reste de la nef du XIème siècle des pauvres embellissements étalés sur les piliers et les arcades à la fin du XVIIIème siècle. Des archéologues éminents ont décrit l’église Saint-Sauveur : une étude nouvelle et définitive ne pourra être entreprise avant que les travaux en cours soient terminés.
La présente étude est consacrée à des édifices dédaignés par les archéologues, mais qui sont d’intéressants témoignages de l’activité religieuse et des goûts artistiques des habitants de Redon au XVIIème et au XVIIIème siècles.
Peut-être pensera-t-on qu’il est paradoxal et presque déplacé, de parler de l’art religieux des XVIIème et XVIIIème siècles dans une revue archéologique. Tout le monde admire le génie artistique, aussi bien que le génie littéraire du siècle de Louis XIV, mais l’admiration s’arrête quand on s’achemine vers l’église. Voici quelque cent ans, nos prédécesseurs ont eu le mérite de réhabiliter l’art du moyen âge ; nous savons comprendre et admirer les églises, les verrières, les statues romanes et gothiques que dédaignaient les contemporains de Louis XIV et de Louis XV, mais par contre on ne comprend pas et on n’aime point les églises que les artistes du grand siècle construisirent, ni les œuvres d’art qu’ils y placèrent. On détruit d’un cœur léger des édifices importants ; hier, c’était à Rennes la curieuse et rare chapelle des Calvairiennes du Cartage ; demain, peut- être, ce sera à Saint-Malo le couvent des Bénédictines de la Victoire et à Quimper l’ancien Séminaire devenu hôpital en 1792. Le cas de la municipalité de Guingamp qui a fait restaurer par M. l’architecte Lefort la charmante façade de la chapelle et des bâtiments de l’ancien hôpital est exceptionnel et mérite d’être cité en exemple. Quant aux œuvres d’art, autels, retables, statues, on leur reproche de n’être pas « dans le style » des monuments où elles sont placées, même si ces monuments ne sont que de récents et médiocres pastiches des églises du moyen-âge. On doit reconnaître que beaucoup d’églises du XVIIème siècle ne sont pas des chefs-d’œuvre ; bien peu ont la majesté de la chapelle de Versailles ou la discrète élégance de St-Thomas-d’Aquin de Paris, pour ne nommer que des monuments connus de tous. Une incontestable banalité est le principal défaut d’un grand nombre d’entre elles : la façade principale chargée d’un amas hétéroclite de frontons et de pots à feu est peu attrayante ; les façades latérales et l’abside, à peine décorées de mauvais arcs boutants en forme de consoles renversées, sont lourdes et massives. A l’intérieur, la nef est meilleure : large et bien éclairée, elle n’a point cette ombre mystérieuse qui charmait les romantiques et qui plait à certaines âmes dévotes ; le chœur surélevé et que ne masque plus le jubé se prête aux offices solennels et pompeux comme on les aimait jadis ; l’autel est monumental ; les fidèles peuvent le voir et ils peuvent entendre le prédicateur quand il monte en chaire.
L’aspect général est accueillant et cependant ces églises ont cessé de plaire. Méritent-elles le discrédit où elles sont tombées ? Que l’on nous permette de citer quelques lignes du plaidoyer d’un de leurs rares défenseurs écrit à propos d’églises italiennes mais qui convient aussi aux églises françaises bâties à leur image : « Trop longtemps, je ne sais quel rigorisme esthétique, quelle étroitesse gallicane, nous ont condamnés à bouder les grâces de la Rome d’Urbain VIII et d’Innocent X ! Que de fois j’ai fermé les yeux aux plus touchantes merveilles pour m’exciter à l’enthousiasme devant des mosaïques sauvages et de grossiers primitifs ! Combien de temps et de bonne volonté perdus !
Eh bien ! je ne m’associerai pas davantage à ce complot qui calomnie trois siècles de la vie de l’Eglise et ferait répudier comme dégénéré le catholicisme moderne. Me maudissent les partisans du gothique à outrance ! Je préfère la plus mauvaise des églises jésuites à un pastiche comme Sainte-Clotilde ou Saint-Epvre de Nancy. Pas une n’est indifférente. J’aime jusqu’à leurs façades théâtrales et tourmentées, à leurs aplombs rompus, à leurs lignes ondoyantes... J’aime l’intimité de leurs ombres intérieures, le charme invitant de leurs courbes, la paix rassurante qui tombe de leurs coupoles ; j’aime, dans leur demi-jour, tout ce qui flotte d’atomes brillants, le vague rayonnement des ors, le miroitement des marbres et le lustre des stucs, les parcelles lumineuses qui circulent dans l’atmosphère, leurs gloire peintes à fresque dans la hauteur des voûtes, leurs anges féminins posés sur les corniches... » [Note : Louis Gillet, Histoire artistique des ordres mendiants, Paris, 1912, in-8° p. 330].
Dans ces églises, le chœur est paré d’un autel monumental que domine un grand retable. On les a beaucoup critiqués, ces grands retables, surtout quand on les trouve dans des églises gothiques et on les a souvent remplacés dans notre pays par des constructions en bois sculpté ou découpé imitées des déplorables et encombrants maître-autels de l’église Notre-Dame de Rennes et de la cathédrale de Saint-Malo [Note : On peut voir dans les églises de Coesmes et d’Epiniac reconstruites dans le style gothique des retables au XVIIème siècle qui disposés avec goût par un architecte de talent, M. Regnaut, de Rennes, produisent un très bel effet]. Les paroisses de Messac et de Langon ont heureusement conservé, comme Saint-Sauveur de Redon, leurs autels anciens : ils prouvent que, dans ce pays, la foi, la générosité, le désir d’embellir la Maison de Dieu, selon le goût du temps, ne se sont pas arrêtés à la fin du moyen âge et que nos contemporains respectent, même lorsqu’ils ne les admirent pas complètement, les œuvres des générations antérieures.
En Bretagne, comme dans toute la France, le XVIIème siècle, époque de puissante rénovation catholique, vit construire on reconstruire un grand nombre de couvents : aimables et charmant asiles lorsqu’ils sont intacts, lorsque des immeubles voisins n’écrasent pas les constructions primitives, généralement peu élevées, lorsqu’ils ont conservé quelques débris des jardins qui les entouraient autrefois, lorsqu’ils ne sont pas profondément modifiés par des affectations à des usages civils. Trop souvent une partie seulement du couvent subsiste. Les trois collèges des Jésuites en Bretagne, à Quimper, à Vannes et à Rennes, ne sont plus représentés que par leurs chapelles. A Cuburien, près de Morlaix, dans un site agréable, la chapelle bâtie au XVème siècle par les Cordeliers et le logis élevé deux siècles plus tard par les Récollets sont comme écrasés par les locaux opulents d’un florissant pensionnat. A Sainte-Anne d'Auray, le magnifique cloître bâti en 1651 est, au milieu de bâtiments modernes et sans caractère, le seul témoin du bel ensemble construit à partir de 1631, sous la direction du Père Benjamin de Saint-Pierre. Beaucoup de couvents ne recevaient pas des aumônes aussi abondantes que Sainte-Anne d’Auray ; dans l’ancien enclos des capucins de Guingamp, on voit encore les restes des charmilles qui simulaient, à peu de frais, les colonnes et les arcades des cloîtres construits dans les monastères où ne régnait pas la rigoureuse pauvreté franciscaine.
Les architectes monastiques du XVIIème siècle n'inventèrent pas un plan nouveau : ils disposèrent leurs constructions comme celles des abbayes du moyen âge. Le plan comprend essentiellement la chapelle, le cloître appuyé au mur méridional de la nef et, sur les trois autres côtés, les cuisines, les réfectoires, les dortoirs, les salles de réunion et d’étude. Le couvent est environné de jardins, non pas de jardins somptueux aux parterres de broderie comme ceux que dessinait Lenôtre, mais de simples « jardins de curé », aux allées rectilignes bordées de buis, conduisant à des charmilles, à des oratoires, parfois à un petit bois ou à un vivier.
Est-il besoin de dire que les architectes des couvents, pas plus que les constructeurs des églises n'avaient pas tous du talent ? Il y a des édifices médiocres qui font penser à des casernes, de pesantes toitures parcimonieusement percées de gerbières trop petites, des cloîtres qui s’écrasent sur des galeries trop basses. Mais, dans toutes ces maisons, même les plus humbles, lorsque l’on a quelque connaissance de l'histoire de l'Eglise de France au XVIIème siècle, on peut reconnaître l’empreinte, le reflet du siècle de Saint François de Sales, de M. Ollier, du P. Eudes (fondateur du Séminaire de Rennes), de Saint Vincent de Paul (fondateur de la maison des Filles de la Charité de Nantes et du Séminaire du diocèse de Saint-Malo), de Bourdaloue qui prêcha à Rennes dans les chapelles de la Visitation et des Jésuites, de Dom Maur Audren et de ses confrères qui commencèrent, dans l’abbaye de Redon, les grands travaux des Bénédictins de Saint-Maur sur l’histoire.
Le département d’Ille-et-Vilaine possède quelques couvents intéressants.
A Vitré, les édifices bâtis en 1657, autour d’un cloître à deux étages, subsistent intacts et aussi scrupuleusement respectés que le gracieux costume des religieuses de la Miséricorde de Jésus qui, depuis deux siècles et demi, se succèdent au chevet des malades.
Redon conserve l’ancien monastère des Bénédictins, agrandi par les édifices exigés par la prospérité du collège, et le couvent des Bénédictines du Calvaire, devenu le pensionnat des religieuses de la Retraite. La présente notice ne traitera que de ces deux édifices et tout d’abord du mobilier de l’eglise abbatiale renouvelé à partir de 1624, bien que d’autres constructions, le couvent des Ursulines et la chapelle de la Congrégation, attestent le zèle religieux des habitants de la ville au XVIIème et au XVIIIème siècles.
Renouvellement du mobilier de l’Eglise abbatiale.
Au XVIème siècle, l’abbaye de Redon, ainsi que plusieurs autres monastères bretons, fut livrée à des prélats italiens amis ou parents des Médicis ; de 1528 à 1558 les deux cardinaux Salviati ne s’occupèrent de leur lointaine abbaye que pour en tirer quelques revenus, mais leur neveu et successeur, Hector Scotti, ne négligea pas les devoirs de sa charge, tout au moins au point de vue temporel. Il administra de son mieux tous ses domaines ; il résida à Redon et il y mourut en 1596. On reconnaît encore à l’extérieur de la chapelle de Bonne-Nouvelle, devenue la sacristie, l’enfeu qui abrita ses restes.
Avec Artus d’Epinay de Saint-Luc, évêque de Marseille, abbé de 1600 à 1621, l’abbaye échut à un commendataire qui ne résidait pas et elle n’eut plus que des abbés de cette sorte jusqu’à la Révolution. Cependant, un manoir abbatial, détruit en 1651, fut construit du temps d’Artus d’Epinay. Des moines peu nombreux habitaient le couvent ; deux registres des délibérations capitulaires de 1593 à 1603 et de 1613 à 1625, qui ont échappé à la destruction, mentionnent seulement de menues dépenses d’entretien de l’église, de son mobilier et des bâtiments. Les réparations étaient faites au plus bas prix possible : lorsque des vitraux étaient en mauvais état on remplaçait les panneaux de verre colorié par du verre blanc. Le 15 juin 1617, un bourgeois de la ville nota, dans son livre de raison, que trois « architectes, tailleurs de pierre et couvreurs » venaient d’arriver pour réparer le clocher ; François Lorier décrit ensuite l’habile échafaudage qu’ils élevèrent mais il ne mentionne d’autre réparation que le remplacement de la girouette [Note : P. Parfouru, Anciens livres de raison des familles bretonnes... dans le Bulletin archéologique de l’Association Bretonne, T. XVI, Congrès de Rennes, 1898, p. 469] ; ainsi qu’il arrive fréquemment, les frais de l’échafaudage avaient probablement épuisé les crédits.
L’église recevait aussi quelques dons, par exemple une belle chasuble, offerte en 1601 par dame Philippe de Saint-Amadour, baronne d’Avaugour, dame de Thouaré. Les moines remercièrent la donatrice par un laborieux sonnet :
Quel laurier assez digne irons nous choisissans
Pour orner nos beaux vœux aux autels de mémoire,
Quels vers assez subtils et empennés de gloire
S’en iront votre honneur assez
haut bénissans ?
Que les mignons du ciel par trop nous chérissans
Ne nous
font-ils divins, l’immortel nectar boire
Pour asseurer vos ans de cette Parque
noire
Qui pompeuse à son tour rend nos corps polissans !
Mais tels désirs sont vains. C’est pourquoi, dans nos temples,
Nous prions seulement que les
rares exemples
De vos rares vertus nous servent de guidons.
Et aux siècles futurs, après que votre âme
Es fange de la Mort ne s’entache et diffame ;
Ce
sont là nos souhaits et ce que nous pouvons.
Il y a dans ces vers, trop subtils mais harmonieux, un certain reflet de Ronsard [Note : Archives d’Ille-et-Vilaine, 1 H 2, 33].
Les religieux suivaient avec plus ou moins d’exactitude la règle de Saint Benoit ; ils avaient adhéré à la Congrégation des Exempts, formée en 1579, pour éviter le contrôle des évêques diocésains, mais il y avait dans l’ordre des chrétiens fervents qui rêvaient d’une restauration complète de la vie monastique. Il n’y a pas lieu de parler ici des abbayes qui réussirent à se régénérer et à former les groupements ou sociétés dites de Chézal-Benoît, de Saint-Denys, de Sainte-Vanne, etc., et nous ne pouvons accorder qu’un bref souvenir à la Société de Bretagne. En 1603, Dom Noel Mars, religieux de Marmoutiers, fut l’initiateur d’une réforme qui s’étendit à quelques abbayes bretonnes, d’où le nom de Société de Bretagne donné à ce groupe. Redon parût accepter cette réforme en 1618, mais la résistance de plusieurs moines, qui n’éprouvaient pas le désir de mener une vie austère, fut très vive ; à Redon, la résistance alla, semble-t-il, jusqu’au crime. L’existence de la Société de Bretagne ne paraissait pas solide.
Armand du Plessis de Richelieu s’était fait pourvoir de l’abbaye après la mort d’Artus d’Espinay ; son procureur, Jean Filleau, prêtre de Poitiers, prit possession le 6 octobre 1622, en présence de onze moines et de quelques laïcs de distinction, au premier rang desquels figurait François de Cambout, baron de Pontchateau, allié et ami du cardinal [Note : Arch. d’Ille-et-Vilaine, H 32]. Richelieu, homme d’ordre, de discipline et de gouvernement, chrétien aussi, voulut rétablir l’ordre dans les couvents et le droit de disposer à son profit d’une bonne partie de leurs revenus. Il se fit pourvoir des abbayes chefs d’ordre de Cluny, de Citeaux et de Prémontré, des opulents monastères de Marmoutiers, de Fleury-sur-Loire, de Saint-Riquier et de Saint-Médard de Soissons ainsi que de dix ou douze abbayes de moindre importance : Charroux, Montmajour, la Chaise-Dieu, Signy, Cormery, Saint-Sauveur de Redon, etc., etc. Toutes les sympathies du cardinal, ainsi que celles du Roi et du Pape allaient, en ce qui concerne les Bénédictins, à la Congrégation de Saint-Maur sortie en 1612 de la Congrégation de Sainte-Vanne. Il réduisit à l’obéissance les Congrégations de Saint-Denys et de Chézal-Benoît qui ne donnaient pas satisfaction et il supprima la Société de Bretagne qui paraissait trop faible. La Congrégation de Saint-Maur fut introduite, le 13 juillet 1628, à l’abbaye de Redon qui comptait alors dix religieux profès.
Richelieu fut abbé de Redon pendant vingt ans, jusqu’à sa mort, le 4 décembre 1642. Bien entendu, il ne vint jamais visiter ses moines, mais il fut représenté auprès d’eux par des agents vigilants. Pauvre, besoigneux même pendant sa jeunesse, il aima à jouir de tous les avantages de la fortune lorsqu’il fut devenu le maître du royaume. Il fit construire avec un luxe royal le château de Rueil, le palais Cardinal et la ville de Richelieu ; il menait un train princier et donnait des fêtes splendides ; de plus. il faisait la fortune de son frère, de ses neveux, de ses amis, de ses créatures. Plus tard, Mazarin, pourvu comme son prédécesseur de nombreuses abbayes, aima l’argent pour l’argent ; il fut rapace et avare. Richelieu aimait l’argent pour les plaisirs d’un ordre élevé qu’il procure. Très généreux, il dépensait sans compter : il fut ce que l’on appelle parfois un bourreau d’argent. Les revenus de ses abbayes aidaient à remplir sa caisse trop souvent vide.
Les historiens de Redon ont paré de son nom les annales de leur petite cité ; sans citer aucune preuve, ils ont écrit que le grand ministre portait un intérêt particulier aux destinées de la ville, que la suppression de la Société de Bretagne inquiétait sa conscience, qu’à la fin de sa vie il voulut restaurer l’abbaye pour expier « le meurtre » [Note : Histoire de Redon par un prêtre (Dom Jausion), Redon, 1864, in-12, p. 154-155] de la Société. Richelieu ne passe pas pour avoir été très scrupuleux : il ne conserva pas de remords des actes que son génie et son dévouement au Roi lui inspirèrent. Lorsqu’à la veille de la mort son confesseur lui demanda de pardonner à ses ennemis, il répondit qu’il n’en avait jamais eu d’autres que ceux de l’Etat. C’est une erreur d’ailleurs de faire de la Société de Bretagne une œuvre bretonne : fondée par des moines de Touraine et de l’Orléanais, elle s'était établie au prieuré de Léhon grâce à l’abbé de Marmoutiers, et dans quelques abbayes grâce surtout à leurs abbés commendataires, mais nombre de moines bretons demeuraient résolument hostiles [Note : Voir Dom Anger, Société des Bénédictins réformés de Bretagne dans le Bulletin de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, T. XLV, année 1914].
En réalité, les archives de l’abbaye apprennent seulement que Richelieu fut un maître exigeant. Les revenus du monastère n’étaient pas partagés en trois lots égaux comme ils le furent plus tard dans toutes les abbayes de France, savoir : un lot pour l’abbé, un autre pour les moines, le troisième pour les charges. A Redon, des concordats non librement consentis avaient fait la part de l’abbé beaucoup plus large : les religieux ne pouvaient se défendre contre leur abbé qui était en même temps le supérieur général de la Congrégation de Saint-Maur. Cependant, le 21 août 1641, après vingt ans d’abbatiat, Richelieu consentit à contribuer aux réparations ainsi qu’il y était légalement tenu ; il abandonna le revenu estimé 864 livres de biens situés à Redon (maison de la Houssaye, écluse de Vicederay), à Piriac, à Maxent et au Pèlerin [Note : Concordat promulgué par le Parlement aux Archives d'Ille-et-Vilaine, n° 279 du 19ème registre des enregistrements du Parlement. — Notes et comptes dans la liasse H 4].
Les moines n’avaient pas attendu cette tardive et médiocre contribution pour commencer le renouvellement du mobilier de l’église.
Jehan du Fosset ou Faucet, menuisier-sculpteur à Rennes, avait de la réputation. Il fit, de 1624 à 1654, des travaux importants pour les églises de Rennes, de Guérande et de Vitré. En 1624-1625 il dirigea à Redon la construction d’un tabernacle en bois sculpté placé vraisemblablement, non pas sur le maître-autel, mais dans l’une des arcades du chœur. Cet ouvrage assez considérable, car il fut payé 1.200 livres, fut admiré dix ans plus tard par un juge compétent ; le marquis de Molac inscrivit dans ses notes de voyage que le tabernacle doré était un des plus beaux et des plus grands qu’il y eut en France [Note : Les notes du marquis de Molac conservées à la Bibliothèque Nationale (manuscrit n° 376 du fonds Baluze) ont été publiées par M. Maurice Le Dault dans Le Redonnais du 24 décembre 1910 et par M. le Comte de Laigue dans le Bulletin de la paroisse de Redon de mai 1914]. En 1626, Jehan Faucet et Isaac Beaumont, autre sculpteur, de Rennes, firent une crédence pour la sacristie. En 1632, maître Isaac, qui s’était fixé à Redon, construisit un retable de bois sculpté dont la partie centrale était formée par un tableau de l’Annonciation, peint par Delisle ; l’œuvre de cet artiste inconnu a disparu ainsi que les sculptures de Fausset et de Beaumont. Devant le maître-autel était suspendue une grande lampe d’argent donnée, en 1622, par François de Cossé, lieutenant général en Bretagne, et Gillette Ruellan, sa femme.
Un ouvrage beaucoup plus important et qui heureusement subsiste, fut entrepris en 1633 : le maître-autel ; il coûta au moins 6.600 livres, non compris les statues, la peinture et la dorure. La construction, qui dura près de cinq ans, fut dirigée par Tugal Caris, architecte-sculpteur de Laval. Au XVIIème siècle et au siècle suivant, la plupart des autels placés dans les églises de Haute-Bretagne furent faits par des artistes du Maine et de l’Anjou, habitués à travailler la pierre calcaire et qu'ils trouvaient, aux environs de Laval, dans les carrières de Saint-Berthevin et de Montreux, le marbre rouge et le marbre noir dans lequel ils taillaient les colonnes qui décoraient les retables. La régularisation du cours de la Vilaine, au XVIIème siècle, permit d’apporter plus facilement, de l’Anjou et de la Basse-Loire, les matériaux nécessaires à la construction des autels. Tugal Caris vint habiter Rennes vers 1640, lorsqu’il fut choisi pour diriger la construction de deux grands édifices qui s’érigeaient lentement dans la capitale bretonne, la façade de la Cathédrale et le Palais du Parlement. Il exécuta beaucoup d’autres travaux et fit de bonnes affaires, car il acheta deux maisons à Rennes où il habita jusqu’à 1648. Il alla ensuite exercer sa profession à Nantes où il mourut en 1665 ou 1666. Marié à Jeanne Barays, d’une famille de marbriers-sculpteurs lavallois, il laissa plusieurs enfants dont un fils, Jacques, qui fut associé à plusieurs de ses derniers travaux et qui exerça, pendant de longues années, la profession d'architecte à Nantes. Tugal Caris était vraisemblablement un architecte de médiocre talent. Les constructions qu’il éleva au Palais de Justice à Rennes, de 1642 à 1647, furent en partie détruites par ordre du Parlement parce qu’elles n'étaient pas conformes aux plans et devis établis en 1618 par Salomon de Brosse. La part qui lui revient dans la façade de la cathédrale de Rennes, probablement le premier étage, n’est pas meilleure que le reste de ce déplorable monument. Les constructions qu’il fit à Nantes, de 1652 à 1660, — chapelles latérales du collatéral Sud, partie du couvent du Couetz, hôtels de Pradigni et de Valleton — ont disparu ou ont été trop profondément modifiés pour qu’il soit permis de formuler un jugement. Meilleur sculpteur et décorateur qu’architecte, Caris construisit et orna les rétables de plusieurs églises à Vaiges (1636), dans sa province natale, puis en Bretagne à l’abbaye de Redon (1633-1636), au couvent des Cordeliers de Rennes (1636-1642), à la cathédrale de Tréguier (1637-1639), à l’église de Gaël (1650-1651) et sans doute dans beaucoup d’autres paroisses, car c’est un heureux et rare hasard de trouver des actes notariés ou des comptes de fabrique qui révèlent les noms des artistes qui meublèrent nos églises : la plupart de leurs œuvres resteront toujours anonymes. Les autels des Cordeliers de Rennes et de la cathédrale de Tréguier ont été détruits. Celui de Gaël subsiste intact, sauf que l’on a eu la fâcheuse idée de placer l’autel proprement dit au milieu du chœur en le séparant du retable qui est adossé, quelques mètres plus loin, au mur formant le fond de l’église.
Les autels et retables de Gaël et de Redon n’autorisent pas à placer Caris parmi les artistes doués d’un talent original. Comme tous ses compatriotes de l'Anjou et du Maine [Note : Le meilleur ouvrage sur ces sculpteurs, bien qu’un peu ancien, est celui de J.-M. Richard, Notes sur quelques artistes lavallois du XVIIème siècles ; les constructeurs de retables. Laval, 1907. in-8°. — Deux autres artistes portèrent le nom de Caris, Raoul, sculpteur à Nantes en 1607, et René, architecte à Rennes en 1653], Tugal Caris s’inspirait des estampes représentant les autels érigés dans les grandes églises de France et d’Italie, sauf à modifier ses œuvres suivant le goût des clients. Mais, à Gaël et à Redon, on peut reconnaître qu’il fut un habile praticien : les religieux lui fournirent des subsides assez élevés pour qu’il put déployer tout son talent. Etant donné que les moines et les fidèles étaient aussi indifférents que l’artiste lui-même au principe de l’unité et du respect des styles, on peut dire que l’emplacement était favorable. Dans ce chœur magnifique, Caris put élever un véritable monument, en rapport avec les dimensions de l'église ; il contrisuit l’autel le plus important qui existe sans doute en Bretagne.
Le retable légèrement incurvé enveloppe l'autel qu’il domine. Un soubassement très élevé et décoré de panneaux de marbre rouge supporte un cadre somptueux flanqué de hautes colonnes. Le tableau qui entourait ce cadre a depuis longtemps disparu. Vers 1840, on a placé dans le cadre vide un beau Christ en croix, sculpté par un artiste de Redon nommé Dubois. Un grand fronton circulaire surmonte le tableau et les colonnes ; sur les rampants sont assis deux anges qu’il vaut mieux voir de loin que de près. Quand on monte dans les galeries du triforium on constate que ces statues ont été exécutées de façon rudimentaire et maladroitement réparées. Au-dessus de l’architrave surmontant le tableau, s’élève un nouvel ordre qui reproduit la disposition de l’ordre inférieur et comprend à sa partie centrale une niche flanquée de colonnes. Enfin, l’édifice est terminé par un fronton encadrant un cartouche où l’on a peint, à une date peu ancienne, les armes de l’abbaye. Le retable est complété par deux ailes moins élevées composées de deux ordres et d’un fronton. Ordinairement les ailes étaient placées sur la même ligne que l’autel principal ; à Redon, elle épousent la forme du chevet, décorent les côtés du chœur et font valoir les belles proportions du retable. La même disposition fut adoptée par Michel Moussin et Guillaume Bellier qui construisirent, de 1633 à 1637, l’autel Saint-Vincent de la chapelle absidale de Vannes, mais la chapelle est trop petite pour tout le déploiement architectural et sculptural entassé par les deux contemporains de Tugal Caris. Disposés avec plus de goût, l’autel circulaire et les ailes de l’église de Messac méritent d’être comparés à l’œuvre du sculpteur lavallois ; l’autel de Messac a été fait, en 1679, par René Frémont et Mathurin Thé du Chatellier.
Les statues du retable de Redon ont été faites au commencement du XIXème siècle et ne présentent pas d'intérêt. Par contre, on doit signaler la statue de la Foi et les anges adorateurs agenouillés à ses pieds qui sont placés en arrière et au-dessus du tombeau de l’autel. Ce sont des œuvres intéressantes qui paraissent dater du XVIIIème siècle. Jadis la main droite que la Foi élève vers le ciel tenait, suspendue à un fil où à une chaînette, une boîte de métal dans laquelle était conservée la réserve eucharistique. On sait que les tabernacles suspendus existaient dans un grand nombre d’églises ; une mode impérieuse les fit disparaître au XVIIIème siècle. Dans trois autres églises d'Illetet-Vilaine, à Saint-Malo, à Saint-Germain de Rennes et à Champeaux, on voit encore des statues de la Foi élevant la main dans un geste désormais inexplicable [Note : Une statue de la Foi qui existait à Notre-Dame de Vitré a disparu à une date assez récente (vers 1935)].
L’autel de Redon fut endommagé pendant la Révolution : le 14 pluviôse an XIII, Ledain, sculpteur et mouleur, s’engagea à réparer, moyennant 350 francs, les anges adorateurs qui avaient perdu les têtes et les bras, à remplacer la tête de l’un des séraphins et à rétablir — probablement recoller — la tête de la Foi qui était brisée [Note : Pièces de comptabilité conservées à la mairie de Redon]. Depuis cette époque, le retable a été repeint et les dorures ont été rafraîchies, mais son existence a été plusieurs fois menacée car on lui reproche de masquer le fond de l’église. Cette critique est justifiée, mais on doit accorder qu’il forme un magnifique fond de tableau et rehausse l’éclat des cérémonies. Et si on le détruisait, que mettrait-on à sa place ?.
Serait-ce un autel en cuivre doré comme on les aime dans les paroisses opulentes parce qu’ils « font riche », ou bien un petit autel comme on en faisait au XIIIème siècle et qui étaient bien à leur place dans des sanctuaires strictement réservés au clergé et invisibles à la foule des fidèles reléguée de l’autre côté du jubé ? Respectons plutôt le monumental autel qui témoigne depuis trois siècles de la générosité des religieux et des habitants de Redon.
Plusieurs historiens ont écrit qu’il était dû à la munificence du cardinal de Richelieu. L’éminent érudit redonnais, M. le comte de Laigue, a protesté contre cette attribution [Note : Histoire de l’église de Saint-Sauveur de Redon dans le Bulletin de Redon, n°s de mars 1920 et suivants] qui est formellement refutée par les marchés passés avec Tugal Caris et par une requête présentée par les moines en 1640, portant qu’ils avaient fait faire à leurs frais le maître-autel et l’autel de Notre-Dame, celui-ci orné des armes et du portrait du cardinal. Les religieux eurent un bienfaiteur, mais son nom est maintenant oublié : Dom Noel de la Reigneraye, prieur de Pléchatel, qui leur donna 800 ou 1.200 livres. Ce prieur aimait à embellir les églises et il aimait à bâtir : il fit des travaux importants à l’église et au prieuré de Pléchatel ; nous verrons qu’il fut l’initiateur de la construction du couvent des Bénédictines du Calvaire.
Tugal Caris fut peut-être aussi l'architecte des deux jolis autels placés dans les collatéraux ; le portrait et les armes de Richelieu placés par les religieux sur l'autel Notre-Dame n’existent plus.
En 1636-1637, les moines firent faire de grandes orgues par Nicolas Tribolé, facteur établi à Rennes. Ils firent aussi reconstruire les fermes et les écuries et les bâtiments d’exploitation de plusieurs domaines de l’abbaye. Tous ces travaux épuisèrent leurs ressources et les contraignirent à présenter à Richelieu, le 18 mai 1641, la demande de secours dont nous avons parlé ; ils n’obtinrent que le concordat du 13 août de la même année, qu’ils acceptèrent « pour le bien de la paix » [Note : Déclaration faite par les religieux lors de l'établissement de l’état de lieux dressé le 13-20 août 1643].
L’année suivante, à la nouvelle de la mort de l’impérieux ministre, il y eut peut-être, dans l’abbaye de Saint-Sauveur comme dans tout le royaume, un soupir de soulagement.
Le 13 août 1643, la rédaction de l’état de lieux dressé en présence des représentants de l’abbé défunt et de ceux de son successeur, César de Choiseul, donna l’occasion aux moines de présenter sans contrainte toutes leurs doléances. L’église était dans un état passable, mais les bâtiments conventuels tombaient en ruines, sauf ceux qui étaient en voie de reconstruction. Un concordat, passé en 1655 avec l’abbé de Choiseul, améliora la situation des moines [Note : Arch. d’Ille-et-Vilaine, 1 H 2, 4] : leur effort se porta vers la construction et l'embellissement des cloîtres et des bâtiments qui les entourent. Pendant la seconde moitié du XVIIème siècle et au siècle suivant, ils ne firent dans l’église que des travaux peu importants : nous nous bornerons à noter des dépenses peu élevées engagées en 1653 à l’occasion du transfert dans l’église de St-Nicolas de Redon d’une statue de Notre-Dame de Paimpont, et, en 1654, pour une réparation ou l’embellissement d’une statue de Saint Samson. Le culte de la Vierge, sous le vocable de Notre-Dame de Paimpont, paraît avoir été assez répandu en Haute-Bretagne au XVIème et au XVIIème siècles, mais il n’y avait pas de type consacré pour figurer Notre-Dame de Paimpont, comme il en existe aujourd’hui pour Notre-Dame de Lourdes ou Notre-Dame de la Salette : les statues de Notre-Dame qui subsistent à Paimpont, à Noyal-sous-Bazouges, au Rheu et à Saint-Melaine de Rennes [Note : Bien que la statue de Rennes ne soit pas antérieure au XVIIème siècle, on a dit et on a même imprimé que cette statue avait été confiée par les moines de Paimpont pendant les guerres de religion à leurs confrères de Saint-Melaine et que ceux-ci n’avaient jamais voulu la vendre] — ces deux dernières sont fort belles — ne se ressemblent pas. Quant à la dévotion à Saint Samson, elle était fort ancienne à Redon et se rattachait peut-être aux plus anciennes origines de l’histoire de l’abbaye. Les statues de N.-D. de Paimpont et de Saint Samson n’existent plus.
Il faut arriver à l’année 1780 pour trouver des travaux importants, mais déplorables, exécutés dans l’église. Le 1er juin un incendie éclata dans la tribune des orgues et gagna la nef ; la charpente fut consumée ; la chaleur du brasier calcina les claveaux de pierre calcaire employés dans la construction des cintres des fenêtres ; les sablières et les corniches s’écroulèrent ou furent réduites en poussière. Un procès-verbal dressé le 22 juin par l’ingénieur Daniel Chocat de Grandmaison fait connaître toute l’étendue du désastre. Une restauration complète aurait exigé des sacrifices supérieurs au zèle aussi bien qu’aux ressources des religieux : l’ingénieur proposa de raser complètement les ruines de la nef et de réduire Saint-Sauveur au chœur, au croisillon et aux deux bras du transept. Il osait affirmer : « la nouvelle église suffira aux religieux et au public et elle sera, quoique bien moins étendue que l’ancienne, beaucoup plus agréable » [Note : Arch. d’Ille-et-Vilaine, fonds de la maîtrise des Eaux et forêts, liasse B 214]. Cette proposition fut acceptée sans réserve par les religieux. Heureusement, les réparations furent faites sous la direction d’un autre ingénieur, Jacques Piou [Note : Le fils de Jacques Piou, Jacques-François-Marguerite, fut architecte comme son père, puis ingénieur. En 1819, il dirigea la construction du monument de la bataille des Trente], qui n’était peut-être pas un grand artiste, car ses constructions dans diverses villes de la province ne donnent pas une très haute idée de ses talents, mais qui eut le mérite de penser et de dire que l’église ne pouvait être décemment dépourvue d’une nef. Il ne détruisit pas les murs et les piliers, ainsi que le prescrivait l’acte du 22 juin 1780, mais il les couvrit de chaperons afin d’en assurer la conservation provisoire ; le 23 décembre 1783, lorsqu’il présenta le renable ou état des travaux, il réclama qu’une partie de la nef fut rétablie, mais en supprimant les parties hautes et en plaçant sous un comble unique la pauvre nef décapitée et les bas-côtés : ses propositions furent agréées [Note : Arch. d’Ille-et-Vilaine, Eaux et Forêts, B, 214]. La nef, longue de 53 mètres 62 environ, comprenait onze travées ; les cinq premières vers l’ouest, soit environ 22 m. 42, furent rasées. Un plan excellent, dressé sous la direction de Chocat de Grandmaison [Note : Arch. d’Ille-et-Vilaine, Eaux et Forêts, H. 184. C’est une erreur du dessinateur du Monasticon Gallicanum d’avoir figuré des fenêtres romanes dans toute la longueur de la nef, à moins toutefois que la restauration de l’époque gothique ne se fut pas étendue à la côtière méridionale, seule visible dans le dessin. — Des documents sur les travaux de 1780 et années suivantes existent dans les dossiers de l’Intendance (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 417) ; on peut aussi consulter les registres des délibérations municipales conservés à la mairie de Redon], nous apprend que les deux travées les plus voisines de la façade avaient été construites dans le style gothique à la même époque probablement que le beau clocher qui a été heureusement épargné par les architectes destructeurs de 1780. L’abbé commendataire et les religieux voulaient que les frais d’aménagement, on ne saurait dire de restauration, des quatre travées sauvées de la destruction fussent aussi peu élevées que possible. L’architecte ne put que se conformer aux désirs de ses clients. La nef basse et écourtée et la pauvre façade qu’il fut autorisé à bâtir paraissent misérables quand on les compare au transept et au chœur. On doit savoir gré cependant à l’obscur Jacques Piou d’avoir été moins barbare que son confrère Chocat et d’avoir arraché à l’abbé commendataire et aux moines les subsides nécessaires pour sauver une partie de la vieille nef du XIIème siècle. Docile au goût du jour, il revêtit les murs d’un épais badigeon et il masqua les piliers et les chapiteaux sous un revêtement de plâtre qui prétendait en faire des colonnes de l’ordre dorique. Ainsi que nous l’avons dit, la récente destruction de tous ces « embellissements » a fait reparaître les parties basses de la nef telle qu’elles existaient en 1780.
Le chœur subit quelques modifications. Une grille de clôture fut faite par Jean-François Guibert, l’habile ferronnier rennais qui venait d’exécuter la remarquable chaire de Saint-Sauveur de Rennes [Note : La chaire de Saint-Sauveur fut faite par Guibert d’après le plan et le devis d’Albéric Graapensberger, sculpteur originaire de Bamberg, établi à Rennes]. Quelques morceaux des grilles qu’il livra aux moines existent encore à Redon ; deux beaux panneaux ont passé récemment dans l’église de Parthenay de Bretagne.
En l’an VI (1798), l’église Saint-Sauveur faillit disparaître. Les administrateurs des domaines nationaux décidèrent de la vendre en même temps que les bâtiments conventuels. Elle fut heureusement défendue par Charles-Jean-Paul Maugé, architecte et arpenteur, qui mérite de partager, avec Jacques Piou, la reconnaissance des archéologues. Chargé de faire le plan de lotissement de l’abbaye, Maugé réclama énergiquement la conservation de l’église, proposant de vendre à la place l’insignifiante église paroissiale. Son plaidoyer révèle une intelligence de la beauté des églises gothiques que l’on rencontrait rarement chez les architectes de cette époque [Note : Arch. d’Ille-et-Vilaine, Registre Q 89. Le projet de lotissement est accompagné d’un plan excellent].
Le service paroissial fut transféré à Saint-Sauveur en 1805. L’ancienne église de la ville, vendue par la fabrique en 1851 et réduite à l’emploi de halle, a été complètement rasée en 1865 à la suite d’un incendie.
Construction des Bâtiments conventuels.
Dans le vaste ensemble de constructions occupées par le collège libre de Redon, une partie seulement remonte au temps des bénédictins : le cloître situé au sud de l’église et les trois corps de logis qui l’entourent. Les deux ailes et la chapelle qui doublent ce quadrilatère vers le sud ont été élevées au XIXème siècle. Rien ne subsiste des travaux exécutés dans l’enclos de l’abbaye avant le XVIIème siècle. En 1633, Sébastien de Rosmadec, marquis de Molac, ne trouva à admirer à Saint-Sauveur que la maison abbatiale, le maître-autel, trois grandes statues d’argent du Christ en croix, de la Vierge et de Saint Jean, de nombreux reliquaires et les vitraux. A cette époque, trente-cinq religieux profès résidaient à Redon ; jamais, sans doute, la communauté ne fut plus nombreuse, ni plus fervente. La reconstruction des bâtiments conventuels fut courageusement entreprise suivant le plan en usage dans les maisons de la congrégation de Saint-Maur. On commença en 1641 par le bâtiment situé au sud du cloître qui fut achevé vers 1645 ; on fit ensuite les corps de logis de l’Est et de l’Ouest et on termina en 1648-1649 par la galerie du cloître appuyée contre le mur de l’église et qui, à l’origine, n’était pas voûtée ni surmontée de l’étage que l’on voit aujourd’hui.
Des états de lieux dressés en 1643 et en 1648 et quelques quittances permettent de suivre, non sans incertitude, la marche des travaux ; ces documents apprennent aussi que la pierre fut fournie par des carriers du Croisic, de Guérande, de Rhuis et de l’Ile-au-Moines ; le bois par des bûcherons de Plessé et de Fougeray ; la tuile par des potiers de Fontenay-en-Chartres, près de Rennes [Note : Arch. d'Ille-et-Villaine, liasse 1 H 2, 13]. Il serait plus intéressant de connaître le nom de l’architecte : vraisemblablement ce fut un père ou un frère que ses aptitudes particulières avaient fait choisir pour diriger les travaux dans les maisons de la Congrégation de Saint-Maur. Des architectes existaient ainsi dans tous les ordres religieux. Le jésuite breton Charles Turmel collabora à la construction ou à la décoration des maisons de la Compagnie de Jésus à Rennes, Orléans, Blois, Paris, Amiens, Alençon et Caen. Chez les Bénédictins, le frère Guillaume de la Tremblaye, de Bernay, construisit plusieurs des plus beaux monastères de l’Ordre : le Bec, St-Denys, St-Etienne de Caen, St-Ouen de Rouen, mais il donna aussi des plans ou des dessins pour des maisons plus modestes telles que l’Abbaye sous Dol et la chapelle Saint-Benoît de Saint-Malo.
Un marché du 21 mai 1649 concernant la construction du cloître de Redon spécifie que les charpentiers-couvreurs devront se conformer pour la construction des lucarnes du cloître « à la façon qui leur sera désignée par frère Robert Plouvier » [Note : Arch. d'Ille-et-Villaine, liasse 1 H 2, 13] ; ce document n’est pas assez explicite et précis pour que l’on sache si Robert Plouvié fut un véritable architecte ou seulement un conducteur ou un vérificateur des travaux. On doit noter cependant qu’un moine du même nom donna en 1670 le plan d’une importante église à construire à Saint Maixent [Note : Pierre Rambaud, Notes et documents sur les artistes en Poitou... Archives historiques du Poitou, 1920, T. X, p. 158. On ne saurait affirmer que le frère Robert Plouvié, employé à Redon en 1649, était le même que l’auteur du plan de Saint-Maixent dressé en 1670. Un autre frère, Robert Pouvié termina en 1699 les stalles de l’abbaye de Bassac en Saintonge (Congrès archéologique d’Angoulême, 1913, T. I, p. 402)] ; il appartenait vraisemblablement à une famille angevine qui a produit des architectes d’autels et des sculpteurs de valeur [Note : En outre de Léger Plouvié, auteur d’un autel pour les Calvairiennes dont il sera parlé plus loin, on connaît Denys Plouvié qui fit en 1696 l’autel de la chapelle des Ursulines (aujourd’hui le lycée de Pontivy)].
La construction des édifices entourant le cloître força à détruire la belle « salle au Duc » longue de 97 pieds sur 29 de large, la chapelle Saint-Etienne et enfin le logis abbatial qui fut rebâti en dehors de l’abbaye, au nord de l’Eglise. Sur l’emplacement de ce dernier logis peu remarquable s’élève le monumental Hôtel de Ville de Redon.
La façade des bâtiments conventuels tournée vers le sud a été construite avec plus de luxe que les autres corps de logis ; le rez-de-chaussée percé de baies en plein centre est surmonté de deux étages séparés par des cordons de pierre ; le toit porte sur une corniche aux vigoureux modillons. Deux ailes inégales flanquent le corps de logis principal ; de hautes gerbières surmontées de frontons donnaient autrefois grand aspect à l’aile de l’ouest, devant laquelle s’étendaient de beaux jardins. En 1805, l’ouverture de la rue Neuve, aujourd’hui rue Noménoë, a coupé en deux l’aile de l’ouest ; un tronçon séparé du corps de logis principal, est devenu, de l’autre côté de la rue, une maison particulière. Plus récemment, les directeurs du collège ont fait bâtir des bâtiments qui masquent les ailes et interceptent la vue du jardin et de la vallée de la Vilaine ; on peut encore admirer la belle disposition de la partie centrale seule visible désormais.
Les galeries du cloître sont ce qu’il y a de plus remarquable ou de plus imposant dans l’ancienne abbaye. La galerie du sud était doublée par le rez-de-chaussée de la façade méridionale percée de hautes portes-fenêtres ; à l’est, existent deux galeries contiguës, dont l’une a été sectionnée par des cloisons pour former des classes, et qui aboutissent à une belle salle devenue la chapelle des Congréganistes. Les clefs de voûte décorées des armes de France et de Bretagne ou de l’emblème de la Congrégation de Saint-Maur, les pilastres et les frontons des portes, les modillons sur lesquels retombent les arcs, ont été taillés dans le calcaire de l’Anjou. Des sculptures délicates, parfois charmantes, tempèrent l’austérité des longues galeries bâties en granit de Bretagne. Dans l’une des classes ménagées dans l’une des galeries de l’est, de délicats petits personnages ont été sculptés à la retombée des arcs ; ils tiennent des instruments de musique : une clarinette, une vielle, un petit orgue ; un autre tient une équerre et un compas et désigne du doigt la date de la construction gravée dans la pierre voisine : 1649. Il est à souhaiter que l’on fasse des dessins exacts et précis de toutes ces sculptures, de tous ces motifs décoratifs, avant qu’ils aient complètement disparu, mutilés par les écoliers ou empâtés dans les couches de lait de chaux que l’administration du collège fait étendre presque tous les ans. Les galeries, sauf celle du nord, sont séparées du terre-plein central par un petit mur bas formé de dalles de granit décorées de quelques moulures dans le style de la Renaissance ; ces dalles proviennent peut-être d’un édifice disparu.
Une bonne vue cavalière de l’abbaye au XVIIème siècle figure dans le Monasticon Gallicanum [Note : Cette gravure a été reproduite peu fidèlement par A. de Courson dans le Cartulaire de Redon, et plus exactement, par M. le comte de Laigue dans le numéro de juin 1914 du Bulletin de la paroisse de Redon] ; elle est accompagnée d’une légende faisant connaître l’affectation des bâtiments à cette époque. Les services du cellérier et du dépositaire étaient installés à l’angle nord-ouest. Le bâtiment de l’ouest servait de logis aux hôtes. Dans l’aile du sud-ouest se trouvaient la cuisine et le réfectoire au rez-de-chaussée et la bi- bliothèque à l’étage. Le beau bâtiment aspecté vers le sud qui fut qualifié pendant quelques années « manoir abbatial » mais qui ne logea pas d’abbé, abritait au rez-de-chaussée un vaste vestibule percé de neuf portes-fenêtres qui complétait le cloître ; à l’étage se trouvaient des dortoirs qui s’étendaient dans l’aile du sud-est ; le rez-de-chaussée était affecté à la salle du chapitre. Les deux galeries du cloître occupaient tout le rez-de-chaussée du bâtiment de l’est ; au-dessus se trouvaient des chambres [Note : L’affectation des bâtiments est indiquée dans le plan de lotissement de Maugé du 5 thermidor an VI (Arch. d'Ille-et-Vilaine, Q. 89)].
Dans ces vastes logis les religieux étaient peu nombreux : vingt-cinq en 1711, neuf seulement en 1790.
Couvent des Bénédictives du Calvaire où de la Retraite.
La fondation et la construction à Redon d’un couvent de Bénédictines réformées furent inspirées par les mêmes sentiments de rénovation religieuse qui guidèrent les initiateurs de la Congrégation de St-Maur. En 1629, le charitable prieur Noël de la Régnerais offrit de fournir les fonds nécessaires pour la création d’un couvent de Bénédictines ; ses offres ayant été approuvées par l'évêque de Vannes, l’abbesse de la Trinité de Poitiers, Jeanne Guischart de Bourbon, envoya à Redon quelques religieuses pour établir un prieuré. La création d’une nouvelle maison religieuse déplut à certains habitants qui tentèrent de décourager Dom de la Régnerais et les religieuses par de singulières machinations [Note : R. P. Emmanuel de Lanmodez, Les Calvairiennes de Redon, Paris, 1895, brochure in-8°]. Cependant, la croix fut plantée à l’emplacement choisi pour la construction de la chapelle le 13 mars 1635 ; les travaux bénits le 29 septembre furent activement conduits par le frère Michel Tafart, religieux oblat de la Congrégation de Saint-Maur, et dirigés par le Père Denys, de l’abbaye de Redon ; ce dernier n’était probablement que le comptable ou l’ordonnateur financier. Le 29 septembre 1637, les religieuses qui avaient résidé jusqu’alors dans une maison particulière prirent possession du couvent encore inachevé. Trois ans plus tard elles furent aggrégées à la congrégation des Bénédictines du Calvaire, réforme du vieil ordre bénédictin provoquée au commencement du XVIIème siècle par Eléonore de Bourbon, abbesse de Fontevraud, et par sa nièce et coadjutrice, Antoine d’Orléans de Longueville, marquise de Bellisle. Le Père Joseph, l’Eminence grise du cardinal de Richelieu, qui exerça sur la vie religieuse de la France une influence plus grande et peut-être plus heureuse que dans l’ordre politique, était le guide spirituel et, à l’occasion, le protecteur temporel des Calvairiennes. Ces religieuses furent très appréciées en Bretagne où elles possédèrent plusieurs couvents, à Nantes, Morlaix, Rennes, Quimper, Saint-Malo, Saint-Brieuc [Note : Les documents concernant le Calvaire de Redon ne forment qu’une petite liasse des archives d’Ille-et-Vilaine (Série H), mais on y trouve les renseignements essentiels sur la fondation et la construction du couvent].
Le 3 novembre 1646, une religieuse de Redon écrivait que grâce à la viglance de Dom de la Régnerais, les bâtiments étaient « en leur perfection » [Note : Arch. d’Ille-et-Vilaine, liasse 1 H 2, 13] ; cependant, le cloître ne fut construit ou achevé qu’en 1648. En 1650, Dom de la Régnerais fit placer dans la chapelle un autel latéral, construit par un sculpteur angevin, Léger Plouvier. Quelques années plus tard, le fondateur mourut ; il léguait au couvent une somme importante. Les Calvairiennes obtinrent que le corps de leur bienfaiteur fut inhumé dans leur chapelle. Le procès-verbal d’une délibération des religieux de l’abbaye, au sujet de la fondation d’un service en leur église pour le repos de l’âme du défunt, fut rédigé en des termes passablement maussades ; les moines ne dissimulèrent pas leur regret que Dom de la Régnerais eut donné aux Calvairiennes toutes les économies qu’il avait faites sur les 4.000 livres de revenu annuel de son prieuré de Pléchatel. Ils oubliaient que le prieur n’avait pas réservé aux Calvairiennes toutes ses libéralités et qu’il avait donné un millier de livres pour la construction du maître-autel de Saint-Sauveur.
La chapelle ne fut pas dévastée, ni même dégradée pendant la Révolution parce qu’ayant été affectée aux services militaires, elle fut remplie de foin jusqu’à la voûte. Les bâtiments conventuels du XVIIème siècle subsistent intacts ; ils n’ont subi d’autre dommage que la construction, vers 1880, au sud du cloître, d’un grand et massif bâtiment qui écrase les édifices voisins.
Le couvent des Calvairiennes, occupé depuis 1820 par les religieuses de la Retraite, n’a rien de monumental ni d’imposant. Il tire tout son mérite et tout son charme de la grâce de ses humbles constructions restées telles que les virent les protégées de Dom Noël de la Régnerais. La porte d’entrée du couvent, datée de 1640, est un bon spécimen de l’art du XVIIème siècle ; la nef de la chapelle, très simple comme la chapelle elle-même, est partagée en deux parties inégales par le maître-autel surmonté d’un vaste retable. L’architecture générale en est très médiocre, mais on peut remarquer de charmants détails d’ornementation : têtes de chérubins, guirlandes, pentes de fruits. L’autel est à deux faces. La face tournée vers l’Ouest fermait la partie de l’église réservée aux Bénédictines qui étaient cloîtrées. Un artiste plein de bonne volonté, peut-être une Calvairienne, l’a ornée de peintures naïves : Sainte Madeleine, Saint Antoine et son fidèle compagnon, une vue de Rome peu exacte, une vue de Jérusalem fantaisiste ou allégorique. Deux tableaux décorent aussi l’autel du côté de la nef ouverte au public ; ils représentent un moine et une religieuse. On dit que ce sont les portraits de Noël de la Reignerais et de la première supérieure des Bénédictines. Dans cette nef se trouve l’ancien tombeau du maître-autel que l’on a remplacé récemment par un tombeau plus prétentieux et le petit autel St-Michel commandé, le 15 février 1650, par Noël de la Régnerais à Léger Plouvier, maître- architecte et sculpteur demeurant ordinairement à Angers, qui fut payé cent écus. Léger Plouvier était probablement un parent du frère Robert Plouvier qui dirigeait, à la même époque, la construction du cloître de l’abbaye. Léger fit des travaux importants pour les églises de Saint-Serge d’Angers, Brie (1662), la Visitation de Rennes (1665), Saint-Maur de Glanfeuil (1672-1678). Les termes du marché du 15 février 1650 apprennent que l’autel Saint-Michel n'était pas son premier travail pour la chapelle du Calvaire ; l’analogie existant entre les motifs décoratifs fait penser qu’il est aussi l’auteur du maître-autel.
Le cloître est la partie la plus intéressante et surtout la plus pittoresque du couvent, bien qu’il soit bâti sans aucune recherche architecturale. Les galeries ne sont pas voûtées comme à l’abbaye ; les arcades en plein cintre, bâties en pierre calcaire, reposent sur des piliers carrés que ne décorent pas des chapiteaux mais de simples tailloirs. Tout cela est très simple et même un peu rustique. Mais comment ne pas être sensible au charme de cet ensemble : les arcades de pierre blanche, le petit courtil qu’elles entourent, les modestes bâtiments qu’elles soutiennent et qui s’abritent sous de grands toits aux tuiles moussues ? Plus haut pointe l’aiguille du petit clocher de charpente élevé en 1641. Ce cloître porte deux dates, 1648 et 1664 ; la seconde rappelle probablement une restauration. Regrettons que la grande bâtisse construite en 1880 du côté du Nord contraste fâcheusement avec l’aspect général des constructions.
***
Mais il ne convient pas de déplorer des agrandissements ou des modifications qui attestent la prospérité des maisons d’éducation établies dans l’ancienne abbaye des bénédictins et dans l’ancien couvent des Calvairiennes. Remercions les successeurs des Bénédictins et des Calvairiennes d’avoir conservé, dans la mesure du possible, les édifices tels qu’ils étaient au grand siècle et de permettre, avec une aimable complaisance, aux historiens et aux amateurs d’art de les visiter et de les étudier.
(Henri Bourde de la Rogerie, 1935).
© Copyright - Tous droits réservés.