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Etudes et discipline au Collège des Jésuites à Rennes |
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I. —
Importance du collège de Rennes. Nombre des
classes. Les classes inférieures. Les classes supérieures. Fêtes qui se donnent
au cours de l'année scolaire. Les vacances.
II. — Education religieuse et
morale.
III. — Le collège de Rennes est un externat. La vie des élèves en
dehors du collège.
Le collège de Rennes devint l'une des plus importantes maisons d'éducation des Jésuites [Note : Arch. mun. 533 C. f° 74. En 1676, le Père Sotvell dit même : « Scholæ hujus collegii sunt frequenitissimæ et numero discipuloruim superant quodvis toto orbe societatis collegium ; numerat quippe plerumque supra bis mille et quingentos, et aliquando ultra tria millia recensuit, in varias classes distributos ». Bibliotheca scriptorum societatis Jesu, opus inchoatum a R. P. Petro Ribadeneira, continuatum a R. P. Philippo Alegambe, recognitum a Nathanale Sotvello eiusdem societatis presbytero anno 1676] ; en 1604. Il comptait 600 élèves, en 1626, 1484 [Note : Au collège de Rennes en 1626-1627, « scholæ sunt novem, auditores 1484 — in theologia morati, 60 — in physica 40, in logica, nullus hoc anno cum instaurata sint studia tantum calendis martii, ob grassantem luem pestiferam. In prima classe quæ est rhetorica, numerantur 130, in seconda 104, in tertia, 248, in quarta, 262, in quinta 350, in sexta 230... » (Catalogus scholarum et sodalitatum beatæ Virginis ann. 1626, in collegio Rhedonensi). R. P. Séjourné. Vie du Père Maunoir. t. I. pièces justificatives. R. P. Prat. Recherches, historiques et critiques sur la Compagnie de Jésus en France au temps du P. Coton t. V. p. 487)], en 1653, il en avait 2.800, ce chiffre fut même dépassé [Note : Arch. départ., Hist. de la fondation, p. 221. On a compté jusqu'à 4.000 écoliers dans ce collège, dit l'abbé Manet « essai topographique... sur la ville de Rennes », p. 40].
En même temps que s'accroissait sa population scolaire, il voyait peu a peu augmenter le nombre de ses classes ; à la Saint Luc 1604, avant qu'eût été signé le contrat de fondation, les Jésuites en ouvrirent trois : celles de rhétorique, humanités et troisième [Note : V. p. 48. Arch. départ. Hist. de la fondation, p. 77, 78], mais dans le courant de l'année, il entra tellement de nouveaux élèves que l'on fût obligé à Pâques (1605) de diviser en deux la classe de troisième, ce qui donna naissance à la classe de quatrième [Note : Hist. de la fondation, p. 88]. On ouvrait en même temps un cours de théologie morale ou des « cas de conscience » que fréquentérent beaucoup d'ecclésiastiques, même avancés en âge [Note : Hist. de la fondation, p. 88. Au sujet du cours de théologie morale, V. le contrat de fondation, p. 63 et p. 65, n. 2. La lecon de cas de conscience continua de se donner au collège de Rennes. Le P. Aquaviva écrivant le 17 mars 1608 au recteur de l'établissement lui dit : « Et si superioribus nostris litteris patentibus acceptationis istius collegii Rhedonensis societatem obligare noluerimus ad lectionem de casibus conscientæ prælegendam, quia nimirum juxta nostras constitutiones non possumus hujusmodi civilem obligationem admittere, cum tamen nuper acceperimus dubitare nonnullos, debeatne jam in isto collegio ea lectio casuum, prout cœpta erat, continuari ; deque ejus necessitate pariter ac utilitate plene informati fuerimus, Reverentiæ significandum censuimus nostræ mentis esse ut ea continuetur, licet ad eam civili nulla obligatione teneamur. Atque ut deinceps Reverentiæ sueeessoribus, de hoc nostra voluntate nullus dubitandi locus relinquatur, curabit omnino Reverentia, ut hæ nostræ litteræ in eum collegii librum reserantur in quo nostræ omnes ordinationes conscribi et asservari solent... » Arch. mun., liasse 284].
Après la peste qui désola la ville à la fin de l'année 1605, une nouvelle classe, celle de cinquième, vint s'adjoindre aux quatre classes de lettres et au cours de théologie morale qui existaient déjà [Note : Hist. de la fondation, p. 87]. Le contrat de fondation requit un plus ample développement du collège : il exigeait, en effet, six maîtres de rhétorique, humanités, grammaire et deux régents de philosophie. Au 18 octobre, l'établissement Saint-Thomas s'augmenta d'une classe de philosophie, d'une seule : celle de logique, comme il n'y avait point alors d'écoliers pour suivre les cours de physique ; le Père Louis Mairat, qui pendant les deux années précédentes avait « régenté » la rhétorique avec grand succès, en fut le professeur [Note : Hist. de la fondation, p. 137]. Ce ne fut qu'à la Saint Luc 1607 que commença le cours de physique ; la classe de sixième, réclamée par le contrat de fondation, ne fut sans doute ouverte que sept ou huit ans plus tard [Note : Hist. de la fondation, p. 137, 138. « Pour ce qui est du régent de 6ème puisque le contrat de fondation note expressément que les Jésuites en donneront un, il est certain néanmoins qu'il n'y en eut point, ni l'année que le contrat fut signé, ni la suivante. Peut-être que le nombre des écoliers ne l'exigeait pas encore ; il est vraisemblable qu'il ne commença à y en avoir que sept ou huit ans plus tard, lorsqu'on eust basti le corps de logis où est la clase de 6ème »].
La convention signée par la Communauté de Rennes et les Jésuites le 14 septembre 1653 stipula l'érection au collège Saint-Thomas (en plus du nombre de classes prévu par le contrat de 1606) d'une chaire de théologie scolastique, cette chaire fut établie en 1654 [Note : Hist. de la fondation, p. 111]. De « moyen collège » qu'elle était jusqu'alors, la maison d'instruction de la ville de Rennes devint, de ce fait, « grand collège ».
Par un accord intervenu entre eux et les Jésuites le 1er mars 1674, les bourgeois de Rennes exigèrent qu'un professeur enseignât au collège, en langue française, les mathématiques, la géographie et la science de la marine. A Pâques (1674), cette nouvelle classe fut créée ; en en réclamant l'ouverture « Messieurs de la ville » voulurent, dit l'histoire de la fondation, « accroître le lustre » de leur collège et ils songèrent que cet enseignement, en aidant à former de bons pilotes, contribuerait à enrichir la province de Bretagne. Mais, pour prospérer, ce cours eût dû être placé dans une ville maritime et non à Rennes « où toutes les vues de réputation et de fortune sont presque uniquement fondées sur la science du barreau ». Aussi cette classe, malgré le mérite du professeur : le Père Philippe Descartes (neveu du célèbre philosophe) n'eut-elle aucun succès ; un assez grand nombre d'auditeurs fut attiré pendant quelque temps par l'attrait de la nouveauté, mais bientôt le cours fut complètement abandonné.
Les Jésuites songèrent alors à créer à sa place une seconde chaire de théologie ; une seule classe de cette matière était insuffisante : « celui qui la régentait ne pouvait donner que des traitez abrégez, ou s'il les voulait donner entiers, il fallait huit ans aux écoliers pour faire toute leur théologie, cela ne convenait pas au collège qu'on [pouvait] regarder sans contredit comme un des plus nombreux et des plus florissants qu'il y [eût] dans le royaume ». Les Jésuites firent part de leur pensée aux bourgeois de la ville et au Marquis de Coëtlogon, gouverneur de Rennes ; ils l'approuvèrent ; en conséquence, un deuxième régent de théologie dogmatique enseigna au collège Saint-Thomas, à partir du début de l'année scolaire 1682 [Note : Hist. de la fondation, p. 263 à p. 268. « On ne fit pas d'acte vu le consentement unanime des parties (dit ce manuscrit) et ne songeant pas qu'on eût jamais rien à redire. On connaît ce changement de cours par une note insérée dans un de ses cahiers par le Père Barré, procureur ». Ce fut à tort que l'on ne passa pas d'acte : en 1726, alors que la ville recherchait à quelles obligations les Jésuites étaient tenus envers elle, on déclara que les Jésuites n'avaient pas « le régent de mathémathique, d'hydrographie et de marine en langue française » qu'ils avaient, en 1674, promis de fournir. On décida de leur. manifester qu'ils avaient à respecter cette obligation. (Arch. mun. 528 B. f°s 12v° 13r°). A la suite de cette délibération sont transcrites sur le registre municipal, en entier ou en résumé, les principales pièces qui ont trait aux rapports du collège et de la ville et il est dit, à propos du contrat de 1674, que le régent demandé commença son enseignement à Pâques. Les bourgeois s'expliquèrent-ils avec les Jésuites ? en tout cas, les mêmes cours continuèrent à se donner].
Le collège de Rennes eut alors les onze classes qu'il garda jusqu'en 1762 [Note : Les professeurs des classes de grammaire et d'humanités, comme dans les autres collèges de la Compagnie, n'étaient pas toujouirs prêtres (Ratio studiorum. reg. provincialis 26, R. P. de Rochemonteix op. cit. II. p. 108 n. 2), nous avons cité le nom de plusieurs « maîtres » ou régents qui n'avaient pas reçu le sacerdoce ; sur la liste du personnel remise en 1762 pour obéir à l'ordre du Parlement, d'autres « maîtres » figurera comme nous le verrons. D'après le Radio Studiorum (reg. 29 provincialis), tous les ans, chaque professeur devait passer avec ses élèves dans la classe immédiatement supérieure à celle où il avait enseigné l’année précédente ; cette règle, d'après, des extraits de catalogues du personnel que nous avons eus entre les mains, ne fut pas strictement observée à Rennes (v. p. ex. l'état du personnel enseignant du collège de Rennes pendant les années 1622, 1623, 1624, 1625. Vie du Père Maunoir, par le Père Séjourné t. I 381 et suiv.). Le collège de Rennes vit aussi changer fréquemment ses professeurs. Dans les années 1622 à 1625 et 1702 à 1713 (pour cette dernière période nous n'avons les noms que des professeurs d'humanités et de rhétorique), nous n'avons pas, trouvé un seul de ces « magistri perpetui » que le Ratio recommande de former quand il est possible (reg. 24 provincialis)] ; la direction en appartenait, sous l'autorité des supérieurs de la Compagnie de Jésus, à un Recteur ; un « ministre » ou « procureur » s'occupait de l'administration temporelle, un Préfet des hautes études et un Préfet des classes avaient la haute main, l'un sur les cours de théologie et de philosophie, l'autre sur les classes de rhétorique et d'humanités.
Au collège de Rennes, l'enseignement fut évidemment conforme aux règles en usage dans la Compagnie de Jésus, règles qui ont leurs admirateurs comme leurs détracteurs [Note : Compayré qui attaque le système des Jésuites cite quelques-uns des témoignages les plus intéressants portés contre eux ou en leur faveur. On peut discuter assurément la valeur de certaines parties du système pédagogique des religieux de la Compagnie de Jésus sous l'ancien régime, mais il est du moins certain que les Jésuites visèrent à développer l'intelligence de leurs élèves et cherchèrent à leur donner une culture sérieuse. Nous n'avons point l'intention d'entrer dans une étude détaillée de l'enseignement au collège de Rennes ; ce serait étudier toute la pédagogie jésuitique et répéter divers ouvrages dont l'histoire du collège de la Flèche du R. P. de Rochemonteix]. Le latin et le grec, surtout le latin, étaient de beaucoup, dans les classes de lettres, particulièrement au XVIIème siècle, les principaux, quoique non pas les seuls objets d'étude. Jusqu'à la deuxième classe qui portait le nom « d'humanités », les leçons étaient presque exclusivement grammaticales [Note : Le collège de Rennes, avec le collège Louis-le-Grand, le collège de la Flèche et celui de Rouen, était un des quatre collèges de la province de Paris qui avaient une sixième classe, les autres n'admettaient les enfants qu'à partir de la cinquième] ; le cours d'humanités préparait à l'éloquence, celui de rhétorique formait à l'art de bien dire [Note : « Gradus hujus scholæ est, postquam ex grammaticis excesserint, præparare veluti solum eloquentiœ quod tripliciter accidit, cognitione linguæ, aliqua eruditione et brevi informatione præceptorum ad rhetoricam spectantium ». Ratio studiorum reg. prof. humanitatis 1. — « Gradus hujus scholæ non facile certis quibusdam terminis definiri potesit : ad perfectam enim eloquentiam informat quæ duas facultates maximas, oratoriam et pœticam comprehendit... nec utilitati solum servit sed etiam ornatui indulget ». Ratio studiorum reg. prof. rhétoricæ 1].
Les deux heures et demie de classe du matin et les deux heures et demie de classe du soir étaient employées à réciter les leçons, à répéter la prélection ou explication d'un auteur faite par le professeur dans la séance précédente ; venaient ensuite la correction des devoirs, puis la prélection par le « Régent » (ordinairement le sujet en était pris dans Cicéron) et la concertation ou lutte entre les élèves à coups d'interrogations, tout cela en latin [Note : Ratio studiorum. reg. prof. rhet. prof. hum. prof. class. gramm. divisio temporis. Les élèves avaient un devoir tous les jours (reg. comm. prof. class. infer. 20), sauf le samedi. P. de Rochemonteix t. III p. 50 et suiv. « Le Ratio énumère pour chaque classe les auteurs à expliquer. En rhétorique, les élèves puiseront l'art de bien dire dans Aristote, dans Cicéron, dans Quintilien. Cicéron est le modèle du style par excellence : « quanquam probatissimi etiam historici et pœtæ delibantur, ex uno fere Cicerone sumendus stylus ». C'est dans le grand orateur de Rome que se fera de préférence la prélection. Les auteurs grecs sont Démosthène, Platon, Thucydide, Homère, Hésiode, Pindare, saint Grégoire de Nazianze, saint Basile, saint Chrysostome. Cicéron reste encore l'auteur préféré en humanités, seulement ce sont exclusivement ses ouvrages de morale qui sont mis entre les mains des élèves. Puis viennent César, Salluste, Tite-Live, Quinte-Curce, les Odes d'Horace. En grec, à côté d'Isocrate, de Platon et des Pères de l'église, nous voyons prendre place Théognis, Synésius et Phocylide. Naturellement, à mesure qu'on descend les ouvrages deviennent plus faciles. Les lettres de Cicéron à Atticus et Quintus, les traités de l'amitié et de la vieillesse figurent au programme de la première classe de grammaire, en compagnie des poètes légers et gracieux, Ovide, Catulle, Tibulle, Properce, des Géorgiques, d'Esope et d'Agapet. Dans les deux dernières classes enfin, les églogues, le catéchisme grec ou tableau de Cébès, les lettres les plus faciles de Cicéron, les fables de Phèdre... » (A. Schimberg, l'éducation morale dans les collèges de la Compagnie de Jésus, p. 132-133), le Père Jouvancy dans son traité « de ratione discendi et docendi » dont la 1re édition est de 1691, 2ème partie c. II. § 7 donne une liste plus complète. On sait que les Jésuites expurgeaient les auteurs anciens quand ils le jugeaient nécessaire. Sur la manière dont se faisait la prélection : Jouvancy op. cit. 2ème partie c. II § 4 et, Ratio studiorum reg. comm. prof. class. infer. 20]. Les livres d'études, grammaires latines, grammaires grecques étaient écrits en cette langue [Note : Il est difficile de savoir quels livres classiques étaient entre les mains des écoliers au collège de Rennes. La bibliothèque municipale de Rennes conserve un certain nombre de livres de classe qui portent, écrits à la main, sur la première feuille, les mots suivants « collegium rhedonense S. J. » ; il est presque certain que ces volumes étaient employés pour l'enseignement, mais nous ne voulons pas affirmer qu'ils aient appartenu aux élèves, comme nous n'en avons pas trouvé indication. Parmi ces livres, nous citerons : Johannis Despauterii — commentarii grammatici. Paris 1537. Selectiores AEsopi fabulæ accessit interptatio et vocum omnium explicatio in usum studiosæ Juventutis. Rennes Jacques Denys, typographe du collège 1642. Les commentaires en latin du Père Abram sur Cicéron — les bucoliques et les géorgiques de Virgile, commentées en latin par le Père de la Cerda — le Cicéron du Père du Cygne (analyse en latin des discours) les grammaires grecques de Gretser et Paradis, en latin] ; les devoirs des élèves étaient presque toujours rédigés en latin, ils consistaient en discours, amplifications, odes, épigrammes ou élégies pour les rhétoriciens, en lettres, fables, amplifications, narrations, pièces de vers pour les humanistes ; en thèmes d'imitation pour les élèves des classes de grammaire ; les versions étaient rares [Note : P. de Rochemonteix, op. cit., t. III, p. 45 et suiv. Les Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, série D. conservent un cahier imprimé en 1721, à Rennes chez Joseph Vatar « collegii societatis Jesu typographum », ce cahier contient le texte imprimé de « M Tullii Ciceronis epistolarum selectarum liber quintus » et de « Phœdri Augusti Caesaris liberti fabularum æsopicarum ». Sur des feuilles placées entre les pages du texte, un écolier à fait la traduction française. Le nom de l'imprimeur indique seul qu'on doit avoir là un cahier provenant du collège de Rennes. Les Archives municipales de Rennes gardent (manuscrit 55.803) un cahier du collège des Jésuites qui porte sur la première page le nom « Fleury ». Ce cahier du collège est postérieur à 1726. En plus d'épigrammes latines et françaises, de vers latins, de quelques copies de vers français (ode à du Périer, sonnet de Desbareaux), il contient une suite de versions latines. Ce doit être un de ces « cahiers d'académie » dont nous parlerons plus loin. En tout cas, il montre que, au moins au XVIIIème siècle, une certaine part était faite au français dans les exercices écrits].
La langue française ne s'entendait-elle donc pas ou, du moins, que bien peu au collège de Rennes ? Le Père de Rochemonteix dans son histoire du collège de la Fléche nous dit que, au XVIIIème siècle, il ne fut pas toujours aisé de maintenir l'obéissance à la règle qui ordonnait aux maîtres et aux élèves de ne parler que latin [Note : P. de Rochemonteix, t. III, p. 50. A Saint-Omer, les élèves allèrent jusqu'à refuser de se plier à l'usage exclusif du latin. Deux des principaux meneurs, élèves de rhétorique, furent chassés du collège, la tempête s'apaisa]. Les Jésuites gardèrent toujours le premier rang aux études latines, mais, à partir de la fin du XVIIème siècle, le français conquit droit de cité ; peu à peu s'introduisirent des livres classiques rédigés en langue française : grammaires latines, grammaires grecques, dictionnaires, grammaires françaises [Note : Sur l'introduction des livres français P. de Rochemonteix t. III, p. 137 et suiv. La bibliothèque du collège, de Rennes en 1762 contenait les grammaires françaises de Buffier [Note : Claude Buffier, né en Pologne le 25 mai 1661 et mort à Paris le 17 mai 1737, est un philosophe français, membre de la Compagnie de Jésus, représentant de la philosophie du sens commun. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur l'histoire, la grammaire et la religion], de Restaut [Note : Né à Beauvais, Pierre Restaut, grammairien français, est le fils d'un marchand de draps. Son père lui fit faire ses classes au collège de Beauvais, et, comme il le destinait à l'état ecclésiastique, il l'envoya à Paris pour continuer ses études au séminaire Saint-Sulpice. Ne se sentant pas de vocation pour les ordres, Restaut quitta le séminaire et entra au collège Louis-le-Grand, alors dirigé par les Jésuites. Plus tard il se livra à l'étude du droit et fut reçu avocat au conseil du roi en 1740], les synonymes français de Girard et autres ouvrages similaires, les théâtres de Corneille, Racine, Molière ; les fables de La Fontaine, les pensées de Pascal (catalogue de la bibliothèque du collège de Rennes). Parmi les, livres classiques conservés à la bibliothèque municipale de Rennes et portant les mots « collegium Rhedonense S. J. », nous trouvons la grammaire française de Buffier ou traité pratique d'éloquence]. Le Père Jouvancy consacra un article du « de ratione discendi et dodendi » à l'étude de la langue maternelle, tout en marquant une certaine défiance pour les œuvres littéraires écrites en cet idiome [Note : « de rationne discendi et docendi » Ire partie, chap. 1 § 3. A. Schimberg « de l'éducation morale dans les collèges de la Compagnie de Jésus » p. 174 fait remarquer que le collège de Beauvais et la faculté des arts accordaient une part plus grande au français que les collèges des Jésuites. Toutefois il ajoute que au XVIIIème siècle comme au XVIIème presque tous les plus grands écrivains de la France avaient fait leurs études chez les Jésuites]. Le collège de Rennes fut un de ceux (avec, pour province de Paris, les collèges de Louis Le Grand, Rouen, Orléans, Blois, Nevers, Tours, Moulins, Amiens, Bourges) qui adoptèrent, au début du XVIIIème, siècle, les « rudiments de la langue latine » composés par le Père Codret de la Compagnie de Jésus, revus et augmentés par un Père de la même Compagnie ; ce rudiment fut ensuite abandonné pour la grammaire latine en français du Père Fleuriau [Note : P. de Rochemonteix, op. cit., t. III, p. 168 à 177. Le Père Fleuriau était un Rennais ; né en 1693, il se fit religieux à l'âge de 15 ans (avait-il été élève du collège de sa ville natale ?) Sa grammaire éditée à Paris en 1744 a pour titre « principes de la langue latine mis dans un ordre plus clair et plus étendu par le Père Bertrand Gabriel Fleuriau de la Compagnie de Jésus » ; Lhomond a fait oublier Fleuriau (Rochemonteix op. cit. p. 173-174, t. III). Un livre de prix du collège de Rennes imprimé en 1734, et qui a pour titre « flores latinæ locutionis literato latinorum vocum ordine ex probatissimis auctoribus Cicerone in primis, Terentio... » par le Père des Champsneufs est, en réalité, un dictionnaire français-latin et latin-français].
En même temps que le français pénétrait dans les colléges, les ouvrages de géographie et d'histoire entraient dans les classes de lettres [Note : Le Ratio studiorum n'exclut pas tout enseignement historique, il recommande au maître de faire preuve d' « eruditio » dans la prélection « ex historia, ex fabulis, ex omni eruditione quæ ad locum exornandum faciant conquirenda. ». reg. prof. rhet. 8. (A. Schimberg op. cit. 145 et suiv. R. P. Fouqueray. Hist. de la Compagnie de Jésus en France, t. II appendice sur le ratio p. 691 et suiv.), mais l'élève ne pouvait retirer de ces explications que des connaissances sommaires de mythologie et d'histoire ancienne], mais à titre de livres de lecture seulement. Ce n'est qu'au début du XVIIIème siècle, grâce à l'initiative du Père Buffier, professeur du collège Louis Le Grand, que l'histoire et la géographie furent enseignées dans les classes de façons suivie [Note : A cet effet, le Père Buffier composa les « éléments d'histoire et de géographie », cours complet, distribué classe par classe ; il les enseigna lui-même avec grand succès à Louis-le-Grand, et finit par leur faire donner une place spéciale dans le programme de chaque classe. On prit des mesures efficaces pour faire étudier l'histoire sainte en sixième, l'histoire de France en cinquième, la géographie en quatrième, l'histoire ancienne en troisième et ainsi du reste. La géographie universelle du Père Buffier répondait aux progrès de la science ; elle « devint classique dans les collèges dès le commencement du XVIIIème siècle. On la faisait apprendre en quatrième plusieurs fois par semaine, comme on faisait réciter dans les autres classes les « éléments » du même auteur. Dans les classes de grammaire, les professeurs, suivant l'ingénieuse recommandation du Père Buffier, donnaient des traits d'histoire ou des descriptions géographiques pour sujets de thèmes ou de versions, afin d'initier de plus en plus les élèves à la connaissance de l'histoire et de la géographie, sans nuire à l'étude du grec et du latin ». R. P. de Rochemonteix, op. cit. t. IV, p. 124 à p. 142. Il importe de remarquer que Rollin limite les études historiques à l'histoire ancienne. La Compagnie de Jésus fut donc, en ce qui concerne l'enseignement de l'histoire, plus novatrice que l'Université] et il est probable que le collège de Rennes suivit ce mouvement. Jusque-là les professeurs recommandaient à leurs élèves de lire en leur particulier des volumes traitant de ces matières ; c'est ainsi que l'abrégé de géographie du Père Pajot (composé en 1650), la géographie comparée du Père Briet (composée en 1648), la géographie royale de Labbe (composée en 1645) avaient été en usage au XVIIème siècle dans les collèges de la province de France, et par conséquent dans celui de Rennes [Note : R. P. de Rochemonteix, op. cit. t. IV, p. 135 à p. 138].
Le programme d'études des classes de lettres fut donc toujours très restreint et aucune part n'était faite à l'enseignement des sciences [Note : « Les lacunes que présente l'enseignement régulier des collèges favorisent les laïques qui s'érigent en professeurs libres. Ils réussissent surtout dans les mathématiques. En 1760 paraît à Rennes toute une famille les Sauvey de Blainville qui se créent une magnifique clientèle dans cette branche de l'enseignement. Le sieur de Blainville fondateur de la dynastie, a tant d'élèves qu'il ne peut suffire à la tâche : il est forcé d'appeler ses neveux à son aide ». Dupuyte « Enseignement secondaire en Bretagne au XVIIIème siècle ». Il indique comme source : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine C. 2471].
Des mesures étaient prises pour que les élèves fournissent un travail sérieux ; on a décrit maintes fois les divers moyens en usage chez les Jésuites pour atteindre ce but : révisions fréquentes (le samedi de chaque semaine, régulièrement) [Note : Ratio studiorum reg. comm. prof. clas. infer. 26], de ce qui avait été appris ; récompenses diverses, excitation de l'émulation. Nous nous réprésentons (avec quelque peine) ces classes nombreuses qui comptaient une ou plusieurs centaines d'élèves, divisées en deux camps ennemis qui luttaient l'un contre l'autre dans les récitations et principalement dans la correction des devoirs. Chaque camp avait des dignitaires : empereur, consul ou dictateur, tribuns, décurions, tous choisis au mérite après un concours mensuel et qui aidaient le maître dans la distribution de l'enseignement et la direction de la classe [Note : P. de Rochemonteix, op. cit., t. III p. 50 et suiv. Compayré « Histoire critiqué des doctrines de l'éducation en France depuis le XVIème siècle » t. I. p. 179. Théry, Histoire de l'éducation en France, t, II, p. 68. Ratio studiorum reg. comm. prof. class. infer. : « Magistratus eligendi, præmiisque etiam, si videbitur, afficiendi, nisi id alicubi in rhetorica minus necessarium videretur, singulis fere, aut alternis mensibus : ad eam rem semel soluta oratione, semel etiam, si videatur in superioribus classibus carmine, græceve scribant in schola toto scholæ tempore, nisi inferioribus melius videatur semihoram concertationi relinquere. Qui omnium optime scripserint, summo magistratu ; qui proxime accesserint, aliis honorum gradibus potientur : quorum nomina, quo plus eruditionis res habeat, es græca Romanave republica, militiave sumantur. Duas autem fere in partes ad æmulationem fovendam schola dividi poterit, quarum utraque suos habeat magistratus, alteri parti adversarios, unicuique discipulorum suo attributo æmulo. Summi autem utriusque partis magistratus primum in sedendo locum obtineant. Decuriones etiam a præceptore statuaneur, qui memoriter recitantes audiant, scriptaque præceptori colligant, et in libello punctis notent, quoties memoria quemque fefellerit, qui scriptionem omiserint, aut duplex exemplum non tulerint, aliaque, si jusserit præceptor, observent].
La tâche, en effet, devait être difficile de maintenir l'ordre dans une réunion aussi nombreuse ; on s'efforçait cependant d'y arriver : l'assiduité, le silence, la bonne tenue étaient exigés ; les écoliers venaient-ils à y manquer, ils étaient avertis et réprimandés et, s'il était nécessaire, on recourait aux plus graves châtiments : les verges qu'administrait un correcteur laïque, l'exclusion du collège si l'on jugeait indispensable d'en venir à cette extrémité [Note : P. de Rochemonteix, op. cit., t. II, pp. 87, 88, 89. Ratio Studiorum, reg. præf. infer. 38, 39. 40, 41, 42, reg. externorum auditorum societatis 7].
Au-dessus de ces classes appelées « classes inférieures » par le Ratio, et qui comprenaient, à Rennes, quatre classes de grammaire, les classes d'humanités et de rhétorique, venaient les cours supérieurs qui étaient représentés au collège Saint-Thomas par ceux de philosophie et de théologie.
Dans la province de Paris, seuls le collège Louis Le Grand et le collège Henri IV de la Flèche avaient trois années de philosophie, les autres n'en avaient que deux.
Durant la première année, on enseignait, en latin, la logique ; durant la deuxième année, on enseigna d'abord la physique et les mathématiques (jusqu'à 1626), puis la physique et la métaphysique. Le français remplaça le latin dans l'enseignement de la physique et des mathématiques à la fin du XVIIème siècle. Le cours s'inspirait d'Aristote. Les deux heures de classe du matin et les deux heures de classe du soir étaient consacrées à la « lectio » ou explication d'Aristote dictée par le professeur, aux répétitions entre élèves ; des argumentations fréquentes (les sabbatines qui avaient lieu tous les samedis et les menstruales qui avaient lieu à la fin de chaque mois) permettaient de revoir les questions apprises, habituaient les élèves à parler en public, développaient la rectitude de l'esprit [Note : P. de Rochemonteix, op. cit., t. IV, p. 21 et suiv. Ratio studiorum reg. prof. philosophiæ 2. « In rebus alicujus momenti ab Aristotele non recedat, nisi quid incidat a doctrina, quam academiæ ubique probant alienum, multo magis si orthodoxæ fidei repugnet, adversus quam, si quæ sunt illius, aliusve philosophi argumenta, strenue refellere studeat juxta lateranense concilium ». Les archives départementales d'Ille-et-Vilaine conservent un cahier de cours de philosophie sur la première page duquel on lit : « Robertus Leclerc. Philosophiæ alumnus sub Reverendo, Patre Ludovico de Lastre S. J. 1645 »].
A Rennes, comme dans tous les collèges de, la Compagnie, les professeurs de théologie dogmatique suivaient, mais non aveuglément, Saint Thomas d'Aquin ; ils mettaient ainsi que le professeur de cas de conscience, leurs élèves aux prises dans des « disputes » [Note : P. de Rochemonteix, op. cit., t. IV, p. 17 et suiv. Ratio studiorum, reg, prof. theologiæ scolasticæ 2. « Sequantur nostri omnino in scholastica theologia doctrinam Sancti Thomæ, eumque, ut doctorem proprium habeant, ponantque in eo omnem operam, ut auditores erga illum, quam optime afficiantur. Non sic tamen S. Thomae astricti esse debere intelligantur, ut nulla prorsus in re ab eo recedere liceat : cum illi ipsi, qui se Thomistas maxime profitentur, aliquando ab eo recedant nec arctius nostros S. Thomæ alligari par sit, quam Thomistas ipsos ». Sur les « disputes » reg. prof. theologiæ scolasticæ 14 ; reg. prof. casuum conscientiæ 6].
Les professeurs de théologie étaient exposés, dans
leurs leçons, à mécontenter l'autorité civile, leurs théories pouvaient être
jugées trop ultramontaines. Les Jésuites de Rennes n'évitèrent pas ce péril ; en
1716, les Pères Audry et Georgelin enseignèrent des doctrines que le Parlement
de Bretagne condamna « comme fausses, scandaleuses, contraires aux libertez de
l'église gallicane et pernicieuses à l'État » [Note : Sommervogel, I, 384 ;
III, 1339. Les Jésuites de Rennes avaient déjà eu des difficultés avec le
Parlement au sujet de théories jugées contraires aux libertés de l'église
gallicane. Nous lisons dans les registres secrets du Parlement (Arch. mun.
manuscrit 586-12 lundi 21 mars 1644, mardi 22) que le frère Marie, religieux du
collège, avait, le dimanche 20 mars, fait un discours séditieux contre la
puissance royale et les libertés de l'église gallicane ; le Recteur du collège,
mandé par « messieurs de la cour » déclara qu'il n'approuvait pas ce discours,
qu'il en avait déjà marqué son regret à chacun des présidents et conseillers de
la cour et que, à son avis, il ne fallait point faire de comparaison entre
la puissance spirituelle et la puissance temporelle].
Des fêtes venaient assez souvent, au cours de l'année d'études, rompre la monotonie de la vie scolaire : séances philosophiques et théologiques, séances littéraires, représentations théâtrales, distribution des prix. Ces fêtes stimulaient l'ardeur au travail, étaient un moyen d'éducation, donnaient au collège du relief [Note : P. de Rochemonteix, op. cit., t IV, p. 149].
Les exercices philosophiques et théologiques consistaient en discussions publiques auxquelles tous les élèves, l'élite de la ville et des environs étaient conviés. L’ « acte ordinaire », roulait sur l'enseignement de l'année, le « grand acte », qui se soutenait à la fin du cours de philosophie et de théologie, embrassait toute la philosophie ou toute la théologie. Chaque professeur de théologie et de philosophie donnait tous les ans une séance sur les matières de son enseignement, ordinairement sur les questions les plus controversées [Note : P. de Rochemonteix, op. cit., t. IV, p. 150 à 157]. Un élève, le plus distingué de la classe, était chargé de défendre la doctrine du maître ; après l'avoir exposée dans un discours latin, il se mettait à la disposition des argumentants ; ceux qui désiraient jouer ce rôle avaient eu connaissance de la thèse quelques jours auparavant ; des affiches placardées en ville près d'un mois à l'avance en indiquaient l'objet. A l'heure et au jour fixés, la séance était annoncée au son des cloches ; la « dispute » se faisait « en forme » et dans la langue latine, toutefois au XVIIIème siècle, la forme syllogistique disparut dans quelques collèges, dont celui de Rennes, en même temps on s'y mit à argumenter en français. Un professeur était chargé de diriger l'argumentation, de l'empêcher de s'égarer ou de dégénérer en querelle. En 1694, Claude Poullart des Places, dont nous parlerons dans le chapitre suivant, fut choisi par son professeur, le Père Prévot, pour le « grand acte » de philosophie. Il avait dédié sa thèse au comte de Toulouse, gouverneur de Bretagne, et la soutint avec grand succès [Note : P. de Rochemonteix et H. Le Floch : Claude Poullart des Places, p. 80 et suiv. Le Père Le Floch donne une description de la thèse magnifiquement illustrée de Cl. Poullart des Places. Le Cte de Palys dans son ouvrage « les thèses bretonnes illustrées au XVIIème et au XVIIIème siècles », Vannes Lafolye 1890, donne la description de plusieurs thèses soutenues au collège de Rennes].
Nul doute que, en plus de ces joutes philosophiques et théologiques dont le public était très friand, le collège de Rennes n'ait vu de ces séances littéraires qui, chez les Jésuites, revêtaient des formes multiples : exposition des travaux les plus importants de l'année avec lecture et déclamation de quelques-uns d'entre eux, correction mutuelle de ces travaux faite en public par les élèves, séances publiques des « académies » où rhétoriciens et humanistes prononçaient des discours latins, débitaient force poèmes latins de circonstance, où théologiens et philosophes soutenaient des thèses, où les élèves des classes de grammaire se bornaient à exposer des préceptes grammaticaux [Note : P. de Rochemonteix, op. cit. t. IV. p. 150 à 157. L'institution des académies peut être comptée au nombre des moyens d'émulation dont usaient les Jésuites. Il y avait trois académies dans chaque collège : celle des théologiens et philosophes, celle des rhétoriciens et humanistes ; celle des élèves de grammaire. Les académies étaient des réunions d'élèves d'élite, distingués par leur travail et leur piété (il fallait être congréganiste pour en faire partie) qui se tenaient tous les dimanches et jours de congés sous la direction d'un professeur. Les « académiciens » se livraient à des études et compositions spéciales, en rapport avec la classe dans laquelle ils se trouvaient ; après une préparation suffisante, ils présentaient dans une séance publique le fruit de leur travail].
Cependant les fêtes qui, auprès de la généralité, avaient de plus de succès, étaient, on peut le penser, les représentations théâtrales. Elles furent très en vogue chez les Jésuites qui, en faisant monter leurs élèves sur la scène, avaient pour but, non seulement de les distraire, mais de les former à la déclamation, aux bonnes manières, d'offrir, par le choix des pièces, des leçons morales [Note : Ces représentations étaient autorisées par le Ratio pourvu qu'elles se conformassent à certaines règles reg. rectoris 9. « tragœdiarum et comœdiarum quas non nisi latinas ac rarissimas esse oportet, argumentum sacrum sit et pium neque quicquam actibus interponatur quod non latinum sit et decorum nec persona ulla muliebris, vel habitus introducatur »]. Au collège de Rennes, les Jésuites donnèrent des représentations théâtrales de manière régulière depuis 1614 ; nous lisons dans l'histoire de la fondation, que, en 1636, les écoliers jouèrent une tragédie qui obtint le plus vif succès, « les parents n'étaient point accoutumez à voir leurs enfans sur le théâtre dans un habillement et dans un exercice qui les font quelquefois paraître aimables à ceux-là mesmes qui ne les regardent pas avec les yeux de leurs pères — aussi la tragédie fut elle reçue avec les plus grands applaudissements et avec une satisfaction qui fit oublier à Messieurs de la Communauté toutes les peines qu'ils s'étaient données pour le collège » [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vilaine. Hist. de la fondation, p. 115].
Depuis 1614, il y eut chez les Jésuites de Rennes (du moins habituellement) deux représentations théâtrales : l'une, presque toujours en février, l'autre, presque toujours à la fin d'août, le jour de la distribution des prix [Note : Le Père de Rochemonteix op. cit. t. IV pp. 169-170 nous dit que dans les çollèges des Jésuites il y avait en général deux représentations théâtrales, l'une au carnaval, l'autre après Pâques ou à la distribution des prix. Assez souvent, à Rennes, la représentation de février était donnée par les « seconds » ou élèves d'humanités. Très fréquemment des élèves de plusieurs classes, voire même de toutes les classes, dansaient aux ballets. Le Père de Rochemonteix nous apprend, op. cit. t. IV p. 179 qu'il y avait à la Flèche deux troupes, celle des rhétoriciens et celle des humanistes. La même chose existait sans dimte à Rennes]. Les genres en étaient variés : tragédies, comédies, ballets, pastorales [Note : Jouvancy, dans le « de ratione docendi et discendi » donne les règles à suivre pour ces divers genres]. Ces diverses pièces avaient pour auteurs des Jésuites ; le maître de danse et le maître de musique composaient dans les ballets ce qui concernait leur art. Bien que le français fût banni du théâtre d'après le « ratio studiorum », il y fut employé de façon générale au XVIIIème siècle et y fut entendu auparavant [Note : Aspar, tragédie française, fut représentée en 1667 ; Sancius, tragédie française, en 1669, — par contre, en 1742 fut jouée la tragédie latine de David, — en 1737, la tragédie en vers latins de Sennacherib, en 1732, la tragédie en vers latins de Constantin ; en 1739, les humanistes représentèrent « Fallacides sive fraudator deceptus, drama comicum ». Ces pièces latines étaient données avec des intermèdes français ou avec des pièces françaises. Voici la liste des pièces et ballets que nous savons avoir été jouées et dansés au collège de Rennes : Aspar, tragédie, 16 février 1667 ; — ballet des quatre âges de l'homme, représentant leurs inclinations, 1667 ; — Sancius, tragédie, 30 août 1669 ; — D. O. M. Achœus tragedia, 12 février 1670 ; — Irlanda tragœdia, 20 août 1670 ; — ballet dansé en 1671, pour la réception du duc de Chaulnes et représentation de Sariaste, tragédie ; — Eugènie, tragédie 22 août 1673 ; — le Mensonge, ballet pour la tragédie d'Eugénie, 22 août 1673 ; — la Destinée de Mgr le duc de Bourgogne, 1er septembre 1682 ; — Intermèdes de la tragédie d'Alexandre, 1684 ; — Bertrandus Guesclinus heros Aremoricus Henrici coronæ videx et assertor, 29 août 1685 ; — Les différents plaisirs des saisons, ballet dansé à la tragédie de Marcel, le 17 août 1689 ; — Le triomphe de Thémis, ballet pour la tragédie de Polydore, 13 février 1690 ; — Idomenée roi de Crète, tragédie, août 1690 ; — Le ballet de l'honneur, intermède à la tragédie d'Alectas, le 21 février 1691 ; — Les curieux, comédie ballet, intermède à la tragédie de Zayde, 21 août 1691 ; — les Ages du Monde, ballet, 13 février 1692 ; — le ballet de la fortune, dansé à la tragédie de Josaphat, le 27 août 1692 ; — Pharaon, tragédie ornée de danses et spectacles, 28 janvier 1693 ; — ballet de la folie, dansé à la tragédie d'Antigone, le 19 août 1693 ; — ballet de la gloire pour la tragédie de Prime et Félicien, 17 février 1694 ; — le ballet de l'ambition, intermède à la tragédie de Coriolan, 31 août 1694 ; — Apothéose de Laodamas, trois actes avec intermèdes à la mémoire du Maréchal de Luxembourg, 16 mars 1695 ; — la Forêt enchantée enlevée par Renaud, ballet, intermède à la tragédie de Procope, martyr, 29 août 1696 ; — la Paix générale, suite de la Paix de Savoie, ballet, intermède à la tragédie de Judas Macchabée, 13 février 1697 ; — Jules César, tragédie avec intermèdes, 27 août 1697 ; — le ballet des songes, dansé le même jour ; — les Jeux du Vème livre de l'Enéide, ballet intermède à la tragédie de Charles de Salerne, 27 août 1698 ; — ballet des plaisirs, dansé à la tragédie, d'Halese, le 2 septembre 1699 ; — Antiochus ou l'éducation d'un jeune prince, ballet, intermède à la tragédie de Jonathas Macchabée, août 1700 ; — Timandre, pastorale sur l'avènement de Mgr le duc d'Anjou à la couronne d'Espagne, 1er février 1701 ; — L'ancienne Rome, ballet intermède à la tragédie de Brutus, 29 août 1701 ; Baltasar tragœdia, 29 août 1702 ; — Romulus pastorale, mêlée de ballets, sert d'intermède à la tragédie, 30 août 1702 ; — l'Empire de l'Imagination, ballet pour la tragédie d'Héliodore et d'Archigalle, 22 août 1703 ; — les Nouvelles, ballet, intermède à la tragédie de Maurice martyr, 27 août 1704 ; Orphée, ballet, intermède à la tragédie d'Haralde, 27 août 1705 ; — les Aventures d'Ulysse, ballet 30 août 1706 ; — la Naissance de Palœmon, pastorale allégorique, intermède au ballet de la naissance de Mgr le duc de Bretagne, représentée à la tragédie de Baltasar, le 29 août 1707 ; — le ballet des songes, 28 août 1708 ; — les Passions, ballet dansé à la tragédie de Moyse, Dispute du génie latin avec le génie français, intermède à la même tragédie, 29 août 1709 ; — Conaxa, ou l'ingratitude punie, drame intermède à la tragédie d'Eliodore et d'Archigalle, 22 août, vers 1710 ; — la Gloire de la Bretagne, intermède à la tragédie de Victor martyr, 24 août 1711 ; — Paizophilus sive aleator drama, 9 février 1716 ; — Esope au collège, drame comique, Triomphe de la Fortune dans le jeu, ballet donné au drame de Paizophile ; — les Hommages de la France au roi Louis XV, aux approches de son couronnement, ballet, intermède à la tragédie de Thraséas, 19 août 1722 ; — la Jeunesse, ballet, intermède à la tragédie de Charles de Blois, 25 août 1723 ; — le Temple de la gloire, ballet, intermède à la tragédie de Fauste, 23 août 1724 ; — les Festes françaises à l'occasion du mariage de Louis XV, ballet, intermède à la tragédie de Lucius Junius Brutus, 22 août 1725 ; — l'Empire de la folie, ballet intermède à la tragédie de Maurice, 19 août 1726 ; — le Portrait des conditions, ballet, intermède à la tragédie de Damon et Pythias, 20 août 1727 ; — le Monde policé, ballet, intermède à la tragédie de Palemon, 24 août 1728 ; — l'Émulation, ballet, intermède à la tragédie de Maurice, 24 août 1729 ; — les Aventures d'Ulysse ou le génie vainqueur des obstacles, intermède à la tragédie d'Antonin et Geta, 23 août 1730 ; — le Temple de la Fortune, ballet, intermède à la tragédie en vers latins de Constantin, 20 août 1732 ; — le Ballet, ballet, intermède à la tragédie de Seli Myrsa, 19 août 1733 ; — la Guerre, ballet, intermède à la tragédie d'Apollonius, 24 août 1735 ; — les Tableaux allégoriques de la vie humaine, ballet moral, intermède à la tragédie d'Isaac, 22 août 1736 ; — le Retour de la Paix, ballet donné à la tragédie en vers latins de Sennachérib, 21 août 1737 ; — la Curiosité, ballet moral, intermède à la tragédie d'Ulpien, 20 août 1738 ; — Fallacides sive fraudator deceptus drama comicum, 4 février 1739 ; — Chrisanthe ou le Machiniste, comédie française, représentée le même jour ; — le Portrait de la Nation Française, ballet intermède à la tragédie de Saprice, 25 août 1739 ; — le Temple de la Fortune, ballet intermède à la tragédie d'Agapit, martyr, 23 août 1741 ; — David, tragédie latine, 22 août 1742 ; — le Monde démasqué, ballet moral, dansé à la tragédie de Maurice, le 21 août 1743 ; — l'Amour de la Patrie, ballet, intermède à la tragédie de Constantin, 19 août 1744 ; — les Festes françaises, ballet mêlé de chants à l'occasion des conquêtes de Louis XV, intermède à la tragédie de Celse, 18 août 1745 ; — l’Ile fortunée, ballet, 29 décembre 1746 ; — l'Empire de la folie, ballet, intermède à la tragédie de Séfise, 23 août 1747 ; — l'Amitié, ballet, intermède au drame de Joseph 1748 ; — le Portrait de la Jeunesse, ballet, intermède à la tragédie de Cromwell, 26 août 1749 ; — la Charlatanerie démasquée et confondue, ballet, intermède à la tragédie de Régulus, 19 août 1750 ; — la Patrie, ballet allégorique, dédié à la Province et à Nos Seigneurs des Etats de Bretagne, dansé à la tragédie de Maxime, le 23 ,août 1752. Le recueil de ballets que nous avons entre les mains et les articles consacrés au collège de Rennes, par le Père Sommervogel (Bibliothèque de la Compagnie de Jésus VI. 1665 IX. 800) nous ont permis de dresser cette liste. Bon nombre de ces pièces et ballets furent donnés dans d'autres collèges de la Compagnie de Jésus : tragédies, comédies, faisaient le tour des scènes des collèges des Jésuites]. Les thèmes de ces ballets, tragédies étaient empruntés à l'histoire antique : ballet d'Antiochus, tragédies de Coriolan, de Brutus, de Jules César, de Sennachérib... ; — à l'histoire du Moyen Age et à l'histoire moderne : tragédies de Cromwell, de Charles de Blois, de Bertrand du Guesclin... ; — à l'Ecriture et à l'Histoire sacrée que Jouvancy eût voulu voir les principales sources d'inspiration : tragédies d'Isaac, de Joseph, de Moïse, de David, de Procope martyr, d'Agapit martyr, de Victor martyr. Nombre de ballets avaient un sujet purement philosophique et moral : ballets de l'ambition, du temple de la fortune, de la charlatanerie démasquée, de la patrie … ; d'autres, ainsi que les pastorales, étaient destinés à célébrer des événements récents et de grande importance : pastorale de Timandre sur l'avènement du duc d'Anjou à la couronne d'Espagne, ballet de la naissance du duc de Bretagne, ballet des fêtes à l'occasion du mariage de Louis XV [Note : Dans ce ballet, contrairement aux règles du Ratio, se trouvaient des rôles de femmes, dont celui de la reine. Bien des infractions furent faites aux prescriptions du Ratio, relatives aux représentations théâtrales]. Les comédies furent assez rares à Rennes ; elles étaient consacrées à ridiculiser quelque défaut.
Les représentations commençaient au début de l'après-midi, habituellement à une heure ou une heure et demie et duraient sans doute fort longtemps ; on donnait, en général, dans la même séance une tragédie et un ballet qui servait d'intermède [Note : Assez souvent le sujet du ballet offrait à dessein, comme l'indiquent les livrets, une ressemblance avec celui de la tragédie, — par exemple, en 1694 on donna la tragédie de Coriolan, on choisit comme sujet de ballet : « l'Ambition », parce que, dit le livret, ce fut en quelque sorte, l'ambition qui poussa Coriolan. Quelquefois le ballet était remplacé par des intermèdes français en vers, avec récitatifs, chants et chœurs : en 1684, comme intermède à la tragédie d'Alexandre, les divinités de la fable vinrent exprimer la douleur que la perte de M. de Coëtlogon avait causé à toute la province et la joie que répandait l'arrivée de M. de Coëtlogon, son fils et successeur] ; l'assistance à ces fêtes était presque sûrement gratuite [Note : P. de Rochemonteix, op. cit., t. IV, p. 194. Le préfet des études avait une bourse spéciale avec laquelle il pourvoyait aux dépenses des représentations théâtrales, il entretenait cette bourse au moyen de dons et de quêtes]. Chaque spectateur recevait un « placard » qui indiquait très clairement le sujet et le plan des pièces qui allaient être jouées, dormait les noms des acteurs. Ces « placards » n'étaient point inutiles : les allusions mythologiques, très fréquentes, pouvaient n'être pas toujours fort claires et les exercices auxquels se livraient les personnages devaient être assez peu aisés à comprendre ; parfois, il est vrai, un élève venait réciter un prologue et exposer le sujet du ballet.
Muni d'explications, son livret à la main, le spectateur pouvait pleinement jouir de la fête qui lui était offerte. Les ballets, adroitement composés, aux multiples mouvements et décors, rehaussés par l'éclat de la musique et de la danse devaient être un spectacle particulièrement brillant et curieux. Parmi ceux dont nous avons les livrets entre les mains, certains méritent, de ce point de vue, une mention spéciale : le ballet des jeux du Vème livre de l'Enéide où l'on voyait Enée assister à des jeux qui avaient lieu sur mer, sur terre, aux exercices de la lutte, du « papeguay » et en récompenser les vainqueurs ; le ballet des fêtes à l'occasion du mariage de Louis XV où était représenté un bal de la Cour, au Louvre, et dont la scène se transportait de Paris à Versailles, à Chantilly. Mais le ballet pour la naissance du duc de Bretagne devait encore offrir un spectacle de plus grand effet et les détails en étaient de plus curieuse invention : le tombeau du dernier duc de Bretagne faisait place sur le théâtre au berceau et au portrait du nouveau prince ; les douze mois de l'année et les vingt quatre heures du jour se disputaient devant l'hyménée l'honneur de le voir naître ; Bertrand du Guesclin et d'autres héros de la Bretagne venaient « faire l'exercice » près du berceau de l'enfant et se retiraient ensuite, signifiant par là, dit le livret, que la gloire du duc de Bretagne dépasserait un jour la leur ; les villes et les campagnes de Bretagne se livraient à diverses réjouissances et actions de grâces ; dans un ballet général, les anciens ducs de Bretagne venaient rendre hommage au nouveau ; pour lui marquer leur respect, ils jetaient à ses pieds leurs couronnes ; les seigneurs de leur suite, les héros de la Bretagne les quittaient pour venir se ranger autour du berceau et faire leur cour au nouveau prince [Note : Le Mercure galant (mai 1695, p. 225-244) eut un article sur l'apothéose de Laodamas représentée à Rennes au mois de mars précédent. Le Mercure de France en août 1690 en avait consacré un à la tragédie d'Idoménée, roi de Crète représentée dans ce même mois au collège Saint-Thomas. Sur le théâtre des Jésuites, Gofflot « le théâtre au collège ». P. de Rochemonteix, op. cit. t. IV p. 165 et suiv. t. III p. 105 et suiv. Schimberg, op. cit. chap. VI].
A la suite des jeux du mois d'août avait lieu la distribution des prix devant une assistance nombreuse au premier rang de laquelle se trouvaient ceux des membres du Corps de ville qui avaient honoré la fête de leur présence. Le « Ratio studiorum » recommandait de donner de l'éclat à cette remise des récompenses de fin d'année, d'appeler à haute voix les lauréats et de proclamer les succès qu'ils avaient obtenus [Note : P. de Rochemonteix, op. cit., t. IV, p. 196 et suiv. Ratio studiorum, leges præmiorum « Constituto deinde die, quanto maxime fieri poterit apparatu, et hominum frequentia, nomina victorum publice pronuntientur, et in medium procedentibus, præmia, cuique sua, honorifice dividantur... Unumquemque victorem præco evocabit hoc fere modo : quod felix, faustumque sit rei literariæ, omnibusque nostri gymnasii alumnis primum, secundum, tertium, præmium solutæ orationis latinæ, græcæ, carminis latini, græci ete meritus, et consecutus est N. Tum victori tradat præmium, nec fere sine aliquo ad rem maxime apposito carmine brevissimo, quod statim, si commode fieri possit, a cantoribus repetatur. Ad extremum addat idem præco, si qui proxime accesserint, quibus aliquid etiam præmii loco dari licebit ». reg. 11-12]. A Rennes, vers 1730, les prix étaient au nombre de 46 [Notre : Hist. de la fondation, p. 135. Au sujet du nombre des prix, le ratio studiorum dit : « Rhetoricæ octo præmia proponentur, duo solutæ orationis latinæ, duo carminis ; duo salutæ orationis græcæ, totidem græci carminis. Sex item, sed eodem plane ordine in humanitate et in prima classe grammaticæ, relicto scilicet græco carmine, cujus infra rhetoricam fere non est usus. Quatuor deinceps in omnibus aliis inferioribus, relicto etiam latino carmine. Unus præterea, aut alter in singulis classibus, qui optime omnium christianam doctrinam recitaverit, præmio donetur. Poterunt tamen, ubi ingens, aut parvus est numerus discipulorum, plura, vel pauciora dari, dummodo potior semper solutæ orationis latinæ ratio habeatur » leges præmiorum reg. 1. En 1612, le petit-fils de M. de la Muce, en difficulté avec les bourgeois de Rennes se plaignit de ce qu'on ne donnait pas l'églantine et la plume d'argent que son grand-père avait enjoint de remettre comme récompense — on lui répondait qu'il n'avait aucun sujet de plainte « vu qu'au lieu d'icelles [l'églantine et la plume] il se fait distribution de livres jusques à la valleur de 60 livres à la fin de chacune année. » — Les Jésuites, pour « tollir l'occasion de procès », offrirent de donner, en plus des livres dus à la générosité des bourgeois, une églantine et une plume d'argent armoriées aux armes des la Muce. D'après Ogée et Marteville (Rennes ancien, Rennes moderne, t. I p. 238), ils distribuèrent ces deux prix sous le nom de prix de la Muce, nom qui, un jour, se trouva changé en celui de « prix de la muse »] ; les bourgeois, nous le savons, avaient fondé cette distribution et les écoliers étaient redevables à leur générosité des volumes qu'ils recevaient, aussi ces volumes étaient timbrés aux armes de la ville. En 1740, le Père Harscouët, Préfet du collège, pria la Communauté de ville de donner pour les prix plus que les vingt écus qu'elle avait l'habitude d'offrir ; vu, dit-il, « la modicité de cette somme, les livres qui composent les prix qui se distribuent aux tragédies sont tous pour la plusquepart vieux et suranés et... la reliure qui est le seul moyen qu'on puisse employer pour les décorer est incapable de réveiller l'émulation de la jeunesse qu'il est intéressant d'entretenir » [Note : Arch. mun., 533 C. f° 74. Le Père Harscouët estimait qu'une somme de quatre à cinq cents livres serait nécessaire pour l'acquisition des volumes donnés en prix]. Ces récompenses de fin d'année semblent, de fait, avoir été assez peu propres à récréer et délasser les écoliers ou, même, à les intéresser ; c'étaient des ouvrages classiques, des livres d'étude, des recueils de pièces de circonstance composées, presque toutes en latin, par des Jésuites [Note : La Bibliothèque municipale de Rennes conserve quelques-uns des livres de prix donnés au collège des Jésuites : œuvres d'Isocrate texte grec notes interlinéaires et marginales en latin — flores latinæ locutionis literato latinorum vocum ordine ex probatissimis auctoribus Cicerone in primis, Térentio... opera et studio Petri des Champneufs S. J. — Progymnasmatum latinitatis sive dialogorum sélectorum libri duo cum notis ad usum primæ et secundæ scholæ grammaticis editio uttima in qua Germanorum dicendi modi Gallice exprimuntur — Tragœdiæ seu diversarum gentium et imperiorum magni principes, du Père P. Musson — Aphophtegmatum ex optimis utriusque linguæ scriptoribus per Desiderium Erasmum Roterodamum collectorum libri octo — Calligraphia oratorio linguæ græciæ ad proprietatem elegantiam et copiam græci sermonis parandam utilissima — Datho moralizatus alias speculum regiminis quo ad utriusque hominis reformationem — Natalis comitis mythologiæ. — Outre les livres de ce genre, on trouve, parmi les volumes donnés en prix, des recueils de pièces de circonstance écrites en latin, en français et même en grec. Tous ces livres portent sur la première feuille l'attestation du mérite de l'élève. — Voici un exemple d'attestation qui se trouve sur un des recueils de poésies dont nous venons de parler : « Ego infra scriptus collegii Rhedonensis Societatis Jesu præfectus testor ingenuum adolescenteum Laurentium Bernardum Geffray sodalem ejusdem collegii alumnum secundum strictæ orationis latinæ prœmium in rhetorica meritum, et in solemni præmiorum distributione consecutum fuisse in cujus rei fidem et memoriam hic nomen meum, et nostræ societatis sigillum apposui die quarta septembris anno domini 1758 »].
L'entrée en vacances ne suivait pas immédiatement la distribution des prix ; avant de jouir de leur liberté, les élèves avaient encore à subir, sur les matières étudiées dans l'année, un examen dit « de passage » qui décidait s'ils suivraient ou non les cours de la classe supérieure à la rentrée suivante. Les départs pour les vacances s'échelonnaient ensuite depuis le milieu de septembre jusqu'au 8 octobre ; les rhétoriciens quittaient les premiers le collège, les humanistes les suivaient au bout d'une semaine, les élèves de troisième classe qui n'avaient que quinze jours de vacances et ceux des dernières classes qui n'en avaient que huit, sortaient enfin. Au XVIIIème siècle, toutes les classes se fermèrent au milieu du mois de septembre [Note : P. de Rochemonteix, op. cit., t. IV, p. 202 et suiv. Schimberg, op. cit., p. 302 et suiv. Le manuscrit de l'histoire de la fondation, parlant d'événements qui eurent lieu en 1606, nous dit (p. 115) que les classes ne finissaient alors que le 4 octobre]. A la Saint Luc, les bourgeois de Rennes recevaient « leurs redevances », procédaient à l'ouverture des classes et, après une harangue latine du Régent de rhétorique, l'année scolaire reprenait son cours le lendemain ; elle était coupée par les congés hebdomadaires, les vacances du premier de l'an, du Carnaval, de Pâques et les diverses fêtes dont nous avons parlé [Note : Sur la harangue latine, nous lisons dans le registre 521 C. f° 54. Arch. mun. que « chaque Régent de rhétorique [était] obligé chaque année après l'ouverture faite de leurs classes par la Communauté de réciter publiquement une pièce d'éloquence ». — Sur le même sujet, l'historien du collège de la Flèche, t. III, p. 65, n. 2 dit : « nous lisons, dans une lettre autographe du 27 octobre 1747, adressée. par le Père Brisson du collège de Rennes au Père Blondel du collège de Rouen , que les classes venaient de s'ouvrir et que le jour de l'inauguration, il y avait eu quatre discours et deux poèmes ». Un des discours « frappé au bon coin » fut donné par le Régent de quatrième sur cette question « Quantum reipublicæ intersit ut ad quem quisque artem aptus est, ad eam se consecret ». Sur les vacances Ratio studiorum reg. provincialis 37. — Les articles de cette règle relatifs aux vacances du premier de l'an, du Carnaval et de Pâques sont ainsi conçus : « A vigilia Natalis Domini ad festum usque Circuncisionis diem classes superiores, inferiores vero a meridie ejusdem vigiliæ usque ad festum diem SS. innocentium vacent. — A quinquagesima vacetur, ubi mos erit, usque ad feriam quartam Cinerum, quo tamen die post meridiem magistri omnes doceant. — A Dominica palmarum usque ad Dominicam in albis superiores classes, inferiores autem a meridie quartæ feriæ majoris hebdomadæ usque ad feriam tertiam Paschatis vacent ». Un congé était aussi accordé à la Pentecôte : « A vigilia Pentecostes in scholis superioribus, in inferioribus a meridie ejusdem vigiliæ usque ad feriam tertiam vacetur, et præterea feria quinta »].
II
Les Jésuites ne se proposaient pas seulement d'instruire leurs élèves dans les lettres, de les former à la politesse, aux bonnes manières et à l'art de bien dire [Note : Schimberg, op. cit., p. 251], ils voulaient encore en faire des chrétiens et des hommes vertueux et n'oubliaient ce but dans aucun des exercices scolaires [Note : « Adolescentes qui in societatis disciplinam traditi sunt, sic magister instituat ut una cum litteris mores etiam Christianis dignos in primis hauriant. Feratur autem ejus peculiaris intentio tam in lectionibus cum se occasio obtulerit quam extra eas ad teneras adolescentium mentes obsequio et amori Dei ac virtutum quibus ei placere oportet præparandas ». Rat. studiorun reg. comm. prof. class, infer. 1. — Sur le même sujet « de ratione discendi et docendi », 2ème partie, c. 1. Jouvancy recommande au maître d'user de discrétion et de mesure dans son apostolat].
Ils se préoccupaient de distribuer à leurs écoliers l'enseignement religieux ; une leçon de catéchisme avait lieu chaque semaine le vendredi ou le samedi [Note : Ratio studiorum reg. comm. prof. class. infer. 4. reg. prof. humanit., supremæ, mediæ, infimæ class. gramm. 2]. Le collège de Rennes, comme les autres collèges de la province de France, adopta pour l'usage des élèves le « parvus catechismus catholicorum », qui était un abrégé de la « summa doctrinæ christianæ » de Canisius [Note : P. de Rochemonteix, op. cit., t. II, p. 105. Sur le « parvus catechismus catholicorum ». Schimberg, op. cit., 182 et suiv.]. — Des sermons fréquents contribuaient à instruire les élèves de leur religion, les excitaient à la piété que les professeurs s'efforçaient de développer en eux par des exhortations publiques et privées ; la classe s'ouvrait par une prière ; l'assistance quotidienne à la messe, la réception mensuelle du sacrement de pénitence étaient obligatoires [Note : Ratio studiorum reg. comm. prof. class. infer. reg. externorum auditorum societatis] ; des fêtes religieuses, telles que la première communion, que les cérémonies qui avaient lieu pour la canonisation des saints de la Compagnie, portaient les collégiens à la ferveur. La congrégation de la Sainte Vierge, sous le vocable de l'immaculée Conception, réunissait les élèves les plus fervents ; dans leurs réunions hebdomadaires, ils étaient excités à l'amour de Dieu, à la pratique des vertus chrétiennes. Les congréganistes, sans doute, se livraient à des œuvres de charité, à la visite des pauvres et des malades. Très habilement et dans une haute pensée, les Jésuites voulaient que, pour entrer dans les « académies », on fût non seulement bon élève, mais encore congréganiste [Note : Sur les congrégations, P. de Rochemonteix, op. cit., t.. II, p. 121 et suiv. Sur la congrégation du collège de Rennes : Dom Plaine. — Histoire du culte de la Sainte Vierge dans la ville de Rennes — Rennes 1872, pp. 134-135. L'opuscule qui a pour titre « des congrégations de Notre-Dame érigées dans les collèges de la Compagnie de Jésus selon les usages de celle des messieurs de la ville de Rennes » (Rennes chez la veuve de François Vatar, imprimeur du roy et du collège, 1705) expose les traits généraux des congrégations et renseigne, dans une certaine mesure, sur la congrégation des écoliers. Dans les « Tableaux généalogiques » de M. Frain (Vitré 1891), nous lisons, P. 110-111 t. I : « ce diplôme [de congréganiste du collège Saint-Thomas reçu par Luc Olivier Séré en 1750] est une demi-feuille, petit in-folio pliée en deux, la deuxième page porte l'acte de consécration signé Lucas Olivarius Séré, sur la troisième page, on lit l'attestation suivante : nos præfectus congregationis B. V. M. erectæ in collegio Rhedonensi sub titulo Beatæ Mariæ sine labe conceptæ Charissimo sodali nostro Lucæ 0livario Seré perspecta nobis tua in beatissimam Virginem Mariam, parentem nostram optimam pietas singularis, pari morum probitate conjuncta fecit ut et te peractis de more omnibus experimentis, quibus abunde factum nobis est, in nostram congregationem rite admiserimus et in ejus rei fidem has litteras manu nostra subscriptas et ejusdem congregationis sigillo munitas dederimus. Rhedonis in oratorio nostro 18 mensis maii anni 1750. Præfectus Julianus ETASSE. Secretarius P. BROSSIÈRE. F. de l'Abbaye Soc. Jesu sodalitii director. Dans le catalogue des élèves et congréganistes pour l'année 1626, nous lisons : « Sodalitates beatæ Virginis tres, unam hoc anno detraxit pestis. In sodalitate beatæ Virginis purificatæ quæ est civium, censentur 160. In sodalitate beatæ Virginis Assumptæ quæ est philosophorum, nullus est hoc anno. In sodalitate beatæ Virginis Assumptæ et Angelorum numerantur 100 » (il y avait alors 1.484 élèves au collège). (Recherches historiques et critiques sur la Compagnie de Jésus en France au temps du Père Coton, R. P. Prat). Pendant au moins un certain nombre d'années, il y eut donc deux congrégations d'écoliers au collège de Rennes. De plus, la congrégation n'était pas placée sous le même vocable en 1626 et en 1750].
Nous ne possédons malheureusement pas le texte des instructions religieuses et morales qui furent adressées aux élèves du collège Saint-Thomas, mais, sans nul doute, à l'exposition du dogme catholique, elles unirent le développement des préceptes de morale et en firent l'application à la vie journalière des auditeurs [Note : Nous n'avons sur ce sujet que les renseignements généraux que l'on peut tirer du « de ratione discendi et docendi », IIème partie c. I, art. 2. Jouvancy ordonne au maître d'apprendre à ses élèves « à remplir leurs devoirs envers leurs parents, envers leurs supérieurs, envers leurs égaux ». Le professeur, continue Jouvancy, donnera aux écoliers « le moyen de comprendre à quel genre de vie, à quelle profession ils sont aptes » ; il leur enseignera « à ne pas prendre au hasard un engagement dans la vie... et à ne pas se laisser aller à la colère, il ne négligera pas de former le caractère de ceux dont il jugera devoir tirer parti »].
Nous avons toutefois un moyen de juger, du moins en partie, l'enseignement moral qui se distribuait au collège, c'est d'étudier les principales leçons qui furent données dans les représentations théâtrales. On sait que le théâtre, fort en honneur dans les collèges des Jésuites, y fut une école de mœurs [Note : Gofflot « Le théâtre au collège ». — P. de Rochemonteix, op. cit., t. IV, p. 167 et suiv. — Schimberg, op. cit., ch. VI. — Jouvancy, op. cit. — Ce principe que le théâtre pouvait et devait contribuer à la formation morale fut proclamé sur la scène elle-même, dans le prologue d'un ballet donné à Louis Le Grand en 1726 : « l'homme instruit par le spectacle »].
Les pièces jouées chez les Jésuites, même quand elles avaient un sujet païen, enseignaient la morale chrétienne ; les grands exemples qu'elles mettaient sous les yeux en faisant revivre les héros de l'antiquité et du christianisme étaient propres à élever l'âme, à inspirer l'amour du bien [Note : P. de Rochemonteix, t. IV, p. 176]. De ces hauteurs morales, on descendait fréquemment à des leçons d'application plus courant ; en 1739, la représentation de « Fallacides sive fraudator deceptus » ridiculisait le mensonge devant les jeunes Rennais ; mais les documents dont nous disposons nous invitent à parler plus particulièrement des ballets.
Le ballet de l'amitié montrait non seulement les causes de l'amitié, mais les devoirs (il faut s'exposer aux plus affreux dangers pour ses amis, leur sacrifier les intérêts les plus chers, leur donner des marques d'amitié même après leur mort) [Note : La leçon était bonne, mais elle était développée de manière bizarre ; voici comment le livret décrit la figure de ballet par laquelle on recevait l'enseignement de donner des marques d'amitié à ses amis même après leur mort. « Tandis qu'Apollon s'amuse à jouer au palet avec Hyacinthe son ami, Zéphir vient changer leurs plaisirs en deuil ; il pousse le palet d'Apollon contre la tête d'Hyacinthe. L’ami frappé expire à l'instant. Apollon après avoir donné des larmes au malheur de son ami, le change en fleur et par cette métamorphose lui assure une espèce d'immortalité »] et les écueils : jalousie et défiance. Le ballet de la jeunesse faisait reconnaître aux écoliers les défauts de leur âge : légèreté, curiosité, éloignement du travail, leur signalait les écueils de la prodigalité contre laquelle se ruine la fortune, de l'impiété contre laquelle se ruine la religion, de la volupté qui détruit l'innocence et leur prêchait les devoirs qui sont plus spécialement ceux des jeunes gens : travail et application pour le perfectionnement des bonnes qualités, courage et constance pour la correction des défauts, sagesse pour éviter les écueils.
Les ballets donnaient aussi des leçons de portée plus générale ; leurs auteurs cherchaient à persuader chacun d'être content de son sort et heureux dans une médiocre fortune [Note : Le temple de la fortune. Le portrait des conditions] ; ils voulaient conduire à trouver le contentement dans la pratique de la vertu [Note : Le ballet des plaisirs], à se défier de l'ambition [Note : Le ballet de l'ambition], à ne pas se laisser tromper par les faux caractères, les fausses vertus, les faux talents du monde et à aimer la sincérité [Note : Le monde démasqué. La charlatanerie démasquée. Voici quelques exemples des figures du premier de ces deux ballets : — dans la seconde entrée de la première partie (les faux caractères démasqués) Tibère représentait la fausse douceur ; « l'empereur Tibère dans les commencements de son règne [dit le livret] se pare d'une fausse douceur, la feinte n'est pas de longue durée ; le masque tombe et la férocité du caractère paraît dans tout son jour ». Avec Tibère paraissaient sur la scène des officiers, des courtisans, des furies qui s'emparaient de son esprit. — La troisième entrée de la seconde partie (les fausses vertus démasquées) représentait la fausse amitié : « le poète Ovide [dit le livret] se voit abandonné d'une foule de faux amis, sitôt qu'il a encouru la disgrâce de l'empereur Auguste. Il part pour se rendre au lieu de son exil, n'étant accompagné que de son beau génie qui, plus fidèle que ses amis, ne le quitta jamais ». — La première entrée de la troisième partie (les faux talents démasqués) dénonçait la fausse politique. « De prétendus philosophes [dit le livret] marchant sur les traces de Machiavel, forment de nouveaux systèmes de politique et sous ombre d'assurer à l'homme une indépendance légitime et naturelle, ébranlent le trône et l'autel par leurs fausses maximes. Les génies de la religion et de la monarchie foudroient ces politiques téméraires ». Au ballet général, « le génie de la sincérité est conduit en triomphe. On luy érige un trophée avec les masques, qu'il a enlevés aux partisans de la duplicité »]. Les Jésuites, outre ces qualités de modération, de simplicité, s'efforçaient d'en développer de plus actives : Renaud, s'emparant de la forêt enchantée après avoir résisté aux séductions du cœur, des sens, de l'imagination qui voulaient l'empêcher d'en faire la conquête, montrait la puissance de l'homme courageux [Note : Ballet de la forêt enchantée] ; le génie de la gloire descendait sur la scène et engageait les spectateurs à se signaler de manière vraie et solide [Note : Ballet de la gloire. Voici, d'après le livret, quelle était l'ouverture de ce ballet : « Tous les peuples de la terre languissans dans une honteuse oisiveté, la gloire descend du Ciel par ordre de Jupiter et les exhorte à se signaler. La Paix, le Dieu Mars, Apollon et la Religion l'accompagnent, pour marquer qu'on peut se rendre recommandable principalement en ces quatre choses : dans la Paix, dans la guerre, dans les sciences et dans la religion ». Au ballet général, la Gloire dansait « au milieu de ceux qui se sont le plus distinguez dans la Paix, dans la guerre, dans les sciences et dans la Religion »] ; le temple de la gloire s'ouvrait devant les yeux des spectateurs, l'émulation « mère des vertus » y conduisit des enfants de diverses nations pour qu'ils rendissent hommage aux grandes âmes qui s'y trouvaient placées, elle engageait ces enfants à les imiter [Note : Ballet du temple de la gloire].
D'autres ballets étaient consacrés à développer l'attachement au roi et à la famille royale : ballet de la destinée du duc de Bourgogne [Note : On voyait dans ce ballet les souverains, sur l'ordre de Jupiter, mettre les marques de leur souveraineté aux pieds du duc de Bourgogne qui venait au monde comblé des bienfaits des dieux. De ces ballets, on peut rapprocher les recueils de pièces inspirées par les événements de la famille royale et les victoires du pays que les Jésuites donnaient en prix à leurs élèves. (Un de ces volumes contient une pièce particulièrement curieuse intitulée « Ad nutricem serenissimi Armoricorum ducis gratulatio ») ; on peut rapprocher encore les faits suivants : en 1729, une fête fut célébrée au collège de Rennes en l'honneur de la naissance du Dauphin (Sommervogel, II, 1466) ; en 1690, à l'occasion de la victoire de Fleurus, le Père Catrou fit un discours consacré à la louange du roi et à celle des Français « in illam Ludovici magni vocem multum se debere Deo quod rex natus sit plus etiam quod rex Galliæ sit natus » (oratio dicta Rhedonis a Patre F. Catrou)], ballet de la naissance du duc de Bretagne, ballet des fêtes à l'occasion du mariage de Louis XV, ballet des fêtes françaises à l'occasion des conquêtes de Louis XV (1745) ; dans le ballet du temple de la gloire, dansé en 1724, le génie de la France montrait « son jeune roy » au premier rang parmi les héros ; les prédécesseurs de Louis XV le regardaient tous avec complaisance et lui assignaient la place, qu'il occuperait un jour après une longue suite d'années et d'actions glorieuses.
Les Jésuites ne se bornaient pas à célébrer la race royale, ils célébraient aussi la patrie ; ils en montraient les gloires (le portrait de la nation française, la gloire de la Bretagne) [Note : « On se contente... icy [dit le livret du ballet « le portrait de la nation française »] de désigner les quatre principaux traits qui forment le caractère du François : 1° son génie pour les modes, 2° son génie pour les armes, 3° son génie pour le commerce, 4° son génie pour les Beaux-Arts. On ajoute pour conclusion l'amour du François envers ses légitimes souverains. C'est un des traits qui lui fait le plus d'honneur et qui la distingue davantage des autres nations ». Le ballet de « la gloire de la Bretagne » célébrait la noblesse bretonne, la bravoure bretonne (en faisant paraître sur la scène les principaux héros : du Guesclin, le sire de Beaumanoir et ses compagnons, Olivier de Clisson) vantait le commerce de la Bretagne, l'adresse des Bretons. — Au ballet général, le génie de l'émulation conduisait la Jeunesse bretonne à l'entrée du temple de la gloire, afin qu'elle apprît « à imiter les vertus qui ont fait la gloire des grands hommes de la province » ; le même génie couronnait de lauriers les collégiens qui avaient mérité des prix], ils en prêchaient l'amour (ballet de l'amour de la patrie [Note : « Le roy des dieux [dit le livret du ballet] forme le dessein de rendre les hommes raisonnables et vertueux ; il leur envoye d'abord la philosophie accompagnée de quelques génies ; mais les hommes rejettent des instructions sèches et austères. La philosophie méprisée est obligée de retourner sur l'Olympe. L'amour de la patrie suivi d'un nombreux cortège de vertus prend sa place. Les hommes l'écoutent, le suivent et lui rendent leurs hommages ». Voici le « dessein » de ce ballet : première partie : vices que l'amour de la patrie fait éviter (l'indépendance et la discorde, la mollesse et l'intérêt particulier, l'injustice et la mauvaise foi) ; seconde partie : bonheur que l'amour de la patrie procure (il rend les hommes heureux par lui-même, il n'y a point de bonheur préférable à celui de vivre dans la patrie, il conduit les hommes à travailler à fertiliser la terre, rien de plus naturel que de chercher à rendre agréable la contrée qu'on habite ; il pousse les hommes à s'adonner au commerce, ils cèdent ce que leur pays a de superflu pour y transporter ce qui lui manque) ; troisième partie : gloire attachée à l'amour de la patrie (le triomphe et l'empire sur les autres nations, l'érection de monuments illustres et durables, la pompe des jeux solennels). Ballet général : « la reconnoissance rapelle aux hommes ce qu'ils doivent à l'amour de la patrie. Tous les peuples se réunissent et remercient Jupiter de leur avoir fait un don qui est pour eux la source de tant de biens ».], ballet de la patrie). En 1752, on joua au collège de Rennes le ballet de la patrie qui était destiné à en montrer les grandeurs ; au ballet général qui termina le spectacle, on vit, dit le livret : « de jeunes citoyens élèves des muses [qui] enchantés de ce tableau y reconnaissent avec plaisir que les principaux traits conviennent à la capitale de leur nation, ils se sentent embrasés d'une nouvelle ardeur pour leur patrie, dans leurs aimables transports ils lui dressent un autel sur lequel ils se dévouent comme autant de victimes prêtes à être immolées pour elle au premier signal. Les peuples des villes principales accourent au bruit de cette nouvelle et se font un devoir d'entrer dans les vues de la capitale. Ils se succèdent au pied de l'autel de la patrie avec les symboles qui les caractérisent, ils jurent une fidélité inviolable et en lui rendant de sincères hommages, ils s'efforcent de mériter ses faveurs » [Note : « Dessin et division du ballet. — Tout l'univers est la patrie du sage ; il est cependant des hommes qui, en donnant des bornes à la patrie, n'en sont pas moins dignes d'être honorés du titre de partisans de la sagesse. Ce sont ceux qui épris d'un amour légitime pour le climat où le ciel les a fait naître, conspirent mutuellement à le purger des vices qui pourroient le déshonorer, à en éloigner l'indigence qui peut le décréditer, à y rappeller le goût qui sert à l'embellir et à y perfectionner les sciences qui le décorent et qui pour remplir des vues si dignes de l'homme et du citoyen, s'efforcent d'y parvenir par la sagesse des loix, par les monuments des Beaux-Arts, par les avantages du commerce et par la culture des sciences, moyens sûrs de rendre une patrie florissante. Tel est le dessein du spectacle que nous présentons à des citoyens connoisseurs. Ouverture du ballet. — Les hommes récemment sortis du sein de la nature erroient dans toutes les contrées du monde, au gré de leurs passions capricieuses et volages : la Patrie entreprend de perfectionner l'ouvrage de la nature et de faire de ces hommes incertains et errans, autant de zélés citoyens, en réunissant un grand nombre dans les différents climats de la terre qu'elle leur affecte pour être désormais leur apanage ; elle se montre avec tous les charmes qui l'environnent ; les hommes dégoûtés de leur vie vagabonde et sauvage se prennent à ses douceurs, se soumettent à ses loix et forment différens peuples ». Il est au moins exagéré de dire avec M. Compayré « l'éducation des Jésuites détourne trop l'attention de l'élève sur des intérêts étrangers aux intérêts immédiats du pays, elle n'est pas assez patriotique ». Compayré, op. cit., t. I, p. 207]. Ne peut-on pas dire, tout en faisant une grande part aux différences, qu'il y a là une certaine ressemblance avec la fête de la Fédération ?
Naturellement, dans ces représentations le côté directement religieux n'était pas oublié ; non seulement dans les tragédies qui, fréquemment, retraçaient des vies de martyrs, mais encore dans les ballets : le ballet des passions, par exemple, enseignait que la religion seule pouvait détruire les passions ou les faire servir au bien.
Evidemment, ces leçons données au théâtre eussent été insuffisantes si elles n’étaient pas venues s'ajouter à un enseignement moral distribué de façon suivie ; mais elles doivent être considérées comme l'illustration des instructions et conseils donnés par les Jésuites à leurs écoliers et l'on peut croire que ce n'est pas sans fruit que, sous une forme attrayante, elles attaquaient les défauts les plus communs, prêchaient les qualités les plus nécessaires.
III
Les élèves du collège Saint-Thomas étaient tous externes, les Jésuites ayant refusé d'établir à Rennes un pensionnat. Des écoliers, les uns appartenaient à des familles de la ville et logeaient chez leurs parents ; d'autres, étrangers à Rennes, recevaient l'hospitalité chez quelque ami ou chez quelque membre de leur parenté (ce fut le cas de Louis Grignion de Montfort) ; d'autres enfin, et cette catégorie était certainement la plus nombreuse, prenaient pension en ville chez des particuliers ou dans des établissements créés pour recevoir les étudiants : « les pedagogies ». Chacun, évidemment, se logeait suivant les ressources dont il disposait et les plus grandes differences régnaient dans l'installation des jeunes gens qui suivaient les mêmes cours d'études. Dans les « Mémoires d'un père », Marmontel a laissé le tableau pittoresque de ces pensions de collégiens, de la vie qu'y menaient en commun les écoliers, y prenant leurs repas, y travaillant livrés à leurs propres forces ou sous la direction et la surveillance du maître de la maison ; ce qui se passait à Mauriac se passait certainement aussi à Rennes. Il est probable que à Rennes, comme dans tant d'autres villes, on voyait dans le même établissement d'instruction l'enfant de famille riche ou aisée que son précepteur accompagnait au collège, aidait dans ses études et le pauvre écolier qui, pour gagner de quoi vivre et étudier, faisait des écritures, balayait, servait ses camarades à table, s'établissait commissionnaire ou se mettait au service d'un gentilhomme, d'un précepteur, d'un pédagogue, d'un bourgeois [Note : P. de Rochemonteix, op. cit., t. II, p. 58 et suiv.].
Le Ratio studiorum recommandait aux externes de garder une conduite sérieuse hors du collège, sous peine de recevoir les verges, ou même d'être exclus de l'établissement [Note : Rat. stud. reg. externorum auditorum societatis. — Voici quelques-uns des avertissements donnés, des recommandations faites aux externes : « Nemo ex nostris discipulis gymnasium cum armis, gladiolis, cultris, aut aliis ejusdem modi, quæ pro locis, aut temporibus interdicta fuerint, ingrediatur. Abstineant omnino a jurejurando, a contumeliis, injuriis, detractionibus, mendaciis, a ludis vetitis, a locis etiam noxis, vel a præfecto scholarum interdictis, denique a rebus omnibus, quæ morum honestati adversentur. Intelligant in iis, quæ ad mores, ac studia bonarum artium spectant, cum præcepta sive admonitiones minus proderunt, magistros correctores opera in ipsis puniendis usuros : qui aut poenas recusarint, aut spem emendationis non ostenderint, aut ceteris molesti, sive exemplo suo perniciosi fuerint, sciant se ex nostris scholis esse dimittendos »]. Quicherat, dans l'histoire du collège Sainte-Barbe, nous dit que ces ordres étaient assez bien suivis et que, de manière générale, le contraste fut grand entre la tenue des externes des Jésuites et celle des autres externes [Note : Cité par le P. de Rochemonteix, op. cit., t. II, p. 83]. Il n'en est pas moins certain que cette multitilde d'écoliers, éloignés de leur famille, livrés en grande partie à eux-mêmes en dehors des heures de classe, menèrent parfois une vie turbulente et il arriva que l'on eut à déplorer les plus graves désordres [Note : P. de Rochemonteix, op. cit., t. II, p. 81 et suiv.].
Nous savons par les souvenirs d'un ancien élève du collège de Rennes que, vers 1690, en rhétorique, le nombre des « libertins n'était pas petit » et qu'ils se permettaient, au collège même, d'insulter ouvertement leur professeur [Note : Vie du Bienheureux Grignion de Montfort, Quérard, Rennes, 1887, p. 70, t. II]. L'abbé Boursoul, alors qu'il était élève du collège Saint-Thomas, s’était laissé entraîner au jeu par l'exemple de plusieurs camarades et y avait laissé l'argent destiné à payer sa pension [Note : Vie des saints de Bretagne, édition Tresvaux, t. V, p. 435 et suiv.]. D'autres témoignages nous apprennent que les élèves du collège de Rennes furent parfois fort turbulents et le Parlement jugea nécessaire d'intervenir.
Le 27 août 1607, la Cour, faisant droit sur les conclusions du procureur général du roi « fit inhibitions et deffenses aux écoliers et estudiants au collège des Jésuites de cette ville d'avoir ny porter épées, dagues, ny autres armes de jour ou de nuit pour quelque cause et occasion que ce puisse estre et aux tripotiers, cabarestiers et toutes autres personnes de prendre en gages ou achepter desdits escaliers leurs livres ou habits sur les peines qui y eschent ; enjoint au Préfet dudit collège de pourvoir qu'il y ait aucuns escolliers vacabons, fait deffenses aux hostes desdits écoliers de les laisser sortir de leurs maisons après les huit heures sur peyne d'en répondre ». Cet arrêt, dont la teneur jette mauvais jour sur la vie menée par les élèves du collège, ou, du moins, par bon nombre d'entre eux, fut publié pour que nul n’en ignorât ; le sénéchal de Rennes et son lieutenant reçurent ordre de se rendre au domicile des étudiants et de se saisir des armes qu'ils y trouveraient [Note : Arch. mun., manuscrit 586-6, registre secret du Parlement, 27 août 1607].
En février 1610, le Parlement sévit de nouveau ; averti « des désordres et insolences que les écoliers commettent la nuit par les rues de cette ville », il leur renouvela l’interdiction « de porter aucunes armes tant de jour que de nuit », il leur défendit de sortir de chez eux après six heures du soir « sur peyne de punition corporelle » [Note : Arch. mun., manuscrit 586-6, registre secret du Parlement, 16 février 1610. Le Parlement « enjoint au sénéchal de Rennes et substitud du Procureur général du roy aux lieux de se transporter présentement aux maisons où lesdits écoliers sont logez, se saisir de leurs armes icelles confisquées et en appliquer les deniers qui en proviendront aux pauvres et de faire visite aux dites maisons une fois la semaine et plus souvent sy besoin est et à tous huissiers et sergents de les asister, prendre et apréhender les contrevenans et les constituer prisonniers, ordonne que le présent arrest sera lu et publié à son de trompe et cry public par les carrefours de cette ditte ville à ce que aucun n'en prétende ignorance ». Nous voyons dans le même registre que le 18 février 1610, la Cour fit « défense à toute personne de porter armes par les rues après six heures du soir, se quereller, battre, injurier, porter masques, faire aucunes insolences sous peine d'amende »]. Au mois de décembre de la même année, le Parlement eut à réprimer de nouveaux excès commis par des élèves du collège qui, de jour et de nuit, couraient les rues, armes à la main ; deux d'entre eux se faisaient particulièrement remarquer : de Lémo qui prenait le titre de « prieur des escolliers » et Veron ; ils avaient oublié depuis longtemps le chemin de la classe. Un certain jeudi de décembre 1610, ils poursuivirent l'épée à la main un nommé Vallier : le Père Préfet s'interposa, ils le menacèrent en blasphémant. Le lendemain, ils blessèrent d'un coup d'épée le censeur de la classe de troisième, parce que l'un de leurs camaredes avait subi une correction. Sur demande de l'avocat général Marc Leduc, la Cour commit un conseiller « pour informer desdits ports d'armes, excès et violences », et ordonna l'emprisonnement de Lémo et Veron [Note : Annales de Bretagne, année 1893-1894, p. 534 et suiv. « Une mutinerie d'écoliers au collège de Rennes en 1629 » par Paul Parfouru. On ne sait quelle suite fut donnée à l'affaire].
En 1629, Rennes vit de nouveau dans ses rues les écoliers en armes ; ils étaient en mutinerie contre l'autorité du collège « voulant par telle voye contraindre le Père Recteur de fermer les classes quand ils veullent » [Note : Pour le récit de cette affaire, nous avons recours à l'article de Parfouru, cité ci-dessus. Parfouru suppose que le complot avait pour but d'amener la suppression de la classe du jeudi matin]. Le Père Recteur porta plainte au Procureur général. Voici les faits : « ce fut un jeudi, le 3 mai 1629, que le complot éclata, les conjurés au nombre de sept et d'extraction noble avaient pour chef un jeune moine Frère Jean Josset. Précédés de deux tambours et d'un fifre qu'ils avaient racolés, ils vinrent se ranger devant la porte du collège l'épée à la main, puis se mirent à frapper quiconque voulait franchir cette porte. Trois de leurs petits camarades, élèves de troisième et de quatrième furent blessés dans la bagarre ». Jean Josset « présenta l'espée au Régent de la logique avec menaces et jurements ». Le Parlement reçut la plainte du Père Dinet, Recteur du collège, enjoignit au sénéchal de Rennes de se saisir des inculpés, de les conduire au Recteur pour qu'il ordonnât « de la correction et chastiment en tel cas requis ». Le sénéchal une fois de plus eut à visiter les logements des écoliers, se saisir des armes qu'il put y trouver ; il fit défense « aux maistres et hostes de leur en soufrir ny recéler, ains dénoncer à la justice ceux qui contreviendront, à peine de demourer responsables des inconvénians qui en pourroient ariver et d'entre punis et multés d'amandes ».
Il est probable que cet ordre ne fut pas mieux exécuté que les précédents, en tout cas, il est certain que l'humeur batailleuse, la turbulence des élèves du collège se montrèrent encore [Note : Le P. de Rochemonteix, t. II, p. 85-86, dit, sans donner. aucune référence : « A Rennes, en 1636, le Parlement dut prendre contre tous ses écoliers des mesures sévères, à cause de la conduite repréhensible de quelques-uns d'entre eux. Il leur fit défense de porter de jour ou de nuit des armes à feu, des épées, des poignards et autres armes, sous peine de punition corporelle et de 10 francs d'amende. Les maîtres de pension ne devaient pas les laisser sortir après huit heures du soir, à peine de 50 francs d'amende. Les jeunes gens chassés de l'externat devaient quitter la ville en trois jours »]. En 1641, en- querelle avec les bouchers, ils se saisirent de deux des pièces de canon qui se trouvaient sur les murs de la ville, les amenèrent « vis-à-vis des Jésuistes chargées de pouldre et de pierre ». Le sieur de la Hurlaye, connétable de Rennes, représenta dans l'assemblée municipale le danger de cet état de choses ; il reçut commandement d'y mettre ordre [Note : Arch. mun., 475 A f° 28].
Les années suivantes, nouvelles plaintes contre les collégiens ; au grand ennui des habitants de la ville qui n'étaient pas, de ce fait, sans courir danger, ils lançaient des pierres avec des frondes. Plusieurs ordonnances de police leur firent défense de continuer ce jeu et rendirent les « pères et précepteurs desditz escolliers et leurs hontes » responsables des accidents qui pourraient arriver. Les élèves du collège de Rennes n'obéirent point à ces ordonnances et, en 1652, le Parlement recevait plainte contre eux. Les délinquants « avec d'autres jeunes hommes » jetaient journellement des pierres, « il en [était] arrivé plussieurs accidans » ; ils s'attaquaient aux Ursulines dont le monastère se trouvait auprès du collège, lançant journellement des pierres dans le jardin et aux fenêtres du couvent, tirant « dès coups d'armes à feu dans les fenestres de leurs chambres [aux religieuses] et es lieux où elles [les religieuses] sont assemblées en péril continuel de leur vie, aians esté tiré des coups qui ont percé leurs fenestres » ; plusieurs religieuses avaient été blessées. Il fallait de nouveau sévir ; les écoliers reçurent défense sous peine de cinq cents livres d'amende « de se battre ny jeter des pierres avec des frondes ou autrement » ; il fut interdit « aux pères, précepteurs et postes desditz escholliers de les soufrir jeter lesdites pierres à peine de demeurer en leurs propres et privez noms responsables tant de ladicte amande que des inconvenians qui en pourroint ariver » [Note : Arch. départ., 2 H3 80].
L'année 1675 présenta aux écoliers une belle occasion de s'agiter ; ils ne manquèrent pas de la saisir et se mêlèrent au moins dans une certaine mesure, à la révolte du papier timbré. Le Jeudi de Pâques 18 avril, les Rennais, en émeute, s'étaient portés en masse sur les bureaux du timbre, les avaient saccagés ; le jeudi suivant, alors que la ville semblait devoir être plus tranquille, « les mêmes séditieux, gens de la lye du peuple, trouvèrent moyen de soulever les écoliers », tous ensemble se transportèrent à Cleunay, y incendièrent le temple protestant. Le sieur de Coëtlogon, fils du gouverneur, qui commandait la ville en l'absence de son père, se rendit à Cleunay « avec ce qu'il y avait de noblesse » à Rennes. Ils virent le temple en ruines ; les coupables s'étant dispersés, ils ne purent se saisir que d'un écolier de la classe de cinquième et d'un homme, boulanger de son état, qu'on emprisonna dans la conciergerie de la cour. Les collégiens et le reste de « cette canaille mutine » menacèrent de mettre le feu à la conciergerie qui était située au cœur de la ville.
Le Marquis de Lavardin, lieutenant général pour le roi en Bretagne, qui venait d'être envoyé à Rennes pour y rétablir l'ordre, n'ayant pas de gardes en nombre suffisant, fit commandement « à quelques capitaines de [la] ville de mettre gens en armes pour faire le guet jour et nuit pour prévenir le malheur dont on estoit menacé ». Ces menaces des écoliers ne furent pas mises à exécution, peut-être parce que l'élève de cinquième qui avait été emprisonné fut presque aussitôt relâché ; mais le procureur du roi demanda que l'on recherchât tous ceux qui, directement ou indirectement, avaient participé à l'incendie du temple et sans nul doute tous ceux que l'on put arrêter furent sévèrement punis [Note : Arch. mun., manuscrit 586-19, registre secret du Parlement, 27 avril 1675. En 1653, le temple protestant avait été incendié par « quelques écoliers et habitants de Rennes » qu'avait irrités l'attitude des protestants pendant la procession de la Fête-Dieu. Association bretonne, 1875. — Mémoires, p. 152 et suiv.].
On peut affirmer, ou tout au moins présumer, que les écoliers furent nombre d'autres fois en butte à des pousuites. En 1756, plusieurs personnes portèrent plainte contre des coureurs de nuit qui commettaient des désordres dans la ville, le Parlement en prit occasion pour enjoindre « aux pères et mères et maîtres de pension d'empêcher leurs enfans et pensionnaires de sortir après 10 heures du soir » [Note : Arch. mun., manuscrit 586-34, registre secret du Parlement, 18 août 1756] ; c'est qu'il savait que bon nombre de ces « enfans et pensionnaires » étaient susceptibles de troubler la tranquillité publique. Cette turbulence des écoliers tenait certainement, pour une grande part, à leur nombre considérable, et à ce fait que beaucoup d'entre eux, une fois hors du collège, n'étaient que peu surveillés.
(Geneviève Durtelle de Saint-Sauveur).
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