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Projet de transfert du Collège de Rennes à la province d'Aquitaine

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En 1616, il est question d'unir le collège de Rennes à la province d'Aquitaine. En 1619, le Père Vitelleschi, Général de la Compagnie, s'y décide. Les Rennais mécontents lui opposent une vive résistance. Il expose les raisons de sa conduite. Les bourgeois de Rennes ne se laissent pas toucher. Le Père Général essaye en vain des mesures de conciliation. Jésuites de Bordeaux envoyés à Rennes en 1622. Le Père Vitelleschi se décide à abandonner le collège de Rennes. Supplique des bourgeois. Intervention du Roi. Le collège de Rennes reste uni à la province de France.

Pendant que s'édifiaient les bâtiments du collège de Rennes, un grave différend s'éleva entre la Compagnie de Jésus, qui voulait le transférer de la province de France à celle d'Aquitaine, et la Communauté de ville qui se refusait à admettre ce changement. L'existence du nouvel établissement se trouva même en jeu ; c'est de cet événement que, revenant en arrière, il nous faut entreprendre le récit.

En 1614, la Compagnie de Jésus ne comprenait encore en France que quatre provinces : celles de Lyon, de Toulouse, de Bordeaux et celle de Paris ou de France qui était de beaucoup la plus étendue ; les collèges s'y étaient tellement multipliés qu'il était impossible au Provincial de visiter chaque année toutes les maisons de son ressort. Pour obvier à cet inconvénient, le P. Aquaviva, Général des Jésuites, d'une partie de cette, province, en créa en 1616 une nouvelle : celle de Champagne, qui comprit les régions de Champagne, Bourgogne et Lorraine. La province de Paris restait encore beaucoup plus grande que les autres et il avait été question de céder, au moins pour un temps, le collège de Rennes à la province d'Aquitaine dont le ressort était le plus petit [Note : Arch. départ. Hist. de la fondation, p. 148 et p. 149. Aquitan. Epist. general. t. 1612-1642. Lettre au Père Moussy, 9 août 1616].

Ce projet avait été abandonné, non par suite des réclamations des Pères de la province de France, mais parce qu'il ne parut pas alors utile au bien général de la Compagnie [Note : Ibid. Lettre au Père de la Renaudie, 27 juin 1617. P. Prat. Recherches sur la Cie de Jésus. t. V. p. 367, mémoire du Père Coton écrit en 1616 (« de ratione et modo provinciarum S. J. Constituendarum in Gallia »). Le Père Coton dit : « Postulat ergonunc provincia Franciæ ut tandem hæ provinciæ quinque erigantur ne perpetuo fluctuent domicilia cum incommodis notis et charitatis læstone ». Les bourgeois de Rennes devaient reprendre quelques-unes des objections faites par les pères de la province de France au projet de transfert du collège de Rennes à la province d'Aquitaine. Les Jésuites de la province de la France disaient : « inter Rhedones et Pictavienses tronsitus est per collegium Flexiense quod nulla ratione alteri provincia adjungi potest ». V. plus loin, « In adjugendis collegiis (faisaient remarquer les Jésuites de la province de France) magna est habenda ratio morum et humorum qui reperiuntur in variis unius galliæ oris quod factum fuit in provinciarum distributione ; magna enim parlamentorum, ut, quoad fieri poterit, non disjungantur ». La province de France, du reste, désirait garder tous ses collèges dans son ressort et trouvait des raisons pour que aucun ne lui fût enlevé]. Il fut repris en 1619, et le 21 mai, le Père Vitelleschi écrivit au Père de la Renaudie à Bordeaux et au Père Jacque Moussy que le collège de Rennes, dont ce dernier était recteur, dépendrait désormais du Provincial d'Aquitaine [Note : Aquitan. Epist. General. t. 1612-1642. Lettre au Père de la Renaudie, 27 juin 1617]. Il écrivit en même temps au Père Charlet, provincial de France, qu'il pourrait retirer de ce collège les Pères qui préféraient ne pas changer de provinçe, mais doucement et quand ils seraient facilement remplacés par des Pères d'Aquitaine. Il lui recommanda surtout de bien faire comprendre aux étrangers qui se plaindraient de cette mesure, que la Compagnie ne cherchait en cela que la plus grande gloire de Dieu, et le moyen de travailler plus utilement au salut des âmes [Note : Franc. Epist. General. t, 1612-1619. Lettre au Père Charlet, 21 mai 1619].

A peine la nouvelle du changement de province fut-elle connue à Rennes qu'il y eut comme un soulèvement général de la population, excité par les personnages les plus influents de la ville. Le Corps municipal décida « que ladicte entreprinse sera opposée par toutes voies et en tous endroitz et qu'il ne sera délibéré d'aucune affaire touchant le collège des Jésuistes de cette ville pour le bastiment de la chapelle ou autre chose quelconque jusques à ce que la Communaulté soit pleinement assurée que ledict collège demeurera en la province de France » [Note : Arch. mun., liasse 285. Extrait des registres du greffe de la Maison Commune].

Le Père Moussy, qui était gascon, fut accusé d'être l'instigateur de cette mesure et de l'avoir obtenue par surprise ; mandé en l'assemblée de ville pour entendre les plaintes des bourgeois, il promit, sur la prière qui lui en fut faite, « de rescrire au Révérendissime Père Général et de faire en sorte que l’on recepvroit tout contentement » [Note : Ibid. Franc. Fundat. Collegior t. II n. 84. Lettre du chancelier du Parlement de Rennes au Père Sirmond, 15 nov. 1619]. Le Père Général, informé de la résistance que rencontraient ses ordres, écrivit le 10 septembre au Père Arnoux, lui demandant d'intervenir avec prudence auprès de l'évêque, afin qu'il interposât son autorité pour calmer l'irritation de ses diocésains [Note : Cf. Galliard épis. general. ad externos t. 1613-1672. Lettre à l'évêque de Rennes, 10 septembre 1619]. Il le pria même de prévenir le roi de ce qui se passait, et de lui remontrer combien les prétentions des opposants seraient nuisibles à toute la Compagnie en France, si leur exemple était suivi par les habitants des autres villes.

Jamais jusque-là, ajoutait-il, on n'avait entendu dire que des séculiers se fussent mêlés de ce qui concernait le gouvernement des ordres religieux. D'ailleurs, l'autorité du Général une fois méconnue, qui répondrait de la stabilité du corps entier ? « Enfin que Votre Révérence le sache bien [disait-il en finissant] mais qu'elle n'en parle à personne, je suis résolu à dissoudre le collège de Rennes, plutôt que de permettre qu'il ne soit pas attribué à la province d'Aquitaine. Vous pouvez juger d'après cela quel soin vous devez apporter à régler une affaire que j'ai tant à cœur » [Note : Franc. Epist. general. t. 1612-1619. Lettre au Père Arnoux, 10 septembre 1619].

Le même jour, le Père Vitelleschi adressa au Père Moussy deux autres lettres, l'une pour le premier président au Parlement de Rennes, l'autre pour le Corps municipal et les habitants de la ville, avec liberté de les remettre aux destinataires ou de leur exposer de vive voix ce qu'elles contenaient comme il le jugerait meilleur. Le Père Général, supposant qu'on avait mal interprété, sa pensé à propos de la mesure qu'il avait ordonnée, développait dans la lettre aux bourgeois toutes les raisons qui avaient dicté sa conduite. Il montrait qu'elle était conforme aux usages de la Compagnie, et apportait comme exemples les différents changements opérés entre les Provinces de France à la suite de la septième Congrégation générale. En agissant ainsi, disait-il, il avait consulté non seulement le bien commun, mais les intérêts particuliers du collège de Rennes destiné à devenir encore plus important qu'il ne l'avait été jusque-là. Il y avait dans la Compagnie de Jésus un seul et même esprit, une même manière de vivre, une même méthode d'enseignement indépendante de toute nationalité, de manière qu'en quelque lieu de la France ou du monde qu'ils étaient appelés à vivre, les Jésuites, en suivant leur Institut, ne formaient qu'une seule famille, une seule maison. En finissant, le Père Vitelleschi suppliait les habitants de Rennes de croire à sa sollicitude pour les intérêts de leur collège qui, en changeant de province, ne perdrait rien de sa splendeur [Note : Galliar épist. general ad externos t. 1613-1672. Arch. mun., liasse 285, lettre du Père Vitelleschi aux habitants de Rennes. « ... Parisiensis [provincia] enim qua tria parlementa complectebatur Parisiense videlicet maxima ex parte, Britannicum et Normannicum adeo vasta erat, et numerosa, multiplicatis nempe domiciliis ut ejus gubernatio annuaque visitatio uni provinciali non modo per difficilis sed pene impossibilis redderetur. Contra autem Provincialis Aquitania facilis et commoda ob domiciliorum paucitatem. Nec est qui ignoret alias religiosas Britanniæ familias junctas esse Pictavensibus, eoque modo suas ab iis constitui provincias. At nostræ tamen esse debent ampliores, quia non æque facile ac plerique alii regulares ordines Coltegia admittimus, aut multiplicamus domicilia ; favebat insuper illi, quam dixi transcriptioni assiduum commercium Aquitanos inter et Britones ob ejusdem utrosque alluentis maris oceani tractum communemque ultro citroque commeandi et merces convehendi facultatem favebat et mutua utriusque parlementi communicatio Aquitanis enim placet lites suas evocare ad Britannicum parlamentum et contra. — Quam et facilem communicationem inter utramque provinciam indicat senatorum ille numerus qui et Pictavensi provincia locum habet in parlamento britannico... Cæterum nostris in provinciis et domiciliis non modo Galliæ sed totius etiam terrarum orbis, idem omnes profitemur Institutum, eundemque tenemus vivendi modum, iisdem regulis utimur, eademque docendi ratione, et omnes cujusque demum sint nationis ad hæc omnia se accommodare student cum illius gratia qui habitare facit unius moris in domo. Ita maxime curatur doctrinæ conformitos eademque ubique methodus scientiarum tradendarum erudiendæque juventutis. Hæc porro cum ita sint, manifeste liquet magno nostræ gubenationis commodo, nullo autem collegii vestri detrimento factam esse quam dixi collegii translationem. Rogo itaque et obtestor III DD. VV. eam mihi permittant curam, sibi polliceantur ab ea, quæ me premit sollicitudine gratificandi vestris omnium votis et meritis, nihil splendoris decessurum Collegio quin potius accessurum ornamentum.. ». Le Père Coton, dans son mémoire de 1616, dont nous avons parlé plus haut disait : « translatio collegiorum de provincia in provinciam [solet] et nostris et externis parere molestias unde variæ oriuntur querimoniæ quæ obsunt bono nomini societatis... »].

Les membres du Corps de ville ne se laissèrent point convaincre par les explications, ni toucher par les prières du Père Général ; dans la lettre qu'ils lui adressèrent le 8 novembre (1619), ils rappelaient les bienfaits dont les Jésuites leur étaient redevables, combattaient les raisons que leur avait exposées le Père Général. Ils protestaient, toutefois, n'avoir eu jamais « intention ny désir » de troubler en quoi que ce soit « l'ordre et l'économie » de la Compagnie et, persuadés d'êtré, en leur qualité de fondateurs, fondés à faire réclamation, ils attendaient avec une robuste confiance que le Père Vitelleschi, renonçant à ses projets, leur adressât une réponse conforme à leurs désirs [Note : Arch. mun., liasse 285. Lettre du Corps de ville au Père Vitelleschi. « ... Il n'y a Communauté en France qui ait apporté le soing et l'affection ny supporté la despance que nous avons faicte pour les bastiments et dotation et accommodation des votres et cela soit dict sans jactance ny vanité mais seullement pour fidellement représenter aux yeux de votre Reverance la narration de ce que c'est passé sur ce subject... Paris est notre Athènes, c'est le séjour de nos rois où nous sommes et tous nos compatriottes journellement appellez aucuns pour les affaires publiques les autres pour les privées et particullières, lesquelles y sont sans nombre ce que l'on a faict entendre à votre Révérance pour les évocations des affaires de la Justice au Parlement de Bordeaux sont pures supositions... Toutes ces y suposées considérations que ceux qui traversent notre repos ont donné à entendre à votre Révérance ne touschent et ne peuvent préjudicier aux contract que nous avons faict avecq les vôtres auquel la première et principalle considération est l'affection des fondateurs à laquelle ne peut estre desrogé sans leur consentement puisque la fondation est laïque et sa Sainteté mesmes l'a tousjours ainsy observé et a voulu donner ce contentement et ceste consolation aux fondateurs lesquels votre Révérance à son exemple trouvera bon s'il luy plaist de n'auctoriser aucun changement et laisser notre collège soubz la province de France la visitation n'en sera pas plus pénible que au passé au R. P. Provincial lequel venant à La Flèche n'a plus que deux journées pour arriver à Rennes »].

De son côté, le chancelier du Parlement de Rennes écrivait au Père Jacques Sirmond à Paris et lui disait : « Nostre province de Bretaigne ayant été unye au royaume de France et domaine du roy, nous avons sur toutes choses chéry cette union, et vivons en telle correspondance d'humeur avec les François que la plus forte considération qui nous convia de désirer l'établissement de ceux de vostre Compaignye en nostre colleige, ce fut de voir et entendre les promesses qu'on nous faisoit qu'il demeurerait de la province de France, et que nos consciences et nos enfans seroient gouvernez par des Pères et Régens françoys... de sorte que [ajoutait-il] ce changement ayant esté faict avecq tant de mépris de Messieurs [de la ville] qui sont les patrons et fondateurs et qui en effect en demeurent perpétuellement seigneurs propriétaires, ilz ne pouvoient souffrir une telle atteinte à leur honneur » [Note : Franc. Fundat. collegior. t. II n. 84. Lettre du 15 novembre 1619. Parmi les raisons qu'apportaient les Rennais pour s'opposer au changement de province, il faut citer les critiques qu'ils faisaient de la prononciation gasconne : « notre collège est principalement peuplé de Bas-Bretons qui viennent icy autant pour s'instruire en la langue françoysse qu'en la latine, le Gascon, le Limousin, le Périgourdin et l’Angoumoisin ne sont pas capables d'enseigner le françoys lequel ils ne peuvent prononcer intelligiblement et ne pouroit le faire qu'ils ne causassent du désordre comme arriva y a quelque temps dans la chapelle de notre collège... » (lettre des bourgeois et habitants) ; « ... il seroit impossible que ceux de la Basse-Bretaigne aprendroient à bien parler françoys ny à bien prononcer le latin avec des regentz gascongs, périgourdins, limousins ou autres de ladite province qui parlent sy mal et ont un si mauvais accent que les plus versez comme le Père Moussy ne se peuvent faire entendre que difficilement, que comme cela est fort important pour les escolliers, il l'est encore plus pour le commun peuple qui va à confesse ou qui veult estre esclarcy de quelque chose de sa conscience » (lettre du chancelier du Parlement). Ce sont peut-être ces dires et d'autres semblables qui ont fait écrire à Marteville les lignes suivantes, qui contiennent une erreur de date et une erreur de fait. « En 1622, il s'éleva sur la prononciation des élèves de singulières discussions ; les Jésuites, voulant déraciner dans la jeunesse une manière de parler traînante et chantante qu'elle a encore aujourd'hui, demandèrent à leur Général de nouveaux professeurs qui eussent un meilleur accent. Le Général envoya des Pères de Bordeaux. Grande fut l'émotion de la ville : on allait, disait-on, faire gasconner les Bretons. La Communauté crut devoir refuser les portes du collège à ces pervertisseurs de la prononciation, et déclara qu'elle voulait des Jésuites de la province de France sans quoi elle fermerait son établissement ; on céda à ces observations. » (Rennes ancien, Rennes moderne. Ogée et Marteville t. I p. 235)]. — Cette lettre moins « plaine de douceur » que celle des membres de la Communauté de ville, disait nettement que si l'on n'obtenait pas satisfaction, on plaiderait au Conseil du roi.

En vain le Père Général fit-il entendre à Messieurs de la ville que le titre de fondateur ne leur donnait aucun droit à s'immiscer dans l'administration du collège ; que les princes et les rois eux-mêmes laissaient aux supérieurs religieux le libre gouvernement de leurs maisons, parce que ceux-ci seuls savaient ce qui convenait le mieux à telle Province ou à tel collège ; qu'on ne pouvait rien arguer de ce que le contrat de fondation avait été passé avec le Provincial de France, car les Provinciaux n'agissent qu'au nom du Père Général, qui n'admettrait pas qu'une clause expresse ou tacite le privât de sa liberté d'action [Note : Aquit. Epist General. t. 1612-1642. Lettre au P. Moussy, 9 octobre 1620].

Messieurs de la ville étaient résolus « de ne souffrir aucunement un tel changement et de venir plustost à touttes autres extrémitez » [Note : Franc Fundat. collegior. t. II n. 84]. Quelque-uns voulaient qu'on en vînt aux voies de fait et qu'on chassât de la ville le recteur du collège qui, disait-on, avait une grande part de responsabilité dans le projet du changement de province. L'émotion était générale à Rennes ; « quelques gens de la lie du peuple animez, par les discours qu'ils avaient entendus en vinrent jusqu'à l'insulter [le Père Recteur] en pleine rue et la chose alla si loin que le Père jugea à propos de ne plus sortir de la maison. Elle ne fut plus bientôt un asile assuré pour lui. On l'y vint chercher exprès pour l'outrager ». Informé de qui se passait à Rennes, le Père Général « crut devoir pour un temps céder à l'orage » [Note : Arch. départ. Hist. de la fondation p. 159 et suiv.] et nomma le Père Moussy, visiteur de la province de Champagne [Note : Hist. collegii.Campan. Epist. General t. 1616-1640. Lettre au Père Moussy, 5 juin 1620], le Père Charles de la Tour, vice-recteur du collège de Rennes, et le Père Ignace Armand, qui était très aimé et considéré des Rennais, visiteur de la Province de France. Il espérait ainsi arriver plus facilement à calmer les esprits [Note : Arch. départ. Hist. de la fondation p. 163. Franc Epist. General. t. 1619-1628. Lettre aux Consuls et aux habitants de Rennes, 20 janvier 1620. Lettre au Père Armand, 9 mars 1620].

Dans ses instructions au Père Armand, le Père Vitelleschi lui recommanda de ne pas en appeler à l'autorité du roi, comme quelques-uns l'avaient conseillé ; une telle contrainte ne servirait qu'à exciter de nouveaux troubles. Il devait plutôt essayer de la persuasion, en exposant la justice de la mesure et les avantages qu'en retirerait la ville elle-même. Si les habitants, n'écoutant aucune raison, demandaient ou le retour du collège à la province de France, ou le départ des Pères, alors seulement il déclarerait qu'il ne convenait pas que la Compagnie s'éloignât sans l'autorisation du roi, puisque les collèges n'étaient érigés en France qu'avec sa permission. En ce cas, disait le Père Vitelleschi, on se contentera d'exposer à Sa Majesté l'état de la question sans aucune récrimination, afin que l'on comprenne bien que nous agissons ainsi non par animosité, mais pour éviter le reproche d'avoir négligé ce recours dans une affaire de si grande importance [Note : Ibid. Lettre au Père Armand, 20 juin 1620].

Le Père Visiteur, dans ses rapports avec les habitants de Rennes, usa d'une grande modération, mais il se heurta à un entêtement qu'aucune considération ne parvint à surmonter. Il dut avertir le Père Vitelleschi qu'on n'avait aucun espoir d'arriver à une entente à l'amiable. « Puisqu'il en est ainsi [lui écrivit le Père Général] et que nous avons fait de notre côté ce que nous avons pu, il ne nous reste plus qu'à examiner ce qui, dans une si grave question où tant d'intérêts sont en jeu, mérite d'être fait pour le bien de la Compagnie et la gloire de Dieu » [Note : Franc. Epist General. t. 1619-1628. Lettre du 15 octobre 1620. Arch. départ. Hist. de la fondation p. 163].

Une circulaire fut envoyée à tous les Provinciaux de France, afin de savoir si l'on devait garder ou abandonner le collège de Rennes. La plupart des consultes des provinces furent d'avis qu'il ne fallait pas le quitter avant d'avoir tout tenté pour le conserver [Note : Franc. Fundat. Collegior t. II n. 88, 93. Ibid. Campan. Fundat. collegior. t. II n. 32, 33. Franc. Epist. Général. t. 1619-1628. Lettre au Père Arnoux, 23 août 1621]. Sur le conseil du Père Général, le Père Visiteur écrivit aux habitants qu'il avait demandé une solution, mais qu'on avait besoin d'examiner encore la question, et qu'on espérait que tout s'arrangerait pour le mieux [Note : Franc. Fundat. Collegior t. II n. 88, 93. Ibid. Campan. Fundat. collegior. t. II n. 32, 33. Franc. Epist. Général. t. 1619-1628. Lettre au Père Arnoux, 23 août 1621]. On comptait beaucoup pour terminer le différend sur la sagesse et la prudence du Père Coton qui devait prêcher à Rennes les stations d'Avent et de Carême [Note : Franc. Epist. Général. t. 1619-1628. Lettre au P. Armand, 23 août 1621].

Cependant, la Communauté de ville et le Général des Jésuites étant bien résolus à ne pas abdiquer, on devait tôt ou tard se retrouver en lutte ouverte.

Le 30 août 1621, dans l'assemblée du Corps municipal, le procureur syndic exposa aux bourgeois que « des personnes d'honneur et de qualité » lui avaient fait savoir que « dans peu de jours les Pères Jésuites faisaient venir le Provincial de Gascoingne pour les visiter et par mesme moien… à la sourdine introduire et exécuter le changement contre l'ordre de la Communauté ». Le Corps de ville résolut de s'adresser au duc de Vendôme, gouverneur de la province ; alors à Rennes, à l'évêque et aux plus anciens membres du Parlement pour leur demander aide dans cette occurrence [Note : Arch. mun., 485 A. f° 39r°]. C'est, sans doute, vers ce moment que prit place le curieux incident raconté par le manuscrit de l'histoire de la fondation.

Le Père Vitelleschi aurait donné ordre au Provincial de Bordeaux d'envoyer à Rennes quelques Jésuites de sa région pour qu'ils se missent en état de commencer les classes à la Saint Luc 1622. Les bourgeois eurent connaissance de ce projet et même furent informés du jour où les Bordelais devaient arriver à Rennes ; ils firent dès le matin fermer toutes les portes du collège et y mirent des sentinelles pour empêcher l'entrée. Des députés de leur Corps allèrent recevoir les nouveaux venus à la porte de la ville « leur firent l'accueil le plus gracieux et les conduisirent dans une maison qu'on leur avait destinée et ou l'on avait préparé toute sorte de rafraîchissements » ; mais, déclarant que la Communauté de Rennes ne consentait point au changement voulu par le Père Général, leur ordonnèrent de s'en retourner incessamment dans leur province. Restant courtois et hospitalier jusque dans son inflexibilité, le Corps de ville permit, « avec plaisir », aux religieux de demeurer quelques jours à Rennes pour se délasser de leur voyage, il prenait à son compte tous les frais de leur séjour. Les Jésuites furent fort surpris, mais ils ne virent pas d'autre parti possible que d'obéir à « Messieurs de Rennes ». « Après avoir été régalez magnifiquement le soir de leur arrivée et le lendemain aux dépens de la Communauté et en avoir reçu toutes les civilitez imaginables, ils se remirent en chemin le jour suivant pour se rendre en leur province ».

Le Père Général apprit avec chagrin cette nouvelle et, résolu à ne pas compromettre l'indépendance de son Institut, prit le parti d'abandonner le collège. Le Père Armand fit connaître aux habitants la décision du Père Vitelleschi et déclara qu'on l'exécuterait au mois d'octobre suivant (1622) [Note : Arch. départ. Hist. de la fondation, p. 164 à p. 169]. Les bourgeois de Rennes ne se déconcertèrent pas (ils avaient l'espoir tenace) et, le 16 juillet 1622, pour tâcher de le gagner, ils écrivirent au Père Général, dont, depuis deux années qu'ils lui avaient envoyé leur première lettre, ils n'avaient point eu de réponse directe. Ils lui disaient :

MONSIEUR ET TRÈS RÉVÉREND PÈRE,
« La rigueur du décret de la translation de notre collège en la province de Guyenne, par aucuns obtenue de vostre révérance, il y a quelques années, à nostre grand domage, après avoir par deux fois informé votre révérance de nos justes ressentimens et de l'estat véritable des choses, sans avoir esté de sa part honoré d'une response aux nostres dernières escriptes, il y a plus de deux ans, nous avons faict résoudre de ne la plus importuner de nos escripts.., et outre tesmoigner en tous lieux et à toutes occurances l'amertume de la douleur qui nous presse, d'avoir avecq tant d'affection estably parmy nous des personnes religieuses qui nous causent une disgrâce si sensible, au lieu de la consolation que nous en attendions en nos adversités, et dont leur profession et condition semblaient debvoir estre un piège très assuré.

Nous avions encore arresté de ne délibérer ny résoudre aucune chose pour le bien et avancement de l’establissement non encores accomply des vostres, ny rien faire à leur contantement, que nous n'eussions au préalable obtenu responce favorable de vostre révérance, touchant le gouvernement de nostre collège selon l'ordre enxien (ancien) soubz la direction du Provincial de France. Néanmoins le regret que ce nous seroit de laisser passer l'occasion qui ne se peult recouvrer de tesmoigner en la sollennité de la canonisation des bienheureux fondateurs de vostre société [Note : En 1623, les bourgeois de Rennes, nous le dirons plus loin, s'unirent aux Jésuites, pour fêter la canonisation de St Ignace et de St François Xavier] ; et nostre piété en l'endroict des saints et nostre affection (cest obstacle levé) envers deux qui marchent sur leurs pas, nous a conviés à nous despartir de l'une de nos susdictes résolutions, et sesmondre encores une fois vostre révérance, et la suplier instamment comme nous faisons de ne voulloir différer davantage de donner remède à un mal qui nous travaille extraordinairement, et que le temps augmente plustost qu'il ne le diminue ; mal qui par son opiniastre longueur cause du scandal, et qui en vieillissant aigrist les esprits au détriment de la religion... » [Note : Fran. Fundat. collegior, t. II n. 98].

Cette lettre montrait le mécontentement du Corps de ville et la vive affection qu'il portait aux Jésuites. Tardant à recevoir une réponse du Père Vitelleschi, les membres de l'Assemblée municipale envoyèrent à Paris un député qui vint à bout de parler au roi Louis XIII et le conjura de parer le coup préparé aux Rennais [Note : Arch. départ., Hist. de la fondation, p. 168]. « On a toujours cru que les Jésuites de Paris, qui n'étaient pas fâchez que le collège de Rennes fust de leur province et qui étaient sensibles à la constante affection des nobles bourgeois furent les premiers a en parler à Sa Majesté » [Note : Ibid. p. 169 « une autre tradition nous apprend que le Père Charles de la Tour, vice-recteur de Rennes favorisait sous mains Messieur de ville et que la chose ayant été découverte dans la suite il encourut pour ce sujet la disgrâce de son Général »]. Quoi qu'il en soit, la Communauté de ville reçut satisfaction ; Louis XIII écrivit au Père Vitelleschi le 19 juin 1622 :

MONSIEUR LE GÉNÉRAL,
« J'ay esté averty par le Père Seguiran comme vous estiez sur le poinct de faire commandement à tous les religieux de vostre Ordre, qui sont dans ma ville de Rennes, d'abandonner le dict collège, pour certaines considérations qui regardent le bien de vostre Compagnie et le gouvernement d'icelle, sur l'opposition faitte par les habitans de ladicte ville à ce que le dict collège fut de la province de Guyenne, ainsi que vous l'avez ordonné et comme j'ay esté mary de cette contradiction des dits habitans qui ne doivent s'immiscer en ce qui est du gouvernement religieux, désirant d'ailleurs que tous mes sujets, de quelque province qu'ils soient, vivent en bonne paix, union et concorde les uns avec les autres, j'auray bien agréable aussy que le dict collège ne soit point abandonné par vos dicts religieux, ains qu'ils y continuent d'instruire la jeunesse comme ils ont fait jusques icy en ayant bon nombre en la ville de Rhennes, capitale de mon duché de Bretagne : ce que j'ay bien voulu vous faire sçavoir par cette lettre, affin que vous ne passiez outre en cette délibération, faisant surseoir l'exécution de vostre dicte ordonnance, laissant le dict collège sous la province de France comme, il a esté jusques icy, et je donneray ordre que vostre Compagnie n'en puisse recevoir aucun préjudice, selon l'affection et bonne volonté que je luy porte, et ce soing que je veux prendre de tout ce qui la concerne.

Priant Dieu, Monsieur le Général, qu'il vous ayt en sa sainte et digne garde » [Note : Arch. Prov. Franciæ].

Le Père Vitelleschi, en recevant la lettre du roi, ne souleva aucune objection et se mit en devoir d'exécuter immédiatement sa volonté [Note : Epist. General. ad diversos t. I. 1584-1632; Lettre du Roi de France, 14 août 1622]. Il fit aussitôt savoir aux Provinciaux de France et d'Aquitaine que le collège de Rennes était rendu à son ancienne Province [Note : Franc. Epist General. t. 1619-1628. Lettre au Père Armand, 15 août 1622. Aquit. Epist General, t. 1612-1642. Lettre au Père Coton, 29 août 1622]. Le 13 septembre, 1622, le Père Recteur vint en l'Assemblée de la maison commune présenter une lettre du Provincial de France. Le Père Armand disait aux bourgeois que le roi avait fait connaître au Père Général son désir de voir le collège de Rennes rester attaché à la Province de France : le Père Vitelleschi accédait aux désirs de Louis XIII dont il avait reçu l'assurance que la Compagnie de Jésus n'aurait rien à souffrir du retour à l'ancien état de choses. Les membres de la Communauté furent satisfaits et ajoutèrent, sans aucun doute, foi aux dires du Père Armand dont ils transcrivirent la lettre sur leur registre de délibérations, cependant ils décidèrent de n'y répondre que quand ils auraient reçu du Père Général une missive en conformité avec celle qui venait de leur être transmise.

Le 14 octobre, le Père Recteur leur remit une lettre du Père Vitelleschi datée du 29 août 1622 ; une traduction française en fut lue en l'Assemblée municipale et couchée sur le registre [Note : Arch. mun., 485 B. f° 94. Le Père Armand se présente en l'assemblée. Copié de sa lettre. Ibid. f° 112v°, présentation de la lettre latine du Père Général f°s 116, 117, traduction de cette lettre]. Le Père Vitelleschi répondait aux habitants de Rennes qu'il s'étonnait de leurs plaintes, car non content de répondre à leurs lettres, il leur avait envoyé un visiteur qu'ils n'avaient pas voulu écouter. S'il y avait eu scandale, il ne fallait point l'imputer à ceux qui avaient usé raisonnablement de leurs droits, ou continué l'exercice de leurs ministères en supportant patiemment les injures et les opprobres. Quant à la crainte d'être dépossédés du collège, elle ne pouvait émouvoir des hommes qui mettent au-dessus de tout, avec le bien général et la plus grande gloire de Dieu, l'intégrité de l'esprit de leur institut. Et la preuve, c'est qu'il avait résolu d'abandonner le collège, lorsque le roi très chrétien, au désir duquel il déférait, venait lui-même de prendre l'affaire en mains. Il priait les membres du Corps de ville et les habitants de Rennes de ne plus apporter aucun obstacle au bon gouvernement d'un ordre religieux approuvé par les Souverains Pontifes et les rois très chrétiens. Du reste, leur disait-il, le passé est oublié : vous pouvez donc continuer de compter sur ma bienveillance et sur le dévouement des Pères de la Compagnie qui n'exerceront fructueusement leurs ministères que dans les limites de l'obéissance et en restant fidèles à l'esprit de l'Institut.

Les Rennais auraient vu avec peine leur collège attaché à la Province d'Aquitaine, mais on peut croire qu'ils furent surtout mécontents de ce que ce changement avait été projeté sans qu'on les consultât, et de ce qu'on voulait le réaliser en dépit de leur résistance ; ils se jugeoient lésés dans leurs droits [Note : Le manuscrit de l'histoire de la fondation s'exprime ainsi pp. 170-171 « La matière en était importante [de ce différend] et il était fondé sur des raisons qui ne manquaient pas de vraisemblance. Ils [les bourgeois de Rennes] poussèrent, peut-être trop loin les choses dans la manière de se deffendre. Mais à qui, en pareil cas, n'aurait-on pas lieu de faire le mesme reproche ? Est-il si aisé, surtout lorsqu'on croit sérieusement avoir raison de se tenir constamment dans les bornes d'une défense modérée ? Au reste, ce sujet de la dispute ne dut pas déplaire aux Jésuites de la province de France. Je ne scais mesme si, par un retour de reconnaissance, ils n'applaudirent pas en secret à leur victoire ». Rappelons que ce manuscrit est certainement l'œuvre d'un Jésuite]. En réalité, ce différend entre les Jésuites et la ville reposait sur une question de principes ; d'un côte, les privilèges des fondateurs paraissaient en jeu, de l'autre, l'indépendance d'une congrégation religieuse risquait d’être atteinte. La question était délicate et pouvait être grosse de conséquences. Les Jésuites, sans doute, s'inclinèrent devant le vouloir du roi, mais, à l'égard de la Communauté de ville, ils gardèrent toute leur dignité et, dans les termes les plus élevés, proclamèrent leur droit à être régis par leur chef spirituel [Note : Arch. mun., 485 B. Lettres du Père Général et du Père Armand. Voici un fragment de la lettre du Père Armand : « Il a pleu à Sa Majesté pour le soign que luy plaist prendre de nos affaires de luy faire entendre [au Père Vitelleschi] qu'il désirait qu'il laisse le collège à la province de France et qu'il donnerait bon ordre que cela n'aurait aucune conséquence. Il le faict donc et me commende par ses dernières du quinziesme du moys passé de reprendre la charge de ce collège et le tenir au nombre de ceulx de la province de France et veux que nous vous servions avecq aultant d'affection et plus sy faire se peult que jamais et que pour luy il oublie tout le passé comme sy jamais ne feust rien avenu, se confiant néanltmoins que ce qui est passé ne serbira jamais d'argument ny d'exemple pour vous immiscer plus librement en ce qui concerne le gouvernement de nostre Compaignye qui est ce que plus il a redoubté en toute ceste procédure et qui aporterait ung grand dommaige à nostre Compaignye ains traisnerait après soy sa totale ruyne ; pour le bien de vostre collège, vous avez interrest que nous nous conservions en la pureté et intégrité de nostre institut et nous ne prétendons que cela ». Le Procureur du Roi syndic Le Meur en proposant en 1762 un plan d'éducation émit l'affirmation erronée suivante. « L'acte de la fondation [du collège], ne fut passé que le 9 octobre 1606. Des contestation survenues entre la Communauté de Rennes et le Général des Jésuites qui voulait attacher ce nouvel établissement à la province d'Aquitaine furent cause de ce retardement »].

(Geneviève Durtelle de Saint-Sauveur).

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