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LA VILLE DE RENNES TRAITE AVEC LES JESUITES |
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I. — De nombreux collèges sont confiés aux Jésuites dès le XVIème siècle. Sur l'initiative de quelques particuliers, la Communauté de Rennes les appelle, en 1586, pour tenir le collège Saint-Thomas. Projet de contrat, en 1587. Les Jésuites sont bannis du royaume à la suite de l'attentat de Jean Chastel.
II. — Sur la demande des Rennais, Henri IV, par ses lettres patentes du 28 février 1604, permet aux Jésuites d'ouvrir à Rennes un collège. On s'occupe de doter cet établissement. Un projet de contrat est dressé entre la ville et la Compagnie de Jésus. Ouverture des classes.
III. — Différend entre le Corps de ville et le Général des Jésuites au sujet de la ratification du contrat. L'impopularité, près de la Communauté, du vice-recteur du collège, aggrave le malentendu. Les Rennais se passionnent pour cette affaire. Le Corps de ville paraît disposé à céder, mais le vice-recteur invoque l'autorité du Parlement. Déplacement du vice-recteur. Le Père Pérard qui lui succède gagne les sympathies. L'évêque de Rennes et plusieurs notables usent de leur influence pour aider à promouvoir l'accord. Après quelques difficultés, un contrat est signé entre la ville et les Jésuites, le 9 octobre 1606. La ville n'avait pas cessé de témoigner aux Jésuites, depuis qu'elle les avait appelés, un réel attachement.
Note : Tout ce qui n'est pas signalé dans les notes a comme source l'histoire de la Fondation du Collège, manuscrit conservé aux Archives départementales d'Ille-et-Vilaine, série F, fonds La Bigne-Villeneuve. A noter que la Compagnie de Jésus est un ordre religieux catholique fondé en 1540 par saint Ignace de Loyola. Le jésuite est un religieux, vivant en communauté, animé par la spiritualité d’Ignace de Loyola.
I.
C’est en 1604 que le collège Saint-Thomas fut confié aux Jésuites, mais, depuis plusieurs années, les bourgeois de Rennes demandaient à ces religieux de s'y établir. Les Jésuites étaient, aux XVIème et XVIIème siècles, les meilleurs instituteurs de la jeunesse ; leur dévouement, leurs talents professionnels, la gratuité de leur enseignement incitaient non seulement des catholiques, mais encore des protestants à leur confier leurs enfants [Note : « Les Jésuites », Bœhmer Monod, p. 227, 228, 232].
Dès 1580, quatorze collèges étaient en France dirigés par des Jésuites ; la Compagnie de Jésus, pour s'établir dans les villes, « n'avait pas même d'avances à faire, on la réclamait de toutes parts » [Note : Histoire de la Compagnie de Jésus en France. R. P. Fouqueray, t. II, p. 304]. Il n'est donc point étonnant que les Rennais, soucieux de l'instruction et de l'éducation chrétienne de leurs enfants, désireux de relever leur collège, se soient adressés à cet ordre célèbre.
Pierre Bernard de Bouchères, qui devait plus tard donner deux de ses fils à la Compagnie de Jésus, M. Pigeon de Maisonneuve et quelques autres habitants de la ville, eurent, les premiers, la pensée de traiter avec les Jésuites et mirent en œuvre tous les efforts de leur zèle pour la réaliser. En 1586, ils prièrent M. de la Muce, président au parlement, et M. de Bréquigny, sénéchal, d'employer leur influence à la réussite de cette affaire importante. L'évêque, Mgr Hennequin, non content de donner ses éloges aux promoteurs du projet, s'engagea de plus à en assurer le succès par le don d'une rente annuelle de 400 écus. Imitant cette générosité, l'abbé de Saint-Melaine, Mathurin de Montalays, promit, à son tour, un revenu de 800 francs, plus une forte somme pour les frais de l'ameublement ; son secrétaire, M. Yves Vineau, offrit un prieuré simple de 150 écus et prit à sa charge les travaux nécessaires « pour faire venir en la basse ville, et jusqu'au dit collège, l'eau de la tour le Bart » [Note : Arch. mun., registre 469, f° 147].
L'approbation et le concours des plus hauts personnages répondant aux désirs de la population, il ne restait qu'à remettre aux autorités de la ville la direction de l'entreprise. Le 25 août, fête de Saint Louis, roi de France, une assemblée des magistrats et des notables fut convoquée par le gouverneur, René de Marcq, seigneur de Montharot [Note : Montbarot, gouverneur de Rennes, était protestant ; il fut cependant « un de ceux qui marquèrent le plus d'empressement pour faire réussir l'entreprise et il promit de l'appuyer auprès du roi de tout son crédit » Arch. départ. d'Ille-et-Vil., Histoire de la fondation du collège, p. 8]. Parmi les personnalités qui délibérèrent en sa présence, remarquait : François Chauvière, vicaire général, représentant l'évêque et le chapitre ; Rodolphe Martin, conseiller du roi, lieutenant civil et criminel du présidial de Rennes ; Raymond Martin, aussi conseiller du roi et avocat au même présidial ; Mathurin Bonnan, écuyer ; Jude de Saint-Pern, seigneur de Ligouyer, connétable ; Raoul Ledo, procureur syndic de la ville ; Yves du Vineau, secrétaire de l'abbé de Saint-Melaine ; François Pigeon de Maisonneuve ; Robert Bernard de Brosses ; Pierre Bernard de Bouchères.
Ces messieurs et tous les autres notables réunis en grand nombre entendirent d'abord lecture des « articles » présentés par M. de la Muce ; « et le faict mis en délibération, et de ce faict longuement parlé et devisé, et veu les offres ja faictes en et par lesdits articles... », ils furent d'avis « que l'offre soit acceptée ».
Voici d'ailleurs le résultat de leurs longues et sérieuses délibérations : 1° On établira des Jésuites au collège de Rennes et le soin des négociations sera confié à une commission ; 2° On leur offrira un revenu annuel de 3.000 livres qui pourra s'accroître par la libéralité des habitants ; 3° On leur donnera « in perpetuum » le prieuré de Saint-Thomas et l'on gravera au-dessus de la porte, avec le nom de Jésus et les armes du roi et de la ville, cette inscription : « Collegium urbis inclytæ Rhedonensis amplissime restauratum » [Note : Arch. mun., registre 469, f° 147].
L'assemblée vota ensuite de vifs remerciements à Mgr l'Evêque, à l'Abbé de Saint-Melaine et à M. de la Muce, en reconnaissance de leur généreuse initiative. Elle nomma aussi des commissaires qui, munis de pleins pouvoirs, devaient faire toutes les démarches voulues auprès des Pères Jésuites et se rendre favorables le clergé du diocèse et les habitants des communes voisines. Ces commissaires, sans perdre de temps, se mirent à l'œuvre. Ils écrivirent au P. Clément du Puy, qui remplissait alors à Paris les fonctions de vice-provincial, de leur envoyer un prédicateur avec lequel ils pourraient, pendant sa station, traiter l'affaire du nouveau collège. Le P. du Puy, pressé par deux lettres qu'il reçut du Corps de informa le Père Général de la demande des habitants, [Note : Galliæ Epist. Lettre du P. Élément du Puy au P. Général, 13 nov. 1586] puis promit à ceux-ci de se rendre à Rennes aussitôt après les fêtes de Noël. A son arrivée, il fut accueilli avec honneur et conduit à la maison du Sénéchal ou il reçut l'hospitalité. Pendant qu'il prêchait à la cathédrale le Carême de 1587, les négociations se poursuivirent sans interruption. Le mardi de Pâques, dernier jour d'avril, on signa un contrat de fondation dont l'approbation était réservée au Père général. Les conditions proposées dans l'assemblée du 25 août 1586 furent maintenues et quelques nouvelles conventions furent ajoutées. Les Jésuites devraient disposer d'un personnel de 30 personnes, avoir trois classes de lettres et deux de philosophie. Trois mois avant l'ouverture du collège, ils jouiraient du prieuré de Saint-Thomas et de ses droits, et aussi du revenu annuel de 3.000 livres déjà mentionné. La ville leur procurerait 4.000 écus pour l'achat de maisons voisinnes, du mobilier et de la bibliothèque. Mais ils devraient eux-mêmes construire, à leurs frais, de nouveaux bâtiments à leur convenance et, dans la suite, les entretenir sans plus exiger de la Communauté de Rennes ni des élèves. Si toutefois les cinq classes susdites ne devaient pas suffire, on y suppléerait à l'aide de nouveaux revenus. En attendant, les Pères offraient de donner gratuitement un cours de morale, dit de « cas de conscience ». Quant aux pensionnaires, ils pourraient en confier le soin à des hommes éprouvés, sur lesquels ils garderaient néanmoins la suprême autorité. Au sujet de l'église, on ne prenait pour le moment aucune décision, remettant à plus tard ce que pourraient « inspirer les circonstances » [Note : Historia colligii Rhedonensis mss (Francia Fund, colleg., t. II, n. 70). Le Manuscrit de l'histoire de la fondation, Arch. départ., dit que, aux termes du contrat de 1587, les Jésuites devaient entretenir cinq classes de lettres (dans ces cinq classes, l'auteur compte, peut-être, les, deux classes de philosophie) ; on déciderait plus tard s'il y aurait des classes de théologie. Sept ou huit prêtres devaient gouverner le collège, prêcher, confesser, visiter les malades et faire autres bonnes œuvres ; « pour cela ils demanderaient les pouvoirs à M. de Rennes ou à ses grands vicaires ». Pour entretenir les trente Jésuites qui devaient résider au Collège, la ville donnerait 4.500 livres de rente en espèces, jusqu'à ce que l'on eût des fonds produisant même revenu. Si le nombre des Jésuites augmentait, la ville donnerait une somme de 150 livres de rente pour chacun des nouveaux venus. L'enseignement devait être gratuit. Histoire de la fondation, p. 21, 22].
De ce traité, trois copies furent faites et l'une d'elles fut envoyée à Rome, au Père général. En attendant sa réponse, les Etats de Bretagne approuvèrent, le 1er octobre 1587, l'établissement projeté et, pour y aider, s'engagèrent à donner 3.000 livres [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vil., série C., 2705, f° 69]. Les délégués de l'Hôtel de Ville s'ingénièrent à trouver des fonds et, par des quêtes faites à domicile, ils parvinrent à réunir une somme assez ronde qu'ils employèrent à l'achat de maisons et terrains destinés aux futurs travaux de l'église.
Un an se passa sans qu'aucune réponse arrivât de Rome. « Je crois, dit l'auteur d'une ancienne notice, que les dispositions du traité ne plaisaient guère à notre Révérend Père Général ». Cependant le P. Michel Boërius vint prêcher à Rennes l'Avent de 1587 ; lui et ensuite le P. Pierre Vela, dans ses prédications de l'Avent de 1588 et du Carême de 1589, gagnèrent l'estime des habitants et entretinrent avec eux les plus sympathiques relations.
Tout promettait donc que les vœux de la ville ne tarderaient pas à s'accompir quand survinrent les guerres de la Ligue dont la fin fut plus tardive en Bretagne que partout ailleurs. A peine l'apaisement se faisait-il, qu'on apprit dans le royaume le malheureux attentat de Jean Chastel, sur la personne du roi, son rapide procès, sa condamnation et le bannissement des Jésuites qu'il avait proclamés innocents jusque dans les tortures de son dernier supplice [Note : V. les procès-verbaux des interrogatoires d'après les plumitifs du parlement, publiés dans l'Histoire de la Compagnie de Jésus en France, R. P. Fouqueray, t. II, p. 721 et suiv.], à l'heure même de paraître devant Dieu. A Rennes, au milieu de ces événements tragiques, non seulement il ne fut plus question de conférer à la Compagnie de Jésus la direction du collège, mais, de plus, les commissaires qui avaient été chargés de préparer les voies furent en butte aux tracasseries, de quelques gens mal intentionnés ; on leur intenta des procès ; on les força à rendre l'argent qu'ils avaient recueilli et à revendre à vil prix les maisons et jardins qu’ils avaient achetés. Enfin, comme si la fatalité s'attachait à cette louable entreprise, l'évêque, Mgr Hennequin et l'Abbé de Saint-Melaine, deux de ses plus ardents et généreux promoteurs, moururent. Tout était à recommencer.
II
Il fallut attendre que l'évidence de la vérité et le bon sens du roi Henri IV rendissent à la Compagnie de Jésus un éclatant témoignage de son mérite et de son innocence ; au mois de septembre 1603, l'édit de Rouen parut, rappelant les exilés et leur permettant d'établir de nouveaux collèges dans le royaume. La capitale de la Bretagne possdait encore quelques survivants de la première tentative, M. Yves du Vineau, devenu archidiacre de Dol, M. Pierre Bernard de Bouchères et plusieurs autres ; ils sentirent se ranimer leurs espérances. Vers la fin de cette année 1603, Jérôme Chauve! des Nouettes, avocat au Parlement de Rennes et procureur de la ville, se trouvant pour affaires à Paris, profita des favorables dispositions du roi et sollicita, au nom des ses concitoyens, l'ouverture d'un collège de Jésuites. Grâce a la bienveillante intervention du célèbre Père Coton, le monarque se laissa facilement persuader. « Considérant [dit-il dans les lettres patentes qu'il donna le 28 février 1604] qu'en toute l'estendue de nostre païs et duché de Bretaigne il n'y a aucun desdits collèges et qu'il y est autant ou plus nécessaire qu'en nulle province de nostre royaume... Nous, pour satisfaire à la très instante supplication et requeste que nous en ont faicte nos chers et bien amés les nobles bourgeois manans et habitans de nostre dicte ville de Rennes, avons permis par ces présentes à ladite Société et Compagnie des Jésuites pouvoir establir ung collège en ladite ville, composé de tel nombre de personnes d'icelle société qu'ils verront y entre nécessaire pour le service divin et instruction de la jeunesse aux bonnes lettres tant d'humanité, philosophie que théologie... Et afin que lesdits habitants ayent moyen d'accommoder lesdits Jésuites, nous voulons qu'ils puissent et leur soit loisible de leur bailler et laisser leur collège de Saint-Thomas en ladite ville, et pour l'agrandir de prendre les jardins et maisons proches et adjacentes pour y bastir une chapelle et autres choses nécessaires, en payant les propriétaires du prix d'icelles de gré à gré... » [Note : Patentes du 28 février 1604. Monumenta Hist. Galliæ, 1565-1604. Arch. mun., liasse 283].
Ces lettres patentes furent enregistrées au Parlement de Rennes, le 23 juin 1604. Le 24 juillet suivant, à la suite de deux assemblées du clergé, le nouvel évêque, Mgr Larchiver, auàsi bien intentionné que son prédécesseur pour les Jésuites qu'il avait connus à Rome, écrivait au Père général pour le supplier d'autoriser un établissement que le roi approuvait, que le diocèse réclamait ardemment. « j'espère, lui disait-il, un grand secours de ces excellents coopérateurs pour m'aider à porter la charge de cette église que Dieu et le Saint-Siège m'ont confiée, et je ne manquerai pas de seconder de toutes mes forces les nobles seigneurs de cette province dans la réalisation de leur entreprise » [Note : Traduit de l'original italien, Francia, Fund, colleg., t. II, n. 74].
Ce pendant, il fallait, comme la première fois, réunir des fonds pour la dotation du collège, les frais de l'aménagement et des constructions. Le clergé réuni en synode décida, sur la proposition de l'évêque, que chaque ecclésiastique payerait double décime pendant un an, ce qui produirait 10.000 livres [Note : Arch. mun., liasse 283]. M. Yves du Vineau, heureux de renouveler ses libéralités, céda les deux prieurés de Saint-Martin, de Noyal et de Notre-Dame de Livré [Note : Le premier dépendait de l'abbaye de Saint-Melaine et le second de l'abbaye de Saint-Florent, près Saumur, dont l'abbé était alors le Cardinal de Joyeuse qui consentit à l'union de ce bénéfice au collège de Rennes, sur la demande du Père Coton. Nous verrons plus loin surgir des difficultés au sujet de la possession du prieuré de Livré. Il est intéressant de remarquer que Yves du Vineau donnait ces prieurés « ea tamen lege et conditione, ut dictum gymnasium et seminarium Divi Thomæ a dictis reverendis potribus societatis Jesus in perpetuum possideatur administretur et regatur. ». Autrement ils retourneraient aux abbayes dont ils faisaient partie ; la bulle du Pape les donna au collège à ces mêmes conditions. Hist. de la fondation., Arch. départ., p. 35], dont il était commendataire. Au mois d'août (1604), le Père Ignace Armand, provincial de la province de France, décida de se rendre à Rennes accompagné du P. Charles de la Tour. La ville se fit un si grand honneur de les recevoir qu'elle députa plusieurs commissaires pour aller à leur rencontre et les accompagner depuis La Flèche jusqu'à la cité bretonne. Aussitôt des pourparlers eurent lieu afin d'arrêter le règlement d'un nouveau contrat. Il différa en quelques points du premier : la ville promit 1750 écus de revenu pour 35 personnes, c'est-à-dire 50 écus par tête ; elle s'engagea de plus à faire tous les frais d'achat du terrain, des constructions et de l'ameublement. La Compagnie de Jésus devait donner 8 professeurs, six d'humanités, deux de philosophie, et ouvrir trois ou quatre classes dès la Saint-Luc suivante. En rendant compte de son voyage au Père général, le Père de la Tour lui disait que le Père Provincial n'aurait pu s'abstenir de faire cette dernière concession sans s'exposer à mécontenter toute la ville. Naturellement ce traité n'était pas définitif, il ne pouvait être conclu que sous le bon plaisir du Père Aquaviva, alors supérieur général de la Compagnie de Jésus. Nous verrons qu'il n'en fut pas satisfait et en avertit aussitôt le Père Armand ; mais celui-ci crut plus sage de ne pas donner tout de suite communication de cet avis.
Pour l'instant, on ne songeait plus qu'à ouvrir les classes. Le Père Mathieu Doujeat, nommé vice-recteur du nouveau collège, arriva vers la fin d'août avec le Père Paul Robert. Ils furent reçus avec la plus grande joie, et, le 30 du même mois mis en possession du prieuré de Saint-Thomas par René Le Meneust, seigneur de Bréquigny, sénéchal [Note : Le 30 août, quand on mit les Jésuites en possession du collège, on y trouva Jean Clairet (sic) et on lui ordonna de remettre les clefs aux Jésuites, puis on les lui rendit, lui donnant un délai de huit jours « pour ôter les meubles lui appartenant et remplir l'inventaire de ceux qui lui furent donnez lors de son entrée au dit collège ». Histoire de la fondation, Arch. départ., p. 44, 45]. D'autres Jésuites vinrent les rejoindre peu à peu ; ce fut d'abord un groupe de cinq, envoyés de Pont-à-Mousson, le Père Guillaume Gérard, Maître Louis Mairat [Note : On nommait ainsi les régents qui n'avaient pas encore reçu le sacerdoce], Maître Jean Foissée et deux frères coadjuteurs ; puis un peu plus tard arrivèrent de Bourges les Pères Guillaume Derlot et Antoine Colus.
Le 18 octobre, à la Saint-Luc, eut lieu l'ouverture des trois classes promises ; six cents élèves étaient présents. C'était un magnifique début. L'évêque célébra pontificalement la messe dans l'église du collège, devenue trop petite ; la foule des assistants était si considérable, disent les « lettres annuelles », que l'église ne pouvait les contenir ; malgré la pluie qui ne cessa de tomber pendant toute la cérémonie, elle resta à la porte de l'édifice tenant à témoigner, par sa présence, la part qu'elle prenait à la commune allégresse. Maître Louis Mairat, professeur de la première classe, prononça un discours où il traita du rétablissement de la Compagnie de Jésus avec une élégance de style et une étendue d'érudition qui furent très remarquées [Note : Recherches historiques et critiques sur la Compagnie de Jésus en France du temps du Père Coton. 1564-1626 par le Père J.-M. Prat, S. J. t. II p. 304].
Voulant confirmer de si heureux commencements, les Etats de la Province, réunis au mois de décembre, accordèrent à la ville, pour la construction des classes, une somme de 12.000 livres à condition de graver au-dessus de la principale porte les armes de France et de Bretagne [Note : Arch. départ. d'Ille-et-Vil., série C. 2705 f° 69. Le 7 décembre 1604 les Etats de Bretagne accordent 12.000 livres pour aider à la construction du collège. Les Jésuites voulaient avoir le maniement de ces 12.000 livres mais on l'accorda à la Communauté de Rennes qui s'était obligée à bâtir et doter le collège]. Un peu plus tard, au début de 1605, la ville obtint aussi du roi un secours pécuniaire destiné aux frais des bâtiments [Note : En 1601, le corps municipal avait obtenu de lever pendant neuf ans le « devoir du sol et liard » (imposition d'un sol sur chaque pot de « vin étranger » débité dans les cabarets et d'un liard sur chaque pot de vin breton, cidre, bière) pour payer les dettes de la ville. Au commencement de 1605, il obtint qu'une partie des fonds ainsi obtenus fût employée à bâtir le collège des Jésuites et la maison des Capucins], et la même année un chanoine de Rennes, Georges Lebel, céda le prieuré de Sainte-Marie de Bregain, en La Boussac, sur les fruits duquel il se réservait seulement une pension de 300 livres [Note : La ville avait déjà cherché à unir le prieuré de Brégain au collège. L'affaire n'avait pas réussi, soit que le prieur eût refusé son consentement, soit que des oppositions se fussent produites à Rome. Depuis cette époque, le prieur Fernand Vivien avait résigné le prieuré en faveur de Georges Lebel chanoine de Rennes. Lebel avait accepté dans l'espoir de réunir ce bénéfice au collège ; quand il en eut pris possession, il fit connaître son dessein aux bourgeois et aux Jésuites pour qu'ils en écrivissent à Rome. Le 20 septembre 1604, René Vanier, recteur doyen de Feins proposait aux bourgeois l'union de ce bénéfice au collège des Jésuites ; il se contenterait d'une pension qui lui serait servie à titre de vicaire perpétuel. (Arch. mun. liasse 290). Il ne fut pas donné suite à cette proposition ; les Rennais qui avaient pendant longtemps souhaité ce bénéfice, étaient-ils découragés par les ennuis dont il avait pour eux été la cause ?. Mais surtout, il faut remarquer que René Vanier (Pouillé de Rennes t. Iv p. 586) était, à la cure de Feins, le compétiteur de Julien Mouazan qui en avait pris possession le 7 août 1604. Le corps de ville se rendit compte, sans doute, qu'il avait peu de chances d'entrer en jouissance du bénéfice de Feins et préféra ne pas se lancer dans une entreprise hasardeuse et qui pouvait être coûteuse].
III.
Tandis que maîtres et élèves se livraient avec ardeur aux travaux de l'année scolaire, un différend s'éleva entre « messieurs de la ville » et les premiers supérieurs de la Compagnie de Jésus, au sujet de la ratification du contrat. Le Père général ne pouvait pas accepter la formule dressée, au mois d'août 1604, comme contenant plusieurs clauses contraires à l'esprit de l'institut. Il y avait d'abord une double question de fond : la modicité du revenu et la promesse d'un pensionnat. Le revenu était à peine celui que l'on exigeait pour « les petits collèges », c'est-à-dire ceux ou l'on n'enseignait que la grammaire, les humanités et la rhétorique. Or la ville réclamait, en plus, des classes de philosophie ou un « collège moyen » ; si elle persistait à s'en tenir à cette subvention, disait le P. Aquaviva, ces deux cours devraient être supprimées [Note : Voici comment la cinquième « congrégation générale » (1593) dans son décret 87 avait réglé les fondations de collèges pour toute la Compagnie : Petits collèges. Enseignement : grammaire, humanités, rhétorique. Personnel 30 religieux (prêtres, scolastiques et frères coadjuteurs) Revenu : 10.000 livres. Collèges moyens. Enseignement : outre les belles lettres, la philosophie qui comprend la logique, la métaphysique, la morale, la physique et les sciences mathématiques. Personnel : 60 religieux. Revenu : 15.000 livres. Grands collèges, Enseignement : Outre les belles lettres, et la philosophie, il comprend la théologie, les langues hébraïque, chaldaïque et syriaque, même l'arabe, le sanscrit et les autres langues orientales en faveur de ceux qui en font une étude spéciale ou qui se destinent aux missions du Levant. Personnel : 100 religieux. Revenu : 20.000 livres. Histoire de la Compagnie de Jésus en France (R. P. Fouqueray), t. I, p. 596]. Quant au pensionnat, il le refusait absolument, même confié à des séculiers sous la haute autorité de la Compagnie. Si nous l'avons accepté dans d'autres villes, c'est à contre-cœur, il ne faut donc pas en parler dans le contrat [Note : Le Père Aquaviva refusait aussi d'admettre quelques autres articles moins importants du projet de contrat ; il ne voulait pas que l'on spécifiât que l'enseignement serait gratuit, que l'on fit mention des capacités requises chez les régents. De ces points, les Constitutions de la Compagnie, la conscience des supérieurs devaient être les seules règles].
Sur ces points, il eût été facile de s'accorder. Mais il y avait en outre une question de forme, plus subtile. Si la Compagnie de Jésus, en établissant, un collège, a besoin de revenus fixes pour l'entretien du personnel, elle n'entend pas cependant faire rétribuer les ministères spirituels que les prêtres attachés à la maison pourront exercer, ce serait aller directement contre l'ordre formel de saint Ignace qui a voulu que tous ces ministères : prédications, missions, confessions, messes, services des malades ou des hôpitaux, fussent absolument gratuits. Or, dans le contrat, on avait mis en regard du revenu offert par la ville le détail de ces diverses fonctions sacerdotales auxquelles les Pères, professeurs ou autres, se livreraient comme ils ont coutume de le faire partout ailleurs ; dans ces termes, la Compagnie semblait donc être tenue en vertu d'une obligation stricte alors que, de fait, elle ne pouvait que promettre de s'en charger de bonne volonté. En conséquence, le Père Aquaviva demandait qu'on enlevât la mention des ministères spirituels. Les fondateurs ne comprirent pas ou ne voulurent pas comprendre que cette différence dans les termes ne diminuerait en rien les charges auxquelles les Jésuites s'engageaient ; ils montrèrent une certaine défiance et s'enfermèrent dans une résistance opiniâtre aux remarques du Père Général.
Tout d'abord leur surprise fut grande quand, revenant à Rennes au commencement du Carême de 1605, le Père Ignace Armand leur proposa les changements exigés ; mais, ce contrat, dirent-ils, ne contient-il pas tout ce qui a toujours été convenu entre nous ? Et, sans tenir aucun compte de ses explications, ils se plaignirent longuement au Père Général, dans une lettre datée du 20 avril, que le Père Provincial « ait voullu changer, voire oster du tout la plupart des articles et conventions encore que nous les eussions reçus de sa main, et faire un contrat auquel il n'y ait eu que de l'obligation de nostre costé » et ils ajoutaient: « d'aultant que nous n'avons jamais rien faict en cette affaire quie sellon ce qui nous avoit esté premièrement proposé par le défunct Père Du Puix, ce qui avoit esté trouvé fort bien faict par le Révérend Père Coton et puis après par ledit Armand, Père Provincial, qui y avoit ajouté ce que bon lui avait semblé, — qu'il n'y a rien aux dites conventions qui n'ait esté meurement délibéré, accordé, arresté et homologué par la court de Parlement comme légitime et fort juste, nous n'avons pensé nous debvoir despartir des articles et conventions ainsy proposés et reçeus par ledit Père, ni souffrir aucune altération d'icelle par un nouveau [contrat], duquel d'ailleurs l'on voullait encore suspendre l'effect par la promesse d'une ratification future » [Note : Lettre des Bourgeois de Rennes au Père Général, 20 avril 1605. Francia Fund. colleg., t. III, n. 75].
Tout cela était fort exagéré ; les bourgeois de Rennes savaient que les projets de contrats dressés avec les Provinciaux devaient être soumis à la ratification du Général et celui-ci ne demandait que trois modifications importantes, toutes les trois très sages : un nombre de clases proportionné au revenu, le silence sur la question des pensionnaires et sur celle de la désignation des ministères spirituels. Il semble donc qu'il eût été très simple de se soumettre tout de suite et c'est probablement ce qui serait arrivé sans la présence du Vice-Recteur du collège, le Père Dougeat. Pour une futilité, ou plutôt par suite d'une calomnie, il s'était aliéné l'esprit de quelques bourgeois influents qui voulaient absolument le faire déplacer.
Laissons le Père Ignace Armand, Provincial, raconter lui-même la chose au Père Aquaviva. Il lui écrivit à la date du 26 mars 1605 : « En arrivant à Rennes, j'y ai trouvé nos affaires en fort mauvais état. Il faut chercher la cause de tout le mal dans un minime incident. La municipalité ayant voulu faire apposer sur la porte de la chapelle les armes de la ville gravées sur une pierre, les Pères demandèrent que l’on mit d'abord au-dessus le nom de Jésus et les armes du roi. On ne les écouta pas et les ouvriers continuèrent leur travail sur l'ordre du Corps de ville sans vouloir attendre aucune délibération à ce sujet.
Alors, pendant la nuit, un Père, par trop zélé, montant sur une échelle, arracha et jeta par terre la pierre sculptée. La chose connue dans la ville y souleva d'étranges rumeurs mêlées de commentaires peu obligeants. Le Parlement, au contraire, approuva fort l'acte du Père qui lui parut un hommage au roi.
A ce moment, les Etats de la Province se réunirent sous la présidence de M. de Poncarré. Celui-ci, instruit de ce qui s'était passé, loua également la conduite des Jésuites. Mais tous ces éloges ne firent qu'irriter les bourgeois compromis dans l'affaire. Leur aigreur s'envenima encore sur un mot faussement attribué au P. Dougeat qui aurait dit que le roi n'était pas fidèlement servi en Bretagne. Le Père nie catégoriquement avoir jamais parlé de la sorte, mais telle est l'exaspération de ces Messieurs qu'il est impossible de l'apaiser. Ils ne veulent plus qu'une chose: que je change le Père Vice-Recteur. Ils s'étaient même imaginé que c'était mon intention ; mais quant à mon arrivée ils virent que je n'y songeais pas, que mène je l'excusais, ils eurent recours à un autre prôcédé pour me forcer la main. Quand je leur parlai de rédiger le contrat dans la forme que vous m'avez envoyé, je n'ai jamais pu avoir d'eux aucune réponse nette, et d'après leurs propos dont l'écho me revint, je sus que je n'obtiendrais jamais rien tant que le Père Dougeat serait à la tête du Collège » [Note : Lettre du Père Armand, 26 mars 1605, traduit de l'autographe latin (Francia Epist. ad Generalem, t. I, n. 1)].
Les voyant dans ces mauvaises dispositions, le Père Armand n'insista point ; il régla les affaires domestiques, consola et encouragea la Communauté, puis il partit pour La Flèche où l'appelaient les devoirs de sa charge. Il ne voulut pas, d'ailleurs, déplacer tout de suite le Père Dougeat : c'eût été offenser le roi qui, ayant appris l'incident de l'inscription, avait ouvertement manifesté sa satisfacction pour le zèle des Jésuites à l'égard de la couronne ; c'eût été aussi un précédent fort dangereux au début d'un établissement de céder aux premières plaintes d'étrangers réclamant l'éloignement d'un supérieur, enfin c'eût été donner tort à un religieux qui n'était nullement coupable [Note : Lettre du Père Armand, 26 mars 1605, traduit de l'autographe latin (Francia Epist. ad Generalem, t. I, n. 1)].
Cependant les bourgeois de Rennes, mécontents de voir le Père Provincial quitter la ville sans avoir changé le Vice-Recteur, ni rien conclu dans leur sens pour le contrat, gardèrent leur mauvaise humeur. Au mois de juillet (1605), ils reçurent une lettre du Père Général qui s'efforçait de leur prouver sa bonne volonté à leur égard et ce que leurs exigences avaient de peu raisonnable : sa bonne volonté était rendue assez claire par la permission qu'il avait donnée d'ouvrir les classes et d'exercer les ministères de la Compagnie avant la constitution complète du revenu et l'achèvement de l'installation nécessaire aux professeurs ; pour ce qui était du contrat, il les suppliait de s'accommoder des clauses et de la formule conformes aux règles de l'ordre et acceptées par toutes les autres villes.
Rien n'y fit, les fondateurs du Collège s'obstinèrent à garder la première rédaction. Comme l'affaire regardait toute la ville, le différend du Corps municipal avec les Jésuites fit grand bruit et fut, pendant quelque temps, le sujet de toutes les conversations. On s'animait, on prenait parti, tout en convenant assez généralement qu'il n'y avait en tout cela rien d'assez essentiel pour faire manquer une affaire d'aussi grande conséquence que l'établissement des Jésuites. Le jugement du public, l'influence de quelques personnages notables, la réflexion, enfin, ruinèrent, peu à peu, chez bien des membres de la Communauté de ville l'attachement aveugle au projet de contrat de 1604. Bientôt les bourgeois de Rennes, à l'exception d'un petit nombre, furent disposés à faire au moins quelques-uns des changements réclamés par le Père Aquaviva ; le Père Dougeat voulut engager Messieurs du Parlement (il avait gagné l'estime de plusieurs d'entre eux) [Note : Sans doute à la suite de l'incident qui vient d'être exposé] à se servir de leur autorité pour réduire les Rennais à céder aux demandes du Père Général. Ils refusèrent, mais le Corps de ville qui avait appris la démarche du Père Vice-Recteur fut fort mécontent et on crut que, entre lui et les Jésuites, « tout était rompu sans ressource ».
Au bout de quelque temps, la Communauté de Rennes, qui, si elle se montrait tenace et ne comprenait pas les résistances du Père Aquaviva, désirait fort traiter avec lui, présenta cependant un nouveau projet de contrat ; il était conforme aux désirs du Général sauf en deux points : il fixait à 30 le nombre des Jésuites qui devraient résider au Collège [Note : Le Père Aquaviva avait déclaré qu'il n'appartenait pas à la ville de spécifier combien de Jésuites demeureraient au collège, elle pouvait seulement demander qu'on y ouvrit un certain nombre de classes. Hist. de la fondation. Arch. départ., p. 60] et faisait mention d'un pensionnat. Les bourgeois de Rennes communiquèrent directement ce projet au Père Armand sans user du Père Dougeat comme intermédiaire ; ils se plaignaient vivement de ce dernier, faisant entendre que tant qu'il serait là on ne pouvait arriver à une entente.
La peste apparut à Rennes au mois d'août et contribua à rendre pénible la fin de l'année 1605. Elle ravagea la ville ; sur l'avis des médecins, le Père Vice-Recteur interrompit les classes avant le temps ordinaire des vacances et licencia son personnel. Cinq religieux. se retirèrent au prieuré de Noyal ; quatre autres allèrent à Saint-Malo, où, sur la demande des habitants, ils se livrèrent à la prédication, aux catéchismes et à l'instruction de la jeunesse. Deux moururent du fléau un : frère coadjuteur et le Père Bosgros que le mal avait atteint à son arrivée d'Italie.
Au mois de novembre, la Communauté de ville reçut une première satisfaction : le Père Dougeat quitta sa charge et le collège, il fut remplacé dans les fonctions de Vice-Recteur par le Père Jacques Pérard [Note : Le Père Armand, malgré l'estime et l'amitié qu'il avait pour le Père Doujeat, prit le parti de le retirer de Rennes, vers la fin de novembre 1605. Il fut amené à cette décision quand le Père Aquaviva eut fait connaître que, si on ne retirait pas du projet tout ce qui était contraire aux Constitutions de son ordre, il ne fallait pas songer à l'établissement des Jésuites à Rennes. Le Père Armand fit connaître au Père Pérard la volonté du Général et lui recommanda de ramener les esprits par la douceur]. En arrivant, celui-ci trouva toutes choses dans le désarroi : les religieux dispersés, les constructions des classes arrêtées, les fondateurs, d'autant plus opiniâtres qu'ils étaient encore sous le coup de la mauvaise impression qu'ils avaient prise du premier Vice-Recteur.
Cependant, le Père Pérard, dans les visites qu'il fit aux bourgeois de Rennes, se rendit compte que tout espoir d'arriver à un accommodement n'était pas perdu ; toutefois, quoiqu'il eût vite conquis l'estime et la sympathie, on s'en tint d'abord, de part et d'autre, à ses idées ; les supérieurs de la Compagnie étaient bien résolus à ne pas transiger sur les points essentiels et « Messieurs de la ville » se montraient attachés à leur sentiment, mais, aussi, très désireux d'en finir. On pouvait croire que leur hate de voir se terminer cette affaire les amènerait à céder aux demandes du Général des Jésuites.
Enfin, M. Lachiver, évêque de Rennes, M. de Marigny, président à mortier, M. le Sénéchal et plusieurs autres personnages notables prirent à cœur de terminer le différend ; sur leur initiative, le 6 janvier 1606, se tint à l'évêché une assemblée des personnes les plus distinguées du Parlement et de la ville. Le Corps municipal, après avoir quelque peu contesté, déclara enfin qu'il consentait à dresser le plan de contrat avec les Jésuites en conformité avec les vues du Père Aquaviva.
Le 10 janvier 1606, M. des Nouëttes, procureur-syndic, écrivit, au nom de la Communauté de Rennes, au Père Armand pour le presser de conclure un accord. Le Père Provincial, alors à Pont-à-Mousson, répondit qu'il n'avait rien tant à cœur et lui rappela les points sur lesquels il ne pouvait céder ; l'accord entre les deux parties n'était, on peut le voir d'après cette lettre, pas encore parfait et le besoin se faisait sentir d'explications nettes :
« Monsieur, [disait le Père Armand], vous me faictes entendre par les vostres du 10 du passé que désireriez traicter et arrester du tout le contract du collège. Je le veux bien, mais je me trouve à présent si reculé de vos contrées qu'il est fort malaisé que je me puisse si tost transporter par delà... Mais ce délay ne gastera rien comme j'espère, car de nostre costé nous ne lairrons pas de faire ne plus ne moins que si le contract estoit arresté, et servira pour m'esclaircir davantage de la volonté de Messieurs de la ville, car vous ne me répondez pas clairement s'ils se contenteront de la response de nostre Révérend Père Général que le Père Vice-Recteur leur a fait entendre. Vous vous pouvez tenir asseuré d'un professeur de cas de conscience ; mais nostre dit Père n'estime entre convenable à nostre Institut que cela soit inséré plus spécialement dans le contract ; il n'est pas question de disputer plus longuement là-dessus et je ne vous en puis dire ni faire aultre chose.
Je n'entends pas aussi ce que vous dites que je veux rétracter la promesse que je vous ay faicte des prédicateurs et confesseurs. J'ay tousjours dit ce que je dis encore : que nos collèges ne sont point dessaisis de semblables ouvriers, et en bon nombre, selon la qualité du collège, mais que nostre Compagnie ne s'obligeoit jamais à semblables functions, et conséquemment que telles personnes en tel ou tel nombre n'estoient point spécifiées ez contracts.
Quant est des pensionnaires, puisque vous croiez que c'est nostre profit de les tenir, vous nous permetrez céder ce profit à quelque autre, et laisser cela à la liberté de notre Compaignie de les prendre quand elle jugera que le bien public et la gloire de Dieu premièrement ic requerra.
Pour les bastiments nous n'en demandons pour nous que ce qui nous sera nécessaire, et quand il [en] sera question, on faira bien paroistre que ce qui est desja basti n'est pas suffisant ni près de là.
Je me confie que vostre charité et le zèle qu'avez du service de Dieu et du bien public, avec tous les messieurs de la ville de Rennes, ne vous, arresteront plus sur telles difficultez, lesquelles ne sont rien en effect. Je vous en supplie de tout mon cœur, et prie Notre-Seigneur vous conserver très tous en ses divines grâces, en me recommandant à vos bonnes prières ». Du Pont à Mousson, ce XI de febvrier 1606. I. ARMAND [Note : Arch. mun., liasse 283].
Un mois plus tard, le 13 mars, M. Louvel, qui avait remplacé M. des Nouettes en la charge de procureur syndic, renouvela les instances de la ville. Il rappela au Père Provincial, d'un ton un peu aigre, le mauvais effet produit sur les membres du Corps municipal par les réclamations du Père Aquaviva quand on leur en donna connaissance dans une assemblée réunie à l'évêché. Ces messieurs, lui disait-il, faisaient observer « que ce que l'on désirait de vostre Compaignie en cela n'estoit rien de répugnant à vostre profession et que, puisque ce sont vos exercices ordinaires, vous ne devez faire difficulté de vous y obliger ; que le refus que vous en faictes apporte et donne occasion de deffiance ; que puisque vostre vœu et plus grand exercice est de fructifier en la vigne du Seigneur, de cultiver les âmes et emender [sic] les consciences, et que nostre désir n'est aultre que d'avoir de tels vignerons et laboureurs, et d'estre instruicts en ce qui est de la spiritualité pour cheminer au vrai sentier, et que pour cette cause principalement nous avons désiré vostre établissement en ceste ville tant pour nous que pour nos enfants et nostre postérité, il n'y a raison pour laquelle vous debviez nous refuser ceste stipulation et asseurance de nostre souhait. Que de dire sans apporter aultre raison que le Père général ne veult pas, et qu'il n'est question de disputer davantage là-dessus, c'est parler comme à gens sans esprit, sans mouvement et sans sentiment ; que néantmoins nous ne sommes si idiotz que nous ne sachions que telle manière de contrat que celuy que nous avons faict avecq vous est ultro citroque obligatorius ; que quand nous en recepvrions quelque honneur et profit, il ne vous en retournera ny deshonneur ny perte.
Et finallement je vous dirai que tout ce qu'il y a de gens d'esprit qui ont sceu les difficultez que vous nous faictes maintenant de nous passer assurance et obligation par escrit de ce que vous nous promettez verbalement et que néantmoins avoit esté escrit et signé cy devant, l'ont trouvé fort estrange en général et en particulier ; et est bien véritable que ceste difficultés joincts avecq les continuelles plaintes et mesdisances que le Père Doujat a faictes sans subject ny occasion, de toutz ceulx qui avoient leplus d'affection au bien vostre Compaignye et à l'establissement du collège avoient et ont tellement refroidi un chacun, que si la bonne humeur, douceur et débonnaireté du Père recteur de présent n'avoit reschauffé la charité de quelques-uns je vous puis bien asseurer que nous ne ferions pas en trois ni quatre ans ce que j'espère, aidant Dieu que nous ferons en un » [Note : Arch. mun., liasse 283. M. des Nouettes disait également : « Nous vous avons appellez non tant principallement pour l'instruction des lettres humaines comme pour cultiver nos ames et pour les instructions spirituelles » et il réclamait que les Jésuites s'engageassent, dans le contrat, à donner des prédicateurs et un professeur des cas de conscience. - Arch. mun., liasse 283. Lettre du 13 mars 1606].
En somme, la ville, si elle avait paru à certains moments l'abandonner, revenait toujours à la volonté de voir figurer au contrat la mention des ministères spirituels ; cette prétention constituait la principale difficulté qui s'opposait à la conclusion d'un accord. Dans son zèle chrétien, le Corps municipal tenait à posséder des prédicateurs et confesseurs, mais il voulait, à ce sujet, un engagement écrit ; la réponse du Père Général « nous remplirons ces œuvres, mais nous ne pouvons pas nous y obliger », lui paraissait subtile et peu sûre ; il avait d'autant plus de peine à l'admettre que les Provinciaux de la Compagnie de Jésus avaient accepté les projets de contrat où figurait cette désignation des œuvres spirituelles ; mais il ne devait pas oublier (et M. Louvel l'oubliait dans la lettre que nous venons de citer) que tout ce qui avait été signé au contrat l'avait été conditionnellement « sous le bon plaisir du Père Général ».
La réplique à la lettre de M. Louvel ne se fit pas attendre ; elle fut envoyée de Besançon, très ferme et très nette :
MONSIEUR,
« Je viens de
recevoir tout maintenant les vostres du 13 du moys passé, auxquelles je ne
puis respondre autre chose que ce que j'ay escrit par cy devant. L'affaire ne
dépend de moy, ains de nostre Révérend Père Général qui juge que telle façon de
contrats n'est point conforme à nos Constitutions. Luy en peut mieux juger que
pas un ; tout ce qui a esté faict par le passé a esté faict soubz
son adveu il ne juge pas qu'il le doibve ou qu'il le puisse
advouer comme cela.
Ce n'est pas que nous voulions fuir d'exercer telles functions ; nous serions bien marrys quand on nous voudroit empescher, mais que nous le voulons faire sans obligation et comme nous faisons ailleurs par tout le monde. Et partant je vous supplie, monsieur, au nom de Dieu, de faire tant que Messieurs de la ville se contentent de traicter avec nous comme tout le reste du monde le faict, et qu'il nous soit loisible de les servir sans faire bresche à nos statuts, comme nous servons par tout le monde ceux qui ont agréable nostre service.
J'ay faict avec nostre Révérend Père Général tout ce qui m'a esté possible pour le faire condescendre à ce que désiriez, et n'ay obmis rien qui me sembla [sic] propre à cet effect que je ne luy aye mis en avant ; je n'en ay peu obtenir que ce que vous avez veu. S'il y avoit occasion de craindre ce que vous craignez, je ne vous en parlerais pas si asseurément, mais n'y ayant aulcun subject de craindre je vous supplie encore une foys que nous terminions enfin cet affaire et que nous ne pensions plus à ce à quoy nous nous obligeons, mais à ce que la charité et nostre estat et condition recherche de nous, qu'est de vous servir et toute la ville et la province, en tout ce qui nous sera possible. Je le dis au nom de tous mes compagnons et me tiens particulièrement moy - Monsieur - Vostre très affectionné serviteur en Dieu, Ignace Armand [Note : Arch. mun., liasse 283]. De Besançon, ce XVII d'avril 1606 ».
Occupé pendant l'été par plusieurs affaires importantes à Paris, à Quimper, puis à la Flèche, le Père Provincial ne put se rendre à Rennes qu'après la fin de l'année scolaire. Il y trouva les esprits beaucoup mieux disposés [Note : Arch. mun., liasse 283. Dans une lettre du 24 juillet 1606, adressée au procureur syndic, le Père Armand, se disait heureux de l'assurance qui lui avait été donnée que l’on ne discuterait plus]. Au commencement d'octobre eût lieu une distribution solennelle des prix aux frais de « la ville fondatrice du collège ». A cette occasion, le professeur de seconde, qui allait bientôt le devenir de rhétorique (car on devait ouvrir prochainement une classe de plus) fit représenter une tragédie : « Jules César, vainqueur des Gaules ». Quelques jours plus tard, un peu avant la réouverture des classes, le 9 octobre 1606, le contrat définitif de la fondation fut passé et signé. En. voici les principales clauses où l'on verra les concessions qui furent faites.
« Ont esté pour la fondation, dotation et entretien dudit collège à perpétuité arresté et accordé les points et conditions qui en suivent :
Sçavoir que lesdits Pères entretiendront audict collège six classes de rétorique, humanité et grammaire, et s'y fourniront en oultre deux maistres et régens en philosophye, l'un desquels commancera tous les ans le cours, et l'autre le finira tellement que en deux ans tout le cours de philosophie se puisse parachever. Et en ce qui est de la leçon des cas de conscience, les dits Pères en useront sellon leurs constitutions, entretiendront le nombre de personnes capables et nécessaires pour le gouvernement, bon règlement et perpétuel exercice et entretien dudit collège suivant... leurs dictes règles et constitutions.
Et pour l'entretènement et continuation de ce que dessus, les dits nobles bourgeois et habitans ont procuré et moïenné les résignations des prieurés de Nostre Dame de Livray et de Saint Martin de Noial sur Villaigne, diocèse de Rennes, provenus du zèle charitable de deffunct Missire Yves du Vineau... Pareillement ils ont faict obtenir la résignation, et consentement de l'union du prieuré de Nostre Dame des Brégain, évesché et diocèse de Dol ...., par mesme moïen les dicts Nobles Bourgeois ont relaissé auxdicts Pères l'ancien revenu du prieuré et collège de Saint-Thomas, lesquelles unions, résignations et relais, ils [les Jésuites] ont acceptés et s'en sont contentés.
Et en oultre leur ont lesdicts Bourgeois ceddé et relaissé pour par fournissement de ladite dotation le nombre de trois mil livres de rente qu'il a pieu à Sa Majesté leur accorder sur le debvoir d'imposts et billosts. qui soulloient tourner [sic] pour les joyaulx des papegaulx de l'arbaleste et de l'arc en ce païs et duché, à la charge que sur lesdicts devoirs de papegaulx et revenus des dicts prieurés les dicts Pères Jésuites fourniront et contribueront par chascun an la somme de mille livres pour estre employée aux bastiments des édifices et église dudict collège jusques à la perfection d'iceulx, porteront et acquitteront toutes charges, pensions et fondations dues sur lesdicts bénéfices et collège et pour raison d'iceux.
Et au cas qu'il arriverait quelque diminution sur lesdites choses promises pour la fondation soubs et jusques à la somme de mil livres, lesdits Pères ne seront tenus fournir la dite somme de mil livres par an destinée pour contribuer aux bâtiments...
Est pareillement accordé que après que les dits bastimens seront parachevés sy lesdits mille livres de rente demeurent aux dits Pères ils seront tenus croistre et augmenter le nombre des régents audit collège pour une classe de grammaire ou une de philosophie selon qu'il sera trouvé nécessaire...
Davantaige lesdits nobles bourgeois et habitans ceddent et transportent à perpétuité aux dits Pères Jésuistes les maisons jardins et pourpris dudict collège Saint-Thomas avecq les choses cy-dessus… Et en oultre seront tenus leur faire bastir une église capable pour y faire le divin service sellon l'institut de la Compagnie... au lieu et place le plus commodes, ensemble des corps de logis, classes et autres édifices pour l'accommodation dudit collège. — Et pour le regard des meubles requis et nécessaires lesdits Pères s’en sont contentés recognaissant que ils leur ont esté fournis... Avecq ce s'obligent lesdicts, Pères d'entretenir à perpétuité lesdites maisons et édifices dudit collège, mesme de les augmenter et accroistre à leur pouvoir et en bons mesnagers. Au reste, lesdits Pères de ladicte Compaignye ont recognu lesdits Nobles Bourgeois et Habitans de Rennes pour leurs fondateurs et promettent de leur rendre tous les debvoirs et prières portées par leurs reigles et constitutions.
Et ce que dessus faire, fournir et accomplir se sont lesdits contrahantz respectivement obligés... Et ledit sieur Père Provincial promet faire ratiffier et approuver le présant accord au Révérend Père Général de leur ordre et en fournir acte en forme autantique et probante dedans six mois auprocureur sindicq desdits Nobles Bourgeois et habitans...
Faict et gréé au manoir épiscopal de ceste ville de Rennes le neufiesme jour d’octobre après-midy 1606 » [Note : Arch. mun., liasse 284. Arch. départ., série D].
Ce traité fut approuvé par lettre authentique du Père Aquaviva le 24 avril 107 [Note : Patentes accept. colleg. f. 96. Arch. mun., liasse 284. — « Prædictam fundationem ac dotem cum aliis tum nostro, tum nostrorum successorum nomine, ac alias omni meliori modo acceptantes in dicta Civitate unum collegium nostræ societatis cum sex scholis scilicet rhetoricæ humanitatis et grammaticæ et duabus philosophiæ more ejusdem societatis et juxta nostras constitutiones regendum instituimus erigimusque et pro illius dote supradictum annuum reditum et proventum cæteraque annexa eidem applicamus assignamus et constituimus ipsosque nobiles cives et incolas in fundatores dicti collegii cum omnibus prærogativis et gratiis a nostra societate hujusmodi fundatoribus dari solitis recipimus, lectionem vero casuum conscientiæ in dicto instrumento contentam per has litteras non concedimus quia ad illam civiliter obligari non possumus, Deumque oramus ut his coeptis feliciter adspiret iisdemque dominis consulibus ac civibus universis abundantem de cœlestibus suis thesauris gratiam retribuat ». La leçon de cas de conscience se donna, du reste, au Collège de Rennes]. Comme on le voit, les fondateurs avaient fini par donner raison à la Compagnie ; dans ce contrat définitif, il n'est question ni des prédicateurs ou confesseurs, ni du pensionnat, ni du nombre des Jésuites qui composeront le personnel du collège ; les revenus sont augmentés et la ville s'engage à construire les classes et l'église.
On a dû remarquer dans les sources du revenu un élément dont nous n'avons pas encore parlé : les 3.000 livres accordées par le roi sur les papegaulx. Il y avait en Bretagne, dans chaque ville et dans chaque bourg, deux compagnies de tireurs appelées, l’une : les « chevaliers du papegault de l'arquebuse » et l'autre : les « chevaliers du papegault de l'arc et de l'arbalète ». Tous ces chevaliers, une fois chaque année, chacun dans sa ville ou dans son bourg, tiraient un oiseau de carton ou de bois peint appelé « papegault », celui qui l'abattait était roi de sa compagnie et jouissait, durant sa royauté, de certains privilèges. Il pouvait, à Rennes, vendre au détail 50 tonneaux de vin sans payer les taxes dites d' « impôts et billots ». En 1605, Henri IV réunit à son domaine les droits attribués aux vainqueurs du papegault de l'arc et arbalète. Dans les lettres patentes qu'il adressa le 10 juillet 1606 au Parlement de Rennes pour presser la vérification de l'édit qu'il avait donné à ce sujet, il déclara « lui plaire que sur le fond de ladite réunion des papegaulx [au domaine royal] il y aura par prefferance deux mil livres de rente pour l’entretènement du collège des Jésuites en [sa ville de Rennes] [Note : Arch. mun., liasse 284. Le revenu total du Collège, était « garanti » pour 6.000 livres de rente. — On peut remarquer que s'il était plus élevé qu'il avait dû l'être en 1604, la Compagnie, vu ses règles, faisait, en l'acceptant, preuve d'un esprit accommodant].
Une autre partie du même fonds était réservée au collège de la Flèche. Sur quelques réclamations qui lui furent faites, Henri IV, par lettres patentes données à Montargis, le 22 octobre 1606 « affin, [dit-il], de gratifier et favorablement traiter les habitants » de Rennes, éleva à 3.000. livres le revenu annuel à prendre « sur les deniers qui proviendront de ladite suppression des papegaulx » [Note : Arch. mun., liasse 284. — V. aussi Arch. mun., liasse 286. Lettre du Père Pérard à M. de la Chauvelière. M. de Cussé et M. de Béthune, gouverneur de la ville et évêché de Rennes, s'étaient employés, sur le désir du procureur syndic, à faire élever à 3.000 livres la somme accordée par le roi au Collège sur le fonds du papegault. — Arch. mun., liasse 284. Lettres de Béthune au p., syndic, 10 et 11 septembre 1606. M. Carré dit à tort que le contrat définitif entre la ville et les Jésuites ne fut signé que le « 27 octobre 1606 », parce que les bourgeois de Rennes s'obstinèrent quelque temps à protester contre la suppression d'une partie des privilèges du papegault sans laquelle ne pouvait être constituée la dotation du Collège. « Recherches sur l'administration municipale de Rennes au temps d'Henri IV », p. 84 et « de rerum publicarum administratione apud civitatem Redonum Henrico quarto regnante », p. 89].
Pendant tout ce différend que nous venons de raconter, la ville, il faut le dire, était restée toujours, au fond, très attachée aux Jésuites. Elle aurait si fort regretté de les perdre qu'elle faisait tout pour leur assurer des revenus : en 1605, M. Yves du Vineau, à son lit de mort, léguait par testament au collège qu'il avait tant contribué à établir, toute sa bibliothèque, tous ses ornements sacrés, tout le mobilier qu'il possédait à Rennes, à Dol et dans les prieurés qu'il avait résignés [Note : Yves du Vineau demanda à être inhumé dans la chapelle du collège en attendant que l'église fût construite. Sa famille prit le parti de faire opposition à l'exécution de son testament. Les bourgeois de Rennes voulaient poursuivre l'affaire en justice ; les Jésuites refusèrent et ne demandèrent aux héritiers que le portrait de leur bienfaiteur qu'ils placèrent dans leur grande salle. Hist. de la fondation, Arch. départ., p. 54-55] ; la même année, tout le Corps de ville insistait auprès du Souverain Pontife pour obtenir l'union du prieuré de Brégain et lui écrivait « nous ne pouvons avoir contre. [l'hérésie] de plus assurés boullevarts et remparts que les Pères de la Societté du Nom de Jésus » [Note : Arch. mun., liasse 283]. C'est aussi par attachement aux Jésuites que les magistrats se hâtèrerit de faire construire les bâtiments nécessaires aux premières classes, et employèrent tout leur zèle pour maintenir le collège en possession du prieuré de Livré qu'il faillit perdre à ce moment.
L'incident vaut d'être conté. Un président du Parlement de Paris, M. Foret, s'appuyant sur l'indult de ce Parlement [Note : Sur l'indult du Parlement de Paris : Edmond Durtelle de Saint-Sauveur « Les pays d'obédience dans l'ancienne France », thèse de doctorat en droit. Rennes 1908, ch. VI] s'imagina, poussé peut-être par Jean Jugneau, moine du prieuré de Livré, de déposséder le collège de ce bénéfice. Jean Jugneau se déclara prieur de Livré en vertu de l'indult qu'invoquait le président Forget. Celui-ci porta l'affaire au grand Conseil et le Cardinal de Bourbon, abbé de Saint-Florent, dont dépendait Notre-Dame de Livré, consentit à cette évocation. Heureusement le Corps de ville ne se laissa pas faire ; son procureur à Paris, appuyé par les Jésuites et surtout par le Père Provincial, obtint que l'affaire irait au conseil privé et que le Cardinal de Bourbon, se désistant de son pourvoi, confirmerait l'union au collège.
L'abbé de Saint-Florent s'y prêta volontiers comme on en peut juger d'après la lettre qu'il écrivit à ce propos au Corps de ville, le 1er mai 1606 :
MESSIEURS,
« Le sieur des Nouettes vous assurera comme
je n’ay rien épargné de ce que j'ay cru dépandre de
mon particulier pour l'union que vous avez désirée du prieuré de Livré à
l'establissement du collège que Messieurs les Jésuistes ont dans vostre ville,
tant pour vostre contentement et descharge que pour le bien qui en peult
réussyr au public et à toute, vostre province. Vous assurant que s'il se
présente occasion en laquelle j'aye moyen de vous tesmoigner combien je vous
honore et affectionne et desyre de vous servir, je m'y employerai de telle
affection et volunté, que je prie le Créateur, Messieurs, qu'il vous doynt en
santé longue et heureuse vie ».
De Mayrmoustier, ce jourd'huy premier de may 1606. Vostre plus affectionné et meilleur amy à vous servyr. Charles DE BOURBON, abbé de Saint-Florant. A Messieurs, Messieurs les nobles bourgeois et habitans de Rènes [Note : Arch. mun., liasse 283. Les religieux de l'Abbaye de Saint-Florent donnèrent aussi leur consentement le 6 mai. Ils approuvèrent en même temps l'union du prieuré de Bregain. Mais il fut décidé que deux jeunes religieux (un de chaque prieuré) auraient une chambre au Collège qui leur fournirait toutes les choses nécessaires à leur entretien et où ils feraient leurs études. Cette chambre devait s'appeler « chambre de Saint-Florent ». Les Jésuites ayant eu des démêlés avec les Bénédictins au sujet de ces jeunes religieux convinrent, pour éviter la charge de les loger et nourrir, de payer à Saint-Florent 300 livres de rente franchissables pour 6.000 livres. Cette rente fut exactement payée et on l'amortit le 3 janvier 1660. Hist. de la fondation. Arch. départ., p. 89].
Après cette alerte, les magistrats demandèrent au roi de confirmer par lettres patentes toutes les unions de bénéfices faites jusqu'alors au nouvel établissement et toutes celles qu'on pourrait encore faire dans la suite. Ces lettres furent données le 1er août 1606 [Note : Arch. mun., liasses 283 et 284. Lettres patentes d'Henri IV. La chambre des comptes enregistra ces lettres le 14 mars 1607. Arch. mun., liasse 284].
En paix sur la question des revenus et sur celle du contrat les fondateurs se réjouissaient de voir solidement assis les fondements de leur œuvre.
Huit jours après la signature du contrat, on fit l'ouverture des classes en présence du Père Armand. Le Père Ignace Torrent, nouveau professeur de rhétorique, célébra dans son discours de rentrée « la piété et la science des Bretons ». Le collège comptait alors sept classes; outre les cinq classes de lettres, il y avait un cours de philosophie confié au Père Louis Mairat et un cours de théologie morale ou de cas de conscience fait par le Père Antoine Morelle.
Les Jésuites étaient enfin établis, pour jamais, semblait-il, au collège de Rennes, on allait entrer dans la période des constructions.
(Geneviève Durtelle de Saint-Sauveur).
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