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NOTICE SUR LE RÉGAIRE DE L'ÉVÊCHÉ DE RENNES |
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Sommaire. — Notice sur le régaire (ou regaire) de l'évêché de Rennes. — Son étendue. — Juridiction temporelle de l'évêque. — Droits féodaux. — Prévôt féodé. — Franchise ou droit d'asile du regaire.
L'évêque de Rennes était un des trois évêques bretons qui ne possédaient pas la seigneurie universelle de leur ville épiscopale.
Pour ce qui regarde en particulier les droits temporels de l'évêché de Rennes, mes renseignements sont puisés aux archives du département d'Ille-et-Vilaine, et les documents que j'ai pu y compulser consistent dans ce qui suit :
Ce sont d'abord : 1°. Quatre aveux rendus à différentes époques par des évêques de Rennes ; le 1er en 1542 (le 2 mai), par Révérend Père en Dieu, Claude Dodieu, évêque de Rennes, à Monseigneur le Dauphin, duc de Bretagne ; le 2ème en 1618 (le 15 juin), par Messire François Lachiver ; le 3ème en 1646 (20 juin), par Messire Henri de la Motte Houdancour ; le 4ème en 1678-1682, par Messire Jean-Baptiste de Beaumanoir de Lavardin ; ces trois derniers au Roi ;
2°. Un inventaire en 2 vol. in-f° des Archives de la seigneurie des regaires, dressé de 1700 à 1777 ;
3°. Une enquête des chancellerie et conseil de Bretagne des 6 et 7 mai 1532, pour constater les droits, franchises et immunités du regaire de l'évêché de Rennes ;
4°. Procédure commencée en 1509 et terminée par arrêt définitif en 1513, au sujet du droit de l'évêque de Rennes de connaître en première instance des appels des sentences de son regaire ;
5°. Une déclaration faite en 1693, à l'intendance, par le procureur fiscal des regaires de l'évêché de Rennes.
Etendue du regaire de Rennes. — La seigneurie temporelle de l'évêché de Rennes se composait de deux membres ou juridictions : le regaire de Rennes, — et le regaire de Rannée.
La juridiction du regaire de Rennes ne s'étendait guère, dans l'intérieur de la ville, qu'aux alentours du palais épiscopal attenant à la Cathédrale qui était également comprise dans le regaire, ainsi qu'il résulte des termes employés dans les aveux. Je cite d'abord, comme plus détaillé, celui de 1682 : L'évêque reconnaît tenir du Roi : « La maison et manoir episcopal dudit Rennes, sa cour et jardins, l'auditoire de l'officialité, les prisons et autres logements en dépendant ; le tout s'entretenant, joignant d'un côté l'eglise cathédrale de Saint-Pierre, par le devant le paravis de ladite eglize, par derrière la rue St. Guillaume ; le tout en la paroisse de St. Estienne dudit Rennes... ».
« Le manoir episcopal de Rennes, disent les aveux de 1542 et de 1618, maisons et pourprins d'icelluy, au joignant leglize cathedralle de Sainct Pierre, o le franc regaire appartenant audict evesque a lentour desdictes eglize et manoir... ».
Outre le manoir et ses dépendances, le regaire de Rennes comprenait plusieurs maisons dans les rues du Chapitre, de la Cordonnerye, proche St. Aubin, rue Basse‑Saint-Etienne, rue d'Echange, rue St. Louis, carfour Jouault, le forsbourg l'Evêque presque tout entier, la Perrière, et hors les barrières, les villages de la Tousche et de Mauvinet, vis-à-vis le prieuré de St.-Cyr.
Le même regaire s'étendait de plus dans les paroisses rurales de Saint-Grégoire, de la Chapelle-des-Fougerais, de Saint-Laurent, de Cesson, de Saint-Jacques de la Lande, de Chartres, de Noyal-sur-Vilaine, de Chantelou, de Nouvoitou et de Bruz, où le seigneur évêque avait des fiefs considérables, et des droits étendus et importants ; enfin dans la paroisse de Poligné, où l'évêque possédait un fief « qui fut, à deffunct noble et puissant Jehan de Malestroit » (Aveux de 1542 et de 1618).
Le regaire de Rannée, près de La Guerche, beaucoup moins considérable que celui de Rennes, se bornait aux dépendances du manoir de Rannée et à quelques maisons dans le bourg. L'évêque n'avait dans le reste du territoire de cette paroisse que des traits de dîmes, auxquelles on peut ajouter quelques rentes dues par le châtelain de La Guerche, par le maître chapelain de l'église collégiale de N. D. de La Guerche, par les prieurs de la Trinité de La Guerche et de la Fontaine Harouys.
Juridiction temporelle de l'évêque. — La cour des regaires de l'évêque de Rennes était une haute justice, comme toutes les juridictions séculières attachées aux évêchés bretons : les appels en ressortissaient nûement et sans intermédiaire au Parlement, sauf ce que nous allons expliquer tout à l'heure. Hévin remarque sur ce point que la justice temporelle des évêques était une éclipse de la souveraine, et que c'est pour cette raison qu'on l'appelait régale ; il ajoute qu'autrefois, aux termes de l'art. 168 de la très-ancienne Coutume, les évêques, pairs ecclésiastiques de la couronne ducale, comme seigneurs temporels en régale, donnaient des grâces et rémissions.
Quoi qu'il en soit, voici, aux termes des aveux des XVIème et XVIIème siècles, les prérogatives particulières de la justice temporelle de l'évêque de Rennes :
« Quelle justice haulte il (léveque) et ses predecesseurs evesques ont droict d'avoir et sont en possession de tenir de toute antiquité en la dicte chastelenye et paroisse de Bruz levée sur quatre postz.
Mesme d'instituer ou destituer officiers en la dicte jurisdiction secullière dudict evesque, comme seneschaue, alloués, lieutenans et procureur, les sentences desquelz seneschaux, tant en matière civille que criminelle s'envont à la chambre verte dudict evesque et de là en la Cour de Parlement dudict pais et duché de Bretaigne par mandement et relieff de la Chancellerie ».
Ce second degré de juridiction, appelé Chambre verte, et plus anciennement grands et longs jours, fut l'occasion d'un procès intenté en 1509 à l'évêque de Rennes par le procureur général de Bretagne, qui lui contestait le droit de reviser les jugements de sa Cour avant l'appel définitif devant le Parlement, et terminé en 1513 par un arrêt solennel rendu par le roi Louis XII, en son conseil, confirmant le droit de ressort épiscopal, en supprimant toutefois le titre de grands et longs jours.
« Jugeons et declairons, dit l'Arrêt du Conseil du Roi, que ledict evesque de Rennes pourra en ladvenir, ou l'un de ses vicaires en spirituel et temporel en son absence, sans forme de grans et longs jours, congnoestre et décider des appellations des sentences du juge de son regaire, parceque ledict evesque, ou lun de sesdictz vicaires en son absence, décideront lesdictes appellations dedans troys moys après la prononciation d'icelles sentences et lesdictes appellations interjectées ; et iceulx troys moys passez, seront devolubles et troictibles directement en nostre court de Parlement de ce pays, dont les relevements des appellations ressortissantes en nostre dicte court de Parlement seront obtenuz et impetrez par les parties appellantes en nostre Chancellerie de cestuy nostre dict pays ».
Des lettres patentes du roy Louis XIII, données à Paris, au mois de mars 1626, confirmèrent pleinement ce droit, ainsi que tous les privilèges des regaires de l'évêque de Rennes. Cette juridiction s'exerçait le plus ordinairement dans la basse salle du Présidial de Rennes, à l'issue de l'audience dudit Présidial ; mais pour la commodité des vassaux, le sénéchal tenait de temps en temps ses audiences, particulièrement en été, au bourg de Bruz, à celui de Saint-Grégoire, et dans les autres lieux auxquels les autres fiefs du regaire s'étendaient.
C'était dans les landes de Bruz qu'était assise la justice patibulaire, à quatre pilliers, de l'évêque, signe de sa juridiction plénière, avec « seps et collier, proche le carefour du chemin qui descend du bourg de Bruz à aller au Manoir, dans lequel manoir il y a prisons ; et les habitans du fief Trisnel qui s'etend audict bourg de Bruz et au Chêne Veillet, ès villages de Louesinard, des Planches et de la Noë et autres, sont tenus de garder auxdites prisons, pendant vingt-quatre heures, si tant est besoin, les prisonniers y retenus » (Aveu de 1682).
L'évêque avait également droit de créer pour le service de sa juridiction tous autres officiers tels que notaires, greffiers, procureurs, huissiers, sergents, etc.
Quant à ce qui concerne le regaire de Rannée, cette juridiction avait un sénéchal et un receveur spéciaux pour les vassaux de Rannée et de La Guerche.
Autres droits féodaux de l'Evêque de Rennes. — Indépendamment de tout ce qui a rapport au droit de haute, moyenne et basse justice, attribué au regaire de Rennes, l'évêque possédait encore plusieurs autres droits découlant de sa qualité de seigneur féodal.
Ainsi, il était seigneur châtelain de Bruz, de Ramée et de Saint-Jacques-de-la-Lande : et en cette qualité il tenait du roi (et plus anciennement du duc), à Bruz, « le manoir épiscopal, maisons, jardins, bois de fustayes, coulombier et pourpris de la chastelainie de Bruz, en la paroisse dudit lieu, contenant le tout, entre les douves, cinq journaux, les prairies contenantes trente journées, deux attaches de moulins sur la rivière de Saiche, nommés de Saint-Armel et de la Barre ; le pressouer à ban avec ses merrains et ustencils, et le droit de dixmes et pressouerage des vins crûs en la dite châtelainie, trois vignes contenantes huit journaux ; » plus le fief et baillage de Bruz, comprenant toute la paroisse.
« Dans la paroisse de Rannée, le manoir et pourpris de Rannée, près La Guerche, qui consiste en maisons, cours, jardins, terres et deport, contenant deux journaux et un fief en dépendant ». En la même qualité, il tenait encore, d'après l'aveu rendu en 1542 par Claude Dodieu : « Le manoir, maison, pourprins et chastelainie de Sainct Jammes de la Lande, contenant tant en jardins et boys de haulte fustaye, environ quatre journaux de terre, » sans compter les bois taillis, situés dans la même paroisse, et contenant environ dix journaux. L'évêque y avait encore « le droit de pasnaige des landes et communs ».
Le manoir et pourprins de Saint-Jacques n'était plus aux mains de l'évêque à l'époque de l'aveu de 1618, ayant été vendu et aliéné pour acquiter des taxes imposées par le roi sur l'évêché de Rennes, en 1563.
L'évêque était de plus, comme seigneur-châtelain, fondateur des églises paroissiales de Bruz, de Saint-Jacques et de Rannée.
Les vassaux estagers [Note : C'est-à-dire, propriétaires de maisons sous l'étendue du fief] sous son fief du forbourg l'Evesque, à la porte de Rennes, lui devaient « le devoir de chevauchée, le lendemain du jour Saint-Pierre et Saint-Paul, à peine d'amende ». Ce jour était celui de la foire dite des Pollieux, qui appartenait à l'évêque et à son chapitre. Pendant cette foire, l'évêque avait droit de police, bouteillage et estelonnage sur tous vendans et debitans vins ; droit de les condamner en telles amendes qu'il appartiendrait, en cas que leurs vaisseaux, pots et pintes ne fussent de mesure ; enfin, droit de connaître prohibitivement des délits, sy aucuns arrivaient dans ladite foire.
Plusieurs hommes du même fief étaient tenus de faire des corvées d'août, chaque année, pour fanner le foin de la prairie de l'évêque, située sur les bords de la rivière d'Ille, en côté du forbourg l'Evêque, d'une étendue de quinze journaux et prisée 200 liv. de rente, en 1542. Un droit de coutume qui se levait sur le pont Saint-Martin de Rennes, et un droit de pêche et bateau sur l'Ille complétaient les privilèges de la seigneurie épiscopale à Rennes.
Le four à ban de l'évêque était situé près le careil Jouault, à l'entrée du bourg l'Evêque. Son revenu valait 80 liv. tournois de rente, dit l'aveu de 1542.
Les moulins du bourg l'Evêque, sur la rivière d'Ille, appartenaient pour les trois quarts à l'évêque ; le chapitre jouissait du dernier quart de leur revenu, par don d'Anselme de Chantemerle, en 1405. — L'aveu de Claude Dodieu estime à 300 liv. de rente la portion de l'évêque.
Le fief de Bruz donnait à l'évêque droit de fonds et de pêche en la rivière de Seiche, propriété et disposition des espaves, galois et communs, droit de garennes et refuge à pigeons, et droit de jouir pendant le mois d'août, chaque année, du revenu du colombier de la seigneurie de Lestrillet ou Lestrillaye. — Les vassaux de ce fief devaient aussi la chevauchée, le lundy après la fête de Saint-Armel.
Dans le fief de Polligné, les vassaux étaient obligés à fournir au seigneur évêque, lors et chaque fois qu'il y allait en personne, ou à ses officiers le représentant, un dîner appelé Mangier, « quels officiers peuvent requerir allencontre desdits paroissiens ledict debvoir de mangier et les y contraindre à le paier sur peine de l'amende » (Aveux de Claude Dodieu et de François Lachiver). Dans son fief de Rannée, l'évêque de Rennes avait encore un droit de bouteillage, à raison de deux pots par pipe, outre la dîme des vins bretons.
Cinq plaids généraux étaient assignés par année pour les appropriements à faire sous le ressort des regaires de l'évêché : 1° Le jour avant la veille de Noël, dans la salle de l'officialité, près de l'église cathédrale ; 2° le 28 mars ; 3° le Jour de la foire des Pollieux, sous le portail de la maison des Quatre-Beaufs, carrefour Jouault ; 4° le jour Saint-Armel, sous le portail du manoir de Bruz, et 5° le 4 septembre, sous le chapitreau de l'église de Saint-Grégoire.
Prévôt féodé. — Les aveux du regaire de Rennes constatent que c'était au fief, terre et seigneurie de Carcé, en la paroisse de Bruz, qu'était attachée la charge héréditaire de prévot féodé de l'évêque de Rennes. Cet office imposait au titulaire l'obligation de faire exécuter à ses frais les sentences criminelles sur les sujets dudit évêque, condamnés par sa cour séculière, et même « de fournir d'exécuteur ». On voit qu'il ne s'agit point ici d'un juge-prévôt comme à Tréguer, mais seulement d'un officier de police chargé des exécutions de la justice du regaire, office qui toutefois était, dès l'origine, rempli par des personnes nobles.
Le prévôt, sieur de Carcé, devait de plus payer à son seigneur évêque une rente de 4 l. 10 s. exigible le lundi qui suit la fête de Saint Armel.
En compensation de ces devoirs, plusieurs privilèges étaient attribués à la charge de prévôt :
Ainsi, suivant le texte des aveux, « il a le droit de prandre et lever le droict de bouteillage sur les vendans vins et autres breuvages en la châtellenie de Bruz, scavoir de chaque pipe quatre pots. — Et de chacun boucher vendant chair, en icelle paroisse et chatellainie, à chacune des festes de l'Ascension, St. Jean Baptiste, Assumption de Notre Dame et la Toussaintz, un quartier de mouton ; — et des marchands boullangers, à chacune desdictes festes deux blanchées [Note : La « blanchée » est la valeur d'un « blanc » petite monnaie d'argent] de pain » (Aveu de 1682).
« Item o droict audict provost de faire mettre à pris par les officiers dudict évesque les vins qui sont vendus en detail en icelle paroisse, — avec le droict et le debvoir d'estellonaige audict provost par les officiers dudict evesque sur les mezures des vendans vins par detail en icelle paroisse, à deux plaids tenuz deux fois l'an audict Bruz, savoir apprès la feste de St. Martin au mois de juillet et apprès la feste Sainct Armel » (Aveux de 15441 et 1618).
Franchise et droit d'asile du regaire. — J'ai cité, au commencement de cet article, le texte des aveux de Claude Dodier et de François Lachiver, qui reconnaissent tenir leur manoir épiscopal « o le franc regaire (leur) appartenant allentour desdictes eglise et manoir ». Ceci mérite quelques explications.
On sait que très-anciennement les églises cathédrales et par extension les maisons épiscopales, jouissaient du droit d'asile, qui s'étendait à trente pas, quelquefois à soixante, autour des édifices privilégiés ; c'est ce que plusieurs Conciles du XIème siècle ont appelé du nom de dextri ecclesiae.
La franchise du regaire de Rennes présente ici une application de cette coutume vénérable, introduite pour protéger le faible contre l'abus de la force. Remarquons, toutefois, qu'il ne faut pas confondre cette immunité de l'asile religieux avec les minihis bretons, lieux d'asile aussi, mais bien plus étendus et dont l'origine est un peu différente.
Dans une enquête faite, en 1532, pour Révérend Père en Dieu Yves Mahyeuc, évêque de Rennes, par le président de Bretagne, Louis Des Desers, à la suite d'un procès que soutenait contre le prélat le procureur général devant la chancellerie et conseil de Bretagne, j'ai trouvé d'assez curieux détails sur ce droit d'asile et de franchise, attribué à la résidence de l'évêque.
D'abord l'étendue de cette franchise y est ainsi debornée, d'après les dépositions des témoins entendus dans l'enquête : « De tout temps, y lit-on, il était tenu pour chose commune et notoire audict Rennes que le tout du circuyt du dehors desdictz eglise, cymetière dicelle et dudict manoir episcopal, d'iceluy costé jucq au ruxeau et my-pavé de ladicte rue de la Cordonnerye, dempuix la grande porte dudict manoir, tirant amont celle rue jucques au coign et entrée dune petite rue appellée la rue Sainct Guillaume conduisante de ladicte rue de la Cordonnerie par emprès la Nonnerie et cohue à blé de ladicte ville à ladicte eglise kathedralle, et de la porte o chappitreau d'icelle eglise, tirant par devant les maisons de la Provosté du Chappitre et de la Psalette de ladicte eglise jusques au coign et arrivée de la rue de Chapitre, et dudict coign par une petite ruelle estante au derrière de ladicte eglise, passant pardevant la porte de la maison de la Thesaurerie de ladicte eglise, retournant par devant le grant cymetiere d'icelle à ladicte grande porte dudict manoir, a esté et est de toute antiquité et temps immemorial lieu de franchise et immunité ; et qu'il n'est permis ne loisible à aulcuns juges ne officiers de court et juridicion seculière prandre ny faire aprehender de corps aulcunes personnes estans oudict déport et circuyt, tant ès maisons y estantes que sur lesdictes rues et pavez, dempuis le mylieu et ruxeau desdictes rues, du costé devers lesdictes eglise, cymetiere et manoir episcopal et en touz les endroictz desdictes methes ; quel circuyt il qui parle (le témoin) a ouy de tout temps nommer et appeller, tenir, censer et reputer notoirement et publiquement le franc regalle dudict seigneur evesque de Rennes et de ladicte eglise kathedralle et chappitre d'icelle et que ainsi a esté et est gardé et observé de temps immemorial ».
Aussi les témoins furent-ils unanimes pour déposer « avoir veu par pluseurs foiz, a divers jours et ans, pluseurs sergens de la court de Rennes … conduisans et menans aulcuns prinsonniers, detenuz dauctorité d'icelle, à la tour appellée la Tour Duchesne estante sur la muraille et saincture de ladicte ville, ou les conduisans d'icelle tour à l'Auditoire de ladicte court de Rennes, faire aller et marcher lesdictz prinsonniers par sur le pavé de ladicte rue de la Cordonnerie de l'autre costé que celuy devers ledict manoir episcopal, appelé le franc Regalle, et lesdictz sergens se mectre et tenir devers ledict costé dudict franc regalle, et disoit lon et estoit le commun dict des gens qui ce leur voyoint faire que c'estoit pour doubte et crainte que avoint lesdictz sergens que ceulx prinsonniers eussent passé et prins franchise oudict costé de pavé devers ledict manoir ».
En effet, d'après la législation régissant cette matière, tout coupable, tout accusé, tout individu poursuivi pour dettes ou même pour crime, s'il pouvait atteindre les limites de la franchise du regaire et y demeurer, se trouvait par là même exempt et placé sous la sauvegarde de l'asile que les officiers de justice n'auraient pas enfreinte impunément. L'enquête déjà citée nous en fournit une preuve. Bien qu'il soit un peu long, le récit de cet incident curieux sera lu avec plus d'intérêt, je crois, dans le texte original, dont la naïveté n'est pas sans charme :
« Dom François Charil, lun des prebtres et chapelains du cueur de l'eglise kathedralle de St. Pierre de Rennes... deppose... avoir veu... aulcuns des sergens de la court de Rennes, prandre du corps feu maistre Guillaume Lorens sacriste de ladicte eglise, lors estant assiis sur une grosse pierre estante jouxte le coign de la muraille et closture du cymetiére d'icelle eglise … disans lesdictz sergens faire ladicte prinse... par commission de ladicte court de Rennes, pour avoir esté celuy Lorens et autres prebtres de ladicte eglise, la vigille de l'Epiphanie, prandre et emporter les boais estans sur les pavez de ladicte ville et forsbourg de Rennes, ainsi qu'estoit et est accoustume le faire à pareil jour … sur laquelle prinse dudict Lorens, fist iceluy Lorens cry de force, disant que lesdictz sergens le prenoint et tiroint de franchise et que ledict lieu et endroict où estoit assiis sur ladicte grosse pierre et tout le circuyt desdictz eglise, cymetière et mannoir épiscopal estoit lieu de immunité ; et neantmoins le menèrent et constituerent en prinsons de ladicte court de Rennes, où il fut detenu lespace d'environ deux jours et nuictz ; à raison de quoy y eust declaration de sentence d'excommunie de l'auctorité de feuz Mtre. Pierre Bourgneuff et Mtre. Olivier Ferré, lors vicaires géneraulx dudict seigneur evesque de Rennes, tant sur et allencontre desdiz sergens qui avoint ainsi prins et emprinsonné ledit Mtre. Guillaume Lorens et le tiré de ladicte franchise et immunité, que contre tous autres ageans et participans d'icelle prinse ; et en signe et denotacion de ladicte sentence et excommunie furent sonnées les cloches et campannes des eglises de ladicte ville ; après quoy, se retira par devers ledict sr. evesque feu maistre Alain Marec, lors senneschal dudict Rennes, et pluseurs officiers de ladicte court queulx consultèrent touchant ce o ledict sgr. evesque, et tost après celle consultacion, dès le mesme jour ou le lendemain... veyt cest tesmoingn que lesditz sergens qui ainsi avoint prins et tiré ledit Lorens de ladicte franchise et immunicté, le y remenèrent, remisdrent et restituèrent audict mesme lieu où lavoint prins, et disoit lon et fust dès lors tout comun et notoire qu'il avoit esté dict et déclairé quilz avoint faict tort de ladicte prinse faire de la manière et avoint encouru sentence d'excommunie ; et par après les veyt aller et se trouver ou lieu capitulaire de ladicte eglise à genoulz requerir pardon dudict cas esdictz vicaires et en demander absollucion ; et pareillement veyt que Guillaume Ory fust par ledict missire Olivier Ferré vicaire susdict, pour avoir esté adherant et participant de ladicte prinse et emprinsonnement dudict Lorens, jugé amendable et declairé excommunié et contrainct en poyer somme d'or ou monnoie dont n'est membré, auparavant estre absoulz ; et sur laquelle somme fut faict et construict une traîne quelle a dempuix servy et encore sert à trayner les boays qui sont et ont accoustumé estre annuellement, à ladicte vigille de l'Epiphanie, prins et emmenez des rues et pavez desdictes ville et forsbourgs de Rennes ; et quelle traine a esté et est tout publiquement et notoirement nommée et appelée Ory, en signe et pour dénoter qu'elle fut poyée de l'argent que poyea ledict Guillaume Ory pour ladicte amende ».
De l'ensemble de l'enquête citée, il résulte que le franc régalle c'est-à-dire l'enceinte privilégiée de franchise, d'immunité et d'exemption de la juridiction séculière, ne s'étendait pas, à Rennes, au-delà des limites assignées à l'asile religieux, d'après les lois canoniques. — Il est assez curieux, du reste, de voir ce privilège en plein exercice, dans notre province, au moment où il était à la veille de disparaître sous les dispositions restrictives de l'ordonnance de 1539, rendue par François Ier, pour corriger les abus du droit d'asile.
Naturellement, on en peut conclure qu'antérieurement ces prérogatives étaient maintenues avec une grande sollicitude.
Je terminerai cet article par une autre anecdote que me fournissent deux actes du XIVème siècle, qui me sont tombés sous la main en parcourant le fonds de l'évêché de Rennes, aux archives départementales (4 G, 1). On verra, par cet exemple, à quelles solennités donnait lieu dès lors la réparation des infractions commises au préjudice des immunités du regaire de l'évêque de Rennes.
Trois sergents du duc de Bretagne avaient violé la franchise de la justice séculière épiscopale, en arrachant violemment des prisons du manoir de Rennes deux prisonniers. Dès que ce scandale eut été commis, les coupables devinrent l'objet de l'animadversion générale ; on cria au sacrilège : on les proclama excommuniés. Effrayés eux-mêmes de leur audace, les malheureux sergents se soumirent à toutes les réparations en usage. En conséquence, maître Berthelot du Chasteigner, procureur général d'illustre et magnifique prince Monseigneur Jehan duc de Bretagne, dit le procès-verbal que je traduis, (procès-verbal dressé par Jamet Le Lamier, notaire apostolique, en présence de nombreux témoins requis à cet effet), se présenta le 12 novembre 1329 devant révérend père en Dieu Messire Guillaume (Ouvroing) évêque de Rennes, et lui adressa ces paroles :
« Messire, quelques sergents de Monseigneur de Bretagne sont entrés violemment dans votre manoir de Rennes, ont forcé la prison dudit manoir, et en ont extrait deux hommes, savoir, Robert Baron et Etienne Renier que vous voyez ici présents, et qui y étaient renfermés ; puis ils les ont emmenés avec eux en même temps qu'un cheval qui se trouvait audit manoir. Et comme ils ont reconnu que c'était indûment et injustement qu'ils avaient agi, ils sont venus me livrer ces deux hommes et le cheval, afin que j'en fisse ce qui me semblerait convenable. Or, comme je sais et qu'il me parait constant que ces deux hommes et ce cheval doivent légitimement vous être restitués, voici les prisonniers et le cheval que je vous remets présentement ».
Alors, l'évêque Guillaume accepta la remise du procureur général et fit réintégrer en prison ses deux prisonniers. Ces formalités furent accomplies dans le manoir épiscopal, en présence de plusieurs chanoines, prêtres, clercs et autres témoins.
Mais tout n'était pas fini. Le même jour, les trois sergents coupables, Guillot de Velobert, Jamet Piron et Guy Hates, vinrent supplier humblement révérend père en Dieu Monseigneur Guillaume, évêque de Rennes, de vouloir bien les absoudre de la sentence d'excommunication encourue par l'acte de violence et d'infraction à la franchise du regaire qu'ils avaient commis en forçant la prison du manoir. Ils jurèrent sur les saints Evangiles de donner toute satisfaction au seigneur évêque et à l'Eglise de Rennes, en payant l'amende de leur méfait montant à trois cents livres, pour chacun : somme considérable pour l'époque ; après quoi, le révérend évêque les déclara absous de la sentence d'excommunication qu'ils avaient encourue ; ils prêtèrent le serment accoutumé de comparaître et d'obéir aux mandements de l'Eglise, en payant l'amende à la première réquisition. Le tout se passa le jour susdit, devant la grande porte de l'église cathédrale, en présence de nombreux témoins.
C'est ainsi que la répression suivait de près l'offense et que le droit était maintenu dans son intégrité.
Ajoutons et rappelons ici, pour expliquer la longue faveur dont a joui au moyen âge, aux yeux des populations, la justice séculière des évêques, que la législation en usage dans les tribunaux ecclésiastiques brillait par sa sagesse, sa douceur et la protection efficace dont elle couvrait la faiblesse et l'innocence trop souvent sacrifiées ou méconnues dans les formes sommaires, et parfois brutales, de la justice des seigneurs laïques. (P.-D.-V.).
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