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LES PELOTES DE SAINT-ETIENNE DE RENNES |
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L'une des plus anciennes paroisses de la ville de Rennes est certainement Saint-Etienne. Je reviendrai quelque jour sur l'histoire de cette paroisse, dont la vieille église subsiste toujours, bien qu'enlevée au culte pendant l'époque révolutionnaire et devenue un magasin d'artillerie. L'église affectée aujourd'hui au service de la paroisse Saint-Étienne est l'ancienne chapelle des Augustins.
Parmi les antiques usages dont le souvenir se rattache à Saint-Etienne et à nos annales ecclésiastiques locales, il en est un fort curieux dont j'ai retrouvé les traces dans les titres du Chapitre de Rennes. Il s'agit du jeu de paume, auquel prenaient part une fois l'an, le dimanche de la Quasimodo, dans le cimetière de Saint-Étienne, les chanoines de Saint-Pierre.
De vieux et célèbres auteurs liturgiques, Jean Beleth, qui vivait au XIIème siècle, et Guillaume Durand, évêque de Mende, qui florissait au XIIIème siècle, parlent du jeu de paume ou de la balle (pila, pelota) dont les évêques et archevêques ne dédaignaient pas de jouer quelques parties en certaines fêtes solennelles, avec leurs inférieurs. Dans quelques églises, c'était à Noël, dans d'autres, aux fêtes de Pâques, que la coutume autorisait cette dérogation à la gravité cléricale. Beleth, en témoignant que l'église de Reims avait adopté cet usage, ne l'approuve pas : « Laudabilius, dit-il, tamen est a talibus abstinere ».
Voici comment s'exprime à ce sujet Guillaume Durand, liv. VI, cap. 86 de son Rational : « En certains endroits encore, en ce jour (de Pâques) et dans d'autres, le jour de Noël, les prélats se divertissent avec leurs clercs, soit dans les cloîtres, soit dans les maisons épiscopales, et vont jusqu'à jouer à la paume, et même à former des choeurs de danse avec des chants..., cependant il vaut mieux s'abstenir de semblables fêtes ».
Ces chants étaient des proses pieuses, par exemple celle de Pâques : Victimœ paschali laudes, qu'entonnait un chanoine et que poursuivaient tous les assistants en se tenant par la main et en exécutant une sorte de danse accompagnée de l'orgue, comme cela avait lieu à Saint-Étienne d'Auxerre
Ces jeux, qui ne semblaient pas alors malséants pour les ecclésiastiques, avaient succédé à des réjouissances pieuses qui tiraient leur origine de la ferveur des premiers siècles. La fête de Pâques principalement avait toujours eu le privilège d'inspirer aux fidèles une pure allégresse que la naïveté des siècles de foi traduisit en démonstrations joyeuses. Il ne faut pas juger avec les idées de nos jours ces vieilles coutumes, ni s'en scandaliser mal à propos.
L'église d'Auxerre est citée par Ducange comme ayant conservé jusqu'en 1538 la tradition du jeu de la pelote, qui faisait dès le XIVème siècle l'objet d'un article dans les statuts du chapitre de cette église.
Une tradition analogue et l'usage d'un jeu semblable remontent aussi à des temps très-reculés dans l'église de Rennes.
Le chapitre en avait réglé tout le cérémonial.
On lit à ce sujet dans le Livre des Usages de l'église de Rennes : « Le dimanche de Quasimodo... après disner len doibt sonner un des gros sains (cloches), et lors les Seigneurs (chanoines) et les aultres gens de l'iglise se doivent assembler en l'iglise et aler à Saint Estienne férir les pelotes, de quoy le curé de St-Estienne doit fournir à chascun de l'iglise de trois pelotes à ses despens. Et le sourchantre de l'iglise doit fournir de barrel de boays o quoy férir les pelotes : et doit bailler et geter les pelotes, à chescun pour les pouair férir. Et à ceul jour et lieu, le curé de St-Estienne doit paier au chappitre de Rennes deux florencées et demie d'or, ou s'il ne puet les trouver, le pris d'icelles florencées par monoye, selond quils pourront valoir, dont les seigneurs et grans chappelains ont une florencée et demie, et les maindres chappelains et les enffenz du cueur en ont une florencée à despartir entr'eulz par moitié ».
Ce règlement est de 1415, et les florins de redevance payables par le curé de Saint-Etienne pourraient servir à dater l'introduction de cette coutume à Rennes, si l'on savait précisément à quelle époque on a commencé à y compter par florins. On sait que, suivant Le Blanc (Traité des Monnaies), la première mention connue des florins dans les chartes remonte à l'année 1068 ; bien que Villani prétende qu'on n'a commencé à en frapper qu'en 1352.
Quoi qu'il en soit, chaque année le chapitre était fidèle à l'observance du cérémonial des pelotes et de la perception du tribut sus-indiqué. On en dressait procès-verbal chaque dimanche de la Quasimodo ; les registres capitulaires, encore existants, en fournissent un grand nombre. Voici la traduction d'une de ces pièces :
« L'an du Seigneur 1484, le dimanche de la Quasimodo, 25ème jour d'avril, indiction deuxième, etc., dans le chancel de l'église de Saint-Etienne, auprès du grand autel, se sont assemblés et ont comparu, au son de la grosse cloche de l'église de Rennes, Révérend Père en J. C. Messire Michel [Note : Michel Guibé, qui fut évêque de Rennes depuis 1482 jusqu'en 1502] par la grâce de Dieu et du St-Siège Apostolique, évêque de Rennes, ainsi que maître Gilles de la Rivière, archidiacre et chanoine, Robert Ferré, Jean Hollier, Guillaume de la Rivière, Jean Bouedrier, Jean Le Veyer et Pierre Mehaud, chanoines de ladite église de Rennes, représentant le chapitre de la même église ; Jean Jarnigon et Olivier Drouet, grands chapelains ; Jean Guy, prieur de St-Denis ; Jean de la Haye, prieur de St-Modéran, et Jean Daré, prieur de St-Martin, avec les prêtres et les clercs choristes de ladite église : en leur présence a été évoqué le vicaire de ladite église de St-Etienne. A cette évocation maître Jean Gilles a repondu être le procurateur du recteur de ladite église ; ultérieurement interrogé où étaient les deux florencées (ou florins) et demie d'or et les pelotes que ledit vicaire devait audit chapitres, ledit Gilles a rependu avoir payé en monnoie lesdites deux florencées et demie d'or entre les mains de Dom Jean Bretaigne, prêtre prévôt dudit chapitre, selon l'usage ; comme aussi ledit prévôt a reconnu et confessé les avoir reçues. Ensuite le susdit procurateur a exhibé une grande quantité de pelotes de diverses couleurs, lesquelles doivent être lancées suivant la coutume par lesdits seigneurs du chapitre et leur compagnie, dans le cimetière de ladite église, et servies avec la raquette par le sous-chantre ou son remplaçant, aussi à la manière accoutumée.
Et après les avoir présentées ledit Gilles, procurateur denommé, les a distribuées réellement et de fait, savoir : six pelotes au seigneur évêque, et trois à chacun des autres membres du collège de ladite église, et il les a remises aux mains dudit Feloc, audit nom, lequel doit en faire le service et celui de la raquette, afin que ledit seigneur évêque et les autres susdits réunis et presents dans ledit cimetière puissent frapper et lancer lesdites pelotes.
Fait au chancel de ladite église de Saint-Etienne et dans le cimetière, en présence de nobles hommes, Guillaume le Conte et Pierre Brahart, tabellions et passeurs des contrats de la Cour séculière de Rennes, avec plusieurs autres témoins à ce appelés et requis en grand nombre ».
Des procès-verbaux semblables étaient répétés chaque année ; le plus récent que j'aie vu est de 1564. Les lacunes existant dans la collection des registres capitulaires, postérieurement à cette date, ne m'ont pas permis de constater à quelle époque l'usage de la cérémonie des pelotes de Saint-Etienne fut aboli. Mais il reste constant que l'église de Rennes la pratiquait encore longtemps après qu'elle eut été supprimée à Auxerre (P. D. V.).
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