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LA FÊTE DES INNOCENTS A SAINT-PIERRE DE RENNES |
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Le mouton du prieur de Vaulx ; les quatre chapons du Prieur de Saint-Cyr. — L'existence de certaines fêtes joyeuses et populaires admises, par tolérance, dans la liturgie du moyen âge, se reliait, si l'on s'en rapporte à de graves auteurs, aux traditions païennes des fêtes calendaires que célébraient les Gentils, à l'ouverture de l'année, par des réjouissances superstitieuses, des travestissements bizarres, des danses grotesques. Il faut voir dans Ducange, verbo KALENDAE, la description, l'historique et la filiation de ces cérémonies bouffonnes. Transmises dans l'origine par le clergé oriental aux églises de l'Occident, sous le nom de Fête des Fous, Fêtes de l'Ane, Fêtes des Sous-Diacres, Fêtes des Calendes, elles provoquèrent souvent l'animadversion et la censure des évêques et des conciles, — notamment du Concile de Bâle.
La Fête des Innocents n'était pas sans analogie avec celles que nous venons de mentionner. Elle persista néanmoins plus longtemps dans certaines églises cathédrales, où les chapitres crurent pouvoir tolérer, sous leur contrôle, ces amusements en faveur des enfants de choeur et des clercs inférieurs de leur église. Toutefois, dans plus d'un diocèse, on fut obligé de reconnaître l'inconvénient de pareilles extravagances dégénérant facilement en farces indécentes, et de les supprimer entièrement.
Ducange cite l'église de Rouen et celle de Tulle parmi celles qui avaient conservé jusqu'à la fin du XVème siècle l'usage de solenniser la fête des Innocents ; nous pouvons y joindre l'église de Rennes. Voici en quoi consistaient les principales phases de cette parodie : la veille et le jour des Saints-Innocents, les enfants et les clercs du choeur, réunis dans l'église, y élisaient un d'entre eux pour évêque des Innocents ; ils l'intronisaient ensuite, en le portant dans l'église pour simuler l'entrée solennelle des évêques, avec accompagnement d'un cérémonial burlesque. Ce jour-là, les enfants de choeur occupaient les hautes stalles des chanoines, chantaient les antiennes et les répons, dirigeaient l'office au choeur, et leur évêque officiait en costume épiscopal, mître en tête, donnant la bénédiction au peuple et récitant les oraisons : la journée se terminait par un repas joyeux pris en commun. On conçoit que de semblables jeux touchaient facilement à l'abus, et l'on ne s'étonnera pas que dès 1260 un concile provincial, celui de Cognac, ait cru devoir s'en alarmer et proscrire de telles réjouissances.
A Rennes, les monuments écrits, conservés dans les archives de l'évêché et du chapitre, nous font connaître que la fête des Innocents s'y célébrait de temps immémorial, aux XIVème et XVème siècles. On lit d'abord à ce sujet, dans le Livre des Usages de liglise de Rennes (1415) : « Et à celui jour (St. Jean, apôtre et évangéliste) va la procession sollempnellement à la chapelle de Saint-Saulveur ; et les seigneurs de liglise ont accoustumé faire le servitute pour les enffans du cueur et serviteurs, et y doit estre levesque des Innocens, avecques sa compaingnie des chappelains et des clers du cueur. Et, après vespres d'icelui jour, ont accoustumé de aler les seigneurs de l'iglise en procession à Nostre Dame de la Cité, pour venir en leglise en la compaingnie de levesque des Innocens, que len y doit trouver, etc. ».
L'ancien nécrologe de la cathédrale, ms. du commencement du XIVème siècle, ajoute sous la rubrique des processions usitées dès longtemps par le chapitre : ( ... Processiones … que debent fieri ab antiquo in ecclesia redonensi et que consueverunt fieri et antiqua consuetudine approbata), que c'était la coutume dès lors d'aller à N. D. de la Cité, la veille de la fête des Innocents, pour l'intronisation du petit évêque : « Et eadem die (in festo beati Johannis evangeliste) apud capellam Marie, pro apportando episcopo Innocentium ».
Une procédure dirigée, en 1381, par Raoul Orry, clerc et procureur du chapitre, contre le prieur de Saint-Cyr, près de Rennes, va nous mettre au courant des autres cérémonies qui caractérisaient à Rennes la fête dont nous recherchons les traces. Par une requête que présenta le susdit procureur à l'Official de Saint-Brieuc, juge délégué dans cette affaire par l'évêque de Nantes, commissionné du Saint-Siège pour la conservation des droits du chapitre de Rennes, nous voyons que, la veille du jour des SS. Innocents, l'évêque des innocents était élu, nommé et institué par les clercs et enfans de choeur de la Cathédrale ; que le lendemain, jour de la solennité, le nouvel élu, revêtu du costume épiscopal, chevauchant en tête des autres choristes ses camarades, se dirigeait avec toute sa suite droit au prieuré de Vaulx, membre de l'abbaye de Savigné, à une lieue environ de Rennes ; là, le prieur, grangier ou administrateur de Vaulx, en son nom et comme Procureur de l'abbé de Savigné, était tenu de délivrer entre les mains de l'évêque des Innocents et de sa compagnie un mouton, appelé chastri dans le langage du temps. Sur ce, la même chevauchée se rendait, dans le même appareil, au prieuré de Saint-Cyr, et le prieur du lieu leur remettait quatre chapons. Nantis de leur recette, l'évêque des Innocents et sa troupe revenaient en ville et procédaient au festin qui terminait la fête.
En 1381, l'évêque des innocents élu pour cette année, et dont le nom nous a été conservé par les actes de la procédure, — il s'appelait Nicolas le Gainguenis, — fut obligé de poursuivre judiciairement le prieur de Saint-Cyr pour soutenir ses droits et se faire délivrer ses quatre chapons.
En 1401, des lettres patentes de Jeanne de Navarre, duchesse de Bretagne, mère et tutrice du duc Jean V, intervinrent en faveur de l'évêque des Innocents et des privilèges du chapitre pour maintenir « les clers et cuereaux de l'église de Rennes » en possession du droit d'exiger le mouton ou chastri, « bon et sufisant, » du prieur de Vaulx, qui s'était permis de se faire prier pour acquitter le devoir accoutumé. Le chapitre accordait ordinairement chaque année aux gens du bas choeur et aux enfants de la psalette un écu d'or et quelques boisseaux de froment pour contribuer à la célébration de la fête. On trouve encore une somme de 5 s. portée dans tous les comptes capitulaires pour les gants « pro cirothecis » de l'évêque des Innocents.
Au XVIème siècle, l'antique cérémonie tomba en désuétude. On en sentait probablement le ridicule, et en présence des attaques et des critiques amères du protestantisme, on reconnut la nécessité de faire des réformes dans ces usages où il y avait désormais trop de laisser-aller. On peut suivre la décadence de la fête des Innocents dans les registres des délibérations du vénérable chapitre. A la date du 20 décembre 1562, on y lit que le chapitre autorisa encore pour cette année « les enfants de la psalette et autres de l'église » à faire la fête des Innocents « en manière accoustumée, fors l'évêque ».
Une fois l'évêque, principal personnage de la cavalcade, supprimé, il n'y avait plus qu'un pas à faire pour en finir. Ce pas fut fait : les registres subséquents ne mentionnent plus la célébration de la joyeuse fête des Innocents dans l'église de Rennes. (P. D. V.).
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