|
Bienvenue chez les Michelois |
- La Révolution - Les derniers Etats de Bretagne Assemblées Primaires - Assemblées Electorales |
Retour page d'accueil Retour Révolution à Saint-Michel-en-Grève
L'hiver
1783-1784 est très rigoureux, les années 1785 et 1786 souffrent d’une grande
sécheresse. L’été de 1788 est marqué par de violents orages. Le mauvais
temps nuit aux récoltes. Il y a moins de céréales, le pain est cher. Faute de
fourrage, il y a moins de têtes de bétail sur les foires de Saint-Michel-en-Grève
et leur qualité est médiocre. Tandis qu’à la campagne les revenus sont en
baisse, tous les prix tendent à grimper. Le commerce et l’artisanat souffrent
de la baisse du pouvoir d’achat, particulièrement le secteur textile depuis
longtemps en perte de vitesse.
Aussi
la misère est grande à Saint-Michel-en-Grève comme dans tout le Trégor. La
misère et la sous-alimentation favorisent le développement d’épidémies. La
situation est surtout difficile pour les classes populaires, journaliers, manœuvres,
petits artisans, petits commerçants, souvent chargés de familles nombreuses et
déjà aux portes de la misère en temps normal. Elle est moins critique pour
les autres catégories sociales qui se plaignent plutôt de la vie chère, des
impôts toujours plus lourds, du logement des gens de guerre.
Louis
XVI, devenu roi de France à 20 ans, n’est pas préparé à la lourde tâche
qui l’attend. La crise financière est telle qu’elle aboutit à la
banqueroute. La machine étatique est grippée, hors de fonctionnement. Une
solution s’impose : consulter le peuple tout entier par l’entremise des
représentants des 3 états : noblesse, clergé, tiers-état. Le roi y
songe dès novembre 1787 ; c’est chose faite le 8 août 1788 : le
roi et les sept ministres d’état apposent leurs signatures au bas d’un
parchemin portant la décision de convocation des Etats-Généraux et fixent la
date de la réunion au 1er mai 1789. La grande nouvelle de la convocation des
Etats-Généraux par le roi Louis XVI est connue à Saint-Michel-en-Grève très
tôt. En début 1789, une copie de la lettre du Roi parviendra à la fabrique de
Saint-Michel-en-Grève, dans laquelle il sollicite l’avis des Français «Nous
avons besoin du concours de nos fidèles sujets pour Nous aider à surmonter
toutes les difficultés où Nous Nous trouvons relativement à l’état de Nos
finances, et pour établir, suivant nos vœux, un ordre constant et invariable
dans toutes les parties du gouvernement qui intéressent le bonheur de nos
sujets et la prospérité de Notre royaume. Ces grands motifs Nous ont déterminé
à convoquer l'Assemblée
des Etats de toutes les provinces de notre obéissance, tant pour Nous
conseiller et Nous assister dans toutes les choses qui seront mises sous nos
yeux, que pour Nous faire connaître les souhaits et doléances de nos peuples,
de manière que, par une mutuelle confiance et par amour réciproque entre le
souverain et ses sujets, il soit apporté, le plus promptement possible, un remède
efficace aux maux de l’'Etat
et que les abus de tout genre soient réformés et prévenus par de bons et
solides moyens qui assurent la félicité publique et qui nous rendent à Nous
particulièrement, le calme et la tranquillité dont Nous sommes privés depuis
si longtemps. Donné à Versailles, le 14 janvier 1789 ».
La
grande affaire en ce début d’année 1789 est la préparation des « Cahiers
de doléances » ou plutôt des cahiers de revendications et la désignation
des délégués (députés) chargés de porter ceux-ci au siège de la Sénéchaussée ;
en principe deux délégués par paroisse jusqu’à deux cents feux ; en réalité,
il n’y a que deux représentants quelle que soit l’importance de la
paroisse. Ces cahiers de doléances sont une source d’informations essentielle
pour savoir comment vivent les michelois durant cette époque.
En
1789, lors des opérations préparatoires à la réunion des Etats-Généraux,
l'intendant de Bretagne prend le parti de convoquer les délégués de
Saint-Michel-en-Grève, Plouzélambre et Ploumilliau à la fois à Morlaix et à
Rennes.
Pendant
les mois qui précèdent l’ouverture des Etats-Généraux, une certaine
tension se fait sentir parmi les quelques notables de Saint- Michel-en-Grève.
Les lettres officielles de Convocation des Etats, avec doublement du Tiers, sont
traduites en langue bretonne et lues durant la grand-messe du dimanche. Sous
l'Ancien régime, en effet, comme l’attestent les registres de délibérations
des généraux des paroisses, le recteur est chargé de par ses fonctions de
publier les ordonnances royales et les décisions administratives. Le prône du
dimanche remplace donc tout naturellement le journal officiel et les affiches
des mairies, de même que la sacristie est à l’occasion, transformée en
maison commune. La langue bretonne est le seul idiome usuel à
Saint-Michel-en-Grève et les convocations et les ordonnances royales ne peuvent
être comprises que dans la mesure où le recteur Cosme Marie Jourand les
traduit à ses paroissiens. A l’occasion, il ne doit pas non plus se priver de
les commenter. Des élections primaires se déroulent donc pour nommer les électeurs
chargés de rédiger le cahier de doléances. Les paysans, peu instruits, sont
embarrassés pour rédiger leurs propres doléances, mais près d’eux, le
recteur Cosme Marie Jourand et quelques bourgeois campagnards de la région
lannionnaise les aident dans leur tâche. Le cahier de doléances de
Saint-Michel-en-Grève a été malheureusement détruit ou égaré (du moins je
ne l’ai pas retrouvé aux archives départementales). On suppose que
Saint-Michel-en-Grève a comme beaucoup d’autres paroisses fait appel à des
modèles généraux qui ont été répandus dans tout le Trégor.
Les
doléances sont de plusieurs types :
doléances
contre la fiscalité royale : les michelois réclament
la diminution des impôts et leur répartition équitable. Ils se plaignent
de supporter des charges trop lourdes. La corvée des grands chemins, abolie
dans le royaume depuis le 27 juin 1787, mais maintenue en Bretagne, accable
uniquement les habitants des campagnes. Les cultivateurs désirent
l’abolition de cet impôt qui les contraint à quitter leurs champs,
souvent à l’époque où leur présence y est nécessaire pour les récoltes,
pour venir à leurs frais travailler à un chemin dont ils ne se servent
pas, ou à peine. De même le tirage au sort pour la milice parmi les célibataires
leur enlève des enfants utiles et souvent nécessaires au travail de la
ferme. | |
doléances
contre le régime seigneurial : en plus
des charges imposées par le Roi et les Etats de Bretagne, les michelois
doivent subir un régime seigneurial oppressif, entraînant de nombreuses
contraintes. Les paysans demandent d’abord l’entière propriété de la
terre qu’ils possèdent ; car à Saint-Michel-en-Grève, aucun
roturier ne peut tenir terre sans seigneur et divers impôts et
servitudes marquent cette subordination. On demande la suppression du
domaine congéable. Les rentes seigneuriales donnent lieu à beaucoup
d’abus de la part des seigneurs et nobles de l’époque (Roux-Kerninon,
Rogon-Carcaradec, Quemper-Lanascol, Nouail-Villegilles, La Boëssiere,
Jacquelot-Boisrouvray,..) qui pour la plupart ne vivent pas à
Saint-Michel-en-Grève. Les paysans réclament l’abolition de tous les
privilèges seigneuriaux. La dîme seigneuriale est levée dans la paroisse,
comme rémunération de la protection accordée par les nobles aux récoltes
et au bétail. Les nobles de l’époque jouissent de nombreuses prérogatives :
richesses, honneurs, pensions, retraites, écoles gratuites. « Ainsi
si la noblesse jouit de tout, possède tout, commande les armées, c’est
le Tiers Etat qui les compose ». Les paysans sont également obligés
de moudre leur grain aux moulins du seigneur. La redevance perçue doit être
d’environ 1/16 du grain moulu, mais ceux-ci prennent souvent plus, parfois
1/8. Le droit de justice est la manifestation essentielle de l’autorité
seigneuriale, car le pouvoir judiciaire permet au seigneur d’exercer, de
maintenir tous ses droits. Dans l’ensemble, les paysans sont hostiles au régime
féodal et souhaitent de tout cœur de profondes réformes pour les
affranchir des servitudes et des contraintes que les seigneurs font peser
abusivement sur leur personne et sur leurs terres. |
Mais
le problème le plus immédiat est celui de la disette,
générale en cet été 1789 suite aux mauvaises récoltes de 1788. Les paysans
sont encore ceux qui en pâtissent le moins. En effet l’été de 1789 est
marqué par des pluies continuelles et la situation se dégrade : « ..,
la misère n’est point portée dans notre ville de Lannion à un excès qui nécessite
la sollicitude de cette assemblée
auguste comparée à celle des autres provinces où le prix du pain est à 7
sols, tandis qu’ici, quoiqu’un peu plus cher que de coutume, il ne s’élève
pas à plus de deux sols six deniers ou trois sols, et que le pays nous offre
des ressources de la côte dont sont privées les provinces intérieures du
royaume » (lettre du bureau de correspondance, datée du 13 juillet
1789). « Nous nous occupons, ou plutôt nous nous sommes occupés des moyens
d’assurer la subsistance. Les vérifications que nous avons faites dans les
greniers tant en ville que dans les campagnes nous tranquillisent à cet égard
en nous assurant beaucoup plus de grains qu’il n’en faudra pour garnir
abondamment nos marchés jusqu’à la récolte. Les pluies continuelles qu’il
a fait depuis deux mois nous ont donné beaucoup d’inquiétudes sur le produit
de la récolte, mais si le beau temps qui règne depuis quelques jours continue,
nous espérons encore recueillir une récolte abondante. Nos lins et nos foins
ont beaucoup souffert . Tout est
ici tranquille et l’ordre public paraît assuré…» (lettre de Kerinou,
maire de Lannion à Couppé, datée du 28 juillet 1789). « Jusqu’à présent la disette ne s’est point fait ressentir dans nos
marchés. Les froments commencent à être rares, mais nous avons abondamment
tout autre espèce de bleds. La récolte est superbe, le beau temps mûrit la
moisson, et avant huit jours il y aura du seigle battu. Je prévois même que la
récolte ne sera pas reculée au-delà de dix à douze jours du terme ordinaire »
(lettre de Kerinou à Couppé datée du 12 août 1789). « La calamité relative au grains se sent aussi ici. Le froment rapporte
beaucoup moins qu’on ne l’attendait, les pluies ne laissant pas le temps de
les battre et on appréhende une perte presque totale des blés noirs. Depuis
que j’habite Lannion, je n’avais pas vu le froment à 10 L le boisseau à la
Saint-Michel » (lettre de X à Couppé datée du 8 octobre 1789).
« Sans les pluies abondantes
qui nous désolent journellement depuis près d’un mois, la récolte n’eût
pas été mauvaise dans ce canton ; mais nos cultivateurs perdent toute espérance ;
dans plusieurs cantons on n’a pu jusqu’ici battre ni serrer aucune espèce
de grains. Les bleds noirs paraissent perdus sans ressources, et il est à
craindre que les autres bleds ne germent et ne pourrissent. Le froment a
cependant diminué de prix. Dans nos marchés, il est tombé à 8 L le boisseau
mesure du Roi. Quant aux exportations, il n’est point à craindre qu’on en
tente dans ce pays » (lettre de Kerinou à Couppé datée du 12
octobre 1789). « Le grain quoique
abondant a monté au marché d’hier à 12 L 10 sols le boisseau. Nous allons
ouvrir notre grenier de subsistance , il allégera les malheureux ouvriers que… »
(lettre de Rivoallan à Couppé datée du 26 février 1790).
Dans
ce climat de misère et d’espoir où tout transport de grain devient suspect,
il ne reste plus qu’à attendre pour les michelois qui croulent sous le poids
des prélèvements, les regards tournés vers le lointain château de
Versailles, et espérer ou désespérer , selon les nouvelles qui
parviennent. Le mardi 5 mai, le roi, face à 1139 députés (le Tiers Etat à
lui seul a la majorité absolue avec ses 578 représentants), procède
solennellement à l’ouverture des Etats-Généraux, demandant une aide pour rétablir
les finances du Royaume, sans souffler mot de l’élaboration d’une
Constitution qui serait la base d’une nouvelle forme de gouvernement. Les représentants
du Tiers-Etat vont de déception en déception. Le Clergé et la Noblesse
s’entendent dire qu’il faut participer à l’effort financier. Le Tiers
Etat aurait voulu entendre parler d’une possible Constitution mais on ne
cherche qu’à savoir comment trouver de l’argent. Cette journée génère
donc surtout des mécontentements. Les débats traînent en longueur. Une
certitude est acquise : le changement de société ne se fera pas sans
douleurs et sans heurts entre les partis qui séparent des siècles d’incompréhension.
Les
nobles et certains membres du clergé dont Cosme Marie Jourand, recteur de
Saint-Michel-en-Grève depuis 1774, commencent à manifester leur désaccord. En
1789, le recteur Cosme Marie Jourand, très autoritaire, conscient de son rôle
fondamental dans la vie de la paroisse, s’emporte d’ailleurs contre le corps
politique de Saint-Michel-en-Grève qui ne se plie pas à ses volontés et qui
nomme des fabriques qui ne lui agréent pas. Les relations sont très tendues et
le procès-verbal du 15 mars 1789 déclare que : « le recteur de Saint-Michel se plaint mal à propos du corps politique de
sa paroisse ; il n’y a qu’humeur de sa part. S’il y a des abus à
Saint-Michel, c’est de la part de Monsieur le recteur ; il veut être en
tout obéi et ne veut jamais avoir tort. Les délibérants lui demandent pour
eux et pour tous les paroissiens cet esprit de charité et d’amitié que le
bon pasteur ne cesse jamais d’avoir pour ses ouailles ».(A.D. des Côtes
d’Armor. G. Paroisses. Saint-Michel-en-Grève). Que certains paroissiens de
Saint-Michel-en-Grève en viennent à donner des leçons de morale évangélique
à leur recteur en dit long sur l’état des relations entre laïcs et le
recteur, au début de la Révolution.
Si
à Paris, le peuple confronté au spectre de la famine, inquiet de la présence
des troupes du Roi aux portes de la ville, redoute le pire et cherche à
s’armer. Le 14 juillet 1789, la
foule, toujours en quête d’armes, se dirige sur la Bastille, symbole de la
monarchie absolue. La nouvelle de la prise de la Bastille parvient à
Saint-Michel-en-Grève fin juillet « La
Bastille ? Petra an dra-hé ? – Me nouzounn ket » (La
Bastille ? Qu’est-ce que c’est ? – Je ne sais pas).
C’est
la fin de l’ancien régime. La prise de la Bastille force en effet Louis XVI
à reconnaître et à accepter à contrecoeur la souveraineté populaire et la
prise de pouvoir par le Tiers Etat. La grande peur des paysans oblige l'Assemblée
Constituante à redéfinir les règles du jeu social par l’abolition des
privilèges et des droits seigneuriaux le 4 août 1789. Le 26 août 1789, est rédigée
la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Après une introduction
sur la philosophie de cette solennelle déclaration qui se termine par
« En conséquence, l'Assemblée
Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre
Suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen » nous citons
quelques articles (sur les 17 publiés) consacrant la liberté, l’égalité,
la garantie de la propriété. Ce texte définit les nouveaux rapports entre les
français.
« art.
1 : les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.
art. 2 : le but de toute association
politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de
l’homme ; ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la
résistance à l’oppression.
art. 3 : le principe de toute
souveraineté réside essentiellement dans la Nation.
art. 7 : nul homme ne peut être accusé,
arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi.
art.10 : nul ne peut être inquiété
pour ses opinions, même religieuses.
art.11 : la libre communication des
pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ;
tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement. »
La
commission publie dans la foulée « l'Application des Principes » et
les « Dispositions fondamentales garanties par la Constitution ».
Les textes sont traduits en breton. Les premières réactions des michelois sont
des réactions de satisfaction « nous
ne dépendons plus des seigneurs. Nous ne leurs devons plus rien, enfin presque
rien ».
L’une des première tâches de l'Assemblée consiste également à faire disparaître les structures administratives de l'Ancien régime : intendance-subdélégation-seigneurie, c’est-à-dire pour Saint-Michel-en-Grève : Rennes-Morlaix-Lannion. Après de nombreuses discussions, on décide de découper le territoire français en département, district, canton, ville ou village. Le décret du 14 décembre 1789, donne aux habitants de Saint-Michel-en-Grève la possibilité d’élire une municipalité dont le responsable prend le titre de maire et qui a pour mission de faire appliquer les décrets en tenant compte des conditions locales, de veiller au maintien de l’ordre, de déjouer les complots et de procurer du travail aux indigents.
© Copyright - Tous droits réservés.