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LA FIN DES RIEUX

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Le chouannage s'étend. — Tolérance religieuse. — La guerre civile continue. — Le désastre de Quiberon. — Prise et évasion de M. Poisson.  

I. — LE CHOUANNAGE S'ÉTEND.

L'année 1795 débute dans le Morbihan par un Arrêté des Représentants Guezno et Guermeur, du 3 janvier, défendant d'inquiéter personne dans l'exercice du culte. Ils comprenaient que le pays avait grand besoin de pacification. La misère y était atroce en cet hiver d'une rigueur extraordinaire. La disette sévissait, ajoutant ses angoisses aux maux de la guerre civile qui s'aggravait de jour en jour.

Pour résister aux Chouans, fortement organisés, les autorités républicaines multiplient leurs consignes aux chefs des Bleus. Au capitaine de la corvette Eclair, embossée sur la Vilaine, elles enjoignent de ne laisser monter ni descendre aucun bateau plat, non muni d'un ordre exprès, d'opérer de continuelles patrouilles et de fouiller les bords de la rivière, les douves, les étiers, enfin de voir s'il n'y a pas des radeaux de joncs (grands roseaux) et de planches (4 janvier).

Lorsque les municipalités n'exécutent pas les ordres reçus, elles sont vertement tancées, comme celle de Rieux qui prétendait n'avoir pas de bois pour la corvette du Passage-Neuf : « Si vous n'avez pas de bois, rétorque le district, envoyez des charrettes en chercher dans la forêt de la Bretesche » (en Missillac).

Devenus forts, les Chouans assouvissent leur vengeance sur les délateurs, pourvoyeurs des prisons, des bagnes et de la guillotine. « Dans la nuit du 18 au 19 janvier, raconte une lettre du district de Rochefort au département, les brigands ont assassiné au bourg de Peillac Geslin, Lanche, Maurice et Chedaleux. D'autres ont été blessés. Ils ont pillé et brisé ce qu'ils n'ont pu emporter. Il était environ minuit et leur troupe comptait 200 hommes, commandés par un jeune homme de 22 à 24 ans. Ils se sont rendus ensuite à Vincent, où ils ont assassiné un nommé Payen dit Bellegarde. A Malansac, l'agent national a été également assassiné. On entend, la nuit, crier partout Vive le Roy et les patrouilles marchent en vain sur les bois. Les Brigands tiennent Glénac et les Fougerais. Deux chasseurs que nous avions envoyés à Redon ont été assaillis au village de la Mare (en Saint-Jacut) à coups de fusil par cinq hommes... Il faudrait de solides cantonnements à Jacut, Malansac, Caden ».

Les meurtres de Peillac sont ainsi inscrits aux Registres communaux.

— 30 nivôse III. — Thomas Chedaleux, époux Françoise Guiot. 40 ans, tué par un coup de feu dans la chambre de Guillemette Sevestre par les Brigands. — Claude Geslin, notaire au bourg, 50 ans, tué d'un coup de feu au pied de l'Arbre de l'Egalité à 1 heure du matin. — Joseph Morice, juge de paix, 40 ans, tué à 1 h. du matin. — Louis Lanche, du bourg, 53 ans, tué à 1 h. du matin.

Ce Thomas Chédaleux était l'ancien curé constitutionnel de Peillac, dont les dénonciations avaient causé l'arrestation de plusieurs personnes de Rieux. Le 21 janvier 1794, il avait annoncé aux autorités qu'il avait abdiqué les fonctions de prêtre ; le 12 août suivant, il se mariait avec Françoise Guiot, de Peillac, et, le 16, une proclamation de lui au peuple annonçait son mariage. Depuis, il avait continué son infâme métier de délateur, dénonçant même, le 12 mai 1794, son parrain, François Thibaut, dit Bon-dessein, de Peillac, qui fut exécuté à Vannes. On comprend alors les haines qu'il avait accumulées contre lui et pourquoi il fut assassiné.

La nuit du 20 au 21 janvier, les Chouans exécutent à Béganne le citoyen Richard, de Nantes, acquéreur du château de Trégouët confisqué à M. de Sécillon, de Rieux. Le maire Cadudal et le juge de paix Tuel (Tual ?) échappent à grand peine aux meurtriers.

C'est que l'Armée catholique et royale — ainsi s'intitulent les Chouans — est fortement constituée ; rien que pour Peillac une liste de cette époque porte 58 noms, dont « le prêtre Penhaleuc, Pierre Le Bel et Julien Le Bel, lieutenants, Etienne Trémoureux, sergent ».

« Notre horizon s'assombrit, mande l'agent national Cornu le 30 janvier ; les Chouans commettent tous les jours des vols, des assassinats. La terreur est telle que les patriotes des campagnes se cachent et que les municipalités n'agissent plus, de peur d'une mort certaine » (Archives départementales, L. 1311). Le 10 février, Cornu écrit au Comité de Salut public : « ... C'est pour rétablir la bonne religion, les bons prêtres et le roy que les Chouans luttent... Et ils sont presque partout reçus et cachés ; dans les campagnes ils ont beaucoup de partisans » (Archives départementales, L. 1323).

La Convention finit par le reconnaître et par accorder une certaine liberté du culte (Traité de la Jaunaie, 17 février). Cornu semble ne pas s'en rendre compte quand, le 27 février, il casse le Conseil municipal de Rieux, coupable à ses yeux de négligence dans l'expédition des affaires courantes et surtout dans la poursuite des Chouans. Il choisit pour officier public provisoire Joseph Le Lièvre, notaire à Rieux, « attendu la difficulté, expose-t-il, de trouver dans la commune un citoyen sachant écrire ».

 

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II. TOLERANCE RELIGIEUSE.

Enfin, le 9 mars, la liberté des Cultes est proclamée et les prêtres cachés sont autorisés à reparaître, moyennant une simple déclaration de résidence. Le 26, les prêtres internés étaient à leur tour rendus à leur peuple, ainsi que l'avait réclamé, le 17, le général Hoche.

Seulement les chefs chouans voudraient de plus le rétablissement de la royauté et, pour l'obtenir, ils continuent la guerre.

« Au nom du Roy, le général de Sol ordonne aux commandants de compagnies de poster des hommes sur toutes les routes et de s'emparer de ce qui sert au ravitaillement des brigands républicains ». Ici, de Sol retourne aux Bleus le qualificatif brigands.

Les chefs royalistes osent même passer ouvertement des revues, comme en témoignent ces lignes du prêtre Penhaleux : « Hier, avant la messe et après les vêpres, on a passé les soldats en revue à Caden ; ils y étaient un grand nombre et de quatre lieues d'alentour. Même cérémonie dimanche à la chapelle des Landes » (en Allaire).

Néanmoins, les autorités appliquent les décrets de liberté. Et il est curieux de voir comment ces hommes qui, peu auparavant, traitaient les prêtres fidèles de scélérats, parlent d'eux avec respect. Citons en exemple cette lettre du district, signée en premier lieu par Cornu et adressée à M. Le Didrouc, recteur de Maman.

« Citoyen..., trop longtemps les tyrans, comprimant la conscience, ont voulu empêcher la liberté indéfinie des cultes, liberté qui doit être sacrée... L'administration t'autorise provisoirement à faire tes cérémonies dans l'église et à te servir des ornements qui peuvent s'y trouver... L'Evangile que tu prêches est un évangile de paix... Répète souvent à tes concitoyens ce mot cher à tous les cœurs ; enfants d'un même Père, secourez-vous les uns les autres... Bientôt le calme va être rétabli à l'intérieur. Bientôt la paix avec les gouvernements étrangers sera conclue... Sous le gouvernement atroce de Robespierre, les habitants des campagnes furent cruellement tyrannisés ; sous le règne de la justice et de l'humanité, ils trouveront toujours protection et encouragement... Salut et Fraternité ! » CORNU, F..N. JAFFRE, etc.

C'était justement à la veille de Pâques. Quel bonheur de pouvoir en ce dimanche, 5 avril, célébrer publiquement cette fête, sans doute en des églises délabrées, aux clochers muets, avec les ornements usagés qu'avaient dédaignés les spoliateurs, mais avec quelle ferveur chez les pasteurs et les fidèles ! L'agent national Cornu le constate avec dépit dans sa lettre à la Commission exécutive du Morbihan, le 25 avril : « Plusieurs prêtres reparaissent et exercent publiquement. Le fanatisme est ici à son dernier période. Tout le monde court voir les prêtres élargis, ou qui se sont montrés, faire ce qu'on appelle des messes. On a même le projet, au chef-lieu de ce district, de faire enlever de la ci-devant église, seul édifice national qui existe, la statue de la Liberté, pour y faire les cérémonies du culte catholique » (Archives départementales, L. 1326).

Dans la plupart des communes rurales : Rieux, Béganne, Théhillac et autres, les prêtres qui reparaissent pour officier n'ont pas rempli les formalités préalables requises. Les administrateurs s'en plaignent, mais ne se font pas d'illusion sur le succès de leur réclamation (Archives départementales, L. 1325).

Parmi ces prêtres libérés, citons M. Tual, de Rieux, revenu des pontons de Rochefort « n'ayant plus que la peau et les os et plus semblable à un vieillard qu'à un homme de 29 ans ». Citons encore : M. Guého, vicaire à Rieux, rentré d'Espagne ; M. Pucelle, prêtre à Saint-Jacut, libéré le 5 avril de la prison de Josselin.

 

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III. — LA GUERRE CIVILE CONTINUE.

Cependant la guerre civile ne s'apaisait pas.

Le commandant de la canonnière La Montagne, stationnée au Passage-Neuf, se plaint que les grains de la République (ceux des émigrés de Forges et de la Houssaye) aient été enlevés par les Chouans grâce à la connivence de la municipalité de Rieux ; et il ordonne à un commissaire accompagné de troupes de prendre ce qui reste, au moyen de deux bateaux réquisitionnés de gré ou de force au Passage-Neuf.

En mai, le département annonce à Hoche « que les Brigands sont maîtres en plusieurs districts, notamment ceux de Roche-Sauveur et Roche-des-Trois : ils y enlèvent les plus beaux hommes, bénissent des drapeaux blancs et font chanter le Domine, salvum fac Regem » (Seigneur, sauvez le Roi).

Le Représentant du peuple, Brüe, pour calmer l'opinion, réforme les administrations dont il élimine les anciens terroristes : Cornu est de ceux-là.

Mais cela ne suffit pas à ramener la paix. Le Morbihan veut appuyer la Vendée, en pleine insurrection. L'une de ses Divisions, — la 3ème Division royaliste — commandée par de Sol, comprenait les territoires situés à l'Est d'une ligne allant de Muzillac à La Gacilly par Questembert. De Sol avait comme capitaine d'état-major Augustin Foucaud, né à Rieux en 1779, et comme capitaine-adjoint Joseph du Quercron, natif de Rieux en 1777. Augustin Foucaud avait aussi deux frères officiers dans l'armée chouanne : Jean, tué en 1795, et Jean-Alexandre, né en 1771, chef de canton avec 500 hommes dans la Division de Sol [Note : Leur mère était Jeanne Joyau, des Couesnongle-en-Saint-Jacut).

Le 2 juin, de Sol lance un vibrant appel à la lutte. Les Royalistes multiplient alors leurs attaques contre les Républicains, avec la connivence des habitants qui leur offrent en abondance : pain, veau, poulets, cidre, etc. (Archives départementales, L. 282). Ils sont d'ailleurs encouragés par la présence de nombreux vaisseaux anglais au large des côtes. Les autorités locales sont débordées et réclament des renforts.

« On entend continuellement, note le district au département, les rappels de cornets à bouquins dans nos campagnes. Les Chouans sèment la terreur et l'épouvante à Rieux, Béganne et Dolay ; un canot de la station a été attaqué par 80 hommes armés de fusils et d'un petit canon. Envoyez-nous des troupes ».

Une victime des Chouans fut Pierre Lallemand. De Redon où il s'est réfugié, il raconte ainsi à un ami le pillage de sa propriété de La Grée, en Rieux : « Mon bon ami, j'ai peine à vous écrire tous mes malheurs, tant j'ai l'âme navrée. J'ai perdu en deux jours le fruit de mes travaux de 16 à 17 ans. Les brigands royalistes ont enlevé tous les bestiaux de ma petite terre de La Grée, consistant en vingt bêtes de toutes espèces, dont quatre boeufs superbes, une charrette chargée de couettes, matelas, draps de lit, des bassins de cuivre, grands et petits, des chaudrons, etc. Il n'est resté que les gros meubles de bois. Je comptais recueillir sur La Grée et La Bousselaie, 15 à 16 tonneaux de grains ; cela m'eût dédommagé des travaux immenses payés fort cher en numéraire. Personne ne veut travailler pour moi, disant qu'on courait trop de dangers. Ainsi me voilà sans ressource. Nous sommes avec une très faible garnison, de sorte que Redon est fort menacé ». Bientôt les revers des Royalistes vont apporter un peu de baume à son coeur ulcéré.

 

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IV. - LE DÉSASTRE DE QUIBERON.

La Bataille. — Le 27 juin 1795, l'armée des émigrés, composée de la fleur de la noblesse française et de l'élite de la marine, parvient, malgré les forces républicaines, à débarquer dans la baie de Carnac. Après des combats acharnés, ils réussissent à se rendre maîtres de la presqu'île de Quiberon. C'était une faute, car ils sont alors pris entre le feu de l'ennemi et l'Océan.

Au premier rang des émigrés se trouve Louis-Charles de Rieux, lieutenant au régiment de Rohan, avec d'Hervily, Puisaye, Tinténiac, Cadoudal et Sombreuil auquel le lie une vive amitié. Il se bat avec le saint enthousiasme qu'il puise dans sa foi en Dieu et sa fidélité au Roi, sous les plis du drapeau blanc que brandit Tinténiac. Oh ! drapeau bien simple : ce dernier, après avoir balayé les Bleus de la Butte Saint-Michel, s'est emparé de leur drapeau tricolore et l'a remplacé par un pan de sa chemise qu'il a déchirée.

Soudain, une nouvelle circule : Louis XVII est mort ! C'est alors un jour d'accalmie dans les combats ; les émigrés célèbrent pour lui un service funèbre, chanté par Mgr de Hercé, évêque de Saint-Malo, membre de l'expédition ; et ensuite, joyeux, ils saluent en Louis XVIII le nouveau Roi de France.

Trois semaines durant, les Royalistes luttent courageusement, sans pouvoir briser l'étau que leur oppose le général Hoche.

Le 20 juillet, sous les coups de leurs nombreux adversaires, les émigrés tombent, a-t-on dit, « comme l'herbe sous la faulx ». Mais pas un ne recule. Malgré des prodiges de valeur — en particulier du comte de Rieux — le Fort Penthièvre, clef de la position, est pris par les Républicains. Alors le chef royaliste, d'Hervily, décide de rejoindre les vaisseaux anglais, pendant que de Sombreuil, avec 4.000 volontaires, se dévoue pour protéger ce rembarquement. Bientôt, acculé à la mer, Sombreuil capitule après avoir obtenu de Hoche promesse de la vie sauve pour ses hommes.

Louis de Rieux est de ceux-là (Voir Le Dernier des Rieux, par Mme DU FAOUÉDIC). De désespoir, il a brisé son épée avant de rejoindre les colonnes de prisonniers. Il y rencontre Sombreuil.

« Ah ! mon ami, s'écrie ce dernier en l'embrassant, que ne suis-je tombé pour ne plus me relever ! ».

« Combien je partage vos regrets, réplique Rieux, farouche et sombre. Eux au moins sont morts avant de se rendre compte de l'immensité de nos désastres ».

« Oui, ajoute Sombreuil, l'oeil voilé de larmes, survivre à la défaite, quelle effroyable douleur ! ».

La prison et le jugement. — Les prisonniers sont dirigés sur Auray. Ils ne cherchent pas à s'enfuir, quoique ce fût facile pour plusieurs, parce qu'ils avaient donné leur parole d'honneur de ne pas l'essayer.

De Quiberon à Auray, Louis de Rieux voyage dans la deuxième colonne entre Louis de Talhouët et Louis de Langle. Ils arrivent à destination vers une heure du matin, le 22 juillet et sont cantonnés dans l'église paroissiale.

Malgré la promesse de Hoche, la Convention vote la mise en accusation des prisonniers.

Louis de Rieux est d'abord jugé par la Commission militaire Dubois, le 2 août. Il est ainsi présenté : « Louis-Charles-Marie de Rieux, marquis d'Assérac, âgé de 22 ans, étudiant, amené par son père en Suisse en 1789 ; lieutenant au régiment de Rohan depuis un an ». La Commission met l'inculpé en sursis.

C'est pendant ce sursis, le 18 août, que des sans-culottes pénètrent dans la prison où se trouve Rieux ; s'adressant aux captifs, ils leur disent : « Le général Lemoine vous épargnerait si vous lui donniez de l'argent ». Et à Rieux : « En ce moment, à la Forêt-Neuve, de Kéranval, Mme de Cornouailles et Joyau essaient de vous racheter, mais votre rançon est de trente mille francs ; comment trouver pareille somme au pays ruiné de Rieux ? ».

Le jeune Comte avait bien écrit à son intendant Joyau, le priant de le réclamer (moyennant finance). Mais la personne chargée de la lettre l'avait retenue plusieurs jours et y avait ajouté que le malheureux était mort. C'était inexact, car, peu après, Joyau recevait une seconde lettre par laquelle le prisonnier l'appelait au plus vite. Aussitôt, Joyau vole à Auray. Hélas ! c'était trop tard ! On lui dit que, s'il s'était présenté à temps, on le lui aurait rendu, mais alors plus de grâce ! Le pauvre intendant en éprouva un si profond chagrin que sa santé s'en ressentit gravement.

La fausse nouvelle de la première lettre annonçant la mort de Rieux était-elle due à une erreur ou à la méchanceté ? On ne l'a jamais su.

Mort de Louis de Rieux. — Le 25 août, Louis de Rieux et 163 de ses compagnons étaient traduits devant la Commission Laléne, siégeant à Auray, et condamnés à être exécutés dans les 24 heures. Le lendemain, 9 Fructidor, An III — 26 août 1795 — au matin, des soldats belges viennent chercher 28 des condamnés ; en tête de leur liste, Louis de Rieux.

Courageux, le jeune homme implore le Seigneur et la Vierge, puis marche sans trembler vers le lieu de l'exécution : c'est la plaine, arrosée 400 ans auparavant du sang de son ancêtre, Guillaume de Rieux, tué en 1364 aux côtés de Charles de Blois, plaine appelée depuis la Révolution le Champ des Martyrs. Lorsque les condamnés sont alignés, le commandant des Bleus commande Feu ! ... Une salve retentit, les 28 victimes tombent sur le sol, et les exécuteurs s'en vont.

Or, deux des fusillés n'étaient que légèrement blessés : Louis de Rieux et Joseph du Bouëttiez. Longtemps ils font le mort ; puis quand ils sont sûrs que les soldats sont loin, ils se relèvent et s'enfuient avec précaution à travers les marais dans la direction du manoir de Kerzo.

Ce manoir, situé sur la rive gauche du Loch, se dissimulait dans un bouquet d'arbres. Il était habité par la famille Lauzer, dont le chef était un révolutionnaire, ainsi que ses deux gendres : Lucas Bourgerel, accusateur public près du tribunal criminel de Vannes, et Pierre Boullé, procureur-général-syndic du département. Leurs femmes, au contraire, Mme Lauzer et ses soeurs, se faisaient une joie, en l'absence des hommes, d'offrir un refuge aux prisonniers évadés.

Louis de Rieux, après avoir franchi le Loch à la nage, s'embourbe dans les roseaux de la rive qu'il remontait. Pour son malheur, il est aperçu par un garçon meunier qui se lance à sa poursuite, un croc de fer à la main. Arrivé près du bourbier d'où le fugitif essayait de sortir, il frappe le jeune homme brutalement à la tête et l'assomme net ; puis il dépouille sa victime de son riche costume, salaire de son odieuse besogne.

Du château, Mlle Aimée Lauzer avait été témoin du drame. A la nuit, elle vient avec les dames de sa famille inhumer dans sa propriété le malheureux proscrit.

Ainsi périt en pleine jeunesse le dernier rejeton de l'illustre famille de Rieux. Elle a duré autant que l'histoire de Bretagne, et l'on y trouve des grands hommes à chaque génération. Tant qu'ils ont vécu et combattu sur le sol de la patrie bretonne, la sève vigoureuse de cette forte race n'a rien perdu de sa fécondité. Mais il semble qu'il lui fallait la terre natale pour conserver sa vigueur. En effet, après l'union de la Bretagne à la France, et surtout lorsqu'ils devinrent seigneurs de la Cour sous Louis XIII et Louis XIV, la décadence commença. Les alliances sont dès lors moins brillantes et l'on voit poindre la gêne, les emprunts, les saisies de ces admirables terres, véritables principautés où ils régnaient autrefois, traitant presque d'égal à égal avec leurs souverains...

A dater de cette absorption par la France, les Rieux doivent se contenter de vivre en simples seigneurs et ils deviennent colonels de quelque régiment. Chaque branche s'éteint à son tour jusqu'à ce que, enfin, le dernier du nom vienne mourir tragiquement dans les marais d'Auray, « comme si la terre bretonne eût été jalouse de recevoir et d'absorber les dernières gouttes de ce sang illustre qui, à la fin de sa grande race, lui revenait comme au sein de sa mère » (Comte DU PALYS, Association bretonne, 1902).

Sous la Restauration, la famille Lauzer fit connaître l'endroit où était inhumé Louis de Rieux et que recouvrait une simple dalle sans inscription. Ses restes furent alors exhumés et recueillis par les soins de M. Deshayes, ancien curé d'Auray, supérieur des Soeurs de la Sagesse et fondateur des Frères de Saint-Gabriel. Placés dans un cercueil, ils furent portés dans le Mausolée de la Chartreuse, inauguré en 1829, où reposent 952 martyrs de la Révolution.

 

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V. — PRISE ET ÉVASION DE M. POISSON.

Le désastre de Quiberon n'abat pas le courage des Royalistes. Sous l'énergique impulsion de Cadoudal, ils résistent victorieusement aux généraux de la République. Dans le Morbihan, l'un de leurs meilleurs chefs est de Sol, qui commande la division de la Vilaine ; les Chouans de Rieux sont sous ses ordres.

Malgré ces luttes, l'Eglise jouit d'une certaine liberté, si bien que les prêtres exilés en Espagne se demandent si ce n'est pas le moment de revenir. Le recteur de Rieux, M. Poisson, est consulté le 29 septembre, à titre de vicaire général de Vannes, par M. Moysan, recteur de Languidic, alors au palais épiscopal d'Orensé en Galice : « L'évêque d'Orensé, écrit ce recteur, n'est pas d'avis que beaucoup de prêtres rentrent en France, mais un petit nombre seulement pour affermir les bons catholiques. Ils ne diraient pas de messe ni ne feraient aucune fonction qui pût les faire découvrir. L'Archevêque d'Auch, les évêques de Dax et de La Rochelle sont d'avis de différer le retour. Beaucoup de prêtres français travaillent dans des paroisses espagnoles. Cependant ceux qui le désirent obtiendront des passeports ».

La détente n'était pas la paix. On s'en aperçut bien lorsque la Convention expirante remit en vigueur, le 24 octobre, les lois de mort contre les prêtres réfractaires. D'où un redoublement d'activité des Chouans contre les Patriotes. Le 3 novembre, un navire chargé de grains, venant de Redon, est attaqué au passage de Rieux et obligé d'aborder : tout le blé est enlevé, pendant que, à Cran, un bateau chargé de résine est vidé. Prévenu, le commandant du Passage-Neuf y envoie un canot avec 12 hommes qui cernent la maison où étaient les Chouans ; mais ceux-ci réussissent à se sauver par la fenêtre dans un bois voisin.

« Les rebelles sont de plus en plus audacieux, écrit le district ; les colonnes mobiles ne valent rien. Il vaudrait mieux se servir de ruse et faire marcher des hommes déguisés soit en paysans, soit en habits rouges avec des chefs montés et habillés en vert, car tel est le costume des brigands ».

« Le 27 novembre, un détachement du bataillon des Ardennes se transporte de Roche-Sauveur à Rieux pour s'assurer du nommé Poisson, faute à lui de s'être conformé aux lois [Note : Obligeant à une déclaration avant de reprendre le ministère]. Ce détachement est arrivé à Rieux vers 10 heures et, ayant appris que ledit Poisson était à l'église à confesser, moi, Roussière, chef du détachement, je m'y suis transporté avec des volontaires, où je l'ai trouvé sortant du confessionnal... M. Poisson me dit qu'il était prêt à m'obéir, heureux même d'aller à Roche-Sauveur où il sera plus tranquille » (Archives départementales, L. 1340).

La ville n'ayant pour prison qu'un lieu infect, Roussière confie son prisonnier au citoyen Claret, juge au tribunal, ancien notaire à Rieux. L'agent national Hallier l'annonce au département, ajoutant : « Des raisons politiques s'opposent à ce qu'on n'emploie pas à l'égard des prêtres tous les moyens de rigueur présents ; trop de véhémence ne servirait qu'à aigrir encore davantage les esprits déjà trop excités » (28 novembre) (Archives départementales, L. 278).

Heureux de cette capture, le département ordonne le transfert de Poisson à Vannes. Cet ordre reçu à Roche-Sauveur, « le commandant de la gendarmerie, de fort mauvaise grâce, note le rapport, désigne deux gendarmes pour l'exécuter. Ceux-ci se présentent chez la citoyenne Claret : elle leur déclare que Poisson dînait en ville, elle ne savait où — on sut depuis que c'était chez Louis Lévesque. Et les gendarmes rentrent à la caserne sans perquisitionner en ville. Nous sommes persuadés, continue Hallier, qu'il est encore ici. Nous avons été singulièrement trompés sur le compte de cet individu. Son air de candeur, la franchise qu'il témoignait en se présentant devant nous, son langage séduisant, ses manières insinuantes, tout avait tellement en lui l'apparence de la vérité ! Enfin, tout le monde a pris parti pour lui parmi les patriotes et nous avons dû le laisser en ville » (Archives départementales, L. 278).

Le 11 décembre, une lettre de Roche-Sauveur à un citoyen de Vannes raconte l'histoire, insinuant que les autorités de la ville étaient plus ou moins complices en cette affaire. Le département fut très dépité de cette évasion d'autant que la fiche reçue sur le recteur de Rieux était plutôt péjorative ; qu'on en juge : « Poisson. — Agé d'environ 50 ans ; visage ovale, maigre, teint plombé, yeux bleus, nez ordinaire un peu aquilin, cheveux gris presque blancs ; taille d'environ cinq pieds un pouce (1 m. 65) ; voix châtrée ; un peu voûté. C'est un coquin des plus dangereux. Il se fait accompagner d'anciens chefs de chouans qui exigent de fortes contributions des habitants. Il se fait passer pour grand vicaire... etc. » (Archives départementales, L. 289).

Finalement, l'ex-juge Claret est mandé à Vannes pour fournir des explications sur l'affaire Poisson. Il en rejette la responsabilité sur sa femme : « oui, dit-il, je l'avoue à ma honte, mon épouse est une bigote, ancienne pénitente du curé Poisson ». Et il s'en tire avec une verte semonce ; un an auparavant, il eût été condamné au moins à la prison.

Nous qualifions Claret du titre d'ancien juge. C'est que le tribunal de Roche-Sauveur avait été supprimé par le Corps législatif qui avait succédé sur la fin d'octobre à la Convention. Il se compose de deux Chambres : le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens. Le tiers de ces Assemblées, élu par le peuple, est nettement anti-révolutionnaire ; malheureusement les deux autres tiers sont des conventionnels et ils choisissent pour gouverner la France un Directoire de cinq jacobins régicides.

A Rieux, comme dans tout le Morbihan, la municipalité ne put être réorganisée ; elle continue de gérer les affaires communales, de même que le district reste en exercice provisoirement (abbé Henri Le Breton).

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