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RIEUX : LA GUERRE DE 1939 ET L'OCCUPATION

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La ruée allemande. — Un héros de Rieux. — Prières et espoirs. — Le passage d'une Reine. — Semaine d'angoisse. — La libération.  

I — LA RUÉE ALLEMANDE.

Le vendredi, 1er septembre 1939, paraît l'ordre de mobilisation, pendant que les cloches sonnent lugubrement. Les jours suivants, les mobilisés partent, graves et silencieux. Le 3, c'est la déclaration de guerre. Vif émoi dans tous les coeurs ! Les Postes ne fonctionnent plus, seule la Radio apporte quelques nouvelles... d'ailleurs peu rassurantes. Et pendant des mois, son communiqué nous ressasse son énervant Rien à signaler.

Le 2 décembre, à Rieux, on apprend la mort de Jean Lelièvre, de Lézalaire, marin sur le « Floride », cargo coupé par une mine à Dunkerque et englouti avec presque tout son équipage. Or la famille Lelièvre compte cinq de ses membres aux Armées.

L'accalmie se prolongeant, Mgr Tréhiou commence sa tournée de Confirmation. Le 17 avril, il est à Rieux. Reçu avec honneur par le maire et la population, Mgr les félicite de leur esprit si chrétien et appelle sur les mobilisés les bénédictions divines. L'absence de plusieurs papas assombrit un peu la fête.

On s'habituait à cette drôle de guerre sans grande bataille quand, le 10 mai, se déclencha la ruée allemande, repoussant nos armées de Belgique et du Nord de la France et, avec elles, des milliers de réfugiés. Exode lamentable ! Nombre de nos soldats sont faits prisonniers, dont le vicaire de Rieux, M. Le Gal.

L'occupation. — Coup de théâtre ! Devant l'impossibilité de réagir immédiatement, le Maréchal Pétain, élu Chef de la France, signe, le 22 juin, l'Armistice avec les Allemands. L'une des conséquences de cet Armistice, sera l'occupation des deux tiers de la France, dont toute la Bretagne. Et peu à peu, les soldats allemands s'installent chez nous.

En même temps, les réfugiés affluent. Rieux en aura 490. Les habitants les reçoivent charitablement quoique, pour eux aussi, les conditions de vie s'aggravent du fait des restrictions imposées.

L'automne 1940 apporte des consolations aux familles : de la zone libre, leurs mobilisés envoient des nouvelles ; plus tard, c'est des stalags allemands que les prisonniers écrivent. Pour ceux-ci, en novembre, un Comité des Prisonniers se forme à Rieux, destiné à leur envoyer des colis de vivres. Et durant toute la guerre, ce bel élan de charité ne se ralentira pas.

L'année 1941, en mars, sur l'initiative de M. et Mme Béniguel, s'organisent deux Comités de Croix Rouge et de Secours National en faveur des civils nécessiteux. Plus tard, le 23 octobre, pour aider les cultivateurs, seront fondés un Syndicat agricole et une Mutuelle chevaline. Le siège de ces oeuvres, auxquelles le recteur prête son actif concours, est à l'école libre des garçons.

Profitant d'une loi du Gouvernement Pétain, le Conseil municipal, en novembre, crée une Caisse des écoles publiques et une Caisse des écoles privées, bel acte qui témoigne de son esprit de justice et de son respect pour la liberté de conscience.

Vers la fin de l'année, l'on est heureux de voir libérer des stalags les anciens soldats de la guerre de 1914, les pères de famille nombreuse et les aînés de six, et revenir de la zone libre les soldats démobilisés.

Peu d'événements en 1942. En avril, le maire François Perrin démissionne pour raison de santé. Jean Béniguel, élu le 4 mai, déclare n'accepter que pour rendre service à ses concitoyens. A l'automne, les Allemands prétendent réquisitionner les jeunes gens pour leurs travaux, même en Allemagne, c'est le S.T.O. (Service du Travail Obligatoire). Pour y échapper, la plupart se camouflent ici ou là.

C'est l'époque où l'on tâche de suivre à Radio-Londres le déroulement des opérations militaires en Afrique du Nord, où le débarquement des Alliés et l'avance du général Leclerc vont stopper l'offensive allemande.

Afin d'obtenir le secours du ciel, les évêques prescrivent la Consécration des paroisses et des familles au Coeur Immaculé de Marie, ce qu'accomplissent avec une réelle ferveur les paroissiens de Rieux, le 28 mars 1943.

Dès lors, la guerre prend une meilleure tournure : le 10 mai, l'Afrique du Nord est totalement enlevée à Hitler. Ce succès console des ennuis causés par l'occupation ennemie. Le 16 juin, en effet, Rieux a reçu une garnison allemande de 200 hommes. Elle y reste jusqu'au 20 août, sans toutefois y commettre d'excès regrettables.

Entre temps, le Conseil municipal s'était prononcé le 16 mai contre la campagne séparatiste qui prétendait séparer la Bretagne d'avec la France. Puis il se déclarait « satisfait de ce que le Maréchal Pétain avait décidé de reconstituer la Province dans les limites historiques de ses cinq départements et de lui rendre certaines de ses libertés ». En terminant sa séance, « le Conseil renouvelait au Maréchal ses sentiments de filial dévouement ».

 

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II. - UN HÉROS DE RIEUX.

Parmi les soldats de Rieux qui luttaient aux côtés des Alliés, se fit remarquer par son héroïsme, Paul de Forges. En septembre 1939, il se trouvait en situation d'activité et terminait son stage de deux ans dans l'aviation de grande reconnaissance à Nancy. Il put ainsi prendre immédiatement une part active à la guerre et mener à bien de nombreuses missions au-dessus de l'Allemagne. Parti le 20 décembre 1939 avec un appareil « Potez », du groupe de reconnaissance 1-33, en compagnie d'un lieutenant-observateur et d'un adjudant mitrailleur, il est attaqué par un Messerschmidt et se défend vaillamment. Mais bientôt, son moteur, atteint par les balles, s'enflamme et met le feu à l'avion, et l'appareil s'abat comme une torche dans les lignes ennemies. Paul de Forges n'est que blessé. Soigné à l'hôpital de Landstuhl (Allemagne), il guérit et reste seize mois prisonnier. Libéré au bout de ce temps (mars 1941) parce que les Allemands étaient persuadés que, en raison de ses blessures il ne serait plus jamais en état de voler, il passait en Angleterre dans les Forces Françaises Libres, dès novembre 1942 et s'entraînait dans l'aviation de chasse.

En juin 1943, il demandait à partir avec l'escadrille Normandie (plus tard Régiment Normandie-Niémen) sur le front russe où la bataille faisait rage.

Après plusieurs victoires homologuées, il disparaissait le 31 août, entre Orel et Smolensk, au cours d'une effroyable mêlée où 16 de nos chasseurs avaient affronté 200 bombardiers allemands. On ne devait jamais retrouver la moindre trace ni de lui ni de son avion. Il était alors capitaine et, à sa Médaille militaire, étaient venues s'ajouter une autre Croix de Guerre avec palmes et la Légion d'Honneur.

La Comtesse de Forges a ainsi chanté son fils et ses compagnons :

« Mais tandis que leurs corps sanglants

Retombaient, vaincus, sur la terre,

En un grand vol étincelant,

Leurs âmes librement montaient dans la lumière ».

Voici deux de ses citations :

A l'Ordre de la Division (novembre 1939) : Sous-lieutenant de Forges. — « Jeune officier pilote qui a participé à plusieurs missions lointaines dangereuses, et notamment à une reconnaissance au cours de laquelle il a parcouru 450 km. en territoire ennemi, à moins de 50 mètres d'altitude et essuyé de nombreux tirs d'armes automatiques ».

A l'Ordre de la Brigade aérienne (1er mars 1941) : Le lieutenant Pilote de Forges Paul-Charles-Marie. — « Pilote de grande classe, ayant accompli de nombreuses et périlleuses missions de reconnaissance. Le 20 décembre 1939, a été grièvement blessé par balles et éclats d'obus, au cours d'un engagement à très haute altitude avec plusieurs appareils de chasse ennemis. A réussi, malgré ses blessures, grâce à son exceptionnelle énergie, à atterrir avec son avion en flammes à l'intérieur des lignes adverses. Déjà cité au début de la campagne. Médaillé militaire. Titulaire de brillants services aériens avant la guerre. Plus de 3.000 heures de vols ».

Par délégation de M. le Général commandant la 1ère Région, Le Colonel Fieschi, commandant la base aérienne de Lyon.

 

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III. - PRIÈRES ET ESPOIRS.

Malgré la guerre, le recteur de Rieux crut bon de ne pas reculer davantage la Grande Mission décennale. Prêchée par les Missionnaires diocésains du 13 septembre au 3 octobre, elle obtint un très beau succès. Le jeune vicaire leur fut un auxiliaire dévoué ; c'était M. Armand Bouvier, né à Glénac en 1918. Il venait suppléer M. Le Gal, prisonnier de guerre, d'abord au stalag IV B en Saxe, puis au Kommando des Marais du stalag XI B.

Dans les premiers mois de 1944, on parle de plus en plus d'un prochain débarquement des Alliés en France. Pour se concilier les forces célestes dans les heures graves qui se préparent, les évêques demandent la Consécration au Sacré-Coeur. Et cette Consécration se fait à Rieux de tout coeur dans les familles d'abord et, pour finir, à l'église.

Soudain, Radio-Londres lance la sensationnelle nouvelle : « le 6 juin, au matin, de nombreuses troupes des Alliés ont débarqué en Normandie et, le soir du même jour, leur pénétration atteint une profondeur de 32 km ». De son côté, la Résistance harcelait l'ennemi et sabotait les voies ferrées pour contrarier les renforts allemands. Aux abois, les occupants multiplient leurs perquisitions pour découvrir ceux qu'ils appelaient terroristes et s'emparer des armes parachutées. C'est ainsi que, le 14 juin, ils arrêtent Honoré Dayon, de l'Angle, père de famille, et Gustave Cheval, jeune homme ; le 17, les deux frères Thébaud et leur neveu, du Plessix. De ceux-ci ils incendient la propriété et emmènent tout le bétail.

La rage des Allemands venait de ce qu'ils avaient appris la formation d'une troupe de dix mille hommes à Saint-Marcel, où effectivement il y eut, le 18 juin, un violent combat. Un bon nombre d'Allemands y furent tués ainsi que 42 parachutistes et maquisards.

Le 22 juillet, Rieux est de nouveau occupé. On y redouble de prière pour obtenir le succès des Alliés. « Le 26 juillet, note le recteur, nous eûmes quatre messes à se suivre avec affluence, en l'honneur de Sainte Anne. Nous ne l'avions jamais si bien fêtée, sans compter qu'on priait avec ardeur dans les familles ».

Ces prières ne tardèrent pas à être exaucées. Le 4 août, les Allemands quittaient Rieux. Mais, à court de véhicules, ils réquisitionnent huit charretiers pour emmener leur matériel vers La Roche-Bernard. Pour entraver ces mouvements de l'ennemi, les avions anglais viennent les bombarder, au bourg de Rieux notamment ; il n'y eut que deux maisons endommagées et quelques vaches tuées.

Parmi les charretiers réquisitionnés se trouvait la fermière de Villeneuve, dont le mari était prisonnier de Guerre. Charitablement, l'abbé Emile Pondard, du Val, la remplace dans le convoi. Le 8 août, ces charretiers réussissent à s'évader de Saint-Joachim, dans la Grande Brière, mais ne pouvant ramener leurs chevaux à Rieux, ils doivent les laisser à Théhillac jusqu'à la Libération.

Si Rieux est délivré des occupants, ceux-ci en restent tout près cependant, car les Américains, après s'être emparés de Redon, ont filé sur Nantes et, de la Vilaine à la Loire, la Poche de Saint-Nazaire restera au pouvoir de l'ennemi. Rieux souffrira de cette proximité, mais tout d'abord il aura l'honneur de recevoir la visite de Notre-Dame, Reine de la France.

 

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IV. - LE PASSAGE D'UNE REINE.

Depuis 1942, la Vierge Marie parcourait son Royaume, représentée par l'antique statue de Notre-Dame de Boulogne, dite encore la Vierge Nautonnière, parce qu'elle est assise dans une barque. Cette croisière avait reçu l'appellation de Grand Retour de Notre-Dame.

Le 3 août 1944, la Vierge arrive de la Loire-Inférieure à Férel (Morbihan). Elle était donc prisonnière dans la poche de Saint-Nazaire. Comment franchir la Vilaine et gagner le pays libéré ?

Les préparatifs de la traversée. — Le 8 août, Notre-Dame est à Saint-Cry, où le R.P. Clairet, Rédemptoriste, directeur, décide de tenter l'aventure et de passer à Cran. Mais juste à ce moment, les bateaux de ce passage sont coulés à coups de grenades. Le problème se complique.

Cependant, près de Théhillac, le 9 août, Joseph et Louis, routiers du convoi, découvrent une petite barque dans les roseaux. Joseph y monte et gagne l'autre rive espérant s'y procurer un bateau plus grand. Il y rencontre l'abbé Emile-Pierre Pondard, jeune séminariste, qui trouve le bateau voulu. Le recteur de Rieux est alerté et l'on décide de tenter le passage le lendemain soir, à onze heures. Mais le sergent parachutiste Guillaume, rescapé du combat de Saint-Marcel, conseille de traverser plutôt à onze heures du matin, heure de la marée, et il promet l'intervention de ses maquisards si les Allemands s'en prennent à la statue.

Au matin du 10 août, l'abbé Emile-Pierre Pondard et son cousin, l'abbé Emile-Joseph Pondard, obtiennent d'Emile Mary et de Paul Lelièvre qu'ils prêtent leur chaland, le Marie-Rose, soigneusement camouflé par eux, afin de faire passer la Vilaine à Notre-Dame de Boulogne. Ensemble ils choisissent comme lieu le plus favorable à l'opération, le Pont de l'Isac, à un kilomètre en amont de Cran, où la Vilaine dessine un coude presque à angle droit. L'heure fixée pour le passage est 11 heures le lendemain.

Et l'abbé E.-P. Pondard retourne sur la rive gauche transmettre ces décisions au convoi et faire les signaux convenus.

La nuit du 10 au 11 août, la Vierge du Grand Retour est stationnée dans l'église de Saint-Cry, entourée de fidèles qui la vénèrent et la prient de tout leur coeur.

Vers la Vilaine. — Laissons la parole au R. P. Clairet.

« Voici le 11 août. Un soleil radieux, un soleil de victoire ! Brume sur la vallée. Joseph me dit : Ce serait parfait pour passer. Vous verrez qu'à 11 heures la brume aura disparu ; la Vierge veut traverser au grand jour. Je célèbre la messe pour le Grand Retour ; j'en sens le besoin. Je donnerais cher pour que cette journée qui, maintenant, me laisse les plus doux souvenirs, fût passée.

7 h. 45. La Vierge est sur la route. On marche bon train. La prière est intense. On sent que l'heure est grave. Presque toutes les dizaines de chapelet sont récitées les bras en croix. A 9 h. et demie, nous approchons de Théhillac. Soudain un jeune garçon m'aborde et me glisse à l'oreille : Le chef m'envoie vous dire qu'il ne faut pas essayer de passer ; les Allemands sont tout le long de la Vilaine. Je tâche de faire bonne figure ; cependant quelle angoisse ! ... Je fais part de mes craintes à mes compagnons.

Le R. P. Tanguy est désolé, lui qui a dit à la foule : Vous verrez qu'on passera, à la nage, s'il le faut ! Il redit sa confiance, Le R. P. Boisson se tait. En attendant, on prie avec plus de ferveur.

Un calvaire ; une bifurcation ; vers l'église et vers la Vilaine. Je fais stopper. Nous attendons un signe de la Vierge pour choisir. Qu'il fait bon, en ces instants pénibles, de se reposer sur le coeur de la Sainte Vierge !

Le signe, le voici. Joseph accourt avec l'abbé Pondard, M. le Recteur de Théhillac, dit-il, a franchi la Vilaine ce matin ; la Résistance vient de passer. Pas de réactions des Allemands. Alors passons, nous aussi, la Vierge le veut ! Sans hésitation, la décision est prise : la Vierge a fait signe ; marchons ! ».

Pendant ce temps, du côté de Rieux, on s'impatientait. « A dix heures, raconte l'abbé E.J. Pondard, je suis sur le bord de la Vilaine, couché à plat ventre, fixant avec des jumelles le moulin à vent d'en face, à 2 km., d'où doivent partir les signaux qui décideront la mise à l'eau de notre bateau. Cinq minutes passent. Aucun signe. Je rampe cinquante mètres plus loin et j'attends, anxieux. Rien encore !... J'observe encore dix bonnes minutes. Réellement, c'est désespérant !... Les Allemands auraient-ils eu vent de l'affaire ?... C'est que la Vilaine est à son plein d'eau : dans quelques instants, on ne pourra plus partir...

Mais ce n'est pas le moment de se livrer à des pensées défaitistes... Aussi bien, on vient, sur la rive gauche, d'agiter un drapeau blanc devant le moulin : c'est le signe convenu avec les rameurs de Rieux... ».

En effet, au convoi formé à Saint-Cry, on entonne le cantique si poignant : J'irai la voir un jour. Puis un dernier et fervent Je vous salue, Marie, à genoux et les bras en croix, pendant que des larmes coulent de bien des yeux. Et les missionnaires avec les six routiers s'éloignent d'un pas rapide, entraînant le char de la Vierge.

Au signal donné par le drapeau blanc, on s'est empressé, du côté de Rieux, d'atteler deux grands boeufs pour sortir le Marie-Rose de sa cachette et le traîner jusqu'à l'étier près de la Vilaine. L'abbé E.J. Pondard et Paul Lelièvre s'embarquent. « Et maintenant, raconte l'abbé, à la grâce de Dieu ! Nous souquons dur sur les avirons, car nous avons une distance d'un kilomètre pour gagner le Pont de l'Isac. Nous naviguons près du bord où le courant est moins fort et où les roseaux nous cachent. Les premiers cent mètres parcourus, je laisse Paul ramer tout seul. Je me couche à l'avant du bateau et j'observe avec mes jumelles.

Tiens ! qu'est-ce que c'est ? Une barque qui vient vers nous. Je ne vois que l'avant ; elle frôle les roseaux ; enfonçons-nous vers le bord. L'embarcation approche. A notre vue, elle fait un écart. C'est le recteur de Théhillac, M. Dayon, qui est à l'avant et le rameur est un gars de Cran.

N'allez pas plus loin, nous dit le recteur, vous allez vous faire tuer, les Boches sont à Cran. — Mais nous allons chercher Notre-Dame de Boulogne, — C'est inutile, ils ne veulent pas la laisser passer et je vais l'annoncer à Rieux — Qui vous a chargé de cela ? — Personne, mais je crois...

Je ne l'écoute déjà plus ; le moment n'est pas aux explications, il s'agit d'aller jusqu'au bout ».

Et là-bas, sur la rive gauche, le char de la Vierge descendait rapidement, suivi de plusieurs jeunes gens de Saint-Dolay, pendant que, dans les douves et sous les meules de foin, les maquisards faisaient bonne garde, prêts à défendre la Vierge et ses passeurs.

Avec joie les rameurs de Rieux aperçoivent le convoi qui descend vers la Vilaine. « Tiens, Paul, dit l'abbé Pondard en frappant sur l'épaule de son compagnon, regarde, la voilà, c'est la Vierge ! ». Et, prenant une rame, il aide Paul à filer vers le lieu choisi.

Tout à coup, les deux rameurs sursautent et cessent de ramer ; près d'eux a surgi un homme en kaki, tenant une carabine américaine. — « N'ayez pas peur, leur dit-il, mais dépêchez-vous, c'est très dangereux ; faites vite, vite, je suis le sergent parachutiste Guillaume. Nous vous gardons, mais encore une fois, faites vite. Vous, le curé, traversez seul la rivière dans votre grande barque ; l'autre restera avec moi et, quand vous serez de l'autre côté, nous partirons d'ici en yole.

C'est ce qui se fait, continue l'abbé Pondard. Je suis maintenant seul sur l'eau. Il va falloir traverser les cinquante mètres qui me séparent du bord. Je souque ferme. Là-bas, c'est Cran. La lucarne d'un grenier est ouverte ; un allemand m'observe peut-être et je suis en plein dans le champ de tir : Notre-Dame de Boulogne, protégez-moi, c'est pour vous !

Et je rame en regardant le char qui s'approche, lui aussi. Encore dix mètres avant d'aborder. Un violent coup de rames, et j'arrive brusquement au bord. Les roseaux vont nous cacher pendant l'opération ; tant mieux !

Quelle chance ! L'extrémité du chaland est au même niveau que le pré, ça ira tout seul. Et dire que si j'avais hésité au départ, l'embarquement n'aurait pas été possible ; un quart d'heure plus tard, la marée descendait, et c'eût été l'envasement ou la dérive par le courant trop fort.

Le char est arrivé ; j'enfonce une rame dans la vase pour retenir le bateau. Tout est prêt. Le R. P. Tanguy dirige la manoeuvre. L'embarquement dure cinq minutes. Et maintenant, en avant pour le retour ! ».

La traversée de la Vilaine. — « Ce retour s'avère difficile, car il faut lutter contre le reflux, note l'abbé Pondard. Pour comble de malheur, voilà un tolet qui cède, puis casse complètement, accident qui rend la rame inutilisable. Et la marée qui, en descendant, nous entraîne vers Cran !... Alors je prends le tolet à pleines mains et, tout en le maintenant, j'appuie sur la rame afin qu'elle ne se soulève pas en frappant l'eau. Mais, à chaque fois que l'aviron s'enfonce dans l'eau vaseuse, il m'écrase les doigts. Déjà j'ai l'index en sang. Est-ce que je tiendrai ? On verra bien. Traversons toujours. Et avec l'aide de Paul, monté avec moi, nous passons l'endroit dangereux ; tout a bien marché. Sur la rivière, vraie nappe d'huile, lentement notre bateau avance le long des roseaux. Ma soutane, maculée de cette vase grise, caractéristique de la Vilaine, fait contraste avec la blancheur de la Vierge.

Nous avions pris la résolution de ne pas chanter, de crainte d'attirer l'attention des Allemands. Mais ce fut plus fort que nous. Quand nous avons vu la Vierge au milieu des flots, si belle et si calme, même en plein danger, nous avons entonné : Vierge, notre espérance, et j'avoue que je n'ai jamais chanté ce cantique avec autant de coeur. Toujours je garderai le souvenir de ces minutes enivrantes où nous sentions Notre-Dame si proche de nous. Des gars de Rieux, venus pour nous aider au besoin, longeaient la berge, répondant au chapelet et chantant avec nous.

A onze heures et demie, nous accostons doucement au débarcadère. Et voici qu'accourent une cinquantaine de petits orphelins de la Bousselaie ; malgré le danger, ils veulent voir la Vierge de tout près et la saluer les premiers. Bon nombre d'autres personnes s'empressent également. C'est un enthousiasme délirant ! Nous, sommes en France libre : Vive Notre-Dame !... Des bras se tendent pour tirer le char et, pendant qu'il monte péniblement les pentes du rivage par un chemin chaotique, on court prévenir les paroissiens restés en prière avec leur recteur dans l'église et aussitôt ils viennent à la rencontre de Notre-Dame. Ce fut, comme le dit le R.P. Clairet, une heure inoubliable. Vraiment, au Grand Retour, on se sent en plein surnaturel ».

Les premiers qui avaient tenu à traîner le char étaient les charretiers échappés de Saint-Joachim, puis ce furent d'anciens prisonniers. « A peu près tout le monde s'est mis à l'ouvrage et à la prière, écrit le recteur dans le Bulletin paroissial, mais les plus admirables depuis le commencement jusqu'à la fin furent les jeunes gens, alertés par le vicaire, M. Bouvier. Dès le 10, pour la préparation et la décoration ; le 11, pour le passage de Notre-Dame et l'abordage qui fut très dur. Il fallut entretenir la prière jour et nuit à l'église et après, sur la route de Bocquéreux aller et retour : les jeunes y pourvurent sans aucune défaillance, à peu près toujours pieds nus ».

Beau témoignage en faveur des Jacistes, de leur fondateur, M. Le Gal, et de leur directeur d'alors, M. Bouvier. Il était grand temps d'agir, car dès le soir même du passage de Notre-Dame, 3.000 Allemands occupaient la rive gauche de la Vilaine, à Théhillac et aux environs.

Cependant, la Vierge, libérée des Allemands, atteint Rieux par un chemin splendidement décoré et elle prend place à l'église sur un trône de fleurs et de lumières. Durant la nuit, presque tous les paroissiens viennent vénérer et prier Notre-Dame. Le lendemain, après les messes, elle partait pour Bocquéreux, où Béganne devait la recevoir. La route de Tréfin (6 km.) était vraiment transformée en voie triomphale, digne début de la tournée de la Vierge en Bretagne libérée (11-12 août 1944).

 

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V. - SEMAINES D'ANGOISSE.

Les fêtes du 15 août, — Assomption, Adorations et nouvelle Consécration au Sacré-Coeur, — éloquemment prêchées par le R.P. Fricaut et pieusement suivies par les fidèles, furent endeuillées par le sacrifice sanglant d'un enfant de Rieux. Parti après la messe avec d'autres Résistants, afin d'empêcher l'ennemi de franchir la Vilaine, l'abbé Emile-Pierre Pondard est tué d'une balle, près de la rivière. Il mourait pour la France à 22 ans. Courageusement, le Père Lécuyer et l'abbé Bouvier se rendent chercher son corps ; mais ils ne purent le ramener que dans la soirée.

Devant les incursions des Allemands qui traversaient facilement la rivière, bien des gens émigraient plus à l'intérieur, avec mobilier et bétail, et d'autres n'osaient plus venir à l'église. En conséquence, M. Portier décida de célébrer la messe matine, le dimanche aux chapelles de Tréfin et du Val, tout en maintenant la grand'messe en ville.

Les 18 et 19 août, perquisitions. On ne trouve rien. Alors le chef fait appeler le recteur au moment où il allait monter à l'autel pour dire la messe. Stupeur et larmes des assistants. L'officier le rend responsable de ce qu'il appelle les agissements des terroristes et le menace durement. Cependant il ne l'arrête pas.

Le 23 août, nouvelle incursion matinale des Allemands. Ils s'emparent du jeune Bernard Lemée, de Tranhalleux, âgé de 15 ans, qui se rendait au Service d'Octave de son cousin, l'abbé Pondard, avec l'intention d'y communier. Ils l'obligent à marcher en tête de leur colonne et, au premier choc entre eux et la Résistance, le malheureux tombe, atteint de douze balles. C'était un fils unique, dont le père se trouvait alors compagnon de captivité de l'abbé Le Gal. Le 11 août, ce jeune garçon, debout en bordure de la route, avait assisté à l'arrivée de Notre-Dame de Boulogne. Il avait été si frappé de ce que la rivière ait été franchie sans casse, de la piété de la foule et des paroles du missionnaire qu'il avait tenu à communier à la messe célébrée devant Notre-Dame. Et voilà qu'il tombait à l'endroit précis de sa rencontre avec la Vierge. Devant cette coïncidence, la famille de Bernard répétait : « La Vierge nous l'a pris ». Et c'était une consolation pour elle.

Une autre victime de ce même jour fut l'ingénieur Tardivel, de Lorient, réfugié à Rieux.

« Le 28 août, raconte le recteur, fut le jour le plus terrible. La veille au soir, les Allemands avaient franchi la Vilaine et, par Allaire et Aucfer, ils étaient venus festoyer dans une auberge en face de l'église. Au premier matin, ils pénètrent par effraction dans les maisons, à peu près toutes abandonnées. Au presbytère, je me levais. Avec mon vicaire et mon personnel je fus arrêté pendant qu'on fouillait mes meubles. L'officier me parla durement des terroristes, me traitant de filou et menaçant de tout brûler la fois suivante.

Pendant une heure, nous fûmes alignés devant le presbytère et ensuite conduits devant la troupe assemblée. Le R.P. Lécuyer arrivait pour dire sa messe : on lui prit sa bicyclette. Nous fûmes ensuite congédiés sous les clameurs hostiles des soldats avec, pour le recteur, deux coups de pied bien placés. Un instant après, le clocher que l'on avait miné à l'étage, sautait avec une partie de l'église, ce qui causa la brisure des cloches [Note : La première cloche, de 500 kilos, datait de 1862, la seconde, de 350 kilos, était de 1873]. Mon vicaire avait été rappelé et emmené par les ennemis ; il revint au bout d'une heure et demie. Cher confrère, quel début de ministère ! Avec quelle bravoure vous vous êtes conduit !

Précédemment déjà, l'on n'osait plus venir à l'église ; on y vint encore moins, car, avec le froid, l'édifice était glacial... Le lendemain, 29 août, je recevais la visite du commandant Caro, mon ancien élève (à Josselin). Des compagnies de F.F.I. nous arrivaient. Désormais, nous fûmes mieux protégés, ce qui ne veut pas dire que nous n'eûmes plus à souffrir.

Le 8 septembre, c'est la compagnie de Josselin, avec l'excellent lieutenant-abbé Le Port qui nous garde. Nous avons une messe en l'honneur de Notre-Dame du Roncier à laquelle assistent une soixantaine de soldats. Néanmoins, les paroissiens, s'en vont beaucoup à la messe aux alentours.

Vers la mi-septembre, devant les attaques ennemies, notre commandement renforce le secteur de la Vilaine, ainsi organisé : d'Aucfer à Rieux-ville, 12ème bataillon F.F.I., général de la Morlais ; de Rieux à l'Océan, 1er et 8ème F.F.I., une compagnie de fusiliers-marins, un bataillon F.T.P. Ces unités, un mois après, furent intégrées dans la 19ème division du général Borgnis-Desbordes.

Le 15 octobre, on célèbre avec ferveur la Journée Nationale de Prières, demandée par nos évêques pour les prisonniers déportés.

Les bâtiments des écoles libres servant aux soldats, les classes finissent par ouvrir, d'abord au Tertre et à la Courberie et un peu après, toutes les deux peuvent se grouper au Tertre.

Le 2 décembre, la canonnade allemande fut particulièrement violente : un obus éclata près du presbytère, un autre dans la cour de l'école Saint-Pierre devant 30 soldats, d'autres ailleurs ; les vitres volèrent en éclats, mais aucune victime, protection qui fut attribuée à Saint Melaine... Malgré cela, les émigrés sont tous rentrés, confiants dans les fusiliers-marins qui gardent Rieux, magnifique troupe d'élite, très aimée du peuple.

A Noël, l'église, à ciel ouvert et glaciale depuis qu'elle avait été dynamitée, était enfin réparée provisoirement ; aussi aux Offices était-elle à peu près remplie ».

 

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VI. — LA LIBÉRATION.

L'année 1945 s'annonce vraiment comme devant apporter la Libération totale de la France avec la victoire finale des Alliés dont les succès s'amplifient à un rythme impressionnant. Ce qui encourage à supporter les restrictions, encore assez dures.

Pour remplacer les cloches brisées dont l'une est tombée, tandis que l'autre est restée suspendue aux ruines de la charpente, le recteur de Rieux se procure une petite cloche de communauté, mais, remarque-t-il, sa voix ne porte pas loin. Quant à l'horloge, elle est complètement détruite.

Le Samedi-Saint, 31 mars, grande joie dans la paroisse : l'abbé Emile Pondard, l'un des artisans du passage de Notre-Dame de Boulogne, est ordonné prêtre. Cette joie s'épanouit encore au jour de sa première messe solennelle, s'ajoutant à celle que procurent les succès des Alliés et la libération par eux de prisonniers.

Le 7 mai, à 13 heures, les Allemands des poches de Saint-Nazaire et de Lorient, battus par la 19ème Division, capitulent sans condition.

Le 8 mai, fête de sainte Jeanne d'Arc, à 15 heures, le général de Gaulle, à la Radio, annonce au peuple français et au monde la Capitulation générale de l'Allemagne.

Aussitôt la cloche sonne pour convoquer les fidèles à un Salut solennel de reconnaissance envers le Seigneur en attendant que, le dimanche 13 mai, on célèbre avec tout le diocèse la grande et joyeuse Journée d'Action de Grâces.

La Fête-Dieu, le 3 juin, revêt encore plus que d'habitude un caractère d'enthousiasme. C'est que nos chrétiennes populations tiennent à célébrer le mieux possible le Christ qui aime les Francs, suivant le mot historique, qui leur a donné la victoire et qui libère nos prisonniers à une cadence accélérée. Parmi eux, le dévoué vicaire de Rieux, M. Le Gal, libéré par les Américains à Wittingen dès le 13 avril. Sa longue captivité n'avait pas altéré son zèle si bien que, à peine rentré, il s'empresse de reprendre ses chers jeunes gens de la J.A.C., puis de fonder la J.A.C.F. pour les jeunes filles, les Semeurs et les Semeuses pour les adultes. C'est à lui également que Rieux dut sa section des A.P.G. (Anciens Prisonniers de Guerre).

Le 5 août, ce fut la Fête très solennelle de la Libération de la Patrie, suivie de la Fête tant aimée de l'Asssomption de la Vierge, la Reine céleste de la France.

Ce furent les dernières fêtes que présida l'abbé Portier. Se sentant fatigué, il offrit à Monseigneur sa démission de Recteur de Rieux. Elle fut acceptée et il devint chapelain au château de Coëtbo en La Telhaie. En 1953, il se retirera à Ker-Armel (Ploërmel), où il mourra le 8 mars 1955.

Voici les noms des Enfants de Rieux, Morts pour la France, pendant la Guerre 1939-1945 :

Mobilisés : Jean LELIÈVRE, mort le 1er décembre 1939. Albert BLOYET, mort le 6 décembre 1939. Edouard LELIÈVRE, mort le 8 mai 1940. Auguste LELIÈVRE, mort le 21 mai. Mathurin VALLÉ, mort le 22 mai. Edouard NOURY, mort le 25 mai. Charles ROBINET, mort le 6 juin. Léon HÉMERY, mort le 19 juin. Paul de FORGES, mort le 31 août 1943. Joseph JOUAN, mort le 17 mars 1944.

F.F.I. : Abbé Emile-Pierre PONDARD, tué le 15 août 1944.

Assassiné par les Allemands : Bernard LE MÉE, le 23 août 1944, âgé de 15 ans.

Morts déportés : Prosper THÉBAULT, né le 1er avril 1891, mort le 12 mars 1945 à Sandbostel (Allemagne). Aristide THÉBAULT, né le 18 août 1899, mort le 25 août 1945, à Paris.

Morts pour la France sur le territoire de Rieux, mais nés ailleurs : Jean PRZBYLOWSKI, de Théhillac, tué le 16 août 1944 à Cran. Charles TARDIVEL, de Lorient, tué le 23 août à Rieux. André COURTILLE, de Saint-Léger (Haute-Vienne), tué le 29 août au Point-du-Jour. Armand MERCIER, de Guégon, tué le 13 septembre à Kermelaine. Yves LE GOFF, de Trébeurden, (Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor), tué le 20 avril 1945, à la Fosse. Guy DESBOIS, de Trébeurden, mort accidentellement le 20 avril 1945 (abbé Henri Le Breton).

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