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ALTERNATIVES DE TYRANNIE ET DE LIBÉRALISME (1796-1797) |
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Renouveau de terrorisme. — Meilleures élections. — Circulaires de M. Poisson. — Coup d'état Jacobin. |
I. - RENOUVEAU DE TERRORISME.
Aux premiers mois de 1796, la Terreur s'accentue. Dans le Morbihan, déclaré en état de siège, les Colonnes mobiles du général Mermet pillent, incendient et massacrent sans pitié.
Naturellement, les Chouans usent de représailles. En janvier, ils détruisent tous les ponts de l'Arz, coupant les communications entre le Nord et le Sud de cette rivière. Furieux, le général Quentin y envoie un détachement du 4ème Bataillon des Ardennes. Plainte de la municipalité de Rieux de ce que ces soldats « pillent et brisent tout et que leurs officiers sont faibles et livrés à la crapule, ce qui favorise les Chouans » (24 janvier). Le 11 février, elle signale que « les brigands sont à Rieux où ils ont abattu les deux Arbres de la Liberté aux cris de Vive le Roy, et avec un bruit épouvantable ; ils se font servir à boire et à manger chez la veuve Tual ; ils ont pillé la mairie et chez le maire ; les municipaux doivent se cacher toutes les nuits, aussi prient-ils le district de les remplacer ». Signé Briand, Sérot, Yves Le Lièvre, Guiho, Beuve, maire.
Autre sujet d'ennuis pour le Conseil municipal : l'obligation de verser une amende de 150 livres pour le citoyen Henleix, passager d'Aucfer, et une autre de 4.194 livres pour le citoyen Lallemand, en réparation des dommages causés par les Chouans (25 février). Le 2 avril, ce dernier dénoncera 50 citoyens riches de Rieux et demandera de leur faire payer cette indemnité.
La présence d'un chasse-marée au port n'empêche pas les Royalistes d'être maîtres de la situation. Les autorités en rendent Poisson responsable et réclament que l'on recherche sa retraite (22 mars).
22 mars 1796 ! C'est le jour où à Vannes, quatre prêtres étaient guillotinés ! Le général Hoche en est outré et il écrit au Ministre de la Guerre : « Je vous en conjure, ne vous mêlez pas de ce qui a rapport au culte si vous ne voulez pas rendre la guerre interminable... ». Impressionné par cette lettre, le Directoire remplace la peine de mort pour les réfractaires par la déportation : dans l'année, 1200 prêtres vont être envoyés aux îles de Ré et d'Oléron, et 260 à la Guyane.
La persécution continuant, la division de Sol, dont le quartier général est au Champ-Mahé en Saint-Gorgon, attaque sans répit les rares patriotes des campagnes. Aux abois, ceux-ci cherchent asile en ville, comme le juge de paix de Rieux, Houget, qui se réfugie à Redon, car « il n'y a pas de sécurité dans les campagnes » (7 juin). De même, les autres autorités, si bien qu'il n'y a plus d'administration municipale à Rieux.
Malheureusement, parfois les Royalistes sont surpris « Citoyens, écrit, au 13 juin, Hallier, procureur-syndic à Roche-Sauveur, je vous annonce la capture de trois Chouans faite hier à Rieux par une colonne républicaine. L'un se nomme Grignon, de Vannes, généralement reconnu pour avoir provoqué le pillage et le meurtre dans diverses communes, principalement dans celle de Rieux, où il séjournait le plus habituellement. Un autre se nomme Dondel, de Vannes, qui est un des révoltés pris à Quiberon et que la Commission militaire avait acquitté vu son jeune âge. Le troisième se nomme Sans-Savoir, ci-devant employé des douanes, depuis peu au service des révoltés en qualité d'espion. Quand nombre de gens sollicitent leur grâce, je pense que le général tiendra à ce qu'ils subissent la peine dûe à leurs atrocités » (Archives départementales, L. 292).
Cet espion était en réalité un traître ; c'est lui qui avait indiqué aux Bleus la retraite des deux Royalistes.
Incarcérés à Roche-Sauveur, Grignon et Dondel passent en jugement devant une Commission présidée par le général Kerlinguen, commandant de la place, quoiqu'ils fussent réclamés par les autorités civiles, à part Hallier. La Commission prononce le jugement suivant :
« Considérant que Grignon est convaincu d'être chef de Chouans, d'avoir été pris les armes à la main dans le château de Villeneuve en Rieux, qu'il a pris une part très active à l'insurrection de mars 1793..., que c'est lui qui, au passage d'Aucfer, provoquait les Républicains, qu'il est constant qu'il a dit au général Beysser, qu'il se baignerait dans son sang... ;
Considérant qu'il a repris les armes du parti qu'il avait feint de quitter (au début de l'An III) ;
Considérant que Dondel s'est rendu coupable des mêmes crimes...
Condamne à la peine de mort lesdits prévenus et ordonne que le présent jugement sera mis sur-le-champ à exécution ».
Reconduits en prison, les deux condamnés se préparent à la mort avec une haute résignation chrétienne, comme en témoignent leurs derniers écrits. Donnons-en quelques extraits.
D'une
complainte (de Dondel).
— 1 —
Du fond
d'en cachot ténébreux
C'est à
mon Dieu que je m'adresse ;
Il visite
les malheureux,
Les
console dans la tristesse.
Dans ce
cachot, hélas ! hélas !
Seigneur,
ne m'abandonnez pas.
— 2 —
J'entends
dire de tous côtés
Que l'on
prépare mon supplice.
J'adore
votre Majesté,
Je m'offre
à vous en sacrifice.
Ce
sacrifice, hélas ! hélas !
Seigneur,
ne le refusez pas.
— 5 —
Dieu de
bonté, c'est donc fini !
Voici le
moment redoutable...
Je
pardonne à mes ennemis.
Daignez
faire grâce au coupable.
Je leur
pardonne, hélas ! hélas !
Je leur
pardonne mon trépas.
De la
dernière lettre de Pierre Grignon.
« Mes chers Parents. — Je suis condamné à mort pour avoir servi le parti qui me semblait le plus juste ; je mourrais content si je voyais ma Patrie heureuse et tranquille... Recevez, ô tendre Mère [Note : Son père était mort le 5 avril précédent], les derniers sentiments d'un fils reconnaissant de tous vos soins. Je me recommande au souvenir de toute ma famille.
Il reste dans la prison six malheureux jeunes gens, mes compagnons d'infortune... Qu'on tâche de leur donner un défenseur officieux ; je vous prie aussi de ne pas oublier les autres prisonniers.
Je vous quitte, chers Parents, pour me préparer à paraître au tribunal du Juge de mes juges... ».
Le 15 juin, les deux condamnés étaient conduits dans le pré de la Pierre Blanche, sur le chemin de la Grée en Férel. Leur coeur ne faiblit pas : ils offrent leur sang à Dieu pour l'Eglise, pour la France et pour le Roi. On leur bande les yeux... Un bref commandement, une salve de coups de feu... C'est fini : la mort a fait son œuvre.
Pierre Grignon avait 23 ans, Jean-Jacques Dondel, 17. Durant trois jours, leurs corps restèrent exposés dans la prairie, puis ils furent inhumés dans le cimetière de Férel.
La même colonne mobile avait encore arrêté à Rieux, Tual, Josso et Méhat, soupçonnés de chouannage. Ils restent quelque temps en prison et, devant l'insuffisance des preuves de leur culpabilité, ils furent relâchés.
Cependant, au début de juillet, les chefs royalistes se décident à céder aux exigences du général Hoche et signent la paix. Le premier chouannage, commencé en janvier 1794, était terminé, et Cadoudal va même porter ses conseils pacificateurs aux districts de Roche-Sauveur et de Roche-des-Trois. Ce n'était pas inutile, car, en août, les autorités signalent que ces districts sont toujours en insurrection. La faute en était à certains jacobins impénitents qui ne pratiquaient pas la tolérance religieuse, contrairement aux ordres du Ministre de la Police.
N'avaient-ils pas imaginé les faux-chouans pour déconsidérer les vrais, ceux qui luttaient pour la religion, le roi et la liberté ? C'étaient des brigands lâchés des bagnes, qui couraient le pays, déguisés et le visage, barbouillé de suie ou couvert d'un masque. Ils rôtissaient les pieds de leurs victimes jusqu'à ce qu'elles aient indiqué la cachette de leur argent : infâme cruauté qui leur valut le surnom abhorré de chauffeurs. Vers la fin d'octobre, une cinquantaine de ces bandits passèrent à Rieux, pillant, volant et commettant toutes sortes de méfaits dans la région.
Et pendant que ces monstres terrorisaient les populations, la République gardait sous les verrous les prêtres catholiques, au mépris des promesses du traité conclu avec les Royalistes. Profitant cependant d'un certain relâchement dans la surveillance, 10 des 38 prêtres internés au Petit-Couvent de Vannes s'évadent la nuit du 19 au 20 décembre. Parmi eux, M. Rivière, de Saint-Vincent-sur-Oust. Cette fugue rappela leur devoir aux autorités et, en vertu du traité de paix, les prisonniers oubliés dans leur cachot furent enfin libérés et purent reprendre leur ministère. Les déportés qui rentraient ne jouissaient pas des mêmes faveurs et, en décembre, la soupçonneuse police du Directoire se lançait à la poursuite de plusieurs de ceux-là. Notamment, aux environs de la Vilaine, étaient recherchés, M. Guého, vicaire à Rieux et M. Tual, prêtre de Rieux.
Ce n'était donc pas la vraie paix au pays de France. Ce n'était pas non plus la prospérité économique. Le Directoire, ayant porté les émissions d'assignats de 29 à 45 milliards, causa une dépréciation phénoménale de ce papier-monnaie : 20 sols métalliques équivalaient à 200 francs d'assignats au moins. Aussi les gens n'en voulaient plus. Les cordonniers de Rieux furent un jour convoqués au district qui prétendait les obliger à lui fournir deux paires de souliers par décade (semaine de dix jours) pour l'armée républicaine. Ils acceptent, mais à condition d'être payés en numéraire métallique.
II — MEILLEURES ÉLECTIONS.
En plus des luttes religieuses, le pays souffre d'être continuellement en guerre avec les autres nations et d'être épuisé par les levées de troupes, ainsi que par les impôts et les réquisitions, de denrées pour l'armée. Plusieurs soldats de Rieux trouvent la mort à cette époque : Joseph Boucher, 97ème demi-brigade, décédé à l'hôpital de Strasbourg, le 18 frimaire, An V (8 décembre 1796) ; Alexis Roussel, du Tertre-de-Bas, 25 ans, canonnier au 3ème d'artillerie à pied, armée de Sambre-et-Meuse, décédé à Enckierry, le 29 nivôse, An V (18 janvier 1797) ; François Perrin, 30 ans, 97ème demi-brigade, décédé d'hydropisie à Dijon, le 7 ventôse, An V (7 mars 1797).
La guerre est tellement impopulaire que « la désertion est générale dans les armées ». Ainsi parle le district de Roche-Sauveur.
C'est inquiétant bien sûr, mais pour nos jacobins il y a plus grave. Ecoutons Lallemand. Le 2 février, il dénonce « trois scélérats qui rôdent dans le canton de Rieux et se font nourrir par les cultivateurs. L'un de ces coquins, jardinier de son état, joue le rôle de prêtre, confesse, prêche et chante des cantiques comme un bon diable. Nous avons des troupes cantonnées à Rieux, à Allaire et au Passage-Neuf, mais on ne demande les passeports à personne et les scélérats ont beau jeu. Il faudrait arrêter tous les vagabonds (pour lui, ce sont surtout les prêtres réfractaires).
Un patriote, Lanoë, notaire à Allaire, m'apprend que sept à huit émigrés ont paru dans cette commune à la petite foire de Rieux. On les dit armés. Prière de taire mon nom, car les scélérats incendieraient ma campagne (La Grée). Je m'étais proposé de l'habiter avec mon épouse, par économie, mais j'y ai renoncé, les campagnes sont trop travaillées ; aussi restons-nous à Redon » (Archives départementales, L. 303).
Arrive la date des élections du Corps législatif. Cette fois, les braves gens vont aux urnes, le 21 mars, et donnent la majorité aux candidats modérés, et même à des royalistes notoires. Il y a donc espoir pour l'avenir. Quant au présent, il est encore bien tourmenté et, des deux côtés, les assassinats se succèdent. C'est ainsi que, le premier samedi de Carême, au Dréneuc en Fégréac, sont tués deux des frères Dumoutier et est grièvement blessé le général de Sol. Le vicaire, M. Orain, le sauve et de Sol se réfugie à Rieux.
Malgré tout, une ère d'apaisement s'annonce en même temps que la paix, due aux victoires de Bonaparte en Italie. Dès lors, les prêtres exilés rentrent de plus en plus nombreux.
III. — CIRCULAIRES DE M. POISSON.
Au milieu des bouleversements survenus dans l'Eglise de France, il était nécessaire que l'évêque de Vannes donnât ses directives sur différents points discutés. Mgr Amelot étant à l'étranger, cette charge revenait à ses vicaires généraux. M. Poisson est l'un d'eux et il s'acquitte avec zèle de sa tâche bien délicate. Il le fait en se rendant dans les paroisses, quoique ce fût très dangereux, ou par des circulaires, portées à destination par des courriers sûrs. Les Archives de Rieux conservent deux de ces circulaires.
La première, du 17 mai 1797, a pour sujet L'unité de conduite dans le clergé. Elle débute ainsi : Lettre de L. Poisson, recteur de Rieux, vicaire général, aux recteurs, curés et prêtres du diocèse de Vannes.
« Chargé, écrit-il, par la Divine Providence du gouvernement de ce diocèse et effrayé par la division qui commence à s'établir parmi le clergé, je crois nécessaire de vous donner des directives concernant l'unité. Les prêtres, sans être divisés dans les choses graves, le sont dans leurs actions, d'où il résulte un scandale déplorable. Les uns célèbrent publiquement les divins offices par un zèle prématuré, usant d'une liberté accordée par la loi seulement aux prêtres constitutionnels ou soumissionnaires. Le plus grand nombre, au contraire, craignant de se faire soupçonner de défection dans la foi ou la discipline, se contentent de célébrer dans des édifices particuliers. Comme il y a moins de messes publiques et qu'il s'y trouve une foule immense d'assistants, elles sont l'occasion d'yvrogneries, de débauches, de profanations des saints jours ; ce qui ne fait qu'allumer de plus en plus le feu de la colère divine...
Voulant y remédier, nous déclarons ne pas approuver ces messes publiquement célébrées dans les églises et moins encore dans les chapelles à cause des désordres, jusqu'à ce que le Seigneur nous accorde pleine liberté pour permettre d'offrir solennellement le Saint Sacrifice. Alors les fidèles, assistant chacun dans leur endroit et dans le même temps, les scandales des grandes assemblées cesseront... ».
Un mois plus tard, le 17 juin, le Corps législatif proclame la liberté des cultes, aux applaudissements des catholiques et des gens respectueux des croyances d'autrui. Aux offices, l'on joignit peut-être trop de réjouissances mondaines, ce qui occasionna une seconde circulaire de M. Poisson, datée de Rieux, le 20 juin 1797.
Après le préambule habituel, il écrit :
« Je préfère ceux qui aiment mieux les simples chapelles que les églises majeures. Mais j'en excepte formellement les messes dites aux Pardons, source principale de troubles et de scandales qui me font gémir... Je les défends sous peine de suspense, même sans solennité, comme l'a fait notre vénérable Prélat (avant la Révolution)... La permission de se servir des églises n'oblige personne ; on pourra continuer à célébrer dans des maisons... Que chacun se comporte avec prudence suivant les circonstances locales. Je réprouve le culte public avec chants et solennité ; j'approuve le culte privé dans les églises et le culte secret, c'est-à-dire hors des églises quel que soit le nombre des assistants ; c'est celui que préfèrent le Pape et les Prélats ...».
L'opposition du vicaire général aux Pardons n'était pas sans raison, car parfois ils dégénéraient en désordres. Par exemple, « le jour de la Saint Pierre 1797, eut lieu à Saint-Jean-des-Marais l'Assemblée ou Pardon de la Saint Jean-Baptiste, Patron de la trêve. Plusieurs citoyens d'Allaire, échauffés par les libations en s'en revenant de la fête, coupèrent l'Arbre de la Liberté du bourg d'Allaire. Il est vrai qu'il était déjà penché et, par sa hauteur, menaçait une maison voisine ». Les autorités se plaignent. La gendarmerie enquête, mais le juge de paix Héry refuse de répondre, prétextant que cette affaire relevait de la magistrature civile. Et sans doute l'incident fut-il clos.
Poursuivant son oeuvre réparatrice, le Corps législatif décrète, le 16 juillet, le rappel des ecclésiastiques exilés, à condition de se soumettre d'une façon générale aux lois. Un bon nombre en profitent pour rentrer ; il est si dur, l'exil !
Déjà, d'ailleurs, de temps en temps, des voyageurs avaient débarqué à Rieux qui n'étaient autres que des exilés revenant d'Espagne. M. Orain envoyait au-devant d'eux des femmes qui les attendaient sous prétexte de garder leurs bestiaux dans les marais ; elles les reconnaissaient à un mot de passe et les conduisaient chez des particuliers. Ils y recevaient la visite du charitable vicaire de Fégréac avec lequel ils faisaient quelque ministère. Puis, lorsque les circonstances le permettaient, ces prêtres se dirigeaient vers leur pays. Ainsi arrivèrent à la fin d'août 1797, M. Toussaint-Jean Guého, vicaire de Rieux, MM. Gatinel et Bénigué (ou Bénignel), recteur et vicaire de Caden (Archives du département de Loire-Inférieure, L. 665. Lettre adressée à Osma (Espagne) par la soeur de M. Guégan, recteur de Péaule, le 4 septembre).
IV. — COUP D'ETAT JACOBIN.
D'autres exilés se disposaient à imiter leurs confrères et à profiter du libéralisme du Corps Législatif, quand ils apprirent le Coup d'Etat du 18 fructidor (4 septembre) et la remise en vigueur des lois contre les prêtres. A ceux qui étaient rentrés, elles donnaient quinze jours pour quitter la France sous peine de mort dans les 24 heures.
Les colonnes mobiles reprennent leurs battues et leurs dévastations au point que les républicains eux-mêmes réclament leur suppression (Archives départementales, L. 299). Les dénonciations recommencent également. « Citoyens, écrit Thébault, commissaire du canton de Rieux, au département, vous avez dû être précédemment instruits des maux que nous a toujours occasionnés Poisson, prêtre réfractaire à Rieux... Depuis le 18 fructidor, il a encore cessé ses fonctions publiques de recteur grand vicaire, mais il les continue dans les ténèbres, tantôt réfugié dans un milieu, tantôt dans un autre, entouré de quelques chouans qui le servent... Sa soeur est toujours logée au lieu dit le presbytère, se faisant parfaitement craindre des paysans, ainsi que certain inconnu logé chez elle, que l'on dit être dangereux et soldat réformé de l'armée d'Italie... La municipalité d'ici n'est composée que du président et de l'adjoint. Je vous signale aussi deux prêtres repassés d'Espagne, Toussaint Guého et Jean Tual, disant la messe et ayant l'intention de se soumettre aux lois... » [Note : En réalité, M. Tual revenait des pontons de Rochefort].
Le président dont parle cette lettre est Lallemand qui a quitté Redon pour s'établir d'abord à La Grée, puis en son autre maison de la Touche, à la Poterie. Flagorneur des autorités, il obtient de la Sûreté un complaisant brevet de patriotisme adressé au général Duthil ; le voici : « S'il est en votre ressort un canton où les lois soient exécutées, où l'on célèbre les fêtes nationales, où les citoyens se réunissent aux jours de décadis, c'est le canton de Rieux. Le patriote Lallemand, sage, actif, vigilant, y fait tout. Vous jugerez de son zèle quand vous saurez qu'il a déjà fait marcher les commissaires pour la levée de 200.000 conscrits avant que nous n'ayons pu prévenir nos concitoyens. Vous verrez aussi comment ce zèle attire des ennemis à l'administration. Donnez donc un cantonnement à la Poterie » (24 octobre).
Plusieurs prêtres insoumis sont signalés au district par le canton de Peillac à la date du 26 octobre : « Naël, de Peillac, Monnier, de Jagut, Guével, d'Allaire, Gaudin, de Perreux, Hallier, de Vincent, Rabillard, de Gravé » ; mais il ajoute : « On n'a nul reproche à leur faire ; celui qui a perverti l'opinion et prêché l'insurrection est un nommé Penhaleux, curé de Théhillac ; il a quitté le pays et habite Nantes ».
Lallemand père, de Redon, y va, lui aussi, de ses renseignements secrets. « Le citoyen Poisson entretient toujours l'esprit de révolte... Les deux autres prêtres (Tual et Guého), bons enfants, prêteraient serment s'ils n'avaient peur d'être assassinés. Certains bruits courent qu'on les aurait empoisonnés et seraient morts, s'ils ne s'étaient faits soigner à temps par un médecin de Redon ».
Qu'en est-il de cette histoire ? Une petite nièce de M. Tual a raconté ceci : « dans une grande réunion chez M. Poisson, la soeur de celui-ci apporta du vin en disant à son frère de n'en point boire ; entendant la chose, les convives s'abstinrent, sauf M. Tual, qui, après en avoir bu, tomba comme foudroyé ; il n'en mourut pas, mais ne s'en remit jamais bien ». C'est sans doute une erreur de bouteille qui fut la cause de l'accident et donna naissance à cette légende.
Poisson est tellement la bête noire des jacobins que l'administration le rend responsable de toutes ses difficultés, par exemple pour former une municipalité. « Enfin nous y sommes parvenus, malgré Poisson, écrit Lallemand le 30 novembre ; le citoyen Gogué, adjoint de Béganne, a accepté d'être agent de Rieux et Etienne Jounier, agent de Béganne. Mais les ex-municipaux de Rieux refusent de fournir des comptes et un inventaire des papiers, sous prétexte qu'ils n'en ont pas exigé de leurs prédécesseurs ... ».
A l'instar de Lallemand, Thébault, commissaire du Directoire, constate « le bon esprit du canton, mais demande l'arrestation de Poisson et de sa soeur, domiciliés au presbytère, n'ayant lui-même aucune force pour les saisir » (Archives départementales, L. 300).
Sur ces plaintes, les gendarmes, le 16 décembre, font une descente au presbytère de Rieux, à la Robinardière et à Camzon. « Au point du jour, à six heures, ils visitent les maisons de ces villages, plusieurs autres en ville et à l'Abbaye, sans rien trouver : le poisson passe toujours à travers les mailles du filet. De même à Béganne ». Comme quoi l'on peut être un parfait sectaire et un piètre pêcheur... d'hommes !
En somme, à la fin de cette année 1797, la situation religieuse et la situation politique, l'état économique et financier sont plutôt lamentables. Qu'apportera l'année 1798 ? (abbé Henri Le Breton).
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