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LE PAYS DE RIEUX A LA VEILLE DE LA RÉVOLUTION |
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Le dernier recteur de l'ancien régime. — La ville, le château, le pont, les communs. — Les différentes classes sociales. |
I. - LE DERNIER RECTEUR DE L'ANCIEN REGIME.
Le successeur de missire Abhamon fut missire Louis Poisson, né à Angers en 1744, fils de Noble Homme Urbain Poisson, maître-entrepreneur, et de Dame Marie Fréaudin. Il est pourvu de sa charge le 26 février 1779 par son compatriote, Mgr Sébastien Amelot, lui aussi natif d'Angers (4 septembre 1741), évêque de Vannes depuis le 10 novembre 1774. Sa prise de possession date du 3 mars 1779 ; la vacance n'avait donc duré que 14 jours.
M. Poisson était un prêtre de grande valeur, ce qui lui valut d'être le fondé de pouvoir de Mgr Amelot à l'Assemblée provinciale de Tours, dont alors dépendait le diocèse de Vannes, et d'en signer les Actes au nom de son évêque le 8 mai 1780.
Très actif, il effectue d'importantes réparations au clocher de Rieux dès 1782 pour le prix de 102 livres 4 sols, en dehors des corvées faites par les paroissiens. Tous n'y apportent pas assez de bonne volonté, aussi le recteur « remontre à l'Assemblée du Général que, par bienveillance, il a accepté de surveiller les opérations, mais plusieurs refusent de faire des charrois, alors le marguillier en charge devra les y obliger ».
Après le clocher, on refait le lambris détérioré de l'église et le pavage du milieu de l'édifice, ainsi que des chapelles du Rosaire et de Sainte-Anne. Pour les frais, 966 livres sont versées au recteur.
Le Général achète encore des custodes, ampoules, chandeliers, aubes, corporaux, purificatoires, surplis, nappes de communion et deux serviettes pour porter le pain à bénir. En 1782, l'église s'enrichit d'un nouveau dais « en Florence cramoisi, à galons d'or, avec une carrée neuve à la moderne, et d'une belle chape à franges d'or ; des personnes charitables ayant offert du satin cramoisi ».
M. Poisson établit aussi une réglementation du luminaire pour les dimanches et fêtes, les enterrements et les services ; au lieu du sacristain, c'est la fabrique qui fournira les cierges moyennant deux sous par cierge à verser au recteur (décision du Général).
M. Abhamon avait fait quelques réparations au presbytère vers 1763, mais pas après. Il en était résulté que l'immeuble menaçait ruine en 1781 et que, pendant sa restauration, M. Poisson dut loger ailleurs. Pour cette non-jouissance, le Général lui alloue 200 livres, et, rendant M. Abhamon responsable de cet état de choses, il poursuit en dommages et intérêts les héritiers de l'ancien recteur. M. Poisson propose comme expert l'un de ses amis, architecte d'Angers, dont il paie le voyage aller et retour Angers-Nantes.
Le bien des âmes préoccupait M. Poisson plus encore que les restaurations matérielles. Aidé de ses curés : Joseph Péniguel du Bouexis, Jacques Desvaux, Pierre Le Thiec, François Germain, Jean-François Guého, Jean Tual, J.-J. Béziers, il s'efforce, par les instructions dominicales, les catéchismes, les prédications de Carême, de fortifier la foi de ses paroissiens afin de résister aux idées nouvelles, semées par les impies. Grâce à Dieu ! si quelques bourgeois se laissent contaminer, la grande masse de la population garde la foi ancestrale et les pratiques religieuses.
Une preuve en est la floraison des vocations sacerdotales, encore nombreuses aussi bien dans les hautes classes que dans le peuple. Citons quelques noms.
Messires Pierre Hidoux, décédé à 41 ans en 1777, en sa maison des Rues Hidoux, curé de Rieux de 1755 à 1765 ; Pierre Mabile, curé de Rieux, 1750-1765 ; Pierre Maucoëffé, curé de Saint-Jean, 1766-1793 ; Jacques Desvaux, curé de Rieux ; François Germain, sieur du Tertre, 1773 ; Jean-François Guého, curé de Rieux ; Jean Tual, curé de Rieux, 1786-1800 ; J.-J. Béziers, prêtre de Rieux, chanoine de Vannes ; Toussaint-Jean Guého, prêtre de lieux, décédé à 56 ans, 1804 ; François Chauvin, décédé subitement dans sa maison en 1772, âgé de 58 ans ; N. du Quercron, d'Aucfer ; J. Grignon, de Villeneuve, prêtre en 1786, chanoine de Vannes.
Les relations cordiales qu'il entretient avec le Général aide puissamment M. Poisson dans l'exercice du saint ministère. A sa demande, le Général, en juillet 1783, s'occupe charitablement de deux enfants, de 4 et 6 ans, restés orphelins de père et de mère, et dans la misère noire. Il fait bannir qu'il paiera leur pension et leur habillement à qui voudra les recueillir. Jean Le Moué, de Gléré, les accepte pour 178 livres par an. Son offre est agréée. Alors le Général lui enjoint « d'élever ces enfants dans la religion catholique et romaine et d'avoir pour eux tous les égards nécessaires ; s'il était de manière dure et révoltante, on les lui enlèverait et il ne toucherait rien ».
Les pauvres ne sont pas oubliés et, de temps en temps, on leur distribue des aumônes : 200 livres en 1783.
En ce siècle, l'esprit révolutionnaire qui agitait l'Etat, troublait aussi l'Eglise de France. La liturgie était l'un de ses points de mire. Le Bréviaire de Paris, publié en 1736, supplantait progressivement le Bréviaire romain. Mgr Amelot l'adopte avec toute la liturgie parisienne en 1783, ce qui oblige le Général de Rieux à l'achat de nouveaux livres de chant. Déjà en 1780, l'Assemblée provinciale de Tours avait « retranché des solennités chères aux ancêtres » : au lieu de 29 fêtes d'obligation, il n'y en eut plus que 19 ; les jeûnes de vigiles furent réduits de dix à cinq, mais l'abstinence du vendredi et du samedi, de la Saint-Marc et des Rogations, fut maintenue.
Le Prieuré. — Après Mgr Jacques de Grasse, démissionnaire en 1772 de la charge de prieur, missire Noël de Grasse, sans doute son neveu, obtient ce poste et le garde jusqu'à la Révolution. Citons une pièce relative à ce bénéfice.
— « Janvier 1787 — Ferme des dîmes, fruits et domaines du prieuré Saint-Melaine, baillée par Noël de Grasse, clerc du diocèse de Toulon, au sieur Augustin Joyaut, de Couesnongle, négociant, et Julien Joyaut, son frère, notaire royal à Rieux, au prix de 2.300 livres. Défense de mettre des grains dans le prieuré neuf, sauf la quantité nécessaire à la provision alimentaire de celui qui y demeurera...
S'obligent lesdits preneurs de nourrir ledit sieur bailleur avec son domestique et leurs chevaux, toutes fois quand ils sont sur ledit prieuré pour le voir et visiter.
Ne pourront les preneurs demander aucune diminution, soit pour grêle, sécheresse, inondation, peste, famine et autres cas fortuits, attendu que, pour cela, on l'afferme à si bas prix.
Le bailleur pourra rentrer quand bon lui semblera dans la maison principale, enclos et jardin, moyennant 150 livres de diminution » (Archives départementales, Vannes, G. 332).
Les Trinitaires. — En 1761, le ministre du couvent est toujours Fr. Bertrand Le Roux qui, deux ans après, renonce au droit de chauffage pour une rente de 150 livres à verser par son fournisseur de bois ; il décide en outre que son personnel serait réduit en proportion des revenus et des charges.
Fr. Julien Bérard lui succède en 1768 et résigne en 1775 ; son remplaçant, Fr. Claude Le Trionnaire, démissionne en 1778. A sa place est élu Fr. Albert Chôné, qui devait être le dernier ministre de Rieux. Comme moines, nous trouvons alors les Fr. Jean-Marie Le Gal, N. Guillerin, Jean-Jacques Bernard et Louis Crévin.
Les biens du couvent étaient les mêmes que dans l'Aveu de 1685.
Les chapelles frairiales. — Outre la messe du dimanche, il y est parfois accompli d'autres cérémonies. En voici une : « En 1771, par permission de Mgr l'évêque de Vannes, est célébré à Saint-Julien d'Aucfer le mariage de Jean Foucaud, fils de Pierre, directeur des Salpêtrières en Auvergne, ledit marié lieutenant de cavalerie, gendarme appointé de la 2ème brigade du Berry, originaire de Clermont-Ferrand, domicilié à Lunéville, en Lorraine, avec demoiselle Jeanne Joyaut, fille de noble homme François Joyaut ».
A la Bousselaie, peu après, c'est l'ondoiement d'un enfant d'écuyer Félicité Thomelin...
Les réparations occasionnent quelquefois des procès. Nous en voyons un qui se plaide au Présidial de Vannes, le 10 mars 1781 « entre les héritiers de missire Abhamon et missire Poisson d'une part, et les trêviens de Saint-Jean d'autre part, demandeurs, auxquels se joint missire Noël de Grasse, titulaire du prieuré simple et régulier de Saint-Melaine, pour réparations au choeur et chancel de l'église trêviale. De par le tribunal, Jean Detaille, ingénieur des Ponts et Chaussées, se rend à Redon, distante de Vannes de 11 lieues, et descend à l'auberge où pend l'enseigne La Tête Noire. Le lendemain, assisté de Pierre Mary et de Julien Riffault, de l'Hôtel-Hérault, il accomplit son expertise comme il suit : Le pavé du choeur et chancel, en palis d'ardoise de nulle valeur, est à reconstruire, ci : 87 livres. Une balustrade neuve : 82 livres. L'autel est décoré de quatre colonnes peintes en marbre. Le rétable, d'ordre corinthien, présente 5 niches garnies de statues et entourées de guirlandes dorées ainsi que les soubassements : Saint Pierre, Saint Jean et deux chérubins ; le tout à repeindre : 160 livres. La toiture et la charpente sont à refaire : 1.040 livres ».
II. - LA VILLE, LE CHATEAU, LE PONT, LES COMMUNS.
La Ville de Rieux. — Le Dictionnaire d'Ogée nous en parle ainsi.
« En 1780, la ville de Rieux, située au bord de la Vilaine, est à 10 lieues et demie à l'Est de Vannes, son évêché, à 14 lieues de Rennes et à 1 lieue de Redon, sa subdélégation. La paroisse ressortit à la séneschaussée de Ploërmel et compte 1.800 communiants, y compris ceux de Saint-Jean-des-Marais, sa trêve. Le territoire offre à la vue, des terres bien cultivées, de bonnes prairies, des marais, la forêt de Rieux plantée en bois taillis, quelques autres bois et une grande quantité de landes, particulièrement au Nord-Ouest de son clocher ».
Le Dictionnaire atteste ensuite l'importance ancienne de Rieux, mentionne ses fortifications, son port et son nom porté déjà au VIIIème siècle. Après avoir conté la vieille légende du Sauveur repoussé au quai, il note que « le port de Rieux est devenu presque désert par suite de la négligence de ses seigneurs, plus occupés de guerres et de gouvernement féodal que du bien-être de leurs vassaux. On tient pourtant que, autrefois, des frégates de trente pièces de canon montaient jusqu'à Rieux ».
Le Château.
— D'une prise de possession :
« Nous sommes entrés dans les ruines d'icelui château où nous avons remarqué que c'était anciennement une place forte, en forme de triangle sur un rocher. De tout quoi il ne reste plus en entier qu'une partie d'un vieux donjon tout à fait en ruine, avec une grande porte de pierres de taille vers Occident, et une porte à côté avec des enclavures de herse et pont-levis, et un pan de muraille dans la douve pour recevoir lesdits pont-levis. Le surplus dudit château est en ruine, sans aucuns logements, couvertures ou boisages. Lequel est entouré de vieilles douves et fossés dans lesquels il est tombé plusieurs pans de murailles ».
Le voeu de M. Abhamon, en 1768, que les nouveaux seigneurs restaurent leur château et y viennent habiter, n'a pas été — et ne sera pas — exaucé...
Le Pont. — Malgré les injonctions de l'Etat et la saisie du droit de péage, le pont n'était toujours pas reconstruit, les tentatives amorcées dans ce but ayant toutes avorté. En 1785 cependant, d'importantes réparations sont effectuées à la chaussée et à nouveau des ingénieurs proposent de refaire le pont ; leur devis est de 80.000 livres. Le 10 novembre suivant, la communauté de Redon offre de se charger de ce travail, à la condition que le Roi lui abandonne durant 30 ans les droits de passage du bac, tels qu'ils se percevaient à cette date. La communauté évaluait à 2.666 livres par an les recettes du passage. D'autre part, elle escomptait que le rétablissement du pont amènerait à Redon tout le trafic de Nantes à Vannes. Cette proposition n'eut pas de suite (Archives départementales de Rennes).
Les Communs. — La question des communs suscite toujours des difficultés. En 1783, on note des réclamations de ce genre : « C'est bien, la communauté ! Mais tout de même certains ont trop de moutons et de brebis. Il en existe un nombre infini dans la paroisse ; des propriétaires en ont jusqu'à 300 ! Lancés dans les prés communs, ils dévorent tout jusqu'à la racine, enlevant la nourriture aux chevaux et aux bêtes à cornes qui sont l'âme de la culture ». C'est le cas de ce « sieur du Roscoat qui s'obstine à envoyer ses 300 moutons paître dans les Pâtureaux ».
III. — LES DIFFÉRENTES CLASSES SOCIALES.
La Noblesse. — Ses principaux représentants à Rieux, sont le Comte de Rieux, les seigneurs de Forges, de Thomelin, de Pré-château, Péniguel de la Châtaigneraie, de Fabrony, du Quercron.
Un inventaire du 12 mars 1771 nous donne une idée de la garde-robe d'une grande dame de province à cette époque, Mme François de Forges, née Marie-Anne de la Souallaye.
« 1°) Les robes de Madame. — Une en toile peinte, fond blanc à grandes fleurs en guirlandes ; la jupe pareille, doublée de taffetas brun, évaluée à 60 livres ; une de damas satiné, fond gris, ramages verts et lilas, et une robe vieille, 46 livres ; une robe et une jupe de satin violet à colonnes et petits bouquets, 120 livres ; une de satin blanc bordée de soie, 72 livres ; une de gros de Tours, fond isabelle, glacée de blanc et brochée, avec sa jupe, 140 livres ; six autres, 186 livres.
2°) 22 coiffes de nuit, 1 peignoir mousseline, 1 de toile, 4 paires de bas de soie, 12 en coton, 1 douzaine de bonnes chemise, 2 douzaines de mauvaises, 2 bonnets de dentelles, 38 livres.
3°) 1 toilette avec mirouer et plusieurs boëttes à odeur, 18 livres ; 1 manchon de plumes, 2 paires de souliers, dont 1 de droguet et 1 de rubans tissus, 4 livres ; 1 paire de boucles de souliers de Strass (Imitation du diamant) ; 1 montre en or avec sa chaîne, 400 livres ; 1 étui d'or, 90 livres ; boucles d'oreilles et un anneau d'or, 13 livres ; divers, 28 livres.
4°) 3 vieilles pièces de tapisserie, vendues 18 livres ; 1 glace à cadre doré, 40 livres ; 1 grande et vieille armoire travaillée, 20 livres.
5°) L'argenterie, 1.673 livres ; 1 lunette d'approche, 24 livres ; 1 baromètre, 3 livres ».
Et l'inventaire se termine sur ces mots : « Le reste n'accuse rien de spécial dans le mobilier qui ne paraît pas luxueux ».
La bourgeoisie de robe. — Elle tient une place importante dans la société de l'Ancien Régime. Elle comprend, sénéchaux, procureurs-fiscaux, avocats, notaires-procureurs, notaires, huissiers, greffiers, bref tout un monde qui donnait à la petite cité de Rieux une animation spéciale. Maîtresse de la judicature et de la communauté, elle marche de pair avec la noblesse ; certains d'entre eux, d'ailleurs, en font partie, ayant acheté des seigneuries.
Les bourgeois de professions libérales. — Ce sont les médecins, chirurgiens, contrôleurs, intendants, etc. Ainsi Maître Julien Marquier, sieur de Rougemont, docteur en médecine de la Faculté de Montpellier ; Noble Maître Jean Germain, chirurgien ; Maître Pierre Grignon, docteur-médecin, etc.
La bourgeoisie marchande prend en ce siècle un essor remarquable. Ses membres, eux aussi, acquièrent des terres nobles et se qualifient sieurs et même seigneurs de ces domaines. Leurs fils sortent facilement du cadre familial pour devenir souvent hommes de loi.
A Rieux, comme ailleurs, les bourgeois jouissent d'une situation privilégiée ; ils s'enrichissent alors que la noblesse se ruine. Au point de vue politique, ils exercent presque toutes les fonctions de l'Etat et forment la véritable classe dirigeante ; on le constatera bien pendant la Révolution.
Voici un exemple de cette ascension de certaines familles. Dans le Comté de Rieux, au village de Couesnongle, en Saint-Jacut, vivait au XVIème siècle une modeste famille roturière, la famille Joyaut. Deux siècles plus tard, nous trouvons l'un de ses descendants. François Joyaut, établi notaire royal. Des enfants de celui-ci, Julien est procureur-fiscal de Rieux, Jean-Baptiste est 1er lieutenant de cavalerie au régiment de Berry, Augustin, qui se qualifie sieur de Couesnongle, est négociant à Redon, Barthélémine épouse noble homme Jean-Marie du Quercron, procureur-fiscal et avocat au Parlement. Plus tard, les descendants d'Augustin Joyaut, ne prennent plus que le nom de Couesnongle.
Les Artisans... ouvriers, drapiers, merciers, cabaretiers, etc., se sont groupés en corporations et gardent jalousement leurs privilèges particuliers. Parfois ces sociétés étaient si exclusives qu'elles en devenaient tyranniques et exerçaient des monopoles dangereux.
Les Paysans. — « De 1750 à 1789, écrit Henri Pourrat (L'Homme à la bêche), les paysans ont gagné quelques honneurs et quelques aises, sans perdre simplesse et contentement. Ç'a été une ère de prospérité pour les campagnes. Des chemins se sont ouverts ; le commerce, ou du moins le troc, a pris plus d'importance...
La civilisation mécanique s'étend, favorisant les progrès de l'agriculture, souvent sous l'impulsion de seigneurs ou de curés agronomes. Aussi la paysannerie du XVIIIème siècle a-t-elle pris une magnifique ampleur, parce qu'elle cultive mieux et a beaucoup d'enfants. La France, par sa population, a les deux cinquièmes de l'Europe et elle pourra, seule, tenir tête à l'Europe entière, et même la conquérir ».
Les classes laborieuses ont grandi par le travail, l'instruction, la richesse. Elles aspirent à exercer leur influence, mais elles sont arrêtées par le despotisme et les privilèges des institutions féodales subsistant encore dans un pays assoiffé d'égalité et de liberté.
Le coût de la vie. — Voici un bref aperçu du coût de la vie en nos pays sur la fin du XVIIIème siècle (en livres, sols et deniers).
1 livre de beurre, 7 sous ; 1 douzaine d'oeufs, entre 2 sous 6 deniers et 4 sols, suivant la saison ; 1 poule ou 1 coq à bouillon, 4 à 5 sols ; 6 poulets en novembre, 18 sols ; 1 perdrix, 4 à 5 sols ; 1 lapin, 2 sols ; 1 livre de veau, 3 sols 6 deniers ; de vache, 4 sols ; de boeuf, 6 sols ; de mouton, 2 sols 6 deniers ; 1 douzaine de sardines, 3 deniers ; 1 livre de morue, 18 sols ; 1 cent de harengs-saurs, 25 à 30 sols ; 1 livre de sucre, 17 sols.
1 barrique de cidre, 17 livres ; de vin ordinaire, 14 à 18 livres ; de Bordeaux, 22 livres ; de vin blanc, 16 livres.
Sur pied, une vache vaut de 37 à 48 livres ; un boeuf, 50 à 60 livres ; un mouton, 13 à 14 livres ; un porc, de 8 à 15 livres.
La paire de sabots se paie 4 à 5 sols ; un cotillon de serge, 5 livres ; une aulne de toile, 1 livre 8 sols ; de draps de futaine, 18 sols ; un jasson pour tirer les vaches, 7 sols ; un mille de foin, 7 livres...
Le journalier touchait 5 sous par jour et sa nourriture ; le couvreur, 12 s. ; le maçon, 12 s. ; le charpentier, 8 s. ; le perreieur (carrier), 10 s. ; le tailleur, 7 s. ; les femmes qui vont coudre, pesseler, fourbir la vesselle, 3 et 4 s., mais pour faire la chandelle, 10 s.
Dans un autre ordre de choses, le prédicateur du Carême recevait à Pâques une rémunération de 3 livres. C'était plutôt maigre !
Et le pain ? Ici, il est difficile de donner des prix stables, car ce prix suit évidemment le cours du blé ; or le blé est sujet à de fréquentes fluctuations : de 5 ou 6 livres l'hectolitre en période d'abondance, il monte à 20 et 25 en période de disette. D'ordinaire, la livre de pain vaut de 1 sol 1/2 à 2 sols, 3 sols en 1782. Est-ce le pain de fine fleur, ou le pain de farine tout otou, ou le pain de seigle farine blutée, ou le pain grison (dernière qualité) ? On ne le spécifie pas.
Somme toute, le peuple se nourrit assez bien et à peu de frais, sauf en cas de disette. Or les disettes ne sont pas rares. En 1784, par exemple, l'hiver fut extrêmement froid : la neige dura trois mois et atteignit plus de 50 centimètres, gelant les champs de grains. Pour comble, 1785 fut marquée par une longue période de sécheresse. Ce fut la misère noire au pays et la mortalité fut très forte. Le presbytère n'y échappa pas. M. Poisson qui avait chez lui son père et ses deux soeurs, Julie et Félicité, vit mourir celle-ci en 1785 et son père peu après.
Le roi Louis XVI s'émut de cette misère et, pour y porter un peu remède, il fit un don de trois cent mille livres à la Bretagne. Ce don augmenta la sympathie que le peuple breton nourrissait envers son roi, aussi alluma-t-il des feux de joie à la naissance d'un enfant royal et chanta-t-il de tout coeur à l'église le Te Deum de la reconnaissance. Plus tard, les Bretons sacrifieront leur vie pour leur souverain.
Malheureusement, il y a une chose qui mange les deux tiers des gains du paysan, c'est l'impôt, la grande plaie de l'Ancien Régime par ses inégalités et ses abus, surtout la taille, établie uniquement sur les terres roturières. Ainsi tel seigneur, le principal propriétaire de la paroisse, est taxé à 30 sols et doit en outre quelques devoirs militaires et civils ; tel bourgeois, riche à 80.000 livres et sans autre charge, est imposé pour la même somme que le seigneur, alors qu'une veuve ayant 9 ou 10 enfants doit verser au fisc 90 livres !
Quant aux droits féodaux : cens, lods et autres, ils ne gênent plus guère les paysans, plusieurs ayant disparu effectivement et les autres s'amenuisant de plus en plus.
Ajoutons que les roturiers accusaient, non le roi, mais les commis des Fermes avec les hommes de loi et de finance, d'être la cause de cette injustice dans la répartition des impôts, « ce sont eux, disaient-ils couramment, qui nous écrasent comme des crapauds entre deux pierres ». Mais voici venir la Révolution qui ôtera au paysan les quatre cinquièmes de ses charges (HENRI POURRAT, L'Homme à la bêche : sous Louis XV et Louis XVI), aussi sera-t-elle d'abord bien accueillie de lui (abbé Henri Le Breton).
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