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ATTAQUE ET PRISE DE RIO-DE-JANEIRO, en 1711

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En 1710, M. du Clerc, capitaine de vaisseau, connu par son courage, avait fait une tentative sur cette colonie, l'une des plus riches qui soient au pouvoir des Portugais dans l'Amérique méridionale. Il avait employé cinq vaisseaux du roi, et environ mille soldats de marine : mais ces forces n'étant pas à beaucoup près suffisantes pour s'emparer d'un poste aussi considérable, il y était resté prisonnier avec six ou sept cents des siens. Tout le surplus avait péri dans les assauts qu'il avait donnés à la place et aux forteresses environnantes.

Les nouvelles par lesquelles on apprit cette défaite, disaient que les Portugais, insolens vainqueurs, exerçaient envers leurs prisonniers des cruautés de toutes les sortes ; qu'ils les faisaient mourir de faim et de misère dans les cachots ; et même que M. du Clerc, quoiqu'il se fût rendu à composition, avait été égorgé dans le logis que le gouverneur lui avait assigné.

Toutes ces circonstances, jointes à l'espoir d'un immense butin, et surtout à l'honneur qu'on pourrait acquérir dans une expédition aussi difficile, firent naître à M. du Gué-Trouin, déjà illustré par mille succès sur mer, le désir d'aller porter la gloire des armes de Louis XIV jusque dans ces climats éloignés ; et de punir l'inhumanité de l'ennemi par la destruction d'une de ses possessions les plus florissantes. Il s'adressa pour cet effet à trois de ses meilleurs amis, qui l'avaient aidé de leur bourse et de leur crédit dans ses précédentes entreprises. C'étaient M. Gallet de Coulange, contrôleur-général de la maison du roi, et MM. de Beauvais Le Fer et de la Sandre Le Fer, de Saint-Malo. Il leur fit part de son projet, et les engagea à se rendre directeurs de son expédition : mais l'importance de cette oeuvre exigeant des fonds très-considérables, ils furent obligés de se confier à trois autres négocians, aussi de Saint-Malo ; à savoir, MM. de Bellisle-Pépin, Noël Da­nycan, sieur de l'Epine, et de Chappedelaine. La mise-hors de cet armement, auquel M. Luc Trouin de la Barbinais, frère aîné de notre héros, fut associé comme septième directeur, fut estimée à 200.000 livres, non compris les salaires payables au retour.

Cet accord ayant reçu l'approbation du monarque, qui voulut bien fournir quelques vaisseaux et des troupes, les deux frères se rendirent à Brest, où ils firent diligemment équiper le Lis et le Magnanime, de soixante-quatorze canons chacun ; le Brillant, l'Achille et le Glorieux, tous trois de soixante-six pièces ; la frégate l'Argonaute, de quarante-six ; deux autres frégates de trente-six chaque, l'Amazone et la Bellone, mais cette dernière équipée en galiote avec deux gros mortiers ; enfin l'Astrée, de vingt-deux canons ; et la Concorde, de vingt : celle-ci, du port de quatre cents tonneaux, devait servir de vivandier à la suite de l'escadre, et se charger surtout de futailles pleines d'eau.

M. du Gué choisit, pour monter les plus gros vaisseaux, MM. les chevaliers de Courserac, de Goyon, de Beauve et de la Jaille ; et il donna le commandement des frégates et autres navires à MM. le chevalier Dubois de la Motte ; du Chesnay Le Fer, de Saint-Malo ; le chevalier de Kerguelin ; de Rogan, aussi de Saint-Malo ; et de Pradel-Daniel également de notre ville. Il fit en même temps armer à Rochefort le vaisseau le Fidèle ; de soixante canons, aux ordres de M. de la Moinerie-Miniac, autre Malouin ; et la frégate l’Aigle, de quarante pièces, montée par M. de la Mare-Decan, idem. Enfin le vaisseau le Mars, de cinquante-six, fut préparé sous main à Dunkerque, pour M. Louis-Paul Danycan, sieur de la Cité, idem ; et à la Rochelle deux traversiers, la Françoise et le Patient, commandés par deux pilotes, furent équipés en galiotes, avec deux mortiers chacun.

Indépendamment de ces préparatifs, on engagea deux autres vaisseaux de Saint-Malo, qui avaient relâché dans les rades de la Rochelle, à se joindre à l'escadre ; à savoir : le Chancelier, de quarante, monté par M. Joseph Danycan, sieur du Rocher; et la Glorieuse, de trente, par M. de la Perche. « Tous ces citoyens de Saint-Malo, dit M. de Sacy, étaient connus par des exploits mémorables ; tous unis par cette amitié qui double la force des armées lorsqu'elle règne entre les chefs. Tous allaient à une expédition aussi hardie que celle de Carthagène ; et plus difficile, puisque les ennemis étaient prévenus ».

Toutes ces forces rassemblées mirent à la voile le 9 juin 1711, des rades de la Rochelle : à l'exception de la frégate l'Aigle, qui avait besoin d'un soufflage pour tenir la mer, et qui eut rendez-vous à l'une des îles du cap Verd (cap Vert). Le 21, M. du Gué fit une petite prise anglaise sortant de Lisbonne, qu'il jugea propre à servir à la suite de sa flotte.

Le 2 juillet, il mouilla à l'île Saint-Vincent, l'une des îles du cap Verd (cap Vert), où la frégate l'Aigle arriva presqu'en même temps que lui, et d'où il repartit le 6.

Le 11 du mois d'août, après avoir essuyé plus d'un mois de vent contraire, si frais que tous les vaisseaux de l'escadre furent obligés d'abattre leurs mâts de hune, il passa l'équateur ; où les équipages n'omirent pas la farce d'usage, connue sous le nom de baptême de la ligne.

Le 27, il se trouva par la hauteur de la baie de Tous les Saints ; et le 12 septembre, à la pointe du jour, il arriva à l'ouvert de la baie de Rio-Janéiro.

Comme le succès de cette expédition dépendait de la diligence, et qu'il ne fallait pas donner aux ennemis le temps de se reconnaître ; il ordonna de suite à M. le chevalier de Courserac, qui connaissait un peu l'entrée de ce port, de se mettre à la tête de l'escadre ; et à MM. de Goyon et de Beauve de marcher immédiatement après. Lui-même, sur le vaisseau le Lis, s'avança à leur suite, afin de pouvoir les observer ; et derrière lui tous les autres défilèrent en leur rang. C'est ainsi que fut forcée l'entrée de ce lieu, qui était défendue par une quantité prodigieuse d'artillerie, et par quatre vaisseaux de cinquante-six à soixante-quatorze canons, joints à trois frégates de trente-six à quarante, que le roi de Portugal y avait envoyés quelque temps auparavant. Ces vaisseaux, qui s'étaient entraversés pour barrer le passage, voyant qu'ils n'étaient pas capables de résister, prirent le parti de couper leurs câbles, et d'aller s'échouer sous les batteries de la ville. De leur côté, les Français eurent dans cette action environ trois cents hommes hors de combat ; nombre bien peu considérable, eu égard aux difficultés qu'ils avaient eues à vaincre.

Pour juger sainement du mérite de cette entrée, il faut se représenter la baie de Rio-Janéiro fermée par un goulet d'un quart plus étroit que celui de Brest, et ayant dans son milieu un gros rocher de cent brasses de longueur, qui met les vaisseaux dans la nécessité de passer à une portée de fusil des forts qui défendent le passage des deux côtés. Ces forts sont, à droite celui de Sainte-Croix, qui était alors garni de quarante-huit pièces de canon, depuis dix-huit jusqu'à quarante-huit livres de balle ; et une autre batterie de huit pièces, un peu en dehors de ce fort, nommée de la Prée de Fore : à gauche, celui de Saint-Jean, avec deux autres batteries dites de la Prée-Vermeille et de Saint-Théodore ; faisant tous face au précédent, et garnis de quarante-huit pièces de gros calibre : en dedans de l'entrée, à droite, le fort de Notre-Dame de Bon Voyage, situé sur une petite île, et muni de seize canons de dix-huit à vingt-quatre ; vis-à-vis, à gauche, aussi sur une île, celui de Villegagnon, où il y avait vingt pièces de même qualité ; enfin, en arrière de ce dernier et à la côte, quelques autres batteries plus ou moins finies. Après tout cela, à portée de fusil, on voit l'île Cabras ou des Chèvres, sur laquelle était un fort à quatre bastions garni de dix pièces ; et sur un plateau au bas de cette île, une autre batterie de quatre pièces. En un mot, vis-à-vis la même île, et à l'une des extrémités de la ville, était le fort de la Miséricorde, sur une pointe avancée dans la mer, lequel était muni de dix-huit canons. Sans compter un grand nombre de retranchemens que les Portugais avaient élevés partout où ils croyaient qu'on pouvait tenter la descente.

Quant à la ville elle-même, située sur la gauche en entrant dans la susdite baie, par vingt-deux degrés vingt minutes de latitude australe, et les trois cent trente-cinq degrés de longitude ; elle est bâtie au milieu de trois montagnes qui la commandent. Sur la montagne des Jésuites, la plus proche en entrant, était alors le fort Saint-Sébastien, garni de quatorze canons et de plusieurs pierriers. Un second fort nommé Saint-Jacques, armé de douze pièces ; enfin un troisième, appelé Sainte-Aloysie, garni de huit, avec une batterie de douze. Sur la montagne des Bénédictins, à l'opposite de la précédente, étaient de bons retranchemens, et beaucoup de canons battant de tous côtés. Sur celle de la Conception, occupée par l'évêque, étaient pratiqués divers retranchemens au moyen d'une haie vive, et de canons qui en couvraient tout le front. Enfin, outre toutes ces pièces de défense, le corps de la place était fortifié par des redans, et par des batteries dont les feux se croisaient. Du côté de la plaine, elle était protégée par un camp retranché, et par un bon fossé plein d'eau, en dedans duquel étaient deux places d'armes à pouvoir contenir quinze cents hommes en bataille : c'était où les ennemis tenaient le fort de leurs troupes, qui consistaient en douze ou treize mille hommes au moins, y compris cinq régimens de troupes réglées nouvellement amenées d'Europe par dom Gaspard d'Acosta, sans compter un grand nombre de noirs disciplinés qu'ils avaient à leurs ordres.

Surpris de trouver cette colonie dans un état fort différent de celui dont on l'avait flatté, M. du Gué-Trouin apprit qu'Anne, reine d'Angleterre, instruite par quelques espions, avait fait partir un paquebot pour informer le roi de Portugal Jean V du sort qu'on lui préparait ; et que celui-ci s'était servi du même navire, très-fin voilier, pour porter l'ordre au gouverneur de Rio-Janéiro de se mettre promptement sur la défensive [Note : « Les Portugais, dit M. de Sacy (Honneur Français, t. 10, page. 399), avertis du danger qui les menaçait, eurent quinze jours pour préparer leur défense. Ce contre-temps, qui devait faire échouer l'entreprise, si elle avait été conduite par tout autre, ne servit qu'à faire éclater davantage le génie de M. Du Guay. Les jaloux n'eurent point la ressource de dire qu'il avait été heureux : il fallut convenir qu'il était grand et habile »].

Malgré ce contre-temps, notre brave Malouin ne se déconcerta pas. Dès la nuit suivante, il fit avancer la galiote et ces deux traversiers pour commencer à bombarder ; et à la pointe du jour, il détacha le chevalier de Goyon, avec cinq cents soldats d'élite, pour s'emparer de l'île des Chèvres.

Ce digne officier en chassa les Portugais si brusquement qu'à peine eurent-ils le temps d'enclouer une partie de leurs canons. Ils coulèrent, en se retirant, deux de leurs plus gros navires marchands entre la susdite île et la montagne des Bénédictins ; et firent sauter en l'air deux de leurs vaisseaux de guerre échoués sous le fort de la Miséricorde. Ils voulurent en faire autant à un troisième qui était échoué sous la pointe de l'île des Chèvres : mais le chevalier de Goyon y envoya deux chaloupes, qui, malgré le canon de la place, y arborèrent aussitôt le pavillon du roi ; sans cependant pouvoir remettre ce navire à flot, parce qu'il se trouva plein d'eau. Comme cette île dominait une partie de la ville, on y établit avantageusement des batteries de canons et de mortiers.

Cependant nos vaisseaux manquant d'eau, il n'y avait point de temps à perdre pour descendre à terre, et s'assurer d'une aiguade. Le chevalier de Beauve fut chargé en conséquence de faire embarquer la plus grande partie des troupes dans les frégates, et de s'emparer, la nuit suivante, de quatre vaisseaux ennemis mouillés près de l'endroit où la descente devait s'effectuer. Cet ordre fut exécuté avec tant de conduite, que le lendemain matin le débarquement se fit sans danger et sans confusion, sur une langue de terre située au milieu des trois forts de Sainte-Croix, de la Prée de Fore, et de Notre-Dame de Bon Voyage.

Le 14 septembre, on mit à terre toutes les troupes, au nombre de deux mille deux cents soldats, et de sept à huit cents matelots armés et exercés : ce qui formait, y compris les officiers, gardes de la marine, et volontaires, un corps d'environ trois mille hommes ; outre cinq cents autres soldats scorbutiques, qui, dans quatre à cinq jours se mirent sur pied, et en état de s'incorporer avec leurs camarades. De tout cela M. du Gué-Trouin composa trois brigades de trois bataillons chacune. Celle qui servait d'avant-garde, était commandée par le chevalier de Goyon ; celle de l'arrière-garde, par le chevalier de Courserac ; et celle du centre, par M. du Gué lui-même, qui laissa les détails au chevalier de Beauve. On fit aussi débarquer quatre petits mortiers portatifs, et vingt gros pierriers de fonte, afin d'en former une espèce d'artillerie de campagne, destinée à marcher au milieu du bataillon du centre.

Tout étant ainsi disposé, le sieur d'Auberville, capitaine des grenadiers de la brigade de M. de Goyon, eut ordre de chasser quelques pelotons d'ennemis d'un bois où ils s'étaient embusqués pour observer : après quoi le reste de la brigade du même chevalier de Goyon occupa la hauteur qui regarde la ville ; celle du chevalier de Courserac s'établit sur la montagne à l'opposite ; et enfin M. du Gué se plaça au milieu d'eux, avec sa brigade du centre. Par cette situation, l'on fut à portée de se soutenir les uns les autres ; et l'on demeura les maîtres du bord de la mer, où l'on apporta des vaisseaux toutes les munitions de guerre et de bouche dont on avait besoin.

Le 15, on battit la campagne pour avoir des bestiaux, sans que les ennemis fissent aucun mouvement. Leur dessein était d'attirer les assiégeans dans les retranchemens où avait été défait M. du Clerc : mais la prudence triompha de la ruse ; et l'on donna toute son attention à bien reconnaître le terrain.

Le 16, un des détachemens français s'étant avancé, les assiégés firent jouer un fourneau avec tant de précipitation, qu'il ne fit aucun mal. Ce même jour, on établit une batterie de dix pièces de canon sur une presqu'île qui prenait à revers les batteries et une partie des retranchemens de la montagne des Bénédictins.

Le 17, les Portugais firent sauter en l'air leur troisième vaisseaux de guerre, qui était demeuré échoué. Ils brûlèrent aussi deux frégates de leur nation, ainsi que de grands magasins pleins de sucre, d'agrès, et de munitions, situés sur le bord de la mer.

Dans l'intervalle de tous ces mouvemens, quelques pelotons d'ennemis se coulèrent le long des défilés et des bois qui bordaient notre camp ; et après avoir tenté quelques attaques de jour, ils surprirent pendant la nuit deux ou trois de nos sentinelles avancées, qu'ils enlevèrent sans bruit. Nous eûmes aussi quelques maraudeurs, qui tombèrent entre leurs mains : ce qui donna occasion à un stratagème que nous allons rapporter.

Un nominé Dubocage, Normand d'origine, s'était depuis quelque temps fait naturaliser Portugais ; et commandait alors un des vaisseaux que nous avions trouvés à Rio-Janéiro. Après l'avoir fait sauter en l'air comme nous l'avons dit, il s'était chargé de garder les retranchemens des Bénédictins ; et il s'acquittait si bien de cette commission, que plusieurs de nos chaloupes et nos deux traversiers en avaient été fort maltraités. Cet homme désirant se distinguer de plus en plus, et s'attirer l'entière confiance de ses nouveaux compatriotes, auxquels il craignait d'être suspect, imagina de se déguiser en matelot, avec un bonnet, un pourpoint et des culottes goudronnées. Dans cet équipage, il se fit conduire par quatre soldats portugais à la prison où nos sentinelles et nos maraudeurs avaient été renfermés. Il s'y fit mettre aux fers avec eux, disant qu'il était matelot d'un des vaisseaux de Saint-Malo ; et que s'étant par malheur écarté de notre camp, il avait été surpris. Il fit en un mot, si adroitement son personnage, qu'il tira des prisonniers français toutes les lumières qui pouvaient lui faire connaître le fort et le faible de nos troupes.

Sur le rapport qu'il sut en faire aux ennemis, ceux-ci en prirent la résolution d'attaquer notre camp. Pour cet effet, ils firent sortir de leurs retranchemens, avant la pointe du jour, quinze cents hommes de leurs troupes réglées, qui, sans être découverts, s'avancèrent jusqu'au pied de la montagne occupée par la brigade du chevalier de Goyon. Ces gens furent suivis par un corps de milice qui se posta à moitié chemin de notre campe à couvert d'un bois, et à portée de soutenir ceux qui devaient nous attaquer.

Le poste avancé qu'ils voulaient emporter, était situé sur une éminence à mi-côte de la montagne, où il y avait une maison crénelée qui nous servait de corps-de-garde ; et quarante pas au-dessous, régnait une haie vive fermée par une barrière.

Les Portugais, à la pointe du jour, firent passer devant cette barrière plusieurs bestiaux, qu'un de nos gens et quatre soldats se mirent en devoir de saisir, sans en avoir averti l'officier. Mais à peine eurent-ils ouvert la barrière, que les ennemis embusqués firent feu sur eux, tuèrent le sergent et deux soldats, et, passant outre, montèrent vers le corps-de-garde.

Le sieur de Liesta, qui gardait ce poste avec cinquante hommes, tint ferme ; et donna le temps au chevalier de Goyon d'y envoyer promptement M. de Bouteville, aide-major, avec deux compagnies. Il dépêcha en même temps un aide-de-camp pour en informer M. du Gué, qui fit partir à l'instant deux cents grenadiers par un chemin creux, avec ordre de prendre les assaillans en flanc sitôt qu'ils verraient l'action engagée.

M. du Gué lui-même courut, avec une compagnie de caporaux, vers le lieu du combat, où il arriva assez à temps pour être témoin de la valeur de ses braves officiers. A l'approche des troupes qui le suivaient, les ennemis se retirèrent précipitamment, et laissèrent sur le champ de bataille quantité de leurs soldats tués et blessés.

Notre héros interrogea ces derniers, qui lui découvrirent l'embuscade où le corps de milice portugaise était posté. Il ne jugea pas à propos de s'engager parmi ces bois ; et il fit faire halte à toutes ses troupes, qui commençaient à s'ébranler. Le sieur de Coëtlogon, aide-de-camp du chevalier de Goyon, fut blessé en cette rencontre, ainsi que vingt-cinq à trente soldats.

Ce même jour, la batterie dont on avait laissé le soin au chevalier de Beauve, commença à tirer sur les retranchemens des Bénédictins.

Le 19, M. de la Ruffinière, commandant de l'artillerie, fit savoir à M. du Gué qu'il avait sur l'île des Chèvres cinq mortiers, et dix-huit pièces de vingt-quatre livres de balle, prêts à battre en brèche ; et qu'il attendait des ordres pour démasquer les batteries. Notre Malouin crut qu'il était temps de sommer le gouverneur ; et il envoya un tambour lui porter la lettre dont voici le contenu : « Monsieur, le roi mon maître voulant tirer raison de la cruauté exercée envers les officiers et les troupes que vous fîtes prisonniers l'année dernière ; et sa majesté étant très-bien informée qu'après avoir fait massacrer les chirurgiens à qui vous aviez permis de descendre de ses vaisseaux pour panser les blessés, vous avez encore laissé périr de faim et de misère une partie de ce qui restait de ces troupes, les retenant toutes en captivité, contre la teneur du cartel d'échange arrêté entre les couronnes de France et de Portugal ; elle m'a ordonné d'employer ses vaisseaux et ses troupes à vous forcer de vous mettre à sa discrétion, et de me rendre tous les prisonniers français ; comme aussi de faire payer aux habitans de cette colonie des contributions suffisantes pour les punir de leurs cruautés, et qui puissent dédommager amplement sa majesté de la dépense qu'elle a faite pour un armement aussi considérable. Je n'ai point voulu vous sommer de vous rendre, que je ne me sois vu en état de vous y contraindre, et de réduire votre ville et votre pays en cendres, si vous ne vous rendez à la discrétion du roi mon maître, qui m'a commandé de ne point détruire ceux qui se soumettront de bonne grâce, et qui se repentiront de l'avoir offensé dans la personne de ses officiers et de ses troupes. J'apprends aussi, Monsieur, que l'on a fait assassiner M. du Clerc qui les commandait. Je n'ai point voulu user de représailles sur les Portugais qui sont tombés en mon pouvoir, l'intention de sa majesté n'étant pas de faire la guerre d'une façon indigne d'un roi très-chrétien ; et je veux croire que vous avez trop d'honneur pour avoir eu part à ce honteux massacre. Mais ce n'est point assez : sa majesté veut que vous m'en nommiez les auteurs, pour en faire une justice exemplaire. Si vous différez d'obéir à sa volonté, tous vos canons, toutes vos barricades, ni toutes vos troupes ne m'empêcheront pas d'exécuter ses ordres, et de porter le fer et le feu dans toute l'étendue de ce pays. J'attends, Monsieur, votre réponse : faites-la moi prompte et décisive ; autrement vous connaîtrez que si jusqu'à présent je vous ai épargné, ce n'a été que pour m'épargner à moi-même l'horreur d'envelopper les innocens avec les coupables. Je suis, Monsieur, très-parfaitement, etc. ».

Le gouverneur renvoya le tambour avec cette réponse : « Monsieur, j'ai vu les motifs qui vous ont engagé à venir de France en ce pays. Quant au traitement des prisonniers français, il a été suivant l'usage de la guerre : il ne leur a manqué ni de pain de munition, ni d'aucun des autres secours, quoiqu'ils ne le méritassent pas, par la manière dont ils ont attaqué ce pays du roi mon maître, sans en avoir commission du roi très-chrétien, mais faisant seulement la course. Cependant je leur ai accordé la vie, au nombre de six cents hommes, comme ces mêmes prisonniers pourront le certifier. Je les ai garantis de la fureur des noirs, qui les voulaient tous passer au fil de l'épée. Enfin, je n'ai manqué à rien sur tout ce qui les regarde, les ayant traités suivant les intentions du roi mon maître. A l'égard de la mort de M. du Clerc : je l'ai mis à sa sollicitation, dans la meilleure maison de ce pays, où il a été tué. Qui l'a tué ? C'est ce que l'on n'a pu vérifier, quelques diligences que l'on ait faites tant de mon côté, que de celui de la justice. Je vous assure que si l'assassin se trouve, il sera châtié comme il le mérite. En tout ceci il ne s'est rien passé qui ne soit la pure vérité telle que je vous l'expose. Pour ce qui est de vous remettre ma place : quelques menaces que vous me fassiez, le roi mon maître me l'ayant confiée, je n'ai point d'autre réponse à vous faire, sinon que je suis prêt à la défendre jusqu'à la dernière goutte de mon sang. J'espère que le Dieu des armées ne m'abandonnera pas dans une cause aussi juste que celle de la défense de cette place, dont vous voulez vous emparer sous des prétextes frivoles. et hors de saison. Dieu conserve votre seigneurie ! Je suis, Monsieur, etc. Signé, DOM FRANCISCO DE CASTRO-MORAIS ».

Sur cette réponse, l'attaque fut résolue ; et l'on visita la côte pour reconnaître tous les endroits par où l'on pourrait forcer plus aisément les ennemis.

On remarqua spécialement que cinq vaisseaux portugais mouillés près les Bénédictins, seraient très-propres à servir d'entrepôt aux troupes qu'on destinait à l'enlèvement de ce poste ; et par précaution, l'on fit avancer le vaisseau le Mars entre nos deux batteries et ces cinq vaisseaux, afin qu'il se trouvât tout posté pour les soutenir quand il en serait question.

Le 20, le vaisseau le Brillant eut ordre d'aller mouiller auprès du Mars ; et alors, de ces deux vaisseaux, ainsi que de toutes nos batteries de mortiers et de canons, partit un feu continuel, qui rasa une partie des retranchemens. L'assaut fut aussi commandé pour le lendemain à la pointe du jour.

Dans la nuit du 20 au 21, M. du Gué fit embarquer dans des chaloupes les troupes destinées à l'attaque des retranchemens des Bénédictins ; et leur donna ordre d'aller se loger dans les cinq vaisseaux susdits, avec le moins de bruit qu'il serait possible.

Elles se mirent en devoir de le faire : mais un orage étant survenu, les ennemis les aperçurent à la lueur des éclairs, qui se succédaient presque sans interruption ; et firent sur nos chaloupes un grand feu de mousqueterie.

M. du Gué s'en était défié, et avait commandé d'avance aux vaisseaux le Brillant et le Mars, ainsi qu'à toutes nos batteries, de faire pointer avant la nuit tous leurs canons sur les retranchemens des Bénédictins ; et de se tenir prêts à tirer dessus, dès qu'ils verraient partir un coup de canon de la batterie où lui-même s'était placé.

En effet, du moment où les ennemis eurent commencé à tirer sur nos chaloupes, le coup de canon qui devait servir de signal à nos gens se fit entendre ; et à l'instant un feu roulant, et parfaitement soutenu, jeta dans la ville une consternation générale. La confusion parmi les habitans y fut d'autant plus grande, qu'ils crurent qu'on allait leur livrer assaut au milieu de cette affreuse nuit.

Le 21, à la pointe du jour, notre intrépide Malouin s'avança, à la tête des troupes, pour commencer l'attaque du côté de la montagne de la Conception ; après avoir ordonné au chevalier de Goyon de filer le long de la côte avec sa brigade, et d'attaquer les ennemis par un autre endroit. Il commanda en même temps aux troupes placées dans les cinq vaisseaux de donner assaut aux retranchemens des Bénédictins.

Sur ces entrefaites, le sieur de la Salle, aide-de-camp de feu M. du Clerc, s'étant échappé des ennemis, vint donner avis que la populace et les milices, persuadées que nous allions leur donner un assaut général, en avaient été tellement frappées de terreur, que dès ce moment même elles avaient commencé d'abandonner la ville, avec une confusion étonnante. Il ajouta que cette terreur s'étant communiquée aux troupes de ligne, elles avaient été entraînées par le torrent ; mais qu'en se retirant, elles avaient mis le feu aux magasins les plus riches, et laissé des mines sous les forts des Jésuites et des Bénédictins, à dessein de faire périr une partie de nos troupes.

Toutes ces circonstances firent presser la marche. On se rendit maîtres, sans résistance, mais avec précaution, des retranchemens de la Conception et des Bénédictins ; et s'étant mis à la tête des grenadiers, M. du Gué fut le premier dans la place. Il s'y empara de tous les forts et de tous les postes qui méritaient attention, et donna en même temps ordre d'éventer les mines. La brigade du chevalier de Courserac fut établie sur la montagne des Jésuites, pour en garder les fortifications.

En entrant dans cette cité abandonnée, on trouva ce qui restait des prisonniers français de la défaite de M. du Clerc hors de leur prison, dont ils avaient brisé les portes ; et déjà répandus dans divers quartiers, pour piller les endroits qu'ils croyaient les plus riches. Cet objet excita l'avidité des soldats, et en porta quelques-uns à se débander : exemple dangereux, dont le général fit de suite un châtiment sévère, qui en arrêta les mauvais effets. Il ordonna du reste que tous ces prisonniers fussent conduits et consignés dans le fort des Bénédictins.

Cela fait, on s'occupa de poser des sentinelles, d'établir des corps-de-garde dans tous les lieux nécessaires, et de faire circuler nuit et jour des patrouilles. On publia même la défense aux soldats et matelots d'entrer dans la ville, sous peine de la vie ; mais la fureur du pillage l'emporta sur la crainte des châtimens. Les individus qui étaient chargés de réprimer le désordre, furent les premiers à s'y livrer à la faveur des ténèbres ; en sorte que, le lendemain matin, les trois quarts des magasins et des maisons se trouvèrent enfoncés, et les meubles et marchandises épars au milieu des rues. En vain le général fit sans rémission fusiller la plupart de ceux qui se trouvèrent dans le cas du ban publié à la tête des troupes : les punitions réitérées n'étant pas capables d'arrêter la rage des vainqueurs, M. du Gué n'eut d'autre parti à prendre, pour sauver quelque chose, que de faire porter dans des magasins, où il établit des gens de confiance, tous les effets qu'on put ramasser ; ce qui s'exécuta jusqu'au soir.

Le 23, on envoya sommer le fort de Sainte-Croix, qui se rendit à composition. M. de Beauville, aide-major, en prit possession, ainsi que du fort Saint-Jean et autres de l'entrée, avec ordre d'enclouer tous les Canons des batteries qui n'étaient pas fermées.

Pendant que tout cela se passait, on apprit par différens noirs transfuges, que le gouverneur de la ville et le commandant de la flotte avaient rassemblé leurs forces dispersées, et s'étaient retranchés à une lieue de nous, pour y attendre un puissant secours des mines conduit par Antoine d'Albuquerque, général fort estimé des Portugais : ainsi il était nécessaire de se précautionner contre leurs entreprises. Pour cet effet, l'on établit la brigade du chevalier de Goyon à la garde des retranchemens qui regardaient la plaine ; et M. du Gué se plaça, avec la brigade du centre, sur les hauteurs de la Conception et des Bénédictins, où il était à portée de secourir ceux qui en auraient besoin. A l'égard de la brigade du chevalier de Courserac, elle était déjà, selon que nous l'avons raconté, postée sur la montagne des Jésuites, qui, par sa situation, était pour ainsi dire inexpugnable.

Ayant l'esprit tranquille de ce côté-là, le vainqueur donna son attention aux intérêts du roi, et à ceux de ses armateurs. Comme il était impossible de garder cette place, à cause du peu de vivres qui s'y étaient trouvés, et de la difficulté de pénétrer dans le terrain pour s'en procurer, il fit dire au gouverneur que s'il tardait à racheter sa ville par une contribution, il allait la mettre en cendres, et la saper jusqu'aux fondemens. Afin même de lui rendre cette menace plus sensible, on détacha deux compagnies de grenadiers, avec ordre d'aller brûler toutes les maisons de campagne à une demi-lieue à la ronde.

Ces braves exécutèrent leur commission : mais ayant tombé dans un parti d'ennemis fort supérieur, ils auraient infailliblement été taillés en pièces, si on ne les eût fait suivre par trois autres compagnies, qui enfoncèrent et mirent en fuite tout ce qui leur fit résistance. Le commandant des Portugais, nommé Amara, homme fort estimé parmi eux, demeura en cette occasion sur la place. Le sieur de Brugnon en saisit les armes et le cheval, qu'il vint présenter à M. du Gué. Cependant comme cette affaire pouvait devenir sérieuse par le voisinage du camp ennemi, l'on fit avancer deux bataillons, sous le commandement de M. de Beauve, qui pénétrèrent plus avant, brûlèrent la maison qui avait servi de retraite à l'infortuné Amara, et se retirèrent.

?????????????????????Après cet échec, le gouverneur envoya à M. de Gué le président de la chambre de justice, avec un de ses mestres-de-camp, pour traiter du rachat de la ville. Ils commencèrent par dire que tout le peuple les ayant abandonnés, et ayant transporté tout son or bien avant dans les bois, il leur était impossible de trouver plus de 600.000 croizades [Note : La croizade ou cruzade, selon M. Abot de Bazinghen dans son Traité des monnaies, est une pièce d'argent de Portugal dont il y en a de deux sortes, savoir les vieilles et les neuves. Les premières valent 2 livres 16 sous 3 deniers tournois ; et les secondes, de 2 livres 4 sous à 2 livres 19 sous, argent de France] : encore demandaient-ils un assez long terme pour faire revenir le trésor du roi de Portugal, qui avait aussi été emporté dans les terres. Le vainqueur rejeta cette proposition, et congédia, ces députés, après leur avoir montré qu'il faisait actuellement miner sous les lieux que le feu ne pourrait détruire.

Depuis leur départ, il n'entendit plus parler du gouverneur : au contraire, il apprit par des nègres déserteurs, que le général d'Albuquerque devait le joindre incessamment avec un puissant secours, et qu'il lui avait dépêché un exprès pour l'en avertir. Inquiet de cette nouvelle, notre Malouin vit la nécessité où il était de faire un effort avant cette jonction, s'il voulait en tirer parti. Il ordonna en conséquence que toutes nos troupes, dans lesquelles il avait incorporé cinq cents soldats restés de la défaite de M. du Clerc, se missent en marche avant le jour, et décampassent à la sourdine.

Cet ordre, malgré la difficulté des chemins, fut exécuté avec tant d'ardeur et de régularité, qu'à la pointe du jour on se trouva en présence des ennemis. L'avant-garde, commandée par le chevalier de Goyon, ne fit halte qu'à demi-portée de fusil de la hauteur qu'ils occupaient, et sur laquelle leurs troupes parurent en bataille. Ces troupes avaient été fortifiées par douze cents hommes arrivés depuis peu du quartier de l'Ile-Grande.

Le gouverneur, surpris de notre apparition, envoya un jésuite, homme d'esprit, avec deux de ses principaux officiers, dire qu'il avait offert, pour racheter sa ville, tout l'or dont il pouvait disposer ; et que dans l'impossibilité où il était d'en trouver davantage, tout ce qu'il pouvait faire était d'y joindre 10.000 croizades de sa bourse, cinq cents caisses de sucre, et tous les bestiaux dont on pourrait avoir besoin. Il ajouta que si l'on ne voulait pas accepter ces offres, on était le maître de le combattre, de détruire la ville, et de prendre tel autre parti qu'on jugerait à propos.

Là-dessus, le conseil ayant été assemblé, on jugea que la situation où nous nous trouvions ne nous permettait pas de rejeter cette proposition ; et sur-le-champ on se fit donner douze des principaux officiers portugais pour ôtages, avec soumission de payer sous quinze jours les 600.000 croizades, et de fournir tous les bestiaux dont on aurait besoin. Il fut stipulé en outre, qu'il serait permis à tous les marchands du pays de venir dans la ville et dans nos vaisseaux, pour y acheter tous les effets qui leur conviendraient, en payant comptant.

Le lendemain de cet arrangement, 11 octobre, Antoine d'Albuquerque arriva au camp des ennemis avec trois mille hommes de troupes, moitié infanterie, et moitié cavalerie. Pour s'y rendre plus promptement, il avait fait mettre tous ses fantassins en croupe ; et avait donné ordre de le suivre à plus de six mille noirs bien armés, qui arrivèrent le jour d'après.

??????????????????Ce secours, quoique tardif, était trop considérable pour ne pas redoubler de vigilance ; d'autant plus que tous les noirs qui se rendaient à nous, assuraient que, malgré les ôtages livrés, l'ennemi avait résolu de nous surprendre pendant la nuit. Cela n'empêcha pas M. du Gué de faire porter dans ses vaisseaux toutes les caisses de sucre ; et de faire embarquer dans deux autres navires toutes les marchandises qui n'étaient propres que pour la mer du Sud. Tout le reste du butin fut vendu aux Portugais, aux meilleures conditions que l'on put.

Le 4 novembre, les ennemis ayant achevé leur dernier paiement, on leur remit la ville, et l'on fit embarquer les troupes. On garda seulement les forts de l'entrée du port, pour assurer notre départ.

Le 13, M. du Gué fit mettre le feu au vaisseau de guerre portugais qu'on n'avait pu relever, après en avoir retiré les canons de fonte ; et brûler un autre navire marchand, le seul, de plus de soixante, qu'on n'avait pas trouvé à vendre. Il avait aussi rançonné un bâtiment anglais de cinquante-six, qui s'était réfugié entre la côte et l’île du Gouverneur.

Le jour même que le vainqueur était entré dans la ville, il avait eu très-grand soin de faire ramasser tous les vases sacrés, l'argenterie et les ornemens des églises : on avait même puni de mort ceux qui avaient été assez malheureux que de les profaner, et de s'en trouver saisis. A son départ, M. du Gué les fit renvoyer aux pères jésuites, en les chargeant de les remettre à l'évêque du lieu.

Ce même jour 13, toute l'escadre mit à la voile, avec ce qui restait dans le pays des gens de mer de M. du Clerc.

Le 20 décembre, après avoir essuyé bien des temps contraires, on repassa la ligne ; et le 29 du mois suivant on arriva à la hauteur des Açores, où l'on éprouva consécutivement trois coups de vent si considérables, que toute la flotte se vit sur le point de périr. Cette tempête dura deux jours.

Le 6 février 1712, six vaisseaux entrèrent à Brest. L'Achille et le Glorieux s'y rendirent deux jours après. Le Mars, après avoir démâté de tous ses mâts, et avoir infiniment souffert faute de vivres, arriva dans le port de la Corogne ; et delà se rendit au Port-Louis. Le vaisseau l'Aigle relâcha à l'île de Cayenne où il périt à l'ancre. Enfin le Fidèle et le Magnanime, chargés de plus de 600.000 livres en argent, et d'une grande quantité de marchandises précieuses, ne reparurent plus.

Les retours du chargement des deux vaisseaux envoyés à la mer du Sud, joints à l'or et aux effets apportés de Rio-Janéiro, payèrent la dépense de l'armement, et donnèrent au-delà quatre-vingt-dix pour cent de profit ; sans compter plus de 100.000 piastres de mauvais crédits qu'on ne put faire rentrer.

Outre les dommages que les Portugais souffrirent de cette expédition, elle causa bien de la dépense aux Hollandais et aux Anglais. Ces derniers mirent d'abord en mer une escadre de vingt vaisseaux de guerre, pour bloquer M. du Gué-Trouin dans Brest ; et dans la crainte que sa destination ne fût pour porter le prétendant en Angleterre, ils rappelèrent de Flandres six mille hommes de leurs troupes, afin d'empêcher la descente sur leurs côtes. Ils envoyèrent en même temps des vaisseaux d'avis, et des navires de guerre, dans leurs principales colonies, avec une inquiétude d'autant plus grande, que le secret de l'armement fut jusqu'à la fin assez bien gardé.

Deux mois après son arrivée en France, M. du Gué se rendit à Versailles, où le roi daigna lui témoigner une grande satisfaction de sa conduite, et où une dame de la cour s'écria avec transport, à son aspect : Que je suis aise de voir un héros en vie ! A la seconde promotion d'officiers généraux qui se fit quelque temps après, le monarque le nomma chef-d'escadre ; et le gratifia, en attendant, d'une pension de 2.000 livres sur l'ordre de Saint-Louis.

On croit communément à Saint-Malo, que c'est de la prise de Rio-Janéiro que nous est venue cette cloche appelée Noguette, que l'on sonne encore maintenant à dix heures du soir, pour avertir les citoyens de ne plus sortir sans lumière, s'ils ne veulent s'exposer à être ramassés par la patrouille. On ajoute qu'elle tire son nom d'un certain Noguet, notre concitoyen, qui la prit pour sa part de butin [Note : Suivant les lois de la guerre pour une ville prise d'assaut, les cloches de cette ville appartiennent aux officiers et soldats d'artillerie] ; et qui, lors de son retour, en fit présent à notre ville. Ce qu'il y a de sûr, c'est que si ce Noguet, vrai ou prétendu, qu'on fait de plus mourir à l'hôpital sur ses vieux jours, apporta en effet cette cloche du Brésil, et en fit cadeau à ses compatriotes, il ne fit que la substituer à une autre qu'on appelait déjà elle-même Noguette plus de cent vingt ans aupa­ravant. Quoi qu'il en soit, cette cloche avait été, jusqu'à la révolution, dans le beffroi qui existait sur les tours de la Grande-Porte, où elle servait à convoquer la maison de ville, à marquer aux ouvriers du Sillon et du port les heures du repos et du travail, enfin à sonner la retraite avant la fermeture des portes. Depuis ce temps‑là, on l'a transférée dans le clocher de notre ci-devant cathédrale, où elle n'est plus employée qu'au seul usage que nous avons dit.

Le 11 octobre 1718, les principaux directeurs intéressés dans l'expédition de Rio-Janéiro, gratifièrent M. du Gué-Trouin de la somme de 12.000 quelques livres, produit du reste de la poudre à canon prise dans ladite expédition, et vendue en France. Notre héros, à son tour, reporta le bienfait sur ceux des capitaines et des officiers qui l'avaient suivi avec le plus d'intrépidité et de désintéressement.

Entre ces braves compagnons de sa gloire, ceux que notre ville s'honore d'avoir vu naître, non compris ceux déjà cités en cette relation, sont MM. Launay-Gravé, capitaine en second ; L'Hostellier, second enseigne ; La Motte-Daniel, capitaine ; Desmarets-Herpin, idem ; Maisonneuve, troisième enseigne ; Pommeraye-Loquet, lieutenant ; Lalande-Loquet, second lieutenant ; Géraldin, capitaine ; et plusieurs autres, dont on peut dire sans exagération, que le bruit de l'artillerie était une musique pour eux. (F. G. P. Manet, 1824).

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