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SAINT-EVARZEC. Apparition de sainte Marie-Madeleine en l'an V de la Révolution. |
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Ce n'est pas chose banale qu'un procès à propos d'apparitions et de miracles, se déroulant devant toutes les juridictions civiles et criminelles du Finistère, en pleine Révolution. Aussi avons-nous cru faire plaisir au lecteur, en publiant ces pages, extraites des Archives départementales, qui nous permettront de constater que les persécutions violentes de 1793 et 1794 n'avaient pas réussi à étouffer dans les coeurs les sentiments de foi et de piété de nos populations bretonnes, comme il demeure évident qu'avec les meilleures intentions, le zèle des fidèles, pour ne point s'égarer, a besoin de guides sûrs et de modérateurs sages et prudents. Or, en 1796-1797, les prêtres demeurés fidèles étaient exilés ou incarcérés, et ne pouvaient intervenir pour arrêter des élans d'une dévotion peu éclairée et qui n'était au fond qu'une pieuse illusion.
Le 23 Septembre 1796, sainte Marie-Madeleine était apparue à Yves Chiquet, cultivateur, à Poullogoden, en Saint-Evarzec. Cette nouvelle franchit bientôt les limites de la paroisse et se répandit très promptement dans le voisinage, à Quimper, à Pouldergat, et jusqu'à Brasparts.
Les autorités civiles s'en émurent, et une première enquête fut faite, le 30 Décembre 1796, par Baron, commissaire du Directoire près le canton d'Ergué-Armel.
« Yves Chiquet, cultivateur de la commune de Saint-Evarzec, prétendant avoir vu la Magdelaine, et mandé par l'agent de la commune, s'est rendu, ce jour 10 Nivose, an V (30 Octobre 1796), et m'a fait la déclaration suivante :
1° Qu'à différentes fois, il a vu Marie-Magdelaine, belle comme le
jour, les joues très colorées, voilée d'un capot blanc, qui lui a
ordonné de bâtir une chapelle dans un endroit qu'elle lui a désigné,
près de la fontaine située près du lieu vulgairement connu sous le nom
de l'Arbre des Chapons ;
2° Que, depuis, il se fait des offrandes à
cette fontaine ; que tous les ouvriers d'alentour ont promis des
journées gratuites pour l'édification de cette chapelle ;
3° Qu'il y
a chez lui une soixantaine de francs retirés du tronc, et que les
offrandes ne manqueraient pas une fois qu'on commencerait l'ouvrage ;
Que Bigot, de Quimper, avait fourni un boisseau de chaux pour réparer la
fontaine et qu'il avait promis de la livrer à prix coûtant, pour
l'édification de cette chapelle ; que Mlle Trémaria, religieuse, avait,
le portrait original de la Madeleine et qu'elle le donnerait pour
l'embellissement de la chapelle à bâtir ; que des gens de qualité de
Quimper s'intéressaient à la réussite de cette bonne œuvre ; que la
marquise de Ploeuc, douairière, et sa fille, en nombreuse compagnie, ont
été visiées la fontaine miraculeuse ; qu'elles et leur compagnie avaient
donné une pièce que Chiquet ne connaissait pas, mais qu'il m'a fait
voir, et qui est une piastre ; qu'une autre avait donné 6 francs et
beaucoup de monnaie ; que beaucoup de propriétaires des environs avaient
promis de fournir les bois et les charrois gratis ; qu'enfin, on pouvait
commencer la bâtisse, que l'argent ne manquerait pas.
Ayant terminé
sa déposition, je lui ai intimé l'ordre de revenir, toutes les semaines,
me rendre compte des moyens qu'il se procurerait, et des personnes qui
s'offriraient pour l'aider de leurs bourses. BARON, Commissaire du
Directoire près le canton d'Ergué-Armel ».
On lit au bas de cette pièce :
« Ce citoyen est revenu depuis
(jusqu'à l'instruction de la procédure commencée contre lui) me trouver
tous les jours de marché ; mais ne m'ayant fait que des déclarations
insignifiantes telles que de prétendus miracles, sans préciser ni le nom
ni la demeure de ceux sur qui ils sont opérés, j'ai négligé d'en prendre
note ».
Sur nouvelle dénonciation, Yves Chiquet est cité devant le Juge de paix
du canton rural de Quimper, et comparaît le 18 Janvier 1797.
«
Devant François-Marie Duval, juge de paix du canton rural de Quimper, en
vertu d'une dénonciation du 25 Nivose (14 Janvier), signée Roujoux, qui
porte qu'il se commet sur la commune de Saint-Evarzec, près le lieu de
Poullogoden, une escroquerie fanatique, dont Yves Chiquet, du dit lieu,
est dénoncé comme l'auteur et l'instrument fanatique.
Le 29 Nivose an
V (18 Janvier 1797) s'est présenté le dit Yves Chiquet, 40 ans, 4 p. 8
p., cheveux noirs et frisés, figure ronde, barbe noire, nez court et
plat, yeux roux, front ovale, cultivateur à Poullogoden, qui répond en
breton, et déclare que, le 23 Septembre dernier, il lui apparut, sur les
neuf heures du matin, une individue qui buvait l'eau à une fontaine,
près sa maison ; qu'ayant tourné la tête pour demander à ceux de son
village, qui travaillaient avec lui, s'ils connaissaient cette individue
qui buvait de l'eau de la fontaine avec la main, comme il retournait la
tête, ne vit plus rien, et ceux qui travaillaient avec lui ne la virent
pas davantage.
Le même jour, en sortant de son aire pour aller couper
un morceau de bois, il vit dans une perrière, cette même individue,
laquelle, lorsqu'il s'en approchait, avançait vers l'endroit où se
trouve aujourd'hui le tronc ; qu'aussitôt, cette individue, bien
habillée, après avoir fait le tour du champ, donnant au Midi sur
l'emplacement du tronc, l'appela par trois fois par son nom, et lui dit
de bâtir une chapelle pour la loger, dans l'endroit où elle lui apparut
pour la seconde fois, dans le même jour ; puis elle disparut, après
avoir dit à l'interrogé (qui lui observa qu'il n'avait pas lui-même les
moyens de lui faire bâtir une chapelle, attendu qu'il n'avait pas
lui-même les moyens de relever sa maison qui venait de s'écrouler),
qu'elle était Marie-Magdelaine, qu'il n'avait qu'à commencer toujours à
lever sa maison et qu'il aurait assez d'aide pour rebâtir la sienne.
D. Quel est le signalement de cette prétendue sainte ?
R. Cette
individue était si éclatante, que je pouvais à peine la fixer ; mais
j'observais cependant qu'elle avait une figure maigre, les pommettes des
joues rouges, et portait au col une croix jaune de la grandeur d'une
croix d'évêque.
D. De quel droit avez-vous posé un tronc ?
R.
L'agent national, l'adjoint, et même toute la commune ont été
unanimement d'avis de poser ce tronc ; plusieurs ont offert le bois, et
c'est moi qui ai fourni le fer pour le garnir.
D. Qui a fait les
offrandes ?
R. J'ai reçu, de quelques particuliers que je ne connais
point, tantôt 6 livres, tantôt livres 10 sous, mais je destine le tout à
faire bâtir la chapelle, si j'en obtiens la permission des corps
constitués, ou du pouvoir exécutif, près lequel, accompagné des citoyens
Le Berre, président du canton, et Beaujaffray, membre du pouvoir
exécutif, j'ai demandé la même permission, qui me fut promise pour le
mois de Mars ; que le citoyen Beaujaffray me dit de ramasser toujours le
plus d'argent possible et de tenir les clefs du tronc.
D. Quels sont
les miracles obtenus ?
R. Il m'a été rapporté, à mon arrivée chez
moi, dimanche, que j'avais passé au bourg de Saint-Evarzec ; qu'un nommé
Balboux, d'Ergué-Gabéric, est venu ce jour à la fontaine de Poullogoden,
où il a laissé une béquille ou bâton dont il se servait, étant infirme
depuis quelque temps.
D. N'êtes-vous pas poussé par quelque fanatique
à ramasser de l'argent pour exciter un soulèvement dans le canton ou
ailleurs ?
Répond négativement.
Ne sait signer ».
Non content d'interroger Chiquet, le juge de paix poursuivit son enquête près de toutes les personnes qui avaient fait des aumônes ou proposé leur aide pour l'édification de la chapelle, ou enfin obtenu quelques faveurs ou miracles.
« Le 1er Pluviose an V (20 Janvier 1797).
Informations du citoyen
Duval, sur le fait des miracles opérés à Poullogoden.
S'est présentée
la citoyenne Marie Thérèse Cariou, femme Le Grou, demeurant rue Kéréon,
38 ans, qui dépose, qu'il y a environ un mois, un vendredi, vinrent chez
elles trois femmes, à elle inconnues, pour acheter des marchandises ;
comme il pleuvait beaucoup, ces femmes restèrent attendre voir passer la
pluie ; dans cet intervalle, elle les entendit dire que les personnes
qui étaient allées à la prétendue chapelle, près Poullogoden, et
qu'elles avaient rencontrées en route, auraient été bien mouillées ;
qu'alors, la déposante leur ayant demandé des explications sur ce
propos, ces femmes lui dirent que Yves Chiquet avait parlé à sainte
Madeleine, qui l'avait chargé de faire bâtir une chapelle près la
fontaine ; que Yves Chiquet dit à la Sainte qu'il valait mieux lever sa
maison à lui ; mais que la Sainte répliqua : " Levez toujours la mienne,
parce qu'il ne fait pas beau passer l'hiver dehors, après quoi vous
lèverez la vôtre ".
L'une des trois femmes dit encore que des miracles s'opéraient en foule, et qu'un fils de Kergoatalez, en Kerfeunteun, malade depuis longtemps, s'étant voué à cette future chapelle, s'est vu (après avoir fait aller des personnes deux fois pour lui en dévotion à celle chapelle), beaucoup soulagé, donnant chaque fois 13 livres et ayant déclaré [devoir] donner quelque chose de plus, lorsque l'église serait bâtie ; que celle-ci le serait incessamment ; et qu'un de Quimper aurait fourni les ardoises.
Louis-Marie Charuel, demeurant rue Kéréon, dépose que, se promenant, vers le courant de Septembre, sur la route de Quimper à Kervao, il rencontra quatre paysannes tant vieilles que jeunes, et toutes très bien habillées, quoique ce fût un jour ouvrable. Il leur demanda où elles allaient ainsi avec leurs habits de fêtes. " Nous allons, répondirent-elles, vers Yves Chiquet, de Poullogoden, pour savoir positivement de lui si la Madeleine d'Italie lui avait apparue plusieurs fois ". Qu'ayant souri à un tel propos, une des plus vieilles dit : " Vous avez beau rire, les gens de la campagne, plus chrétiens que ceux de la ville, croyent à ce qui s'est passé, depuis peu, chez Yves Chiquet ". Etant entré quelque temps après dans l'auberge de Kervao, pour y allumer ma pipe, on y parla de l'apparition de la Madeleine à Yves Chiquet, et ayant voulu contredire le fait, une fille, qui faisait les crêpes, dit que Chiquet était trop parfait honnête homme pour en imposer ainsi ;
Le citoyen Daniel Sergent, menuisier, rue Neuve, dit qu'il lui a été rapporté, par la femme Le Moal, de la rue Neuve, qu'elle avait ouï dire que, dans un jour, on avait trouvé au tronc 100 écus, et 24 un autre jour.
Marie-Louis Chouet (après avoir raconté l'apparition) dépose que, dans le même temps, elle questionna Yves Conan, du Grand-Kermadec, en Ergué-Armel, son fermier, sur les circonstances de cette apparition, lequel lui dit que cette vierge, dite la Madeleine, avait apparu, par trois jours différents, à Yves Cliquet, et qu'elle lui demandait toujours une chapelle et un tronc ; que les deux premières fois, Yves Chiquet avait fait part de ces apparitions aux ouvriers qui travaillaient avec lui ; qu'à la troisième fois, la Sainte lui en fit un reproche, et que, depuis, Chiquet n'a plus parlé de ce qui se passai! intérieurement entre la Sainte et lui.
De plus, elle a entendu dire à Yves Conan, son fermier, que Yves Chiquet avait reçu de la Madeleine deux lettres, dont l'une devait avoir été portée aux prêtres non assermentés détenus au Collège de Quimper, et l'autre destinée à une maison de campagne dont il ne connaît pas l'adresse ;
Qu'ayant dit à Yves Conan qu'elle n'ajoutait pas foi aux prétendus miracles de Poullogoden, ce dernier lui dit qu'il s'y opérait réellement des miracles, et qu'une femme, qu'il ne peut désigner par son nom, accablée de douleurs et gardant le lit, se trouva parfaitement guérie.
Guillaume Le Bourhis, couvreur, de Ty-Douar, en Ergué-Armel, dépose qu'il a entendu dire à plusieurs personnes, qui allaient et revenaient de la chapelle neuve, en Saint-Evarzec, qu'il y allait beaucoup de monde, et qu'un homme de Brasparts s'en retournait avec un enfant aveugle depuis six ans et qui venait de recouvrer la vue.
Yves Conan, du Grand-Kermadec, a entendu dire à Guénolé Le Quinquis, maçon, il y a environ trois mois, avant sa mort, qu'une femme de Saint-Evarzec, qui avait trois fois récuré la fontaine de Poullogoden, s'était trouvée beaucoup mieux des douleurs qu'elle ressentait depuis six semaines.
Pierre Balboux, 39 ans, de Sulvintin, en Ergué-Gabérie, dépose que, goutteux depuis longtemps, ne pouvant marcher qu'avec des anilles, il fit voeu à la chapelle de Poullogoden, et s'y rendit un jour de dimanche, à cheval, fit ses stations à la fontaine prétendue miraculeuse, puis au tronc, où il fit ses prières ; qu'ensuite, il redescendit à la fontaine, où, s'étant trouvé beaucoup soulagé, il laissa contre la fontaine une de ses anilles.
Julien Mazé, juge au tribunal civil de Quimper, âgé de 55 ans, se rendit à Poullogoden, où il remarqua un tronc environné d'une vingtaine de personnes, à genoux et en prières ; plusieurs allaient en procession autour du tronc, et quelquefois y glissaient une pièce de monnaie, et s'en retournaient tranquillement chez eux. Il a voulu savoir quel était le culte que suivait Chiquet. Les uns disaient que c'était un prêtre insermenté qui devait desservir la chapelle quand elle serait bâtie ; les autres, que ce serait un prêtre assermenté ; que, dans le fait, le dit Chiquet suivait ces derniers, allant assez régulièrement à la Forêt, à la messe ».
Continuation de l'enquête, par le même Duval, le 25 Janvier 1797 (6 Pluviose, an V).
« Jeanne-Marie-Thérèse Tremaria, ex-religieuse à Quimper, étant
allée à Poullogoden pour se promener, une paysanne, à elle inconnue, lui
demanda un tableau ou une petite statue de la Madeleine, en terre, ce
qu'elle lui promit, et, de fait, la remit à cette paysanne, qui doit
l'avoir posée au-dessus de la fontaine.
Interrogée si elle ajoute foi à ces visions, a répondu que, sans y ajouter foi, elle dit que rien n'est impossible à Dieu, mais qu'elle serait fâchée d'exciter le moindre trouble dans le public.
Germain Michelot, fils, de Kergoatalez, demeurant à Tyrioual, en Kerfeuntetin, 22 ans, dit qu'étant malade depuis le dernier dimanche d'Août dernier, ayant entendu dire qull s'opérait des miracles au lieu de Poullogoden, il s'y voua et fit aller pour lui un individu auquel il n'a pas donné d'offrande, se réservant, lors de sa guérison, d'y aller lui-même porter ses intentions, qu'il n'a jamais lui-même communiquées à personne ; que, depuis, il se sent beaucoup soulagé, puisqu'il se traîne aujourd'hui à l'aide de ses anilles, ce qu'il ne pouvait faire auparavant.
Etienne-René Bigot, entrepreneur, demeurant à Quimper, 59 ans, a entendu dire par Ratier, qui travaille pour lui la chaux à La Forêt, que Chiquet lui ayant demandé un 1/2 boisseau de chaux pour chiqueter la fontaine de Poullogoden, où s'opéraient des miracles, et que le dit Chiquet se proposait de payer, il a déclaré ne vouloir rien exiger.
Marie-Geslin Ploeuc, 30 ans, déclare avoir donné en offrande, au
tronc de Poullogoden, un petit écu.
D. Ajoutez-vous foi au
visionnaire ?
R. Oui, attendu que j'ajoute toujours foi aux honnêtes
gens, et que j'ai entendu dire que Yves Chiquet était de ce nombre.
Jeanne-Guillemette Boisguehenneuc, veuve de Ploeuc, 60 ans, a donné en offrande un petit écu ; et qu'ayant demandé à Chiquet si c'était lui qui avait parlé à la sainte Madeleine, il répondit lui avoir parlé trois fois ».
L'interrogatoire du 1er Pluviose (20 Janvier) ayant été communiqué à l'administration centrale, présidée par Cambry, celle-ci, en séance du 29 Pluviose an V (17 Février), crut pouvoir couper le mal en sa racine, par l'arrêté suivant :
« Sur les constatations faites par le juge de paix de Quimper,
relativement aux attroupements et aux courses de personnes simples ou
fanatiques à une fontaine prétendue miraculeuse située au lieu de
Poullogoden, en Saint-Evarzec, et à l'établissement d'un tronc pour
recevoir les offrandes destinées à la construction d'une chapelle
demandée par la soi-disante Madeleine, apparue au nommé Chiquet,
cultivateur en cette commune.
Considérant que la sévérité des peines
qui découleraient d'une instruction criminelle ne serait peut-être
propre qu'à donner de nouvelles forces au fanatisme ;
Considérant
qu'en consacrant à des danses civiques l'argent provenant des offrandes,
on est assuré que les fanatiques ou malveillants cesseront de faire de
pareilles offrandes.
Considérant qu'il faut combattre le fanatisme
par le ridicule ;
Arrête : 1° Que l'argent du tronc sera consacré à
des fêtes publiques ; 2° Invite le citoyen... (sic) à composer une
chanson bretonne, qui sera répandue dans les campagnes pour éclairer
l'ignorance des personnes simples et déconcerter les projets des
malveillants ».
Il ne paraît pas que cet arrêté de l'administration centrale ait eu l'effet désiré ; peut-être ne trouva-t-on pas de danseuses, ni de poète pour composer la chanson ; toujours est-il que les fonds trouvés chez Chiquet furent saisis, mais n'avaient pas encore été dépensés en fêtes civiques, lorsque l'on se décida, le mois de Juin suivant, à traduire Chiquet devant le tribunal criminel.
Interrogatoire de Yves Chiquet, arrêté le 24 Prairial an V (12 Juin
1797) et interrogé le lendemain, 25 Prairial, par Charles Gaillard,
président du jury d'accusation, à Quimper.
« A comparu Yves Chiquet,
âgé de 42 ans...
D. Le 28 Nivose dernier (17 Janvier), on a saisi
chez vous plus de 100 livres provenant du tronc que vous avez placé à
Poullogoden ; votre intention n'était-elle pas d'abuser de la crédulité
des ignorants, et de vous approprier cet argent ?
R. Si telle avait
été mon intention, je n'aurais pas conservé cet argent, mais je l'aurais
dépensé.
D. Pourquoi avez-vous placé un tronc en cet endroit ?
R.
Une femme belle m'est apparue, le 23 Septembre dernier, sur les 9 heures
du matin, près la fontaine de mon village ; je la vis boire de l'eau
dans le creux de la main, et comme je demandais à ceux qui
m'accompagnaient s'ils la connaissaient, cette femme disparut, et mes
compagnons ne la virent pas.
D. Ne vites-vous pas, ce même jour,
cette femme une seconde fois ?
R. Oui, je la vis trois fois ce même
jour : à 9 heures du matin, buvant de l'eau, une demi-heure après, dans
le placitre, et la troisième fois, dans le premier endroit ; alors,
cette femme me parla, me dit se nommer Marie-Madeleine, patronne des
pécheurs ; qu'il fallait que je lui bâtisse une chapelle, dans le
placitre, à sa gloire. Je répondis que je le ferais, si j'en obtenais la
permission ; tout en observant, cependant, que je n'étais pas en état de
bâtir ; elle répliqua : " Bâtissez toujours, le peuple vous aidera ",
et, aussitôt, elle disparut.
J'ajoute que cette Madeleine m'apparut
trois jours de vendredi, successivement ; au même endroit, me répétant
ses recommandations, et ajouta qu'elle désirait que le peuple permît que
sa soeur Marthe et son frère Lazare fussent placés dans la même
chapelle.
D. Pourquoi, dans votre interrogatoire du 29 Nivose (18
Janvier), n'avez-vous pas rappelé que cette Madeleine s'était présentée
à vous, trois vendredis de suite, et dit son désir de voir son frère et
sa soeur placés dans la chapelle ?
R. Je ne m'en suis pas rappelé.
D. Qui vous a dit que les saints, qui sont des esprits, ont la
complaisance de descendre du ciel sur terre pour boire de l'eau dans le
creux de la main ?
R. Les esprits peuvent prendre la forme humaine.
D. Vous étant aperçu que la Sainte buvait, ne vous vint-il pas dans
l'idée de lui offrir à manger ?
R. Je n'invite pas à manger, tous
ceux que je vois boire.
D. Vous avez dit que, la seconde fois que
vous vîtes la Madeleine, le premier jour, c'était dans une perrière ;
vous dites, aujourd'hui, que c'était dans votre placître ?
R. C'est
la même pièce de terre.
D. Quels étaient les traits, l'encolure et
l'habillement de cet être qui se rendait invisible à volonté ?
R.
Elle était habillée de brun, mais était si éblouissante, que, pour la
fixer, j'étais obligé de mettre la main sur la, figure ; j'ajoute
qu'elle m'a toujours apparue dans le même éclat, et que je n'ai pas fait
attention si elle était jeune ou vieille.
D. Savez-vous lire ?
R.
Assez pour faire le catéchisme aux enfants.
D. Cette Madeleine ne
vous remit-elle pas deux lettres, l'une pour les prêtres insermentés
détenus au Collège, l'autre pour une maison de campagne ?
R. Non,
elle ne parla ni de prêtres insermentés, ni de prêtres assermentés.
D.
Cette Madeleine vous a-t-elle apparue depuis les interrogations du
juge de paix ?
R. Non ; mais, depuis, j'ai vu de grands cierges
allumés, la nuit, dans l'endroit où elle dit qu'elle voulait qu'on lui
bâtit une chapelle ; que c'était le carême dernier ; qu'une nuit, ayant
porté la main sur l'un de ces cierges, tous s'éteignirent et, qu'après
avoir fait cent pas, je me retournai et m'aperçus qu'ils étaient
allumés, et que le vent, quelque fort qu'il fût, ne les éteignait pas.
D. Cette Madeleine, vous dit-elle d'où elle venait ?
R. Elle dit
venir d'Italie, et qu'on y avait renversé son temple.
D. Vous
dit-elle depuis quand elle avait quitté l'Italie, combien de jours elle
avait mis dans sa marche, où elle comptait se rendre, si elle avait fait
sa route par terre ou par mer, à pied, à cheval ou en voiture ?
R.
Répond négativement.
D. Connaissez-vous cette statue en plâtre
portant la main sur une tête de mort, et l'autre main sous la tête, dans
une attitude de tristesse ?
R. Oui, elle a été placée à la fontaine
par une femme dont j'ignore le nom.
D. Cette Madeleine a-t-elle
fait des miracles ?
R. J'ai ouï dire, par plus de 30 personnes,
qu'un enfant aveugle a recouvré la vue, que Marie Perrier, de
Saint-Evarzec, infirme depuis onze mois, s'est fait porter à la fontaine
sur son grabat, qu'aussitôt arrivée, elle fit la procession à l'aide
d'un bâton et s'en retourna à pied ; qu'une fille de 7 à 8 ans, de
Pouldrégat, infirme, ayant été portée à cheval, recouvrit le marché à la
fontaine ; qu'une femme de Saint-Yvi, ayant une jambe dite de loup, dans
l'état le plus affreux, vint à la fontaine, trois jours de vendredis
successifs, que la première fois elle fut portée, les deux autres fois
elle est venue à pied, et la dernière fois elle s'en retourna
parfaitement guérie.
D. A lui présentée une statue de bois peinte
et chamarrée de rubans, il lui fut demandé s'il la connaissait ?
R.
Oui, elle a été portée chez moi, il y a 8 jours, par une personne de
Quimper, mais je ne la vis pas.
D. N'avez-vous pas porté cette
statue en procession, autour de la chapelle ou du tronc ?
R. Non,
mon intention était de la garder, ne sachant à qui la rendre.
D.
N'avez-vous pas chanté et dit des prières autour de votre fontaine ?
R. Oui ; je n'étais pas le chef pour cette cérémonie, j'ai prié avec
le peuple.
D. Reconnaissez-vous ces cierges ?
R. Les pèlerins
portaient ces bougies dans la maison, on les allumait, le jour, dans le
placitre ; le soir, je les éteignais et les portais chez moi.
D.
N'avez-vous pas exercé le ministère d'un culte, récitant des prières et
invocations à la Sainte, hors de votre maison, près la fontaine ?
R.
J'ai dit des prières près la fontaine avec le peuple. Je n'avais pas
l'intention de mal faire.
D. Depuis la Révolution, avez-vous été
fonctionnaire public ?
R. Oui, j'ai été membre du Conseil général
de ma commune.
D. N'existe-t-il pas, tous les jours, surtout le
dimanche, grand concours de monde chez- vous ?
R. Oui, quelquefois
; mais je ferme actuellement ma porte.
D. Avez-vous fait
déclaration à la municipalité d'exercer un culte public ?
R. Les
membres de la municipalité vont comme les autres aux prières à la
fontaine ; on n'a chanté publiquement et récité le rosaire en commun, à
haute voix, que trois fois seulement.
D. A quoi destiniez-vous les
bougies trouvées chez vous ?
R. J'ai pensé qu'il valait mieux les
ramasser que de les laisser entre les pieds des bestiaux ».
Le tribunal se montra très sévère pour le pauvre Chiquet, et le condamna à trois décades de prison.
La fontaine de Poullogoden existe toujours et, non loin, est un parc que l'on appelle encore Parc de la Madeleine, quoiqu'il ne semble pas qu'il y ait eu jamais une chapelle. Du reste, la mémoire de Chiquet est encore conservée dans la paroisse de Saint-Evarzec, et dans le souvenir de ses arrière-petits-enfants. (M. Peyron).
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