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SAINT-MALO : la cathédrale et le manoir épiscopal.

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La Vie religieuse. — La Cathédrale — Le Manoir épiscopal. — Choses et Gens d'Eglise.

Si l'on examine avec attention un plan de Saint-Malo, à la fin du XVIIIème siècle, on constate qu'une grande partie de la ville, un sixième environ de sa superficie totale, présente la forme d'un ovale, à peu près régulier, mais légèrement allongé vers l'ouest ; cet ovale est limité par la rue de la Croix du Fief, ou mieux le bas des Halles, par la rue des Halles ou de la Vieille Blaterie, la rue de la Prison ou du Petit Cimetière, le placître Saint-Aron, la rue Saint-Benoît, la rue des Champs Vauverts, la rue Sainte-Anne, la rue du Thydor ou du Boyer ou encore du Bé, la place du Pilori et, enfin, la rue de la Vieille Boulangerie. Cet ovale, dont on pourrait réduire encore un peu les contours, comprend la Prison, le Petit Cimetière, la Cathédrale, l'Évêché avec ses cours et ses jardins, l'église, le Cloître et les Jardins des Bénédictins, l'église de Sainte-Anne et des Ursulines, le Petit et le Grand Jardin de Sainte-Anne, le jardin et les bâtiments du Doyenné. On passait, sous une voûte, de la rue de la Cathédrale à la place de la Cathédrale sous laquelle existait une citerne. Cet ovale réduisait pour ainsi dire la Ville Sainte dans la Ville Ceinte. Une autre voûte, avec vantail, était accolée au côté nord du chevet de la cathédrale.

Ville de Saint-Malo : la cathédrale.

Sur le côté nord de la place de celle-ci, s'ouvrait le portail extérieur du palais épiscopal ; il donnait accès à toute la cour ; à l'ouest de cette cour, entre la Maison du Pavillon et des bâtiments communs, s'ouvrait le portail intérieur du palais qui donnait accès à la grande cour de l'évêché ; dans l'angle nord-est existait un puits. Autour de cette cour, se trouvaient les remises et les écuries ; sur le côté nord étaient la Bibliothèque, les Archives et les petits appartements ; à l'ouest, séparé par un vestibule, la salle d'entrée, la salle à manger et la grande salle ; plus vers l'ouest encore, le petit jardin de l'Évêché, que séparait une large allée du grand jardin de l'évêché ; sur le côté sud de la çour intérieure de l'évêché, on voyait une cuisine, une remise et un cellier ; au sud, le jardin et la cour du Doyenné qui rejoignait la voûte de la cathédrale ; de l'autre côté s'ouvrait la cour de la Chanterie.

Le manoir épiscopal fut l'objet de plusieurs démembrements ; on peut dire qu'il couvrait l'espace actuellement occupé par l'hôtel de ville, le tribunal, les bureaux de la sous-préfecture, la place Duguay-Trouin, une partie de la rue de Thydor, la rue Toullier, en un mot la ville haute. Il faut recourir avec une grande prudence aux ouvrages spéciaux qui cherchent à déterminer les anciens bâtiments (Pourpris). On peut dire que le pourpris était borné au nord par le mur des Cimetières, à l'ouest, par l'Évêché, au sud par la voûte de la Chanterie, à l'est par la rue des Halles. Il comprenait donc la moitié de la rue de la Paroisse, la place de la Cathédrale et la partie supérieure de la rue des Halles : Psalette, Pénitence et Théologale, etc... En 1616, les bénédictins anglais bénéficièrent de plusieurs parcelles de terrain et, trois ans plus tard, l'évêque afféagea le côté occidental de ses jardins aux fondatrices du couvent de Sainte-Anne. Le manoir épiscopal demeura sans changements appréciables jusqu'à la Révolution et l'évêque, après avoir traversé le pourpris, pénétrait dans sa cathédrale par la porte à l'Évêque, c'est-à dire par le portail gauche de la face de l'ouest. Sous la Révolution, le palais fut vendu à la ville ; les cours et jardins furent transformés en rues et places publiques ou vendus comme terrain à bâtir. Les derniers vestiges de l'évêché disparurent en 1835, lors de la construction du Tribunal Civil et des agrandissements successifs de l'Hôtel de Ville (1835-1870). La place Duguay-Trouin, représente assez exactement le Grand Jardin et la place de l'Hôtel de Ville, avec la rue Toullier, la Cour d'Honneur de l'Evêché. Les arcades ou voûtes (l'une d'elles existe toujours, celle de la rue des Halles) servaient d'entrée au Pourpris ; elles étaient munies de portes ; asile paisible et sûr, ville close au milieu de la Cité murée, disent des historiens locaux. Il n'est pas démontré que ce fut un asile si paisible que cela.

Les chanoines avaient, en général, l'esprit combattif et l'évêque n'était pas toujours très conciliant. Le chapitre que Jean de Chatillon, chanoine régulier lui-même, avait institué, ne devait pas toujours obédience à l'évêque et il matérialisait ce privilège en s'enfermant silencieux au choeur, quand, le jour de son installation, le nouvel évêque recevait à l'obédience le reste du clergé. La copropriété des droits seigneuriaux entre l'évêque et le chapitre était une source abondante de différends et de contestations de toutes sortes ; on, se disputait âprement les revenus de l'évéché ; l'évêque primitivement en avait un tiers, le chapitre les deux autres ; gourmand, celui-ci en exigea les trois quarts. « La juridiction temporelle engendrait aussi des luttes parfois ardentes et, des querelles misérables, de bruyants procès, - (c'est un ecclésiastique qui parle ainsi), furent amenés par le partage des pouvoirs ». Et voici qu'à ce dualisme épiscopal allait s'adjoindre un troisième pouvoir, le pouvoir civil, né en 1308, avec la Commune Jurée, indépendante et fière, qu'un édit de 1513 fortifiera étrangement. La Communauté tiendra ses assemblées du peuple au Ravelin de la Grande Porte, à la Salle du Jeu de Paume ; Saint-Malo a sa maison commune, son maire, son syndic, ses baillis, ses juges consuls et ses quatorze compagnies bourgeoises ; la Communauté édicte et légifère, établit des règlements de police, surveille le commerce et la navigation, impose des taxes, perçoit des revenus, fortifie ses murailles et les granits de ses canons. La crosse épiscopale n'est ni brisée, ni méprisée et ces messieurs du chapitre ne sont pas éloignés du Conseil de ville ; soit, mais la Communauté marche à grands pas vers l'autonomie. Les démêlés entre l'évêque et ses chanoines se compliquent maintenant singulièrement des démêlés avec la Communauté. Une ville aussi divisée aurait infailliblement péri, si le prélat, les chanoines et le peuple ne s'étaient pas unis dès que les droits de la cité se trouvaient menacés ; l'union se fait, tout s'apaise, la trêve n'est pas toujours très longue, mais elle dure assez pour faire triompher la cause des Malouins étroitement unis.

Mais toutes ces considérations appartiennent au domaine de l'histoire politique et sociale de Saint-Malo ; je sortirais du cadre que je me suis tracé, si j'en disais davantage.

On contristerait beaucoup les fidèles malouins, si on déclarait que leur cathédrale n'est pas un chef-d'oeuvre ; mais il serait injuste de refuser au plus vieux monument de la ville son caractère original, intéressant et curieux ; privée de toute harmonie architecturale, la cathédrale est l'oeuvre d'époques différentes ; c'est un composé disparate où l'on finit par démêler plusieurs styles. La tradition rapporte qu'à une date imprécise, Gurval, évêque d'Alet, aurait construit sur la roche d'Aaron une église en l'honneur de saint Malo, son prédécesseur. Elle aurait été incendiée en 811 par un des lieutenants de Charlemagne et Hélocar, son évêque, aurait obtenu du Grand Empereur, puis de son fils Louis le Débonnaire, l'autorisation de reconstruire l'édifice. De l'église du IXème siècle, il ne resterait rien ; on veut, cependant, trouver dans les piliers carrés de la nef centrale, certains vestiges annonçant la période romane. De Gurval nous ne savons rien de précis « C'est bien, dit l'abbé Duine, le successeur de saint Malo dans la légende ; mais la légende n'a aucune valeur historique ». Saint Malo, lui, est bien considéré comme le fondateur de l'église bretonne d'Alet ; mais pour un historien consciencieux, il est impossible de déterminer s'il appartient au VIème ou au VIIème siècle. Sa biographie nous offre deux groupes de synchronismes qui sont irréductibles l'un à l'autre. Le premier groupe réunirait Samson, Conmort et Childebert et permettrait de situer le saint dans le VIème siècle ; l'autre groupe, nous présente Brandan de Clonfert, Colomban de Luxeuil, Léontius de Saintes et le roi Judicaël qui aurait précédé le saint dans la tombe. Ce choix autoriserait à dire que saint Malo est du VIIème siècle. « Bref, dit M. l'abbé Duine, rien dans la Vita Machuti n'est limpide, ni le nom, ni l'histoire, ni la chronologie. Les faits miraculeux dont sa vie est bondée, ont été puisés dans la mine commune à l'usage des écrivains du moyen âge ».

Ville de Saint-Malo : la cathédrale.

Après la vie de saint Samson, la vie de saint Malo est la plus ancienne de toutes les vies des saints bretons ; c'est le premier document, bien daté, du cycle de saint Brandan et de ses extraordinaires voyages à la découverte de l'Ile Fortunée. On en possède deux relations, l'une de Bili, diacre d'Alet, l'autre anonyme. La première, distribuée en deux livres, renferme un récit de la translation des reliques du saint et celui de plusieurs miracles ; la seconde s'arrête à la mort de saint Malo, en Saintonge, mais une troisième pièce contenant le récit de la translation, s'y réfère et en forme le complément. D'après Mgr Duchesne, cette dernière est postérieure au règne d'Alain le Grand, mort en 907 et antérieure au transfert des reliques à Paris ; elle aurait donc été écrite dans la première moitié du Xème siècle.

Entre les deux rédactions, il y a de graves différences et, sur un point important, une contradiction flagrante. D'après Bili, le saint n'aurait pas reçu la prêtrise, mais aurait été ordonné par le métropolite de Tours ; l'autre rédaction porte que saint Malo aurait été évêque dans le pays de Galles, avant son arrivée au pays d'Alet. Avec sa maîtrise et sa probité d'historien habituelle, Mgr Duchesne a étudié les deux rédactions, s'est efforcé de les dater et d'en trouver le rapport avec la réalité historique (La vie de saint Malo, étude de critique, Revue Celtique, XI, p. 1-22 (1890) : « Cette question, dit l'éminent hagiographe, est bien difficile à résoudre ; elle n'est même pas susceptible d'une solution absolument sûre et précise ; au moins peut-on indiquer un minimum de données certaines, au-delà desquelles les traditions, si elles contiennent encore des éléments de vérité, les enveloppent de tels nuages que les yeux de la science, moins perçants que ceux de la foi, ne parviennent pas à les isoler. Deux choses sont certaines : 1° Saint Malo a fondé le monastère d'Alet et exercé l'épiscopat dans la region voisine ; 2° Saint Malo est mort à Saintes. C'en est assez pour justifier le culte dont il a été l'objet en ces deux localités ; sur la vie réelle de saint Malo, nous n'avons que très peu de détails particuliers. Venu du pays de Galles, il fut, comme tous les saints de son temps et de son pays, un homme d'une foi, d'une piété et d'une austérité extraordinaire, un prédicateur énergique, un grand protecteur des faibles, une âme fière, capable de parler ferme aux représentants de la force brutale. Ce qui le caractérise, ce n'est ni sa provenance, ni son rôle ; tous nos vieux saints bretons viennent d'Outre-Mer ; Malo n'a qu'un trait particulier, c'est son exil volontaire. En général, les saints bretons meurent chez eux ; celui-ci est allé mourir à l'étranger, après avoir, dit-on, maudit ses ouailles ingrates. On ajoute, il est vrai, qu'il leur pardonna avant de mourir et même qu'il vint leur apporter ses dernières bénédictions. J'ai bien peur que ce dernier trait ne soit une atténuation de la tradition primitive et authentique. Les saints bretons n'étaient pas tendres ; c'est beaucoup qu'ils pardonnent au lit de mort ».

L'étude critique de Mgr Duchesne a encore le mérite de fixer la date de la narration du premier sage, dont s'inspire Bili pour écrire la vie de saint Malo. Bili était décédé vers 870 ; il occupa le siège d'Alet, dans les dernières années de IXème siècle ; cela suppose qu'il naquit vers 840, c'est-à-dire sous Louis le Débonnaire ; mais on ne saurait remonter plus haut ; la science liturgique de Mgr Duchesne entre ici en scène. Les détails de la messe célébrée par saint Malo sur le dos d'un monstre marin (une baleine dit-on), l'Agnus Dei venant après le Pater, se rapportent non à la liturgie gallicane, suivie par les Bretons des deux côtés de la mer, aux temps mérovingiens, mais à la liturgie romaine. L'Agnus Dei fut introduit dans la messe romaine sous le pape Sergius (687-705) ; or, cette liturgie ne pénétra en France que vers le VIIIème siècle. Les Bretons séparés politiquement du corps de l'empire franc, « obstinés de longue date, dans une hostilité spéciale contre les usages romains », ne l'adoptèrent pas spontanément ; il fallut l'insistance de Louis le Débonnaire pour que l'on consentît à sacrifier les vieux usages.

Une contradiction absolue s'élève aussi au sujet des reliques de saint Malo. Une tradition veut que les Alétien se soient emparés, à Saintes, de la tête et de la main droite de leur évêque ; les reliques, conservées dans l’île d'Aaron, y auraient engendré de nombreux miracles. On admettait alors le partage avec Saintes ; mais au temps du roi Alain (888-907) ou de l'évêque Bili, un jeune Alétien se serait emparé furtivement du corps de Malo. La joie fut grande dans le pays ; on avait le squelette entier. De là l'histoire de Ménobred : « Vrai ou fausse, conclut Mgr Duchesne, elle met mes compatriotes du Xème siècle dans un très mauvais cas : ou bien ils ont perpétré un vol de reliques, avec la circonstance agravante d'un odieux abus de confiance, ou bien ils s'en sont vantés sans l'avoir commis. Cette dernière hypothèse me semble plus vraisemblable que l'autre. Quel que soit, d'ailleurs, le péché pour lequel on se décide, les délinquants auront été absous, sans la moindre difficulté, par l'opinion de leur temps fort indulgent, on le sait, en matière de fraudes pieuses ».

On commence à voir un peu plus clair avec Jean de Châtillon, qui aurait bâti la nef et le choeur de la cathédrale, mais il est nécessaire de rejeter les affirmations de d'Argentré et de Dom Lobineau qui retrouvent dans le choeur actuel celui que l'évêque Jean entreprit et acheva ; le style du choeur, son triforium, ses voûtes traversées de nervures, ses fenêtres rayonnantes attestent le XIVème siècle ; un çhevet droit, percé d'une magnifique baie termine le choeur ; c'est la plus belle partie de l'édifice. Or on n'a trouvé rien de mieux à faire que de masquer ce splendide chevet par un dais prétentieux et disproportionné soutenu par six colonnes grecques... ou ce que vous voudrez et provenant de l'ancien monastère de Saint-Benoît ! Cette faute de goût a été commise il y a plus d'un siècle ; on a demandé plusieurs fois la suppression de ce lamentable et fâcheux écran ; seules, quant à présent, les statues de saint Pierre et de saint Paul, qui rappellent de solides garçons bouchers, ont été éloignés des piliers triomphaux et montent une garde plus discrète à l'entrée d'une chapelle du collatéral du sud. Rappelons que le maître-autel est orné de trois statues en marbre blanc, La Religion, saint Benoît et saint Maur, provenant du couvent de Saint-Benoît. Les moines les avaient payées 9.000 livres ; elles sont l'oeuvre intéressante de Schiaffino, sculpteur Génevois ; le commerce malouin avait des relations suivies avec Gênes, ce qui avait facilité la commande des statues et leur transport, par mer, à Saint-Malo. Ces statues n'ont pas attiré l'attention de Flaubert que nous a donné ses impressions sur la cathédrale de Saint-Malo, quand il la visita en 1849. « L'église, dit-il, est laide et sèche, sans ornements, presque protestante d'aspect. J'ai remarqué peu d'ex voto, chose étrange ici, en face de périls. Il n'y a ni fleurs ni cierges dans les chapelles, pas de Sacré-Cœur saignant, de vierge chamarrée, rien enfin de ce qui indigne si fort M. Michelet. Le seul tableau que nous ayons remarqué dans l'église est une grande toile représentant la bataille de Lépante et dédiée à Notre-Dame des Victoires ; au premier plan, toute la chrétienté est à genoux, princes et roi couronnés en tête ; au fond les deux armées s'entrechoquent. Les Turcs sont précipités dans les flots et les chrétiens lèvent les bras au ciel. Ce tableau, sans aucune valeur artistique, a donné lieu à des discussions ardentes où l'imagination s'est quelquefois trop séparée de l'histoire. La cathédrale possédait aussi une toile représentant l'attaque d'un vaisseau malouin par un kraken ou poulpe gigantesque. La bête monstrueuse, en serrant le navire dans ses horribles tentacules, voulait l'entraîner dans les abîmes. Les marins, armés de haches et de fusils, résistèrent vigoureusement et finirent par triompher du poulpe. La toile a disparu, il y a, dit-on, une cinquantaine d'années, tout comme « les argenteries » qui, avant la Révolution, enrichissaient le Trésor de la cathédrale ».

Ville de Saint-Malo : la cathédrale.

A vrai dire, les évêques de Saint-Malo n'ont pas fait grand bruit par le monde. Saint Malo lui-même appartient beaucoup plus à la légende qu'à l'histoire ; d'ailleurs le catalogue de ses évêques tout au moins jusqu'au VIIème siècle est moins que sûr ; seul ou presque seul Jean de Châtillon appelé aussi Jean de la Grille a laissé le souvenir d'un prélat combattif qui réussit à vaincre de nombreux obstacles grâce à l'appui du pape Eugène III, qui le soutint dans ses luttes avec Conan III, duc de Bretagne. L'évêque Thomé se montre très brave dans une terrible épidémie qui décima Saint-Malo ; mais plusieurs se désintéressent de leur diocèse ; Guillaume Ruzé passe, tout juste, quelques jours auprès de ses ouailles, et encore est-ce pour accompagner son souverain. Charles de Bourgneuf est tellement houspillé par ses chanoines qui le soupçonnent de favoriser Henri IV que, « dégoûté de son siège par les amertumes qu'il y connaît », il l'abandonne avec joie et se retire sans tarder. Mgr Le Gouverneur est pris à partie par certaines gens d'église furieux d'être dépeints par lui « comme se délectant abusivement dans les festins, sous couleur de confréries, ne saisissant que trop l'occasion d’ivrogner et faisant trop souvent, en la Maison d'Oraison, une cohüe de Caquet. » (Statuts Synodaux Saint-Malo). Mgr Sébastien de Guémadeuc aime la chasse et les chevaux ; Mme de Sévigné le plaisante « sur son goût giboyeux ». Mgr Vincent Desmaretz soupçonné de jansénisme est jalousé, parce qu'il s'intéresse au négoce et qu'il use, dit-on, de son influence auprès des Secrétaires d'Etat pour favoriser les armateurs qu'il a dans sa famille. Mgr de la Villemontée est un ancien magistrat, honorable et expérimenté ; mais la volonté lui fait totalement défaut ; Fogasses de la Bastie, qualifié de lumière de l'Eglise de France, est surtout connu par sa laideur physique ; quand il avait été nommé au siège de Saint-Malo, Louis XIV avait dit : « Je ne fais pas un beau cadeau aux dames de Saint-Malo, mais les maris me seront reconnaissants ». Sa table sera abondante et bien servie. Les Malouins diront : « On peut mettre un bouchon au logis épiscopal ».

Presque tous les évêques entrent en lutte plus ou moins sourde et plus ou moins violente avec les congrégations établies à Saint-Malo. Après avoir témoigné une certaine bienveillance aux bénédictins anglais débarqués à Saint-Malo en 1611, en raison des persécutions de Jacques Ier, Mgr Le Gouverneur et surtout son successeur, Mgr du Harlay se montrent si désagréables avec les exilés que ceux-ci, découragés, vendent leur couvent aux Mauristes et se retirent à Paris (1669). Les Récollets de Cézembre ont, eux aussi, maille à partir avec le siège de Saint-Malo, surtout du jour où ils s'installent au coin de la rue des Remparts et de la rue Robert Surcouf ; cependant, touché, enfin, par leur piété et par leur bienfaisance, l'évêque leur accorde, sans trop de peine, un terrain gagné lors du deuxième accroissement, ce qui permet aux Récollets d'élever un couvent à deux étages dont l'entrée principale était rue de Toulouse. La voûte ou arcade, que enjambe la rue des Vieux Remparts et qui subsiste encore aujourd'hui et intrigue souvent les touristes, fait communiquer le couvent de Saint-François avec le vieux couvent.

Les Récollets de Cézembre possédaient une bonne bibliothèque ; elle était, surtout, riche en incunables ; la plupart de ces précieux volumes sont conservés à la Bibliothèque Municipale de Saint-Malo. L'un deux fut très utile à Renan pour la préparation de sa thèse de doctorat ès-lettres sur Averroës et l'Averroïsme : « Etant allé passer, dit Renan, quelques mois à Saint-Malo, ville qui n'est pas beaucoup plus savante que Vendôme [où Renan venait d'être nommé professeur], j'y trouvai une bibliothèque formée d'anciens fonds de couvents, où dormaient, sous une épaisse couche de poussière, toute la scholastique, les éditions d'Aristote imprimes à Venise les Index de Zimara et une partie des gloses des maîtres de Padoue ».

Des sept volumes d'Aristote que possède la Bibliothèque de Saint-Malo, deux ont particulièrement servi à Renan ; ils sont classés case 50 Nos 6533, 6541 et case 52, Nos 6403. Sur un feuillet de garde est indiqué leur numéro d'ordre dans la bibliothèque des Récollets de Cézembre ; on y voit aussi la signature d'un religieux : Ch. Louvet. La bibliothèque du couvent de Cézembre aurait possédé aussi le manuscrit du Roman d'Aquin ou la Conquête de la Bretagne par le roy Charlemagne, savamment édité par M. Jouan des Longrais. D'après une note, trouvée dans ce manuscrit, il aurait été découvert « sous les ruines du monastère de Cézembre près le fort de la Conchée, à trois lieues de Saint-Malo ». Réfugiés à Saint-Servan, les Récollets, dont la situation était alors très précaire, purent très bien vendre ce manuscrit à un agent de la Bibliothèque Colbertine. C'est un ouvrage intéressant ; on doit seulement regretter que certains écrivains y aient puisé des renseignements absolument erronés, qui ont faussé, sur plusieurs points, les données de l'histoire et fait commettre ainsi de fâcheux anachronismes.

(E. Dupont).

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