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SAINT-MALO : le château, le donjon, les tours et les prisonniers. |
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Le Château, le Donjon, les Tours. Les Prisonniers. L'Exilé de la Conchée.
Pour bien comprendre l'emplacement, la disposition et l'architecture du Château de Saint-Malo, déclassé comme place de guerre le 15 juin 1923, il faut se rappeler qu'il fut primitivement un ouvrage de surveillance et non de défense ; il n'était pas destiné à protéger la ville contre l'ennemi extérieur, mais bien à la maintenir dans le devoir ; aussi les Malouins le considérèrent-ils toujours comme une bastille dirigée contre eux et non comme une forteresse élevée pour les protéger et les défendre. En mai 1424, le duc Jean VI de Bretagne jetait, malgré l'interdiction de. Guillaume de Montfort, seigneur-évêque de Saint-Malo, juste à la sortie de la ville et à l'extrémité de Gros Sillon, « un chastel ou tour de guerre ». C'est le donjon actuel, (le Musée y a été installé en 1927) ; il se compose d'une énorme tour en fer à cheval, aux murs épais, d'un granit au beau grain ; il est couronné de mâchicoulis ; son toit, sous lequel court une galerie éclairée par des ouvertures carrées, est chevauché par deux tourelles de guet gracieusement accouplées ; l'escalier comprend 124 marches (23-20-26-28-21), coupées par 4 paliers ; un escalier plus étroit, formé de 42 marches, donne accès aux deux petites plate-formes du guet pouvant contenir 30 personnes ; la hauteur du donjon est de 40 mètres. L'escalier en colimaçon est éclairé par d'étroites fenêtres souvent remaniées, aux embrasures profondes, s'élargissant vers l'intérieur et munies de bancs de repos, pour les soldats de la garnison. Une vaste salle occupe chaque étage ; on y voit de belles cheminées. De la salle du premier étage, on peut passer par un escalier dérobé dans la chapelle du château. C'est dans le donjon que les prisonniers de l'ordre du roi étaient enfermés. (Archives départementales d'Ille-et-Vilaine C. 1009).
Pour bien se représenter la situation du château aux siècles précédents, il faut faire abstraction de tout ce que l'on voit aujourd'hui, au premier plan, dans la partie est et sud-est ; la digue, qui longe la mer depuis l'amorce du Sillon (carrefour de Rocabey), le quartier de la Gare, le bassin à flot, le bassin de retenue, tout cet espace était couvert jadis par la mer. Il faut ensuite créer, par la pensée, une longue bande de sable le Sillon, un isthme qui unissait aux Mielles et à la terre ferme le rocher de Saint-Malo. Une première chaussée artificielle avait été construite en 1509 ; en 1558, on établit une jetée le long des murailles nord du château, ce qui permettait de sortir ou d'entrer par la Porte Saint-Thomas ; c'est le passage étroit muni aujourd'hui de chaînes de fer que domine la patte d'Oie ou éventail des Bains, où Chateaubriand, enfant, aimait à jouer avec les vagues.
Le donjon primitif, la cellule pourrait-on dire de cette organisation militaire, fut juggé bientôt insuffisant pour tenir les Malouins toujours bouillants et frondeurs, en état d'obéissance. François II résolut de construire une enceinte faisant corps avec la place. Son oeuvre, continuée par la duchesse Anne, fut terminée vers 1500. Le château forma dès lors un quadrilatère flanqué de 4 tours, deux grosses la Quicqu'en Groigne au N.-0. et la Générale au S.-E. ; la Tour des Dames au N.-E. et la Tour des Moulins au S.-E. Elles sont réunies par des courtines. La Porte de la Ville, dite Porte Saint-Thomas ou encore du Sillon, était défendue ou surveillée par le Donjon et la Tour Carrée.
La cour, plantée de huit ormes, a été convertie (1927) en jardin. On y remarque deux grands bâtiments sans caractère, qui ont servi de caserne à l'ancienne garnison (150 à 200 hommes) et de bureaux militaires (1698-1699 = 1720-1723 =1738-1743), ainsi que deux citernes (220.000 et 80.000 litres). Après avoir monté un petit escalier en vis de Saint-Gilles, on parvient à la courtine, reliant la Tour des Dames à Quicqu'en Groigne. La Tour des Dames, angle nord-ouest, ainsi nommée, dit-on, parce que les dames du château y avaient libre accès, présente, comme ses trois soeurs, une belle plate-forme aux dalles de granit légèrement bombées pour éviter la stagnation des eaux de pluie ; elle est haute de 14 mètres, l'épaisseur des murs est de 6 mètres. La Quicqu'en Groigne, au nord-ouest, a 20 mètres de hauteur et 22 mètres de diamètre : ses murs ont une épaisseur de 7 mètres. Elle fut achevée en 1505 par la Duchesse Anne qui fit graver sur le parement vertical, du côté de la ville ses armes et la fameuse inscription : QUICQU'EN GROIGNE, AINSY SERA : TEL EST MON PLAISIR, pour témoigner du peu de cas qu'elle faisait des murmures des Malouins. La place de l'écusson et de l'inscription est encore très visible de la place Chateaubriand. On sait, en effet, que les révolutionnaires piquèrent au marteau les armes et l'inscription, rasèrent la courtine en avant du château et abattirent, après avoir comblé les Douves, les parapets de la Quicqu'en Groigne et de la Générale. Ils furent remplacés par des gardes en fer. La brèche, faite par la populace, fut réparée en 1824 ; on s'en aperçoit par la différence des pierres dans le mur.
Un escalier de 17 marches conduit de la plate-forme de Quicqu'en Groigne, dont les caves servaient de fours à la garnison et dont la muraille, vers l'est, a dû être soutenue, il y a environ cent ans, par deux arcs-boutants d'un gracieux effet, au Petit Donjon, jolie tour fine et crénelée, qui domine l'éventail. Une partie de la courtine reliant Quicqu'en Groigne à la Générale (angle S.-E.), a été très modifiée et même, pourrait-on dire, retournée. De la courtine primitive, dite de la duchesse Anne et démolie en janvier 1793, sont restés deux tronçons parfaitement visibles ; on distingue aussi, dans le mur extérieur, la brèche que fut pratiquée, en 1794, dans la secondé courtine. La Générale haute de 21 m., ne contient qu'une seule pièce ; elle servait de magasin à poudre. La Tour Carrée, parfaitement visible du Jardin des Douves, lui est accolée. C'est la Tour Générale qui fut escaladée, dans la nuit du 15 mars 1590, par une bande de jeunes gens, excités contre le gouverneur, par le capitaine Frotet de la Landelle. En descendant de la Générale par un escalier, on aperçoit la chapelle du Château, à moitié ruinée, qui remplaçait l'ancienne (1697). Destinée au lieutenant de roi, à sa famille et à ses officiers, elle était réservée aux soldats de la garnison, à qui les franchises de la Ville et du Chapitre interdisaient la cathédrale. Ses aumôniers furent toujours mal payés ; leurs plaintes étaient incessantes ; enfin, en 1780, leur traitement fut porté de 295 livres à 355 livres, à condition que les réparations de la chapelle fussent à leur charge. Ils oublièrent leurs promesses ; aussi la chapelle ne tarda pas à être délabrée (Archives départementales d'Ille et Vilaine, C. 90).
En suivant la courtine de l'est, où les prisonniers d'Etat avaient la liberté de circuler sous la surveillance des soldats, on arrive à la Tour des Moulins, appelée ainsi, d'après les uns, parce qu'un moulin y était installé et, d'après les autres, parce qu'elle faisait face, au S.-E. Aux moulins du Sillon et des Mielles. De la Tour des Moulins, on revient à la Tour des Dames, en suivant une courtine qui domine la Galère, ouvrage moderne (XIXème siècle), se terminant par un éperon tranchant, surmonté d'une jolie échauguette.
Le château, baigné par la mer au nord et à l'ouest, était entouré, par ailleurs, d'un fossé profond, aujourd'hui comblé (Jardin des Douves, Place Chateaubriand). Ces fossés ou douves étaient alimentés par la mer ; on les franchissait au sud par une chaussée sur arches, coupée par un petit pont-levis.
Le château a occupé une place considérable dans l'histoire civile et militaire de la Bretagne et surtout de la Cité ; il fut aussi château du roi ou lieu d'exil ou de détention sous Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Sans doute ces prisonniers ne furent pas bien nombreux, en revanche, ils sont intéressants. Voici, très abrégée, l'histoire des principaux détenus de l'ordre du roi.
Le 7 janvier 1675, M. de Sainte-Marie, lieutenant de roi à Saint-Malo, celui que Mme de Sévigné appelait la consolation des prisonniers, reçut de Colbert l'ordre de préparer, pour un prisonnier de marque, « deux chambres fortes, pleines de sécurité ». Le 16 j anvier, Michel Allory, « janséniste dangereux », y était enfermé ; il y fut traité avec beaucoup d'égards ; il resta dix ans quinze jours au donjon, où il mourut le 3 janvier 1685. Pour lui faire honneur, on l'inhuma dans l'église cathédrale ; il est probable que le vieux janséniste était revenu de son erreur ; le clergé malouin lui avait, depuis longtemps, rouvert ses bras, mais le roi, lui, s'était montré plus sévère que l'Eglise, il ne lui avait pas rouvert les portes de son château.
Le chanoine Jean Lenoir « janséniste fougueux », beau vieillard à la longue barbe blanche, dont l'identité, tenue cachée par l'Etat, avait longtemps intrigué les gens de Saint-Malo, y fut resserré le 19 juin 1683. Il y resta six mois, fut transféré à Brest et à Nantes, où il mourut le 22 avril 1692, à un âge avancé.
L'abbé Couret, qui passa par le donjon, était un brave homme, un peu violent, très naïf et abondant écrivassier ; il avait, dans un libelle, défendu le pape contre le roi. Mis en liberté après un an et demi de détention (9 juin 1689-1er janvier 1691), se rendit à Rome, croyant bien que le Souverain Pontife le récompenserait pour sa belle attitude envers le Saint-Siège. Il se qualifiait de Champion du Pape !. Hélas ! Le vent avait tourné ; le pape et le roi s'étaient réconciliés et, pour toute récompense, le pape donna gratuitement au pauvre abbé Couret un billet de logement au Fort Saint-Ange, la bastille ecclésiastique de Rome !
En 1710, le château de Saint-Malo reçut quelques prisonniers anglais. Ils avaient été ramenés, en France, par le capitaine Alain Porée, commandant l'Assomption. Parmi eux se trouvait le capitaine Stradling ; il avait fait partie de l'expédition de Dampier, (mai 1704) et avait visité l’île Juan Fernandez, où il avait débarqué le malheureux Alexandre Selkirk, un des héros du fameux roman d'aventures, Robinson Crusoë. D'après Lempereur, contrôleur de la Marine à Saint-Malo, Stradling aurait déclaré dans son interrogatoire passé au château de cette ville, le 11 septembre 1710, qu'avant de tomber aux mains des Français, il avait réussi à cacher un trésor sur la côte américaine. Lempereur suggéra à Pontchartrain d'autoriser un armateur malouin à aller à la découverte de ce trésor : « Il y a plus de cent mille piastres, affirmait-il, à récolter sur les bords de la rivière de la Plata ». Ponchartrain fait la sourde oreille ; Lempereur revient à la charge : « Ce n'est pas 100.000 piastres qu'on découvrirait, mais 280.000 ; je me suis trompé en disant que le trésor est enfoui au cap Corrientès, sur la côte occidentale du Mexique ». Cette fois, le ministre trouve l'affaire intéressante ; cependant Versailles veut agir correctement avec Madrid. L'Espagne ne verrait-elle pas d'un mauvais oeil cette expédition ? L'ambassadeur fait une démarche auprès du cabinet espagnol ; celui-ci garde le silence. Lempereur s'énerve ; Stradling est transféré au château de Dinan ; il s'en évade, au grand désespoir du commissaire de marine, qui ne peut plus dorénavant faire parler Stradling et le pauvre Lempereur en est pour ses frais... d'imagination. Il avait inventé, en se servant habilement du capitaine anglais, toute cette histoire du Trésor Caché, dont Ponchartrain fut dupe, afin d'autoriser un armateur malouin de son choix à armer un navire pour faire avec l'Amérique du Sud, ce commerce interlope qui, d'ordinaire, réussissait à merveille.
A peu près à la même époque, fut enfermé le curé de l'Hay (près Paris) : c'était un vilain personnage ; il s'occupait d'alchimie ; on a même dit qu'il fournissait aux femmes embarrassées de vilaines et dangereuses drogues. Il trouva, un jour, auprès de ses cornues, une lettre de cachet qui l'expédia à la Bastille, puis à Saint-Malo. Il resta peu de temps.
Les prisonniers du donjon n'étaient pas toujours des prêtres ou des religieux. Julien Bourdas, armateur et négociant à Saint-Malo, fut incarcéré, le 18 août 1714, accusé d'avoir armé secrètement pour la Mer du Sud. L'appât d'un gain considérable, qui se chiffrait parfois par plusieurs millions, incitait les armateurs à trafiquer avec les colonies espagnoles de l'Amérique du Sud. Bourdas ne passa que quelques jours au château de Saint-Malo et sortit de la Bastille, gracié par le roi, le 18 juin 1715. L'année suivante, il enrichissait sa famille d'un onzième enfant.
Un riche armateur de Saint-Malo. M. Padet du Dréneuf, qui s'était caché, pendant plusieurs mois pour éviter l'emprisonnement à la suite d'un refus de payer l'impôt, dit indult, de 50.000 livres pour marchandises importées d'Amérique, mangea le pain du roi, au château, pendant plusieurs mois ; mais la mort de Louis XIV, ayant jeté un grand trouble dans l'administration des Finances, il fut mis en liberté, sans condition, bien qu'il fût très riche ; on oublia même de lui faire payer sa dette envers le Fisc. Peu de temps après, Mme Padet qui, elle aussi, avait, pendant quelques jours, mangé le pain du roi, donna à son mari deux jumeaux ! Décidément Padet était né coiffé !
Le 1er août 1738, M. Gilles-Gabriel-Alain du Bois est enfermé au château de Saint-Malo à la requête de sa mère, parce qu'il dissipe son patrimoine et s'est amouraché d'une jeune fille peu recommandable. L'exempt, qui avait procédé à l'arrestation du jeune homme, envoya à Mme du Bois la note de ses frais et droits de capture : elle était salée la note ! Mme du Bois porta plainte à l'intendant de Bretagne : il ordonna une enquête. Il fut établi que l'exempt et son prisonnier avaient fait bombance, au cours d'une partie carrée, dans une certaine hôtellerie de la ville où l'on trouvait, d'ordinaire, quand on avait de clairs écus en poche, bon souper, bon gîte et le reste. L'exempt avait eu l'audace de faire figurer « ses menus plaisirs » sous l'article spécial, Indemnité de séjour, affirmant qu'il avait été obligé de se reposer à Saint-Malo, parce que ses chevaux, qui avaient suivi le carrosse de M. du Bois, étaient fatigués. Mme du Bois mère déclara qu'elle ne voulait plus entendre parler de Saint-Malo et sollicita un nouvel ordre du roi pour faire resserrer ailleurs maître Alain. Celui-ci quitta le château de Saint-Malo le 14 mars 1741 pour une maison de force, demeurée inconnue.
Ce n'était pas seulement l'amour, mais aussi l'argent qui fit arrêter, le 25 janvier 1747, M. Jean-François Farcy de la Daguerie. Il avait fait, à Paimpont, connaissance d'une jolie personne, dont il s'éprit follement : mais elle était de basse condition. La famille de M. Farcy s'opposa au mariage : l'amoureux avait aussi des dettes et ses créanciers sollicitèrent également son incarcération. Elle fut longue et pénible ; M. de la Daguerie qui était, au régime des détenus recommandés, c'est-à-dire emprisonnés pour dettes, demanda au maire de Saint-Malo d'intervenir en sa faveur. Celui-ci laissa entendre à l'intendant qu'il ne voulait pas être mêlé à cette affaire : il craignait de désobliger plusieurs de ses administrés avec lesquels il avait à compter, les jours d'élection. Les créanciers, qui maintenaient à leurs frais M. de la Daguerie dans la geôle, firent savoir qu'ils étaient bien décidés « à poursuivre celui-ci jusqu'au bout ».
Quel bout ?... Ce devait être le terme de la vie du pauvre président ; il décéda au château le 20 janvier 1757, après une détention de 8 ans 11 mois, qui constitue, très vraisemblablement, l'exemple de la plus longue durée de la recommandation, en matière de dettes civiles, le record de la contrainte par corps, dirait-on aujourd'hui.
A la suite d'incidents très graves qui sont énumérés, expliqués et abondamment commentés dans de nombreux ouvrages consacrés au Parlement de Bretagne et plus spécialement au duc d'Aiguillon, au procureur général La Chalotais et à plusieurs conseillers du Parlement, M. Louis Charette de la Gascherie fut enfermé au donjon de Saint-Malo, le 23 décembre 1765. Il se plaignit, tout aussitôt « d'être privé de lumière dans un réduit dont les fenêtres étaient murées jusqu'aux derniers carreaux ». Il faut faire une part très grande à l'exagération dans les plaintes de M. de la Gascherie et de ses co-détenus. La Chalotais allait jusqu'à prétendre que l'odeur du soufre, du goudron et de la poix, émanant des navires se trouvant dans le port, l'incommodait au point de le rendre malade. L'assertion est plaisante pour quiconque est familier des lieux. M. Euzenou de Kersalaun, également conseiller au Parlement de Bretagne et enfermé au donjon à la même époque, se plaignit d'avoir été mis dans un cachot, plus bas de 8 pouces que la cour, et destiné, sans doute, aux plus grands scélérats. « L’humidité, disait-il, était si grande que les pierres étaient chargées d'eau : il me fallait une planche sous les pieds pour me garantir. Au-dessus de cet horrible cachot était la chambre des gardes-clefs, dont le bruit et le mouvement m'interdisaient le sommeil. Le plancher qui nous séparait n'était formé que de pièces de bois maljointes, à travers lesquelles tombaient des ordures et une poussière dont j'étais accablé. Je ne pouvais boire et manger, sans faire tenir, au-dessus de ma table, une serviette suspendue ».
La publication des lettres de M. de Fontette, découvertes, il y a une plusieurs d'années, à la Bibliothèque de la ville de Dijon, a fait bonne justice de l'accusation de cruauté que plusieurs. écrivains locaux faisaient peser sur cet excellent gentilhomme. Il ne faut pas faire non plus un martyr de La Chalotais, tout nimbé d'émouvantes légendes par de zélés admirateurs. L'histoire de son cure-dent, avec lequel « il grava pour l'immortalité », n'est, après tout, qu'une boutade de Voltaire, inventée de toutes pièces. Il serait bien extraordinaire que La Chalotais, qui avait de nombreux moyens de correspondre avec l'extérieur et de se procurer du papier et de l'encre, même malgré les prescriptions administratives, ait été réduit à écrire sur des chiffons ou du papier à chocolat, avec un cure-dent et à composer une encre faite de suie détrempée, de sang, de sucre et de vinaigre. Matériellement la chose est impassible. Encore une légende qui disparaît ! Il semble bien, au contraire, que ces messieurs du Parlement de Bretagne furent traités, sinon avec égards, du moins sans dureté ; La Chalotais était fort bien nourri par un restaurateur de la ville qui eut, d'ailleurs, assez de peine pour se faire payer sa note ; elle s'élevait à 8.925 livres 12 sols. Tous les détenus avaient même le droit de recevoir des visites et même... des pots de beurre jusqu'au jour où l'on découvrit que les familles cachaient, au fond de ces petits pots, des ardoises où l'on gravait à la pointe sèche toute une correspondance. L'un des détenus fut même autorisé à avoir un chien ; mais celui-ci n'était pas atteint de la même maladie dont souffrait son maître, une rétention d'urine ; le chien inondait l'escalier du donjon. Ce n'est pas d'aujourd'hui que les chiens de Saint-Malo, (s'il n'y avait que les chiens !), montrent un pareil sans gêne.
Une lettre de cachet envoya aussi au château de Saint-Malo « 1707, un émployé de service du contrôle des Guerres, de Dinan, M. de Kerbijan (?) ou Kerbigan, qui avait la spécialité de surveiller très mal les prisonniers anglais et de favoriser leurs évasions en vidant leurs bourses ; il n'était pas le seul à profiter de cette taxe d'un nouveau genre. Il fut dénoncé par une vertueuse (sic) malouine, appelée Perrine Fontandart. Le roi ordonna une enquête et le contrôleur des guerres fut enfermé au château de Saint-Malo ; il y resta peu de temps (7 juillet-19 novembre 1707). Il se retira à Dinan, d'où il écrivait à un ami : « J'espère bien ne plus jamais retourner à Saint-Malo ; j'y ai maigri de douze libres ! ».
Un peu plus tard, un prisonnier du même donjon, M. Pierre de Reynes, un assez vilain personnage quia donnait à Louis XV des indications très précises sur la vertu des dames de la Cour et leur degré d'instruction dans les arts... d'agrément, se déclarait, au contraire, enchanté de la nourriture servie aux détenus à Saint-Malo : « L'air de la mer, écrivait-il à sa femme, m'a fait beaucoup de bien et même m'a aiguisé l'appétit. J'ai grossi de neuf livres ».
Décidément, il est bien difficile d'écrire l'histoire !
Un des derniers
habitants du donjon fut M. Jean-Louis de Kergus, conseiller au Parlement de
Bretagne. Il s'était livré à des voies de fait assez graves sur un avocat de
Rennes, un sieur Saunier, auquel il reprochait de
prendre aux pauvres gens de gros honoraires. Interné à Saint-Malo le 18 décembre
1783, en vertu d'une lettre de cachet du 28 novembre, M. de Kerjus fut traité
par M. Picault des Dorides, lieutenant de roi, « avec toutes les prévenances
auxquelles lui
donnaient droit la nature de ses fonctions et sa qualité de
gentilhomme ». On lui donna même « tout l'air du château ». Il trouva que
c'était insuffisant et le 3 avril 1784, il s'évadait, en laissant ce billet,
bien en évidence, sur le lit de sa chambre forte du donjon. « On trouvera,
avait-il écrit, deux cents livres dans ma bourse ; le tapissier, le traiteur et
le concierge se partageront cette petite somme. La femme Béhier, qui faisait ma
chambre, aura mes ustensiles de ménage et mon restant de café et de tafia et,
avec la permission de Monsieur le Commandant, je me prosterne très humblement,
en lui baisant les mains, aux pieds de Mme des Dorides ». En marge du
papier, M. des Dorides écrivit : « Mauvaise plaisanterie d'un particulier,
payant bien peu de retour les sentiments humains dont M. et Mme des Dorides
n'ont cessé de combler M. de Kergus ».
Il fut arrêté, un mois après, dans sa petit gentilhommière de Guer ; il s'y était encore livré à « des excentricités démontrant qu'il avait l'esprit dérangé ». Il écrivit au Premier Président, à Rennes, une lettre plus qu'impertinente. Le roi l'envoya, par une lettre de cachet, au château de Saumur, où il mourut, paralysé et inconscient, le 2 décembre 1797, à l'âge de 54 ans.
Le château de Saint-Malo était le seul, dans cette partie de la Bretagne, sauf celui de Dinan, à recevoir des individus, objet d'une lettre de cachet. Cependant, on trouve dans les Archives départementales du Calvados un dossier relatif à un jeune homme originaire de la Normandie, qui fut resserré dans l’îlot de la Conchée, voisin de Saint-Malo.
A un kilomètre et demi environ au nord-est de Cézembre, s'élève le fort de la Conchée, construit sur l'ordre de Vauban en 1692. Il passait pour imprenable ; il est certain qu'il opposa une vigoureuse résistance à la flotte anglaise de Barklay, en 1695, et que l'ennemi ne put réussir à éteindre son feu.
En janvier 1757, une famille de Coutances sollicitait du roi un ordre pour détenir un jeune gentilhomme, qui faisait le désespoir de sa famille.. Une enquête fut ordonnée et l'intendant de Normandie, dans un rapport du 27 mars 1757, concluait à l'internement du sieur Jacques Macquart du Ruaire, « dans lîle de la Conchée, spécialement indiquée par la parenté ». Ce lieu d'exil n’étant jamais proposé par les familles normandes, M. de Fontette, intendant de la généralité de Caen, fit prendre des renseignements sur l'îlot. Ils représentèrent la Conchée, « comme un séjour si affreux » que l'intendant signala la dureté d'une détention sur un rocher exposé aux plus furieuses tempêtes, alors surtout qu'on avouait « la santé usée de M. le chevalier ». Cependant, le ministre, après quelqu'hésitations, contresigna l'ordre de détention.
La famille avait dû, selon l'usage, soumissionner pour la garantie de cette pension fixée à 1.000 livres ; la fortune personnelle du jeune chevalier ne permettait de prendre sur ses biens qu'une somme de 250 livres, revenu d'une petite ferme qu'il possédait à Cenilly près Coutances, seul bien qui lui restât d'un patrimoine rapidement dilapidé. Le premier terme, payé d'avance par son frère, médecin à Coutances, avait eu pour résultat de faire transférer le jeune chevalier sur l'ilôt de Bretagne ; la famille avait poussé un soupir de soulagement ; mais quand il fallut acquitter le second semestre, les Macquart firent la sourde oreille et un mandement royal ordonna à l'intendant de décerner contrainte contre la parenté de l'exilé. Celle-ci ne bougea pas et ce n'est que sur la menace de révoquer l'ordre, c'est-à-dire de mettre en liberté Jean- Michel Macquart, que de légers acomptes furent versés au Trésor.
Cependant la santé de l'exilé devenait de plus en plus mauvaise ; il toussait à fendre l’âme et « le mal pulmonique » faisait de rapides progrès. Le subdélégué de Saint-Malo écrivit au ministre qu'il était impossible de donner à M. du Ruaire les soins que comportait son état ; il réclamait même l'assistance d'un prêtre, car depuis près d'un mois, la petite garnison de la Conchée était privée de son aumônier. Des amis se préoccupèrent aussi du triste sort de l'exilé et M. de Warren, colonel du régiment Meuse-Infanterie, estimait « que son ancien lieutenant avait assez souffert pour qu'on le libérât et qu'on l'espérât corrigé ». La famille se décida, enfin, à déclarer au ministre qu'il lui était impossible de payer pour M. du Ruaire une pension aussi élevée. Versailles donna l'ordre de transférer l'exilé à Bicêtre. Il arriva à la Bastille des Pauvres dans un état lamentable « brisé par le voyage et crachant ses poumons ». Quelaues jours après, il y mourait. Ses parents écrivirent à l'Administration une lettre larmoyante, affirmant que « le voyage avait tué leur cher exilé » ; ils prétendirent qu'il aurait vécu de longs jours encore, si on l'avait maintenu à la Conchée « dont l'air, il est vrai, était vif, mais très salubre ». Le subdélégué fut chargé par le ministre de leur dire « qu'ils ne manquaient pas de front » et ils furent invités à verser au Trésor Royal une somme de 400 livres 8 sols pour arriéré de pension. Obtempérèrent-ils à l'ordre du roi ? Le dossier ne l'apprend pas.
C'est, à ma connaissance du moins, le seul détenu qui ait été resserré à la Conchée, qui, d'ailleurs, était mal aménagée pour recevoir des prisonniers ; par contre, le château du Taureau, à l'embouchure de la rivière de Morlaix, devait en être abondamment pourvu, dans le cours des XVIIème et XVIIIème siècles, puisque la Maison du Roi refusait d'y recevoir des détenus faute de place.
(E. Dupont).
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