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CHARTES et LETTRES sur SAINT-NAZAIRE du XVème au XVIIIème siècle

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Chartes et lettres inédites de Pierre II, d'Anne de Bretagne, de Louis XII, de Henri IV, du marquis de Themines, du maréchal de la Meilleraye, du général Cambray, etc.

On s'imagine assez volontiers que l'histoire de Saint-Nazaire date seulement du décret de 1842, qui, par la création d'un bassin à flot sur une plage abritée jusque la par la nature, sans le secours immédiat des ingénieurs, a transformé un simple chef-lieu de canton, modeste abri des chaloupes de pilotes, en l'un des principaux ports de France. C'est là une erreur profonde. Situé à l'embouchure de la Loire, sur un promontoire rocheux qui s'avance fièrement dans la rivière, le nouveau chef-lieu d'arrondissement a, depuis l'origine du monde, fixé l'attention des peuplades de races diverses qui se sont succédé sur notre sol. Un crâne humain, trouvé récemment à sept mètres de profondeur dans les vases qui ont comblé depuis plusieurs milliers d'années la vallée dans laquelle se creuse aujourd'hui le gigantesque bassin de Penhoët, prouve que Saint-Nazaire était habité à l'époque préhistorique de la pierre polie, car le savant anthropologiste M. Broca, à qui nous avons soumis ce précieux débris de l'un de nos aïeux, lors du récent congrès scientifique de Nantes, n'a pas hésité à le déclarer catégoriquement de la même famille que ceux des Troglodytes. Nous démontrerons un jour, en écrivant l'histoire complète de la cité nazairienne, que l'érection de sa paroisse remonte à l'occupation romaine, et que les conquérants avaient compris l'importance de sa situation. Aussi un château-fort la défendait-il sous les premiers ducs de Bretagne.

Sans nous reporter à des époques aussi éloignées, nous voulons, aujourd'hui, profiter de l'heureuse fortune que nous a procurée la découverte de plusieurs chartes ducales et royales dans les archives de la fabrique de la paroisse de Saint-Nazaire, gracieusement mises à notre disposition par M. le curé Soulas, pour retracer une page fort curieuse d'histoire municipale à la fin du moyen âge.

Par sa situation topographique, qui en faisait la clef de la rivière de Loire, Saint-Nazaire [Note : C'est sans doute pour cela que Saint-Nazaire porte aujourd'hui une clef dans ses armes] se trouvait fréquemment sujet aux incursions, soit des pirates, soit des flottes ennemies de la Bretagne ou de la France. Plusieurs fois ravagée par les Normands, à l'époque des invasions scandinaves, la cité dut subir, pendant les guerres interminables du moyen tige, les menaces et les descentes à main armée des Espagnols et des Anglais. Une vieille chronique rimée, que nous ont conservée les bénédictins [Note : On l'attribue à Guillaume de Saint-André], raconte, en particulier, avec de grands détails, l'insuccès de la flotte espagnole devant Sainte Nazaire en 1379, peu après la levée du siége de Guérande, tenté en vain par Clisson. Elle aborda au Croisic, rapporte dom Lobineau, qui a minutieusement analysé ce précieux document, et se prépara au siége de Guérande. Le duc était à Vannes, quand il apprit cette nouvelle :

Le duc à Vannes lors estoit
Qui Guerrandois bien confortoit.
Il leur mandoit de jour en jour
Comme bon prince et bon seignour
Que de certain les secourroit
Dedans trois jours ou il mourroit...

Sur cet avis, le siège fut aussitôt levé ; mais

Les Espaigneux n'osèrent pas
Descendre à Saillé ne a Batz ;
Ains alèrent à Saint-Nazaire ;
Trop pleins estoient de vaine gloire...

En effet, Jean d'Ust [Note : Le manoir d'Ust était prés de Saint-André-des-Eaux. La famille d'Ust était en grande considération à la cour des ducs], qui en était capitaine, dit le traducteur dont nous empruntons le récit pour abréger, « avoit eu soin de munir la place d'hommes, de vivres et d'artillerie. A la vue de la flotte ennemie, il arbora sur le chasteau la bannière du Duc, pour faire voir aux Espagnols qu'il les attendoit de pied ferme. L'admiral de la flotte, pour s'instruire de l'estat de la place, envoia un escuier au chasteau comme pour y demeurer en ostage à la place d'un autre gentilhomme, qu'il prioit Jean d'Ust de lui envoler pour parler à lui, mais en effet, cet escuier devoit servir d'espion à l'admiral. Jean d'Ust, qui ne craignoit rien, reçut l’ostage, et envoïa Jean de Henlées [Note : On dit aujourd'hui Heinleix. C'est un nom breton, dont le radical indique presque certainement le passage d'une voie romaine. La famille de Heinleix, dont le manoir était situé près du phare actuel du Commerce, était la plus puissante de la paroisse, comme celle d'Ust à Saint-André] parler à l'admira!. Henlées revint sans avoir rien conclu, et l'escuïer retourna faire son rapport, qui fit perdre l'envie aux Espagnols d'attaquer Saint-Nazaire. Ils firent mesme retirer leurs vaisseaux hors de la portée du canon de la place, et en envoièrent deux à Nantes pour faire voir qu'ils estoient venus. Cependant trois cens Espagnols s'estant hazardez de faire une descente Guillaume du Chastel, à la teste de seize Bretons seulement, marcha contr'eux, en tua plusieurs, et mit le reste en fuite. Les fuïards portèrent l'alarme dans toute la flotte, ce qui obligea l'admiral de remettre à la voile et d'aller tenter fortune ailleurs. Il vogua du costé de Ruis, ou il fil débarquer cinquante-cinq hommes. Jean de Malestroit, avec environ dix lances, ne leur donna pas le temps de faire beaucoup de désordre, il en tua trente-trois, et fit les autres prisonniers. Après ce second échec, les Espagnols n'osèrent plus faire de descentes en Bretagne, et s'en retournèrent chargez de confusion » [Note : Dom Lobineau, I, 426].

Pour se défendre ainsi contre les attaques venues de la mer, les habitants de Saint-Nazaire étaient obligés de faire constamment le guet, sur la côte, d'armer des archers, d'entretenir les murailles et les engins de guerre du château ; en un mot, de supporter des charges extraordinaires qui contribuaient à la défense générale du pays. Or, Guérande était la plus forte place de toute la presqu'île ; et, à ce titre, les Guérandais avaient depuis longtemps obtenu des ducs le concours de toutes les cités voisines à la construction et à la réparation de leurs murailles, au curage de leurs douves, et à toutes les dépenses concernant leurs fortifications. Saint-Nazaire, qui devait se défendre de ses propres deniers, trouva bientôt ce concours très-onéreux ; et, en récompense de tous les sacrifices faits par ses habitants pour protéger l'entrée de la rivière, des priviléges leur furent successivement octroyés, parmi lesquels les principaux furent l'exemption de la contribution aux réparations des murailles de Guérande, et celle du droit d'octroi général sur les vins pour leur entrée dans la province, droit connu sous le nom de devoir de billot. Mais les chartes octroyées par les ducs et par les rois pour conserver et maintenir ces priviléges, n'étaient pas toujours respectées par les fermiers d'impôts, à leurs entrées en charge ; et lorsque ces priviléges avaient été suspendus provisoirement, dans des circonstances très-particulières et pour des cas spéciaux, les fermiers ou receveurs n'avaient garde de se rappeler ensuite les concessions primitives. De là, une foule de procès en abus de pouvoir et des instances perpétuelles pour obtenir de l'autorité ducale ou royale la confirmation des lettres de décharge. Nous ne nous occuperons aujourd'hui que de la lutte entre Saint-Nazaire et Guérande, au sujet des réparations de cette dernière ville, sans insister sur l'exemption du devoir de billot, dont les archives de la paroisse fournissent pour le XVIIème et le XVIIIème siècle de forts curieux documents ; mais les premiers nous ont paru, par leur ancienneté et par leur provenance, devoir offrir à nos lecteurs un plus vif intérêt.

Voici d'abord une charte du duc Pierre II, écrite en caractères gothiques sur parchemin et datée du 24 novembre 1454 ; c'est la première que nous ayons retrouvée, mais non pas la première octroyée par les ducs, soit par Pierre II lui-même, soit par ses prédécesseurs, ainsi que le constate l'un des considérants de la maintenue du privilége. Nous avons complété, pour sa plus facile intelligence, les abréviatious nombreuses que présentent presque tous les mots et qui en rendent la lecture assez pénible pour ceux qui ne sont pas initiés aux mystères des chancelleries du XVème siècle.

PIERRE, par la grâce de Dieu, duc de Bretaigne, comte de Montfort et de Richemont, à noz sénéchaulx, alloez, prévost et procureur de Nantes, noz cappitaine, sénéchal, alloé et procureur de Guérande, receveur et miseur de deniers ordonnez à la réparation dudit lieu et à chacun de vous, SALUT. — Receu avons la supplication et humble requeste à nous faicte de la part de nos pauvres hommes et subgez les habitans de la paroesse de Sainct-Nezere, exposons que néantmoins qu'ilz ne soient aucunement subgez à la garde et réparation de notre dite ville de Guerande, et que ès temps de guerre ne aultrement ils n'ayent jamais en recueill ne en refuge à icelle, — combien que par aucun temps, pour les éminens périlz de guerre qui estoient pour lors pour la urgente nécessité de réparation qui estoit à faire, par notre ordonnance et commandement, ils avoient contribuez à la dite réparation ET AVOIENT OBTENU DE NOS PRÉDÉCESSEURS LETTRE DE NON PRÉJUDICE ET DE NON LATTRIBUEZ A CONSÉQUENCE NE CONTINUATION SUR EULX, — et mesmes que par noz ordonnances lesdits supplians font souventes fois le guey à costé de la mer pour garder la descente des Angloys noz anciens ennemis ; — et aussi que pour résister à leurs invasions, par nosdites ordonnances nosdits supplians ont la charge de mettre en appareill d'armes six archers en ladite parroesse, et d'abondant sont contrains à eulx mettre en appareil d'armes pour résister à nosdits anciens ennemis, — de présent, vous , nosdits cappitaine, receveur et miseur des deniers ordonnez à la réparation de notre dite ville, voulez et efforcez les contraindre et conpeller à paier soubz umbre et couleur de la réparation d'icelle, le nûmbre de quarante livres monnayées par chacun an, quelles choses leurs sont de grant charge, préjudice et domaige — ET QUE OBSTANT LES CHARGES ET CHACUNES DESSUSDITES, MIEULX LEUR VAULDROIT LAISSER LADITE PAROESSE ET S'EN ALLER AILLEURS VIVRE, QUE DEMOURER SUBGEZ ET CONTRIBUTIFS A LADITE REPARATION, — nous supplians sur ce leur pourveoir de convenable remède, très-humblement le requérant. — Pour CE est-il que NOUS, lesdites choses considérées, ne voulant contraindre nosdits subgez à la contribution perpétuelle de la réparation de notre dite ville ; — considéré mesme que en temps de guerre, ilz n'y ont nul reffuge à eulx ne à leurs biens, ne la contribution que ce temps passez ilz y ont faicte leur estre tirée à conséquence, ainçois les enfranchir et descharger ; — ET MESME A LA REQUESTE DE NOTRE TRÈS-CHÈRE ET TRÈS-AMÉE SŒUR ET COMPAIGNE LA DUCHESSE QUI DE CE NOUS A SUPPLIÉ ET REQUIS — de l'avis et délibération de notre conseill, — en déclarant sur ce notre intention, la descharge de notre conscience et pour autres causes à ce nous mouvans ; AVONS ORDONNÉ et ordonnons par ces présentes que nosdits supplians ne paient ne ne contribuent doresnavant à la dite réparation, en aucune manière et les enfranchissons et quittons par cesdites présentes, en deffendant et deffendons à nosdits cappitaine, receveur, procureur, contrerolleur et miseur présent et avenir des deniers ordonnez à la réparation de notre dite ville dudit lieu de Guérande et à chacun en son temps de non les y contraindre ne conpeller et de non aucune chose leur en demander ne faire paier en temps avenir, quelque chose qu'ilz aient esté estaillez ou imposez. — Et si aucune chose en doivent, le leur avons remis et quitté, remettons et quittons par ces présentes en pitié et aumosnes, en vous mandant et mandons, et à chacun de vous, de ceste noire présente grâce, et du contenu et effect en ces présentes, que vous fassié souffrir et laissié jouir et user nosdits supplians plainement et paisiblement, cessans touz empeschements à ce contraires. — Car ainsi le voulons et nous plaist, nonobstant quelqueconques lettres impétrées données ou à donner, quelles si aucunes sont, cassons et annullons et voulons estre de nul effect à ce contraires ou dérogatoires. — Donné en notre ville de Vannes, le XXViije jour de novembre l'an mil quatre cent cinquante quatre — (Ajouté :) — Et voullons que plaine foy soit adjoustée aux vidimus d'icelles soubz scel autantique comme au présant original donné comme dessus. — PIERRE +. — Par le duc, de son commandement. — E. DE BOITIÉS.

Ces lettres sont caractéristiques : elles nous montrent Saint-Nazaire en lutte ouverte avec Guérande, et obérée à ce point par sa propre défense, que, s'il fallait encore être « contributif » à quarante livres monnayées, pour la réparation de fortifications de l'ancienne cité épiscopale, mieux vaudrait aux paroissiens de Saint-Nazaire quitter leur sol natal et s'en aller vivre ailleurs. Grâce à la bienveillante intervention de la bonne et sainte duchesse Françoise d'Amboise, de vénérable mémoire, ils obtinrent enfin gain de cause. Mais, hélas ! ce ne fut point pour une longue durée : trente ans ne s'étaient pas encore écoulés, que les Guérandais leur enjoignirent de venir « bêcher ès douves » de leurs remparts. Il fallut des lettres formelles de la jeune duchesse Anne, fiancée à Maximilien d'Autriche, pour les délivrer de cette obsession, en déclarant qu'ils n'eussent à obéir à cet ordre que pour cette fois seulement, sans tirer à conséquence pour l'avenir. La charte suivante, dont nous avons complété les mots comme ceux de la première, est particuilièrement précieuse, à cause de sa date, 19 avril 1480 :

MAXIMILIEN et ANNE, par la grâce de Dieu roy et royne des Romains, ducs de Bretaigne, etc. A tous ceulx qui ces présentes lettres verront, SALUT. — De la part de nos subgectz les paroessiens contributtifs à fouaige de la paroesse de Sainct-Nazaire, nous a esté remonstré que autreffoiz par nos prédécesseurs ils ont esté franchiz et exemptez d'aller bêcher ès douves de notre ville de Guérande, et que dempuix avons confirmé la dite franchisse ; et néantmoins notre capitaine de Guérande veult et s'efforce les contraindre à bêcher ès dites douves, qui leur tourneroit à très-grant préjudice et domaige. — Nous supliant qu'il nous plaise sur ce leur pourvoir de remède convenable, très-humblement nous le requérant. — POURQUOY, Nous, les dites choses considérées, voullant nos dits subgectz maintenir et entretenir en leurs libertez et franchises, et pour autres causes à ce nous mouvans, voullons et ordonnons par ces présentes que, quelque contrainte qui soit ou puisse estre faicte à nos dits subgectz d'aller à la dite bêche, soit pour ce présent affaire seullement, sans ce que en l'avenir il leur puisse porter aucun préjudice, ne que notre dit capitaine ne autres le puissent atirer à aucune conséquence. Et pour valloir à nos dits subjetz leurs avons baillé ce par noz présentes lettres. — Car c'est notre plaisir. — Donné en notre ville de Rennes, soubz les seign et scel de nous — ANNE. — Le XIXème jour de avril l'an mil iiij C iiij XX (1480). — Par la royne, en son conseil. — GUIHART.

Neuf ans plus tard, nouvelles prétentions des Guérandais, qui, s'appuyant sur la suspension du privilège des habitants de Saint-Nazaire, dans les cas de péril extrême, veulent même les contraindre à participer aux frais de pavage de leur ville ; et nouvelles lettres d'Anne de Bretagne, accordant cette fois le privilége pur et simple, avec des considérants élogieux pour les défenseurs de l'entrée de la rivière de Loire :

ANNE, par la grâce de Dieu, duchesse de Bretaigne, comtesse de Montfort, de Richemont, d'Estampes et de Vertus, à tous ceulx qui ces présentes lettres verront, SALUT. — De la part de noz subgectz les parroessiens, manans et habitans de la paroisse de Saint-Nazaire, nous a esté humblement remonstré que dès le XXIiiije jour de novembre, l'an que dit fut mil iiij c cinquante et quatre, feu notre très-cher et très-amé frère et oncle le duc Pierre, que Dieu absoulle, par ses lettres et mandement patens et pour les causes y contenues, franchist et exempta nos dits subgectz de toute contribution et ordonnemen qui par noz capitaine et officiers de Guerrande eust peu pour le temps lors avenir avoir esté faicte sur nos dits subjectz pour la réparacion et enpavement de notre dite ville, ainsi que apert par ung vidimus dudit mandement fait par notre court de Guerrande le vignt et deuxe jour d'avril de l'an cinquante huict, passé devant ....., et scellé du seau des actes de notre dite court, duquel vidimus nosdictz subgectz ont aparu asuffire — Et que, de la dicte franchise nos dictz subgectz depuis le dit temps ont toujours jouy jusques apuis naguères que noz capitaine et officiers dudit lieu de Guerrande les ont voullu contraindre à venir réparer les fousses et douves de notre dite ville, et contribuer aux mises de la réparacion d'icelle, quelle chose leur ceré à grand préjudice et domaige — Obstant mesmes les grandes pilleries et oppressions qu'ilz ont eu et soustenu durant ceste dernière guerre, par les Aulonnayes [Note : Peut-être les habitants d'Olonne, près les Sables–d'Olonne (Vendée)] qui vindrent par mer à l'entrée de la rivière de Loire, et aussy les grandes charges qu'ilz ont présentement à porter, tant à la soulde de leurs francs archers que autres subcides, — nous suplians qu'il nous plaise sur ce leur pourveoir de remède convenable, humblement nous le requérant — POURQUOI, NOUS, les dictes choses considérées, voullant ensuivre le bon voulloir et intention de notre dit oncle, et pour autres causes à ce nous mouvans, avons aujourd'huy par délibération de notre conseil, confirmé, loué et aprouvé, confirmons, louons et aprouvons la dite franchise ; voullans et voullons qu'ilz en jouissent plainement et paisiblement au désir d'icelle, et de ce voullons que nos dictz subgectz puissent jouir et leurs successeurs après eux, chacun en son temps. — CY DONNONS EN MANDEMENT à nos capitaine séneschal, alloué, lieutenant, procureur, controlleur, receveur et miseur de nostre ditte ville de Guerrande de présent, à ceulz qui pour le temps à venir le seront et à chacun en droit soy, si comme à luy apartiendra, de cette présente franchise faire souffrir, jouir et user nos dits subgectz ainsi qu'ilz ont par cy devant fait au moien de la dite franchise de notre dit oncle, sans les contraindre et conpeller d'aller ne envoier à la dite réparacion ne y contribuer en mise ne aucune manière. — Cy gardez que en ce n'ait faulte. — Car c'est notre plaisir. — Et voullons que au vidimus de ces présentes retenu soubz scel des actes de notre conseil ou de nos cours, plaine foi soit ajoustée, comme à ce présent. — Donné en notre ville de Rennes, le xxviije jour de janvier l'an mil iiij c iiij xx neuf (1489). — ANNE. — Par la duchesse, de son commandement. — GUYHART.

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Note : M. de la Borderie a bien voulu nous faire remarquer, après avoir lu notre précédent article, qu'il doit y avoir une erreur ou une omission du secrétaire de la chancellerie ducale, au bas de notre première charte d'Anne de Bretagne. Anne naquit, en effet, le 25 janvier 1477 (style actuel), et ne devint duchesse, par la mort de son père le duc François II, que le 9 septembre 1488 ; de plus, elle n'épousa, par procureur, à Rennes, Maximilien d'Autriche que le 19 décembre 1490 ; et, comme elle épousa effectivement Charles VIII, roi de France, le 6 décembre 1491, notre charte ne peut être datée réellement que du 19 avril 1491, et non du 19 avril 1480. La charte porte cependant mil iiijcc iiijxx, et pas autre chose ; mais comme elle est d'ailleurs parfaitement authentique, il faut en conclure qu'on a oublié d'ajouter xj. Il est bon de remarquer aussi que notre seconde charte ou mandement, datée du 28 janvier 1489, est en réalité, d'après notre méthode actuelle de supputation chronologique, du 28 janvier 1490, car alors le millésime de l'année ne changeait qu'à Pâques. De toute façon, elle a donc précédé la première. — Nous ajouterons qu'une erreur de lecture nous a fait écrire, dans ce mandement, le mot empavement, au lieu de emparement, qui n'a pas la même signification.

Les missives d'Anne de Bretagne ne furent bientôt plus suffisantes. Vers l'année 1507, maître Antoine Force, fermier des impôts ordonnés pour les réparations des murailles de Guérande, intenta un interminable procès à Jehan Halgan et à plusieurs autres habitants de Saint-Nazaire, qui se retranchaient derrière leur privilége. On remonta jusqu'au roi Louis XII, second mari de la duchesse Anne ; et le Père du peuple, pendant un voyage à Nantes en 1507, coupa court à toutes ces difficultés en les renvoyant en dernier ressort devant le sénéchal de Guérande, par ces lettres, inédites comme toutes les précédentes, et qui présentent un fort curieux tableau de la procédure de cette époque :

« LOYS PAR LA GRACE DE DIEU, ROY DE FRANCE ET DUC DE BRETAIGNE, à noz séneschal, alloué et lieutenant de Guérande, salut. — De la part de noz subgectz les paroissiens menans et habitans de la parroisse de Sainct-Nazaire, nous a esté en suppliant exposé que, combien que le vingt-huictiesme jour de novembre de l'an que dit fut mil quatre cens cinquante-quatre, leur ait esté octroié et concédé par feu prince de bonne mémoire le duc Pierre, ainsi que appert par son mandement de date prédite, exemption liberté et franchise de toutes contributions et subcides de réparations de villes et chasteaulx ; — Quelles exemptions et franchises nostre très-chère et très-amée compaigne la royne a depuis par ses mandemens confirmé, ainsi que appert par iceulx, — En vertu des quelles franchises ils sont demourez francs et exempts du devoir de billot ordonné pour les dites réparations, et en ont esté et sont en possession sans débat, fors puis peu de temps ença, que Maistre Anthoine Force, se disant fermier dudit billot mist en procez ung nommé Jehan Halgan et autres plusieurs de ladite parroisse en la demande dudit devoir de billot ; — Qu'ils esplectèrent tant et tellement par ladite court de Guérande, que fut dit et déclaré par lesdits produictz tant enquestes que lettres contre ledit Force audit nom qu'ilz devoient demourer francs exemps et quittes dudit devoir ; — Quelle sentence passa en euvre de juge. — Est-il que néantmoins ce que dessus, Bertran Charays et Jehan Sorel se disans soubzfermiers de Jehan Pineau, fermier général dudit devoir de billot, dudit terrouer de Guérande où est située ladite parroesse, ont mis en action ung nomé Julien Hervé en la demande dudit devoir de billot, supposant qu'il avoit vin par détail en ladite parroisse ; — Quel en empeschant respondre à ses faicts excepta de la sentence donnée contre ledit Sorel, fermier susdit ; — Quelle exception ne fut receue du lieutenant de nostre dite court de Guérande ; — De quoy ledit Hervé appella — quelle appellation alla devant l'alloué dudit lieu. — Et au terme assigné à estre procédé à la décision dudit appel devant ledit alloué se trouva un nomé Julien Paulmier, procureur du corps politique, qui voulut et demanda estre à la conduicte de ladite matière pour ledit Hervé, disant quelle touchait l'intérest d'icelle parroisse, pourtant que le privilège a esté octroié à tous vendus vin de ladite parroisse, que contrarièrent lesdits soubz fermiers. — Dont fut réservé faire raison entre parties. — Ce néantmoins s'efforcèrent contraindre icelluy Hervé à suyvre le procès. — Et ce voiant le procureur desdits parroessiens bailla plégement contre iceulx soubz fermiers de non conduire le procès contre ledit Hervé judisens de leur plédoyé. — Auquel plègement raisonnèrent leurs dits priviléges, au débat desquelles raisons fut figuré jugement en advis qu'il demoura en garde de court, qui y est encores à présent. — Par le moïen duquel procès se peult trouver grant longueur au domaige desdits parroissiens. — Nous supplians qu'il nous plaise sur ce leur pourveoir de remède convenable, très-humblement le nous requérant. — POUR QUOY, Nous, lesdites choses considérées voullant ausdits supplians en ce subvenir, aider, et iceulx en leurs droitz, libertez et franchises estre préservez et gardez, vous mandons et commandons et à chacun de vous, en commettant, si mestier est, icelles matières congnoistre sentencier et déterminer par briefz jours et termes compettans, sans avoir esgard à assignation de pletz généraulx, juduces, prévileiges de menées, ceix remuz de juridiction, retroict de barre, ne autres termes ordinaires quelzconques, et au parsus, parties appellées et ouyes, selon qui vous apparoistra, faire et donner sur le contenu cy dessus telles provisions que voyrez de raison appartenir. — Car ce nous plaist. — Donné à Nantes, ce XXIJe jour de mars l'an de grâce mil cinq cens sept, et de notre règne le dixième. — Par le roy et duc, et à rellation de son conseil. — DE LANVAULX ».

Nous n'avons pas retrouvé la sentence rendue définitivement ; mais il y a lieu de croire qu'elle fut conforme aux vœux des habitants de Saint-Nazaire et qu'elle les assura d'une manière assez durable dans leurs privilèges, car les parchemins que nous avons recueillis dans les vieux cartons de la paroisse, précieusement attachés ensemble à une époque très-éloignée par les lacs de soie verte et rouge des sceaux royaux, ne nous indiquent aucune trace de lutte entre les deux cités jusqu'à la fin du XVIème siècle. Nous savons seulement que les ports et havre de Saint-Nazaire furent soumis par un édit royal daté de Troyes, le 29 mars 1564, à la juridiction du siège de Guérande ; mais cela ne portait aucune atteinte à leurs franchises au point de vue des contributions. A la fin du XVème siècle, toute la presqu'île se ressentit violemment des guerres civiles de la Ligue qui bouleversèrent le pays. Saint-Nazaire, qui avait embrassé le parti des ligueurs, fut pris d'assaut en octobre 1586, par La Tremblaye, qui, ayant fait trancher la tête du capitaine du Château, l'envoya dans un sac à Rennes pour la présenter au prince de Dombes. En 1589, la flotte espagnole vint aider les ligueurs à se maintenir dans la cité qu'ils avaient reprise, et, plusieurs années après l'abjuration d'Henri IV et son couronnement, la contrée subissait encore l'influence des agitations que maintenait en Bretagne le duc de Mercœur. Les documents originaux qui constataient leurs priviléges ayant été égarés pendant les troubles et les alertes, les paroissiens de Saint-Nazaire jugèrent prudent de profiter du voyage que fit Henri IV à Nantes, en 1598, pour obtenir de lui une dernière confirmation. Le roi la leur accorda volontiers :

« HENRY, PAR LA GRACE DE DIEU, ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE, à tous presens et à venir, salut. — Sçavoir faisons nous avoir receu humble supplication de nos chers et bien amez les manans et habitans de la parroisse de Saint-Nazaire, en notre pais de Bretagne, contenant que dès le XXIIIJe novembre mil quatre cens cinquante-quatre, feu de bonne mémoire le duc Pierre par ses lettres et mandemens et pour les causes y contenues, les avoit affranchiz et exemptez d'assister et contribuer aux réparations de notre ville et chasteau de Guerrande, ce qui leur avoit esté continué et confirmé par nos prédécesseurs roys successivement, mesmes par le feu roy dernier décédé notre très-honoré seigneur et frère. — Au moyen de quoy ilz auraient bien et deuement jouy et usé des dits privilèges et en jouissent encores de présent. — Toutteffois par ce qu'ils n'ont esté par nous confirmez, aussy que pendant les troubles les confirmations qu'ils avoient obtenu d'iceux de nos dits prédécesseurs ont esté perdus et adhirez avecq autres leurs tiltres et pappiers, ocasion de quoy ils n'en pourroient faire apparoir, ils doubtent qu'à présent on les voullut empescher en la jouissance d'iceux, nous suppliant et requérant sur ce leur pourveoir. — Pour quoy nous, ces choses considérées, désirant maintenir lesdits exposans en leurs priviléges, franchises et libertez, avons ausdits exposans continué et confirmé et de notre grâce spéciale, plaine puissance et authorité royale, continuons et confirmons tous ou chacuns lesdits priviléges, franchises et immunitez et iceux de nouveau autant que besoing est ou seroit, donné et octroyé, donnons et octroyons par ces présentes pour en jouir par eux ou leurs successeurs, plainement, paisiblement et perpétuellement, tout ainsy et par la mesme forme et manière qu'ilz et leurs prédécesseurs en ont cy devant bien et deuement jouy et usé, jouissent et usent encores de présent. — Cy donnons en mandement au sénesehal de Guerrande ou son lieutenant et à tous noz officiers et justiciers qu'il appartiendra, que de nos présentes continuation et confirmation et contenu d'icelles ils facent lesdits exposans et leurs successeurs jouir et user plainement, paisiblement et perpétuellement, cessans et faisans cesser tous troubles et empeschemens à ce contraires, nonobstant que lesdits supplians ne rapportent les confirmations de nosdits prédécesseurs, perdues et adhirées comme dit est, que ne leur voulions nuire ne préjudicier, ains les avons relevez et relevons de notre mesme puissance et authorité que dessus. — Car tel est notre plaisir. — Et afin que ce soit chose ferme et stable à tousjours, nous avons faict mettre nostre scel à ces dites présentes, sauf en autres choses nostre droit et l'autruy en touttes. — Donné à Nantes au mois de avril, l'an de grâce mil cinq cens quatre-vingt dix-huict et de notre règne le neufviesme. — Par le roy en son conseil, DE VERTOU ». — Et à côté, visa contentor, BOUCHERRY. — Et scellées du grand sceau en lacs de soie rouge et verte.

Nous ne rapporterons pas ici de nouvelles lettres de confirmation de priviléges, données par le roi Louis XIII et datées de Nantes, au mois d'août 1626 ; elles ne font, que copier presque littéralement les dernières, et permettent de constater que les habitants de Saint-Nazaire ne laissaient échapper aucun voyage royal dans la province sans en retirer une sauvegarde contre les prétentions de Guérande ; mais nous citerons deux documents de la même époque, qui montrent combien ces priviléges royaux étaient trop souvent peu considérés par les agents du fisc : ceci se passait pendant le siège de La Rochelle et les incursions de la flotte anglaise sur les côtes de l'Ouest. Le 4 octobre 1627, le bureau de la paroisse reçut la lettre suivante :

« Le marquis de Themines, mareschal de France, gouverneur et lieutenant général pour le roy en ses pays et duché de Bretaigne. — Attendu que la paroisse de Saint-Nazère reçoit assez d'incommodité, par le logement des trois compagnies du régiment d'Estissac qui y sont en garnison, nous avons exampté ladite parroisse de la contribution pour l'entretenement des deux compaignies qui sont en garnison dans la ville de Guérande. Mandons à cest effect au seneschal de la ville de Guérande de ne donner aulcun despartement sur ladite parroisse de Saint-Nazère pour saison de ladite contribution. En foy de quoy nous avons signé ces prérentes, à icelles fait mettre le cachet de nos armes et contresigner par nostre secrétaire, — A Auray, ce vingt-quatriesme octobre 1627. - THEMINES. - Par Monseigneur. (Déchiré) ».

Malgré cet ordre formel, Saint-Nazaire fut taxé par Guérande pour l'entretien de sa garnison, et l'affaire dut être portée devant le parlement de Rennes, qui rendit aussitôt une sentence condamnant Saint-Nazaire à payer provisoirement la taxe, sans préjudice des priviléges obtenus, et sans tirer à conséquence... Cela peut sembler difficile à accorder, mais l'arrêt, assez curieux dans sa forme, est très-précis. En voici les passages les plus saillants :

« Extrait des registres du parlement. — Feu par la cour la requeste des paroissiens de la parroisse de Sainct-Nazaire, remonstrant que de tout temps immémorial les habittans de Guérande les auroient voullu assubjetir à plusieurs choses, comme à curer les douves des ville et chasteau, les capiltaines et paier les guet, souhz prétexte que la jurisdiction qui s'exerce à Sainct-Nazaire aux seigneurs qui ont droict de fieff rellevent de la jurisdiction royalle de Guérande ; c'est pourquoy, en l'an 1554, etc... Et néanlmoins encore qu'ils ayent logé et fourny de touttes (ustencilles) nécessaires l'espace de huict moys troys compaignies de gens de guerre, sçavoir celle du baron d'Esplantier et autres, ceux de laditte ville de Guérande n'ont laissé de les faire cotizer par le sénéchal de laditte ville au mois d'octobre dernier à payer par chacun mois deux cents deux livres dix soulz pour aider à la nourriture des soldats establiz audit Guérande, ce qui n'est raisonnable.... — Tout considéré. — La cour sans préjudice des privillèges obtenus par les habittans de Sainct-Nazaire en autres temps et cas, et attendant le payman qu'il plaira au roy a devoir aux gens de guerre en cette province, a ordonné et ordonne que par forme d'estappes et sans tenir à conséquence, ils contribueront à la nourritture desdits soldatz suivant le département qui en sera faict par le sénéchal de Guérande, suivant les précédentz arrestz sauf à se pourvoir pour la surcharge et excez à la taxe, sy aultant et ainsy qu'ils verront. — Faict en parlement à Rennes, le troisiesme de novembre 1627. — Signé : MALESCOT, etc. ».

Or, au moment même où les habitants de Saint-Nazaire recevaient la notification de cette sentence du parlement, un courrier royal leur apportait un avertissement peu fait pour guérir leur blessure :

« De par le Roy. — Chers et bien amés, les Angloys ayans esté contrainctz d'abandonner l'isle de Ré par les trouppes que nous y avons faict passer soubs la conduite de notre cousin le maréchal de Schomberg, et de s'embarquer dans leurs vaisseaulx, nous avons jugé à propos de vous en donner advis et de vous ordonner comme nous faisons très-expressément de veiller et pourveoir de sorte à la seureté et conservation de Saint-Nazaire, que sy ils avoient dessein d'y descendre ils ne le puissent exécuter. A quoy vous ne ferez faulte, car tel est nostre plaisir. — Donné au camp devant la Rochelle. Le XVème jour de novembre 1627 » LOUIS.

Les paroissiens de Saint-Nazaire répondirent en faisant bonne contenance devant les Anglais et en portant l'affaire des taxes au conseil du roi, qui leur donna gain de cause par un arrêt du 3 novembre 1637, les exemptant de toute contribution aux étapes de la ville de Guérande, ainsi que le constatent les nouvelles lettres de confirmation de priviléges, octroyées par Louis XIV, encore enfant, au mois de juin 1645 [Note : Nous ne les reproduirons pas ici, de peur de fatiguer le lecteur par de trop fréquentes répétitions. Elles différent fort peu des lettres octroyées par Henri IV et par Louis XIII. L'arrêt du conseil du roi de 1637 est très-curieux, mais il prendrait à lui seul près de vingt pages. Il intéresse l'histoire de toute la presqu'île guérandaise]. Or ces priviléges étaient vraiment bien légitimes, car la ville de Saint-Nazaire se trouvait en alertes perpétuelles. Nous venons de voir Louis XIII l'avertir de se garder des Anglais : cette missive autographe du maréchal de la Meilleraie au sénéchal de Saint-Nazaire, le 24 mars 1655, n'est pas moins explicite :

« Monsieur le sénéchal, aussitost votre lettre receue, je me suis mis en batteau avec ce que jay peu de monde, pour men aller à vous, affin de donner touts les ordres qui m'eust esté possible pour la coste, mais ayant receu votre seconde qui m'apprent que les frégattes espagnolles se sont retirées de la rivière, et voyant que je serés là entièrement inutile, je m'en retourne, voyant que je serés inutile au service du roy et à votre soulagement. Si j'y puis quelque chose, aussytost que m'en aurés averty, je seray prest à retourner et vous tesmoigner le désir que j'ay de vous faire paroistre en touttes occasions que je suis — votre très-affectionné à vous faire service, — La Melleraie ».

Ceux qui se rappellent l'alarme causée dans Saint-Nazaire en 1870 par la frégate prussienne Augusta, qui resta en vue, à l'embouchure de la Loire, pendant près de vingt-quatre heures, peuvent se figurer facilement quelle vie agitée devaient mener leurs ancêtres, alors que les secours étaient beaucoup moins prompts et les moyens de défense moins énergiques.

Sous Louis XIV et sous Louis XV, on ne demanda plus aux habitants de Saint-Nazaire de venir travailler aux fortifications de Guérande, qu'on abandonnait, mais les fermiers des droits d'entrée sur les vins soulevèrent souvent contre eux de curieux procès que nous exposerons quelque jour. Nous terminerons cette rapide histoire de la lutte entre les deux villes par un épisode qui la couronne d'une façon assez inattendue, à la fin du XVIIIème siècle. Sous la république terroriste, Saint-Nazaire était devenu Port-Nazaire, et, malgré l'apparat de ses fêtes patriotiques, dont on retrouve des traces fort pittoresques dans les anciens registres de la commune, malgré les dons déposés sur l'autel de la patrie, on était sujet, à d'incessantes réquisitions. Nous extrayons cette missive hautaine des archives municipales :

« Au quartier général de Guérande, le 17 thermidor, an IVème de la République une et indivisible. Le général de brigade Cambray aux membres de l'Administration municipale du canton de Port-Nazaire. Citoyens,
L'arrivée prochaine de plusieurs bataillons dans les arrondissemens que je commande, m'oblige à vous inviter de faire faire de suite les versemens en grains que vous devez pour votre contribution dans les magasins militaires de Guérande ; ne m'obligez pas, citoyens, à vous y contraindre par la force armée, ni à vous mettre garnison. C'est en me secondant des moyens qui sont à votre pouvoir que la tranquillité s'établira à jamais dans votre territoire, et que vous jouirez sous peu des bienfaits qu'une paix prochaine vous assure. Cette paix tant désirée, à qui la devez-vous ? Aux braves et dignes défenseurs de la patrie. C'est donc pour eux que je réclame de suite les grains que la loi vous a imposés. Je ne vous dissimulerai pas que ma plus vive sollicitude est de donner à mes frères d'armes les vivres que la loi leur accorde. Vous devez m'entendre, ne m'obligez point, ni à la contrainte, ni aux réquisitions. — Vous voudrez bien donner connaissance de la présente aux communes de votre ressort. — Je vous salue fraternellement. — Pour le général de brigade, Cambray, — le chef de l'état-major, — Fd GUYARDET »
.

Et la municipalité dut bientôt prendre une résolution désespérée :

« Du vingt-cinq pluviose an V de la République une et indivisible, séance de l'administration municipale du canton de Port-Nazaire, etc.
L'Administration, ouï le commissaire du directoire exécutif, délibère qu'étant très-intéressant pour empêcher le retour de la voie des réquisitions qui ont suscité une si grande quantité de mécontens et même d'ennemis au gouvernement, les agents municipaux sont chargés respectivement dans leurs communes de se transporter de suite chez les percepteurs pour y vérifier le montant des fonds qui se trouvent dans leurs caisses, presser la rentrée des impôts arriérés et de l'an cinq par la voïe des garnisaires, conformément à la loy du 17 brumaire dernier, donner à la prochaine séance le montant des fonds en caisse, et ordonner à tous les percepteurs la suspension provisoire des versemens dans la caisse du préposé du receveur général... — ALLANSON. - SOHYER. - HARDOUIN. - LEMALE. - PICARD »
.

Aujourd'hui, par un habituel retour des choses d'ici-bas, Guérande n'est plus qu'un simple chef-lieu de canton, et Saint-Nazaire, siège d'un arrondissement sous-préfectoral, domine, de toute la grandeur de sa rapide fortune, son ancienne et querelleuse rivale.

(René Kerviler).

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