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SAINT VINCENT DE PAUL ET LES PETITES ECOLES.

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I. Avec les confréries de charité. — II. Dès leur fondation, les Filles de la Charité sont dirigées vers l'enseignement. — III. Ecoles ouvertes pour les filles pauvres. — IV. Intérêt porté à l'instruction des garçons. — V. Matières, méthodes, résultats de cet enseignement. — VI. Action indirecte pour l'instruction populaire.

Saint-Vincent de Paul.

On peut parcourir des histoires de l'enseignement primaire avant la Révolution sans rencontrer jamais le nom de saint Vincent de Paul. Il ne figure pas notamment dans le Dictionnaire de Pédagogie et d'Instruction primaire [Note : Paris, 1887. « La première partie comprend les doctrines,... l'histoire de l'enseignement ». Préface], où M. F. Buisson a fait les honneurs d'une large hospitalité à Vincent de Beauvais, à Jacqueline Pascal, à Voltaire, à Fichte, etc. Plus attentifs ou plus bienveillants pour les faits et gestes de leur héros, pas un des biographes de notre saint n'en a arrêté davantage ses regards sur les services qu'il a rendus à l'enseignement populaire [Note : D'ABELLY, La vie du vénérable serviteur de Dieu (1664), jusqu'à E. de BROGLE, Saint Vincent de Paul (1896), en passant par COLLET, MAYNARD, BOUGAUD pas un ne consacre un chapitre ni même un alinéa à l'œuvre scolaire de Vincent de Paul]. Il y a là un oubli immérité, d'autant plus regrettable que parmi les titres de l'apôtre de la charité à notre admiration et à notre reconnaisasnce, il en laisse dans l'ombre un des plus appréciés de notre époque. On voudrait ici le mettre en lumière.

I. — Nos séminaires, tels qu'ils se consacrent à la formation du clergé français, se réclament de Vincent de Paul comme leur fondateur en même temps que M. Olier [Note : Voir A. DEGERT, Histoire des séminaires français avant la Révolution (Paris, 1912), t. I, pp. 79, 87, 112]. Ils n'étaient pas cependant dans la pensée du fondateur de la Congrégation de la Mission. Quand il groupa autour de lui quelques prêtres, animés d'un même zèle pour les âmes, il ne leur proposa pour objectif que l'évangélisation du pauvre peuple. Mais il se rendit compte que cette évangélisation ne serait ni possible ni durable sans la réforme préalable du clergé des campagnes, et l'œuvre des Missions le conduisit à celle des séminaires (A. DEGERT, Hist. des séminaires français, t. I, pp. 144 et suiv.). Aux « Petites Ecoles » il se dirigea tout droit et spontanément. Dès qu'il lui fut possible d'étendre sur une échelle un peu vaste l'assistance des pauvres, il y comprit avec les secours matériels « l'instruction des pauvres gens ».

Au début il enrôla dans les Confréries de Charité, ou Charités, comme on disait couramment, toutes les dames en volonté et en état de l'aider dans son ministère charitable. Fondées d'abord à Châtillon-les-Dombes (1617), transportées ensuite dans les terres dépendantes de la maison de Gondi, Villepreux, Joigny, Montmirail, puis dans les campagnes voisinantes au fur et à mesure que Vincent ou ses confrères eurent à donner des missions, elles furent introduites à Paris par la paroisse de Saint-Sauveur (1629), et se répandirent peu à peu dans les autres paroisses : à Saint-Nicolas-du-Chardonnet (1630), à Saint-Merry, Saint-Benoît, Saint-Sulpice (1631), Saint-Paul, Saint-Germain-l'Auxerrois, Saint-Eustache, Saint-André, Saint-Jean, Saint-Barthélemy, Saint-Jacques-du-Haut-Pas, Saint-Laurent « et généralement, ajoute Abelly, presque toutes les paroisses de la ville et des faubourgs de Paris » (P. COSTE, Saint Vincent de Paul et les Dames de la Charité (Paris, [1917]), pp. 3 et suiv.). La province prit exemple sur la capitale et « dans presque toutes les paroisses des grandes villes deux compagnies se fondèrent sous la présidence et la direction du curé, l'une celle des Dames avait pour objet de soigner les pauvres malades, l'autre celle des Messieurs » (CAHEN, Les idées charitables à Paris au XVIIème et XVIIIème siècles, dans Revue d'histoire moderne, t. II, p. 6).

A ces confréries à peine naissantes Vincent inculqua tout de suite l'idée que l'assistance des pauvres comportait la formation des écoles. Pour exciter leur zèle et les animer de son propre esprit, il les faisait visiter souvent par Louise de Marillac, plus connue sous le nom de Mlle Le Gras, sa collaboratrice de la première heure. Or dans ces visites, celle-ci, docile aux suggestions de son directeur et en correspondance fréquente avec lui, s'occupait avec un soin particulier de la question des écoles. « S'il y avait une maîtresse d'école, dit Abelly, elle lui enseignait charitablement à bien faire son office, et, s'il n'y en avait pas, elle tâchait d'y faire mettre quelqu'une qui fût propre à cela et pour la mieux dresser, elle-même commençait à faire l'école et à instruire les petites filles en sa présence » (ABELLY, La vie de Saint Vincent de Paul (Paris, 1891), t. I, pp. 159 et suiv.).

Au cours de son itinéraire qu'il trace au jour le jour il l'encourage dans ses efforts en vue de provoquer des créations d'écoles, en lui communiquant les témoignages qu'il reçoit du « grand bien qu'elle fait par l'instruction des filles ». Pour faciliter sa besogne, il écrit aux curés afin qu'ils lui fassent bon accueil et invitent « au prône leurs paroissiens à envoyer leurs filles aux logis de ladite demoiselle aux heures qu'elle indiquerait » (Lettres de saint Vincent de Paul, édition P. COSTE, t. I, p. 118). Est-il consulté sur une fondation en projet, comme celle de Villeneuve-Saint-Georges ? il ne se contente pas de donner pleine et entière approbation, il se préoccupe de trouver une maîtresse d'école, et il se croit assz fort d'y réussir pour autoriser sa bénévole mandataire à la promettre sous peu et en attendant à « conférer (avec les mères des écolières) du moyen de loger la maîtresse et de l'entretenir ». A cette recherche, ou formation de maîtresses d'école, il appelle encore à la rescousse des Dames des Charités de Paris, Mmes de Pollalion, Goussaut, Doni d'Attichy (Lettres de saint Vincent de Paul, édition P. COSTE, t. I, pp. 82, 160).

***

II. — La grande difficulté pour les fondations d'école à cette époque, c'était la pénurie des maîtres. Ils ne surabondaient pas pour les écoles de garçons, mais ils faisaient à peu près totalement défaut pour les écoles de filles. Par la fondation des Filles de la Charité, Vincent de Paul allait atténuer cette lacune. Aux premières qui offrirent leur service, il prit à tâche de communiquer, dans des entretiens familiers, son esprit de charité en toute son étendue : au soin des pauvres malades elles auraient à joindre l'instruction des ignorants. Pour venir en aide aux seconds, il faudra qu'elles fassent bon emploi du temps laissé par les premiers. Ces pauvres servantes des pauvres, venues pour la plupart de campagnes, étaient ignorantes comme les filles des champs. Les conseils paternels de Vincent les prennent au début même de leur formation : « Etudiez-vous, leur disait-il, à apprendre à lire, non pas pour votre utilité particulière, mais pour être en mesure d'être envoyées aux lieux où vous pourriez enseigner » (Entretiens de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. IX, p. 7). Aux yeux de Vincent, l'aptitude à l'enseignement n'était pas seulement un accessoire de leur profession de servantes de pauvres. Il y aurait eu là une méprise contre laquelle il ne perdait aucune occasion de les prémunir : « Votre règle, leur disait-il, vous ordonne d'apprendre à lire et à écrire... Après la messe vous devez vous exercer à la lecture pour vous rendre capables d'enseigner les petites filles. Il faut, mes chères sœurs, vous y appliquer sérieusement, puisque c'est un des desseins pour lesquels vous vous donnez à Dieu : le service des pauvres et l'instruction de la jeunesse, et cela principalement aux champs » (Entretiens de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. IX, p. 219).

Tout en mettant sur le même pied « le service des pauvres et le soin des écolières » (Entretiens de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. IX, p. 483), Vincent ne manquait pas, à l'occasion, de relever le zèle de celles qui se distinguaient dans l'enseignement des enfants. Rien de plus significatif à cet égard que l'éloge de Marguerite Naseau, qui revient à plusieurs reprises sur les lèvres du conférencier. C'était « une pauvre fille de Suresne qui avait la dévotion d'instruire les pauvres. Elle avait appris en gardant les vaches. Elle s'était procuré un A B C et, quand elle voyait quelqu'un, elle le priait de lui montrer ses lettres, puis elle épelait petit à petit et, quand il repassait d'autres personnes, elle leur demandait de l'aider à assembler ses mots et, quand elles revenaient, elle voulait savoir si c'était bien comme cela qu'ils lui avaient recommandé de faire ». Elle rencontra Vincent dans une de ses missions, le consulta, et fut orientée vers la compagnie des servantes des pauvres que Mlle Le Gras était en train de grouper (Entretiens de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. IX, p. 601).

Pendant quelque temps — treize ou quatorze ans — Vincent se reposa sur les exemples et les instructions de Mlle Le Gras de les initier à la tâche qui leur était réservée. Il n'était pas pressé de leur donner un règlement définitif ; c'était une maxime pour lui de ne pas « enjamber sur la Providence » et d'attendre les leçons de l'expérience. Quand la période d'essais et de tâtonnements lui parut suffisante et concluante, il arrêta les grandes lignes d'un règlement définitif, qu'il soumit à l'archevêque de Paris, avec prière de l'approuver. Ce qui nous y intéresse, c'est de constater que rien, dans l'expérience poursuivie, n'avait amené le pieux fondateur à dévier de la route qu'il avait tracée dès la première heure aux « servantes des pauvres ». Comme par le passé, « la compagnie devra considérer l'instruction des pauvres filles » pour l'une de ses deux raisons d'être. L'approbation de l'archevêque, qui suivit, sanctionna les vœux du solliciteur, en signalant spécialement parmi les occupations des Filles de la Charité « l'instruction des pauvres filles, leur montrant à prier Dieu, à lire et écrire ». Les mêmes termes passèrent dans le texte des lettres patentes du roi, qui approuvèrent (novembre 1657) la congrégation récente [Note : Ces diverses pièces se trouvent Lettres, t. III, p. 54 ; Entretiens, t. III, pp. 570, 579, 580. Une première approbation obtenue de l'archevêque et du roi n'eurent pas d'effet par le fait d'un conseiller du Parlement qui égara les pièces sur lesquelles il avait à présenter un rapport en vue de l'enregistrement ; elles furent renouvelées en janvier 1655 et novembre 1657]. Par là, l'œuvre de Vincent de Paul, en faveur des Petites Ecoles, recevait la consécration la plus solennelle qu'il pût ambitionner.

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III. — Vincent de Paul n'avait pas attendu cet encouragement venu de haut pour s'intéresser à des fondations d'écoles. Sous son impulsion, Mlle Le Gras, nous le savons, en avait fait ouvrir quelques-unes avant la fondation des Filles de la Charité. Quand elle put disposer de leur collaboration, elle les appliqua très vite à l'enseignement des filles. Dès 1636 (mai), elle vint s'établir avec sa communauté naissante à La Chapelle, village voisin de Paris, et elle ne tarda pas à y ouvrir une école ; en ceci, elle obéissait sans doute aux suggestions de son Directeur, comme elle l'avait suivi sûrement en s'installant dans un village « comme en un lieu plus propre pour élever ses Filles à la façon des champs » [Note : ABELLY, La vie de saint Vincent de Paul, t. I, p. 171. E. de BROGLIE, La vénérable Louise de Marillac (Paris, 1911), p. 108)]. Quelques mois plus tard, Vincent avait pu constater de ses yeux, au village de Richelieu, que les deux « servantes des pauvres » qu'il avait envoyées « faisaient des merveilles, L'une à l'égard des malades, et l'autre à l'égard de l'instruction des filles » (Lettres de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. I, p. 526). Il songe aussi à envoyer deux autres sœurs à l'école de Joigny, et il s'informe auprès de son correspondant et confrère, M. Lucas « si toutes les petites filles de la ville vont aller à l'école » (Lettres de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. I, p. 526). Déjà, il existait une école à Montmirail (Lettres de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. I, p. 479), et quoique elle ne fût point confiée aux Filles de la Charité, Vincent s'entremet pour lui procurer une maîtresse.

Lui-même, à Paris, payait de sa personne. Dès les premiers jours de janvier 1639, il faisait présenter requête au chantre de Notre-Dame, afin d'être autorisé à établir deux écoles de charité, où il voulait faire instruire quelques pauvres enfants, de l'un et de l'autre sexe, de la paroisse de Saint-Laurent, par un maître et une maîtresse, qu'il stipendierait à ses dépens [Note : C. JOLY, Traité historique des écoles épiscopales et ecclésiastiques (Paris, 1708), p. 397].

Pendant ce temps, les Charités s'étaient répandues dans les diverses paroisses de Paris, et dans neuf d'entre elles « et autres », nous apprend Vincent, deux ou trois filles de la Charité travaillent tous les jours à l'assistance des malades et même quelquefois à l'instruction des pauvres filles, quand elles le peuvent (Lettres de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. II, p. 549). Il citait encore à la même époque l'hôpital d'Angers, Saint-Germain-en-Laye, Sedan, Saint-Denis (en France), et d'autres lieux de la campagne, où elles font à peu près les mêmes exercices pour ce qui regarde « le traitement des malades, la guérison des plaies et l'instruction des pauvres filles » (Lettres de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. II, p. 550). Bientôt après, Fontainebleau voyait (1646) les sœurs de Charité joindre l'enseignement des filles au soin des malades (ABELLY, La vie de saint Vincent de Paul, t. I, p. 181). Fontenay avait son école de filles tenue par les mêmes sœurs (Lettres de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. III, p. 358), et celle de Saint-Fargeau attirait « beaucoup d'écoliers » (Lettres de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. VII, p. 50). Vincent, qui s'en réjouissait, put même voir, cinq ans avant sa mort, les Filles de Charité commencer par ouvrir une école à Varsovie et y obtenir un succès remarqué (Lettres de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. V, pp. 376, 389).

Ces écoles, auxquelles Vincent se vouait lui et ses Filles, rentraient dans la catégorie des écoles de Charité. Sous ce nom étaient désignées des écoles gratuites, spécialement affectées pour les enfants de la classe indigente ; elles constituaient une des formes de l'assistance soucieuse d'instruire les enfants, comme d'autres de les alimenter ou de les revêtir. A ce titre, elles attirèrent seules les encouragements et les générosités de son infatigable charité. Quand il fonda les deux écoles de Saint-Laurent, il spécifia qu'il les destinait à quelques « pauvres enfants », et il présenta une liste de ces enfants pauvres, signée de sa main et certifiée par M. Lestocq, curé de la paroisse (C. JOLY, Traité hist. des écoles épiscopales, p. 397). Il ne perdait aucune occasion de leur rappeler que leurs soins n'étaient destinés qu'aux pauvres. « Votre Compagnie a encore pour fin d'instruire les enfants dans les écoles, et vous avez cela de commun avec les Ursulines. Mais parce que ce sont de grandes et riches maisons, les pauvres n'y peuvent aller et ont recours à vous » (Entretiens, éd. COSTE, I. IX, p. 593). Il ne se contenta pas de conseils et d'exhortations à ce sujet ; il inscrivit dans le règlement particulier des maîtresses d'écoles (Voir plus bas pour ce règlement) l'obligation pour les soeurs de Charité de se réserver aux pauvres : « Elle saura... que toutes sortes de filles ne doivent pas être reçues en son école, mais seulement celles qui sont pauvres (art. 27) ». Dans le cas où il n'y aurait point de maîtresse pour les filles riches et que les parents lui fassent grande instance de les admettre, elle pourra les recevoir sur l'avis du curé, « mais à condition qu'elle fera en sorte que les pauvres parents soient toujours préférés aux riches et que celles-ci ne méprisent pas les autres ». Voilà pour les écolières pauvres des maîtresses, selon le cœur de Vincent de Paul, un traitement tout autre à espérer que celui qu'elles recevaient dans les écoles de Paris quand elles y étaient admises. A en croire les plaintes des curés, les maîtres et maîtresses de ces dernières écoles cherchaient d'abord à se débarrasser d'eux ou les négligeaient, et les parents riches voyaient avec peine mêler « les pauvres gueux garçons et filles avec leurs enfants, lesquels avaient à mépris et leur saleté et leurs haillons » (C. JOLY, Traité... des écoles épiscopales, p. 419).

Les écoles qui nous ont occupés jusqu'ici sont uniquement des écoles de filles. Si Vincent paraît ne songer qu'à elles, ce n'est pas qu'il ne portât un égal intérêt à tous les enfants des pauvres, sans distinction de sexe. Mais l'enseignement des filles était à peu près dans un complet abandon depuis des siècles, et après l'institution des sœurs de Charité il se trouvait en état d'en atténuer un peu le triste état. Jusqu'alors, faute de maîtresses et d'écoles particulières, on se contentait d'envoyer les filles aux écoles de garçons. A mesure que les idées de réforme catholique gagnent du terrain dans le monde ecclésiastique, les écoles mixtes soulèvent contre elle l'opinion. Après les conciles de Bourges (1584), d'Aix (1585), de Cambrai (1631), l'archevêque de Paris et Louis XIII proscrivirent (1640) les écoles mixtes, et la fondation d'écoles de filles pour les éloigner des écoles de garçons devint une œuvre de piété[Note : FOSSEYEUX, Les écoles de charité à Paris (Paris, 1912), p. 30].

Mais de nouvelles difficultés surgirent par le fait de l'opposition soulevée par les maîtres des écoles existantes que la création d'une école rivale « empêchait, disaient-ils, de gagner leur vie ». Quand Mlle Le Gras fonda sa première école à La Chapelle, elle prit la précaution, d'offrir au maître de l'école mixte de ce village « une somme d'argent en dédommagement : elle ne voulait pas qu'on pût lui dire qu'elle eût nui à quelqu'un en amenant ses filles à La Chapelle » (E. de BROGLIE, Louise de Marillac, p. 108).

Toutes ces difficultés n'arrêtèrent pas Vincent de Paul, et il fit porter tous ces efforts sur l'enseignement des filles. A tout prix, il entendait mettre fin au mélange des garçons et des filles dans les écoles, et il se montra plus pressé de fonder des écoles pour des filles là où il en existait pour garçons et filles que là où il en n'existait pour personne (Lettres de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. I, p. 479).

Dans sa correspondance avec Mlle Le Gras ou dans ses entretiens avec sa communauté, il n'entend préparer que des maîtresses pour des écoles pour les filles. Il spécifie bien, dans ses règles générales pour les sœurs de Charité, qu'elles ont pour objet « l'instruction des pauvres filles », et dans son règlement pour les maîtresses d'école (art. 26), il revient avec plus de précision et d'insistance pour les maîtresses d'écoles de sa Compagnie : « Elle se souviendra que les écoles des Filles de la Charité ne sont que pour les filles et, partant, qu'il n'y faut admettre aucun garçon, ni grand, ni petit ».

Cette préférence exclusive attachée à l'instruction des filles eut une conséquence facile à prévoir. Dans beaucoup de lieux, « dans la plupart des lieux, disait Mlle Le Gras, il n'y avait pas de maîtres, et maintenant les garçons ne recevaient plus autant d'instruction que les filles ». Les parents vinrent supplier les Filles de la Charité de recevoir leurs garçons comme leurs filles. Mlle Le Gras, touchée de leurs demandes, s'enhardit à consulter son directeur et, dans le conseil du 30 octobre 1647, elle demanda s'il était expédient « d'accéder aux demandes des parents », et, auquel cas, les sœurs prendraient « les garçons, jusqu'à quel âge elles les garderaient ». Elle ne manqua pas de plaider en faveur de la modification sollicitée dans la pratique suivie. Vincent fut inflexible ; il était d'avis que l'on s'en tiendrait aux ordonnances du roi et de l'archevêque qui défendaient le mélange des enfants des deux sexes, en raison des inconvénients qui en résulteraient au point de vue moral (Entretiens, éd. COSTE, t. XIII, p. 646).

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IV. — Est-ce à dire que Vincent vît d'un œil indifférent les garçons croupir dans l'ignorance ? Non. Mais il n'avait pas de moyen d'y remédier. Les sœurs de Charité étaient réservées aux filles, et les Lazaristes voués aux Missions et aux Séminaires par leur institution ne pouvaient songer à assumer l'enseignement primaire des garçons. Leur fondateur les y intéressa, du moins autant qu'il pouvait. Dans le règlement qu'il leur traça pour les missions, il leur recommanda de « voir les maîtres et les maîtresses d'école », de leur donner « les instructions et les avis nécessaires pour s'acquitter dignement de leurs charges » (ABELLY, La vie de saint Vincent de Paul, t. II, p. 22).

Par eux, il eut bientôt la joie de ménager de nouvelles recrues pour l'enseignement des garçons. Dans les séminaires fondés par lui avec les évêques, se répandirent si bien ses vues et ses désirs sur cet enseignement que les aspirants aux ordres puisèrent auprès d'eux son zèle pour ce « bon œuvre et utile ». Comme en fait la remarque Abelly, « quelques-uns ayant connu l'importance des petites écoles se sont mis, tout riches qu'ils étaient, à les faire eux-mêmes par pure charité, avec grande bénédiction et édification des villes qui les ont admirés dans cet exercice » (ABELLY, ouvr. cité, t. II, p. 388). Le nombre de ces ecclésiastiques disposés à se vouer à l'enseignement des garçons fut assez considérable pour que Vincent, à la prière de l'archevêque de Narbonne et de « quelques autres », décidât de charger un de ses Missionnaires de les instruire de ce « qu'ils avaient à faire pour bien faire et enseigner les petites écoles ». Il jeta les yeux sur M. Langlois, et le pria « de prendre soin de ces personnes-là ». Celui-ci s'étant récusé, sous prétexte que Messieurs de Saint-Nicolas du Chardonnet feraient mieux cela que la Compagnie, à cause qu'ils tiennent les petites écoles et savent par conséquent bien mieux les qualités qui sont requises à un maître d'école, Vincent insista, en laissant à Langlois toute facilité « de s'informer de quelques-uns de ces messieurs de Saint-Nicolas des choses qu'ils ont coutume d'observer en semblables rencontres et de ce que doit faire un maître d'école pour se bien acquitter de cet office ». Langlois se soumit et entendit le saint lui recommander « d'encourager » les retraitants « à se donner à Dieu en cet emploi » (Entretiens, éd. COSTE, t. XII, p. 165).

A l'occasion il permettait d'appliquer, dans certains cas particuliers, les frères coadjuteurs « à l'instruction des écoliers plus avancés » (Lettres de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. VI, p. 133) ou même prenait part à la fondation d'écoles pour garçons, comme nous l'avons vu pour Saint-Laurent. A Sedan, ses missionnaires, ayant été chargés de la cure, eurent à ce titre à s'occuper des écoles. Vincent voulut être informé de leur état ; il témoigna la satisfaction du bien qui lui en fut rapporté. Il encouragea les missionnaires à installer les écoles en des locaux meilleurs ; il se mit en peine de leur chercher un maître, et il recommanda au supérieur de faire la visite de sa classe, sans se laisser détourner « par répugnance du régent, ni pour la crainte que les écoliers l'en estiment moins » (Lettres de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. VII, p. 427). Pour acheter des livres « à l'usage des enfants qui viennent à l'école » (Lettres de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. V, pp. 206, 210, 234 ; t. VII, p. 426), il prend même sur lui d'autoriser ses confrères à employer, pendant trois ou quatre mois de l'année, un ou deux écus par mois, que les dames lui envoyaient pour les pauvres. Il espérait bien qu'elles agréeraient « cette petite dépense, puisque ces enfants sont en effet pauvres et ne pouvaient étudier sans cela » (Lettres, t. V, p. 591).

***

V. — Mais Vincent n'entend pas pour autant encourager les enfants à s'adonner à l'étude du latin, assez répandue alors dans les écoles des villes dépourvues de collèges. Il estime, très judicieusement, « qu'il sert de peu à la jeunesse de commencer l'étude du latin quand elle n'a pas le moyen d'y faire quelque progrès » faute de ressources dans la famille. Il admettait cette étude seulement pour « quelque bon esprit qui, se faisant reconnaître pour tel par son avancement, donne sujet à quelque personne charitable de l'aider à se pousser » (Lettres, t. V, p. 591).

Pour le grand nombre des écoliers, et à Sedan en particulier, il valait mieux, écrivait-il, « de leur apprendre de bonne heure un métier et porter les parents à les mettre en apprentissage ». Cette préoccupation de faire de l'école pour les garçons un acheminement vers l'apprentissage d'un métier n'était pas particulière à Vincent de Paul, mais il l'étendait aux jeunes filles. Il cite avec éloge l'exemple des dames de Reims, qui avaient mis « six vingt (enfants pauvres) en métier, sans parler des filles, dont elles ont ausi placé plusieurs » (Lettres, t. V, p. 591). Lui-même semble souhaiter que les sœurs de Charité fussent dressées à des travaux de tapisserie, sans doute pour qu'elles fussent en état d'y former leurs élèves [Note : Lettres de saint Vincent de Paul, T. II, p. 164. Il engage Mlle Legras à profiter du voisinage d'une ancienne élève des Ursulines « qui enseignent, et excellemment, à travailler en tapisserie » pour « enseigner (les filles de La Chapelle) à faire les écoles »]. D'autre part, Mlle Le Gras recommande à telle de ses sœurs « d'apprendre à faire des bas d'étame » [Note : V. BAUNARD, Louise de Marillac (Paris, 1890), p. 491]. Comme toutes ces sœurs avaient été formées dans la maison même de leur fondatrice, ou plutôt la maison-mère de la Compagnie, qui était pour toutes à la fois une école d'infirmières pour les hôpitaux et une école normale (Lettres, éd. COSTE, t. I, p. 436 ; t. II, pp. 550, 552) pour maîtresses d'école de filles pauvres, tout ce qui se pratiquait dans cette maison avait été sinon inspiré, du moins autorisé par le directeur et fondateur de la Compagnie.

En dehors d'une initiation à quelques travaux manuels, le programme des écoles de charité était des plus restreint. La place prépondérante est donnée à l'enseignement religieux et moral ; l'enseignement intellectuel était réduit aux élément les plus élémentaires. Comme le portait un règlement donné à plusieurs écoles fondées par des Confréries de charité, on « avait pensé que le moyen le plus infaillible pour aider les petits enfants à aller à N.-S. était d'instituer les écoles de charité », et il n'était demandé aux maîtres et maîtresses que d'avoir « capacité pour enseigner aux pauvres enfants de la paroisse, à bien prier Dieu, le catéchisme, à lire et à écrire » (C. JOLY, Traité... des écoles épiscopales, p. 412). Vincent de Paul n'en exigeait pas davantage des Filles de la Charité. D'après sa requête, d'après les lettres d'approbation de leurs règles, elles étaient « employées à l'instruction des filles, leur montrant à prier Dieu, à lire, à écrire ». Dans l'intimité de ses entretiens avec elles, il ne leur tient pas un autre langage : « Votre règle vous ordonne, mes Filles, d'apprendre à lire et écrire, aux heures destinées pour cela. Je souhaiterais, mes sœurs, que vous eussiez toute cette connaissance, non pas pour être savantes..., mais afin qu'elle vous aidât à mieux servir Dieu. C'est que vous puissiez écrire vos recettes et dépenses, donner de vos nouvelles aux lieux éloignés, montrer aux pauvres petites filles de village » (Entretiens, éd. COSTE, t. IX, p. 219).

Un enseignement si peu chargé de matières ne demandait pas une pédagogie très compliquée. Saint Vincent la formula dans le règlement qu'il donna à ses Filles de Charité sans l'avoir rédigé dans les menus détails [Note : Ce règlement existait en réalité, il s'y réfère à plusieurs reprises (Entretiens, t. X, pp. 657, 691), mais il ne fut rédigé sous une forme définitive que sous le supériorat de M. Alméras (1660-1672). Il est inédit, dans les Archives centrales de la Congrégation : j'en dois communication à M. Coste, à qui les amis de saint Vincent ont tant d'obligations et j'en ai de toutes, particulières dont je suis heureux de le remercier publiquement]. Un des articles de ce règlement (article 15) dispensait son auteur d'entrer dans le détail des procédés techniques de l'instruction à distribuer. « La sœur ne suivra point son propre sentiment en la matière d'instruire la jeunesse, mais elle se conformera en celle que l'on garde en la maison de la supérieure ».

La plus grande partie des autres articles contiennent des conseils d'ordre religieux ou moral à l'adresse des maîtresses. Elles envisageront leurs fonctions du point de vue surnaturel ; elles travailleront à former dans les élèves « de bonnes habitudes, et les empêcher d'en contracter de mauvaises », leur « enseigner la dévotion, la modestie, l'obéissance, la pureté, etc. ». Elles auront « grand soin » de porter « les pauvres petites filles » à venir à l'école, « en les invitant avec douceur et affection, leur donnant à cet effet de petits livres, chapelets et images ». Elles tiendront la liste des écolières, marqueront les absentes, « pour les en avertir et au besoin donner quelque prix à celles qui sont assidues ». Elles « accommoderont l'école le plus proprement et dévotement qu'elles pourront ». Elles seront exactes à s'y rendre à l'heure précise. de la classe, qui d'ordinaire dure, le matin, de 8 heures 1/2 à 10 heures 1/2 ou 11 heures ; le soir, de 2 heures 1/2 à 5 heures ; elle s'ouvrira ou se terminera par la prière.

A la différence des Jansénistes [Note : Cf. COMPAYRÉ, Histoire critique des doctrines de l'éducation en France (Paris, 1881), t. I, p. 270], la pédagogie de Vincent de Paul ne supprime point de parti-pris l'émulation et le ressort de l'amour propre. Le règlement prévoit l'usage « de faire apprendre par cœur des sentences, pour les réciter avec certaines façons d'agrément », et il n'oblige pas à « négliger ces moyens-là autant qu'ils peuvent servir à encourager les écolières à bien apprendre, pourvu qu'on y apporte la modération et la discrétion requise (art. 8) ». Des éloges publics, ou même des prix seront décernés aux écolières « qui feront le mieux, non seulement pour la leçon, mais encore pour le catéchisme et pour la vertu ».

Pour moyens de corrections, dont la pédagogie du temps était prodigue, Vincent montra une modération réelle. Un usage assez bizarre s'était répandu en certains villages de Normandie : quand les petits garçons commettaient quelque faute, les régents les envoyaient à l'école des Filles de Charité pour être fouettés par elles. Rien n'était plus contraire à l'esprit de Vincent ; dès qu'il la connut, il réprouva cette pratique comme doublement inconvenante (Lettres de saint Vincent de Paul, éd. COSTE, t. IV, p. 469). Pour lui, le fouet ne pouvait être appliqué que « fort rarement, pour des fautes notables, et seulement cinq à six coups, en un coin de l'école, hors la vue des autres ». Les châtiments dont on « pourra user ordinairement » sont moins pénibles (faire tenir à genoux pendant un Miserere) ; « on évitera de frapper les enfants au visage, ni à la tête, ni ailleurs, soit avec des verges, ni avec les mains (art. 13) ».

Une certaine latitude était laissée pour l'application de quelques points. Aussi « les pauvres petites filles qui vont demander leur pain ou celles qui vont travailler pour gagner leur vie seront reçues quand elles viendront et seront dépêchées selon leur besoin ». Pour cette question des heures notamment le règlement prévoyait que « quelques points ne se pouvaient pratiquer dans les plus petits lieux ». Les sœurs de l'école ne feront pas de difficulté d'omettre ou de modérer ce qu'elles verront devant Dieu ne se pouvoir entièrement sans préjudices à une autre obligation plus étroite. Elles ne s'en fieront pas seulement à leurs vues personnelles ; elles en référeront et se soumettront aux lumières de la supérieure (art. 28).

Tout dans ce règlement était marqué au coin de l'esprit de Vincent, esprit de foi et de charité, aussi docile aux suggestions de la réalité qu'éloigné des chimères.

Quelle fut la valeur des écoles ouvertes ou conduites sous les auspices de Vincent de Paul ? Quels succès obtinrent-elles dans les classes populaires, auxquelles elles s'adressaient ? Si nous n'avons pas à notre disposition des moyens d'information précis, détaillés et étendus, les quelques renseignements généraux dont nous disposons leur sont favorables dans l'ensemble. On n'a pas oublié qu'au début de sa campagne en faveur des écoles, il constate que quelques-unes de ses Filles « font merveille dans l'enseignement », dans tel endroit que leurs écoles sont remplies, ailleurs que celles de Varsovie ont plein succès, et il signale dans tel éloge funèbre de telle autre sœur ; « le respect qu'elle portait envers les petits enfants » (Entretiens, éd. COSTE, I. IX, p. 538).

A lire sa correspondance et ses entretiens avec les Filles de la Charité, on ne trouve pas chez lui l'admiration et le contentement sans réserve d'un ouvrier pour son ouvrage. De quelque ménagement que sa charité s'ingénie à les envelopper, il sait faire entendre les critiques ou les regrets qu'appellent quelques insuffisances ou quelques défectuosités des « servantes des pauvres » ; cependant, il ne relève jamais rien dans leur conduite comme maîtresses d'écoles.

A ce silence significatif répond la satisfaction ordinairement exprimée par Mlle Le Gras sur l'enseignement de ses Filles. Nous l'avons déjà entendue se faire l'écho des parents qui voudraient leur confier aussi leurs garçons. Dans un autre entretien, elle fait ressortir « l'utilité que les Filles de la Charité apportaient faisant l'école aux pauvres petites filles ». L'humble Vincent n'ose pas protester contre des faits aussi patents. Mais il en prend occasion de les prémunir, dans l'intérêt de leur humilité, contre « l'estime et les louanges » qui leur revenaient sans doute de ce chef (Entretiens, éd. COSTE, t. XIII).

Des suffrages non moins flatteurs et tout aussi irrécusables, ce sont ceux du clergé et de la population de Paris. Quand (1646) Vincent présenta sa requête à fin d'approbation, il lui fallut bien déclarer que, dans neuf paroisses qu'il nomme « et autres », sans compter « d'autres lieux », les- Filles de la Charité « font... l'instruction des pauvres filles ». Ce succès ne fit que s'accroître jusqu'à la mort de Vincent. Il eut alors la joie de voir leur Compagnie répandue « non seulement en vingt-cinq ou trente endroits de Paris, mais encore en plus de trente autres villes, bourgs et villages de diverses provinces de la France » (ABELLY, La vie de saint Vincent de Paul, t. I, p. 170).

Peu à peu, à Paris qui nous est mieux connu, les sœurs de la Charité « essaimèrent dans la plupart des paroisses », et elles contribuèrent pour une bonne part aux succès des écoles de charité. Succès si constant et si considérable, qu'à la fin du siècle « il n'y avait (C. JOLY, Traité... des écoles épiscopales, p. 420) quasi plus d'enfants dans les écoles des maîtres et des maîtresses des quartiers », et il suffisait qu'une école de charité pour les filles fût ouverte à Saint-Jean-de-Grève pour qu'elle fît le vide dans les écoles voisines de Saint-Germain, de Saint-Merry, de Saint-Jacques de la Boucherie et de Saint-Paul (C. JOLY, ouvr. cité, p. 426). L'auteur qui fait cette constatation avec un dépit mal dissimulé, fait un second grief à ces écoles de charité de ne présenter ni « saleté, ni haillons de pauvres gueux » (C. JOLY, ouvr. cité, p. 426). Ce double succès remporté par ses écoles sur l'ignorance et la misère n'était pas fait pour contrarier Vincent de Paul, comme Claude Joly « chantre et chanoine de l'église métropolitaine de Paris, juge et directeur des écoles de grammaire aux petites écoles de la Ville » [Note : Joly prend tous ses titres au frontispice de son livre qu'il écrit pour défendre ses prétendus droits contre les écoles de grammaire ou autres auxquelles il ne pardonnait pas de se fonder et conduire en dehors de son agrément et de sa juridiction].

***

V. — Quand nous aurions relevé avec plus de précision et en toute rigueur la part qui revient aux Filles de la Charité dans ce succès des écoles de pauvres, nous n'aurions pas dit tous les services rendus par Vincent de Paul à l'éducation populaire. Son action dans cette voie ne s'est pas bornée à provoquer des créations d'écoles qu'il allait doter d'un personnel enseignant. D'autres écoles, pour ne pas se réclamer directement de son nom, n'en doivent pas moins leur naissance à son influence bienfaisante. Tel de ses premiers disciples, Louis Callon, docteur de Sorbonne, excité par l'exemple du maître, établit (1637) avec son patrimoine deux maîtresses d'école dans la ville d'Aumale, où il avait été autrefois curé [Note : A. FEILLET, La misère au temps de la Fronde (Paris, 1866), p. 563]. Il en fut de même dans toute cette contrée, nous dit le même historien dont nous nous inspirons, à Londinières, à Neufchâtel, à Vernon, etc. Probablement à ce même mouvement charitable, dirons-nous après lui, il faut rattacher une école fondée à Metz pour les filles pauvres par Louise de Melval, dame de Neuville [Note : A. FEILLET, La misère au temps de la Fronde (Paris, 1866), p. 563], qu'elle dirigea elle-même et dont le maréchal Fabert, en étroites relations avec Vincent de Paul, se fit le protecteur. De ce mouvement encore dérive sûrement l'école que Gabrielle Dauson, trésorière de la Charité de la paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, fonda (1658) pour les pauvres filles de cette paroisse, avec prière de vouloir prendre, si faire se peut, « une fille de la communauté des sœurs de la Charité établie par Mlle Le Gras » (JOLY, Traité... des écoles épiscopales, p. 402).

Il y a ici évidemment une école éclose dans l'atmosphère d'une de ces Charités dont la fondation fut le signal d'une extension remarquable des écoles ; elles en faisaient un point de leur programme au même titre que « le bouillon des malades, la layette des enfants et la visite des hôpitaux » (Fosseyeux, Les écoles de charité à Paris, p. 27). Il n'est pas douteux, dit l'historien de ces petites écoles à Paris, qu'elles avaient reçu leur impulsion, comme beaucoup d'autres œuvres, du grand mouvement de charité suscité dans la capitale par Vincent de Paul et ses disciples. Il a tracé lui-même des règlements modèles, qui furent copiés ou imités dans la plupart des paroisses (Fosseyeux, Les écoles de charité à Paris, p. 27).

Après avoir ouvert les écoles, il importait de les remplir d'élèves. A cette fin s'employèrent aussi les Compagnies de charité paroissiales. Dans leurs règlements, telles d'entre elles recommande de procurer « que les enfants des pauvres. soient instruits dans les écoles de charité de la paroisse ou autrement » ; d'autres veulent qu'en distribuant des secours, on s'informe « si les enfants savent lire et écrire, ou si on a soin de les envoyer au catéchisme et à l'école » (CAHEN, Les idées charitables à Paris, dans Revue d'hist. mod., t. II, pp 10 et suiv.). Quelle recommandation pour les écoles pouvait être plus efficace que celle des porteurs des aumônes ?

Après l'influence de Vincent de Paul, celle de la Compagnie du Saint-Sacrement, la fameuse Cabale des dévots, a été signalée comme des plus agissantes pour la multiplication des écoles de Charité. Mais les historiens de Vincent de Paul sont plus autorisés à revendiquer une grande part dans le bien qu'elle a fait que les historiens de cette Compagnie ne sauraient diminuer en sa faveur le mérite du saint dans la plupart de ses bonnes œuvres [Note : P. COSTE, Saint Vincent de Paul et la Compagnie du Saint-Sacrement, dans Bull. de littérature ecclésiastique, 1917, pp. 353 et suiv. ; ALLIER, La Cabale des dévots (Paris, 1902), pp. 51-67, 164-173, etc.]. Pour les écoles notamment, celui-ci s'en est occupé avant de faire partie de la Compagnie, et quand celle-ci s'y intéressa, comme quand elle établit (1656) en la paroisse de Saint-Paul « une école pour les pauvres garçons et une pour les pauvres filles, chacune de cent enfants » (FOSSEYEUX, Les écoles de charité à Paris, p. 30), Vincent faisait entendre chez elle une des voix les plus écoutées en général, et plus particulièrement compétente en ces questions d'enseignement.

Ces diverses influences ne se font sentir qu'à Paris, mais celle de Vincent s'exerce jusqu'en province par ses séminaires où se recrutent, nous l'avons vu, les fondateurs et maîtres de plusieurs écoles. Qui nous dira le nombre de ces écoles qu'Abelly compte parmi les meilleurs fruits de l'institution des séminaires ?

En province comme à Paris, rivalisent avec les sœurs de charité quelques autres ordres religieux de femmes. Entre autres, se distinguèrent les Filles de la Croix, qui s'étaient vouées à l'instruction « des petites filles des villes, bourgs et villages », où les « religieuses Ursulines ou autres qui font profession d'y vaquer ne pouvaient s'établir en ces petits lieux ». En même temps, elles firent (1641) de leur maison-mère une école normale, où des filles et des veuves se formaient à l'accomplissement de la même mission. Elles avaient eu pour fondatrice Marie Lhuillier, dame de Villeneuve ; mais cette pieuse femme avait puisé l'idée de cette vocation dans l'entourage de saint Vincent, aux côtés de Mlle Le Gras et de Mme Lamoignon, dont elle partageait les œuvres charitables. Vincent ne se contenta pas de la diriger et soutenir dans des difficultés et des épreuves peu communes ; après sa mort, il préserva si bien sa communauté de la dispersion et d'une ruine imminente, que ses religieuses le regardent sinon comme leur fondateur, du moins comme le sauveur de leur Congrégation [Note : ABELLY, La vie de saint Vincent de Paul, t. I, pp. 262 et suiv. ; — MAYNARD, Saint Vincent de Paul (Paris, 1860), t. III, pp. 472. et suiv. ; — ALLAIN, L'instruction primaire en France avant la Révolution (Paris, 1881), p. 279].

Comme les Filles de la Croix, les Miramionnes donnaient aussi l'instruction aux petites filles et par surcroît formaient des maîtresses d'écoles pour les campagnes. Elles provenaient de la fusion des Filles de Sainte-Geneviève fondées par Françoise de Blosset avec la Sainte-Famille instituée par Mme de Miramion. A Paris; elles recevaient « tous les jours plus de trois cents enfants, et dans divers lieux elles comptèrent jusqu'à cent maisons ». Les deux fondatrices furent tributaires de Vincent de Paul. Mlle de Blosset ne voulut pas procéder définitivement à sa fondation sans consulter notre saint, et celui-ci l'encouragea dans ses projets. Mme de Miramion une fois veuve, s'était consacrée à son œuvre après une retraite faite chez Mlle Le Gras, et elle devint l'une des dames de charité les plus assidues aux assemblées réunies par Vincent de Paul pour l'œuvre des Enfants trouvés [Note : P. COSTE, Saint Vincent de Paul et les Dames de la Charité, pp. 86 et suiv. ; — ALLAIN, L'instruction primaire en France..., p. 280].

Quant Vincent de Paul mourut (1660), ces œuvres et les autres créées ou encouragées par lui en faveur de l'éducation populaire n'avaient pas atteint leur plein développement ; elles ne donneront qu'au XVIIIème siècle tous les fruits qu'elles portaient en germe. Mais déjà les divers services rendus aux Petites Ecoles, par le fondateur des sœurs de Charité suffiraient à lui mériter d'être considéré comme un des plus grands bienfaiteurs de l'enseignement populaire. Mais, après le titre d'apôtre de la charité qui lui a été décerné par l'Eglise comme par le monde, tout autre titre serait superflu pour caractériser son œuvre quand il n'impliquerait pas un rétrécissement de la conception que Vincent de Paul se faisait de la charité chrétienne. Telle qu'il l'a comprise, elle ne consistait pas seulement à donner du pain aux pauvres, mais à élever leur âme et à éclairer leur esprit. Rien ne saurait mieux que l'exemple de saint Vincent de Paul donner une idée plus haute et plus compréhensive de la charité et de l'enseignement.

Antoine DEGERT (Doyen de la Faculté libre des Lettres de Toulouse).

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