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PSALLETTE DE SAINT-BRIEUC |
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L'ancienne Psallette de la cathédrale de Saint-Brieuc
(1420-1791)
Notre Conservatoire de musique fut fondé, à Paris, en 1795. Au cours du XIXème siècle, lui furent rattachées 8 succursales disséminées dans la France entière ; Strasbourg, depuis la fin de la guerre, est venu augmenter ce nombre d’une unité.
La ville de Saint-Brieuc, assez éloignée de Rennes, officiellement centre artistique de la région, a voulu récemment avoir une école où la musique, sous différents aspects, serait enseignée gratuitement aux enfants du peuple. Nous avons tous applaudi à cette création qui, en peu de temps, a donné d’excellents résultats, grâce à une direction aussi dévouée qu’éclairée. Faut-il ajouter, avec Habasque, que la Société philharmonique, qui a repris une nouvelle vigueur, avait déjà, en 1823, plusieurs années d’existence ? Cependant, il sera toujours vrai de dire que l’histoire est un recommencement et que le nouveau n’est souvent que de l’ancien transformé, perfectionné aussi, peut-être.
Et en effet, ce n’est pas uniquement depuis 1795 que l’on étudie la musique chez nous. Avant cette date, la France possédait 400 maîtrises et choeurs de musique, et autant de maîtres de Chapelle, entretenus par les Chapitres des Cathédrales et des Collégiales. Chacun de ces groupements comprenait, en moyenne, de 25 à 30 personnes, et le nombre de musiciens répandus dans tout le pays s’élevait au total respectable de 10.000 artistes. Ces chiffres ne sont pas fantaisistes : ils sont en effet empruntés à un rapport documenté, établi en 1807, par le Ministre de l'Instruction publique, M. Portalis, qui voulait prouver à l'Empereur la nécessité de rétablir les maîtrises anéanties quelques années auparavant.
Dans ces écoles qui portaient le nom de psallettes ou de maîtrises, plusieurs milliers d’enfants s’initiaient au chant et au jeu des instruments, en même temps qu’ils y recevaient une instruction solide. De ces écoles sont sortis, nombreux, des hommes qui ont illustré l'Eglise dans tous les siècles ; mais c’est là surtout, puisque tel était leur but, que se trouvaient, sérieusement préparés à leurs fonctions spéciales, les chantres, les organistes, les maîtres de Chapelle et, ajoutons-le, c’est là que, à défaut de Conservatoire, le monde allait chercher ses chanteurs les plus applaudis, ses compositeurs les plus renommés.
Dans chaque Cathédrale, l’office en entier, se célèbre, se chante, chaque jour, avec la pompe extérieure réclamée par la solennité de la fête. Le cycle liturgique se déroule, sans doute, annuellement, dans un cadre sensiblement uniforme ; toutefois, le chant, qui fait partie intégrante du culte, exige des interprètes compétents. Et cette habileté dans l’art d’exécuter la musique moderne et ancienne, voire même le "plain-chant" si méprisé à une certaine époque, ne s’obtient que par l'étude ; un apprentissage sérieux doit commencer de bonne heure et se poursuivre plusieurs années, si l’on veut, obtenir la maîtrise de cet art. Et c’est à dessein que j’emploie ici ces termes ; ces professionnels du chant d’église, tout comme ceux des autres corps de métier, formaient, en effet, une véritable corporation essentiellement constituée par 3 échelons de diverses hauteurs : les apprentis, les compagnons, les maîtres. Saint-Brieuc, siège épiscopal, devait donc avoir à sa Cathédrale, sa corporation musicale.
En feuilletant un jour les registres de la Fabrique, ouverts le 11 messidor, an XII (1er juillet 1804), j’y trouvai ce renseignement : A la séance du 26 octobre 1823, tenue dans l’une des salles du Palais épiscopal, Mgr M. Le Groing de la Romagère, soucieux d’embellir les cérémonies dans sa Cathédrale, gémissait sur l’insuffisance des fonds accordés encore, à cette date, par le Gouvernement. « Autrefois, ajoutait-il péniblement, il y avait une maîtrise ; mais elle possédait les revenus d’un canonicat pour tenir en ordre ce qui concernait les enfants de choeur ».
Qu’était donc « autrefois » cette maîtrise, qu’un humble groupe composé de un organiste, un maître de chant et deux chantres, remplaça lors de la restauration du culte ? Etait-il possible de le savoir ?
Dans un ouvrage « Les Evêchés de Bretagne », Geslin de Bourgogne parle, assez discrètement, du chœur de notre église cathédrale. Le voile qui recouvrait ce passé, déjà lointain, pouvait sans doute être un peu soulevé aux archives départementales des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor). J’y pénétrai en profane intimidé. L’accueil bienveillant des archivistes, mieux encore leur complaisance à déchiffrer, pour moi, quelques parchemins aux caractères plus bizarres que l’écriture musicale, m’ont permis de me documenter d’une façon assez nette. Le président de la Société d'Emulation a été bien téméraire de vouloir pour un jour transformer un musicien en historien. Malgré tout, sûr de l’indulgence que l’on accorde toujours à un débutant, j’essaierai, ce soir, d’exécuter un solo d’un genre tout particulier.
Quand la psallette de Saint-Brieuc fut-elle fondée et qui en est le fondateur ?
Un chanoine, M. Guillaume Allain de Beaulieu, qui, au début du XVIIIème siècle, établit très minutieusement les revenus du Chapitre, relevant même les titres assez anciens de fondations moins importantes, se contente de nous dire que « les enfants de choeur remplissaient les fonctions que, très anciennement les jeunes chanoines, clercs, novices, faisaient dans le choeur de leur église » on leur a accordé, dit-il, le revenu d’un prébende — ; puis il énumère « les revenus d’augmentation de ladite prébende ». De l’auteur de cette transformation importante, de la date de cette création, pas un mot. 200 ans après serons-nous mieux informés !
Le plus vieux document qui nettement parle de la psallette porte la date du 25 octobre 1453 (Note : In nomine Domini Amen Serie presenti publice instrumenti cunetis pateat evidenter et sit notum quod a nativitate ejusdem Domini millesimo quadringentesimo quinquagesimo tertio, inditione prima, die vero secunda mensis octobris... notarii publici testiumque infra scriptorum prœsentia in loco capitulari briocensis ecclesiœ personaliter constituti Reverendus in Christo Pater et D. Dominus Johannes, Dei et sanctœ Sedis Apostolicœ gratia briocensis episcopus necnon venerabiles magistri Johannes Conor, Henricus Cadoret, Yvo Annabuhon, Herveus Le Corre, Olivier Lyasvet, Salomon Kergoanach et Petrus Clerici, Yvo Thome, Mathurinus Millon, Donatianus Tigier et Johannes Damarenc, canonici Ecclesiœ memoratœ capitulantes .... post multos prolocutiones occasione protellationis seu dilationis, solutionis fructuum prebendœ psalletœ dictœ Ecclesiœ annexœ..... et aliarum novitatum hinc inde et asserebant factarum capitulo prœdicto pretendentibus regimen dictœ psalletoe eis pro media regimen parte et dicto Reverendo in Christo Patri sibi totaliter competere. Ad pacis concordiam...... omnia hinc inde reducantur et reintegrentur in eum statum in quo erant ante hujusmodi mnovata prius nota. Reverendus in Christo Pater et etiam canonici sibi fieri petierunt instrumentum sive instrumenta vel plura publicum vel publica. Acta fuerunt hoec in loco Capitulari dicte ecclesie briocensis de mane....). Il y est fait mention de l’administration des revenus de la psallette, d’une ingérence étrangère intervenue depuis la fondation. D’un accord commun, l’évêque et le Chapitre s’entendent pour revenir à l’exécution des dispositions antérieures, sans nul doute, celles qui avaient été décidées par le fondateur. Nous avons donc à diriger nos recherches vers les années qui, sensiblement, précèdent 1453, pour trouver une trace de la fondation.
Dans le catalogue des évêques, soit celui de Guimart, soit celui de Geslin de Bourgogne, un personnage peut, à cette époque, retenir, un instant, notre attention. C’est Guillaume Brillet. D’abord grand-chantre à Rennes, il devient évêque de Saint-Brieuc en 1424. 3 ans plus tard, il est transféré sur le siège de Rennes. Or, à Rennes, en 1443, d’après le pouillé dressé par Guillotin de Corson, cet évêque fonda une psallette composée d’un maître et de 6 enfants. Voyez-vous les probabilités qui prennent corps dans l’esprit ? Guillaume Brillet aurait-il créé le même groupe pendant son court passage à Saint-Brieuc ? Non : mais ici, comme nous le verrons bientôt, pendant ses 3 années d’épiscopat, il a pu apprécier, en homme de la partie, l’éclat qu’une psallette apporte aux cérémonies religieuses et il veut procurer le même lustre à son église de Rennes. La psallette de Rennes a été établie sur le modèle de notre psallette.
Engageons-nous sur une autre voie ; en voici le premier aiguillage.
Dans le Cérémonial de 1742 (Aux Archives de l'Evêché) établi pour l’église de Saint-Brieuc, un article expose cette coutume : Tous les jours « après la grand'messe et les vêpres, les enfants vont au tombeau qui est près de l’autel de Saint-Brieuc, pour y réciter alternativement le psaume De Profundis. Puis, l’aîné des enfants dit les versets et l'Oraison des défunts ».
Quel est le sens de celte cérémonie traditionnelle ? A Tréguier, nous ayons pu le savoir par les registres capitulaires, elle se fait aussi. Chaque jour, par reconnaissance, une prière se dit ainsi sur la tombe du fondateur de la psallette : Jean de Ploec. Le personnage enterré près de l’autel de Saint-Brieuc ne serait-il pas le bienfaiteur à qui les enfants font l’aumône d’une prière ?
Situons d’abord l’emplacement de l’autel Saint-Brieuc, à la Cathédrale. De tout temps, sa place a été dans la partie nord du transept. Cependant, nous allons le prouver, il n’était pas disposé, comme actuellement sous le vitrail.
Et qui nous dira le nom du chanoine ou de l’évêque enterré dans ce tombeau placé près de l’autel Saint-Brieuc ? Deux manuscrits d’époques différentes vont s’entendre pour nous donner une entière certitude à ce sujet.
L’un d’eux, portant la date de 1619, est cité par le Bulletin de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine, dans un travail sur les vitraux en Bretagne. Voici la partie du texte qui nous intéresse : « Alain de Léon embellit la cathédrale d’une labbe belle et bien élabourée, en laquelle, après sa mort, son corps fut mis, et sur icelle une belle grande vitre comprenant toute la haulteur et la largeur de la croisée, parsemée des armes de la maison de Léon et de celles de Rohan, en alliance ».
L’autre manuscrit qui appartient aux archives de l'Evêché, date de 1726. C’est une histoire abrégée des évêques de Saint-Brieuc écrite par un secrétaire de Mgr de la Vieuville. Nous allons y trouver une précision sur l’emplacement de cette labbe : « Alain, écrit l’auteur, aimait fort son église ; il fit avant de mourir construire cette grande vitre qui contient toute la largeur et la hauteur de l’église, vers la sacristie ».
De nos jours, ce tombeau que l’on signale sous la grande vitre est donc masqué par l’autel qui porte le nom d’autel des défunts, quoiqu’il soutienne, en souvenir du passé, les statues de Saint-Brieuc, autrefois seul titulaire, et aussi celle de Saint-Guillaume honoré dans la belle chapelle que Jean Prigent fit construire au XVème siècle.
Les Beaux-Arts n’autoriseraient certainement pas les travaux d’une vérification qui ne laisserait subsister aucun doute. Mais écoutons la déposition d’un témoin digne de foi. Dubuisson-Aubenay, de passage à Saint-Brieuc en l’an 1636, signale en détail ce qu’il a observé dans la Cathédrale. Le tome IX des Archives de Bretagne reproduit en entier cet Itinéraire extrêmement intéressant. Transcrivons ce passage : « Dans le bout boréal de la croisée qui a l’antique passe par dessus le choeur, il y a une labe de pierre grillée de fer, a statue gisante à l’épiscopale et sur la lame est escrit : Hic jacet Alanus leon. et brioc. episcopus successive, qui obiit IIII junii anno Domini MCCCC XXIIII. Oretis pro eo. Les armes sont en lyon. Les blasons sont au grand vitrail au dessus, de gueules au lyon rampant d’argent, coronné et lampassé d’or ».
Et voilà que tout récemment le Bulletin de la Société archéologique d’Ille-et-Vilaine (Tome XLVII) a publié les statuts synodaux dressés par Alain de Léon. M. Pocquet du Haut-Jussé, en tête de ce document qu’il a retrouvé dans les Archives du Vatican, brosse à larges traits la biographie de ce Prélat. Né au diocèse de Quimper, son nom était Alain de la Rue, mais il portera à Saint-Brieuc le nom de Alain de Léon, à cause de son passage sur le siège de Saint-Pol. En 1378, il est étudiant à Angers, en sa 3ème année de droit civil. En 1395, licencié en l’un et l’autre droit, il est délégué à Avignon, pour porter à Benoît XIII le rôle des candidats aux bénéfices vacants réservés aux suppôts de l’Université. 3 ans plus tard, en un seul jour, il est créé docteur en droit civil et le premier recteur de l'Université d’Angers. Il prend possession par procureur, en l’année 1402, d’un Canonicat à Quimper ; il semble cependant qu’il réside encore à Angers. Bientôt (1405), il est nommé conseiller du duc de Bretagne, puis, en 1411, évêque du Léon. Le pape Jean XXIII écrit même au duc Jean V, pour lui recommander le nouvel élu. Mais voici un fait qui a pour nous une grande importance, semble-t-il. Il assiste au Concile de Constance en 1414, et pendant son long séjour en cette ville, il fut en relation certaine avec Gerson. Pocquet du Haut-Jussé fait remarquer que les statuts synodaux d’Alain de Léon, et les traités du chancelier de l'Université de Paris, ont une grande similitude d’idées. Serait-il téméraire d’insinuer modestement que Gerson, rédacteur de règlements très précis pour la maîtrise de Notre-Dame de Paris, eut le temps de documenter l’évêque Alain sur l’établissement possible d’une institution qui n’existait pas encore à Saint-Pol : la psallette. De retour dans son pays. Alain n’eut sans doute pas le temps de réaliser son rêve avant d’être transféré sur le siège de Saint-Brieuc, en septembre 1419.
Toutefois, et ceci nous embarrasse un peu, comme il était, depuis 1418, référendaire de la Chancellerie pontificale, le nouvel évêque briochin ne dut quitter son poste que vers le mois d’avril 1420. Pourquoi donnons-nous ce détail qui paraît inutile ? C’est que, malgré l’absence de l’évêque, il semble que la psallette ait été sinon fondée, du moins décidée dans ce même mois d’avril 1420. Nous essaierons bientôt de le prouver.
Mais, sans en avoir des preuves indubitables, il n’est pas impossible que, de Rome, Alain de la Rue n’ait pu se mettre bientôt en relation avec sa nouvelle église, pour en connaître les besoins, les transformations à y faire, et obtenir du Pape les autorisations nécessaires. Le Chapitre, de son côté, désirait-il déjà, à cette époque, la création d’une psallette ? Jusqu’ici, aucune des pièces que nous avons eues sous les yeux, n’a pu nous éclairer. Seuls des documents postérieurs nous énumèrent les revenus de la psallette, une prébende complète, augmentée, au siècle suivant, d’une chapellenie fondée par l’évêque Christophe de Penmarch.
Et cependant, l’autorisation de Rome n’était-elle pas nécessaire pour permettre, en faveur de la psallette, l’affectation d’une prébende canoniale ? Cette autorisation est accordée, pour Tréguier, par une Bulle spéciale qui ratifie de plus la nouvelle destination donnée à une chapellenie déjà affectée à un autre usage.
Mais, on peut lire aux Archives une pièce assez vague de style, qui porte la date du « jeudy après la feste de Pasques » l’an 1419 (depuis la réforme du calendrier il faut dire 1420) ce qui la reporte environ 7 mois après la nomination d'Alain à Saint-Brieuc. Cette pièce rédigée en français n’est pas dressée par le Chapitre, lui même mais par la « court laic de Saint Brieuc endroit » [Note : « Sachent tous que en nostre court laic de Saint Brieu endroit fut présent et personalement establi Dom Pierre Pochar prestre au nom et comme procurour et recepvour du Chapitre de Saint-Brieuc qui soy submest lui touz ses biens et par son serment à la juridiction et destroit de nostre dite cour quant a tout le contenu en ces lettres lequel cognut et confessa par nostre dite cour avoir baillé et de fait bailla, livra et octroya en nom et par tiltre de rentes a james a heritage a mestre Jehan Belleue et a qui cause aura de luy scavoir est une place de meson, fonds, ediffices et appartenances que auttrefoiz soulet tenir Eon Cado sisse et estan en la ville de Saint Brieuc en la seignorie du dit chapitre en la rue de la Grenouillère jouxte la meson Guilled Mabille d’un costé et d’austre costé de la place de meson qui fut Robert de Latapie exct .... d’un chieff sur le courtil Guilled Mabille et d’autre chieff sur la dite rue, au dit mestre Jehan et a qui cause aura de luy a tenir p.... et s’en jouir a james a heritage ou temps avenir pour la somme de douze deniers de rente, rendre et payer au dit chapitre par chacun an.... et feste de saint Jehan-Baptiste. Ce fut fait le jeudy après la feste de Pacques l’an mil quatre centz deiz et neuf ». (Série G, évêché de Saint-Brieuc, la psallette)].
Cette particularité mérite, je crois, d’être signalée. Le document concerne cependant une maison donnée par le chapitre à « mestre Jehan Belleue », dans des termes non ordinaires du style ecclésiastique, laissant soupçonner, en renforçant le détail précédent, qu’il ne s’agit pas ici d’une maison prébendale donnée, à vie, à un chanoine. Mais cet immeuble est donnée « en nom et par tiltre de rente a jamais a héritage » à « mestre Jehan Belleue et a qui cause aura de luy ».
Son emplacement est indiqué : la rue de la Grenouillère (aujourd’hui sûrement la rue de la Poissonnerie) ; les propriétaires voisins sont nommés. Or nous retrouverons les mêmes noms au XVIIIème siècle, dans le Pouillé de Guillaume Allain.
Nous allons bientôt prouver que, 150 ans après la psallette est dans le même quartier ; mais comme nous devons amener le plus de clarté possible dans cette question qui à d’autres peut paraître futile et qui pour nous a un charme particulier, faisons remarquer quelques détails qui sont propres à raffermir nos convictions.
Une similitude de nom est facile à observer entre ce nouveau propriétaire, Jehan Belleue et le co-fondateur de la sous-chantrerie, en 1430, qui est appelé Johannes de Pulchra Aqua, le transcripteur traduit Jehan de Belleue ou de Belleaue. Il n’y a que 10 ans entre ces deux événements.
De plus, sans vouloir forcer la note et imposer une preuve de plus à ce que nous avançons, comment ce document de 1419, qui est d’ailleurs au dossier de la psallette, a-t-il pu échapper à l’incendie générale des Archives du Chapitre, à la fin du XVIème siècle, sinon parce que les Actes qui concernaient la psallette étaient réunis, non dans la salle capitulaire, mais chez l’économe, dans la maison même des enfants de choeur dont il administrait les biens.
Il est donc légitime d’admettre que, cette première maison qui semble donnée en 1420 à un personnage officiel comme l’économe de la psallette, est la même que nous retrouvons signalée, 150 ans plus tard, dans ce même quartier, bordé actuellement par les rues de la Poissonnerie, des Halles et de Rohan. L’administrateur en 1578, dom Hervé Le Gal [Note : A Monseigneur, Monsieur levesque de Sainct Brieuc. Remonstre en supp... vostre subiet Dom Hervé Le Gal administrateur des biens et revenus de la sallepte de votre eglise cathedrale de Sainct Brieuc le grand nombre de personnes qu’il est contrainct entretenir en sa dicte charge savoir les seiz enffens ordinaires qu’il fault nourrir e entretenir de vivres et accoustrementz, ung maistre pour leur enseigner les lettres, ung aultre pour leur enseigner e monstrer lart de chanter e la musicque une vieille et anxienne femme pour leur accoustur a menger et fere leurs litz et puis son entretien a luy et que pour ce fere jouist seullement du revenu d’une prebande de la dicte Eglise et d’une chappellenie appellee la chappellenie de la Trenitte de peu de valleur et encores mal paie.... Aussi vous remonstre que en cette ville anxiennement les administrateurs de lad. sallepte avoint une maison et son jardrin sittues en la rue de la Grenouillère rue qui est en lieue fort detourne e ou il converse peu de gens et aussi loing de leglise, joignant a maison estable e jardrin de M. Francoys Potier e a jardrin de noble homme Mathurin Rouxel e sur la dicte rue en deux endroitz. En laquelle maison le dict administrateur les dicte enffens et leur Me. estoint e avoint acoustumez loger et que depuix quelque temps auparavant que votre d. supp... eust este par vous monseigneur mis e constitue en la dicte charge les d. maison e son depport sont tombez en ruyne la dicte maison tombée par terre et le tout en telle caducitte e ruyne que les d. choses sont demeurees inhabitables ... Cette lettre n’est pas datée mais la Commission nommée par l’Evêque pour expertiser la maison est désignée le « huictiesme d’apvril mil cinq centz soixante dix ouict » (Série G., la Psallette, 1758, article coté A. 497)], rend compte à l’évêque Nicolas Langelier que la maison de la psallette « scituée dans la rue de la Grenouillère », est tellement inhabitable qu’il a dû se réfugier, avec les enfants de choeur, dans une maison de la rue Saint-Pierre affectée au chapelain des Ardenets, dont il est titulaire depuis quelques années. Et pour reconstruire cette maison « en ruines », il faudrait dépenser, d’après une expertise détaillée tout au long de cet article, la somme de 3.100 livres. Or, avec ses revenus « de peu de valleur », l’économe s’avoue incapable de supporter ces grands frais.
Mais voici que se propose un arrangement. L’Hôtel de Rohan déchu de sa première grandeur est occupé alors par une auberge ou hôtel, au moins dans la partie qui avoisinait la rue Saint-Gilles (côté bout nord). Fortement resserré par le jardin de l’évêque, le propriétaire, Mathurin Rouxel, a dû placer ses écuries et remises de l’autre côté de la rue qui mène aux Cordeliers (actuellement rue de Rohan). Or le jardin de la psallette, dont la maison est en ruine, touche ces annexes.
Bonne affaire pour agrandir ses dépendances. Rouxel propose de faire un échange : il occuperait le jardin et en retour donnerait 3 parcelles de terre qu’il possède en Trégueux, toutes choses égales comme valeur. L’affaire est conclue et pour reconnaître l’origine de celte propriété M. Rouxel s’engage, lui et ses héritiers à verser à la psallette la somme de 20 sols de rente ancienne et foncière par chacun an et terme de saint Michel en septembre.
100 ans plus tard (1678) dans une reconnaissance de cette dette nous relevons l’emplacement exact de cet ancien jardin de la psallette « laisant le tiers d’un jardin appartenant au dict sieur de Kerfichart sciz en cette dicte ville, laquelle quantite et tiers donne et respond sur la ruelle de la Grenouillère de cette ville et joint d’autre part a maison et jardin dependante de la chapelainie des Arnots, dont est chapelain et possesseur missire Fulgence de la Tour, prestre chanoine de l’église collégiale de Saint-Guillaume ; d’autre endroit au chemin menant à la rue Jouallan et d’autre part au surplus du dict jardin du dict sieur de Kerfichart » (30 déc. 1678).
C’était donc, en 1578, l’abandon définitif de cette première maison de la psallette qui, pendant 150 ans avait vu passer plusieurs générations d’enfants de choeur. Dans son rapport, D. Hervé Le Gall semble peu regretter et l’immeuble qui est « inhabitable » et l’emplacement même qu’il dit être « dans un lieu fort détourné et loing de l’église ». En effet pour aller de très bonne heure à l’office, les enfants, après les orages assez fréquents qui grossissaient encore le réseau d'égoûts à ciel ouvert se rejoignant à la rue Saint-Gilles, devaient traverser ce marécage sur le pont de l'Ingoguet.
La chapellenie des Ardenets (N° 7 de la rue Saint-Pierre), nous l’avons dit, servait, en ce temps, de logement aux enfants de la psallette, puis, d’après les Extraits des délibérations Capitulaires, nous les trouvons en 1607, dans la maison du Fort (Note : Dans l’Avoir du chapitre 1795 « maison, cour et jardin contenant sous fonds 25 cordes, cernés de murailles, appelée vulgairement le fort, joignant d’un d’un côté à la venelle de la Courbe rue Saint-Guillaume et faisant l’encoignure d’icelle sur la rue Jouallan et par le devant sur la rue Jouallan ») rue Jouallan, appelée ainsi parce qu’elle faisait le frontispice du puits au lait. Sur l’emplacement du Fort, se trouvent aujourd’hui 2 maisons occupées l’une par M. Durand, coiffeur et l’autre par la charcuterie Jeanne d'Arc.
A quelque temps de là, le chapitre trouvant sans doute cette habitation trop éloignée de la Cathédrale, songea à l’échanger contre une maison prébendale située au haut de la place du Martray. Mais cette solution ne se réalisa point.
50 ans plus tard, la psallette est dans la rue Saint-Pierre mais cette fois au N° 5 au-dessus de la chapellenie des Ardennets (Note : En 1659, Toussaint Brazé, choriste et chapelain des Ardenets déclare au greffe des gens de main-morte qu’il habite une maison « joignant d’un côte la maison des enfants de choeur et d’autre côté la maison et jardin de la sous chantrerie que possède Pierre Samson, sous-chantre » (Greffe des gens de mainmorte) et enfin (en 1734) (Note : Greffe des gens de main-morte, 14ème Registre, p. 231) au-dessous de cette chapellenie dans la maison du sous-chantre dont le poste fut supprimé vers l’an 1712.
C’est là que la Révolution surprit la Psallette. Comme tous les biens d’église elle fut inventoriée, estimée [Note : « Estimation de l'Absalette (sic), samedi 16 octobre 1791. Autre maison, rue du Bourg-Vasé (le bas de la rue Saint-Pierre porte souvent ce nom) nommée la psallette, jouie par le Maître de musique et les enfants de choeur, composée au rez-de-chaussée d’une vilaine salle, petite cuisine, petit réfectoire et autre petit appartement pour la classe des enfants .... Une cour, une cave et un petit jardin, pouvant contenir ensemble quatre cordes... »], puis vendue aux enchères le 21 avril 1792 [Note : « Nous avons demandé qui voulait faire valoir le 12ème article porté sur l’affiche qui concerne la maison occupée par le Maître de musique de la ci-devant Cathédrale, nommée la psallette, dépendant de l’ex-chapitre .... estimée 1828 livres .... » (Série 1q./1)].
Dépouillée de ses ressources et de son nid, la psallette subsista encore quelque temps, aussi longtemps que le culte fut toléré. Elle acheva de vivre le jour de la fermeture de la Cathédrale.
Nous venons donc d’essayer d’établir la naissance et la mort de la psallette et de signaler les différentes maisons où furent logés ses enfants ; il est temps d’aborder l’organisation même de cette Institution. Ce travail aurait été facilité, si nous avions pu retrouver les Registres capitulaires de Saint-Brieuc ; malheureusement ils font presque totalement défaut : un seul Registre aux Archives pendant la période 1780 à 1790 : quelques autres à l'Evêché de 1676 à 1690, avec une interruption regrettable.
Cependant, à défaut de ces documents officiels, qui nous auraient fourni de très précieux renseignements, il existe aux Archives un Extrait des délibérations capitulaires qui s’étend de 1586 à 1733, sorte de table analytique très sèche [Note : Extrait des délibérations du Chapitre depuis le 10 octobre 1586, jusqu’au 23 octobre 1733. Registre donné par M. Harscouët, Secrétaire général de la Préfecture des C.-d.-N. (Cote G., carton 38)]. L’auteur indique par exemple : Beau règlement pour les enfants de choeur qu’il est bon de lire. Le hasard, peut-être aussi un scrupule tardif sur la possession légitime des Registres originaux, pourront permettre à nos successeurs de les consulter et de les publier.
Qu’est-ce que la psallette ? Ce n’est pas, comme on pourrait le croire, l’ensemble du personnel chantant l’office liturgique dans la Cathédrale, mais seulement une partie de ce groupe : les enfants de choeur. Cependant ce mot désigne plutôt le lieu, « sorte de Séminaire où l’on apprend à psalmodier l’office divin et le chant d’église, dans lequel lieu on élève de jeunes enfants dès leur tendre jeunesse à cet employ » (G. ALLAIN).
Pour ces enfants, il faut des maîtres : l’un de grammaire, l’autre de musique. Cet internat qui les abrite, a des revenus qu’il faut gérer en bon père de famille, pour faire face à tous les besoins : c’est l’affaire de l’économe ou administrateur, nommé par l’évêque, sur la présentation du chapitre.
Puis au choeur les enfants mêlent leur voix claire à la voix grave des chanoines et ceux-ci, depuis pas mal de siècles, ne pouvant suffire à cette besogne, se font aider par un groupe de chantres ou choristes dont le nombre, à Saint-Brieuc, atteint le chiffre de 22, d’après une liste d’appel portant la date de 1576.
A l’office, le chef, à qui tous doivent obéissance, est le grand-chantre, personnage très important autrefois, chanoine et même dignitaire du Chapitre. Depuis le XVème siècle, il a un aide inférieur : le sous-chantre. L’introduction de la musique figurée, qui réclamait une compétence spéciale, amena la création d’un nouvel auxiliaire ; le maître de musique ou maître de psallette, dont les fonctions, qui n’étaient pas toujours incompatibles avec celles de l’économe, consistaient à instruire les enfants à cet art nouveau et à diriger les exécutions de la polyphonie.
Nous le répétons, cet ensemble de chanteurs qui forment le chœur sonore de l'Eglise cathédrale apparaît comme une véritable corporation avec sa hiérarchie : maître, compagnons, apprentis. Chacun de ces degrés a ses attributions, ses devoirs et aussi ses privilèges.
Nous voudrions uniquement vous entretenir des sujets qui forment le 1er degré, des enfants ou apprentis et examiner ensemble leur recrutement, les conditions de leur admission, les études pratiquées à la psallette, l’orientation que prennent ces enfants, devenus adolescents à leur sortie.
Ils sont désignés ici sous le nom d’enfants de la psallette. Ailleurs ils prennent, autrefois, le titre d’enfants d’aube. Au temps de Ruffelet, le vieux chroniqueur briochin, ils portaient toujours, chez nous, cette longue robe blanche qui descend jusqu’aux talons. Un autre nom les désigne encore : celui d’enfant de choeur « parce qu’ils sont continuellement dans le choeur pendant toutes les heures cérémoniales, les uns y chantant, les autres y faisant les fonctions de clercs et d’acolythes » (G. ALLAIN).
Il est probable que la fondation, qui semble devoir être attribuée à Alain de la Rue, fut faite en faveur de 4 enfants seulement, car les statuts signés au milieu du XVème siècle par le vicaire général Annabuho, disent que « les 4 enfants, lorsqu’ils devront servir chandeliers et encens seront en aubes ou dalmatiques ».
Plus tard, dans son rapport à l’évêque en 1578, l’administrateur des biens et revenus de la psallette parle des « seiz enfants ordinaires ». C’était donc déjà le chiffre traditionnel. Ce petit nombre d’enfants, qui vous étonne peut-être, suffisait cependant dans la plupart des psallettes. A Paris, pour l’immense vaisseau de Notre-Dame, les enfants ne seront que 12. A Chartres, du XVème au XVIème siècle, le nombre oscille de 5 à 8. Ce n’est pas en effet la quantité des chanteurs qui importe le plus, mais la qualité de la voix, la puissance de la portée, indépendante de sa force et aussi l’habileté des exécutants. Ce nombre de 6 sera invariablement maintenu ici jusqu’en 1791.
D’où viennent ces enfants ? La ville de Saint-Brieuc, même à cette époque, est assez habitée pour fournir ce petit contingent. Toutefois, le chapitre accepte un enfant étranger à la ville, à cause, sans doute, de ses heureuses dispositions c’est ainsi que Plérin, Hillion, Plaintel (1675) et Châtelaudren aussi, pourtant du diocèse de Tréguier, procureront des enfants de choeur à notre psallette.
Quelle est leur condition familiale ? Pour être admis, nous dit le dernier économe dans une lettre aux administrateurs du département, en date du 18 octobre 1790, « les besoins de leurs parents ont toujours été un titre de recommandation auprès de MM. les chanoines. La psallette procure une éducation chrétienne et honnête à des jeunes gens condamnés par la détresse de leurs parents à n’en pas recevoir ».
Disons, cependant, que ces enfants ne sont pas tous d’humble origine. A cette époque, que nous nous surprenons souvent à regretter, à bien des points de vue, les grandes familles de Saint-Brieuc ne dédaignent pas de confier leurs fils à la psallette, et l’on y trouve les noms de « Le Mesle, Le Roy, Guillaume Allain, fils de Noble Homme Sébastien sieur de Lesnay et de demoiselle Jeanne Quémar ». En 1605, c’est même l’écuyer Amaury de Trémereuc, seigneur de Léhen qui veut faire, de son héritier, un enfant de choeur. Et, sans nul doute, nous l’avons constaté à Tréguier, ce petit de noble lignée suivra le même régime que ses compagnons moins fortunés. Mais, ce que le Chapitre exige formellement, ce sont des sujets « d’une naissance sans reproche, d’un extérieur convenable, doués d’une voix gracieuse, d’un caractère qui garantira leur honnêteté pour l’avenir » (Cérém. de 1742).
Pendant longtemps l'Eglise adoptait ces enfants, les faisait siens. Le Chapitre pouvait alors se charger de tous les frais nécessaires à leur nourriture, à leur habillement, à leur entretien, comme à leur instruction. Encore à la fin du XVIème siècle, l’économe expose qu’il est « contrainct entretenir les seiz enfants ordinaires qu’il faut nourrir et entretenir de vivres et accoustrementz ». Plus tard les revenus « diminuant de valleur un peu tous les jours » et, pour employer une autre expression usitée, aussi dans le passé, « au prix exhorbitant où étaient les choses de la vie », les chanoines se voient dans l’obligation de demander une contribution aux parents. En 1611, les sujets sont reçus à la psallette « avec charge aux parents de les entretenir de linges et d’habits ».
Toutefois, si l’enfant est pauvre, malgré qu’on lui reconnaisse d’heureuses dispositions, il n’est pas rebuté pour cette raison, et les Extraits des délibérations capitulaires signalent qu’en 1676, un archidiacre, Nebout de la Brousse, vint signer qu’il fournirait à un enfant dénué de ressources, tout ce qui lui sera nécessaire. A Tréguier également, plusieurs petits, vu leur pauvreté, sont habillés aux frais de la fabrique.
Au XVIIIème siècle, les charges des parents deviennent plus lourdes. Ceux-ci s’engagent :
« 1° à fournir la robbe, l’aube, le camail et le bonnet carré (Remarquons le costume officiel).
2° à l’entretien de chemises, vestes, culottes, bas et souliers et tous linges nécessaires à son usage.
3° à fournir le dedans d’un lit, exepté la paillasse.
4° enfin à se charger du blanchissage de son linge ».
Et, à la vacance d’une place, on voyait se présenter devant le Chapitre assemblé, un enfant conduit par le maître de psallette. Il devait subir un examen devant ce jury dont plusieurs membres pouvaient être compétents, et, si la voix était jugée convenable, si de plus par ailleurs les autres conditions requises se constataient, l’enfant était admis ; mais, de leur côté, les parents promettaient de le laisser à la psallette « tant autant de temps qu’il pourra servir et qu’il plaira aux Messieurs ».
A peu de chose près, il serait facile de retracer, jour par jour, la vie de ces enfants de choeur. L’Office canonial sert de cadre. Matines et Laudes à 6 heures en été, à 7 heures en hiver ; à 9 heures, grand'messe précédée et suivie des petites heures ; none, vêpres et complies se chantaient à 2 heures. Après l’office, le groupe, conduit en rang par l’économe, regagne la maison de la psallette. Là le règlement intérieur se répartit dans les temps laissés libres, se modifie même suivant les besoins de l’église.
Dans cette maison, le programme des études est très varié ; il comprend : la grammaire, le calcul, le latin, la musique vocale, même la composition musicale, l’exercice des instruments.
Nous ne nous étendrons pas sur les études littéraires faites a la psallette. Comme toutes les cathédrales, Saint-Brieuc avait son école. Avant 1430, le grand chantre, aidé du scholastique ou maître d’école en assumait la responsabilité : à ce moment le sous-chantre, dont la fonction vient d’être créée pour décharger le grand-chantre, prend à sa charge « l’instruction » même « de tous les enfants de la ville qu’il donnera lui-même ou fera donner par quelqu’un ».
Par un acte de 1565, l’évêque, Nicolas Langeher, témoigne que le scholastique avait « la charge de l’école, qu’il l’exerçait en personne et commettait un homme capable (le sous-chantre le plus souvent) pour enseigner les petits enffans, jusques a tant qu’ils soient capables d’ouyr le scholastique ».
D’après l’acte de 1578, cité souvent, il y a, vivant à la psallette, un maître chargé d’enseigner les lettres. Comme ailleurs sans doute, il devait porter le nom de maître de grammaire. De plus, puisque ces enfants chantaient l’office en latin et que surtout plusieurs pouvaient de loin songer au sacerdoce, on leur enseignait les éléments de la langue latine.
Et sur ces études le Chapitre veille. De temps en temps, deux chanoines sont députés « pour aller à la psallette voir de quelle façon les enfants sont instruits » (1648) et pour interroger les enfants sur le latin et sur la musique et en faire un rapport (1642). Ils peuvent également « voir de quelle façon les enfants sont nourris, couchés et soignés par l’économe » (1683). En cas de négligence, le maître convoqué au Chapitre était admonesté (1607).
Mais il est évident qu’une notable partie du temps passé en dehors de l’église était réservée à l’étude du chant et de la musique. A 7 ou 8 ans, âge où ces enfants sont reçus à la psallette, leur voix est dans les langes, il faut lui donner du corps et de la couleur et aussi l’assouplir par des exercices journaliers. Puis c’est la préparation des parties de l’office chantées par les petits : le martyrologe, la leçon brève de prime, le 1er répons du 1er nocturne, les versets des différentes heures, etc. En outre, à certains jours, au moins pour le Commun de la messe et les Psaumes, le plain-chant devait être remplacé par la musique ; d’où nécessité pour les enfants de recevoir du maître spécial l’enseignement du solfège et de l'écriture polyphonique.
Il est de plus spécifié, au Cérémonial de 1742 que le maître de musique devra employer une excellente méthode, aussi simple qu’harmonieuse pour apprendre aux enfants, non seulement la musique d’ensemble, mais encore la composition. D’ailleurs pour obtenir, comme on le disait, la maîtrise d’une psallette, le compétiteur devait faire preuve de capacités musicales peu ordinaires : comme dans les autres corporations, il entrait en loge et sur un plain-chant du thème donné, avait à réaliser une pièce polyphonique. Et si, sur place, on ne pouvait juger son travail avec compétence, on avait recours aux lumières d’un maître étranger à la ville.
Pendant son séjour à la maîtrise, il est rappelé au maître qu’il devra prévenir lorsqu’il aura à s’absenter de l’office pour composer, ou si la Muse l’a saisi à l’improviste, il se fera excuser par la suite. A différentes reprises, le Chapitre accorde un congé au maître de psallette pour aller se perfectionner à Paris. Les enfants bien doués pouvaient donc, à telle école, et pendant les 8 à 10 ans passés souvent dans cet Internat s’initier, suivant le terme employé alors, à la symphonie, c’est-à-dire au contrepoint et à la composition.
Nous en avons trouvé une preuve palpable chez M. Anne Duportal dans les Extraits des registres de l'Etat civil qu’il a si patiemment recopiés. A la fiche qui porte le nom de Joseph Doublet, né en 1707 et sorti de la psallette à 18 ans, on peut lire cette note : « Délivré extrait de baptême pour sortir à la suite de sa profession de musique et de symphonie où il est excellent ».
Remplaçant les chanoines, ils jouissent et d’une prébende complète, des revenus de plusieurs fondations ainsi que des honoraires qui leur sont attribués pour les services. Aux Innocents, jour de grande fête, ils reçoivent un supplément qui servira certainement à améliorer l’ordinaire. Car ces petits sont par Messieurs les chanoines choyés comme des enfants gâtés. Si la maladie sévit dans ville, les quatre plus petits sont dispensés des Matines qui se font de si bonne heure. Et si la mort vient frapper l’un d’entre eux au service de l'Eglise, le sous-chantre ou parfois même un chanoine est chargé d’officier à ses obsèques.
A la psallette encore, les enfants s’exercent au jeu des instruments en usage au choeur. Le serpent, qui suivant Lavignac, est fait pour épouvanter la piété et rendre sourds les marguilliers, fut longtemps cependant un instrument très ecclésiastique. On dit d’ailleurs qu’il fut inventé par un chanoine d'Auxerre, vers l’an 1590, quoique dans les comptes de l'Archevêché de Sens, pour les années 1453 et 1454, on trouve une dépense faite pour un « ressort de serpent ». Plus tard, les trous de cet « engin désastreux » s’élargirent et les doigts ne pouvant suffire à les boucher exactement, on le dota de clefs suffisantes et exactes ; d’où lui fut donné le nom d'ophicléïde ou serpent à clefs. La matière elle-même fut changée et le cuivre remplaça le cuir bouilli.
Un autre instrument moins bruyant, le violon, était aussi d’un usage courant au XVIIIème siècle ; car nous trouvons aux comptes de 1737 une somme affectée chaque année, à l’achat de cordes pour le violon de la psallette. Les enfants apprenaient à en jouer, puisque en 1736 « le sieur Duro, cy devant enfant de choeur de cette église aura un écu par mois à commencer de dimanche prochain, parce qu’il assistera au choeur à tous les offices où il y aura musique, y chantera et jouera des instruments (le mot violon est spécifié dans la marge), ainsi que le maître de musique le jugera à propos ».
En 1736, d’après Geslin de Bourgogne, maître Henry Doublet, maître de musique introduisit la basse de violle dans la musique du choeur qui jusque là n’était composée que de violons.
Quelques privilégiés apprenaient-ils à toucher l’orgue, comme à Tréguier, ou au moins se servait-on d’un clavecin à la psallette pour initier les enfants au clavier ? Nous n’avons trouvé, pour Saint-Brieuc, aucune trace de ces études.
Mais ces enfants ont grandi ; la perfide mue va anéantir leur voix bien timbrée, provisoire hélas ! comme des dents de lait. Que vont devenir ces adolescents ?
Durant leur séjour à la psallette, plusieurs ont compris qu’ils ne pouvaient s’engager dans l’état ecclésiastique qui réclame des obligations au-dessus de leurs forces. Mais, sans être liés irrévocablement, ils pourront continuer, tout en restant dans le monde, à utiliser, pour l’église, les talents perfectionnés par l’étude et d’une voix qui fournira un long service. Mais, n’appartenant pas entièrement à l’église, ils ne pourront vivre complètement de l’église ; ils devront donc trouver des ressources complémentaires. Le Chapitre y pourvoit et en 1708, il donne 60 livres pour faire apprendre un métier à un enfant. Aux offices il portera les « draps du choeur » et ayant appris le plain-chant et la musique suivant les bons principes, il pourra continuer à chanter au choeur.
Mais d'autres « bien instruits à la piété et aux sciences » dans ce décor merveilleux qui parle à l’âme, pendant les cérémonies somptueuses et les chants magnifiques adressés au Créateur, ont entendu, au fond de leur jeune coeur, l’appel insinuant du divin Maître. Plusieurs ont même déjà reçu la tonsure qui les sépare du siècle ; ils ont appris les éléments du latin. Le collège commencé dans la maison de Turnegouet le 13 mai 1575 va être moins à l’étroit dans la maison du Paradis (Gendarmerie, vers 1921). Deux ans suffiront pour parfaire leurs études pendant lesquels ils seront reçus au choeur à mi-gages ; ils recevront même 60 livres pour acheter un habit.
Deux autres enfants bénéficient chacun de 45 livres par an « pour aller estudier à Rennes » (1641) certainement chez les Jésuites, à condition qu’ils enverront au Chapitre, de 6 mois en 6 mois, attestation de leurs études. Signalons ici un détail qui semble de peu d’importance, mais qui prouve combien l'Eglise voulait favoriser le recrutement de ce personnel chantant : « Après leurs études, s’ils sont reçus choristes dans le choeur, ils prendront leur rang du jour qu’ils auront quitté pour aller estudier sans que pendant leurs estudes ils soient réputés présents ».
Quelques-uns à l’intelligence spéciale envieront les titres alors très considérés de maîtres de chapelle ou d’organistes. En 1643, un enfant est envoyé à Paris pour compléter ses études. Un autre en 1684 prend le même chemin à la fin de ses classes.
Il nous plaît de signaler 2 sujets, nés à Saint-Brieuc et élevés à la psallette avant la fin du XVIIème siècle, l’un Robert Le Mesle ; successivement choriste et économe, semble avoir été longtemps le factotum pour les affaires du Chapitre. Pourvu de la chapellenie des Milons et pour ce motif portant dans les pièces officielles le titre de sieur des Milons, il devient chanoine en 1697. 20 ans après il meurt à l’âge respectable de 81 ans.
L’autre, Guillaume Allain de Beaulieu fut, à sa sortie de la psallette, nommé choriste et chapelain des Ardenetz. Pendant 4 ans, il dirigera comme recteur la paroisse de Plérin. Nous le retrouvons bientôt à Saint-Guillaume, où il occupe une des stalles de la collégiale : en même temps il est secrétaire de l’évêque. Sa vie se termine à 83 ans comme chanoine de la Cathédrale, ancien official, grand vicaire et archidiacre.
Il a laissé un livre décrivant longuement les devoirs et fonctions des aumôniers des évêques. Les Archives départementales conservent deux forts volumes manuscrits dressés par G. Allain, l’un donnant la liste des Revenus du chapitre, l’autre a pour titre : « Livre dans lequel se trouvent les maisons de la ville et des faubourgs de Saint-Brieuc, par ordre et par rues, comme elles sont basties et situées dans le proche fief et seigneurie de l'évesché de Saint-Brieuc ».
Cet exposé, bien aride cependant, de la vie des enfants à la psallette vous a-t-il assez bien montré le souci qu’avait l'Eglise à cette époque, de former le mieux possible les auxiliaires réclamés pour la partie du culte qui concerne le chant ? Pour moi, le temps si agréablement passé à retrouver quelques pièces détachées de ce mécanisme ingénieux et puissant et à essayer d’en saisir le fonctionnement intégral, m’a certainement convaincu que, pour avoir encore dans un avenir plus ou moins éloigné, un personnel digne de remplir le rôle qui lui revient au choeur, il était nécessaire de s’inspirer de l’expérience des siècles qui nous ont précédés et de reprendre patiemment, mais aussi d’une manière stable et ordonnée, l’apprentissage de ces enfants de choeur, dans une institution qui s’adapterait aux besoins de l’époque où nous vivons. Mais il faudrait quelques ressources, si peu, pour relever, modestement, cette oeuvre si belle, si apte à procurer la gloire de Dieu. Quelle cruelle humiliation d’avoir les mains vides !
Concluons bien vite par ces mots parus en 1857, dans le journal La Maîtrise et signés de d'Ortigue qui, lui aussi, comme beaucoup d’autres, appelait de tous ses voeux le retour à l’ancien régime et le relèvement de ces psallettes anéanties : « Ce sont les Maîtrises qui propagèrent, dans toute l'Europe chrétienne, le chant ecclésiastique, qui en constituèrent l’enseignement avec l’étude des lettres humaines, qui en répandirent le goût ; leur nom est le symbole d’un passé qui mérite, de quiconque s’intéresse aux destinées de l’art musical, une tendre et respectueuse reconnaissance, et nous ne désespérons pas qu’il ne reprenne une partie de son premier éclat, et qu’il ne signale pour la musique d’église une nouvelle ère de prospérité ».
Saint-Brieuc, le 12 Octobre 1921.
abbé
Gléyo
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