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NOTRE-DAME DE LA GRAND'PORTE |
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ETUDE DE LA STATUE. A QUELLE EPOQUE REMONTE-T-ELLE ?
Maintenant, que nous avons cité toutes nos références et constaté qu’avant le XVIIème siècle nous ne trouvons que des récits traditionnels, interrogeons la Statue elle-même, et efforçons-nous de lui arracher ses secrets : Interrogeons la pierre dont elle est faite, interrogeons ses augustes traits, ses vêtements, ses sculptures, nous y trouverons peut-être des éclaircissements au mystère ; nous y puiserons en tout cas des indices d’où peut-être jaillira la lumière ! Dans ce chapitre, nous aurons recours, non à nos faibles lumières, mais aux déclarations de savants, et éminents archéologues, aux analyses de géologues distingués et compétents ; et nous verrons, si, de ces affirmations apportées par l’iconographie et par la science, il est possible de conclure quelque chose ! Mais, avant d’entrer plus profondément dans ce sujet, je tiens à adresser ici mes meilleurs remerciements à tous ces distingués savants qui, avec la plus grande complaisance et leur haute compétence, ont bien voulu m’aider dans cette tâche très ingrate.
Jusqu’à présent, les historiens n’étaient pas d’accord sur la matière dont est faite la statue de Notre-Dame de la Grand'Porte : certains l’ont dite en granit, d’autres en tuffeau. D’un examen scrupuleux, contrôlé par M. Bézier, le distingué Directeur du Muséum de Rennes, Président de la Société Géologique et Minéralogique de Bretagne, il ressort que cette statue a été sculptée dans un bloc de beau calcaire blanc, de texture homogène et assez compacte, faisant une vive effervescence au contact des acides. C’est là un point définitivement tranché !
Je me suis adressé à un grand nombre d’archéologues distingués ayant étudié spécialement l’art statuaire : à l’exception de quatre qui ont rapporté la Vierge au XIVème siècle, et d’un, qui, sans daigner l’examiner, m’a répondu : « Pampain la dit de 1663 ! ». Tous les autres, exactement vingt-quatre, l'ont attribuée au XVème siècle.
« Votre statue de Notre-Dame de la Grand'Porte (écrit M. le Chanoine Abgrall, de Quimper, Président d’honneur de la Société Archéologique du Finistère), est une œuvre splendide du XVème siècle. Nous avons bien (à Quimper) trois ou quatre statues qui en approchent, mais qui n’arrivent pas à l’égaler par l’ampleur, la grâce, la correction des draperies, l’habileté, la profusion, l’agencement des plis très multipliés. Il y a une caractéristique à noter : la ceinture remonte très haut, sans exagération. Les ornementations du galon, de la ceinture et du tour du cou, nous les trouvons dans la robe et le manteau de deux anges de notre cathédrale de Quimper, et dans la ceinture de sainte Catherine, près du portail midi : perles de différentes dimensions, cabochons, feuillages ébauchés en ciselure : les anges sont de 1435 environ ».
Un autre archéologue distingué me fait remarquer que le déhanchement de la Vierge et la raideur des traits, quand on la considère de profil, indiqueraient très nettement une vierge gothique, mais la vue prise de face modifie son impression, et l’empêche de dater la statue du XIVème siècle ; d’autre part, les plis de la robe ne sont pas assez recherchés et fouillés pour indiquer le début de la Renaissance ; par conséquent, c’est au XVème siècle qu’il faut la placer !
Un troisième archéologue s’étend sur le geste gracieux de la Vierge tenant l'Enfant Jésus ; et il attire mon attention sur l’oiseau qu’Il caresse de sa main gauche, pendant que le petit volatile lui picote la main droite de son bec : c’est une belle oeuvre du XVème siècle parfaitement caractérisée.
M. Robiquet, Inspecteur des Monuments Historiques, auquel la Vierge a été présentée comme attribuée par plusieurs historiens malouins à l’an 1663, a répondu que la statue ne peut, d’après lui, être attribuée au plein XVIIème siècle : « L’Enfant vêtu, l’oiseau, la tête de la Vierge impliquent une époque plus éloignée ! ».
M. Guyomard, l’antiquaire malouin bien connu, et un de ses collègues parisien, experts dans l’art statuaire, l’attribuent au début du XVème siècle. Ce serait aussi l’opinion de M. Bézier, Directeur du Muséum de Rennes, et de plusieurs de mes confrères que j’ai consultés. M. Gourvil, le distingué Barde Breton, l’attribue également au XVème siècle, mais il ne la croit pas d’origine bretonne.
Sur l’origine de la Vierge, du reste, les avis sont très partagés ; à certains elle semble de Bourgogne ; d’autres la croient de Normandie, de Touraine ou de la Seine on a même parlé de sculpteur espagnol ; aucun archéologue, en tout cas, ne la croit d’origine bretonne.
Notre-Dame de la Grand'Porte a subi, dans le cours des siècles, plusieurs mutilations et restaurations ; j’ai déjà parlé de sa main droite brisée pendant la Révolution, soit pour supprimer son lys ou effacer le souvenir du miracle attribué à cette main. Celle qui a été refaite est trop grosse et bien moins finement sculptée que le reste de la statue ! La Vierge eut également la tête brisée par les révolutionnaires : la restauration en a été si bien faite qu’elle est à peine visible, même pour quelqu’un d’averti. En 1843, la statue fut brisée au tiers de sa hauteur, pendant qu’on la replaçait après la restauration de la niche ; les raccords sont parfaitement visibles, mais plus encore sur les photographies que sur la statue. Le nez de la Vierge a été refait ; malgré les nombreuses couches de peinture on sent très bien le raccord au toucher ; il n’échappe pas du reste à un examen très attentif de la statue. L’espace qui s’étend entre les deux arcades sourcilières a dû être frappé à la pointe de marteau et légèrement diminué pour mieux faire le raccord avec la réparation ; la pierre est donc restée en cet endroit un peu moins polie. Cette restauration du nez n’a pas été des plus heureuses ; on l’a, en effet, légèrement exagéré ; assurément, avant que son nez n’eut, été brisé et remplacé, la Vierge de la Grand'Porte devait avoir le visage beaucoup plus délicat et plus doux.
Les pieds de la statue sont également brisés ; aussi est-il impossible de donner des détails sur ses chaussures et de dire si elle portait des souliers, des sandales ou des poulaines. J’ai examiné le plus attentivement possible les brisures ; mais, comme elles semblent avoir été retouchées, qu’elles sont recouvertes de nombreuses couches de peinture, il ne faut rien chercher à établir sur ce point.
L’oiseau que porte l'Enfant Jésus a été l’objet d’un examen attentif : ce n’est pas, comme on l’a dit, une colombe : ni les ailes, ni le bec, ni surtout les pattes ne rappellent même de loin, la tourterelle, le pigeon ou la colombe ! La longueur des pieds m’avait fait penser primitivement à un oiseau de mer, ce qui eût été assurément très intéressant ; mais, après une nouvelle étude, étant donnée la forme du bec et des ailes, et surtout celle des griffes, je penche plutôt pour un oiseau de proie [Note : « L’épervier, l’oiseau de proie est le symbole du malheur ! Je ne songerais plus que rencontre funeste , Que faucons, que résaux, hélas que dirai-je ». Le geste de l'Enfant-Jésus retenant entre ses mains « le malheur » pour l’empêcher de fondre sur la Cité est d’un charmant symbolisme]. En tout cas, la posture de l’oiseau et le geste du Divin Enfant sont, comme le trouve le Chanoine Abgrall, infiniment gracieux.
La Vierge mesure 1 m. 92 de hauteur, y compris la couronne. Cette couronne a été assez abîmée et semble plutôt une couronne fantaisiste qu’une couronne royale bien déterminée. Les plis du voile, derrière la tête de la statue, rappellent assez vaguement la forme d’une coquille Saint-Jacques « ricardeau » dont les arêtes seraient presque droites [Note : Madame Cardin, née Revel, possède une Vierge en bois, de 0 m. 60 environ, qui a de tout temps été considérée dans sa famille comme une reproduction de la Vierge de la Grand'Porte. Cette statue, cachée dans la cave d’une des maisons de la rue du Point-du-Jour, pendant la Révolution, présente quelques variantes avec la Madone qui nous intéresse : l'Enfant-Jésus lève les deux bras au Ciel et les plis de la chevelure, sur le dos de la Vierge, donnent très exactement la forme d’une coquille de « ricardeau »].
La Vierge a été autrefois appliquée à un mur ; elle y était fixée par trois scellements, l’un à la hauteur des épaules, les deux autres un peu au-dessus des pieds. Ces trois trous qui servaient à fixer la statue au mur forment un triangle isocèle et sont très visibles, bien qu’ils aient été remplis de plâtre. En considérant les légères brisures qui entourent chaque trou, il semble bien que l’on peut affirmer sans imprudence que la Vierge a été scellée autrefois et que les brisures dont je parle ont été faites en enlevant les scellements.
Désirant pousser plus loin mon examen, afin qu’il soit non seulement aussi consciencieux, mais aussi complet que possible, j’ai voulu me rendre compte des différentes couches de peinture que la statue a dû subir dans la suite des siècles ; cet examen m’a amené à une constatation des plus curieuses et des plus intéressantes pour l’histoire de la Vierge de la Grand'Porte : la pierre, interrogée, a répondu avec la plus grande clarté, et peut-être a-t-elle entr’ouvert ses mystères ?
La Vierge de la Grand'Porte, Notre-Dame de Bon-Secours, a subi l’épreuve du feu !... Le feu n’a pas été assez fort pour cuire la pierre calcaire et la changer en chaux ; mais il a été assez violent pour détruire toutes les couches de peinture qui existaient alors, et altérer assez sérieusement la pierre à un centimètre de profondeur. Les trois premiers millimètres de surface, Jusqu’où l’huile de la peinture avait probablement pénétré dans la pierre, sont d’un brun jaunâtre très caractéristique, indiquant nettement l’action du feu sur la peinture et sur la partie du calcaire imprégnée d’huile. Le reste de la couche atteinte est légèrement jaunâtre ; il faut dépasser le centimètre de profondeur pour retrouver le beau blanc du calcaire !
Cette constatation me semble grosse de conséquence aussi, en compagnie de M. Guyomard, puis de deux autres archéologues, j’ai voulu la refaire sur de nombreux points, et je puis affirmer l’existence de ce phénomène sur toute la surface de la statue ; ce n’est donc pas là l’effet de bougies trop rapprochées c’est la conséquence d’un fort brasier ayant enveloppé la Vierge. Nous avons remarqué cependant, que la statue a été plus atteinte par le feu sur le devant que sur le dos auprès des anciens scellements ; on peut sans doute en conclure, qu’elle était fixée au mur quand elle subit l’incendie, qu’en conséquence, la partie appliquée au mur chauffa moins, et dès lors fut plus légèrement atteinte que le reste de la statue.
J’ai cherché et recherché dans les Archives ; je n’y ai vu signalé nulle part un incendie dans la niche de la Vierge depuis sa bénédiction par le Père Vincent Huby ; d’autre part, il serait absolument inexplicable que dans la niche de pierre où se trouve la Madone depuis 1663, il se soit trouvé — en admettant un incendie après cette date — assez de matières inflammables pour former un brasier capable d’atteindre là pierre aussi profondément. Il faut donc croire, avec la tradition, que Notre-Dame de la Grand'Porte a connu l’incendie de Saint-Malo et que, lors de la grande brûlerie [Note : D’après l’arrêté du Parlement de Rennes, du 7 décembre 1661, signé Malescot, il ressortirait d’une requête à lui adressée par les Nobles Bourgeois de Saint-Malo, qu’ils ont « esté affligés par un embrasement de feu qui a brillé plus de 200 maisons d'icelle »] de 1661, quand le corps de garde, qui avait été construit en 1585 sur la Grand'Porte, prit feu, la Vierge de la Grand'Porte, sans doute alors fixée au mur par les scellements dont j’ai parlé, fut léchée par les flammes.
Et alors, on pourrait conclure que la Vierge est plus vieille que 1663, et que sa bénédiction par le Père Vincent Huby n’a été, que sa restauration. Par conséquent, les archéologues et les antiquaires auraient raison, Notre-Dame de la Grand'Porte serait bien de l’époque à laquelle ils l’attribuent ; son origine se perdrait dans la légende et, dès lors, nous serions toujours en droit de la considérer avec la tradition populaire, comme une Vierge miraculeuse et légendaire.
J’ai parlé assez longuement du siège de Saint-Malo en 1378 : On me fait observer que la tradition populaire qui conserve le plus souvent fort bien les faits même dans leurs plus petits détails, est en général peu exacte sur les dates. Elle aurait donc très bien pu confondre le siège de 1378 avec l’échec des Anglais de 1439, qui eut pour conséquence l’exécution du traître qui avait conçu le projet d’introduire l’ennemi « au centre même de la ville ». Cette date concorderait parfaitement avec l’âge attribué à la Vierge et serait peut-être celle de sa miraculeuse intervention pour sauver Saint-Malo. Cette opinion méritait certainement d’être au moins signalée [Note : Ce fait est rapporté dans un tableau chronologique des principaux évènements qui se sont passés dans la ville de Saint-Malo, manuscrit conservé aux Archives de la Ville].
HISTOIRE DE NOTRE-DAME DE LA GRAND'PORTE DEPUIS 1663, JUSQU’A SA RESTAURATION, APRES LA REVOLUTION
La Vierge de la Grand'Porte fut donc solennellement bénite ou plus exactement rebénite en 1663 par le Père Vincent Huby, au cours d’une retraite qu’il prêcha aux pieux Malouins, sous l’épiscopat de Mgr. de la Villemontée. Dès lors, l’antique Madone devint, ou mieux, continua d’être l’objet de la plus grande vénération des Malouins. L’Abbé Manet nous rapporte que sur un grand panneau de bois on inscrivit en lettres d’or : « Fille du Saint-Enfant dont vous êtes la mère - Sans avoir altéré votre virginité, - Conjurez instamment votre adorable Père, - De bénir à jamais la pieuse Cité ; - Et qu’Il ne souffre pas qu’une flamme seconde - Vienne la désoler avant la fin du monde ».
Depuis cette époque, jusqu’à la Révolution, nous savons seulement que Notre-Dame de la Grand'Porte fut entourée de la vénération générale et qu’on eut publiquement recours à elle dans toutes les grandes circonstances. Elle fut invoquée tout particulièrement lors des bombardements de Saint-Malo. On lui attribua l'échec de la Machine infernale, en 1693 ; Cet immense brûlot, chargé de poudre, destiné par les Anglais à faire sauter Saint-Malo, vint s’échouer sur le rocher Malo, engloutissant dans l’explosion tous ceux qui le conduisaient. Le lendemain, on retrouva sur les toitures de la ville les membres épars de quelques Anglais ; tandis que de notre côté, on ne signale comme victime qu’un malheureux chat ! En 1695 on eut encore recours à Notre-Dame de Bon-Secours de la Grand'Porte ; et grâce à sa protection, les seize cents bombes lancées par les Anglais sur Saint-Malo tuèrent seulement dix personnes et ne détruisirent que sept maisons.
En 1758 les Anglais firent deux descentes aux portes de Saint-Malo ; la seconde se termina par la fameuse bataille de Saint-Cast, qui fut pour nous un vrai triomphe. Dans nos vieilles familles, on conserve encore le souvenir des processions faites autour de la ville à ces moments de danger et de cette invocation chantée par la foule devant Notre-Dame de la Grand'Porte
A furore Anglorum, libera nos Domine.
Mais un temps de désolation et de tristesse vient de s’abattre sur notre pauvre France, le Roi Martyr est monté sur l’échafaud et Dieu a été chassé de ses temples ; le sinistre Le Carpentier règne en maître sur la Cité Corsaire ; et ses yeux républicains ne peuvent contempler sans fureur la Vierge de la Grand'Porte !
L’an II de la République, le 8 février 1794, Le Carpentier fait donc écrire à l’ingénieur de la Place « qu’il ait à faire ôter au plus tôt la Vierge et les inscriptions qui sont encore sur la Grand'Porte ; et qu’il veuille bien faire de ce local un magasin ». Peu de jours auparavant, une bande d’énergumènes s’est déjà rendue à la Grotte de la Vierge ; ils ont brisé sa main droite et le lys qu’elle tenait, ils l’ont dépouillée de son beau manteau de velours bleu fleurdelysé et de sa couronne. Ce jour-là, ils vont encore s’attaquer à la légendaire statue, à la Vierge tutélaire de la Cité Malouine ! Après avoir copieusement déjeuné en l’honneur de la République, la bande d’énergumènes se rend du club qui a déjà été envahi par les tricoteuses. L’un des misérables prend la parole et explique à l’assemblée déjà très échauffée, qu’il est inadmissible que la ci-devant Vierge de la Grand'Porte continue plus longtemps à choquer leurs yeux de bons patriotes ; qu’il est grand temps d’accomplir enfin son pèlerinage, et de lui faire faire dans la rue un plongeon déjà trop longtemps différé. A plusieurs reprises, de vigoureux applaudissements interrompent l’orateur ; et, presqu'aussitôt, la bande se met en rangs, au chant de la Marseillaise et de la Carmagnole, simulant une procession. Les plus exaltés ouvrent la marche, le visage enflammé de haine, hurlant les plus horribles blasphèmes contre la Reine des Anges et des Saints. Arrivés à la grotte, ils brisent la tête de la vénérable statue ; et, après de nouvelles insultes et quelques autres mutilations, jugeant imprudent de jeter dans la rue une semblable masse, ils traînent la Vierge dans un obscur réduit attenant à sa niche, où elle restera, ignorée de la plupart, jusqu’au rétablissement de son culte.
Auprès de toutes ces profanations et de ces sacrilèges, il est très consolant cependant de pouvoir affirmer que même aux jours les plus sombres de la Révolution, un petit groupe d’ouvriers amenés dans ce local par leur profession ne cessèrent un seul jour d’invoquer Notre-Dame de la Grand'Porte. Il serait, je crois, bien difficile de trouver dans notre pauvre France un grand nombre de statues ayant reçu comme la nôtre un culte quasi-public, dans un bâtiment de l'Etat, même pendant les jours les plus terribles de la persécution !. (abbé J. Descottes).
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