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NOTRE-DAME DE LA GRAND'PORTE |
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LA VIERGE DE LA GRAND'PORTE APRES LA REVOLUTION.
Les frères Denos qui avaient érigé les tours de la Grand'Porte entre 1582 et 1583, avaient laissé un espace beaucoup trop étroit entre les deux tours. A plusieurs reprises, les Malouins avaient demandé l'élargissement de la porte ; mais les seigneurs ecclésiastiques et le gouvernement royal n'avaient jamais accédé à cette demande. Au moment où l'on commençait les travaux du bassin, le Conseil municipal fit une nouvelle démarche auprès du Ministère de la Guerre, offrant même une somme de 900 francs comme contribution aux travaux. Le gouvernement de Louis-Philippe accueillit favorablement cette demande et autorisa non seulement l'agrandissement de la porte existante, mais aussi le percement d'une seconde porte latérale. Les capitaines du Génie Duval et Le Provost qui avaient été chargés d'établir les plans, et M. Batlas, entrepreneur, supprimèrent dans leur projet la niche de la Vierge. Cette nouvelle fit grand bruit dans la ville, et les pieux Malouins s'empressèrent d'adresser à la municipalité la pétition suivante, que nous reproduisons en entier à l'exception de quelques signatures que nous n'avons pas pu déchiffrer [Note : L'original de cette pétition dont nous donnons la copie est conservé aux Archives de la Ville de Saint-Malo] :
« Saint-Malo, le 28 novembre 1842. A Monsieur le Maire, et à Messieurs les Conseillers Municipaux de la Ville de Saint-Malo. Messieurs. Une statue de la Sainte Vierge existait dans l'emplacement au-dessus de l'ancienne Grand'Porte de notre ville : C'était un témoignage de la reconnaissance et de la piété des Malouins des siècles passés dont les sentiments sont les mêmes chez leurs successeurs. Lorsqu'on a commencé la reconstruction de la Grand'Porte, on a renfermé la Statue dans une caisse et l'on a promis de la replacer dans le même lieu quand les travaux seraient achevés. Aujourd'hui, le bruit se répand que malgré les promesses faites précédemment, une autre destination va être donnée au local sur la Grand'Porte, destiné jusqu'à présent à la Statue, et que par conséquent celle-ci ne sera plus exposée à la vénération des Fidèles. Les habitants de Saint-Malo soussignés, surpris d'un tel bruit, qui peut-être n'a aucun fondement, croient devoir cependant s'adresser à leurs Magistrats Municipaux, pour les prier de s'occuper avec intérêt du sort de l'antique statue de la Vierge, dont ils parlent, et d'obtenir que rien ne dérange les premiers projets de MM. les officiers du Génie à ce sujet : projets qu'on ne peut révoquer en doute parce qu'ils ont été annoncés à beaucoup d'entre nous. Lorsqu'une population sage, qui obéit aux lois avec empressement et soumission, qui sert l'Etat en grande partie, soit sur les vaisseaux, soit dans le commerce, ou qui y est représentée par ses enfants ou ses parents, sollicite ce qui peut satisfaire sa piété, elle croit pouvoir d'avance compter sûr l'appui de ses Magistrats Municipaux, lorsque surtout, ses voeux n'ont rien de contraire aux lois, et que s'ils étaient repoussés, ce serait lui causer gratuitement une peine, sans aucun résultat avantageux pour qui que ce soit. Les soussignés, pleins de confiance dans la justice de leur demande, vous offrent, Messieurs, l'hommage de leur respect ». A. THOMASSIN, J.-M. LE GUERSON, A. FONTAN, GOURDIN, Jh. M. BLAIZE, VINCENT, Emile BLAIZE, Jh. BOISHAMON, LEMOINE, HUON, F. DE BOISHAMON, Ch. DEMAIN, DU-HAUTCILLY, B. MICHEL, PALMIÉ, M. DELASTELLE, M. DELASTELLE, PRAMPAIN aîné, FRANGEUL, J. LOISEL, Eugène DE BOISHAMON, AUBERT et BAUCHEMIN, DE PERMELÉ, ROCHEFORT, F. COHAS, CARFANTAN, PETITIN, FOUYÉ, G. DE BOISHAMON, Jh. DUHAUTCILLY, THOMAZEAU, CHOESNET, Président du Tribunal de l'Instance, GARNIER-KERAULT, Aug. LEGENTILHOMME, THOMAZEAU aîné, SAUVEUR, TALVANDE, J. MARION, JAUSION, Henri BOUÉ, ALOTTE, Jos. PASCALI, Ch. PETIT, J. VINCENT, MAHOUD, MAILLARD, LE TIMBRE, Aug. LE TIMBRE, LE TIMBRE, J. MICHEL père, DESHAIS, CHEVALLIER, LAGOGUE, CAUVIN, A. LARSONNEUR, HARDOUIN, DURAND, BIDY, DE LA HAIE DU MÉNIL, ERUSSARD père, Contrôleur des Douanes ; BRUNET, LEGOUZRONC, GUERRIN, L. HUS, J. DE BELLEVUE, DE GAUDINON, F. LEMARQUAND, LOUVEL, A. MAGON DE LA VIEUVILLE, L. BACHAUD, Receveur des Finances ; LE CHATELLIER, J. L. MARION, ANGER, Directeur des postes ; J.-B. VAULTIER, Ch. MAGON DE LA VILLE-HUCHET, BEHIER, Dr ; MORIN, BESNOU, PLISSON, T. BOURSIN, J. MICHEL fils, L. DUVEAU aîné, DUVAL, A. HALOTE, J. GARDIN, MAGON DE LAURRIGAN, DERIOT, Colonel en retraite ; RÉGNAULT, Dr ROUDAY, BRIVET, V. L'HOTELIER, E. GAUSSURON, Hte NICOLAS, L. R0UXEL, G. LEBRETON DE BLESSIN, RENAUX, MOY, ERNOULT, LEMOUAN, F. BOUVIER, VERGER, GILBERT, COSQUET, D. CARIOT, P. LE GENTILHOMME, GIRARD, P. LETOURNEUR, MATHONNET, DOINNEL, Noël FLEURY, A. MEHOUAS, LE NORMAND, AUBAULT, A. GUILBERT, CHAPTAIN, L. HUBERT, CONI-BEAUSSAIRE, BIOLAIS, F.-M. VEILLARD, L. HUSSON, LE DOUBLET jeune, LE MAZURIER, François LE DOUBLET, JOSSEAUME, RENAULT jeune ; Th. LEGENTILHOMME, STOT, P. JOUANNE, E. PÉPIN, J. DANIEL, PICARD, J.-M. MINIAC, HAMELIN fils, PARIS, G. COLAS, MILLET, G. COLAS, F. COLAS, NOURRY, F. AGAN, MARTIN, FOURREAU, MIRIEL, VOISIN, BROUARD, COUREUIL fils, LAVALLÉE, CABARET, PÉAN, BAILLEUL, SOUQUET, P. LECLERC fils, LAMPÉRIÈRE, HUS, RICHARD, SALMON filS, GERMAIN, JUGAN, LE COR, S. MAOUT, J. HESRY, J.-M. HAVARD, E. MARTET, Dr ; P. GROULT, JEAN, RÉBÉQUET, FOUCHÉ, HERVICHON, Aug. THOMAS fils, BAUD, LAMOTTE, MAZURE, MAUNAY, E. THOMAS, R. MAUNAY aîné, GUIBERT, P. THOMAS, ARONDEL, S. SALMON, A. DUFRESNE, J. LAROCHE, M. SICOT, A. DUVEAU, F. HUON, F. GAUVIN, BOULLÉ, RENAU, RENAUX, E. LEPELTIER, L. POIRIER, BEAUCHEF fils, TRANCHEMER, BRUYÈRE, DE LA MARE, Francis DE FRANCE, G. MAGON DE LA VILLEHUCHET, DE LA MOUSSAYE, DAGUENET, Receveur Principal ; MAGON DE LA VILLEHUCHET, Ch. AMIEL... et un bon nombre de signatures illisibles.
Cette pétition porta ses fruits ; car à la suite de plusieurs lettres échangées entre M. L. Blaize et le Lieutenant Général, baron de Berthois, notre député, ce dernier intervint personnellement auprès du Gouvernement. Il fit remarquer au Ministre que cette niche était tout ce que les Malouins avaient conservé de leurs remparts élevés cependant presque entièrement à leurs frais, et pour lesquels ils n'avaient reçu du Gouvernement que d'insignifiantes compensations. Le Député de Berthois rappelait tous les services rendus par les Malouins, leurs générosités dans les siècles passés ; et il concluait en disant que le Gouvernement de Louis-Philippe avait beaucoup plus d'avantage à ménager ses compatriotes qu'à les mécontenter « surtout dans leurs croyances que Sa Majesté du reste partageait ».
Ordre fut donc adressé par le Ministère de la Guerre, aux officiers du Génie, de donner satisfaction aux, habitants de Saint-Malo et de modifier leurs plans en conséquence. Le Ministre prenait à sa charge les grosses dépenses, ne laissant à la commune que les frais de menuiserie et vitrerie. Une quête fut faite à domicile par de pieuses Malouines, et chacun tint à contribuer par son offrande à l'embellissement de ce monument. Le travail fut extrêmement pénible à cause de la dureté de la pierre et du mortier ; aussi dura-t-il presque cinq mois.
Enfin la statue, qui avait été enlevée pendant les réparations, put être replacée le 18 mai 1843, Pendant que l'on remettait la Vierge en place, soit par suite d'une fausse manoeuvre ou de la rupture d'une des cordes, la statue vint à tomber et se brisa à la hauteur du genou. J'ai déjà parlé du reste de cette brisure et dit qu'elle est fort peu visible.
Deux des entrepreneurs, rapporte l'abbé Manet, MM. Leclerc et Lebail, offrirent gracieusement leurs matériaux et leurs travaux. Peu de temps après le replacement de Notre-Dame de la Grand'Porte, M. l'Abbé Huchet, Grand Curé de Saint-Malo, après un remarquable discours sur la T. S. Vierge, annonça que la bénédiction solennelle de la grotte aurait lieu le 2 juillet. Voici, d'après l'abbé Manet, le compte-rendu de cette cérémonie :
« Le dimanche 2 juillet étant arrivé, et les vêpres étant terminées, M. Canu, l'un des vicaires annonça aux fidèles, dans un discours fort digne, que la procession allait immédiatement commencer ; elle eut lieu dans l'ordre suivant : En première ligne, au chant des litanies, marchaient dans un recueillement admirable 300 demoiselles consacrées à Marie, voilées et vêtues de blanc avec leur croix en tête et leur bannière revêtue d'or, sur laquelle resplendissait la sainte image de celle que l'Esprit-Saint a daigné lui-même appeler le Siège de la Sagesse Eternelle ; à leur suite, plusieurs dames congréganistes, vêtues de noir, et les humbles et charitables Soeurs de Saint Vincent de Paul ; venaient ensuite, précédés de la Croix, les enfants de choeur auxquels s'étaient joints, au nombre de 40 à 50, de tout jeunes garçons couronnés de fleurs et en aube, avec une ceinture de large ruban ; après ces petits enfants, marchait un nombreux clergé en surplis, neuf chantres en chape et M. le Curé, seul, revêtu de l'étole. MM. les musiciens de la Garde Nationale fermaient ce religieux cortège et jouaient par intervalle d'excellents morceaux, puis les litanies reprenaient.
La procession sortit par le grand portail de la cathédrale, passa sous les Halles et traversa la rue de l'ancien Marché. La première station eut lieu au bas de la rue de la Croix-du-Fief, devant une petite statue de Marie, érigée depuis fort longtemps en ce lieu : là on chanta une antienne à la Sainte Vierge ; puis la marche continua dans un ordre parfait vers la rue Saint-Vincent et les remparts ; et l'on arriva enfin devant la vénérable image.
La Grand'Porte avait entièrement disparu sous d'élégantes draperies et de fraîches guirlandes de mousse et de roses ; les deux escaliers étaient tendus de blanc et de guirlandes ; l'intérieur de la grotte somptueusement orné de tapisseries de haut prix, de fleurs, d'arbustes rares et de deux superbes peaux de tigres richement brodées ; on remarquait surtout, dans les côtés, des chiffres à la gloire de Marie, formés de guirlandes de verdure. Le devant de la grotte était illuminé avec une pieuse profusion, et l'antique statue de Notre-Dame, parée avec une magnificence qui semblait témoigner à la foule compacte répandue dans les rues et sur les remparts que la vieille foi de nos pères était passée à leurs descendants. Les musiciens de la Garde Nationale se placèrent sur l'escalier à gauche ; les chantres restèrent rangés dans la rue, en face de la Grotte, et M. le Curé, suivi d'une partie du clergé, s'y rendit par l'escalier à droite. La musique exécuta alors un morceau d'une facture admirable, choisi avec une merveilleuse sagacité, puis, eurent lieu les bénédictions de la Grotte et de la Statue...
L'oraison terminée, M. le Curé arrosa par trois fois d'eau bénite la Sainte Image, se mit à genoux devant elle et entonna l'hymne : Ave maris Stella, dont les strophes furent alternées par des morceaux de musique. Après le chant du " Sub tuum " quelques personnes prétendent avoir entendu contre Marie un blasphème sortir d'une bouche sacrilège ; mais d'autres nous ont attesté avoir ouï M. le Consul de Suède et de Norvège s'écrier dans un saint enthousiasme : Oh ! la belle cérémonie ! Ah ! que c'est beau ! Que c'est beau ! ...
Quand le petit cortège qui était dans la Grotte fut remis sur pied, MM. les musiciens exécutèrent une nouvelle symphonie d'une composition exquise. L'officiant et la partie du clergé qui l'avait suivi dans la tour descendirent ensemble, après avoir fait à notre auguste Patronne une inclination profonde en passant devant elle, et revinrent sur le pavé prendre leur rang parmi les autres ecclésiastiques, afin de renouer la procession.
Le retour se fit au chant du " Te Deum ", au son de la musique, à celui si majestueux de la grosse cloche et au bruit des démonstrations d'une joie aussi décente que pure. On suivit les rues des Cordiers, de Toulouse, de Dinan, d'entre les deux Marchés, et l'on revint par le Pilori à la cathédrale, où la bénédiction du Très Saint Sacrement fut donnée en action de grâces.
Là se
termina la dévotion publique des fidèles Malouins ; mais la dévotion
particulière dura jusqu'à dix heures du soir et même le lendemain. Pendant
cet intervalle de temps la grotte ne désemplit pas : des cierges et des
chandelles principalement y affluèrent, même de loin : une dame de Bordeaux
entre autres, dont le nom a échappé, y donna l'un des premiers cierges. Peu de
temps après, une femme de l'autre côté de la rivière s'empressa également
de venir, comme la pauvre veuve de l'Evangile, mettre au tronc, sa faible
offrande en exécution de l'ordre qu'en partant lui avait laissé son mari alors
à 3.000 lieues d'elle » [Note : Notice sur le Fatal Incendie de Saint-Malo
et sur la Statue de la T.-S. Vierge, Abbé MANET, pages 49 à 55].
La « Vigie de l'Ouest » dans son numéro du 4 juillet 1843 rendit compte en quelques lignes de cette belle et importante cérémonie : « Dimanche dernier, la cérémonie religieuse pour l'inauguration de la nouvelle chapelle consacrée à la Vierge, au-dessus de la. Grand'Porte, avait attiré un immense concours de la population, non seulement de Saint-Malo, mais de Saint-Servan et des campagnes environnantes. Cette solennité a été très touchante et a prouvé que le culte de Marie est aussi cher que par le passé aux habitants de notre vieille et fidèle Bretagne ». (abbé J. Descottes).
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