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LES SEIGNEURS DE SION

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I.

A un kilomètre du bourg de Sion, sur les bords de la petite rivière de Chère, s'élevait jadis le château seigneurial de Sion. Ses douves seules, déjà presqu'à demi comblées, donnent aujourd'hui quelque idée du plan de celte forteresse. L'enceinte proprement dite formait, dit M. l'abbé Moisan, une sorte de rectangle arrondi à ses extrémités, défendu d'un côté par un étang, de l'autre par une double tranchée profondément creusée. « Au midi de cette enceinte existaient d'autres constructions dont on a récemment détruit les fondations solidement établies, et au couchant, il y avait une énorme butte » faite de main d'homme.

On ignore absolument l'époque ou fut construit le château de Sion. Il est toutefois probable que ce fut au XIème siècle, date de la fondation de la plupart des forteresses du pays de Châteaubriant ; il semble aussi que c'est de cette demeure féodale que tire son nom la famille de Sion, connue dans nos annales bretonnes au commencement du siècle suivant. Dès l'an 1104, il est, en effet, question de plusieurs membres de cette famille seigneuriale de Sion. A cette époque, Judicaël, Guérin, Dérien et David, fils de Gleuden de Sion, vendirent une terre située près de Mouais, au moine de ce dernier monastère appelé Rodercus [Note : Cartularium Rotonense, p. 304]. Dieu permit vers le même temps que trois fils d'Amuzon de Sion, nommés Judicaël, Rivallon et David, prissent l'habit de saint Benoît à l'abbaye de Saint-Sauveur de Redon. Ces seigneurs firent, à l'occasion de leur entrée en religion, plusieurs donations au monastère de Saint-Sauveur, et Judicaël donna pour son compte à l'abbé de Redon la terre de Villarblez [Note : Le village de Villarbray existe encore près de Mouais. Cartul. Rotonense, p. 305].

Ce Judicaël de Sion avait un fils du nom d'Alain, qui eut quel que différend avec le moine Rodercus. Alain de Sion engendra lui-même Hervé de Sion, et ce dernier tourmenta tellement les habitants de Villarblez, — probablement à cause de la donation de son grand'père, — qu'Alfred , fils de Marroc de Villarblez, et ses frères vinrent, au milieu du XIIème siècle, trouver Yves, abbé de Redon, promettant de payer annuellement 18 deniers aux moines de Mouais [Note : Le prieuré de Mouais fut fondé vers 850 par une pieuse femme, nommée Austroberte, et par le roi Erispoë ; il fut dédié à Notre-Dame et donné à saint Convoyon lui-même, abbé de Redon] s'il voulait leur prêter secours contre les vexations du seigneur de Sion. L'abbé de Redon accueillit la demande de ces pauvres opprimés et fit rentrer dans le devoir le farouche Hervé de Sion [Note : Cartularium Rotonense, p. 287].

M. l'abbé Moisan, qui n'a pas eu entre les mains le Cartulaire de Redon, ne parle point de tous ces personnages, mais il signale, d'après Dom Lobineau, un Cavalon de Sion qui signa une donation faite au XIème siècle en faveur de Marmoutiers [Note : Preuves Preuv. de l'hist. de Bret., p. 180], et il accompagne ce nom de la note suivante : « On rencontre (dans la province de Sion) un groupe de pierres sur un petit monticule qui porte le nom de pierres Cavalan ; les deux plus grosses de ces pierres sont encore debout. Ne serait-ce point un monument destiné à conserver le souvenir de ce seigneur de Sion appelé Cavalon ou Caulan ? ».

En 1153 vivait Alfred de Sion, prévôt de l'église de Nantes [Note : Preuves Dom Morice, I, p. 617].

En 1172, Guillaume de Sion fut témoin d'une donation faite à Buzay, et, en 1201, il fit lui-même beaucoup de bien à cette abbaye ; il paraît que dès cette époque il possédait la seigneurie de Frossay [Note : Preuves Dom Morice, I, p. 668, 793. — Dict. des fiefs du comté nantais, par M. de Cornulier].

Quelques années plus tard apparaît Aufroy de Sion qui, selon toute probabilité, habita le château seigneurial dont il portait le nom. En 1226 il fonda dans sa forêt de Domenesche la chapelle et le prieuré de Brillangault, qu'il donna à l'abbaye de la Roë, en Anjou ; sa femme, nommée Louise, voulut contribuer elle-même à cette bonne œuvre en ajoutant à la donation 10 sols de rente sur son fief de la Chauvière [Note : L'acte de fondation du prieuré de Brillangault, très-intéressant dans ses détails et inédit jusqu'à présent, a été heureusement retrouvé par M. Moisan].

Ce fut probablement ce même seigneur qui fit don aux moines de Marmoutiers d'une maison et d'une vigne, à la condition que le prieur de Béré-lèz-Châteaubriant enverrait un de ses religieux célébrer l'office divin dans la chapelle que lui-même, Aufroy de Sion, se proposait alors de construire à Sion en l'honneur de Notre-Dame et de Saint-Jacques [Note : Inventaire des titres de Marmoutiers, publié par M. de la Borderie ; Bull. de la Société arch. de la Loire-Inférieure, VI, p. 116. Le prieuré de Sion existait toutefois bien avant cette donation, puisqu'il est signalé dès l'an 1115].

Enfin, en l'an 1248, le même Aufroy de Sion — ou plutôt, peut-être, son successeur portant le même nom — donna encore aux religieux de Saint-Martin de Tours sa chapelle du fief Herbert-Marie, située près de son manoir ou hébergement de Domenesche et y joignit de beaux revenus [Note : Inventaire des titres de Marmoutiers, publié par M. de la Borderie ; Bull. de la Société arch. de la Loire-Inférieure, VI, p. 168].

Comme l'on voit, tous ces seigneurs de Sion aux XIIème et XIIIème siècles partageaient entièrement les idées religieuses de leur époque si féconde en fondations monastiques.

Le P. du Paz parle d'un Guillaume de Sion qui vivait en 1267 et il est plusieurs fois question dans les Preuves de l'histoire de Bretagne de Geoffroy de Sion, mais rien d'intéressant ne nous est parvenu toutefois concernant ces deux seigneurs.

Geoffroy de Sion fut, selon du Paz, le dernier représentant mâle de la branche aînée des seigneurs de Sion [Note : Il y avait, en effet, une branche cadette de Sion, à laquelle appartinrent les seigneurs d'Anguignac, paroisse de Conquereuil. Jean de Sion, seigneur d'Anguignac, épousa Marie de la Boëssière, dont il eut Rolland de Sion, marié à Jeanne du Gué, et mort en 1466, et Jeanne de Sion, qui épousa elle-même Antoine du Gué. (Du Paz. Hist. généal. 688)]. Après sa mort, la terre de Sion passa successivement à ses deux sœurs, nommées Jeanne et Anne.

Jeanne de Sion, dame dudit lieu, épousa : 1° Armel I, seigneur de Châteaugiron, et 2° Jean I, seigneur de Rieux.

Anne de Sion, qui lui succéda, épousa Alain I, seigneur de Saffré. Tous ces personnages vivaient au XIVème siècle.

M. Moisan croit qu'il faut placer à cette époque la destruction du château de Sion. Il fait remarquer à ce propos que du Gueselin guerroyait alors dans le pays, et que les châteaux de Fougeray et de Derval, si voisins de Sion, furent attaqués par l'illustre capitaine, l'un en 1356, l'autre en 1373. Alors vivaient Jeanne et Anne de Sion, et il n'est point indifférent de rapporter ici la tradition populaire de la ruine du château de Sion.

Cette forteresse appartenait, il y a bien des siècles, disent nos conteurs villageois, à deux jeunes dames, deux sœurs, aussi riches que belles ; nombreux étaient les seigneurs qui prétendaient à leur main. Mais les dames de Sion ne se pressaient point d'accueillir tous les beaux chevaliers du pays, elles se tenaient au contraire soigneusement renfermées dans l'enceinte de leur château. Un jour, quelques chefs d'armée passant à Sion demandèrent en vain la permission d'entrer dans la forteresse ; nonseulement on repoussa leurs sollicitations, mais on se railla d'eux.

Dans leur premier mouvement de colère, ces gens de guerre résolurent de se venger ; on commençait à se servir en Bretagne du canon : ils placèrent des batteries sur les hauteurs voisines de Sion et foudroyèrent le château qu'ils détruisirent de fond en comble. Quant aux jeunes dames de Sion, elles se trouvèrent trop heureuses, ajoute-t-on en terminant, de pouvoir épouser leurs vainqueurs.

S'il faut ajouter foi à cette tradition — qui, après tout, n'a rien d'invraisemblable — le château de Sion fut donc détruit, dit M. l'abbé Moisan, un peu avant l'une ou l'autre des alliances de Jeanne et d'Anne de Sion avec les puissants sires de Châteaugiron, de Rieux et de Saffré. Ces seigneurs étaient, en effet, presque voisins des dames de Sion qu'ils épousèrent, et ils prirent tous part à la guerre de la succession qui désolait alors la Bretagne.

Ainsi se termine, par une légende, l'histoire de la maison de Sion, qui occupa, comme on voit, un rang assez considérable en Bretagne pendant les XIIème, XIIIème et XIVème siècles ; ainsi disparut la forteresse de Sion dont nous ne retrouverons point désormais mention dans nos annales.

II.

Par suite du mariage d'Anne de Sion avec Alain de Saffré, la seigneurie de Sion passa entre les mains de leurs enfants, qui furent Geffroy et Alain de Saffré, successivement seigneurs de Sion.

Cette famille de Saffré habitait le château du même nom, et, en 1394, Alain II de Saffré seigneur dudit lieu et de Sion, con-firma la fondation d'une chapellenie faite par son père Alain I, mari d'Anne de Sion, dans l'église paroissiale de Saffré.

Selon du Paz, Alain II de Saffré épousa Olive de Bourgon et en eut deux enfants : Alain III, son successeur, seigneur de Saffré et de Sion, mort sans postérité, — et Jeanne de Saffré, qui hérita de tous ses biens qu'elle porta dans la maison de Tournemine en épousant Jean II Tournemine, seigneur de la Hunaudaye.

Jeanne de Saffré mourut le 28 octobre 1460, dit M. l'abbé Moisan. Elle avait marié, dès 1428, son fils Gilles I, Tournemine, seigneur de la Hunaudaye, Saffré et Sion, avec Béatrice de la Porte, dame de Vezins. Plus tard, ce jeune seigneur épousa, en secondes noces, Marie de Villiers, dame du Hommet. Tout le monde a lu, dans dom Lobineau, la tragique histoire de cette dame de Sion. Gille Tournemine, son mari, étant mort en 1474, Marie de Villiers se remaria, malgré toute sa famille, avec Jean Eder seigneur de Beaumanoir. Elle avait eu, de sa première union, trois garçons, nommés François Tournemine, seigneur de la Hunaudaye, Georges Tournemine, seigneur Hommet, et Jean Tournemine, seigneur de Sion. Ces deux derniers, furieux du second mariage de leur mère, feignirent de recevoir avec honneur Jean Eder, leur beau-père, dans leur château de la Hunaudaye, mais ils le menèrent à une chasse dans la forêt voisine du manoir et l'assassinèrent sans pitié au mois de novembre 1486. Un si épouvantable forfait demandait vengeance, les assassins furent poursuivis et dépouillés de leurs biens, et leur frère aîné, François Tournemine, devint non-seulement baron de la Hunaudaye, mais encore seigneur de Saffré et de Sion. Ce seigneur, très-puissant à la cour de Bretagne, épousa successivement Marguerite du Pont, dame de Plusquellec, et Jacquelte de Tréal, mais il mourut néanmoins sans postérité en 1500.

Après sa mort, dit du Paz, son frère, Georges Tournemine, parvint à faire oublier le crime de sa jeunesse et hérita de la baronnie de la Hunaudaye et des seigneuries de Saffré et de Sion. Il épousa : 1° Renée de Villeblanche 2° Anne de Moniejean, et n'eut qu'une fille, née de son premier mariage et nommée Françoise.

Françoise Tournemine, dame de la Hunaudaye Saffré et Sion, contracta trois alliances, et épousa : 1° Pierre de Laval, seigneur de Montafilan, fils du baron de Châteaubriant ; 2° Jacques de Montjean ; 3° Claude d'Annebault, maréchal de France.

« Le 25 avril 1526, dit M. l'abbé Moisan, Claude d'Annebault, seigneur de Saint-Pierre, la Hunaudaye et le Hommet, mari de Françoise Tournemine, fille et héritière principale et noble de Georges Tournemine, vendit les lieux nobles, château, terre, seigneurie et châtellenie nommés Sion pour la somme de 6,000 livres à noble et puissant Mathurin de la Chapelle, seigneur de la Roche-Giffart ».

Je n'ai fait que signaler ces seigneurs de Sion appartenant à l'illustre maison de Tournemine, parce qu'ils n'habitèrent point notre pays et que leur vie appartient en quelque sorte tout entière à l'histoire générale de la Bretagne. L'histoire de leurs successeurs va devenir, au contraire, beaucoup plus intéressante pour nous par suite de leur séjour au milieu de leurs vassaux.

III

A une lieue de Sion se trouvait jadis une seigneurie d'une certaine importance, appelée la Roche-Giffart, du nom de ses premiers possesseurs les Giffart. Ce manoir, situé dans la paroisse de Saint-Sulpice-des-Landes, évêché de Rennes, appartint successivement, du XIIIème au XVIIème siècles, aux familles Giffart, de la Lande et de la Chapelle. En 1526 c'était la propriété de Mathurin de la Chapelle, fils d'Arthur de la Chapelle, seigneur de la Roche-Giffart, et de Christine du Chastellier ; ce fut lui qui acheta, comme nous venons de le dire, la seigneurie de Sion vendue par Claude d'Annebault.

L'histoire des la Chapelle, seigneurs de la Roche-Giffart et de Sion, offre un véritable intérêt, quoiqu'elle soit bien triste à raconter. Ces seigneurs habitaient leur château de la Roche-Giffart à l'exemple de leurs ancêtres et leur influence fut malheureusement trop grande dans tous les alentours. Ils se jetèrent, en effet, dans l'hérésie du XVIème siècle et ne tardèrent pas à devenir les chefs du parti protestant dans nos contrées.

Ce fut René de la Chapelle, seigneur de la Roche-Giffard, Sion et Fougeray [Note : Il acheta vers 1562-1567 la seigneurie et le château de Fougeray, paroisse de ce nom, voisins du manoir de la Roche-Giffart], qui eut le triste courage d'abandonner le premier la vieille foi de ses pères. Vers 1562, il permit aux ministres hérétiques de venir prêcher publiquement l'erreur dans ses terres, en particulier à la Roche et à Sion ; lui-même embrassa chaudement leurs pernicieuses doctrines, et, forts de son appui, les huguenots prêchèrent dans une petite chapelle au bourg même de Sion. Alors, autour de René de la Chapelle, tout-puissant déjà par la réunion entre ses mains des trois grandes seigneuries de Fougeray, la Roche et Sion, autour de René de la Chapelle, dis-je, se groupèrent quelques petits gentilshommes des environs, tels que Jacques Le Maistre, seigneur de la Garrelaye, paroisse de Derval [Note : La famille Le Maistre possédait alors en Sion le manoir de l'Orme] ; le seigneur de Chamballan, paroisse de Rougé ; le seigneur de la Porte, paroisse de Derval ; le seigneur de la Villevoisin, de la maison de Buinart ; le seigneur de Mesneuf, etc. [Note : Histoire de la Réforme en Bretagne par Philippe Le Noir, ministre de l'église réformée de Blain publiée par M. Vaurigaud, p. 127]. Ainsi fut fondée l'église prétendue réformée de Sion qui choisit pour ministre Jacques Guineau. « En vertu de l'édit de 1562, dit un factum protestant, ceux de Sion et du voisinage qui se trouvèrent alors être de la religion s'unirent pour faire un corps d'église, appelèrent un pasteur, dressèrent leur consistoire, signèrent leur confession de foi et firent choix du bourg de Sion pour leur assemblée ordinaire, comme étant au centre de toutes leurs familles » [Note : Histoire de la Réforme en Bretagne par Philippe Le Noir, ministre de l'église réformée de Blain publiée par M. Vaurigaud, p. 98].

A peine le protestantisme était-il établi à Sion que ses sectaires donnèrent des preuves trop manifestes des sentiments qui les animaient.

A peu de distance de Sion, au milieu de l'épaisse forêt de Teillay, s'élevait le monastère de Saint-Martin, fondé par les barons de Châteaubriant et habité par des religieux cordeliers. « Cette maison fut envahie par les huguenots en l'année 1562. Presque tous les frères avaient eu le bonheur de se sauver lorsque les ennemis de Dieu et de son Église entrèrent dans le couvent; mais il en était resté deux : le gardien, nommé le P. Drouadeyne, homme vénérable, très-exact observateur de sa règle et remarquable par son érudition, et le frère François Butault, laïque. Le premier fut cruellement massacré et le frère Butault jeté, dit-on, sur des charbons ardents, puis tué à coups de fusil. Quelques années plus tard, le P. Jean Tissier, aussi gardien de la maison de Saint-Martin et très-recommandable par ses vertus, reçut également la mort de la main des hérétiques qui jetèrent ensuite son corps dans un puits » [Note : Vies des saints de Bretagne, par l'abbé Tresvaux, III, p. 315].

De si épouvantables crimes criaient vengeance ; on ne voit point cependant que les huguenots de Sion aient été punis, mais, en 1573, une garnison, sous la conduite du capitaine Havardière, fut envoyée à la Roche-Giffart par le duc de Montpensier, gouverneur de Bretagne, probablement pour surveiller les mouvements des hérétiques.

René de la Chapelle, — que le ministre Le Noir appelle « le premier pilier de la réformation en sa maison et dans le pays dépendant de lui, » — mourut le 16 décembre 1577 et fut inhumé le lendemain dans la partie de l'église de Fougeray affectée au culte protestant. Quatre ans plus lard mourut sa veuve, Renée Thierry, darne de Pocé [Note : Histoire de la Réforme en Bretagne, p. 184].

Le seigneur et la dame de Sion laissaient deux enfants naturellement élevés dans l'hérésie : Louis, qui suit, et Renée qui épousa, en 1580, Charles d'Avaugour, seigneur de Saffré. « A la mort de cette dernière dame, dit M. l'abbé Moisan, son corps fut présenté à l'église de Saffré, le 10 janvier 1606, et cette église demeura par suite polluée depuis ce jour jusqu'au 26 avril, jour de Pâques, où elle fut reconciliée. Pendant tout ce temps les offices catholiques se firent dans l'église de Puceul ».

Louis de la Chapelle, seigneur de la Roche-Giffart, Sion et Fougeray, succéda à son père et épousa Marguerite Tillon, de la maison de la Touche-Moreau.

Il continua de favoriser de tout son pouvoir les hérétiques, et leur permit même de s'assembler dans l'auditoire de sa juridiction seigneuriale, au bourg de Sion [Note : On voit encore maintenant à Sion cet auditoire et la demeure du ministre, qui l'avoisine, appelée Maison du temple protestant]. Mais, malgré tous ses efforts, il ne réussit point à consolider l'hérésie dans nos catholiques campagnes ; quelques petits seigneurs du voisinage, la plupart des officiers des juridictions seigneuriales, tous ceux, en un mot, qui dépendaient ou relevaient prochement du seigneur de la Roche-Giffart, poussés, les uns par l'ambition, les autres par la crainte, purent bien abandonner leurs croyances séculaires, mais le peuple, lui, resta fidèle, à Sion comme dans le reste de la Bretagne, et c'est cet attachement aux principes catholiques qui donna, chez nous, au mouvement de la Ligue, toute l'importance qu'on sait. La suite de cette histoire présentera sans cesse ce double tableau d'une église protestante languissant à Sion, malgré la faveur des seigneurs du pays, et de la vieille église catholique fondée à Sion par saint Melaine lui-même [Note : M. l'abbé Moisan attribue, en effet, l'évangélisation de la paroisse à ce saint évêque de Rennes, qui en est demeuré le patron jusqu'à nos jours], luttant patiemment contre la puissance et la cruauté parfois de ses ennemis et finissant par demeurer victorieuse, à force de vertus.

Tel était le courage des protestants de Sion, qu'à l'approche des ligueurs, leur prétendue église se vit tout à coup décapitée ; Jacques Guineau, qu'ils avaient élu ministre, prit, en effet, la fuite et abandonna honteusement son troupeau en 1585 pour aller mourir à l'étranger [Note : Hist. de la Réf. en Bretagne, pp. 268, 275].

Leur protecteur Louis de la Chapelle ne fut guère plus heureux. Le duc de Mercœur, en effet, successeur du duc de Montpensier dans le gouvernement de la province et chef du parti des ligueurs en Bretagne, parvint à s'emparer du château de Fougeray, place très-forte qui appartenait alors, comme nous l'avons dit, au seigneur de la Roche-Giffart. Furieux de cette perte, les huguenots épièrent l'occasion de reprendre ce château. Dès 1594, un de leurs chefs, La Tremblaye, essaya, mais en vain, « de jouer quelque tour aux ligueurs de Fougeray ». L'année suivante, le capitaine huguenot Saint-Luc, accompagné de Louis de la Chapelle lui-même, parut sous les murs de cette place ; mais le seigneur de la Roche-Giffart ne rentra point dans son château : il fut tué devant Fougeray d'un coup d'arquebuse que lui porta l'un des assiégés [Note : Hist. de la Ligue en Bretagne, p. Guyot des Fontaines].

Il laissait pour héritier Samuel de la Chapelle, seigneur de la Roche-Giffart, Sion et Fougeray. Ce dernier enleva Françoise de Marec’h, fille du seigneur de Montbarot, gouverneur de Rennes, et l'épousa en 1615 ; ce sont les protestants eux-mêmes qui nous apprennent cet enlèvement [Note : Hist. de la Réf. en Bretagne, p. 318].

Ce seigneur fut aussi malheureux que son père. Il était encore jeune lorsqu'il fut tué à une chasse ; il laissa ses trois enfants, Henri, Samuel et Esther, sous la tutelle de sa mère, Marguerite Tillon, sa femme Françoise de Marecl l'ayant suivi de près au tombeau (vers 1620).

Henri Ier de la Chapelle, marquis de Fougeray [Note : Il obtint, en 1644, l'érection en marquisat de sa seigneurie de Fougeray] et seigneur de la Roche-Giffart et de Sion, persévéra dans les erreurs religieuses de son père et de son grand-père, épousa, en novembre 1634, Marguerite de Chamballan, et maria en même temps sa sœur Esther avec le seigneur de Chamballan. Il y avait déjà longtemps que ce manoir de Chambalian, paroisse de Rougé, était devenu un lieu d'exercice pour les huguenots de Châteaubriant, chassés de cette ville par le peuple, resté catholique ; l'hérésie forma donc cette double union entre les seigneurs de Sion et de Chamballan.

Ce fut vers cette époque que commença dans nos pays le grand mouvement réactionnaire pacifique contre l'hérésie ; il avait été précédé d'une autre formidable réaction guerrière, je veux dire la Ligue. On peut dire, sans crainte de se tromper, je crois, que la Ligue fut le premier moyen dont Dieu se servit pour préserver la Bretagne des ravages de l'hérésie, mais comme l'œuvre de l'Église catholique est essentiellement une œuvre de paix, le Seigneur, après avoir frappé les esprits par la guerre, laissa son Église achever tout doucement cette œuvre admirable de la conversion des hérétiques par le salutaire moyen des missions. Cet épisode de l'histoire du protestantisme chez nous étant encore complétement inédit, on me permettra de m'y arrêter quelque peu.

C'est en 1642 que fut prêchée à Fougeray la première grande mission pour ramener à la vérité les pauvres huguenots du pays. Deux religieux récollets, les PP. Panlin Guillotin et Dorothée Gilbert, accomplirent ce travail et reçurent plusieurs abjurations [Note : Registre paroissial du Grand-Fougeray, communiqué par M. le curédoyen de cette paroisse].

Six ans plus tard eut lieu une conversion qui fit naturellement beaucoup de bruit ; ce fut celle du frère même du seigneur de la Roche-Giffart, Samuel de la Chapelle, seigneur de Careil, qui se fit oratorien et devint plus tard prieur de la Chapelle-Glain. Une note du Registre paroissial de Saint-Sulpice-des-Landes nous apprend cet événement par ces simples, mais touchantes paroles : « L'heureuse conversion de M. de Careil (en marge est écrit : Samuel de la Chapelle) a esté en 1648, environ les festes de Pasques, au moys d’avril, et se rendit aux pères de l'Oratoire à Paris au mesme moys ».

Ce retour de Samuel de la Chapelle à la foi catholique ne toucha pas, paraît-il, l'âme du seigneur de Sion ; Henri Ier persévéra dans ses erreurs et reçut bientôt le châtiment de son obstination. S'étant rendu à Paris, il se mêla aux troubles de la Fronde et fut tué le 2 juillet 1652, à la bataille du faubourg Saint-Antoine. « Sur quoi on remarque, observe judicieusement l'historien protestant lui-même, que trois seigneurs de la Roche-Giffart, tous de suite, sont morts de mort violente » [Note : Hist. de la Réf. en Bretagne, p. 318]. La main de Dieu s'étendait, en vérité, bien visiblement sur cette famille de la Chapelle : elle ne sut pas cependant le comprendre, mais s'endurcissant, au contraire, dans le mal, elle continua d'attirer sur elle la colère divine.

Henri II de la Chapelle succéda à son père, en 1652, et se qualifia marquis de Fougeray, seigneur de la Roche-Giffart et de Sion, baron de la Roche-en-Nort [Note : La seigneurie de la Roche-en-Nort fut vendue, en 1626 par Louis de Rohan à Samuel de la Chapelle. (V. le Dict, des fiefs du comté nantaise par M. de Cornulier)], etc. Il épousa Marguerite de la Lande, dite de Machecoul, fille du seigneur de Saffré, dont il n'eut qu'une fille, nommée Anne-Claire, qui s'unit à Claude de Damas, marquis de Thiomges.

Henri II se déshonora de toutes les façons : dissipateur, débauché et sacrilége, il fut vraiment la terreur du pays, et l’on demeure stupéfait en songeant aux atrocités demeurées impunies, commises au grand jour par ce seigneur dans notre pieuse Bretagne et sous le règne tout-puissant de Louis XIV. L'histoire de ce seigneur de Sion est une vraie pièce justificative de la fameuse révocation de l'édit de Nantes.

Henri II de la Chapelle habitait ordinairement son château de la Roche-Giffart ; il se rappela, paraît-il, que ses coréligionnaires, — guidés, peut-être, par son aïeul, — avaient précédemment pillé à deux reprises le couvent de Saint-Martin-de-Teillay : il ne voulut pas faire moins qu'eux. A la fin de 1660, ou au commencement de 1661, le seigneur de Sion surprit, avec ses huguenots, le couvent que nous venons de nommer. Il y fit mettre le feu, et brûla tous les pauvres moines qui s'y tenaient renfermés, sauf l'un d'entre eux qui réusssit à sortir par une fenêtre ; mais cette malheureuse victime ne leur manqua même pas ; les furieux saisirent ce religieux et le firent périr, au milieu d'atroces souffrances, en lui coulant du plomb fondu dans la bouche et dans les oreilles [Note : On voyait encore, au commencement du XIXème siècle, avant qu'eussent été rasées les dernières ruines du couvent de Saint-Martin-de-Teillay, une inscription commémorative placée dans la bibliothèque du monastère, et rappelant brièvement l’horrible incendie de 1661 et les noms de toutes les victimes de la fureur des huguenots] !

La colère de ce seigneur, véritable bourreau, ne se borna pas là, elle se changea en une sorte de démence. Revenu à la Roche-Giffart, après le massacre des moines de Teillay, Henri II de la Chapelle s'attaqua à la propre chapelle qu'avaient construite ses ancêtres, en l'honneur de saint Léonard, à la porte de leur château de la Roche. Il eut l'audace de l'incendier, comme il avait brûlé Saint-Martin.

Enfin, pour mettre le comble à ses horreurs sacrilèges, le marquis de Fougeray envoya son châtelain, ou premier officier de sa maison, piller l'église paroissiale de Sion et profaner les saintes Espèces qu'on y adorait. A la nouvelle de ce crime infâme, ce fut dans tout le pays un cri d'horreur ! On retrouva les saintes hosties semées le long du chemin qui conduit de Sion à la Roche-Giffart ; les prêtres de Sion, suivis de toute la population catholique, — qui était en très-grande majorité, comme nous l'avons déjà dit, — se rendirent processionnellement, un cierge à la main, sur les lieux du sacrilège; on recueillit pieusement les saintes Espèces, à mesure qu'on les aperçut, et l'on éleva une croix à l'endroit où fut relevée la dernière hostie. Ces détails ne nous sont connus que par la tradition populaire, mais nous avons découvert une preuve historique du triple crime d'Henri II de la Chapelle ; c'est une noie insérée, à l'époque même dont il s'agit, dans un vieux registre de la paroisse de Saint-Sulpice-des-Landes, et cette note est ainsi conçue : « Le huictiême de janvier 1661, les sieur et dame de la Roche, accusez d'avoir bruslé ou faict brusler la chapelle de Sainct-Léonard et le couvent de Sainct-Martin et furent mis en arretz (sic) ; leur chastelain, convaincu du vol et emport du sainct ciboire et du sainct sacrement de Sion fut bruslé vif » [Note : M. l'abbé Moisan avait eu connaissance de cette note, mais il attribue les crimes qu'elle dénonce à Catherine de Rougé, femme du maréchal de Créquy, C'est une grave erreur, qui provient de ce que M. l'abbé Moisan n'a point connu la vraie date de l'arrivée de cette dame à la Roche-Giffart ; elle n'y vint, en effet, qu'après 1685 ; il est d'ailleurs question ici des sieur et dame de la Roche, qui ne pouvaient être, en 1661, antres qu'Henri II de la Chapelle et Marguerite de la Lande, sa femme].

Voilà quels étaient dans notre pays les excès criminels des huguenots au XVIIème. Qu'y a-t-il d'étonnant qu'on usât parfois de violence à leur égard ? Une autre anecdote, restée profondément gravée dans les souvenirs du peuple, va nous montrer les catholiques de Sion en prise avec les protestants.

C'était, un jour de Fête-Dieu, vers 1663 [Note : On ne sait point la date positive de ce fait, mais Mre Jean Dubois qui, d'après Ogée, assomma le pauvre cocher, ne vint en qualité de vicaire à Sion qu'en 1663. Il faut ajouter, à ce sujet, que, d'après M. l'abbé Moisan, la tradition des paysans de Sion ne parle point de Mre Jean Dubois comme l'auteur de ce meurtre, qu'elle met, au contraire, sur le compte des marguilliers de la paroisse] ; la procession du Saint-Sacrement sortait de l'église de Sion et défilait, traversant la route qui mène à la Roche-Giffart. Tout à coup apparaît le carrosse du marquis de Fougeray, seigneur de Sion. A la vue de la procession, Henri II de la Chapelle ordonne à son cocher de passer outre et de traverser les rangs des catholiques ; mais ceux-ci, entendant cette menace, s'arrêtent et se retournent vers le carrosse, barrant le passage aux chevaux avec tout ce qui leur tombe sous la main. Irrité de cette résistance à laquelle il ne s'attendait pas, le seigneur de Sion réitère ses ordres à son cocher ; le malheureux valet, pressé de la sorte par son maître, lance de nouveau ses chevaux ; mais ces derniers tombent sous les bâtons des catholiques, et le cocher reçoit lui-même une telle grêle de coups, qu'il reste mort sur la place. Quant à Henri de la Chapelle, il dut se trouver très-heureux d'échapper, par la fuite, à ses vassaux justement irrités de son impiété.

C'était, comme on le voit, un singulier personnage et un fort méchant huguenot que ce seigneur de Sion. Il soutint un long procès contre les paroissiens de Fougeray, perdit ce procès et ébrécha grandement sa fortune. En 1667, il fut forcé de revendre au prince de Condé la forêt de Teillay, qu'il ne pouvait payer [Note : Le prince de Condé, baron do Châteaubriant, avait vendu cette forêt, en 1651, à Henri I de la Chapelle, qui en prit possession la même année], et dans le même temps il se sépara de biens d'avec sa femme. Enfin il finit par vivre publiquement avec une certaine dame de la Hamelinière, parente de Mme de Sévigné. La spirituelle marquise nous a laissé le portrait de cette dame, et ce portrait achève de nous faire connaître le seigneur de la Roche-Giffart, son amant.

Mme de Sévigné était aux Rochers, lorsque Mme de la Hamelinière lui vint, rendre visite, accompagnée d'une petite huguenote « toute bouclée ». L'aimable châtelaine disputa sur la religion avec la petite huguenote, puis écrivit ce qui suit à Aline de Grignan, sa fille : « Je me réveillai beaucoup par cette dispute, car sans cela j'étais morte ; car cette fille était venue avec une madame de la Hamelinière, dont le mari est votre parent. Cette femme est une espèce de beauté que vous avez vue une fois à Paris ; elle a un amant à bride abattue. Elle est deux ou trois mois chez lui ; elle s'en va à Paris, à Bourbon, familièrement avec lui, et partout avec son équipage. Elle est présentement ici avec six beaux chevaux gris, qui sont à M. le marquis. Elle en parle sans fin et sans cesse. Elle n'est pas souvent chez son mari, dont les terres sont en décret, car votre cousin s'est ruiné comme un sot dans son château. Cette femme, qui n'a point d'affaires, ne cherche qu'à faire des visites : elle vient de vingt lieues loin et tombe ici comme une bombe, à l'heure que j'y pense le moins. » .............

« Voulez-vous savoir des nouvelles de Mme de la Hamelinière ? Elle a été ici sept jours entiers ; elle ne partit qu'hier. J'envie bien les chevaux qu'elle fit paraître dans ma cour ; la familiarité de cette femme est sans exemple. Elle s'en retourne chez M. le marquis de la Roche-Giffart elle a son équipage, elle ne parle que de lui. Votre bon cousin ne laisse pas de l'adorer et d'adorer aussi M. le marquis. On parlerait longtemps là-dessus : les choses singulières me réjouissent toujours. Je vous assure que je fus fort touchée du plaisir de voir partir ce train » [Note : Lettres de Mme de Sévigné à Mme de Grignan, datées des Rochers, 21 et 26 juin 1680].

La conduite adultère d'Henri de la Chapelle et les violences sacrilèges devaient attirer tôt ou tard la vengeance du ciel justement irrité contre ce méchant chef des huguenots. Ce fut la Révocation de l'Edit de Nantes qui devint son châtiment. S'obstinant de plus en plus dans l'hérésie, ou plutôt dans l'impiété, Henri II de la Chapelle refusa d'abjurer ses erreurs, vendit ce qu'il possédait encore en Bretagne et prit le chemin de l'exil. La tradition raconte que sa femme vint alors le rejoindre et l'accompagna en Hollande ou il se retira et ou, croit-on, la mort le vint bientôt surprendre.

Les terres du marquisat de Fougeray furent alors achetées ainsi que celles de la seigneurie de la Roche-Giffart, par François de Bonne, marquis de Créquy, maréchal de France, et par Catherine de Rougé, sa femme (1685). Quant à la châtellenie de Sion, elle fut tristement démembrée, dit M. l'abbé Moisan : « Une partie de la seigneurie, comprenant les forges de la Hunaudière, les forêts de Domenesche et de Thiouzé, la Cour-de-Limesles et les fiefs qui en dépendaient fut vendue au maréchal de Créquy et unie par ce dernier au marquisat de Fougeray. Les autres terres de la châtellenie, derniers dabris de la grande fortune de la famille de la Chapelle demeurèrent entre les mains des deux sœurs d'Henri II, nommées Marguerite et Henriette de la Chapelle ».

Ces deux dames choisirent pour leur résidence un manoir peu considérable alors appelé la Masserie et situé au bourg même de Sion. Elles y vécurent ensemble [Note : Dès 1666, dit M. l'abbé Moisan, ou trouve des aveux rendus à « haute et puissante dame damoiselle Marguerite de la Chapelle, héritière de la châtellenie de Sion » ; ce qui prouve que cette seigneurie avait été divisée, après la mort d'Henri Ier, entre son fils Henri II et ses filles Marguerite et Henriette] et Marguerite, l'aînée d'entre elles, mourut vers 1683, sans avoir contracté d'alliance, persévérant malheureusement dans les erreurs religieuses de sa famille.

Quant Henriette de la Chapelle, elle avait épousé dès 1680 René du Boays, comte de Saint-Gilles, qui prit plus tard les titres de seigneur de Sion et de Careil [Note : La châtellenie de Careil, qui appartint pendant longtemps aux La Chapelle, seigneurs de Sion, était située en la paroisse de Guérande, et l'on voit encore, si j'ai bonne mémoire, des statues tumulaires des sires et dames de Careil dans l'ancienne et si intéressante église collégiale de Saint-Aubin de Guérande].

IV

La famille de Boays, dit M. l'abbé Moisan, était protestante comme celle de la Chapelle ; Dieu permit toutefois, comme nous le verrons à l'instant, la conversion des seigneurs, de Sion issus de cette maison.

De l'union de René de Boays et d'Henriette de la Chapelle, seigneur et dame de Sion, naquirent au moins deux garçons, dont un seulement nous est connu ; il se nommait Gédéon du Boays et naquit en 1681.

Ce dernier, ayant perdu ses parents à la fin du XVIIème siècle [Note : Henriette de Le Chapelle mourut, dit M. l'abbé Moisan, en 1687, et son mari, René du Boays, la suivit au tombeau en 1698], épousa, le 21 avril 1703, Charlotte-Polixène de Goulaine, fille de François de Goulaine, seigneur de Landonnière, paroisse de Vieillevigne et de Marguerite d'Apelvoisin.

Ce seigneur et cette dame de Sion ont laissé des souvenirs encore très-vivaces dans la population de Sion.

Gédéon du Boays, connu surtout sous le nom de comte de Méneuf [Note : La seigneurie de Méneuf se trouvait près de Rennes, en la paroisse de Bourgbarré et appartenait, depuis longtemps déjà, aux du Boays] eut d'abord de grandes difficultés dans sa seigneurie de Sion. ll s'attacha cependant à ce pays, embellit grandement sa demeure seigneuriale de la Masserie, construisit des halles dans le bourg et établit à Sion un marché chaque semaine.

Ce qui acheva de lui gagner l'estime de ses vassaux, qu'il avait d'abord tourmentés [Note : Il avait eu surtout un procès contre les paroissiens, resté trop célèbre dans la tradition populaire, relativement aux petites meules, ou moulins à blé noir], ce fut sa conversion et celle de sa femme au catholicisme. Élevés l'un et l'autre dans l'hérésie, ils reconnurent enfin leurs erreurs et voulurent réparer par leurs bonnes œuvres le scandale qu'eux-mêmes, et surtout leurs ancêtres, avaient causé dans le pays.

C'est ainsi qu'avant de mourir, la comtesse de Méneuf fonda à perpétuité deux missions dans les paroisses de Sion et de Vieillevigne. Son mari, imitant cet exempte de pieuse bienfaisance, fonda de son côté une rente annuelle [Note : Cette rente des pauvres de Sion existe encore en 1869] et un lit à l'hospice Saint-Méen de Rennes pour les pauvres de Sion.

Charlotte de Goulaine, dame de Sion et de Méneuf, mourut le 27 juin 1736, au manoir de la Masserie, et fut inhumée, dit M. l'abbé Moisan, devant le maître-autel de l'église paroissiale de Sion. Quant à Gédéon du Boays, son mari, il mourut à Rennes, en 1763, dans un âge avancé, ayant vu successivement mourir tous ses enfants.

V

La châtellenie de Sion tomba donc entre les mains des héritiers du seigneur et de la dame de Méneuf. C'étaient des parents assez éloignés, dit M. l'abbé Moisan savoir : MM. de Juigné, de la Garrelaye et de Goujon.

La liquidation de cette succession n'ayant eu lieu que vers 1780, tous les biens du comte de Méneuf demeurèrent indévis entre les héritiers depuis sa mort jusqu'à cette époque. Jacques-Gabriel Le Clerc, marquis de Juigné, devint ensuite seigneur de Sion, mais il ne conserva pas longtemps cette terre, qu'il vendit, vers 1785, au prince de Condé, baron de Châteaubriant. Celui-ci fut le dernier seigneur de Sion, car il possédait cette châtellenie quand la Révolution vint détruire les juridictions et les priviléges féodaux.

VI

En terminant cette histoire des seigneurs de Sion, si intimement liée à l'histoire du protestantisme dans notre contrée, il nous reste à dire comment disparut de Sion cette déplorable hérésie. Nous avons vu naître l'erreur, sous le patronage des seigneurs de la chapelle, nous devons maintenant raconter sa fin, grandement activée par la conversion des seigneurs de Méneuf.

Nous avons déjà dit que, dès 1642, des religieux missionnaires commencèrent à battre en brèche la prétendue réforme dans notre pays. Nos campagnes, qu'avaient voulu pervertir les hérétiques, purent bientôt jouir toutes successivement des bienfaits inappréciables de l'œuvre des missions. Les évêques eux-mêmes vinrent évangéliser les bourgades de leurs diocèses, et l'on vit Mgr de la Vieuville, évêque de Rentes, et Mgr de Beauvau, évêque de Nantes recevoir les abjurations des hérétiques, l'un à Bain, en 1665, l'autre à Fougeray, en 1685 [Note : Registres paroissiaux de Bain et de Fougeray].

La mission qu'ouvrit en personne Mgr de Beauvau, à Fougeray, eut d'excellents résultats. L'évêque resta près d'un mois à la tête des missionnaires, et laissa son grand-vicaire pour le remplacer à son départ ; aussi presque toute la noblesse du pays, qui avait embrassé le protestantisme abjura-t-elle promptement ses erreurs.

La mission prêchée à Sion ne fut pas moins heureuse. Le dernier ministre de l'église prétendue réformée de Sion, Isaac Forent, avait abandonné son troupeau en 1674, après quelques mois seulement d'exercice [Note : D'après le Journal manuscrit du sieur Supchault, notaire de Sion à cette époque, « ce fut le dimanche 3 décembre 1673 que M. Forent fut reçu ministre à Sion, où il eut imposition des mains par le sieur de Brissac et le sieur Dusson, ministre ». Cet Isaac Forent épousa, dit M. l'abbé Moisan, Gabrielle Pâquereau, dont il eut Marthe Forent, demoiselle de la Roche au bourg de Sion, chez laquelle se firent les derniers exercices des protestants]. Le départ du seigneur de la Roche-Giffart pour l'exil acheva, en 1685, de ruiner le parti des hérétiques. Aussi les jésuites envoyés par Mgr de Nantes à Sion furent-ils reçus avec bonheur par tous les catholiques. C'étaient les PP. Grout et Paillot, qu'accompagnaient deux vicaires généraux du diocèse, MM. de Lesrat et Poligné. Cette mission dura plus de deux mois, et le nombre des abjurations faites à cette occasion fut tellement grand, qu'il ne resta plus que quelques rares hérétiques dans tout le pays. Ces rétractations, dont nous possédons encore les actes, prouvent bien ce que j'ai précédemment avancé : la noblesse et les officiers des juridictions seigneuriales seuls, avec quelques commerçants, avaient embrasé l'erreur. Nous ne voulons point donner ici les noms de tous ces personnages, car parmi eux beaucoup appartenaient à de nobles familles qui se distinguent de nos jours par autant de foi que de pratique religieuse, faisant oublier par leurs vertus les fautes de leurs ancêtres. Qu'il nous suffise de dire, en terminant, qu'à Sion se vérifiait bien la parole du protestant Le Noir, avouant lui-même qu'en Bretagne le catholicisme a toujours été « défendu plus opiniâtrement qu'en aucun autre lieu de la France » [Note : Hist. de l'Eglise réformée de Bretagne, p. 5]. Et cette noble guerre contre l'hérésie, ce n'était pas seulement le clergé qui la faisait, c'était, encore plus peut-être, le peuple tout entier, ce peuple qui, dans son enthousiasme, s'écriait en Basse-Bretagne « Or çà ! Haute Cornouaille, voilà vos soldats ! Voilà les soldats du pays, les soldats unis pour défendre la vraie foi contre les huguenots » [Note : Barzas-Breiz ou Chants populaires de la Bretagne].

La dernière abjuration que mentionnent les Registres paroissiaux de Sion est celle du sieur Supchault, procureur de la châtellenie de Sion ; elle eut lieu en 1728. C'est vers cette même époque que Gédéon du Boays et Charlotte de Goulaine, sa femme, seigneur et dame de Sion, rétractèrent eux-mêmes leurs erreurs religieuses, dit M. l'abbé Moisan. Nous avons vu précédemment combien sincère fut leur conversion au catholicisme et quel soin ils mirent à réparer par leurs bonnes œuvres le scandale qu'avait dû causer leur hérésie. Nous sommes heureux de terminer par ce pieux souvenir des dernières années du comte et de la comtesse de Méneuf la notice historique que nous venons de consacrer aux seigneurs de Sion.

(Abbé Guillotin de Corson).

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