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GILLES DE LAVAL, BARON DE RAIS (RETZ), SEIGNEUR TEMPORAIRE DE TIFFAUGES

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GILLES DE LAVAL, BARON DE RAIS, SEIGNEUR TEMPORAIRE DE TIFFAUGES,

PAR SON ALLIANCE AVEC CATHERINE DE THOUARS, DAME DE TIFFAUGES ET DE POUZAUGES.

Catherine de Thouars, fille-de Miles II de Thouars, seigneur de Pouzauges, Tiffauges, Confolens et Chabannais, épousa, en 1420, Gilles de Laval, baron de. Rais [Note : On écrit Rais, Raiz, Raix, Rays, Rayx et Retz, et en latin radiesarium dominus, Rais est plus particulièrement employé au temps de Gilles : Retz est l'orthographe moderne], maréchal de France. C'est par ce mariage qu'il devint vicomte de Tiffauges, baron de Pouzauges, comte de Confolens et prince de Chabannais. Fils de Guy de Laval, deuxième du nom, de la famille de Montmorency [Note : Foulques de Montmorency, dit de Laval, seigneur de Chalviau, en Bourgogne, épousa Jeanne Chabot, fille héritière de Girard III de Chabot, baron de Rais et de Marie de Parthenay, dont il eut pour fils Guy de Laval, surnommé Brumor ; ce dernier épousa, en premières noces, Tiphaine de Husson, nièce du connétable du Guesclin, et en secondes, Marie de Craon, dont il eut deux fils ; l'aîné qui mourut jeune, et le second, Guy de Laval, baron de Rais, qui fut le père de Gilles de Rais et de son frère René. — Hist. Généal. des plus illustres Maisons de Bretagne, par A. Du Paz, in-f°, p. 219] et de Marie de Craon, fille de Jean de Craon, seigneur de la Suze, il naquit à Machecoul, en 1404. Orphelin, pour ainsi dire, dès sa naissance ; il avait été confié à la tutelle de son aïeul maternel Jean de Craon qui lui donna une éducation toute militaire et conforme aux exigences de l'époque.

Le château de Tiffaiuges (Vendée).

Il avait été fiancé, en 1416, avec Jeanne Paynel fille et héritière de Foulques Paynel, chevalier seigneur de Hambaye et de Bricquebec, mineure, placée sous la main et la garde du parlement de Paris. Cette union, projetée par Jean de Craon, seigneur de la Suze et de Chantocé, aïeul et tuteur naturel de Gilles de Rais, par Charles de Dinan, seigneur de Châteaubriant, aïeul de Jeanne de Paynel, et par Marguerite de Dinan, sa mère, ne fut pas accomplie [Note : M. P. Marchegay. — Cartulaire des sires de Rais, p. 67].

Doyen des barons de Bretagne, à cause de sa baronnie de Rais, maître de sa fortune à douze ans, il pouvait aspirer aux plus hautes alliances. Il rechercha alors Béatrix de Rohan, fille d'Alain de Porhoët, et signa avec ce seigneur, le 28 novembre 1418, une convention, à laquelle assistaient, comme témoins, les ducs de Bretagne et d'Alençon, ainsi que le comte d'Etampes. Des difficultés surgirent plus tard, et le contrat provisoire ne fut pas exécuté.

Ce fut alors deux ans plus tard, en 1420, le 28 novembre, qu'il épousa Catherine de Thouars, dame de Pouzauges, fille unique de Miles II de Thouars et de Béatrix de Montjean, dame de Chabannais et de Confolens, qui lui apporta en mariage Pouzauges, Tiffauges, Chabannais, Confolens, Château-Morand, Savenay Lombert, Grès-sur-Maine, Auzance, près Poitiers, et autres terres. Elle reçut pour douaire le tiers des revenus de Bourgneuf, Prigny, le Coustumier, Pornic, Prinçay, Vue et Saint-Michel-chef-chef, dans le pays de Rais.

Les deux époux étaient mineurs, car le 1er avril 1424, Gilles, ayant un traité à passer avec Jacques Meschin, second mari de Béatrix de Montjean, au sujet du douaire de celle-ci sur les baronnie et châtellenie de Tiffauges et de Beaurepaire, il dut faire intervenir, comme curateur, son aïeul, le sire de la Suze et de Chantocé.

Le seigneur de la Roche-Ayrault et sa femme s'étaient fait accorder par Gilles le droit de choisir et d'occuper l'une des deux forteresses susdites. L'opposition du vicomte de Thouars aboutit à faire garantir ses droits de chemier ou chef de famille contre tous les dommages pouvant résulter de cette concession.

Il avait seize ans à cette époque et possédait personnellement du chef de ses parents la baronnie de Rais, comprenant : Pornic, Machecoul, Saint-Etienne de Mer-Morte, Pruigné, Vue, La Verrière, l'Ile de Bouin, les terres de Chemillé, du Blason, de Fontaine-Millon, la Motte-Achard, La Meurière, Ambrières, Saint-Aubin des Fosses-Louvain. A la mort de son oncle et tuteur, il hérita de la maison de la Suze des seigneuries de Briolay, Chantocé, Ingrandes, le Loroux-Bottereau, la Bénate, Bourgneuf-en-Retz, Séneché, La Voulte près Montoir, en Vendômois.

La fortune de Gilles de Rais était immense, il avait en meubles plus de cent mine écus d'or et ses terres lui rapportaient trente mille livres de rente, qui dans ce temps-là valaient au moins trois cent mille francs, sans compter les profits de fiefs et les gages de son office de maréchal de France, ce qui pouvait élever son revenu total à quarante ou cinquante mille livres de revenu ; ce qui équivaudrait maintenant à deux millions quatre cent soixante-quinze mille francs ; fortune, dit Désormeaux, qui doit paraître d'autant plus éclatante, que l'apanage du frère des ducs de Bretagne ne montait alors qu'à six mille livres de rente.

Gilles portait pour armes, celles de la maison de Rais d'or à la croix de sable, dont il est fait mention, pour la première fois, en 1400, dans l'acte par lequel Jeanne Chabot, dame de Rais, institua Guy de Laval, père de Gilles, son héritier, et lui enjoignit de quitter les armes de Montmorency-Laval, pour prendre celles de Rais, qu'il ne faut pas non plus confondre avec celles de la maison de Machecoul, qui sont : trois chevrons de gueules en champ d'ardent. Le petit sceau de Tiffauges sous Gilles de Rais, dont la matrice, recueillie par M. Binj. Fillon, fait partie de la collection de M. Parenteau, à Nantes, se compose d'un écu d'azur semé de fleurs de lis d'argent sans nombre, qui est Thouars, chargé des armoiries de Rais, timbre d'un T, avec ces mots : P : S : DES : CONTRAS : DE : THEFAU : P G : S : D : R : Petit sceau des contrats de Théfau (Tiffauges) pour Gilles, seigneur de Rais, Le grand sceau de Gilles, reproduit par D. Lobineau dans son Histoire de Bretagne, t. II, à la date de 1436, fig. CCXVIII, se trouve aussi sur un acte de vente de Gilles à Malestroit, évêque de Nantes, agissant au nom du duc de Bretagne, et conservé aux archives départementales de la Loire-Inférieure au Trésor des chartes des ducs de Bretagne ; cette pièce porte la belle signature du maréchal GILLES. On peut voir également un portrait équestre du baron de Rais dans les monuments de la Monarchie française, par Montfaucon, t. III, p. 277, pl. LVIII. Il porte de Laval-Montmorency sur son écu et sur le caparaçon de son cheval.

Maître de sa fortune il s'affranchit bientôt de toute autorité et resta maître absolu de ses actions. Il prit toutes les allures d'un homme et devint avant l'âge un véritable héros. Il avait, suivant Villaret « une taille majestueuse et une figure séduisante, que rehaussait l'éclat de sa valeur » [Note : Villaret. — Histoire de France, t. XV]. Les hauts faits de bravoure de son aïeul Brumor, l'un des plus intrépides chevaliers de son siècle, et de son grand-oncle, le célèbre connétable Du Guesclin, l'enflammèrent du désir d'acquérir une renommée au moins égale, sinon supérieure, à celles de ces illustres guerriers.

Aussi dès 1420, malgré sa grande jeunesse, il entre au service du duc et contribue à la délivrance de son souverain, Jean V, que les Penthièvre et Marguerite de Clisson, après s'en être emparé, séquestraient de châteaux en châteaux dans de sombres cachots. Le jeune baron de Rais marche à la tête de ses vassaux et assiste aux siéges de Lamballe, de Guingamp, de la Roche-Derrien et de Jupon. Il assiste au siége de Châteauceaulx, où Marguerite de Clisson est obligée de capituler et de relâcher Jean V, qui est ramené en triomphe à Nantes. Gilles se fait alors remarquer par sa magnificence et ses largesses pendant les fêtes qui ont lieu en cette circonstance. Il reprend les armes pour faire exécuter l'arrêt qui condamne les Penthièvre et acquiert une véritable renommée de courage militaire sous Arthur de Richemond. Il assiste avec son aïeul, le sire de la Suze, au conseil du duc, puis reparaît aux siéges et aux prises des châteaux de Clisson et des Essarts. Bientôt, à la guerre civile, succède la guerre nationale contre la France et l'Angleterre. Les affaires de Charles VII semblent désespérées, car il n'a pas même d'armée pour tenir la campagne. Malgré cela, les Anglais, outre leurs succès, voient tous les jours le nombre de leurs partisans diminuer. Le duc de Bourgogne, qui fait leur principale force, par le mariage de l'une de ses sœurs avec Bedford, et d'une autre avec le comte de Richemond, lassé des hostilités, se rallie à Charles VII, qui s'empresse, en 1425, d'offrir l'épée de connétable au frère du duc de Richemond. Ce dernier, avec l'assentiment du duc de Bourgogne, son beau-frère, lève une petite armée et se met en marche pour rejoindre le roi [Note : Collection Petitot. — Histoire d'Arthur III, duc de Bretagne, comte de Richemont, t. VIII, p. 445-446].

Le duc de Bretagne, à cette occasion, se réconcilie avec le roi et vient lui rendre hommage à Saumur. Gilles, qui avait combattu sous Richemond, à la tête d'un cortége de pages, d'écuyers et de sept compagnies d'hommes d'armes, levées à ses frais, accompagne Jean V, qui le présente à la cour, où Charles VII le reçoit avec une faveur marquée et l'engage à prendre une part active dans la lutte de la France contre les Anglais. En effet, pendant que Dunois fait le siège de Montargis et le prend, Gilles de Rais, avec Richemond, court s'emparer de Pontorson et dégager les frontières de Bretagne, en 1426. De là, avec le secours de Loré, il enlève aux ennemis les forteresses de Ramefort, en Anjou, et le château de Malicorne, dans le Maine ; et avec Jean de Beaumanoir il emporte, la même année, la ville et le château du Lude, sur la rivière de Loyre (Loir), où commandait Blackburn, capitaine anglais, qui se défendit avec un courage désespéré. « Finalement, dit-il, la batterie de l'artillerie estant redoublée, ils prinrent la ville d'assaut, où moururent avec leur capitaine plusieurs Anglois ». C'est à cette époque que Charles VII, voulant récompenser Gilles de Rais des nombreux services qu'il n'avait cessé de lui rendre, étant en même temps allié à la famille royale et à celle des ducs de Bretagne et d'Alençon, l'éleva fila dignité de maréchal de France, qui, à cette époque, se conférait seulement à quatre guerriers illustres [Note : Sismondi. — Précis de l'histoire des Français, t. II, p. 72]. Il est probable que ce fut vers 1428, mais nous n'avons rien pour le prouver.

Ce fut aussi à ce moment critique, où la division se mit dans l'armée de Charles VII, et les Anglais regagnant du terrain, que parut cette jeune fille, qui se fait appeler du nom de Jehanne Pucelle. Le roi lui confie le sort de ses armes et ordonne à ses plus vaillants capitaines de la suivre et d'exécuter ses ordres. La Hire, Gilles de Rais Gaucourt Saint-Sévère, Xaintrailles et autres l'accompagnent. Elle part de Blois le 25 avril 1499, avec grand foison de vivres, soixante voitures et quatre cents têtes de gros bétail ; pour secourir Orléans, où elle pénètre le 29 du même mois. Elle envoie le maréchal de Rais et Ambroise de Loré chercher de nouvelles provisions à Blois « et le mercredy, quatriesme jour de may, l’an vingt et neuf, partit, ladite Pucelle pour aller au devant des autres vivres que amenoit le sire de Rais, et allèrent avec elle tous les capitaines. (Et là estoient Monseigneur Dunois, La Hire, Messire Florent d'Illiers, le baron de Colonches), jusqu'en la forêt d'Orléans, et falloit passer au plus près de la bastille desdits Anglois, nommée Paris. Et quant ceux de la ville les virent venir, saillirent au devant pour les recepvoir à grande joie ; et eulx venus audit Orléans, prinrent leur réfection, et puis vindrent en l’ostel de la ville requérir habillements de guerre, comme couleuvrines, arbalestes, eschelles et autres habillements, et partirent pour aller à (la bastille) Saint-Loup » [Note : Quicherat. — Procès de Jeanne d'Arc. Vol. V, p. 290].

Le maréchal de Rais ne quitte plus Jeanne d'Arc et ne cesse de combattre à ses côtés. Une brillante attaque, donnée le 8 mai, décide enfin du sort d'Orléans et décide les Anglais à abandonner la ville. « Et le lendemain s'en partit pareillement la Pucelle, avecque elle le seigneur de Rais, baron de Coulonce et plusieurs autres escuiers et gens de peine, et s'en alla devers le roy luy porter les nouvelles de la noble besongne » [Note : Quicherat. — T. IV, p. 166]. Jeanne supplie le roi de se rendre à Gien, où elle ira le retrouver pour le conduire sacrer à Reims. Ensuite elle va, toujours accompagnée de Gilles de Rais, délivrer Jargeau ; puis trois jours après, le 15 juin, Meung-sur-Loire. A cette occasion, il est accordé « à messire Gilles de Rais, conseiller et chambellan du roy, nostre sire et maréchal de France, la somme de mille livres, que le roy, nostre dit seigneur, par ses lettres patentes données le XXI juing MCCCCXXIX, a ordonné estre baillée, pour aucunement le récompenser des grands frais, mises et despenses que faire lui a convenu, afin d'avoir soy naguères mis sus et assemblé par l'ordonnance du roy, certaine grosse compagnie de gens d'armes et de traict, et iceulx avoir entretenus pour les employer à son service en la compaignie de Jehanne la Pucelle, afin de remettre en l'obéissance dudit seigneur la ville de Jargeau que tenaient les Anglois » [Note : Quicherat. — Procès de Jeanne d'Arc, t. V, p. 260].

Ces succès firent renaître la confiance dans armée française, qui poursuivit l'ennemi en rase campagne. « Et furent ordonnez le connestable de France, le marissal de Boussac, La Hire, Pothon et autres capitaines à faire l'avant-garde ; et le surplus, comme le duc d'Alenchon, le bastard d'Orlyens, le marissal de Rays estoyent les conducteurs de la bataille et sievoient assez de près ladicte avant-garde. Si povoient estre yceulx François en tout de XII à XIII mille combattants. Si fust lors demandé à la Pucelle par aulcuns des princes et principaux capitaines là estant quelle chose il lui sembloit de présent bonne à faire. Laquelle respondy qu'elle estoit certaine et scavoit véritable que les Anglois, leurs ennemis, les attendoient pour les combattre ; disant oultre que, au nom de Dieu, on chevaulchoit avant contre eulx et qu'ils seroïent vaincus » [Note : Monstrelet. — Chap. XIII]. Telle fut, le 18 juin, la fameuse bataille de Patay, dans laquelle périrent plus de trois mille Anglais. Gilles prit une part active à la défaite de l'armée ennemie, poursuivit avec Jeanne d'Arc les fuyards et en fit un horrible carnage.

Après ce combat, on voit encore le baron de Rais, chevauchant toujours à côté de la Pucelle, aller chercher le roi à Gien, chasser les Anglais de Troyes et de Châlons, et enfin obliger Reims à ouvrir ses portes. Comme conseiller du roi, chambellan, maréchal de France et l'un des plus riches seigneurs du royaume, il a l'honneur de représenter un des pairs de France au sacre du roi, le 16 juillet 1429. « Le lendemain, qui fut dimanche, dix-septième jour de juillet, celluy mesme an mil quatre cens vingt-neuf, les seigneurs de Saint-Sevère, de Rays, maréchaux de France, le seigneur de Graville et le seigneur de Culan, admiral, de France, furent par le roy, suivant la coutune anchienne, envoyez à Sainct-Remy, pour avoir la Saincte-Ampole. Lesquelz firent le serment accoustumez (c'est qu'ils promirent qu'ilz la conduiroient et reconduiroient seurement) et l'apporta bien dévotement et solempnellement, l'abbé estant revestu en l'habit pontifical, ayant dessus luy un riche parement d'or, jusque devant l'église de Sainct-Denis. Et là vint l'archevêque, pareillement revestu et accompaigné des chanoires, et la prinst et porta dedans l'église et la mist sur le grant autel de Nostre-Dame de Reims.... Et, après le service, fust la Sainte-Ampole reportée et conduite ainsy qu'elle avoit esté apportée » [Note : Quicherat. — Procès de Jeanne d'Arc. Journal du siège d'Orléans et voyage à Reims, t. V, p. 129].

L'armée française, en quittant Reims, s'avança vers Paris ; mais le duc de Bedford vint au-devant d'elle, et une rencontre eut lieu à Senlis. Le maréchal de Rais, qui commandait le troisième corps, s'avança jusqu'aux fortifications du camp des Anglais, qui prirent la fuite et furent poursuivis par l'armée française. Pendant ce temps le roi était arrivé à Saint-Denis « où se rendirent devers luy le mareschal de Rays, le comte de Laval et Jehanne la Pucelle, lesquels approchèrent la ville de Paris et descendirent aux fossés d'icelle et prinrent d'assaut le boullevart de Saint-Honoré et le tinrent jusqu'à ce que la nuict les contraignit de se retirer, et fust le maréchal de Rais tout le jour dedans l'arrière fossé ; mais voyant n'y gagner rien, ils se retirèrent ailleurs » [Note : D'Argentré. — P. 876].

Le maréchal, baron de Rais, qui avait suivi Jeanne d'Arc dans tous ses combats, n'apparaît plus que rarement après la mort et le supplice de cette dernière. Cependant, en 1430, il se signale encore à la prise de Melun, et, l'année suivante, à la levée du siège de Lagny par les Anglais. Trois ans plus tard, on le voit commander l'avant-garde de l'armée du roi ; puis on n'entend plus parler de lui pour de nouveaux exploits guerriers ; on croirait qu’il est lassé de vaincre, car un repos absolu succède brusquement à son infatigable activité. Mais aussi avec ce repos finit la carrière heureuse, loyale et digne d'exemple de cet homme, que nous allons voir maintenant ternir toutes ses belles actions par les plus incroyables et les plus honteux débordements.

En 1430, Gilles, sire de Rais, baron de Pouzauges, vicomte de Tiffauges, comte de Confolens, prince de Chabannais, maréchal de France, eu égard aux bons et agréables services de Thibaud de la Clartière, affranchit lui et ses héritiers de diverses rentes dont il était son débiteur [Note : M. P. Marchegay. — Cartulaire des sires de Rais].

En 1434, le 25 janvier, il se fait un partage entre Gilles, baron, sire de Rais, chevalier, et son frère René de Rais, des biens de leurs père et mère et aïeux. Gilles alloue à son puîné 3,000 livres de rente, dont 300 sur Brissac, 200 sur la prévôté de Chantocé et Ingrandes, et le reste en domaines, savoir : tout ce que le défunt seigneur de la Suze possédait en France et en Champagne, les châteaux et châtellenies de la Suze et de Briolay avec toutes leurs dépendances, plus pour trois ans et jusqu'à désignation d'autres biens, les châtellenies du Loroux-Bottereau et de Bouin, dont Gilles se réserve le château et la forteresse [Note : Cartulaire des sires de Rais].

Après avoir été créé maréchal, le baron de Rais s'empresse d'ajouter à son cortége de pages et d'écuyers une compagnie de gardes du corps, dont il se fait suivre en tous lieux. De retour dans ses châteaux, il y déploie un luxe qui n'a plus de limites ; son mobilier était évalué à plus de cent mille écus. L'hôtel de la Suze à Nantes [Note : Cet hôtel occupait la place où fut depuis construit l'hôtel de la Tullaye et qu'on nomma longtemps la maison du chapitre. Cette maison a été démolie, il y a quelques années, pour le nouveau tracé de la place de Saint-Pierre] éclipsait en décorations le palais des ducs de Bretagne ; son oratoire avait des voûtes enrichies de peintures de prix, les vitraux brillaient des plus vives couleurs et les murs étaient recouverts de drap d'or, dont l'aune, à cette époque, au dire d'Ogée, coûtait à peu près six cents livres de notre monnaie. Ses châteaux de Machecoul et de Chantocé avaient des ameublements princiers ; mais Tiffauges, où il résidait plus particulièrement, avait un aspect tout royal. C'est là qu'il fallait aller pour s'extasier devant les richesses de la plus somptueuse demeure de Gilles et de sa chapelle surtout. Les tentures de soie, l'or et l'argent décoraient l'autel ; les croix, les encensoirs, les chandeliers et autres objets de son mobilier ecclésiastique étaient d'argent massif et les offices y étaient célébrés avec pompe.

Le défilé de son chapitre, composé de trente chapelains, portant les titres pompeux d'évêque, de doyen, de chantre, d'archidiacre, de vicaire, de maître d'école pour les enfants de chœur semblait la procession de tout le clergé d'une cathédrale. Il donnait à quelques-uns jusqu'à quatre cents écus annuellement, se chargeant de toutes les dépenses et les obligeant à porter des robes traînantes d'écarlate fourrez de petit gris et de menu vair, et des chapeaux de chœur de fin gris doublez de fin menu. Vingt-cinq ou trente valets étaient chargés par son ordre du service de tout le clergé, qui, à force de condescendance, finit par s'avilir et tomber dans une dégradante domesticité.

Tout le monde à cette époque connaissait sa prodigalité et cherchait à en faire son profit ; tout lui était vendu le double plus cher qu'aux autres ; mais il voulait être satisfait et ne reculait devant aucune dépense. Cependant les goûts artistiques de cet homme surprennent et dénotent une intelligence à la fois naturelle et cultivée. Ainsi la musique était une de ses passions, et fit pour satisfaire ce plaisir venir des musiciens d'Italie. Il se procura plusieurs jeux d'orgues et prenait un tel plaisir à les écouter que bientôt il en commanda un qu'il fit porter partout où il allait. Tout ce qui pouvait contribuer à l'embellissement de sa chapelle le préoccupait à un tel point que, dans ce but, il s'imposait même des sacrifices.

Le château de Tiffaiuges (Vendée).

Il demanda, mais en vain, au Pape le droit de décorer de la mitre ses chapelains, à l'exemple des chanoines, comtes de Lyon, ainsi que du titre d'archevêque celui qu'il nomme son évêque, ainsi que l'autorisation de fonder un collége de quatre mille livres de rente, où tous les bénéfices de son pays eussent été réunis. Un jour il voit dans l'église de Poitiers un enfant de chœur, nommé Rossignol, de la Rochelle ; il lui assure, pour l'emmener avec lui, la terre de la Rivière, située près de Machecoul, d'un revenu de deux cents livres, et compte au père deux cents écus. Sa prodigue générosité n'a plus de bornes non-seulement il donne chez lui des repas splendides, mais à l'Ascension, à la Pentecôte, il fait représenter publiquement, par une troupe de comédiens et de ménétriers attachés à sa maison, des mystères, accompagnés de moresques, danses importées d'Espagne, et fait distribuer à la foule des viandes et de l'hypocras.

Il cherche aussi, par de longs et fréquents voyages, à étendre de plus en plus sa renommée. Il abandonne alors à des gouverneurs le soin d'administrer son petit État et nomme un certain Briqueville son procureur, avec pouvoir de contracter le mariage de feue Madame Marie de Rais, sa seule fille et héritière, qui estoit alors en l’âge de 4 à 5 ans, à quel homme que bon sembleroit audit Briqueville, et de promettre et bailler de ses terres et seigneuries telles et tant que bon lui sembleroit. On le voit tantôt à Paris, tantôt à Angers et à Orléans ; il dépense dans cette dernière ville, en moins d'un an, jusqu'à quatre-vingt ou cent mille écus, disent ses héritiers dans leur requête au roi. Il fait jouer sur la place publique, avec plus de magnificence qu'on en avait déployé à l'entrée de Charles VII Paris, les grands mystères représentant le siège d'Orléans, avec des personnages sans nombre.

Pour satisfaire à ses désordres, le maréchal de Rais, bien qu'il fût un des plus riches seigneurs du royaume, en arrive promptement à la nécessité d'aliéner ses propriétés. En quelques années il vend la plupart de ses terres. Il vend à Jean de Marrielles la châtellenie de Fontaine-Millon, au pays d'Anjou, de 400 livres de rente, pour 4,000 écus d'or ; et, par un autre contrat, 60 livres de rente pour cent écus d'or ou autre somme ; à feu messire Guillaume de la Jumellière, sieur de Martigné-Briand, la châtellenie de Blason et de Chemelier, également en Anjou, pour 500 écus d'or ; à messire Hardouin de Bueil, évêque d'Angers, la terre de Gratecuisse, en Anjou, pour 1,200 écus, la châtellenie de Savenay et 160 livres de rente sur la forêt de Brécilien ; puis à messire Guy, sieur de la Roche-Guyon, les terres de la Motte-Achard et de la Meurière, en Poitou, valant de 1,000 à 1,200 livres de rente. Il vend aussi, sur la même seigneurie de la Motte-Achard, 100 livres de rente, et sur Plusquepont, qui appartient à la recette de Machecoul, 10 livres de rente. Il vend à l'évêque de Nantes, chancelier de Bretagne les terres de Pruigné, de Vue, du Bois-aux-Tréaux, la paroisse de Saint-Michel-de-Séneché, et autres pièces, sises au clos de Rais, pour 14,000 écus, etc. A Guillaume de Fresnières et à Guillemot le Cesne, marchands à Angers, il alloue certaines rentes sur les terres de Vimbrière et de Saint-Aubin de Fosses-Louvain, au pays du Mans. Il cède également à Jean de Montecler et au même Guillemot Lecesne les terres de la Voulte et de Séneché il promet de payer auxdits acquéreurs 400 livres royaux d'or durant la vie de dame Anne de Sillé douairière de ces terres. Il vend à Jéhan Rabateau, président au Parlement, les terres et seigneuries d'Auzance, de Cloué et de Siguon, pour une somme d'argent qui n'est pas indiquée. De même, à Guillaume, l'apothicaire de Poitiers, et à maître Jean d'Arembert et Jacques de l'Espine, le Breuil-Mangon-lez-Poitiers et autres pièces au même pays, pour 2,600 écus d'or. A feu Monseigneur de la Trémouille, 1,200 royaux d'or de rente sur la terre de Chantocé, pour 12,000 royaux d'or. Il vend aussi au chapitre de N.-D. de Nantes une belle maison, nommée la maison de la Suze, avec les appartenances, coustumes et autres droits qu'il avait en icelle ville, et autres terres., rentes et revenus.

Nous voyons dans un extrait d'un compte de Jean de Mauléon en 1434 qu'il avait vendu Chantocé pour la somme de cent mille escus. Dans ce même extrait nous trouvons aussi un contrat de vente de 1,000 liv. de rentes volantes et levantes sur le château, terre et forêt de Prinsay pour la somme de 20,000 escuz et reaux du poids de France, payéz par M. le chancelier du duc de Bretagne, acquéreur, à M. Gilles de Rais, vendeur, fait le 7 novembre. 1435 au regard de la dame de Rais, consentante, et au regard dudit sire, le 9 dudit mois, sous les sceaux de la Cour de Nantes, où sont les armes de Malestroit, de Monsieur Gilles de Rais, de Guillaume, seigneur de Mareil, et de maistre Robert Lespervier.

Ce fut à cette époque, en 1435, qu'eut lieu l'ordonnance royale par laquelle « le roy dernier trespassé, duement informé et acerteiné du mauvais gouvernement dudit sire de Rays, luy fist en son grant conseil, interdiction et défense de vendre ni aliéner ses terres et seigneuries, ne rentes sur icelles, à quoy il se assentit, au moins ne le contredit-il point ». Le roi donna aussi de nouvelles lettres patentes, mandant au Parlement « interdire et défendre audit Gilles et faire défense à tous autres qu'ils ne contractassent avec luy ; lui notifier et à tous autres lesdictes interdictions, et faire publier en tous les lieux requis ; et faire défense sur grosses peines à luy, aux capitaines et gardes des châteaux et forteresses dudit sire de Rais et tous aultres, qu'ilz ne livrassent et souffrissent estre transportées lesdictes places et forteresses à estrangères personnes, jusqu'à ce que ladicte Cour autrement en eut ordonné » [Note : Archives du départ. de la Loire-Inférieure. — Trésor des Chartes].

Ces lettres furent publiées à son de trompe au mois de novembre 1435 à Orléans, Tours, Angers, Pouzauges, Chantocé, Saint-Jean-d'Angély et plusieurs autres lieux. Cet arrêt fut signifié, dit Désormeaux t. I, p. 124, au duc de Bretagne, par le comte de Laval, son gendre. Mais le duc se moqua de l'arrêt et ôta au comte de Laval la lieutenance générale de tous ses Etats, pour la donner au maréchal et contracta avec ce dernier, le 2 novembre 1437, une alliance ou fraternité d'armes. La conduite de Jean est en cela toute naturelle ; non-seulement il est le principal acquéreur des biens de Gilles, mais il continue malgré l'arrêt royal à s'emparer, le plus souvent à vil prix, des propriétés encore inaliénées. Le duc achète, en janvier 1438, les châtellenies d'Ingrandes et de Chantocé, les péages et acquits de la Loire, grevés d'une hypothèque de 1,000 livres, pour le prix de 100,000 vieux écus d'or ; en déduction de laquelle somme il reçut les terres de Princé, Bourgneuf, de la Bénate, plus 100 livres de rentes sur Machecoul, avec promesse d'une partie de l’île de Bouin, Soché, les Jamonnières, etc. [Note : Archives du départ. de la Loire-Inférieure. — Trésor des Chartes].

Du 22 janvier 1438, nous trouvons trois contre-lettres, par lesquelles, dans le première, le duc de Bretagne s'engage à restituer Chantocé au sire de Rais, dans le délai de trois ans ; les châtellenies de Bourgneuf, la Bénate et autres lui sont rendues ; ledit duc se réserve toutefois 1,000 livres de rentes en échange des châtellenies de la Motte-Achard, La Maurière et les Chesnes.

Dans la deuxième, le duc Jean et son fils Pierre déclarent que, si Gilles de Rais reconstitue les terres à lui baillées par contrat d'échange, dans le délai de trois ans, le temps écoulé ne sera pas compté ni déduit sur le délai à lui accordé auparavant pour le retrait. Enfin, par la troisième, le duc Jean accorde au sire de Rais la faculté de racheter pendant six ans, moyennant 100,000 écus d'or, les terres de Chantocé, Bourgneuf, la Bénate et Princé. Puis le duc députa son fils Pierre de Bretagne au roi pour faire lever l'interdiction, mais ce fut en vain, sa demande ne lui fut pas accordée.

Malgré tous ces achats, le duc eut soin de prendre ses mesures pour s'en assurer la jouissance. Ainsi le 5 septembre 1436, il se fait prêter serment par les capitaines des places de Gilles de Rais, comme nous le voyons par celui prêté par Michel de Sillé capitaine de Machecoul et autres.

« Michel de Sillé, capitaine de Machecoul ; Jehan du Dreneuc, lieutenant dudit capitaine ; Conan-de-Vieil-Chasteau, capitaine de Saint-Etienne de Malemort [Note : Saint-Etienne de Mer-Morte] ; Valentin de Mortemer, chevalier, capitaine du Loroux-Bottereau ; et Yvon de Kersaliou, capitaine de Pornic ; pour honoré seigneur le sire de Rais et de Chantocé promettre de garder fidèlement les places pour le service du duc, luy donner entrée et à son fils aîné toutes fois et quante, et n'y admettre aulcun étrangier qui veuille faire la guerre audit seigneur duc. Donné sous le sceau dudit seigneur Gilles de Rais, en absence des leurs le 5 septembre 1436 » [Note : Archives du départ. de la Loire-Inférieure. — Trésor des Chartes].

Gilles de Rais vendit en huit années, depuis l'an 1432, époque où mourut son oncle et tuteur Jean de Craon, jusqu'en 1440, date de son décès à lui-même, des biens pour une somme de 180 à 200,000 écus. Aussi sa femme, sa fille et son gendre furent-ils obligés de soutenir d'interminables procès pour mettre ordre aux embarras inexplicables dans lesquels il les avait plongés [Note : Voir aux pièces justificatives la lettre de Charles VII, n° 4].

Pour ses désirs effrénés il fallait à Gilles de l'or et beaucoup d'or et à tout prix. Il s'adressa à Dieu, qui, suivant son orgueil superstitieux, respectait trop, pour lui refuser quelque chose, la maison de Rohan et de Laval-Montmorency, dont un écrivain du règne de Philippe le Bel, dit Désormeaux, t. l, p. 14, « héros très-versé dans la connaissance des antiquités françaises », écrivait : Montmorency, premier chrétien de France, premier baron de France, premier seigneur de Montmorency que roi de France. Ses prières n'étant pas exaucées, il eut recours alors aux sciences occultes. Il écouta avec admiration un prêtre de Saint-Malo, Gilles de Sillé, s'accointant fort, dit d'Argentré, de ce paillard et méchant homme, qui se hasarda à lui parler d'alchimie, comme de l'accomplissement du grand œuvre de la transmutation des métaux et de la découverte de la pierre philosophale. Il se procura alors à grands frais de curieux manuscrits et toutes les matières nécessaires aux découvertes, s'entoura de savants et se réfugia avec eux au fond de son château de Tiffauges. Ils construisent les fourneaux et vont peut-être parvenir à leur but ; mais comme il arrive toujours quelque malheur, qui casse l'œuf philosophique, avant que cette précieuse pierre qui fait l'objet des vœux des souffleurs puisse acquérir sa dernière forme, il arriva aussi au maréchal de Rais que, dans le cours du grand œuvre, le dauphin, alors Louis XI, arriva à Tiffauges. Il fallut rompre les fourneaux et troubler les opérations de cet art mystérieux qui n'aime pas le grand jour ni les témoins étrangers [Note : Histoire de Bretagne, par D. Lobineau, t. Ier, p. 615].

Que venait faire Louis XI, alors dauphin ? Fomentait-il quelques sourdes menées contre son père ? Peut-être aussi venait-il, comme on l'a supposé, s'assurer du concours du puissant baron de Rais pour la révolte qu'il préméditait ? Dans tous les cas il aurait échoué, car le maréchal n'avait plus son ancienne ardeur pour les combats et la politique, et il ne s'occupait plus que de l'étude qui devait, croyait-il, lui dévoiler les mystères les plus cachés de la nature. Nous pensons plutôt que le dauphin venait surveiller Gilles, à cause des bruits que l'on faisait courir, qu'il encourageait les prétentions d'une fausse Jeanne d'Arc. En effet, après l'apparition de la vierge de Vaucouleurs, qui avait excité en France et dans l'Europe entière une sensation qui tenait du prodige, non-seulement le bruit se répandit qu'elle avait été préservée des flammes, mais plusieurs filles voulurent se faire passer pour elle, en se disant inspirées par Dieu.

Gilles de Rais, pour qui tous les moyens étaient bons quand il s'agissait de servir ses passions, s'empressa de tirer profit de l'effervescence crédule qui portait les populations à croire aux choses les plus impossibles. Ainsi, nous apprenons dans une rémission accordée par Charles VII au capitaine Jean de Siquenville « que le sire de Rais dit à ce capitaine, escuyer de Gascogne, qu'il vouloit aller au Mans et qu'il vouloit qu’il prinst la charge et le gouvernement des gens de guerre que avoit lors une appelée Jehanne (des Armoises), qui se disoit pucelle, en promettant que s'il prenoit ledit Mans qu'il en seroit cappitaine, lequel, suppliant pour obéir et complaire au sire de Rais, son maître, duquel il estoit homme à cause de sa femme, lui accorda et prinst laditte charge et se tint par certain temps autour des païs de Poitou et d'Anjou.... ».

Le dauphin, qui avait été envoyé « pour oster les pilleries et faire vuider les gens de guerre qui estoient en iceluy païs de Poitou », prit alors Siquenville et le mena prisonnier à Montaigu où il devait être jugé, mais il s'échappa de prison. Or il semble en effet naturel que le dauphin vînt à Tiffauges, non pour rattacher à son parti Gilles de Rais, mais bien pour lui adresser de la part de son père de sévères remontrances. Que si dans ses supplications au roi, Siquenville garde le silence sur le but de son maître, nous savons d'autre part que le maréchal, non content comme tous les débauchés de se vautrer dans la fange du vice, se plaisait encore à y entraîner les autres par les voies les plus détournées et les plus honteuses, comme cela ressort de ce passage du livre des Femmes célèbres, écrit en 1504, par Antoine Dufaure [Note : Antoine Dufaure, né à Orléans, provincial des dominicains de France, confesseur de Louis XII et d'Anne de Bretagne, à la requête de laquelle il composa cet ouvrage, et mourut évêque de Marseille en 1509]. « Il a bien esté depuis une faulxement surnommée Pucelle du Mans, ypocrite, ydolâtre, invocatrice, sorcière, magique, lubrique, dissolue, enchanteresse, le grand miroir de abusion qui selon son misérable estat essaya à faire autant de maulx que Jehanne la Pucelle avoit fait de bien. Après sa chimérale, ficte et mensongère dévotion, de Dieu et des hommes délaissée, comme vraye archipaillarde, tint lieux publiques. De laquelle pour l'honneur des bonnes et vertueuses, n'en vueil plus longuement escrire » [Note : Quicherat. — Documents insérés dans le procès de Jeanne d'Arc sur la fausse Jeanne d'Arc, qui parut de 1436 à 1440, t. IV, p. 281, et t. V, pp. 333, 336, 465]. Ces faits durent puissamment contribuer plus tard à décider Charles VII à prêter son autorité royale à l'Église et au duc de Bretagne, pour mettre fin à tant de scandales cachés. Ni le dauphin, ni Richemont, ni aucun des seigneurs de l'époque ne réclamèrent dans la suite contre l'arrestation du maréchal, preuve évidente qu'ils ne le regardaient pas comme atteint de démence, comme voulurent plus tard le faire admettre les héritiers de Gilles, dans le mémoire imprimé aux preuves de l'Histoire de Bretagne.

Le château de Tiffaiuges (Vendée).

Cependant le baron de Rais, ne trouvant aucune ressource dans l'alchimie, se jette alors dans la sorcellerie, croyant qu'elle lui procurera mieux ce qu'il désire, c'est-à-dire de l'or. Il reçoit tour à tour le grand Antoine de Palerme, Jean de la Rivière, l'orfèvre Robin et plusieurs autres. Chacun lui donne ses conseils et lui promet de le mettre en rapport avec le démon, mais inutilement. Ceux qui abusèrent le plus de sa crédulité furent un médecin du Poitou et un Italien.

Le médecin n'ayant pu réussir dans ses invocations et n'ayant pas convaincu Gilles de la valeur de ses sortiléges, demanda à retourner dans son pays s'instruire plus à fond de ce mystère, et dans cette vue il demanda au maréchal une somme d'argent pour se conduire et acheter ce qui lui était pour cela nécessaire. Ayant obtenu ce qu'il souhaitait, il prit congé de son bienfaiteur et ne reparut plus.

Le maréchal envoya alors chercher en Italie un savant Florentin, François Prelati, qui avait, disait-on, parcouru l'univers et auquel la nature n'avait pu taire ses secrets. « Alors, au fond de ce château de Tiffauges, dit un auteur, il se passa des choses étranges, horribles, impossibles à croire. Il y eut des conjurations fantasmagoriques, de magiques apparitions et de sanglants sacrifices. On a vu disparaître des enfants. Une vieille femme, appelée la Meffraie, qui parcourt les campagnes et les landes, la tête couverte d'une étamine noire, les attire par de brillantes promesses auprès du maréchal ». Mais hélas ! une fois ces innocentes créatures entrées au château, elles n'en sortent plus ! Que deviennent-elles ? On répond partout que le seigneur de Rais use de l'art et science de nigromancie et qu'il fait murtrier et occire grand nombre d'enfants, afin d'en avoir et recueillir le sang, dont il escript tous ses caractères des divinements requis pour invoquer les infernales esprits, tendant parvenir, par leur moyen à recouvrer grans trésors et richesses [Note : Alain-Bouchard — Grandes Chroniques de Bretagne].

Cependant ce bruit gronde sourdement depuis bien des années sans que personne ose élever la voix, car Gilles est à la fois grand dignitaire et parent du roi, lieutenant général du duc de Bretagne et surtout haut justicier dans ses vastes domaines. Mais à cela il faudrait ajouter les turpitudes et crimes inexplicables du baron de Rais, et nous les verrons en citant des extraits du procès qui lui fut fait et le conduisit à la mort.

L'évêque de Nantes, en présence des dénonciations sans nombre et secrètes que lui adressaient ses ecclésiastiques et les vassaux du seigneur de Rais ; qui étaient tous irrités contre lui, tant il commettait de crimes, en présence surtout de la violation des immunités ecclésiastiques à Saint-Etienne de Mer-Morte, se décida à faire connaître au chef de l'Église la conduite du maréchal et obtint pour le mettre en accusation une bulle, dans laquelle Eugène IV le déclara imbu du malin esprit et oublieux de son salut (maligno spiritu imbutus tuœque salutis immemor). Il s'assura ensuite du concours du roi, dont Gilles relevait comme grand officier de la couronne et de celui du duc de Bretagne. Ce dernier, oubliant que le maréchal était son lieutenant général et son frère d'armes, donna les ordres les plus sévères pour le faire saisir. Il le poursuivit même avec d'autant plus de rigueur que le terme du rachat stipulé dans ses ventes insensées que le maréchal lui avait consenties de ses domaines approchait. La crainte d'être remboursé, plus l'horreur des crimes du baron de Rais, excitait bien plus le zèle de Jean V. Ce fut le 10 septembre 1440 que les gens du duc, munis de pleins pouvoirs, se rendirent au château de Tiffauges, où Gilles faisait plus particulièrement séjour, qu'ils l'arrêtèrent au milieu de ses orgies. Frappé de stupeur, car il n'avait jamais pensé que la justice humaine pût l'atteindre, il voulut d'abord résister ; mais, abandonné de ses hommes d'armes et convaincu que le roi ne le laisserait pas mettre en accusation, il consentit à se livrer entre les mains de Jean V. Gilles de Sillé, moins rassuré, s'enfuit avec quelques complices ; mais Prelati fut arrêté avec Poitou de Pouzauges, Henriet Grillart et Eustache Blanchet.

Deux tribunaux, l'un ecclésiastique, l'autre civil, s'organisèrent. Le premier fut composé de Jean II de Malestroit, évêque de Nantes et chancelier de Bretagne, président ; de Jean Blouin, de l'ordre des Frères prêcheurs, commissaire ; de Jean Merry, grand inquisiteur de la foi en France ; de l'évêque de Saint-Brieuc et de plusieurs autres. L'autre fut présidé par Pierre de l'Hospital, sénéchal de Rennes et juge de la haute justice ducale.

C'est dans la grande salle du château de Nantes, où siégeait la cour ecclésiastique, au milieu d'une foule compacte, que l'ouvèrture du procès eut lieu, le 28 septembre 1440. Après la lecture de l'acte d'accusation, qui ne contient pas moins de cinquante-neuf chefs principaux, on entendit le rapport de sept témoins, qui déposèrent que leurs enfants avaient été enlevés par les gens du maréchal et que depuis lors ils n'avaient plus reparu. Puis dans une autre séance, le 8 octobre, Gilles fut interrogé et s'obstina à garder le silence pendant que les témoins continuaient leurs dépositions.

L'affaire fut successivement renvoyée au 11 et au 13 du même mois et interpellé à nouveau, le maréchal répondit « qu'ils étaient des simoniaques et des ribauds et qu'il aimoit mieux être pendu par le col que de répondre à de tels prêtres et à de tels juges. (Dixit dictos domnos Eppm. nanneten. et fr. Joh. Blouyn, vicarium inquisitionis.... ac alios omnes virus ecclesiasticos esse symoniacos et ribaldos, et quem mallet per collum laqueo suspendi quam coram talibus viris ecclesiasticis et judicibus respondere » [Note : Arch. du départ. de la Loire-inférieure. — Trésor des chartes de Bretagne. — Procès manuscrit de Gilles de Rais].

Essayons maintenant de faire connaître l'ensemble de ce procès fameux par les dépositions de Gilles et de ses complices, d'après les traductions des pièces de la procédure. Après la réponse dont nous venons de donner une partie, le tribunal décida que l'accusé serait jugé comme contumace. Dans une séance suivante, le promoteur Guillaume Chapeillon invite Gilles à se défendre, puis il indique l'étendue de la juridiction épiscopale de Nantes et les paroisses dont le prélat possède la haute justice, ainsi que les droits du Grand Inquisiteur, et déclare que Gilles de Rais, étant de la paroisse de la Sainte-Trinité de Machecoul, a été depuis son enfance sujet et justiciable de l'Evêque et de l'Inquisition en ce qui concerne les crimes énoncés. Les témoins se plaignent que les enfants ont été enlevés par Gilles de Sillé, Roger de Bricqueville, Henriet-Griart, Etienne Corrillaut, dit Poitou, André Buchet, Jean Rosseignoul (Rossignol), Robin Romalart, « tous familiers, commissaires ou serviteurs du seigneur de Rais, lesquels enfants auraient, été pris, très-inhumainement démembrés, brûlés et livrés au démon, aux malins esprits, après avoir servi aux plaisirs du maréchal ». Le promoteur démontre que Gilles a fait périr plus de cent quarante enfants, dont il a égorgé un grand nombre de sa propre main.

La justice humaine , dit-il, les saints canons de l'Eglise, les lamentations de la foule suppliante réclament un châtiment terrible et exemplaire. Alors le criminel, sommé par l'évêque de répondre aux faits articulés contre lui, veut encore récuser ses juges ; mais tout à coup il tombe à genoux et annonce, en versant des torrents de larmes, qu'il va tout dire. Il parle de ses recherches alchimiques, nie qu'il a invoqué le démon, demande à entendre les témoins et refuse de les interroger. Il supplie de le laisser participer aux sacrements des fidèles et promet de dire ensuite la vérité. Cependant, après trois nouvelles interpellations, n'ayant pu obtenir de réponse, le promoteur annonça qu'il ne restait plus qu'à soumettre l'accusé à la torture. L'évêque ordonna, en conséquence, de conduire le baron dans une salle basse, où se trouvaient les instruments du supplice. Mais Gilles pria encore humblement ses juges de différer l'exécution. La Cour céda et le lendemain, dans une salle voisine de celle où la géhenne avoit esté préparée, il avoua que tout ce que les témoins avaient dit était vrai ; et désirant encore ajouter à ces aveux, il déclara en pleurant, sponte, libere et dolenter, vouloir confirmer publiquement plusieurs autres grands et énormes crimes commis envers Dieu et ses commandements. De retour dans la salle du tribunal, devant les juges et une foule nombreuse, ac aliis in multitudine copiosâ testibus, il résolut de rappeler toutes les iniquités dont il s'était rendu coupable envers Dieu dans sa jeunesse, parce qu'on n'avait opposé aucun frein à ses passions et qu'on le laissait au contraire se livrer à toutes ses volontés, et que dès lors il s'était abandonné à tout ce qu'il y avait d'illicite et de criminel. Il pria les assistants qui avaient des enfants de les élever dans de bonnes doctrines et dans la pratique des vertus ; et, comme la plupart des auditeurs ignoraient la langue latine, il voulut leur exposer sa confession en langue vulgaire, afin d'obtenir d'eux le pardon de ses fautes.

Il avoua que depuis sa jeunesse il n'avait pas cessé de se livrer à toutes les débauches et à la fougue de ses passions, faisant tout le mal qu'il pouvait faire, appliquant son esprit et ses facultés à l'exécution des choses illicites et déshonnêtes. Il exhorta affectueusement les pères et mères, les amis, les parents de donner l'exemple des bonnes mœurs aux enfants élevés près d'eux, de les instruire et de les châtier à propos s'ils ne voulaient pas qu'ils tombassent dans le péché ainsi que lui. Après quoi le baron déclara hautement, en présence de tous, que pour satisfaire l'ardeur de ses désirs charnels et de sa luxure, il avait sacrifié une foule d'enfants dont il ne peut se rappeler le nombre, et qu'il les avait tués et fait mettre à mort après avoir commis avec eux le péché de sodomie et crime contre nature, se livrant à tous les excès de ses désirs effrénés avant et après leur mort et même pendant leur agonie. Il avait pour complices dans l'exécution de ces atrocités Roger de Bricqueville, Etienne Corrillaut, Rossignol et Robin. Chacun d'eux se plaisait à faire subir à ces innocentes victimes les plus horribles tourments, soit en séparant leurs têtes de leurs corps avec des poignards, des dagues ou des couteaux, soit en les assommant à coups de bâtons ou de tous autres instruments, soit encore en les suspendant aux voûtes des appartements au moyen de cordes et de crochets en fer, pour les étrangler ou les faire expirer lentement dans d'épouvantables souffrances. Avant de livrer ces infortunés à tous ces supplices et même après qu'ils avaient rendu le dernier soupir, ils commettaient sur leur corps le crime de sodomie ; et quand, parmi ces malheureux enfants, il s'en trouvait qui eussent de belles têtes, ils leur ouvraient le ventre d'une manière horrible, pour s'abandonner sur eux à leurs infâmes plaisirs pendant qu'ils respiraient encore, et souvent leurs pauvres victimes expiraient sous leurs embrassements. Ils éprouvaient tous une véritable jouissance à les voir se débattre et mourir ainsi, et ils poussaient alors de longs éclats de rire ; après quoi ils brûlaient les cadavres de leurs victimes et les réduisaient en cendres.

Interrogé sur les lieux où il avait commis ces premiers crimes, depuis quel temps il les avait commis et combien d'enfants il avait fait périr de cette manière, le baron répondit et déclara que c'était d'abord dans la forteresse de Chantocé, dans l'année où mourut son oncle le sire de la Suze, 1432. Il avait tué ou fait tuer dans ce lieu un grand nombre d'enfants, après avoir commis avec eux le crime de sodomie et contre nature, et cela seulement pendant qu'il demeurait seul dans cette forteresse. Mais après que Roger de Bricqueville et ensuite Etienne Corrillaud, Rossignol et Robin se furent joints à lui, un nombre infini d'enfants fut sacrifié par ces hommes scélérats. Les cadavres de leurs victimes, coupés en morceaux, furent enfouis sous les murs de la forteresse ou renfermés dans des coffres et jetés à l'eau.

Le baron ajouta que de là il se rendit au château de Machecoul, et de même, en ce lieu, des enfants dont il ne peut indiquer le nombre furent tués par lui ou ses complices, et leurs cadavres réduits en cendre. D'autres enfants, également en grand nombre, furent mis à mort dans son hôtel de la Suze, à Nantes ; et dans ce même temps il gardait dans ses divers domaines beaucoup d'autres jeunes infortunés, qu'il fit périr de la même manière.

Le baron avoua et confessa ces crimes abominables en déclarant qu'il ne les avait commis que pour satisfaire les désirs effrénés de ses sens et non dans une autre intention, n'ayant personne auprès de lui qui lui remontrât l'énormité de ses forfaits.

Il déclara ensuite et confessa qu'après un voyage de plus d'une année, Eustache Blanchet, son émissaire, rencontra et amena vers lui du pays de Florence, en Lombardie, le nommé François Prelati, dans le dessein d'évoquer le démon, d'après le désir qu'il en avait manifesté ; ce même François Prelati, arrivé près du sire de Rais, lui déclara qu'il avait trouvé dans ce pays d'où il venait le secret de conjurer les esprits infernaux. Il. lui promit de les faire apparaître devant lui, et en effet il évoqua souvent en sa présence un certain démon auquel il donnait le titre de baron et qu'il prétendait faire venir à sa volonté.

Le sire de Rais ajouta que François Prelati avait fait souvent des évocations diaboliques, par son ordre, soit pendant qu'il était absent, soit en sa présence, et que lui-même fit par trois fois des évocations. La première eut lieu dans le château de Tiffauges, la seconde près du bourg de Rezé ; quant à la troisième il ne s'en souvient pas. François Prelati faisait souvent des évocations de la même manière que lui ; mais tous deux ne souffraient pas qu'Eustache Blanchet fût présent, attendu que ce même Eustache avait la langue fragile, mauvaise et légére.

En se livrant à ces opérations diaboliques, ils traçaient des cercles et des croix sur la terre, ainsi que certains caractères mystérieux. Prelati tenait à la main un livre contenant les noms de plusieurs démons et les paroles à prononcer pour les évocations et conjurer. Le baron ne se souvient plus de ces paroles ainsi que des noms des démons. Prelati lisait ce livre parfois pendant plus de deux heures, en faisant des conjurations et évocations pendant lesquelles le baron ne
put apercevoir le diable ni lui parler, ce qui lui déplut et l'irrita fort.

Il ajoute que, lorsque Prelati faisait ces évocations en son absence, il lui déclarait qu'il avait vu le baron infernal et qu'il lui avait parlé ; que ledit baron refusait de se montrer au sire de Rais, parce que celui-ci manquait aux promesses qu'il avait faites au diable, lequel n'apparaîtrait que lorsque ces promesses seraient accomplies.

Le sire de Rais dit alors à Prelati de demander au diable ce qu'il exigeait de lui, promettant lui livrer tout ce qu'il demanderait, fût-ce son âme et sa vie, s'obligeant à s'abandonner à lui dès qu'il l'exigerait et à se soumettre à toutes ses volontés s'il obtenait la science, la puissance et la richesse. Après quoi Prelati dit au baron que le diable, entre autres choses, réclamait quelques membres d'enfants, tels que la main, le cœur et les yeux, pour lui être offerts et servis par le baron, ce qui fut fait. Gilles déclara de plus qu'avant d'assister à une de ces évocations il écrivit et signa de sa propre main une cédule, dans laquelle il écrivit son nom en langue vulgaire, soit Gilles ; il ne se souvient pas du contenu de cette cédule, qu'il signa avec l'intention de se donner au démon. Pendant qu'on l'invoquait, le sire de Rais tenait toujours sa cédule, attendant que Prelati et le diable disent ce qu'il fallait pour accomplir les promesses et le pacte que le baron avait fait avec le démon, mais le diable n'apparut ni ne parla, et le sire de Rais se souvient qu'il ne livra pas la cédule.

Le baron entreprit ensuite de faire la même évocation que Prelati, ce que celui-ci ne voulut pas permettre, lui déclarant qu'il courrait alors un danger imminent, car au moyen de cette évocation Prelati avait vu apparaître un serpent qui lui avait causé une grande frayeur. Ce que le baron ayant entendu, il fit voir à Prelati un morceau de la vraie croix qu'il portait sur lui et il exigea qu'il fît son évocation, mais celui-ci n'y consentit pas. Il ajouta que, pendant une de ces évocations auxquelles il assista, Prelati lui déclara qu'il apercevait le baron infernal, ayant entre les mains et montrant une grande quantité d'or et principalement un énorme lingot de ce métal. Le baron de Rais confessa qu'il n'aperçut ni diable ni lingot, mais seulement une manière d'or en feuille ou du moins qui en avait l'apparence, car il n'y toucha pas.

Après l'aveu de quelques autres déceptions, le baron, interrogé pourquoi il gardait ce même Prelati avec lui dans sa maison, répondit que c'était parce qu'il était habile, d'un commerce agréable, qu'il s'exprimait merveilleusement avec de belles paroles latines et qu'il se montrait très-empressé de soigner ses intérêts.

Le sire de Rais, ayant ensuite confessé plusieurs crimes commis par lui, déclara qu'il avait eu d'autres évocateurs de démons, entre autres un certain trompette ou sonneur de tube, nommé du Mesnil, et l'illustre Jean de la Rivière, qu'on appelait le grand Antoine de Palerme, et d'autres encore dont il ne se souvient pas. Il raconta comment il fut également trompé dans son attente avec eux, car il ne put voir le diable, quoiqu'il eût fait un nouveau pacte avec lui. Le grand Antoine de Palerme lui annonça un jour qu'il avait vu le diable, sous la forme d'un léopard, qui s'était élancé sur lui et réclamait vingt pièces d'or pour se montrer au baron, mais celui-ci ne jugea pas à propos de les lui donner.

Le château de Tiffaiuges (Vendée).

Un autre évocateur, en lui voyant faire le signe de la croix dans le cercle magique qu'il avait tracé autour de lui, l'éloigna précipitamment pour lui faire éviter le péril qui le menaçait. Après l'opération le baron dit qu'il revint à la porte de la chambre, qu'il trouva fermée, et il entendit l'évocateur qui jetait des cris perçants, comme si on l'eût frappé avec violence ; le baron ouvrit aussitôt la porte, et étant entré dans la chambre, il aperçut l'évocateur grièvement blessé au visage et sur d'autres parties du corps, ayant entre autres une bosse au front et pouvant à peine se soutenir. Le baron, craignant qu'il ne succombât à ses blessures, lui fit administrer la confession et l'extrême-onction. Pourtant l'évocateur n'en mourut pas, mais il resta longtemps en convalescence.

Après d'autres aveux, le baron termina sa confession en exhortant les pères de famille à éviter que leurs enfants ne se livrassent aux plaisirs du vin et de la table, qui sont, suivant lui, la source de beaucoup de maux, déclarant que c'étaient les vins exquis, les mets succulents dont il avait usé avec excès, qui l'avaient porté à se livrer à la débauche et à commettre tous les crimes dont il s'était rendu coupable.

Le baron, après cette confession, pressé d'expliquer sa conduite, s'écria : « Hélas ! Monsegnor, vous vous tourmentez et moy avecques ». A quoi le président répondit : « Je ne me tourmente point, mais je suis moult esmerveillé de ce que vous me dites et ne m'en puis bonnement contenter. Ainçois je désire et vouldroye par vous en sçavoir la pure vérité, pour ces causes que je vous ay jà souventes dittes. » — Le maréchal reprit : « Vrayment il n'y avoit austre cause, fin, ni intention que ce que je vous aye dit de plus grans choses que n'est cest-ci et assez pour faire mourir dix mille hommes ».

Après ces terribles aveux, il semblait que le maréchal eût épuisé le récit de ses crimes, et cependant le témoignage de ses serviteurs, tout en corroborant les faits, dévoila encore aux auditeurs plus d'un raffinement criminel du baron et de ses complices.

François Prelati prit le premier la parole. Né au Mont-Catane, dans le Val-Noir, diocèse de Lucques, en Italie, il fut ordonné clerc et reçut la tonsure de l'évêque d'Arrezzo. Livré tout entier à l'étude des sciences, il vivait retiré sur le mont Fragal prés Florence, lorsque Eustache Blanchet vint le chercher. Ils arrivèrent tous deux à Tiffauges, où Gilles de Rais les reçut avec toutes sortes d'égards. Bientôt il fit des évocations dans la forme suivante : il traçait un grand cercle, ouvrait ses livres cabalistiques et prononçait de longues formules. Il disait, par exemple : Baron, Satan, Belial Belzebuth, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprits au nom de la Vierge Marie et de tous les saints, je vous supplie d'apparaître ici en personne, afin de parler avec nous et de faire notre volonté. Il affirme que le diable lui apparut un jour, sous la forme d'un beau jeune homme, puis sous celle d'un serpent vert, à tête de chien ; mais le maréchal, toujours muni de son morceau de la vraie croix, voulut entrer dans la chambre où se tenait Prelati, de sorte que l'or du diable se réduisit en poussière.

Eustache Blanchet, âgé de 40 ans, né dans une paroisse du diocèse de Saint-Malo, en Bretagne, déclare ensuite qu'il était depuis deux ans au service du maréchal quand il partit pour l'Italie. Il raconte l'arrivée de Prelati et ses travaux avec Jean Petit, orfèvre parisien, et un vieux protonotaire, demeurant près l'église de Saint-Nicolas, de Tiffauges ; les rapports faits à Mortagne par Jean Mercier, de la Roche-sur-Yon, sur le bruit, répandu à Nantes et à Clisson, que le maréchal tuait des enfants ; puis le refus du serviteur, Robin Romalart, de retourner près du seigneur de Rais, refus motivé sur ce qu'il trouvait abominable d'évoquer les démons ; enfin plusieurs évocations et les vœux du maréchal d'aller à Jérusalem visiter le saint Sépulcre, afin d'obtenir la rémission de ses péchés.

Etienne Corrillaut, dit Poitou, de Pouzauges, et Henriet Griart confirment ce qui a été dit et donnent de nouveaux détails sur les crimes énoncés. Un jour on fit brûler deux enfants dans la cheminée de la chambre de Gilles de Rais pendant qu'il était au lit. Chacun d'eux a tué environ une douzaine d'enfants.

Après ces dépositions, au moment où ils allaient se retirer, Gilles de Rais, se retournant, s'écria « Adieu, François, mon amy, jamais plus ne nous entreverrons en ce monde. Je prie Dieu qu'il vous doint bonne pacience et cognoissance, et soyez certain, mais que vous ayez bonne pacience et esperance en Dieu, que nous nous entreverrons en la grant joye du Paradis. Priez pour moi, et je prieray pour vous » [Note : Ces paroles et celles ci-dessus sont extraites textuellement du procès manuscrit dont nous avons parlé dans une note précédente].

On entendit en dernier lieu les témoins sur la violation des immunités ecclésiastiques, qui racontèrent que, le lendemain de la Pentecôte, au moment où les paroissiens de Saint-Etienne de Mer-Morte étaient réunis, Gilles entra avec un sergent dans l’église et s'empara de Jean Perron, gardien de la forteresse, l'accusa d'avoir battu ses hommes, le força de lui remettre le château et le fit jeter dans les cachots.

Après avoir entendu les conclusions du promoteur, la Cour entra en délibération, et bientôt après, l'évêque de Nantes, au nom de l'inquisition et des juges ecclésiastiques, prononça la sentence suivante :

« Nous, évêque de Nantes, Jehan Blouyn, vicaire de la Sainte Inquisition, assistés des révérends évêques, docteurs et maîtres en théologie, etc., après avoir examiné et fidèlement rédigé les dépositions des témoins et la confession spontannée faite en notre présence et avoir écouté la voix de nostre conscience, prononçons et te déclarons, toi seigneur de Rais, devant le tribunal et le peuple ici rassemblés, hérétique, relaps, traître et évocateur du diable, coupable du crime contre nature avec les enfants des deux sexes et de violations des immunités ecclésiastiques ; décernons contre toi la sentence d'excommunication et les autres peines que tu as encourues comme hérétique, apostat et évocateur du démon, devant être corrigé et puni justement d'après les saints canons de l'Eglise. ».

Après cette lecture, le président s'adressa au coupable et lui demanda s'il voulait rentrer dans le sein de l'Eglise, et, sur sa réponse affirmative, il prononça solennellement sa réintégration (reincorporationem). Ensuite Gilles se confessa à Jean Juvenal, de l'ordre des Carmes, qui lui donna l'absolution.

Le jour suivant, 23 octobre 1440, la Cour séculière, réunie dans la grande salle du Bouffay, sous la présidence de Pierre de l'Hospital, qui déjà avait assisté au procès ecclésiastique, condamnait au feu Etienne Corrillaud, dit Poitou, de Pouzauges, et Henriet Griart, et recevait ensuite le seigneur de Rais, en présence d'une foule compacte. Prenant en considération la naissance et la haute position du maréchal, elle lui accorda d'être pendu avant d'être brûlé. Il demanda à mourir avec ses complices, disant que « si autrement estoit et que les dits serviteurs ne le veissent mourir, qu'ils pussent cheoir en desespérance et imaginer qu'il n'y auroit punis qu'eux, dès que luy qui estoit la cause de leur maléfice demeuroit impuni » [Note : Bibl. nat. — Procès séculier de Gilles de Rais, manuscrit]. Le président lui octroya sa demande, et de plus, attendu sa bonne contrition, décida que l'exécution, qui aurait lieu dès le lendemain à onze heures, se ferait de manière que ses entrailles ne fussent pas ouvertes par le feu et pussent être placées dans une châsse pour être portées en sépulture en telle église de Nantes qu'il ordonnerait. Il désigna l'église du Moustier de Nostre-Dame des Carmes et demanda que monseigneur l'évêque et ses gens fissent procession, afin de prier Dieu pour lui et ses serviteurs [Note : Arch. du départ. de la Loire-Inférieure. — Voir aux pièces justificatives, n° 5].

Après le supplice du maréchal et lorsqu'il fut retiré du bûcher, il y eust, ajoute Monstrelet, aucunes dames et damoisélles de son lignaige qui ensevelirent son corps avant qu'il fût mis en terre sainte. Enfin, pour fléchir la miséricorde divine en faveur d'un si grand coupable, sa famille fit célébrer solennellement un service dans l'église des Carmes. Une foute immense, accourue de toutes les parties de la Bretagne, assista à ce spectacle extraordinaire. Et suivant un usage du temps, disent certains auteurs, les pères et les mères de famille qui avaient entendu la confession du baron de Rais, jeûnèrent trois jours pour lui mériter la délivrance et le repos de son âme, et infligèrent à leurs enfants la peine du fouet, afin qu'ils gardassent le souvenir de ce terrible châtiment.

Un monument expiatoire fut élevé sur l'emplacement de l'exécution. La vierge mère y fut placée entre saint Gilles et saint Laud, où elle a même été invoquée jusqu'à la Révolution, sous le nom de bonne vierge de Crée-Lait. Ce petit édifice devait être un calvaire, car Alain-Bouchard, qui vivait à la fin du XVème siècle, indique le lieu du supplice de Gilles, « en la prée de Bièce, joygnant les Ponts de Nantes, où est une croix de pierre » [Note : Alain Bouchard. — Les Grandes Chroniques de Bretagne, édition de 1532, p. 168]. Et Travers, qui perpétue la tradition, nous fixe de nouveau l'endroit, en disant que l'on y voit les images de la sainte Vierge, de saint Gilles et de saint Laud [Note : Travers. — Hist. de Nantes, t. I, p. 539].

Les restes de cet édifice, qui se voyaient sur ce qu'on appelle maintenant la chaussée de la Madeleine, n'existent plus ; ils ont été détruits lors de l'érection du nouvel Hôtel-Dieu, mais un fragment en a été conservé au Musée archéologique.

Gilles de Rais n'a pas été, comme on l'a supposé quelquefois, un batailleur du- moyen âge, un de ces écorcheurs poursuivis par l'autorité royale, un scélérat grandiose, un tyran de ses vassaux, affichant hautement la cruauté et se protégeant par ses dongeons contre la haine des opprimés. Ce fut un ignoble débauché, qu'une cruauté réfléchie a mis à la piste de tous les moyens d'assouvir ses insatiables désirs. C'est ainsi qu'après s'être entouré d'une véritable auréole de gloire chevaleresque, il inventait de diaboliques saturnales, dans lesquelles les cris des enfants torturés et éventrés se mêlaient au choc des coupes remplies de liqueurs enivrantes et aux chants bachiques de ses convives et satellites infernaux. « Ils jouissaient de la mort et encore plus de la douleur ; d'une chose si cruellement sérieuse, il avait fini par se faire un passe-temps, une farce ; les cris déchirants, le râle, flattaient son oreille ; les grimaces de l'agonisant le faisaient pâmer de rire ; aux dernières convulsions il s'asseyait, l'effroyable vampire, sur la victime palpitante » [Note : Michelet. — Hist. de France, t. V].

Catherine de Thouars, sa femme, dont il n'avait eu qu'une fille, dut être une des dernières à apprendre ces crimes, quoiqu'ils eussent plusieurs fois pour théâtre ses châteaux de Tiffauges et de Pouzauges. En son absence, il lui laissait la garde et le gouvernement de ses terres et revenus, dont elle s'occupait avec activité. Ainsi, en 1434, elle passe à Machecoul une partie des mois de janvier et mai ; à la Saint-Michel elle est à Tiffauges, puis se rend à Chantocé, en Anjou, où on lui envoie de Pouzauges, par deux serviteurs, dont le voyage coûte 3O sous, de la cire, du fromage et six boisseaux de châtaignes, payés chacun 2 sous 6 deniers. Il y avait plusieurs années qu'elle s'était réfugiée au château de Pouzauges, pour se soustraire aux brutalités de Gilles, lors du procès et du supplice de ce dernier.

(L. Prevel).

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