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L'administration paroissiale dans le Trégor au XVème siècle

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Relativement bien connus maintenant pour la période moderne (XVIIème-XVIIIème siècles) [Note : Il faudrait ici citer les nombreux ouvrages d'histoire religieuse publiés ces dernières années et dont on trouvera la liste dans l'abondante bibliographie du professeur DELUMEAU : « Le christianisme de Luther à Voltaire » (Paris - 1971). Pour le Trégor mentionnons les travaux de détail contenus dans certains mémoires de maîtrise à l'Université de Haute Bretagne, comme celui de Michèle ELDER UGLAND : « Une fabrique paroissiale au XVIIème et XVIIIème siècles en Bretagne : PLOUBEZRE » (1968). Pour la fin du XVIIIème siècle un des meilleurs ouvrages de systématisation à l'échelle provinciale reste celui de POTIER DE LA GERMONDAYE : « Introduction au gouvernement des paroisses suivant la jurisprudence du Parlement de Bretagne » (2ème édition — Rennes - 1788).], les rouages de l'administration paroissiale et leur fonctionnement offrent davantage d'incertitudes lorsque nous remontons dans le temps. Certes, les traits généraux de la paroisse médiévale ont été soigneusement étudiés dans de nombreuses monographies et des ouvrages généraux [Note : On en trouvera la liste dans Francis RAPP : « l'Eglise et la vie religieuse en Occident à la fin du Moyen Age » (Paris, 1971), P. ADAM : « La vie paroissiale en France au XIVème siècle » (Paris, 1964), G. HUARD : N Considérations sur l'histoire de la paroisse rurale des origines à la fin du Moyen Age (R H E F - 1938. pp. 5-22)], mais il est nécessaire, dans le domaine institutionnel comme dans beaucoup d'autres de garder à l'esprit l'extrême variété régionale de l'Eglise pré-tridentine. Les définitions trop claires et trop générales ne conviennent pas à l'esprit du Moyen Age, dont les hommes vivent avant tout dans le concret des conditions locales. Pendant cette période, les nuances l'emportent sur les généralisations. Nous essaierons donc de saisir dans le cadre d'une région bien définie, le Trégor, le fonctionnement des institutions paroissiales au XVème siècle, en comparant, lorsque cela sera possible, avec ce que nous pouvons savoir des diocèses ou provinces voisins.

Nous partirons de la définition de la paroisse telle qu'on la trouve dans les manuels d'institutions religieuses : « La paroisse suppose une église, un territoire délimité, dont les habitants viennent à cette église pour les cérémonies cultuelles et la réception des sacrements, un clergé propre affecté de façon durable à l'église, un patrimoine paroissial pour assurer les revenus du clergé et l'entretien de l'église » [Note : F. LOT et R. FAWTIER : « Histoire des institutions françaises au Moyen Age ». (T. III. pp. 197 et suiv.)]. Le symbole de la paroisse est donc l'église elle-même. Elle est souvent en triste état au début du XVème siècle, dans le Trégor comme ailleurs, à la suite des destructions de la Guerre de Succession de Bretagne [Note : H. DENIFLE : « La désolation des églises, monastères et hôpitaux en France pendant la guerre de Cent Ans » (Paris - 1897). B. MOLLAT : « Les désastres de la guerre de Cent Ans en Bretagne » (Annales de Bretagne. T. XXVI - 1910)]. Quelques exemples en témoignent : en 1364, Charles de Blois ayant choisi l'abbaye de chanoines réguliers de Sainte-Croix de Guingamp comme point de concentration de ses troupes, ces dernières saccagèrent les bâtiments ; à Morlaix, l'église, le dortoir et d'autres dépendances des Frères Prêcheurs sont brûlés ; la chapelle Notre-Dame de Trélévern est détruite ; la chapelle Saint-Yves, annexée à l'église paroissiale de Ploulec'h, est dépouillée de ses calices et ornements et tombe en ruines ; l'église de Bourbriac est en partie démolie, de même que celles de Tréguier ; les édifices suivants sont fortement endommagés : églises de Gurunhuel, Ploubezre, La Roche-Derrien, chapelles Sainte-Marie de Landa en Squiffiec, Sainte-Marie de Kerfons en Ploubezre, Saint-Gonery en Langoat, Sainte-Marie de Bozby en Pleudaniel, Sainte-Marie de Pendreff en Belle-Isle-en-Terre. Ces destructions entraîneront, comme nous le verrons, de fortes dépenses pour les paroisses au cours du XVème siècle. Mais quel que soit son état l'église est vraiment alors la maison communautaire par excellence, et elle abrite bien des occupations qui ne laissent pas de nous surprendre. Les statuts synodaux des évêques de Tréguier sont à cet égard instructifs : il arrive que dans les églises du diocèse on joue à la balle, on tienne tribunal et marché [Note : DOM MORICE : « Preuves... » (T. II. col. 1281 et 1438)], que l'on y donne des représentations de mimes et des spectacles de jongleurs les jours de pardon, en payant les histrions avec l'argent des offrandes [Note : DOM MORICE : « Preuves... » (T. II. col. 1462 et 1533)]. A Guingamp on campe jour et nuit dans l'église Notre-Dame à l'occasion des neuvaines de prières pour un malade [Note : M. S. ROPARTZ : « Histoire de Guingamp » (Saint-Brieuc - 1859)]. On peint ou on grave des croix sur les murs, quand ce ne sont pas des inscriptions « frivoles ou deshonnêtes » [Note : DOM MORICE. II. col. 1276 et 1436]. On se sert aussi de l'église comme d'un bâtiment agricole, y rangeant charrues, charrettes, blé, foin.

On y signe les contrats ; elle sert d'armorial à la noblesse locale et de nécropole à tous ceux qui en ont les moyens.

La paroisse, c'est aussi un territoire délimité. Quel est leur nombre au XVème siècle ? La géographie paroissiale est à cette époque fixée presque définitivement et ne subira que des retouches de détail du XVIème au XVIIIème siècle. Par recoupement de divers documents nous obtenons le chiffre de 101 paroisses pour le diocèse de Tréguier [Note : D'après A. LONGNON : « Pouillés de la province ecclésiastique de Tours » (Paris - 1903), que l'on peut compléter avec les comptes des procureurs de la fabrique de la cathédrale (A.D. des Côtes-du-Nord. Série G), dans lesquels la liste des paroisses est faite chaque année pour la perception des deniers du Saint Esprit, et aussi les registres de réformation des feux (A.D. de Loire-Atlantique. B. 2980 à B. 2984)], ce qui en fait l'un des plus petits de France (Rennes a 218 paroisses, Nantes 226, Amiens 763, Langres 964 !). A ces 101 paroisses il faut ajouter 40 trêves ou succursales qui ont aussi chacune leur église, appelée quelquefois chapelle, leur cimetière, et un prêtre attaché, délégué par le recteur. A la fin de l'Ancien Régime ces chiffres seront respectivement de 104 paroisses et 37 trêves, trois de ces dernières ayant donc changé de catégorie [Note : R. COUFFON : « Recherches sur les églises primitives de l'évêché de Saint-Brieuc et Tréguier » (Saint-Brieuc - 1946)].

A la tête de la paroisse se trouve le recteur, théoriquement nommé par l'évêque. Mais l'on sait que les droits de ce dernier sont souvent limités par le droit de patronage. Le patronage laïque, très étendu jusqu'au XIème siècle à la suite des usurpations de biens d'église à la période carolingienne, a beaucoup reculé depuis avec l'application, lente mais continue, de la Réforme Grégorienne aux XIIème et XIIIème siècles [Note : Voir à ce sujet G. DEVAILLY: « L'application de la Réforme Grégorienne en Bretagne », (Annales de Bretagne. T. LXXV - Juin 1968 - pp. 293-316)]. Les restitutions d'églises par les seigneurs laïques semblent avoir été nombreuses dans le Trégor puisque ces derniers, au XVème siècle, ne désignent plus les candidats aux fonctions curiales que dans 5 cas : à Quemper-Guézennec, Pommerit-le-Vicomte, Tonquédec, la Trinité et Notre-Dame de Guingamp, soit 5 % du total, pourcentage similaire à celui des diocèses de Mâcon ou Amiens, mais nettement inférieur à celui de la Normandie. Le patronage ecclésiastique est par contre beaucoup plus important, car bien des églises ont été restituées par des laïques à des abbayes et sont devenues des prieurés-cures. Le chapitre de Tréguier nomme les recteurs de Plouguiel, Plougrescant, Penvénan, Camlez, Saint-Vincent-de-la-Rive, Saint-Sébastien de l'Hôpital et le Minihy ; l'abbaye de Beauport nomme ceux de Boquého, Châtelaudren, Plouagat, Châtelaudren, et l'un des deux recteurs de Goudelin, l'autre étant le candidat de l'abbaye de Beaulieu. L'abbaye de Saint-Jacut nomme ceux de Buhulien et de Loc-Envel ; l'abbaye Saint-Melaine de Rennes nomme celui de Saint-Melaine de Morlaix ; celui de Pleubian est présenté par l'abbaye Saint-Georges de Rennes, celui de Sainte-Croix de Guingamp par l'abbaye du même nom, tout comme celui de Saint-Sauveur dépend du prieuré de Saint-Sauveur de Guingamp, celui de Saint-Mathieu de Morlaix de l'abbaye Saint-Mathieu, ceux de Plougonver et Ploumagoar de l'abbaye Sainte-Croix de Quimperlé. Enfin les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem présentent les candidats-recteurs de Louargat, Pont-Melvez et Saint-Laurent. Soit au total 22 paroisses. Certes plusieurs de ces droits de patronage sont contestés par l'évêque (et le resteront jusqu'au XVIIIème siècle) mais le total des patronages laïques et ecclésiastiques touche tout de même 27 % des paroisses trégorroises, ce qui situe cette région entre les diocèses de Saint-Malo (23 %) et de Rennes (33 %). Ces pourcentages, plus élevés que dans la plupart des diocèses français, sont néanmoins inférieurs à ceux de la Normandie (Avranches 42 %, Lisieux 50 %). Mais comme souvent au Moyen Age le monde du droit n'est pas nécessairement le reflet de celui des faits. L'évêque exerce-t-il ou non un contrôle sur la nomination des recteurs relevant des divers patrons ? L'étude du cas de Pont-Melvez permet de suggérer une réponse. Le recteur-vicaire de la paroisse est en effet présenté par le commandeur des Hospitaliers. Or en 1433, à l'occasion d'un procès entre Yvon Le Tamic, recteur-vicaire, et le commandeur, les témoins s'accordent pour dire que, de notoriété publique, le candidat des Hospitaliers est toujours présenté à l'évêque [Note : « Ledit frere Robert (commandeur), jadis vacante la vicairie d'icelle paroisse par la mort de dom Jehan Hamon, prebstre, darrain vicaire d'icelle, par la vertu dudit patronage, présenta ledit Yvon le Tamic, prebstre, pour obtenir ladite vicairie, au reverend pere en Dieu, monseigneur l'evesque de Treguer pour le temps, et ainsi a esté et est voix publique et notoire... » (A.D. des Côtes-du-Nord. H. Fonds de Malte. Procès Yvon le Tamic - 24 juin 1434, f° 7 r°)], dont les droits sont ainsi respectés alors qu'en France à la même époque il semble que les patrons des paroisses ne remplissent même plus cette formalité [Note : F. LOT et R. FAWTIER, op. cit., T. III. p. 382]. Les relations entre l'évêque et le commandeur n'étaient pourtant pas excellentes à l'époque jusqu'en 1430 ils sont en procès à propos de ce même droit de présentation, puis à nouveau en 1447 cette fois à propos du droit de visite par l'évêque, qui fait excommunier le commandeur, ce dernier obtenant ensuite la même sentence à l'égard du prélat.

Cependant les cures en patronage ne sont pas les seules à échapper à la nomination de l'évêque : résignations en cour de Rome et lettres de provisions pontificales permettent au pape d'intervenir assez souvent : ainsi Nicolas V nomme-t-il en huit ans 11 recteurs dans le Trégor [Note : 1 en 1447, 2 en 1448, 2 en 1449, 2 en 1450, 1 en 1452, 3 en 1453. D'après VAUCELLE : « Catalogue des lettres de Nicolas V concernant la province ecclésiastique de Tours ». (Paris - 1908)], alors que les comptes du procureur du chapitre de la cathédrale mentionnent 54 vacances de paroisses dans le même laps de temps. Le pape pourvoit donc environ 20 % des cures, taux sensiblement plus faible que ceux des diocèses français, où dès le XIIIème siècle Innocent IV nommait directement à 25 % des bénéfices mineurs, Honorius III à 45 % et Boniface VIII à 42 %, proportions elles-mêmes inférieures à celles atteintes à la même époque en Allemagne, Espagne, Angleterre ou Italie [Note : F. LOT et R. FAWTIER, op. cit., T. III, pp. 205-206]. Il est vrai que les paroisses trégorroises, dans l'ensemble pauvres, sont peut-être moins vivement briguées en cour de Rome. Les nominations pontificales ne concernent que les bénéfices les plus importants : Plufur, Plouisy, Guimaëc, Pédernec, Perros-Guirec, Ploubezre, Langoat, dont le revenu va de 50 à 80 livres, alors que celui des autres paroisses va de 20 à 40 livres.

Patrons laïques, ecclésiastiques, et papauté nomment donc environ 47 % des recteurs. Il faudrait y ajouter les nominations ducales, mais celles-ci sont difficiles à chiffrer. Tout ce que nous savons c'est qu'en 27 ans, de 1421 à 1448, le pape accorde au duc la collation de 552 bénéfices en Bretagne [Note : POCQUET DU HAUT JUSSÉ : « Les papes et les ducs de Bretagne ». 2 vol. Paris. 1928], dont probablement une cinquantaine doivent concerner le Trégor. Nous pouvons donc raisonnablement affirmer qu'au total un recteur sur deux n'est pas nommé par l'Ordinaire. Nous n'insisterons pas sur les fonctions de ces recteurs, qui n'offrent semble-t-il, aucune originalité par rapport aux autres régions : maîtres du spirituel, ils administrent les sacrements, célèbrent les offices, président les cérémonies religieuses, prêchent, enseignent la morale, donnent les avertissements aux fidèles et veillent à l'exécution des sentences de l'officialité, surtout en ce qui concerne l'excommunication. Nous passerons donc tout de suite à l'institution qui apparaît comme la deuxième tête de la paroisse : le général.

Organe particulier à la Bretagne, il a été mis en place progressivement, à une époque plus tardive qu'on ne l'a longtemps cru. « Assemblée des paroissiens groupés pour la défense de leurs intérêts communs » [Note : A. PERRAUD : « Essai sur le général de la paroisse en Bretagne ». Thèse de droit Rennes. 1926. pp. 2, 3 et 15. Et POTIER DE LA GERMONDAY. op. cit., 3ème partie : « Du gouvernement temporel ». chap. 1, section I], le général de paroisse est une personne juridique, ayant une existence légale, et en tant que tel ne s'est pas constitué avant le XIVème siècle, contrairement à l'opinion de La Borderie, qui croyait le déceler dès le XIIIème, voire même le XIIème siècle. Pour se limiter au Trégor, les deux exemples retrouvés d'assemblées de paroissiens, au Minihy-Tréguier en 1199 et à Goudelin en 1237, ne sont en fait que des réunions d'individus séparés, ne constituant nullement un corps, ainsi que l'a montré A. Perraud [Note : A. PERRAUD : « Essai sur le général de la paroisse en Bretagne ». Thèse de droit Rennes. 1926. pp. 2, 3 et 15. Et POTIER DE LA GERMONDAY. op. cit., 3ème partie : « Du gouvernement temporel ». chap. 1, section I]. Son existence ne fait par contre aucun doute au XVème siècle. Théoriquement distinct de l'assemblée ou « généralité » des paroissiens, à laquelle tous peuvent assister, le général de paroisse ne comprend qu'un nombre restreint de personnes, dont la liste ne sera définitivement fixée que beaucoup plus tard, par des arrêts des XVIIème et XVIIIème siècles [Note : A. PERRAUD : « Essai sur le général de la paroisse en Bretagne ». Thèse de droit Rennes. 1926. pp. 2, 3 et 15. Et POTIER DE LA GERMONDAY. op. cit., 3ème partie : « Du gouvernement temporel ». chap. 1, section I]. A la fin du Moyen Age en font partie les fabriques en charge et ceux des années précédentes, le recteur, certains officiers de justice (sénéchal, procureur fiscal) et un certain nombre de paroissiens le plus souvent désignés comme « la majeure et la plus saine partie des habitants » ou « la maire partie et la plus saine voix ». Il serait intéressant de savoir quelle réalité recouvrent ces formules vagues et ambiguës. Nous pouvons en avoir un aperçu à Brelevenez en 1466 : réuni après la grand-messe le général délibère un dimanche pour savoir qui sera envoyé au seigneur de Lesverzault pour lui rendre hommage de certains biens que la fabrique tenait de lui. Le procès-verbal déclare qu'il y avait là « la maire partie et la plus saine voix desditz paroessiens congrégés en ce jour » et énumère les noms des 26 chefs de famille présents [Note : A. RAISON DU CLEUZIOU : « Trois actes pronaux du XVème et du XVIIème siècles ». (Vannes. 1905)]. Or les registres de réformation des feux pour le XVème siècle mentionnent environ 170 familles pour la paroisse [Note : G. MINOIS : « La démographie du Trégor au XVème siècle ». (Annales de Bretagne. T. LXXXIII - 1976. N. 3)], ce qui peut nous laisser penser que les affaires sont conduites, au sein du général, par 15 % des chefs de famille les plus notables. La proportion est plus restreinte encore en ville, comme le montre l'exemple de Guingamp, étudié par M.S. Ropartz, où la paroisse Notre-Dame est dirigée par la petite minorité des plus riches bourgeois. En fait il semble que déjà le général de paroisse se conduise comme un corps presque fermé, ne faisant plus guère appel à l'ensemble des paroissiens.

Tel qu'il existe, ce général administre le temporel et nomme les titulaires des diverses fonctions paroissiales, mais ici il faut distinguer entre paroisses rurales et paroisses urbaines. A la campagne il semble bien que son rôle soit plus effacé, surtout là où existe le patronage laïque ou ecclésiastique. Certes, les pièces du procès Yvon Le Tamic, déjà mentionné, nous montrent les paroissiens élisant les fabriques sans apparemment subir de pressions quelconques, alors que souvent en France le patron impose ses candidats [Note : F. LOT et R. FAWTIER, op. cit., T. III. p. 214]. Ici les officiers du commandeur n'interviennent que pour la vérification des comptes, et aucun témoin ne signale la moindre ingérence de leur part. Il semblerait, comme le montre la multitude de procès entre le commandeur et le vicaire, que ces deux personnages soient plus occupés à se surveiller l'un l'autre qu'à s'occuper des affaires de la paroisse. Cependant l'autorité du commandeur se fait souvent sentir : lors du choix d'un nouveau vicaire par exemple. Le candidat du patron est présenté aux paroissiens, qui parfois manifestent leur désapprobation, dont on ne tient nullement compte, comme le déclare le témoin Pierre Le Tourneur : « Il vit à un jour de dimanche en l'église parrochial de ladicte parroisse ung clerc et tabellion nommé Raganel, notifier aux parroessiens d'ixelle et représenter ledit Tamic estre vicaire de ladicte parroisse, et l'en mist en possession par la baillée de la corde des cloches de ladicte eglise parrochial, et estait à ce présent ledit frère Robert Morvan (le commandeur), lequel, sur aucune contrariété que lesdiz parroissiens faisoient de recevoir ledit Tamic a vicaire, leur dit celui Morvan que, voulsissent ou non, celui Tamic fut vicaire de ladite parroisse » [Note : A. D. des Côtes-du-Nord. H. Fonds de Malte. Procès Yvon Le Tamic, f° 10 r°]. Le patron, noble laïque ou ordre régulier, impose donc sa volonté au général. Mais ce dernier a davantage de force en milieu urbain. Là encore, l'exemple de Guingamp est révélateur. Il est possible de suivre au cours du XVème siècle les progrès de l'indépendance du général vis-à-vis des autorités extérieures : en 1459 et 1497 c'est toujours le représentant de l'official qui décide de la date des élections des gouverneurs et procureurs, alors qu'en 1499 le procès-verbal nous montre les bourgeois agissant de leur propre autorité, sans consulter ni l'évêque ni l'official. En 1532 cette évolution est entérinée par des lettres patentes de François Ier qui excluent purement et simplement l'évêque et ses officiers des affaires de la fabrique : « De tout temps immemorial, les nobles bourgeoys, manans et habitans de Guingamp ont esté et sont en bonne et pacifique possession de choaisir et depputer deux notables personnaiges à procurer à ladite fabrique. Lesquels ainsi choaisis et depputez ont eu et ont la totale charge et administration du revenu d'icelle eglise... pour les commettre et employer a la reparacion d'icelle eglise... sans y appeler l'évêque de Treguier, ses officiers ni autres. » [Note : A. D. des Côtes-du-Nord. G, Fonds de Notre-Dame de Guingamp]. Face au patron, le duc de Penthièvre, les bourgeois n'obtiendront pas un succès aussi total mais il faudra néanmoins compter avec eux pour la nomination du vicaire. Enfin ce dernier lui-même devra parfois capituler face aux exigences des bourgeois de la fabrique : ainsi le 15 avril 1472 il doit se contenter de ne toucher à l'avenir qu'une somme fixe sur les oblations faites dans les chapelles extérieures, alors qu'il prétendait en percevoir un tiers. En milieu urbain le général de la paroisse, formé de riches et dynamiques bourgeois, tend donc à devenir le véritable chef, et fait reculer l'autorité de l'évêque, du patron et du recteur, alors que son rôle est plus modeste à la campagne.

Outre le recteur et le général les textes nous renseignent sur le fonctionnement des autres organes de l'administration paroissiale, et en particulier sur le rôle des fabriques, appelées aussi « trésoriers et fabriques » ou « gouverneurs et procureurs », la terminologie n'étant pas encore bien fixée à cette époque. Mieux que les définitions des juristes, d'ailleurs rares en cette fin de Moyen Age, le témoignage des paroissiens nous renseigne sur les fonctions de ces fabriques : « La garde des ornementz, tresor, relicques, calices et livres de ladicte eglise, et de lever les offrandes, aulmosnes et oblacions recepues, en bailler une tierce partie au commendeur ou son commis, une aultre tierce partie au vicaire et l'aultre tierce partie revenir a eulx pour l'employer en l'entretenement et augmentacion et decoracion de ladite eglise » [Note : A. D. du Finistère. 41 H. f° 93 r°. Témoignage de Hervé Guyomarc'h, en 1496, dans le procès opposant le commandeur des Hospitaliers de la Feuillée au vicaire]. Ces fabriques doivent présenter leurs comptes à leur sortie de charge. Ils sont normalement élus par le général, pour un ou deux ans suivant les cas, mais en fait l'élection a tendance à se transformer en cooptation, les fabriques en charge désignant eux-mêmes leurs successeurs suivant des critères très discutables, si nous devons en croire les statuts des vicaires généraux : si les finances sont en mauvais état ils choisissent volontiers leurs ennemis, afin de les mettre dans une situation délicate ; au contraire, lorsque tout va bien on se recrute entre amis [Note : Dom MORICE, Preuves. T. III. col. 464, II].

Chaque paroisse a aussi un ou deux « bedeaux », qui sont chargés de « nettoier l'eglise, la fournir de jonc et de paille, mettre l'eau dans les bénitiers, laver les vestements », un sacriste, généralement clerc, qui reçoit la garde du trésor de la paroisse, un « hospitalier », qui s'occupe des établissements charitables, un fossoyeur, dont la charge est bien souvent laissée vacante, un sonneur de cloches. En ville nous trouvons aussi un horloger, qui a la tâche délicate de maintenir en état de marche la pendule paroissiale, et un organiste. Dans les paroisses dépendant des Hospitaliers apparaît le fermier des dîmes dues au commandeur, choisi parmi les membres aisés et respectables de la communauté afin de pouvoir faire face aux engagements. Le même personnage conserve parfois cet office plusieurs années de suite : à Pont-Melvez, Jean Gely est fermier des dîmes de 1393 à 1433. Enfin le « poulailler » est chargé de collecter les poules qui font partie des redevances dues chaque année au commandeur. C'est ici le même Jean Gely, 64 ans, qui cumule cette fonction avec celle de fermier des dîmes. Il dépose dans le procès Yvon Le Tamic le 8 août 1433. Il sait beaucoup de choses, dit-il, « pour ce qu'il levoit la poulaille deue, en celle parroisse, de rente à icellui commandeur et qu'il hantait presque touz les jours l'ostel dudit commandeur » [Note : A. D. des Côtes-du-Nord. H. FONDS DE MALTE, Procès Yvon le Tamic. f° 22 r°]. Cette charge, si humble soit-elle, donne donc un certain prestige à celui qui l'exerce, en lui permettant de fréquenter le monde des « grands ». Certains de ces officiers sont rétribués par un salaire fixé par contrat : l'organiste (payé 5 livres par an à Guingamp), l'horloger (qui reçoit 2 à 4 livres à Saint-Melaine de Morlaix), le bedeau. Les fluctuations du salaire de ce dernier à Saint-Melaine de Morlaix permettent d'ailleurs d'illustrer une des conséquences des épidémies de peste qui frappent encore régulièrement la région, et des mouvements de population qui s'ensuivent. Le graphique que l'on peut tirer des comptes du procureur de la fabrique de 1450 à 1490 est à cet égard significatif et montre en action la loi de l'offre et de la demande [Note : A. D. du Finistère, 151 G 11 à 151 G 37] : le salaire du bedeau débute à un niveau assez haut : 45 sols en 1456-1457 ; or ce sont deux années où la population de Saint-Melaine est faible, par suite de l'épidémie de 1455-1456. Puis, en 1459, baisse brutale à 39 sols, qui s'accentuera jusqu'en 1464 (38 sols 8 deniers). Nous avons là une période pendant laquelle la population a retrouvé son niveau normal, avant de retomber avec l'épidémie de 1463-1464, qui fait au contraire remonter le salaire à 40 sols. Ensuite, nouveau relèvement démographique, correspondant à une nouvelle baisse du salaire, de 1466 à 1470 : 38 sols 4 deniers. Survient alors la peste de 1471-1473, dont les conséquences se prolongent au moins jusqu'en 1475 : le salaire remonte à 41 sols 8 deniers, puis 42 sols 6 deniers, puis 45 sols. Mais à partir de 1476, au lieu de redescendre, il reste au même niveau et même en 1482 il monte à 48 sols alors que la population est plus importante que jamais. Et il ne redescendra plus avant la fin du siècle : 48 sols 6 deniers en 1486, 48 sols 4 deniers en 1488. Enfin, en 1490, à cause des guerres et des troubles qui touchent toute la Bretagne et Morlaix en particulier, les gages du bedeau subissent une inflation extraordinaire : 135 sols, soit une hausse de 200 % ! Mais la même année les prix à Morlaix sont multipliés par 10 !

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Les archives de la fabrique de Saint-Melaine de Morlaix sont également les plus riches de renseignements en ce qui concerne les finances paroissiales. D'après les comptes la « charge », ou recette, se compose de la taille d'église, des rentes sur certaines terres et maisons, des droits de poullage, des offrandes faites aux reliques, des dons et des legs.

« La taillée d'église est mise et ordonnée en icelle paroisse du commandement des paroissiens d'icelle pour les afferes et necessités de ladite paroisse ». Ainsi s'exprime le registre des comptes. Il s'agit donc d’un impôt, dont le taux varie en fonction des dépenses prévues pour l'année. Il est fixé par ménage, rabattu de moitié pour les veuves et veufs. La somme demandée à chaque famille est relativement modeste, n'atteignant 5 sols qu'en 1455, 1481 et 1489, et se situant le plus souvent entre 1 sol et 2 sols 6 deniers, soit l'équivalent d'une journée de salaire d'un couvreur :

Trégor (Bretagne) : administration des paroisses. Taxe par ménage.

Cependant, le système de répartition de ces impôts paroissiaux est l'objet de nombreuses critiques car il ne tient nullement compte du degré de richesse des familles : tout le monde doit payer la même somme, les familles pauvres aussi bien que le riche Nicolas Coetanlem. C'est pourquoi les statuts synodaux de 1494, condamnant ce système, demandent que, comme pour les fouages, la répartition se fasse en tenant compte de la richesse des gens, et que ce soit le recteur qui y procède, avec l'aide de quelques paroissiens [Note : Dom MORICE, Preuves. T. III. col. 741].

Seconde catégorie de revenus : les rentes sur les terres et les maisons appartenant à la fabrique. Leur nombre augmente dans la seconde moitié du siècle : 4 rentes en 1455, 6 en 1458, 7 en 1460, 8 en 1461, 10 à partir de 1469. Mais leur revenu est modeste : 2 livres 5 sols 10 deniers en 1455 et 4 livres 13 sols 6 deniers en 1484 (rentes allant de 20 deniers à 30 sols 6 deniers chacune). Le poullage, taxe payée pour les sépultures dans l'église, n'est pas non plus d'un grand rapport : de 1 livre en 1455 à 1 livre 14 sols 10 deniers en 1477. Les offrandes faites aux reliques contenues dans l'église sont plus importantes mais ont l'inconvénient d'être très irrégulières, variant avec les circonstances et avec le degré de prospérité de la population. De 1455 à 1489 le montant de ces offrandes a été le suivant :

Trégor (Bretagne) : administration des paroisses. Montant des offrandes.

A cela s'ajoutent des dons et des legs dont le montant varie de 1 livre à 19 livres. Au total, la taille d'église représente 50 à 80 % des recettes, les offrandes aux reliques de 10 à 15 %, les autres revenus ne constituant qu'un appoint. Ces chiffres sont confirmés par ceux de la paroisse voisine, Saint-Mathieu de Morlaix [Note : A. D. du Finistère. 150 G 12 — 150 G 23. (1464-1494)].

Les ressources de la fabrique de la cathédrale sont quant à elles, à la fois plus élevées et plus variées : elle perçoit quelques rentes en nature (froment et seigle) sur des terres à Trédarzec, Plouguiel, Plougrescant et Tréguier : ainsi en 1432 le procureur a-t-il noté la perception de 39 saillets de froment, chacun valant 13 sols 1 denier cette année-là, soit en tout 25 livres 11 sols 3 deniers, ce qui ne constitue que 6 % environ des revenus [Note : La capacité exacte des mesures de Tréguier au XVème siècle est difficile à déterminer par comparaison avec les mesures modernes. L'équivalence interne était la suivante : 1 saillet = 1/8 de rai. 1 rai = 1/2 tonneau]. La fabrique touche également des rentes en argent sur un certain nombre de maisons de la ville : 9 livres 2 sols 8 deniers, soit 2 % des revenus. Autre ressource : « Les rentes qui ont esté accoustumé d'estre deues dessus touz les herytages et biens meubles » de quelques personnes, c'est-à-dire 45 sols, et la ferme de trois pièces de terre à Tréguier, données autrefois à la paroisse, qui rapportent 68 sols 6 deniers, soit 5 livres 13 sols 6 deniers pour ce troisième revenu (1 % du total). Les « rantes de morgages » sont un peu plus importantes. De quoi s'agit-il ? La Très Ancienne Coutume de Bretagne nous renseigne sur cette pratique [Note : « La Très Ancienne Coutume de Bretagne ». Man. A. XIVème s. Edition critique par Marcel Planiol. Rennes 1896] : « Mort gaige : c'est assavoir quant un chapitre ou un homme d'église baille deniers pour avoir certain nombre de rentes chascun an, dont ne se peut approprier de sa nature. Mais toutes foys et quantes que le vendeur ou ses hoirs rendront les deniers, ilz sont tenuz les recevoir. Et est ledit contraict fait par vente et les fruictz ne seront rabatuz sur le principal ». Il s'agit donc en fait d'un prêt à intérêt camouflé sous forme de vente fictive : le créancier (ici la fabrique) fait semblant d'acheter un bien (terre ou maison) dont il va percevoir les revenus. En réalité la somme déboursée n'est que prêtée, et les revenus ne sont que l'intérêt de ce prêt. Dès que le débiteur le pourra il remboursera l'emprunt et rentrera en possession de son bien. Ces opérations montrent une fois de plus, s'il en était besoin, que l'attitude de l'église à l'égard du prêt à intérêt est très nuancée en cette fin de Moyen Age (deux bulles pontificales de 1425 à 1455 autorisaient les rentes constituées et leur rachat) [Note : P. OURLIAC : « La théorie canonique des rentes au XVème siècle ». Mél. Didier. Paris, 1960, pp, 234-243]. Quelle est l'étendue de cette pratique ? Dans quatre cas les sommes avancées par la fabrique sont relativement importantes : 6 livres 8 sols et 72 sols de rente par exemple pour des prêts de 64 et 36 écus d'or [Note : A. D. des Côtes-du-Nord. G. Comptes du procureur de la fabrique de Tréguier. 1432. f° 5 r°]. Sachant qu'en 1432 l'écu d'or à Tréguier est évalué à 20 sols par l'orfèvre Jean Dieu [Note : A. D. des Côtes-du-Nord. G. Comptes du procureur de la fabrique de Tréguier. 1432. f° 7 v°], nous constatons que le taux de la rente ainsi constituée est de 10 %, ce qui est relativement modéré. La fabrique ne tire d'ailleurs qu'environ 5 % de ses revenus de cette source (21 livres). Il faut y ajouter des prêts moins importants accordés à 21 personnes de Tréguier et des environs, représentant 27 livres 3 sols 8 deniers de rente. Pour ces prêts plus modiques l'intérêt est également moins élevé : 8,33 % en moyenne.

Le revenu suivant est d'un rapport très variable suivant les années et est aussi très particulier à la fabrique de l'église cathédrale : il s'agit de l'annate des paroisses devenues vacantes au cours de l'année. Théoriquement, c'est le chapitre qui perçoit ces annates, mais en 1432, 1463, 1468, 1485, il en laisse le revenu à la fabrique, ce qui ne représente d'ailleurs jamais plus de 7 à 10 % de ses recettes totales.

Nous en venons enfin à ce qui constitue l'essentiel des ressources, c'est-à-dire ce que nous trouvons groupé sous la rubrique « aultres recettes ». Cet ensemble de revenus divers constitue en effet toujours plus de la moitié du total : 79 % en 1432, 69 % en 1463, 52,5 % en 1468, 85 % en 1469, 85 % en 1470 et 67,5 % en 1485. Que sont ces « aultres recettes » ? Principalement des dons et offrandes. C'est là un trait essentiel de la fabrique de Tréguier : on peut dire qu'elle vit de la dévotion des fidèles à Saint-Yves et à saint-Tugdual. A lui seul, « le grand pardon Monseigneur Saint-Tugdual » rapporte de 73 à 122 livres, et le tronc de saint-Yves de 53 à 63 livres.

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Ces recettes sont-elles suffisantes pour faire face aux dépenses ? Reprenons l'exemple de Saint-Melaine de Morlaix. Une première catégorie de dépenses concerne la célébration des offices : 8 livres pour le cierge pascal et tout le luminaire de l'église, et 2 livres pour les célébrants des offices solennels de saint-Yves et de saint-Melaine. Nous trouvons aussi les dépenses de nettoyage de l'église (45 sols environ) et le salaire de l'horloger (2 livres). De plus l'évêque reçoit 8 sols 4 deniers lors de sa visite annuelle, l'archidiacre 20 deniers, outre 2 sols 4 deniers de vin. 10 à 20 sols sont consacrés à l'équipement des francs archers de la paroisse. La rédaction du rôle de la taille coûte 3 sols 4 deniers, celle du compte, y compris encre et papier, 22 sols 6 deniers. Ces comptes sont lus devant l'archidiacre, qui reçoit pour cela 19 sols 4 deniers, tandis que les autres auditeurs se partagent 40 sols. Enfin 50 sols sont donnés chaque année au prédicateur de carême. Au total, ce sont donc environ 22 livres qui doivent être déboursées régulièrement et au minimum par la fabrique. Cela représente, suivant les années, un peu plus ou un peu moins de 50 % du total. L'entretien et la réparation de l'église et des ornements sont assez coûteux. Il y a toujours quelque chose à faire : en 1455, Jean Grall a « esté par deux jours a repparer la coupverture de l'eglise qui estoit choitte au dessoulz du clochier, et es aultres endroits ou mestier estoit ». Il a fallu refaire le pied d'un bénitier, réparer la porte du cimetière, refaire à neuf deux torches, réparer le cierge pascal. En 1456 on refait la couverture de la chapelle Saint-Jacques et on répare les torches de l'église. En 1458 on refait les lambris de la chapelle Saint-Jean. En 1461 il faut réparer l'huis de la chapelle Saint-Yves, faire des travaux dans le cimetière, réparer une croix d'argent. En 1469 l'huis de la chapelle Saint-Yves doit être refait, la couverture de l'église doit être revue, deux cloches doivent être accrochées, deux chasubles réparées. En 1477 la toiture, décidément précaire, doit de nouveau subir des réparations, et deux étoles sont réparées. En 1484 des travaux sont faits dans le cimetière et bien entendu à la couverture. Nous pourrions allonger indéfiniment la liste. Le coût de ces travaux est bien entendu très variable : de 2 livres 15 sols en 1455 à une dizaine de livres en 1461. Mais dans beaucoup de paroisses on ne peut pas se contenter d'entretenir les bâtiments : étant données les destructions dont nous avons parlé, c'est toute l'église qu'il faut reconstruire. Nous avons pu compter 16 églises et 36 chapelles entièrement rebâties dans la seconde moitié du XVème siècle, et 30 églises et 19 chapelles ayant subi des réparations très importantes. Pour faire face à ces dépenses exceptionnelles un large appel à la charité des fidèles est nécessaire, et cet appel est entendu, si nous en croyons encore une fois les comptes de Saint-Melaine de Morlaix : en 1489, début de la reconstruction de l'église, les revenus décuplent, passent brutalement de 60 à 660 livres : 278 livres de dons, 50 livres d'offrandes (au lieu de 5 livres), 145 livres pour le produit des quêtes (au lieu de 55 livres), 80 livres de taille, etc.

Autre catégorie de dépenses : l'acquisition d'un nouveau « matériel ». Dans ce domaine, les achats les plus coûteux sont ceux qui concernent les livres de culte. Ainsi la fabrique de Saint-Melaine, en 1455, paye 24 livres à un prêtre « pour ung missel neuf qu'il vendit à ladite paroisse ». Cela représente plus de la moitié des dépenses totales de cette année ! En 1461, 22 livres sont consacrées à l'achat d'un autre missel, et la fabrique ne peut d'ailleurs en payer que la moitié comptant. En y voyant le prix exorbitant de ces livres manuscrits (environ l'équivalent de 140 jours de travail d'un couvreur ou d'un maçon à la même époque), on s'explique davantage d'une part la rareté de ceux-ci dans les bâtiments de culte et d'autre part leur présence dans les « trésors » des églises, aux côtés des reliquaires d'or et d'argent.

A Tréguier nous retrouvons les mêmes catégories de dépenses, chacune représentant bien sûr une somme beaucoup plus élevée que dans une paroisse ordinaire. En période normale l'entretien de la cathédrale et des instruments de culte comptent pour environ 10 % des dépenses totales, qui se montent à 200-220 livres. Certaines années s'y ajoutent aussi des achats d'huile pour les lampes (40 sols en 1468). Les orgues causent parfois des ennuis : « A Jehan Henry pour réparer les soffles des grandes et petites orgues et le branl de la grande cloche, 3 sols 4 deniers »... [Note : A. D. des Côtes-du-Nord. G. Comptes du procureur de la fabrique de Tréguier, 1468. f° 12 v°] de même que les rats, qui s'alimentent aux archives de la fabrique : « Pour mettre un seil a luis de la chambre du chapittre pour garder contre les rats qui gastent les papiers » [Note : A. D. des Côtes-du-Nord. G. Comptes du procureur de la fabrique de Tréguier, 1468. f° 12 v°]. Le clocher, construit en 1432, doit être réparé en 1468 ; des missels doivent être reliés ; le rentier doit être agrandi, etc. De même qu'à Morlaix, les achats les plus onéreux concernent les livres : en 1485, « Pierre Evay, escrivain, pour les livres qu'il a faits et escrits pour l'église », ne reçoit pas moins de 84 livres 3 sols 6 deniers une première fois et 133 livres 7 sols 6 deniers quelques mois plus tard [Note : A. D. des Côtes-du-Nord. G. Comptes du procureur de la fabrique de Tréguier, 1468. f° 4 v° et 20°], soit 217 livres 11 sols en tout, ce qui représente davantage que le prix total de la main d'œuvre pour la construction du clocher et du palais épiscopal en un an (182 livres 17 sols 8 deniers) ! Il est vrai que ces dépenses constituaient le salaire de plusieurs années de travail de l'écrivain.

Les travaux de la cathédrale gonflent considérablement les dépenses de la fabrique au XVème siècle : en 1432 nous avons donc 182 livres 17 sols 7 deniers pour le clocher et le palais épiscopal (41 % des dépenses), 65 livres 2 sols 10 deniers de matériaux (14 % des dépenses), 89 livres 15 sols 10 deniers pour le transport de ces matériaux (20 % des dépenses).

Puis, à partir de 1442, il y aura la construction de la sacristie, de la bibliothèque du chapitre, le pavage de la cathédrale, la peinture des voûtes, la pose de la verrière du transept sud, et dans les années 1460, le cloître. Il peut aussi arriver que des procureurs se permettent d'engager des procès plus ou moins nécessaires au nom des paroissiens et causent par là des frais supplémentaires à la communauté. D'où le rappel dans les statuts synodaux de 1485 du fait que les paroissiens doivent être consultés par les procureurs avant d'entreprendre une action en justice [Note : Dom MORICE, Preuves. T. III. Col. 464].

Se pose maintenant la question de l'équilibre du budget : recettes sont-elles suffisantes ? Si nous nous basons sur la série la plus complète et la plus détaillée que nous possédions, celle de Saint-Melaine de Morlaix, nous pouvons répondre oui, puisqu'en 13 ans apparaissent 7 années d'excédent et 6 de déficit, mais l'un comme l'autre portant sur de petites sommes, qui se compensent à peu près.

Trégor (Bretagne) : administration des paroisses. Equilibre du budget.

Pour examiner les comptes des commissaires sont envoyés par l'archidiacre et font la tournée des paroisses, mais les statuts de 1485 signalent que depuis peu de temps se répand la mauvaise habitude d'organiser de copieux repas, aux frais de la paroisse, pour ceux qui examinent les comptes. Les commissaires y invitent leurs amis, extorquent des sommes pour ces festivités, et alors qu'ils pourraient examiner plusieurs comptes dans la même journée, font durer le plaisir afin de se faire payer un repas dans chaque paroisse. C'est pourquoi les statuts rappellent que les frais des repas ne doivent pas dépasser 20 deniers par personne, que cette somme doit être partagée entre toutes les paroisses dont les comptes sont examinés le même jour, et que seuls doivent participer à ces repas, outre les commissaires, les deux anciens procureurs, les deux nouveaux, le recteur, son vicaire, et ceux qui ont été élus à cette occasion par les paroissiens Note : Dom MORICE, Preuves. T. III. Col. 464].

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Dans ses grandes lignes l'administration paroissiale a acquis au XVème siècle ses traits définitifs mais est loin d'atteindre l'uniformité, même à l'échelle d'un petit diocèse comme celui de Tréguier. Paroisses rurales ou urbaines, en patronage laïque ou ecclésiastique, ont chacune leurs particularités, dont l'importance nous est encore atténuée par la rareté des documents. D'où la difficulté de donner des définitions et des classifications pour cette époque toute en diversité. La paroisse, cadre fondamental de la vie civile et religieuse, s'accomode fort bien des originalités locales et ne subira qu'à partir du XVIème siècle les effets d'un pouvoir centralisateur et uniformisant, aussi bien au niveau de l'Eglise, avec le Concile de Trente, qu'au niveau de l'Etat avec la monarchie absolue.

(Georges Minois).

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