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LA CHAPELLE NOTRE-DAME-DES-DONS A TREILLIERES.

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I.

C'est près de Nantes, dans la pauvre et obscure paroisse de Treillières, vers une ruine abandonnée, que je me propose de conduire ceux qui me lisent, et non vers l'antique et célèbre cathédrale d'Avignon, qui vit les splendeurs du pontificat suprême et conserve sous ses dalles la poussière des papes qui y ont vécu, loin de leur siége, maintenus là par la turbulence des Romains et par la politique des rois. Cette basilique n'a de commun avec notre oratoire nantais que la consonnance du nom ; l'orthographe même est différente [Note : La cathédrale d'Avignon se nomme : Notre-Dame-des-Doms].

Si modeste qu'elle soit, notre ruine a néanmoins son histoire, non pas retentissante sans doute, mais cependant digne d'intérêt, puisqu'elle se mêle à celle des derniers jours de la cour bretonne, et que nous verrons tour à tour paraître dans son enceinte les différents personnages de ces temps troublés.

Chapelle Notre-Dame des dons à Treillières (Bretagne).

Par qui fut fondée la chapelle des dons, on ne le sait ; si haut qu'on puisse remonter on trouve la sainte Vierge honorée en ce lieu ; on indique bien une date de reconstruction, ainsi que je le démontrerai ; on n'arrive pas à saisir le moment où la première pierre fut posée. Le culte de la sainte Vierge paraît donc né là dés les temps les plus reculés de notre Eglise nantaise, dans les ombres de la vieille forêt qui couvrait de ses masses profondes ces hauteurs.

Quand on se rappelle la légende du martyre des saints Rogatien et Donatien, la fuite du pontife et des prêtres de l'Eglise de Nantes à cette époque, et surtout quand on remarque que l'antique église dédiée à saint Similien, qui fut peut-être cet évêque obligé de se cacher, est bâtie sur le coteau de l'Erdre en face du vieux Nantes gallo-romain et sur la lisière de la forêt, on arrive à penser que là fut sans doute le théâtre des luttes et des souffrances de nos pères en la foi, les catacombes nantaises.

Le combat fut long entre les deux religions rivales, plus long qu'on ne le croit, car si les chrétiens triomphèrent officiellement avec Constantin, les prêtres païens à leur tour se réfugièrent dans ces mêmes ombres et y défendirent avec succès leurs croyances par des prestiges qu'ils opposaient aux miracles. J'en crois trouver la preuve et un souvenir dans la chapelle et le culte de Notre-Dame-de-Miséricorde et dans la légende que chacun connaît. Peut-être le serpent qui désolait cette partie de la forêt n'est-il qu'une allégorie, peut-être fut-il très-réel ; sans m'arrêter ici à discuter le pour et le contre au risque de ne pouvoir conclure, ni dans un sens ni dans un autre, je dois rappeler les êtres fantastiques et les illusions dont les Pères du désert furent souvent les victimes dans les premiers siècles et dont la réalité nous est attestée par saint Athanase leur biographe, à l'intelligence et à la véracité de qui l'on voudra bien ajouter foi. Ce qui est certain c'est qu'on ne sait pas plus l'époque de la fondation de Notre-Dame-de-Miséricorde que l'origine de l'église Saint-Similien et des chapelles de Notre-Dame-des-Anges en Orvault, de Notre-Dame-de-Bon-Garant en Sautron, et de Notre-Dame-des-Dons en Treillières, tous édifices construits sur le territoire occupé par l'ancienne forêt fatidique ; je suis tenté d'y voir comme autant d'étapes de la lutte consacrées par un autel à la Vierge protectrice des apôtres.

Celui de ces petits oratoires dont il est fait le plus anciennement mention est la chapelle de Bon-Garant ou Bois-Garrant. Ce n'est pas une date de fondation, c'est la donation d'une chose existante déjà.

L'an 1038, Budic comte de Nantes et Adoïs sa femme donnèrent au monastère de Saint-Cyr de Nantes qu'ils voulaient rétablir, Bois-Gragunderran, quœ est inter Oisraldum et Vigno supra aquam Alsentiœ, cum cultis et incultis, et silvis et pratis. [Note : Bois-Garrant qui est entre Orvault et Vigneux, sur le ruisseau d'Aulxence (le Cense), avec ses champs cultivés et ceux qui sont incultes, ses bois et ses prés]. Matthias peu après transféra Saint-Cyr et Bon-Garrant à l'abbaye du Roncerai. Donc Ogée se trompe quand il dit que la chapelle de Bon-Garrant fut bâtie par François II, duc de Bretagne, et bénite et dédiée le 6 juin 1464 par le coadjuteur de Rennes. C'est rebâtie qu'il eût fallu dire, et j'insiste là-dessus, parce que le même Ogée a commis la même erreur pour la chapelle des Dons qu'il fait également bâtir par le même duc François, tandis qu'elle existait certainement avant le règne de ce prince.

Deux raisons me semblent mettre hors de doute l'existence de la chapelle des Dons avant l'époque de François II. La première c'est que dans le relevé des biens et droits de l'évêque de Nantes dans la paroisse de Treillières, il est parlé d'un champ grévé d'une rente par suite d'un contrat de 1452 et il est relaté dans cet acte que le champ est situé au-devant de la chapelle des Dons qui, dès lors, existait, avant François, monté sur le trône en 1458 seulement ; l'autre c'est que nous verrons ce duc venir avec sa cour y faire un pèlerinage officiel et dans un but quasi politique, puisque ce fut pour demander à Dieu, par l'entremise de la Saint-Vierge, de bénir son mariage en lui donnant une postérité. Or on ne fait pas un pèlerinage à un autel qu'on éleva soi-même ; il faut que déjà des graces obtenues aient rendu un lieu célébre entre tous.

Ces réserves faites, ouvrons Ogee. A l'article Treillières il me dit : « La chapelle des Dons bâtie par les ducs de Bretagne est remarquable par une assemblée qui s’y tient tous les ans la seconde fête de Pâques ». Et voilà tout. J’ai un autre guide un peu moins laconique, mais qui a eu le tord de ne pas préciser les sources où il a puisé. Je ne l’en tiens pas moins pour très-sûr; et incapable de rien relater qu’il n’ait lu et bien lu ; c’est l’ancien curé de Treillières, M. l'abbé Rigaud, qui ayant eu d'excellentes et intimes relations avec le propriétaire de Gesvres a pu lire les archives du château. Or dans une note statistique sur sa paroisse M. Rigaud s'exprime en ces termes : « Une chapelle dédiée sous le vocable de Notre-Dame-des-Dons située à trois kilomètres sud du bourg est le seul monument auquel s'attachent quelques souvenirs historiques qui peuvent offrir de l'intérêt. Construite en 1460 par François II, duc de Bretagne, elle a été depuis sa construction jusqu'à la Révolution de 1793 un lieu de pèlerinage célèbre ». C'est une date positive ; et cette date s'harmonise avec les caractères architecturaux d'au moins une partie de l'édifice et avec l'époque assignée par Ogée à la réédification de Bon-Garant. François II a donc mis la main aux deux monuments, mais d'après ce que j'ai dit, s'il les a rebâtis, il ne les a pas fondés. Quelle pensée a pu conduire ce prince à entreprendre ces reconstructions ? Evidemment la même. Voyons si l'histoire nous répondra.

En 1460 François, comte d'Etampes, fils de Richard de Bretagne et de Marguerite d'Orléans, occupait depuis deux ans le trône de Bretagne. A son avènement il avait trouvé dans le trésor une somme de six mille saluts d'or provenant probablement de décimes que le pape Jean XXIII avait autorisé jadis Jean V à lever, et qui était destinée à des usages pieux. François consulta le pape sur ce qu'il devait en faire, et Pie II alors régnant répondit d'en employer mille aux réparations de Saint-Pierre de Rennes, et le reste à la fondation d'une université qui fut celle de Nantes et à d'autres fondations perpétuelles [Note : Travers et Meuret]. Les chapelles qui nous occupent et qui toutes furent réparées ou reconstruites en ce temps, sont-elles un produit de ces libéralités pieuses ? Je suis très-porté à le croire.

Ce duc François avait au plus vingt-cinq ans ; élégant et noble de sa personne, d'un esprit gracieux, facile, mais trop peu appliqué, il aimait plus les plaisirs que les affaires et fut toute sa vie le jouet de ceux qui voulurent le dominer ; il n'y trouva ni le repos ni le bonheur ni l'espoir d'un long avenir pour sa race. Il avait le cœur bon sans doute puisque jusqu'au dernier jour et quelqu'imminente que fût sa ruine, il fut toujours aimé de ses peuples, mais ses mœurs légères et sa passion pour une indigne favorite le rendirent dur envers sa douce et pieuse femme, la duchesse Marguerite de Bretagne. Je sais qu'on a voulu ennoblir la dame de Villequier, c'est le nom de la favorite, en faisant grand bruit du dévouement qu'elle aurait eu en de fâcheuses circonstances ; je sais aussi qu'on a rehaussé Landais ; pour moi ces deux personnages se soutiennent et se complètent. Haïs en leur temps, ils ont été l'un et l'autre justement jugés. Ce n'est pas le lieu d'en donner la preuve. Je dirai seulement que la dame de Villequier n'était qu'une ambitieuse et banale coquette sortant de la cour du vieux roi Charles VII pour exploiter celle du jeune François II. Son influence fut fatale non seulement dans le ménage ducal qu'elle troubla, mais dans la conduite des affaires du duché qu'elle compromit ; — c'est à elle que nous devons la plupart des difficultés qui servirent de prétexte à Louis XI pour se mêler de nos affaires, et notre participation à la Guerre du Bien Public qui fit plus d'honneur au roi qu'à nous.

Ce fut à la suite de cette guerre qu'Antoinette de Magnelais, dame de Villequier, depuis longtemps maîtresse du duc, mais résidant à Cholet, vint au château de Nantes ; la mère de François venait de mourir, le 24 avril 1466. La duchesse dut souffrir ce surcroît d'humiliation. Mais le peuple murmura hautement de ce scandale, à tel point, que plusieurs des conseillers du duc, à la tête desquels il faut nommer Tanneguy du Chastel, durent chercher le moyen d'y mettre fin. On ne crut pouvoir mieux faire que d'écrire à Vannes à la bienheureuse duchesse Françoise d'Amboise qui venait d'y bâtir un couvent de Carmélites où elle habitait sans être cloîtrée encore. Françoise envoya à son cousin des lettres dont Albert de Morlaix nous a conservé deux admirables fragments qui sont pleins à la fois d'affection, de charité, de patriotisme et d'une fermeté tout évangélique. Quelle grande âme que cette âme de sainte ! et quel courage ! car ne recevant pas de réponse elle vint elle-même la chercher à Nantes au mois de septembre. — Elle lutta longtemps, fut sur le point de remporter la victoire, fit chasser momentanément la favorite du château et n'échoua, en définitive, que parce que les gens qui avaient besoin de la courtisane pour dominer le prince se mirent contre elle. Durant ce combat, où il s'agissait de son bonheur, que faisait la pauvre duchesse Marguerite ? Elle priait, et M. l'abbé Rigaud a relevé la date de 1466 sur les registres de la chapelle des Dons, comme étant celle d'un pèlerinage fait en ce lieu par Marguerite de Bretagne. J'aurais désiré savoir au juste si ce fut en ce même mois de septembre ; nous aurions alors pu dire si ce fut pendant la lutte pour demander à Marie son appui, ou après, pour se jeter en ses bras, désormais son unique refuge. Toute brève qu'elle soit, cette simple date de 1466 est éloquente.

Quant aux seigneurs qui traversèrent les projets de la duchesse Françoise, on devine quels ils furent, du moins leur chef. Il n'est pas douteux que Landais soutenait Antoinette, il est même probable que l'hôtel de Briort fut le refuge momentané de la favorite. Il est certain qu'à partir de ce jour Antoinette de Magnelais devint la première personne de la cour ; les comptes du Trésorier en font foi.

Cependant les intrigues continuant entre le duc de Bretagne, le comte de Charolais et le dac de Normandie, frère du roi, réfugié en Bretagne, ces princes armèrent contre Louis XI qui confisqua les biens d'Antoinette de Magnelais, situés en France, évidemment parce qu'elle était le nœud de cette ligue. Afin de rendre la chose plus piquante, Louis fit don de ces biens à Tanneguy du Chastel, dépouillé par la dame. Cette confiscation est de 1468, et en cette même année Antoinette vint à la chapelle des Dons. Qui l'y conduisit ? Est-ce le hasard ? Un jour accompagnant le duc à son manoir du Bois-Thoreau en Sautron, l’aura-t-elle suivi à quelque chasse et passant près des Dons aura-t-elle voulu donner le spectacle édifiant d'une piété officielle ? Ce n'est pas d’aujourd’hui que les scandaleux et les rebelles aux lois de la morale et de l’Eglise se piquent d’être aussi réguliers que ceux qui les condamnent, mais d’une piété mieux entendue. Toujours est-il que la favorite vint à la chapelle des Dons et fit inscrire son nom sur le même registre aù sa vistime avait inscrit le sien. C’était être déjà presque duchesse. Bientôt sans doute elle se crut certaine de ce haut rang quand, l'année suivante, l'infortunée Marguerite mourut de douleur, le 22 septembre 1469.

Marguerite, ce sang royal de Bretagne et d'Ecosse, comme l'écrivait sa bienheureuse cousine Françoise, était une sainte et pieuse femme. Epouse parfaitement noble et digne dans son malheur, le peuple la plaignait et l'aimait, et détestait la favorite. Il se forma contre cette dernière un parti puissant, à la tête duquel se trouvait Françoise d'Amboise. — Mais le duc entièrement dominé par la demoiselle de Magnelais, s'était livré aux créatures de cette femme, devenue, à cette époque, créature elle-même de Landais. — On a fort critiqué la noblesse bretonne, on a fort exalté Landais à son détriment ; on a dit que seul il comprit son temps et aima son pays, que les seigneurs bretons étaient vendus à l'étranger. C'est le contraire qui est vrai. Qui voyons-nous, en effet, autour du duc administrant et gouvernant la patrie bretonne ? — une maîtresse étrangère, Antoinette, et des favoris étrangers, MM. de Lescun, de Villars, de Tiercelin, — tout cela vivant aux dépens du duc, absorbant les fonds du trésor, livrant le pays aux hasards de guerres ruineuses et d'une politique sans foi et grosse d'orages sans cesse renaissants. — Qu'on parcoure les comptes de Landais. La dame de Villequier, ses bâtards y sont à toute ligne ; ce sont des sommes toujours renouvelées qu'on leur alloue ; les unes pour des achats spécifiés de drap de soie ou de laine que fournissent Martin Anjorrant et Jehan de Moussi, le beau-père du Trésorier ; les autres avec cette annotation « qu'il n'en sera pas autrement parlé à la cour des comptes ». Du 1er octobre 1468 au 30 septembre 1470 je trouve qu'Antoinette et son fils, le sire de Clisson, sont portée sur les comptes pour une somme de 20,634 livres, tandis que la duchesse Isabegu d'Ecosse n'y est portée que pour 3,000 livres, et la duchesse régnante pour ses dépenses, 6.500 et 500 pour ses épingles.

Les honnêtes gens, ce, que j'appellerai moi le parti vraiment national et breton, durent se réfugier en France, au moins les chefs. — Le vicomte de Rohan, beau-frère du duc, Tanneguy du Chastel, et Payen Gaudin, seigneur de Martigné et grand-maître de l'artillerie. — On fit faire leur procès. — Parmi les commissaires on ne trouve que les fonctionnaires de Landais, entre autres un Lespervier, peut-être le père de celui qui un jour épousa la fille du Trésorier, peut-être celui-là même. Or, l'extrait de ces enquêtes est curieux à consulter. — De quoi s'est donc plaint Payen Gaudin, par exemple, le plus chargé des accusés ? — Il s'est plaint : « de ce que les étrangers gouvernaient le duc et qu'ils étaient trop puissants en son conseil ; » et par dessus tout on le poursuit pour avoir accusé Mme de Villequier, pour avoir dit qu'elle empêchait le duc d'avoir des enfants de la duchesse, pour avoir dit que les « grands seigneurs estoient bien lâches de souffrir ladite dame et les étrangers auprès du duc et qu'ils devaient les mettre hors du pays ». — Payen Gaudin ne nia point ses paroles et il ajouta ces mots significatifs que le roi lui ayant dit par manière de reproche : « Vous autres Bretons êtes tous Anglais ou Bourguignons ; il répliqua : Sire, nous sommes et serons toujours bons Bretons et bons Français ». Landais et ses complices n'en pouvaient dire autant (Preuves de l'Histoire de Bretagne, Dom Morice).

Il y avait donc lutte et lutte ardente entre les Bretons et les étrangers à la cour de François. — Sur ces entrefaites et tandis qu'on faisait ces procès, Antoinette mourut, un an et deux mois après la duchesse, le Vème jour de novembre, et fut enterrée en l'église de l'hôpital de Cholet, où son épitaphe ainsi conçue se lit encore : « Ci git noble et puissante demoiselle Anthoynette de Magnelais, en son vivant dame de Villequiers et de Magnelays, vicomtesse de la Guierche en Touraine et de Saint-Sauveur-le-Vicomte, dame de Montresor et de Menetansolon des Isles, de Marennes, d'Oleron et de cette ville de Cholet, qui trépassa le Vème jour de novembre l'an MCCCLXX. — Dieu en ait l'âme. Amen ».

On s'occupait de marier de nouveau le duc, lorsque cette mort arriva ; chacun s'y était mis, et c'est par suite d'un projet arrêté et déjà assez avancé, qu'Antoinette s'était retirée à Cholet. La princesse Marguerite de Foix avait réuni tous les suffrages. C'est le cardinal son frère, fort connu de la bienheureuse Françoise d'Amboise, auteur principal de ce dessein, qui avait, dit-on, le premier indiqué ce choix ; Lescun, l'un des favoris, Gascon lui-même, voyant dans l'arrivée d'une princesse du Midi une assurance de fortune y donna les mains ; Landais n'y trouvant rien qui pût balancer son crédit, puisque ses amis restaient au pouvoir, y applaudit. Les scandales cessant, le peuple était satisfait. Ce mariage s'annonçait donc sous les plus heureux auspices. Il se fit à Clisson, le 27 juin 1471, dans la chapelle de Saint-Antoine. — L'année suivante (1472) François et Marguerite vinrent en pèlerinage aux Dons, et l'objet de cette visite est spécifié. On lit dans les archives de la chapelle, dit M. le curé Rigaud, que le but de ce pèlerinage fut d'obtenir par l'intercession de Marie le don d'une postérité. — Ce vœu ne fut exaucé que quelques années plus tard, et le don fut Anne de Bretagne, deux fois reine de France.

Si l'ordre était rentré dans le ménage ducal, il n'était pas rétabli dans le conseil, les influences rivales continuèrent à se livrer bataille, d'un côté les bâtards et à leur tête Landais faisant alliance avec l'Angleterre et la Bourgogne, de l'autre Chauvin et les grands seigneurs qui comprenaient fort bien l'imprudence qu'il y avait à intriguer sans cesse contre la France, vers laquelle, en définitive, la Bretagne était, beaucoup plus attirée que vers sa rivale. Bientôt les appuis du duc ou plutôt de Landais lui manquèrent, les ducs de Normandie et de Bourgogne moururent. Lescun passa du côté des Français. Loin de s'arrêter, le Trésorier poussa son maître dans les bras de l'Angleterre, la guerre s'en suivit et le duc y perdit son comté d'Etampes. Chauvin alors fut député vers le roi, et conclut le traité de Luxeul, 21 juillet 1477, qui nous valut deux années de paix, après lesquelles de nouvelles intrigues de Landais firent pencher le duc vers Maximilien d'Autriche alors en guerre avec la France. Louis XI répondit à ces hostilités par un coup de maître, il acquit de Nicole de Bretagne les droits de la maison de Penthièvre au trône ducal, assez triste résultat, on en conviendra, de cette politique qui amène sans cesse de nouveaux démembrements. Néanmoins Landais s'entête et précipite son maître dans cette voie ruineuse. François II, à son instigation, répond par le don de la baronnie d'Avaugour, membre de Penthièvre, à son bâtard François déjà sire de Clisson. Les bâtards et Landais dominent la cour, on va jusqu'à proposer le mariage d'Anne de Bretagne, enfant de quatre ans, avec le prince de Galles, fils d'Edouard V, afin d'avoir l'alliance anglaise ! Ce projet honteux livrait la Bretagne aux insulaires. En même temps Landais fait arrêter Chauvin, et l'on sait la suite de cet inique procès. Chauvin mourut de misère dans la prison d'Auray, dont Landais avait le gouvernement, et le bâtard de Bretagne fut pouillé dans les biens confisqués de la victime.

Landais pendant ce temps (1482) venait à son tour faire un pèlerinage aux Dons. Dans quel but ? à quel propos ? Etait-ce comme précédemment Antoinette pour tromper les peuples par un étalage d'hypocrite dévotion ? était-ce, par hasard, en suite de quelque visite faite à ce Lespervier qui était alors seigneur de Treillières, et qui était au moins son allié sinon son gendre ? Les conjectures sont permises ; toujours est-il qu'il ne parut pas avoir recueilli beaucoup de fruits de cette visite, car loin de renoncer à ses exactions ou de mettre quelque moralité dans ses desseins, il continua de telle sorte que les seigneurs bretons se retirèrent en France. L'indignation contre le favori et sa politique tout anglaise s'accrurent ; on s'irrite de voir le duc toujours au pouvoir des étrangers, dominé par eux, faisant bien plus leurs affaires que celles du pays ; on se ligue, on accuse tout haut le Trésorier. Triste, bien triste spectacle ! Les mauvais exemples venus de haut produisent en bas leurs conséquences mauvaises ; le désordre appelle le désordre, les fautes du prince celles des sujets ; tout s'explique et rien ne se justifie. Après des péripéties qu'il est inutile de rappeler, Landais arrêté au château, est jugé, condamné et pendu le 19 juillet 1485, ne laissant qu'une fille mariée au seigneur de la Bouvardière, de la famille Lespervier, et des neveux, comme lui, gens fort habiles. Mais il laissa aussi des souvenirs funestes, et des préjugés dans l'esprit d'Anne, la future duchesse. Ces préjugés et les restes du parti de Landais puissants à la cour, eurent une influence déplorable dans la suite, car Anne, élevée au milieu de ces luttes, envisagea toujours un peu la France comme un pays ennemi. Destinée à la couronne des lys, elle se fit conquérir et contraindre à l'accepter, tandis qu'abandonnée à elle-même sa haute intelligence lui eût fait comprendre que là était non-seulement sa gloire, mais encore la paix de ses peuples et la fin naturelle de sa dynastie toute française.

Anne vint à son tour à la chapelle des Dons ; mais quand ? Dans une de ses lettres du 9 septembre 1841, M. le curé Rigaud me dit :

« Notre bonne duchesse Anne vint, en 1491, à cette chapelle, demander le succès de ses armes avant d'engager la dernière lutte de la Bretagne contre la France. Le mauvais succès de cette guerre fit perdre à la vérité aux Bretons leur nationalité, mais éleva notre princesse sur le plus beau trône du monde par son mariage avec le roi de France Charles VIII ». Ailleurs le même a écrit : « Notre bonne duchesse Anne devenue reine de France par son mariage avec Charles VIII, y vint pendant son veuvage ».

Et il a eu soin précédemment d'indiquer que : « Les légendes de la chapelle des Dons sont la source où il a puisé ». Voici un fait affirmé, mais par deux assertions qui au premier abord semblent se détruire et qui en réalité n'ont rien de contradictoire. Il en résulterait seulement qu'Anne est venue aux Dons à deux fois différentes ; et s'il y a erreur c'est uniquement dans la date de son premier pèlerinage. Je dis dans la date et non dans le fait, car les circonstances mêmes me permettent de découvrir et de réparer l'erreur. Anne n'a pu venir aux Dons en 1491, car cette année n'est pas celle où commença la lutte, ce fut au contraire l'époque qui en vit la fin. Anne passa tout ce temps enfermée à Rennes ; elle n'en sortit que pour aller à Langeais où le mariage eut lieu, le 6 décembre, et de là faire son entrée à Paris. Mais, si nous nous reportons à deux ans plus tôt, nous voyons tout coïncider avec les énonciations de M. l'abbé Rigaud.

En effet, vers le milieu de 1489, Anne se trouvait à Redon, ville ouverte et sans défense, lorsqu'elle eut peur qu'un parti de Français qui tenait Montfort, ne tentât de l'enlever. Elle résolut de se réfugier à Nantes, et pour cela, le fit savoir au maréchal de Rieux, lui mandant de la venir joindre, puis accompagnée de Dunois elle vint coucher à Blain. Là, elle apprit qu'au lieu d'obéir, le maréchal cherchait à soulever la ville. Nonobstant ces nouvelles, l'intrépide jeune fille poursuivit sa route, la vieille route gallo-romaine de Nantes à Blain, qui passe à quelques pas au nord de la chapelle des Dons, et s'arrêta à la Pasquelais, en Vigneux, sur les confins de Treillières. Elle y séjourna plusieurs jours, jours d'angoisses, de difficultés sans cesse renaissantes, de pourparlers avec de Rieux et ses complices, d'ingratitudes à subir, de graves décisions à prendre. On avait grand besoin de conseils et l'on était bien près de Notre-Dame-des-Dons ! On était si près qu'on dut y aller demander aide et secours et qu'on y alla. C'est ce que dit positivement M. l'abbé Rigaud, qui en analysant très-bien les archives qu'il a lues a mal rapporté la date.

Quant au second voyage d'Anne aux Dons, il ne put avoir lieu que de la fin de novembre 1498 aux premiers jours de janvier suivant, époque à laquelle la duchesse-reine se remaria. On comprend qu'en cette circonstance, près d'engager une seconde fois sa liberté et de quitter son cher pays, Anne ait voulu faire ses adieux au petit sanctuaire où son père et sa mère avaient prié, l'avaient obtenue de Dieu et où sans doute elle était venue plus d'une fois avec eux dans son enfance.

Pour en finir avec les pèlerinages, mon curé ajoute ces lignes dont je regrette la briéveté : « Dans des temps plus rapprochés du nôtre nous lisons, dans les archives de cette chapelle, le catalogue des personnes illustres qui y vinrent en pèlerinage ». J'exprime ici le regret de n'avoir pu parcourir ces archives et connaître ces noms ; ils eussent fourni plus d'un indice intéressant ; espérons que d'autres seront plus heureux.

Chapelle Notre-Dame des dons à Treillières (Bretagne).

II.

Telle fut Notre-Dame-des-Dons dans le passé ; elle eut, on le voit, sa splendeur et ses fêtes. Cette gloire continua-t-elle ? qu'est-elle aujourd'hui ? Hélas ! il faut bien le dire, Notre-Dame-des-Dons fut fort négligée depuis l'union de la Bretagne à la France et le départ de la cour. Seuls les habitants du pays continuèrent à venir honorer la Sainte-Vierge dans son oratoire et les populations voisines à chômer la fête du lieu, le mardi de Pâques. Il y avait en ce jour grand concours de pèlerins, un pardon célèbre par tout le pays nantais ; on y recevait de nombreuses, offrandes dont le montant était partagé entre la fabrique de Treillières, les bénéficiers et l'évêque de Nantes. Ogée a eu soin de le noter dans son dictionnaire.

A cette chapelle était attaché un petit bénéfice, je ne sais au juste à quelle nomination, probablement à l'Ordinaire, ce qui indiquerait que ce n'était pas une fondation particulière. Je trouve dans les archives de la paroisse, avec le relevé des ornements spécialement affectés à Notre-Dame-des-Dons, fait par les évêques ou leurs délégués dans les visites pastorales, la preuve qu'au commencement du XVIIIème siècle la chapelle était abandonnée par les titulaires ; cela résulte de deux délibérations inscrites sur les registres de la paroisse.

La première est de l'an mil sept cent huit, le 2 septembre ; il y est dit : « Qu'ayant connaissance certaine que les titres et fondations, inventaires et procès-verbaux de la chapelle des Dons se dissipent et se perdent, par le peu de soin et mauvais gouvernement qu'en font MM. les chapelains de ladite chapelle, dont la perte est la cause que les fondateurs et titulaires sont frustrés du fruit de leurs vœux, et lesdits fidèles notamment refroidis dans leur dévotion envers la Sainte-Vierge, les chapelains de ladite chapelle seront obligés de remettre ces titres aux archives de l'église de Treillières et pareillement les inventaires et procès-verbaux desdits ornements, qui seront mis dans le coffre des archives pour y avoir recours en tant que besoin sera. Signé ; AMÔCÉ, recteur. JACOB, etc. ».

Le 24 février 1715 le mal existant toujours, les notables se réunirent de nouveau et prirent les résolutions suivantes :

« Le vingt-quatrième février, mil sept cent quinze, à l'issue de la messe paroissiale de Treillières, en la conséquence du chapitre assigné dimanche dernier par monsieur le Recteur de cette paroisse, qui, en vertu de ses droits et du plein pouvoir que nous, paroissiens de Treillières, lui avons donné en mil sept cent huit par chapitre, pour les ligements des titres, fondations, inventaires, procès-verbaux des ornements et appartenances de la chapelle de Notre-Dame-des-Dons de notre paroisse, après plusieurs propositions, les présentes instances par devant messieurs les juges de l'Officialité de Nantes, pour les ligements et recouvrements desdits titres et ornements, a reconnu et nous a fait connaître, par l'aveu du Sr Bêzeau, prêtre de chœur de Saint-Vincent de Nantes, et par les inventaires que le sieur Recteur lui a demandé et forcé de lui apparaistre, que la meilleure partie desdits ornements ont été dissipés et divertis, partie par le leu sieur Bonnet, partiel par le dit sieur Bêzeau, qui est condamné en privé nom d'en répondre, se disant chapelain de ladite chapelle des Dons. Entre autres ornemens dissipés et divertis, un soleil d'argent servant à exposer le Très-Saint-Sacrement, un ciboire aussi d'argent avec son pavillon de velours rouge orné de dentelles d'or et d'argent, une lampe d'argent, deux petits orceaux d'argent, une couronne d'argent ciselé servant à mettre sur la tête de l'image de la Vierge, une petite Nostre-Dame d'argent, une autre petite couronne d'argent servant à mettre sur la tête de l'Enfant-Jésus, un messel, une aube, une chasuble noire, des nappes et devant-d'autel, plusieurs autres ornements marqués dans les inventaires, qui ne se trouvent, que nous trouvons estimés valoir la somme de cinq cents livres ou plus. Pour ces causes et plusieurs autres à nous connues, nous nous sommes assemblés capitulairement au son de la cloche, lesdits jour et an, M. le recteur, Me François Jacob, avocat à la cour, etc., faisant la plus saine partie des paroissiens, où nous avons délibéré et arrêté, sauf le jugement qui interviendra par l'Officialité de Nantes, que, au cas que lesdites choses défaillantes ne se trouvent pas en espèces existantes, l'équivalant soit appliqué aux plus urgentes réparations de ladite chapelle et de ses appartenances, par M. le recteur, les frais déduits, et sauf, si bon semble, le recours vers les héritiers dudit feu sieur Bonnet. Arrêté ledit jour et an, etc. ».

Je ne sais au juste quelles suites eurent ces délibérations ; mais il y en eut, puisque la chapelle fut quelque peu restaurée ; le rétable de mauvais goût qui surmonte encore l'autel et bouche tout le bas de la belle fenêtre ogivale du fond, accuse à la fois et l'époque de décadence qui l'a plaqué là et le peu de ressources dont on disposait. Du moins avait-on toujours de la bonne volonté et un amour constant pour Notre-Dame-des-Dons.

On arriva ainsi aux jours de 1789, et à la mise à exécution des fameux principes de liberté religieuse proclamés par les philosophes devenus législateurs. Après avoir fait élire au scrutin un évêque pour un siége qui n'était pas vacant, le Département résolut d'envoyer dans les paroisses des curés de la même provenance. Treillières eut le sien, non qu'elle l'eût demandé, mais on lui en fit besoin, et pour mieux persuader les paroissiens qu'ainsi l'exigeait la liberté, on envoya, le 12 juin 1791, un détachement de cent hommes armés pour aider au prêtre constitutionnel à chanter sa messe dans l'église vide [Note : Voir Mellinet, Commune et Milice de Nantes]. On ne dit pas s'il en chanta plusieurs à la suite ; ce qui est certain, c'est que l'intrusion ne prit pas racine dans ce pays de la Sainte-Vierge, mais la Sainte-Vierge, par contre, y perdit ses biens, sinon son autel. Voici ce qu'on lit aux Archives de la Préfecture de la Loire-Inférieure, Registre des ventes des biens appartmant aux églises :

N° 168.— Maison et jardin, paroisse de Treillières. — M. Huguet, 600 liv.
« Séance du mercredi quatre juillet mil sept cent quatre vingt douze sur les midi, tenue par Noël François Coiquaud président, Jean Alexandre Bazille, Pierre Jean Marie Sotin, Jean Joseph-Anne Lecomte, et François Chaillou, administrateurs formant le directoire.

En présence de Julien Le Febvre, procureur syndic, l'administration, après avoir entendu le procureur syndic en ses conclusions, pour le procureur général syndic du département, a fait annoncer à son de trompe que les dernières enchères étaient ouvertes, pour parvenir à l'adjudication d'une petite maison et jardin situés paroisse de Treillières, dépendant ci-devant de la chapellenie des Dons, dont est fermier le nommé Choismet, ainsi qu'il est porté par les bannies qui ont été publiées et affichées, et aux charges et conditions du sumptum arrêté en tête du présent registre.

Lecture faite à haute voix par le secrétaire d'une desdites bannies et du sumptum ci-dessus, M. le président a fait allumer un premier feu, et procédant à la réception des enchères au-dessus de la somme de cinq cent vingt huit livres portée par les premiers, à l'instant a été offert par le sieur Debruyn la somme de cinq cent quarante livres ; — par le sieur Marquès la somme de cinq cent soixante livres ; — par le sieur Huguet la somme de six cents livres. Ce feu éteint sans qu'il ait été mis d'autre enchère, l'adjudication provisoire est demeurée audit sieur Huguet.

M. le président ayant fait allumer un second feu et annoncé au public qu'au cas qu'il ne fût porté aucune enchère pendant la durée d'icelui, l'adjudication ci-dessus demeurerait pure et simple ; ce feu a brûlé et s'est éteint sans que personne ait voulu enchérir. En conséquence l'Administration a adjugé et adjuge définitivement, au nom de la Nation, audit sieur Joseph Huguet, ci-devant trompette de cette ville, tant pour lui que pour autres qu'il pourra nommer dans le temps accordé par les décrets, les biens dont il s'agit, moyennant la somme de six cents livres, payables entre les mains du trésorier de ce district, savoir, dans le délai de quinzaine, la somme de soixante-douze livres pour l’à-compte de douze pour cent du prix de la présente adjudication, et le surplus dans les termes et de la manière exprimée au sumptum ; si mieux n'aime ledit sieur Huguet accélérer sa libération par des paiements plus considérables et plus rapprochés, ou même se libérer entièrement à quelqu'échéance que ce soit, auquel cas il lui sera fait déduction des intérêts compris les annuités restantes suivant les proportions requises, et remise de ses obligations du montant desdites annuités au cas qu'il en ait fourni.

Arrêté, sous les signatures du président, des membres du directoire, du procureur syndic, et dudit sieur Huguet, adjudicataire, les jour et an ci-dessus ». Suivent les signatures.

Ainsi donc, la petite maison et le jardin dépendant de la chapellenie des Dons furent adjugés à un spéculateur de bas étage ; quant à la chapelle entourée par ce jardin sur trois côtés, mais indépendante et ouvrant directement sur un glacis joignant un chemin public, la chapelle a été réservée et n'a jamais été vendue [Note : Les biens vendus nationalement furent achetés par M. Renaud, anciens procureur fiscal des biens de Gesvres, sous M. de Talhouët de la Grationnays, et alors intendant de M. Drouet, nouveau propriétaire de cette terre, pour ce dernier, moyennant la somme de six cents francs, ce qu'ils avaient coûté primitivement au sieur Huguet. Quant à la chapelle, Huguet ne l'ayant pas achetée, n'a pu la vendre] ; elle est donc demeurée dans le domaine public, et si une discussion pouvait s'élever pour savoir à qui incombe le soin d'une restauration que tout le monde désire, ce ne serait jamais qu'entre la commune de Treillières et la fabrique. Cette dernière, en effet, quand vint l'Empire et le décret qui remettait aux fabriques leurs biens non aliénés, négligea la formalité de la demande de l'envoi en possession. Il est vrai qu'elle la possédait en réalité et que personne n'annonçait vouloir la troubler dans la jouissance de ce droit incontestable, et qu'aujourd'hui encore la commune ne conteste pas. La fabrique use de son droit, toutes les fois que bon lui semble ; elle a mission et devoir de procéder à cette restauration.

Quand les biens furent vendus, la chapelle fut pillée, mais non pas par l'acquéreur de la maison et du jardin ; les traditions ont conservé le souvenir de ceux qui commirent cet acte sacrilége ; ils n'étaient pas de la paroisse, néanmoins la répulsion les a suivis et les suit au-delà. C'est qu'en Treillières tous les cœurs sont attachés à ces pierres consacrées ; c'est que la population garde un long souvenir de ceux qui honorent ou dédaignent Notre-Dame-des-Dons, et cela est bon et doit être encouragé, puisque cela repose sur le respect dû â Dieu et aux ancêtres.

Il me reste à décrire ce qui nous demeure après tant de vicissitudes. La chapelle est située â trois kilomètres au sud du bourg, tout près de la route de Rennes, derrière le village de la Chédorgère. Il faut être dessus pour l'apercevoir, tant ses murs couverts de lierre se confondent avec les châtaigniers et les ifs qui l'environnent. La toiture et les chevrons ont été enlevés, le carrelage a été emporté pour être placé dans l'église paroissiale, acte de propriété assurément regrettable ; heureusement la nature pieuse a reparé ce mal en faisant pousser un moelleux tapis de mousses et de graminées. L'autel seul subsiste, sur sa base en maçonnerie ; il est formé d'une belle pierre blanche ; c'est l'autel du XVème siècle qui vit nos ducs prier à ses pieds.

En 1864, la chapelle, qui n'est plus ainsi qu'une ruine ouverte, est orientée du sud-ouest au sud-est ; on y entre par une grande porte ogivale en granit percée dans la façade sévèrement ornementée et surmontée d'un petit clocher, tout couvert à présent d'une touffe de lierre qui le dissimule. Il y avait une porte latérale au côté nord-ouest, en grande partie démolie maintenant, mais à laquelle on arrive encore par un couloir indépendant du jardin vendu nationalement. La chapelle a ainsi toutes ses issues. Sur le côté opposé à cette petite porte, on a peine à distinguer, cachées dans les lierres, deux fenêtres ogivales sans meneaux dont la pointe est trilobée [Note : Hauteur : 1m 85, largeur : 1m 18]. Ce qu'il y a sans contredit de plus remarquable, c'est la très-belle fenêtre du chevet dans le style du XVème siècle, peut-être même du XIVème, tant les contours des colonnettes et des rosaces sont purs et bien profilés ; elle est à un meneau et a 3 mètres 10 de hauteur sur 2 mètres 15 de largeur. — Malheureusement, ainsi que je l'ai dit, on l'a gâtée en la maçonnant par le bas pour y accoler, au XVIIIème siècle, le rétable misérable dont j'ai parlé, et qu'il serait à la fois facile et bon de faire disparaître, en cas de restauration. Dans la sacristie [Note : La sacristie a 3 mètres sur 1m 63 ; la fenêtre ogivale qui l'éclaire, 2m 10 sur 1m 73. Elle a deux portes : une ogivale intérieure a 0m 80 c. de large, une extérieure plus récente, ronde, sans caractère, qui a 1m 50 de haut sur 0m 60 de largeur], qui est au nord-ouest, se trouve une autre fenêtre ogivale également bien appareillée. A ce même côté gauche, est une petite chapelle carrée ayant son autel, et communiquant avec la grande au moyen d'une large baie en anse de panier pratiquée dans le mur, ce qui annonce une construction plus récente.

Des paysans âgés ont dit à M. l'abbé Gaignard qui les interrogeait et qui a relaté ces souvenirs dans des notes que je consulte, que cette petite chapelle était sous le vocable de sainte Marguerite ; c'est là encore une trace nouvelle, un souvenir toujours vivant du pèlerinage de nos duchesses. Ogée et M. le curé Rigaud ne se seraient donc pas absolument trompés lorsqu'ils ont attribué au duc François II, successivement époux de Marguerite de Bretagne et de Marguerite de Foix, la fondation de la chapelle des Dons. François aurait réparé la chapelle primitive et lui en aurait accolé une autre petite, qui est bien, elle, dans le style de la décadence ogivale, et qui a conservé le nom de la patronne des femmes de ce prince. — Cette petite chapelle a 2 mètres 96 dans un sens et 3 mètres 70 dans l'autre. C'était un véritable oratoire, réservé sans doute, dans la pensée du fondateur, au duc, à la duchesse et à leur famille.

La chapelle principale a 15 mètres 65 de longueur sur 5 mètres 50 de largeur. La hauteur des murs latéraux est de 5 mètres 30, celle de la façade de 8 mètres 75 ; celle du pignon du chevet, un peu dégradé au sommet, est de 6 mètres 68. Sans doute cet édifice était loin d'être magnifique, la maçonnerie en est commune ; néanmoins les ouvertures sont soignées et en matériaux choisis, le style en est bon ; sous le rapport de l'art, il est plus remarquable que les chapelles de Notre-Dame-de-Bon-Garant en Sautron, et l'ancienne Notre-Dame-des-Anges en Orvault.

Pour en finir avec le monument tel que le pillage l'a laissé, je dirai qu'on ne voit plus parmi les débris de son ancienne ornementation intérieure, qu'une crédence et une piscine en pierre blanche dans le mur à droite, faisant face à la porte de la sacristie ; deux supports de statues bien travaillés, à droite et à gauche de l'autel, dont l'un composé de feuilles de chou frisé, porte encore des traces de peinture et peut-être de dorure, les tronçons d'une grande croix en pierre d'ardoise, et deux statues mutilées, dans l'une desquelles M. l'abbé Gaignard croit découvrir saint François d'Assise, le patron du duc, avec sa barbe et sa corde autour des reins; c'est au moins sûrement un solitaire ; l'autre serait sainte Marguerite avec une couronne fleurdelysée. Pour cette dernière, que je crois me rappeler en effet, je l'ai vainement cherchée à une visite récente que j'ai faite aux Dons ; je ne l'ai plus retrouvée. Près de la porte, une maçonnerie grossière supporte un informe bénitier en granit.

Statue de Notre-Dame des dons à Treillières (Bretagne).

Je n'ai pas encore parlé de l'objet principal, je veux dire de la statue de la Sainte-Vierge honorée en ce lieu. Ce n'est pas qu'elle ne soit curieuse, mais elle a été tellement mutilée par des réparations successives qu'il est vraiment impossible de s'en faire une juste idée ; c'est un assemblage de granit, de marbre et de plâtre, recouvert de peintures et de dorures auquel nul caractère artistique n'est demeuré, mais qui a conservé tout son pieux empire sur nos braves et fidèles paysans. La Vierge-mère est assise sur un exèdre en granit, sans dossier ; elle a le sein découvert et allaite son divin enfant, qui se détourne et sourit à ses adorateurs. Le sein de la mère et tout l'enfant sont en marbre. La tête de la Vierge, très-informe et beaucoup plus moderne, est en plâtre. Qu'y a-t-il sous ce plâtre ? et comment toutes ces matières diverses sont-elles soudées ensemble ? Voilà ce qu'il serait curieux d'étudier ; mais c'est à y renoncer. On ne pourrait toucher à la statue de Notre-Dame. Déjà, vers 1815, M. Chesnard, ancien curé, trouvant que la chapelle n'était plus convenablement entretenue et, ayant voulu transporter l'image en son église paroissiale, ne put effectuer son projet que la nuit et en secret. Il y eut une grande rumeur dans toute sa paroisse quand cette nouvelle se répandit. Depuis cependant on s'est habitué à la voir à cette place ; mais permettrait-on une restauration aussi radicale que celle qu'il faudrait entreprendre pour enlever cette tête affreuse, récente et sans caractère ? Il est permis d'en douter. C'est que, telle qu'elle est, cette statue est un témoin des mauvais jours écoulés et de la piété éprouvée des habitants de Treillières. A l'époque de la Révolution et à l'approche des détrousseurs d'églises, des mains pieuses cachèrent cette statue dans le creux d'un des deux ifs énormes [Note : Enorme est, bien le mot, car cet if, entièrement creux, mesure quatre métres de circonférence, à l'intérieur. Il est au moins contemporain de François II] qui ornent le placis au devant de la chapelle, et c'est là, dans cette retraite préparée par la nature, qu'elle attendit des temps plus heureux, en recevant les hommages constants de ses fidèles. Aujourd'hui les murs dépouillés de l'édifice et les ifs séculaires voient encore des pèlerins pieusement attardés présenter à Dieu leurs prières et s'en retourner un rameau vert au chapeau.

Une nouvelle statue provisoire a été posée sur l'autel nu ; les personnes des environs y récitent le chapelet ; on y fait rustiquement les exercices du mois de Marie ; la paroisse y vient en procession aux Rogations, et le mardi de Pâques, fête de la chapelle, — l'ancien pardon des siècles passés, — un marguillier s'y tient toute la journée pour recueillir les offrandes des pèlerins qui s'y rendent ; de telle sorte que le jour où cet oratoire béni sera rétabli dans toute sa splendeur, on pourra dire en toute vérité que rien n'aura pu interrompre le pèlerinage de Notre-Dame-des-Dons.

(Vte Edouard de Kersabiec).

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