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MIRACLE A SAINT-MICHEL-EN-GREVE |
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Jean Urvoy (1898 - 1989) compte parmi les peintres et graveurs bretons du XXe siècle. Originaire de Dinan, il fut instituteur puis professeur au collège de Dinan. Peintre autodidacte, il a occupé ses moments de liberté à écrire, peindre, dessiner et graver. Il a publié plusieurs albums de bois gravés : Les chansons du XVIIIe (1932), Images de la Rance (1934) et Pardons (1936), Bouts de Bois (1983) et illustré Dinan, ville féodale (1959) et Saisons bretonnes de Jacques Petit. |
Miracle à Saint-Michel-en-Grève
(conte
de Noël)
Jean
Urvoy
Un soir d'hiver, vers la fin de décembre,
une mère et son enfant cheminaient à grand-peine dans le sable des dunes qui,
à cette époque déjà lointaine, protégeaient Saint-Michel-en-Grève des
fureurs de la tempête.
La nuit était calme et douce, comme il
arrive parfois en Bretagne. Les éléments faisaient trêve. Seule au moins
bruissait la mer calmée et, sur cette basse sonore qui ne s'arrête jamais, se
détachait la plainte des moutons au pacage.
Les étoiles scintillaient et leurs
reflets palpitaient dans les mares et les eaux des rivières du Roscoat et du
Yar qui serpentent à travers les grèves.
Après avoir contourné les croix du
cimetière penchées sous l'effet du vent, le couple parvient enfin à l'église.
La mère pousse la porte qui grince et les voilà tous les deux dans la nef qui
sent la pierre humide, l'encens et la cire refroidie. Ils s'approchent de la crèche.
La lumière de quelques bougies fait sortir de l'ombre les détails du jubé et
les statues peinturlurées de couleurs violentes.
L'enfant, les yeux cachés par un
bandeau, est effrayé par le silence du lieu et se blottit craintivement contre
sa mère qui le cache dans les plis de sa mante.
"Maman, qu'est ce qu'il y a dans
l'église, à côté de moi ?
-
Un ecce homo, mon Yannick.
-
Qu'est-ce que c'est, un ecce homo ?
-
C'est une statue qui représente le Christ montré aux Juifs alors qu'il
vient d'être frappé jusqu'au sang par les soldats de Ponce Pilate. Il a une
couronne d'épines sur la tête, un manteau rouge et les poings liés. Ecce homo
!
-
Ponce Pilate ? Qui était Ponce Pilate ?
-
Le Chef des Romains. Tu sais bien, on dit dans le Credo "a souffert
sous Ponce Pilate, a été crucifié".
-
Crucifié ?
-
Jésus-Christ, dépouillé de ses vêtements, fut crucifié, cloué à
une croix par les pieds et les mains, entre deux voleurs. Arrivé au Golgotha,
ils l'y crucifièrent ainsi que les malfaiteurs, l'un à droite, l(autre à
gauche.
-
Et à côté ?
-
Une Vierge de pitié, comme celle que nous avons vue, avant que tu ne
sois malade, au pèlerinage de Saint-Carré
Itron Varia
Sant-Kare
Mamm Jezus, Mamm a
druez
Le Christ mort a été descendu de la
croix et remis à sa mère. Il est nu et rigide, ses yeux sont pleins de sang.
Il repose sur les genoux de Marie comme lorsqu'il était un petit enfant.
-
Et plus loin, tout au fond ? Je sens sur mes joues un souffle de chaleur.
-
C'est la crèche. Il y a saint Joseph, la Vierge Marie.
-
C'est la même Vierge Marie ?
-
Oui, mais c'est le jour de la naissance de son fils, aussi est-elle tout
à sa joie. A genoux, les mains jointes et souriantes, elle regarde, avec amour,
son enfant couché sur la paille. A côté, saint Joseph dans sa robe de bure.
Derrière, le bœuf et l'âne tendent le cou, regardent, et de leur souffle réchauffent
le nouveau-né.
"Il y a aussi, entourant la grotte
où s'est réfugiée la sainte Famille, des collines faites de papier rocher, où
paissent des moutons de plâtre, que gardent des bergers, houlette au poing.
"Plus loin encore, sur une route
aride, guidés par une étoile, cheminent des Rois mages, leurs chameaux et
leurs serviteurs. Ils viennent de l'Orient, à travers les déserts, pour adorer
l'enfant Dieu.
La mère du Christ, maman, c'est comme
toi, tu étais heureuse, et fière quand je suis né, car, tu me l'as dit bien
souvent, j'étais un beau petit garçon ; malheureuse quand je suis devenu
aveugle et encore malheureuse maintenant, dis, maman ?"
La mère, que ces paroles atteignent au
plus profond du cœur, ne répond pas. Elle pousse légèrement l'enfant vers
une chaise et lui dit dans un souffle :
"Mets-toi à genoux, dis ta prière,
Yannick, prie la Vierge Marie qui, sois-en certain, ne nous oublie pas et veille
sur nous :
En
anv an Tad
Hag
ar mab
Hag
ar spered santel …."
Et les larmes coulent sur le visage de
la mère.
"Viens, mon petit, il se fait
tard, il faut que je monte à la boulangerie, puis on retournera à Kerbiriou.
-
Je suis fatigué, maman, et puis je me cogne partout, si tu veux bien je
vais m'asseoir et t'attendre ici.
-
Tu n'auras pas froid dans cette église humide ? Tu n'auras pas peur ?
Ecoute le vent qui vient de se lever, écoute la mer qui brise à Toul-ar-Vilin
!
-
Oh ! non ! Pourquoi aurais-je peur puisque je suis avec le petit jésus
?"
La mer part au village après avoir
doucement refermé la lourde porte.
Yannick, resté seul, tourne son visage
vers la crèche qu'il ne peut voir. Une poutre craque, le vent qui souffle sur
la mer lui apporte les cris mélancoliques des oiseaux perdus sur les sables des
grèves et les bêlements des moutons parqués dans les dunes prochaines.
Une sorte d'engourdissement s'empare
petit à petit de l'enfant qui s'endort recroquevillé sur sa chaise. Il rêve.
Et bientôt, pour lui, la crèche
s'anime, les personnages ne sont plus des santons d'argile peinte, mais des êtres
de chair et de sang.
Le nouveau-né vagit, agite ses petits
bras, et la Vierge Marie fredonne à mi-voix, pour l'endormir. Saint-Joseph
casse du bois, allume du feu et vaque aux soins du ménage. Les animaux, le
boeuf et l'âne, remuent la tête et font tinter leurs chaînes.
Derrière et au-dessus de la grotte,
des collines rocailleuses de la Judée, âpre et nue, pays triste où, parmi les
pierres éclatées, fleurit l'asphodèle au feuillage blême. Et sur ces
hauteurs désolées, des bergers, autour d'un maigre feu, commencent les veilles
de la nuit. Les étoiles brillent au ciel.
Tout à coup, il y a dans l'église,
dans ce qui est devenu le pays de Bethléem, et au-dessus de la crèche, une série
de palpitations lumineuses. On dirait qu'une lumière, cachée derrière les
collines, augmente par instants d'intensité puis s'affaiblit pour grandir à
nouveau, tout envahir et s'éteindre enfin.
Les bergers apeurés se serrent les uns
contre les autres et lèvent la tête pour scruter le ciel.
Les palpitations recommencent bientôt,
puis la lueur grandit, grandit jusqu'à venir toucher, éclairer le groupe des
bergers qu'elle environne de sa gloire. A ce moment, venant d'une faille entre
deux rochers, se présente à eux un personnage tout resplendissant de lumière.
Devant leur frayeur, et leur attitude menaçante, il fait un geste d'apaisement
et leur dit "Je suis l'Ange du Seigneur ….N'ayez point de crainte, car je
vous annonce une grande nouvelle. Tout le peuple sera dans la joie. Aujourd'hui,
dans la ville de David, un Sauveur vient de naître qui sera le Messie. Allez à
Bethléem pour adorer le nouveau-né. Vous le trouverez dans la grotte proche de
l'hôtellerie, sur la petite place où débouche la route de Jéricho ; là où
pousse un grand pin.
-
Dans une grotte le Messie ? Impossible, répond le maître berger, il n'a
pu naître que dans un palais !
-
Souvenez-vous pourtant des paroles du prophète Zacharie.
"Ton roi viendra à toi, juste et
sauveur … humble ! …". Vous avez bien entendu, humble ! Il a voulu
venir au monde sans éclat, comme le dernier des hommes, pour bien prouver dès
l'abord qu'il est né surtout pour les déshérités, pour ceux dont la vie sans
joie n'est qu'une longue suite de peines, de fatigues et de souffrance… Les
autres, les nantis, les riches ont-il besoin de lui ? …
"Le Sauveur qui est le Christ vous
est né.
"Allez à Bethléem ! Vous le
reconnaître à ceci, c'est que vous le trouverez emmailloté et couché dans
une mangeoire.
"Allez, allez à Bethléem voir le
tendre agneau qui vient de naître et réjouissez-vous, poussez des cris de joie
car, pour vous, le temps du vrai bonheur est proche."
Alors une voix s'élève et chante :
"Gloire à Dieu au plus haut des
cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté !"
Un choeur invisible, une multitude de
l'armée céleste l'accompagne, louant Dieu et disant : "Gloire à Dieu au
plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté."
Puis les voix se taisent, la lumière
s'affaiblit lentement et s'éteint.
L'Ange du Seigneur disparaît comme évanoui,
et les bergers se retrouvent seuls autour de leur feu qui charbonne, se
demandant q'ils n'ont pas été victimes d'un enchantement, s'ils n'ont pas rêvé
tout éveillés.
Mais comprenant enfin que le temps
marqué par les prophéties est échu, ils se disent les uns aux autres :
"Allons à Bethléem, voyons ce qui s'y est passé, cet événement que le
Seigneur nous à fait dire. " Ils s'y rendirent en hâte, chargés de
provisions, chantant et jouant de leurs instruments : luths, tambours et pipeaux
…
Yannick
les voit descendre la colline et se diriger vers la ville où des lumières
scintillent.
Quand les bergers furent entrés dans
la grotte, ils y trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né dans la crèche. Et
l'ayant vu, ils publièrent la révélation qui leur avait été faite touchant
cet enfant. Puis ils s'en repartirent, louant et glorifiant Dieu.
Les bergers disparus au détour du
chemin qui menait vers les collines où paissaient leurs troupeaux, la scène
demeura vide un moment, et l'on ne voyait plus dans la pénombre que la mère et
son fils. Mais, tout à coup, dans une lumière dorée, apparurent un fond de
paysage, les Mages et leur cortège d'un faste et d'une somptuosité
indescriptibles. Il y avait en tête Melchior, roi des Perses, Gaspard, roi des
Indiens, et Balthazar, roi des Arabes qui chevauchaient de front devant une
cavalerie innombrable que conduisaient douze capitaines, et des chariots et des
bêtes de somme chargées de présents : de la myrrhe, de l'aloès, de la
pourpre, du nard précieux, de la cinnamone, de l'encens, de l'or et des pierres
précieuses. Et tout le cortège avec ses rois, le diadème en tête, ses hommes
d'armes, ses capitaines, ses chariots, ses bêtes de charge, au son d'une
fanfare éclatante, monte vers Bethléem, la ville.
Puis tout s'efface, la Judée farouche,
la grotte misérable, les bergers et leurs troupeaux, le cortège magnifique des
Rois mages.
Et
maintenant, la petite église de Saint-Michel-en-Grève est baignée d'une lumière
bleutée d'une douceur infinie. Nous sommes en Galilée, à Nazareth pour tout
dire, sur les hauteurs au pied desquelles, dans une gorge profonde, sommeille le
lac de Tibériade.
C'est là, dans une modeste maison, que
Jésus, entre son père le menuisier et sa mère, vit ignoré du reste du monde,
parmi les pêcheurs du lac, les vignerons, les laboureurs et les artisans.
Autour d'eux, une terre féconde et
plantureuse, des champs d'orge et de blé, des oliviers, les fuseaux noirs des
cyprès sur des coteaux au profil harmonieux fleuris de coquelicots et de
reines-marguerites ; dans les vallées où bruissent les eaux vives descendues
de l'Hermon, la neige parfumée des amandiers en fleur.
C'est là que l'enfant Dieu, à
l'exemple de son père nourricier, travaille et façonne jougs, flèches
d'attelages, lits, coffres, sièges, huches et pétrins. Il croit et se
fortifie, rempli de sagesse, et la grâce de Dieu est sur lui.
Le temps s'écoule encore …
Maintenant Marie porte la robe étroite
des veuves, car le bon charpentier, sa tâche accomplie, a quitté ce monde. Jésus
est devenu un homme, celui qui prêche dans les synagogues.
Mais ce soir, il est dans la pauvre église,
près de l'enfant aveugle. Tout vêtu de blanc, il resplendit de lumière.
Il se tourne vers l'enfant et lui dit :
"Yannick, petit Yannick,
m'aimes-tu, crois-tu en moi ?
-
Oh ! oui, mon doux Jésus.
-
Alors, tu verras la gloire de Dieu, car je suis la lumière et la vie. Je
suis venu en ce monde pour que voient ceux qui ne voient pas. Ta foi t'as sauvé."
Le Christ s'avance alors, étend la
main et les doigts miséricordieux touchent les paupières de l'enfant qui s'éveille
aussitôt.
Comme s'il en avait reçu l'ordre, il
arrache le bandeau qui couvrait ses yeux.
La porte de l'église grince, quelqu'un
entre, hésite un moment sur le seuil.
L'enfant se retourne vivement. Dans la
clarté qui vient de la mer et du ciel, il aperçoit sa mère, enveloppée de sa
mante noire, la tête auréolée de ses cheveux blonds.
Oh ! maman, comme tu es belle !
-
Mon Yannick, tu vois ? Que Dieu soit béni !"
Et l'enfant raconte à sa mère non
seulement le rêve merveilleux qu'il vient de vivre, mais le moment ineffable
qu'il a connu quand le Christ l'a touché de ses doigts de lumière et il dit :
"Pourquoi, maman, Jésus m'a-t-il
guéri ?
-
Dieu qui sait que tu l'aimes a voulu en cet anniversaire de sa naissance
te redonner la vue, afin que tu puisses le glorifier dans les jours à venir et
jusqu'au moment où tu iras le rejoindre au ciel près de sa mère qui a tant
souffert pour lui.".
(article publié
avec l'autorisation de Coop Breizh - Contes du Trégor)
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